L`archivage pérenne entre us et abus de la mémoire
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1. S acheter une vie ditions Jacqueline Chambon amp Actes Sud Benjamin W 2008 L uvre d art l poque de sa reproductibilit technique Gallimard Blanchard P et Veyrat Masson I ed 2010 Les guerres de m moire La France et son histoire Enjeux politiques controverses historiques strat gies m diatiques La D couverte Bon F 2005 Tous les mots sont adultes m thode pour l atelier d criture Fayard Borges J 1957 Fictions Gallimard Brainard J 1997 I Remember je me souviens Actes Sud Brasseur R 2003 JE ME SOUVIENS encore mieux de Je me souviens Notes pour Je me souviens de Georges Perec l usage des g n rations oublieuses et de celles qui n ont jamais su Le Castor Astral Brauman R et Finkielkraut A 2006 La Discorde Isra l Palestine les Juifs la France Conversations avec lizabeth Levy Mille et une nuits Fayard Brauman R et Sivan E 1999 Un sp cialiste portrait d un criminel moderne Film Momento Brauman R et Sivan E 2006 loge de la d sob issance propos d Un sp cialiste Adolf Eichmann Le Pommier Brunet P ed 2004 L Egal des dieux cent versions d un po me de Sappho Allia L ARCHIVAGE P RENNE ENTRE US ET ABUS DE LA M MOIRE NUM RIQUE 43 Cannone B 2012 La chair du temps Stock Carruthers M 2002 Machina memorialis m ditation rh torique et fabrication des images au Moyen ge Ga2. 3 3 Faciliter la restitution et la compr hension Pour le num rique le support de restitution est distinct du support d enregistrement il est assur sur un mat riel donn par une cha ne logicielle sp cifique Cependant pour un besoin donn les logiciels et les formats foisonnent Pour le plus courant crire du texte outre OpenOffice org Writer et Microsoft Word on trouve pour le monde LaTeX Lyx et Scientific Word amp Workplace ou encore les diteurs de texte seuls comme Emacs et bien d autres En l occurrence abondance de biens nuit comme en t moigne le cimeti re des traitements de texte d funts et des formats perdus WordStar Textor Easywriter Manuscript Sprint Archiver conduit alors se limiter pour un besoin donn au x format s pour le s quel s il y a le plus de chances de disposer durablement d un dispositif de restitution ad quat Les crit res plus pr cis sont fournis la section suivante Un fichier est d une discr tion extr me sur ce qu il repr sente nous ne disposons que de son nom de sa date de cr ation de sa taille parfois d indications sur la mani re de le restituer l extension par exemple Cette discr tion peut le rendre inutilisable lorsque nous retrouvons de vieilles sauvegardes Archiver suppose de munir le fichier de m tadonn es minimales donnant acc s ce dont il est le souvenir 22 La num risation comme celle op r e pour Un sp cialiste es
3. de stockage et d exploitation de traces Total Recall en t moigne l envi Dans cette optique archiver ce n est pas avoir des souvenirs mais faire en sorte de pouvoir se souvenir Archiver ce qui est n ou devenu num rique rajoute cependant des contraintes particuli res On estime en effet que le num rique produit sans pr cautions particuli res a une esp rance de vie limit e 5 10 ans Nous produisons aujourd hui sous forme num rique des donn es et des connaissances qui se r v leront inutilisables long terme une g n ration et plus si nous ne prenons pas les mesures appropri es L archivage num rique p renne Banat Berger et al 2009 suppose le choix et l oubli Il cherche concilier maintien de l acc s et fid lit au contenu Il vise faciliter la restitution et la compr hension Le mod le OAIS qui sert de r f rence est bas sur la prise en compte de ces exigences Il correspond un usage mesur et concert de la m moire num rique 3 1 La m moire est l organisation collective d un oubli s lectif L archivage repose effectivement d abord sur un choix sur un filtrage Il consiste d terminer ce qui pour la collectivit m rite ce traitement dont on verra qu il est complexe et co teux et oublier le reste l abandonner la d gradation mat rielle qui l attend Il y a tout d abord un investissement important consentir pour d gager des
4. moins teint s d illusions et de regrets Imaginez un instant les cons quences que cela pourrait avoir sur les s ances de psychoth rapie les paris entre amis les t moignages au tribunal et les querelles de couple La confession au sens chr tien continue que constitue le lifelogging am liorerait m me notre comportement social nos chances de salut Savoir que nos faits et gestes risquent d tre enregistr s et vus par d autres n est pas sans cons quences Cela peut nous inciter mieux nous conduire tout comportement antisocial risquant d sormais d tre d voil et condamn Le lifelogging serait l quivalent de la pes e des mes au Jugement dernier souvent repr sent e sur les chapitres romans sur un des plateaux de la balance les bonnes actions sur l autre les mauvaises Avec le lifelogging les actions bonnes et mauvaises sont num ris es 2 La fin du livre est d volue aux conseils techniques et m thodologiques dans une optique DIY Do It Yourself 3 BH si chacun e num rise sa vie il num rise aussi celle des autres qui y figurent L ARCHIVAGE P RENNE ENTRE US ET ABUS DE LA M MOIRE NUM RIQUE 25 Le chapitre 7 Vers l immortalit num rique trace l horizon ultime du projet Imaginez ce que pourrait tre l enregistrement complet de votre vie une e m moire totale de votre passage sur terre Aujourd hui peu de gens peuvent pr tendre la pos
5. p tition perlaboration et Deuil et m lancolie Ricoeur reprend le concept de Durcharbeit la perlaboration le processus complexe qui dans la cure permet au patient de se rem morer au lieu de r p ter de substituer le souvenir et le r cit un passage lacte qui n est que la compulsion de r p tition l uvre Ce qu elle analyse comme un exc s de m moire serait du c t de la r p tition tandis que le travail de remaniement des souvenirs serait du c t de la rem moration Le projet Total Recall et le film Un sp cialiste correspondraient assez bien ces deux p les L opposition r p tition vs rem moration rejoint chez Ricoeur 1985 celle qu il instaure entre deux modes de constitution de l identit la m met et l ips it entre un mode statique fond sur la permanence et la continuit et un mode dynamique bas sur la r invention de soi 2 La m moire l heure de la re productibilit num rique Les outils de la m moire ont chang A la reproductibilit technique de la photographie et du cin ma qui se sont combin s au XXe si cle l crit comme instruments de la m moire se sont ajout es substitu es la productibilit et la mutabilit num riques En lien avec ces mutations technoscientifiques la perception de l articulation sociale pass pr sent futur s est galement modifi e dans le dernier quart de si cle Nous n avons pas recours aux m m
6. s ainsi que les formats non propri taires 36 BENO T HABERT num rique Il a donn lieu un nombre important d impl mentations Le service d archivage num rique mis en place la Biblioth que nationale de France autour du syst me SPAR a pouss tr s loin la recherche d une totale conformit au mod le 3 3 Sauvegarder n est pas archiver Sauvegarder n est pas archiver pas plus que r pliquer copier sur un autre site c est effectuer une copie ventuellement multiple et sur des sites diff rents de la donn e telle quelle sans v rifier sa bonne conformit sans lui associer obligatoirement des m tadonn es autres que celles du nom du fichier et de son type ventuel et sans la monitorer c est dire maintenir les conditions de sa restitution la plus fid le possible La sauvegarde rel ve plut t de la r p tition tandis que l archivage ressortit plut t la rem moration par les choix qu il suppose par la sollicitude continu e qu il implique Dans la pratique hors le monde de l archivage num rique p renne les mots s emploient sans grande pr caution et l on parle souvent d archivage l o il ne s agit gu re que de sauvegarde ou de r plication Il est d ailleurs tonnant de constater que la peur de la perte m morielle qui marque notre si cle d butant s accompagne d une confiance d raisonnable dans le num rique ordinaire comme s il tait impe
7. 630 vers 580 avant notre re K Haddad Wotling indique dans la pr face de l ouvrage Longtemps connu dans la version partielle de Catulle aujourd hui encore lacunaire le texte original a lui m me des fronti res mouvantes qui ont justifi des reconstitutions plus ou moins hasardeuses la tentation de combler les trous amenait au d sir de traduire nouveau les fragments d j connus La force de ce texte consacr l absence de l aim e a suscit au fil des si cles et des mill naires l int r t et l attention et permis des retraductions exigeantes et des infid lit s heureuses qui nous le rendent sensible et pr sent encore aujourd hui Sachons ce quoi nous donnons du prix dans notre pr sent et nous saurons le transmettre R f rences ADBS 2011 Web s mantique web de donn es Documentaliste Sciences de l information n 4 Arendt H 2002 Eichmann J rusalem Gallimard Aug M 1998 Les formes de l oubli Payot amp Rivages Bachimont B 2009 Archivage audiovisuel et num rique les enjeux de la longue dur e In Leblond C ed Archivage et stockage p rennes enjeux et r alisations Lavoisier Bachimont B 2010 La pr sence de l archive r inventer et justifier ntellectica 1 2 53 54 Banat Berger F Duplouy L et Huc C 2009 L archivage num rique long terme les d buts de la maturit La documentation fran aise Bauman Z 2008
8. Il y avait trop d images pour s arr ter sur chacune et ranimer les conditions de la prise Nous vivions en elles d une existence l g re et transfigur e La multiplication de nos traces abolissait la sensation du temps qui passe Pour Hoog 2009 la volont d une m moire num rique maximale produit la d sorientation Ne subsisteront que d innombrables bribes m morielles qui d riveront sans but dans un espace num rique d structur sans que jamais ces minuscules fragments de mosa que puissent tre r unis pour former un tout coh rent La m moire rejoindra un ternel pr sent la conscience historique dispara tra S il se positionne sauf erreur du c t d une saturation d un abus de la m moire voire de la r p tition le lifelogging a n anmoins sans aucun doute de beaux jours devant lui tant il donne le sentiment de relayer religions mystiques et utopies dans la r ponse au d sir d immortalit Freud 1971 et tant il participe de la discordance des temps voqu e supra La d marche de Bell est individuelle et intentionnelle et malgr sa d mesure son hubris tout garder de soi finalement limit e D sormais une partie grandissante du lifelogging s effectue partiellement notre insu par toutes les traces que nous laissons dans notre vie num rique achats collaborations La vivacit du lifelogging tient donc aussi ce qu il offre la possibilit de d velopper des mod les d aff
9. aurais pos s sur la table et j aurais fait mes devoirs C est comme a que a se passait dans les livres de classe Georges Perec W ou le souvenir d enfance Deno l 1975 42 Mais on peut conjurer la perte extr me comme le fait A Corbin 1998 lorsqu il fait l histoire d un inconnu qu il a pr cis ment choisi pour l absence quasi totale de traces le concernant Louis Fran ois Pinagot a exist L tat civil en t moigne Il est n le 2 messidor an VI 20 juin 1798 sur les trois heures du soir Il est mort son domicile le 31 janvier 1876 Puis il a sombr dans un oubli total Jamais il n a pris la parole au nom de ses semblables Sans doute n y a t il pas m me song d autant qu il tait analphab te Il n a t m l aucune affaire d importance Il ne figure sur aucun des documents judiciaires qui ont chapp la destruction Il n a jamais fait l objet d une surveillance particuli re de la part des autorit s Aucun ethnologue n a observ ses mani res de dire ou de faire En bref il est bien celui que je cherchais Mon but est ici d effectuer un assemblage de traces dont aucune n a t produite par le d sir de construire l existence de Louis Fran ois Pinagot en destin ni m me de le d signer comme un individu susceptible d en avoir un En bref il s agit de recomposer un puzzle partir d l ments initialement dispers s et ce faisant d cr
10. d utilisation de la donn e doit tre fourni dans toute sa complexit ventuelle et dans un format lui aussi standardis par exemple partir du Dublin Core de METS etc Concr tement l archive re oit d un service versant un paquet de versement Submission Information Package SIP associant donn es et m tadonn es Ce paquet se conforme dans l imm diat souvent une grammaire XML qui fait l objet d un accord entre archive et service versant Le service versant a pour fonction de faire le truchement entre les donn es et m tadonn es parfois encore d sordonn es des producteurs et les sp cifications de l archive L archive met en place des cha nes de traitement qui valident ou invalident le paquet de versement En cas d invalidation le service versant est notifi et doit revoir sa copie En cas de validation le paquet est archiv avec un num ro unique comme AIP Archival Information Package La t che centrale de l archive la certification est compl t e par d autres volets En premier lieu l archive et le service versant doivent s accorder sur ce qui a t vers Pour cela les deux calculent avec le m me algorithme une empreinte num rique du paquet de versement L archive envoie cette empreinte au service versant qui peut savoir alors si ce qui a t re u et trait est bien ce qui a t envoy Cette propri t est particuli rement cruciale pour pouvoi
11. il avait reconstitu un jour entier il n avait jamais h sit mais 4 La version de poche de Total Recall s appelle d ailleurs Your life uploaded http totalrecallbook com Etre dans le cloud n est pas si loin d tre dans les cieux pour l ternit 5 Par chantillonnages comme avec la SenseCam cam ra d velopp e par Microsoft http research microsoft com en us um cambridge projects sensecam port e sur la poitrine elle photographie intervalles r guliers ce que vous voyez et vous permet de feuilleter rapidement votre journ e 26 BENO T HABERT chaque reconstitution avait demand un jour entier Pour le narrateur de Borges la tentation Funes est aussi une tentation funeste puisqu elle d bouche sur l incapacit cat goriser Je soup onne cependant qu il n tait pas tr s capable de penser Penser c est oublier des diff rences c est g n raliser abstraire Dans le monde surcharg de Funes il n y avait que des d tails presque imm diats Funes tait presque incapable d id es g n rales platoniques Non seulement il lui tait difficile de comprendre que le symbole g n rique chien embrass t tant d individus dissemblables Et de formes diverses cela le g nait que le chien de trois heures quatorze vu de profil e t le m me nom que le chien de trois heures un quart vu de face 1 2 Un sp cialiste Eichmann ou la m moire retravaill e par le nu
12. n est en rien une question sp cifique au domaine spatial et il convient d associer une telle r flexion les repr sentants d autres secteurs d activit qui sont ou seront confront s aux m mes besoins de conservation num rique e Dans un contexte d instabilit et d obsolescence constante et rapide des technologies num riques il est pr f rable de proposer un mod le de r f rence abstrait permettant de comprendre les sp cificit s particuli res du num rique et de d finir tous les concepts n cessaires la compr hension et la r solution du probl me pos Un tel mod le pourra tre durablement stable alors que toute norme de mise en uvre sera d pendante des technologies du moment et par cons quent ph m re C est ainsi qu est n le mod le OAIS standardis par le CCSDS en 2002 puis normalis par PISO en 2003 ISO 14721 L archive au singulier est d finie dans ce mod le comme une organisation charg e de conserver l information pour permettre une communaut d utilisateurs cible d y acc der et de l utiliser Dans le futur cette information doit pouvoir tre retrouv e r cup r e comprise interpr t e convenablement par des utilisateurs qui n ont pas particip sa cr ation et qui utilisent d autres moyens num riques ordinateurs syst mes d exploitation logiciels que ceux qui ont t utilis s pour la cr ation de cette information Nous voulons p rennis
13. num rique critique Mots cl s r p tition rem moration m moire num rique archivage num rique p renne mod le OAIS lifelogging 1 La m moire num rique entre momification et re cr ation Le num rique expose la m moire ces deux tentations antagonistes dont on va examiner deux exemples Ces tentations renvoient deux modes de construction de l identit individuelle ou collective la r p tition et la rem moration 1 1 Total Recall ou la tentation Funes te Gordon Bell Bell et Gemmell 2011 propose chacun e de devenir le biblioth caire l archiviste le cartographe et le conservateur de sa propre vie en num risant sa vie enti re Les tapes sont simples 1 Ce texte qui m chappe pour partie doit beaucoup aux dialogues avec le groupe ALETHE Ethique du futur ainsi qu avec B Bachimont V Beaudouin C Huc V Muni Toke E Naulleau M P P ry Woodley et J Schlanger 24 BENO T HABERT e s quiper d appareils d enregistrements audio et vid o compl tant ordinateur et smartphone si possible g o localisants GPS pour doter les traces de coordonn es spatio temporelles e num riser tout ce qui ne l est pas articles et livres musique photographies e passer au lifelogging l enregistrement continu de la vie d un individu dans ses moindres d tails une sorte de journal de bord lectronique e prendre des mesures pour pr server toutes c
14. Ce sont elles qui ont t finalement utilis es pour fabriquer un film de 123 minutes Sivan et Brauman entendent centrer l attention sur le personnage d Eichmann et lutter contre l loignement que produisent des images d archives Le premier objectif les conduit s affranchir de la chronologie stricte du proc s et adopter un genre celui du proc s film La question d une esth tique propre c est dire d une forme adapt e notre d marche politique s est pos e tout au long du travail Le rituel juridique ne parvient au public que par les films qui l ont utilis en dehors des tats Unis o des proc s sont quotidiennement retransmis la t l vision Le d roulement d un proc s n est donc g n ralement connu que sous la forme qu a impos e le cin ma C est pourquoi nous sommes partis de l id e que seule une construction sc naris e permettrait d en restituer la dramaturgie et avons choisi de mettre en sc ne ces archives selon les techniques et la grammaire reconnaissables comme ceux de la fiction 6 Au sens de Houd 1992 La cat gorisation est la conduite adaptative fondamentale par laquelle les syst mes cognitifs biologiques ou artificiels d coupent le r el physique et social Sa fonction normative est la cr ation de classes d quivalence n cessaires la transition du continu au discret L ARCHIVAGE P RENNE ENTRE US ET ABUS DE LA M MOIRE NUM RIQUE 27 Le deux
15. DE LA M MOIRE NUM RIQUE 29 Repartons des distinctions que propose B Bachimont 2009 Les documents au sens large articulent deux types de support le support d enregistrement qui sert pr server le contenu inscrit et le support de restitution par lequel passe l appropriation du contenu Il en d coule une opposition entre deux types de m diums au sens de support physique Les m diums perceptifs sont ceux o support de pr servation et support de restitution co ncident C est le cas du livre Les m diums techniques reposent sur une s paration des deux supports C est le cas du cin ma il faut un appareil sp cifique le projecteur pour donner acc s aux images de la pellicule C est a fortiori le cas du num rique les suites de 0 et de 1 de n importe quel fichier restent muettes sans un dispositif technique complexe qui combine appareils ordinateur smartphone et traitements syst me d exploitation applications B Bachimont oppose alors deux types de lisibilit culturelle et technique La lisibilit culturelle d pend du plus ou moins grand partage d un environnement culturel entre celui du moment de la cr ation du document et celui disponible qui veut acc der son contenu Quand cet environnement fait d faut se creuse un foss d intelligibilit La lisibilit technique quant elle est conditionn e par l existence de dispositifs d acc s au contenu pour les documents qui en n cessite
16. L archivage p renne entre us et abus de la m moire num rique Beno t Habert ICAR UMR 5191 amp Ecole normale sup rieure de Lyon benoit habert ens lyon fr Abstract As storing devices and digitizing processes have increasing capacities it is possible either to follow a total recall approach to memory or to sort and reorganize what we want to preserve In specific ways digital data are very fragile data A digital long term preservation system is not a digital information storage backup system It makes a compromise between keeping the content as accurately as possible and migrating the underlying meta data when their format becomes obsolete New arts of memory are coming out Between sheer repetition of the past and rememoration reorganizing the past according to the present and to the foreseeable futures we can opt for a critical practice of digital memory R sum Le num rique peut pousser vouloir tout m moriser comme profiter de sa souplesse pour trier et r agencer ce qui doit tre conserv Cependant il pr sente des risques sp cifiques de pertes L archivage num rique p renne essaie de concilier maintien de l acc s et fid lit au contenu ce que n assure pas un syst me de sauvegarde De nouveaux arts de la m moire mergent Entre r p tition simple du pass et rem moration r organisation du pass l aune du pr sent et du futur escomptable on peut faire le choix d une m moire
17. S ET ABUS DE LA M MOIRE NUM RIQUE 33 3 2 Le dilemme archival entre maintien de l acc s et fid lit au contenu r p ter et adapter B Bachimont 2009 met en vidence ce qu il appelle le dilemme archival propre au num rique Soit on maintient le document num rique strictement tel quel soit au contraire on op re sa migration c est dire une traduction plus ou moins fid le de l enregistrement de d part en temps que de besoin c est dire chaque volution de la cha ne technique qui permet de le restituer Dans le premier cas on risque terme de ne pas pouvoir restituer le contenu foss d obsolescence Dans le second on ne peut pas forc ment certifier que le contenu auquel on continue d avoir acc s est identique celui de d part L archive num rique doit en fait juxtaposer les deux traitements La cha ne technique traverse des p riodes de stabilit Au cours de ces p riodes il faut maintenir strictement l identique l enregistrement le recopier sauvegarde pour pr venir la d t rioration des supports v rifier lorsqu on le recopie que la copie est strictement fid le l original au bit pr s le recopier des endroits loign s r plication pour pr venir les destructions accidentelles v rifier qu il ne change pas on expliquera dans la sous section 3 4 comment op rer Lorsque la cha ne technique volue la migration s impose avec parfois des pertes
18. age social transf r es et archiv es dans des dossiers qu on ouvrait rarement sur l ordinateur Ce qui comptait c tait la prise l existence capt e et doubl e enregistr e mesure qu on la vivait des cerisiers en fleur une chambre d h tel Strasbourg un b b juste n Lieux rencontres sc nes objets c tait la conservation totale de la vie Avec le num rique on puisait la r alit Le temps est devenu pointilliste hach il est d sormais caract ris par le r gne de l urgence et l enchev trement des t ches Bauman 2008 La vie num rique contribue ce changement du temps social par la multiplicit et la coexistence des canaux j assiste une r union tout en faisant mon mail et en r pondant dans le m me temps aux SMS Il faut g rer des flux continuels et simultan s d information dans des collaborations ou des groupes projets qui se forment et se dissolvent rapidement puisque les collectifs ont perdu leur stabilit leur r le de r f rence et que sont valoris es les dynamiques individualistes Menger 2002 Castel et 16 Brauman et Sivan d taillent les difficult s qu ils ont rencontr es sur ce plan Alors que les enregistrements taient faits pour clairer les g n rations futures leur acc s avait t confi depuis 1977 aux archives Spielberg http ssjfa huji ac il Ces derni res avaient op r dans les ann es 1978 1979 une s lection de 70 heures diff ren
19. aires rentables suggestion d achats sur la base de nos achats pass s par exemple mod les d affaires qui doivent pouvoir tirer profit ces flux incessants et croissants de traces Parce qu il rencontre esp rance individuelle et profits d entreprise le lifelogging va voir son instrumentation cro tre Vont progresser de pair l accumulation de souvenirs en masse et les moyens de mieux se souvenir au milieu de ces masses 30 C est proche de l pilogue du livre d U Eco 1982 Le nom de la rose Des ann es apr s la fin de l nigme le narrateur g revient au monast re qui a br l sa biblioth que avec Dans les ruines de multiples fragments de manuscrits je passai une journ e enti re glaner comme si de ces disjecta membra de la biblioth que devait me parvenir un message Souvent partir d un mot ou d une image survivante je reconnus de quel ouvrage il s agissait la fin de ma patiente reconstitution se profila dans mon esprit comme une biblioth que mineure signe de la majeure disparue une biblioth que compos e de morceaux citations p riodes incompl tes moignons de livres Cette fin fait peut tre cho l an antissement de la biblioth que et de l abbaye de Monte Cassino dans la ou les bataille s ponyme s en 1944 31 Pour rendre sensible cette potentialit et aux risques qu elle entra ne le magazine Le Tigre dans son num ro 28 de novembre d
20. cembre 2008 a construit puis anonymis une biographie extr mement pr cise d un individu par les traces le concernant sur la Toile http www le tigre net Marc L html 38 BENO T HABERT 4 2 Rem moration oubli re connexions variation Le souvenir op re sur fond d oubli Aug 1998 volontaire ou involontaire L oubli est n cessaire la cat gorisation il permet d liminer les d tails et de d gager les airs de famille Il facilite alors la m morisation Loin de l vidence postul e et souhait e automatisable par G Bell de la s paration entre ce qui compte et ce qui est n gligeable le travail de rem moration est installation de connexions entre pans variables de souvenirs connexions qui peuvent changer l importance relative et le sens de ces fragments Pour continuer un parall le avec la psychanalyse le sujet qui parle a le droit de le l v nement qu il a v cu faire avoir t diff rent chaque fois qu il le dit partir de maintenant ce que Freud appelle l apr s coup Le temps de l v nement c est le futur ant rieur Cette histoire d amour aura t cela Aujourd hui Le r cit ne serait ni vrai ni faux car il n aurait jamais faire avec ce qu on appelle la r alit mais une v rit dont la naissance se ferait dans sa parole Pas avant Depuss 2000 Ou dans les termes de Ricoeur 1985 l identit narrative constitutive
21. crit res de tri et s accorder sur eux ainsi que pour mettre en place les proc dures et outils de tri Cela suppose une conduite du changement une volution encadr e des habitudes documentaires qui est complexe mettre en place C Dh rent 2009 montre ainsi la lenteur et l encadrement n cessaires la g n ralisation au sein de la BnF du records management c est dire d une politique documentaire qui organise le cycle de vie des documents en d terminant leurs diff rentes dur es de vie et en distinguant donc ce qui doit tre archiv long terme Dans le cas du num rique le bien fond de tous ces investissements est d autant plus difficile plaider que le gain n est pas imm diatement perceptible En effet les pertes de temps li s l infob sit la croissance d sordonn e de l information ne sont pas comptabilis es en tant que telles et sont m me difficiles mesurer la fois au niveau de chaque outil interface moteur de recherche g n raliste ou sp cialis et au niveau de l articulation fluide ou pas des outils 20 Cf Hoog 2009 aujourd hui la technique incite tout garder quelle que soit la nature de l objet concern on ne conserve plus parce que c est important mais c est parce qu on conserve que c est important Ou plut t qu on lui permet de le devenir 21 R Brauman dans Brauman et finkielkraut 2006 L ARCHIVAGE P RENNE ENTRE U
22. de l ips it peut inclure le changement la mutabilit dans la coh sion d une vie Le sujet appara t alors constitu la fois comme lecteur et comme scripteur de sa propre vie selon le v u de Proust Comme l analyse litt raire de l autobiographie le v rifie l histoire d une vie ne cesse d tre refigur e par toutes les histoires v ridiques ou fictives qu un sujet raconte sur lui m me Selon la formule que Cannone 2012 attribue Sartre ou la psychanalyse on ne sait pas ce que le pass nous r serve Cette vision de la m moire comme remaniement de souvenirs visant construire un sens pour le pr sent donne la variation une place centrale peut tre comme contrepartie des pertes Le num rique avec sa mutabilit inh rente retrouve alors pour partie ce qui caract risait l crit m di val d avant l imprim selon B Cerquiglini 1989 l criture m di vale ne produit pas des variantes elle est variance La r criture incessante laquelle est soumise la textualit m di vale l appropriation joyeuse dont elle est l objet nous invitent faire une hypoth se forte la variante n est jamais ponctuelle C est l nonc lui m me que travaille comme une p te l activit paraphrastique 32 Comme le soulignent Brauman et Sivan les manipulations techniques employ es dans Un sp cialiste sont insignifiantes par rapport au charcutage n cessaire pour extraire de
23. enir num rique Il ajoute je poss de d j des souvenirs num riques de toutes sortes d objets que j ai appris appr cier sous cette forme Plus largement pour Haroche 2008 la division du travail des sens conna trait pr sent un moment de transformation de d s quilibre modifiant en profondeur les mani res de percevoir et de sentir Elle souligne le recul de la relation entre le regard et le toucher et ses cons quences sur la socialit Elle insiste galement sur le caract re d structurant des flux sensoriels audio visuels continus auxquels nous sommes soumis Si la rem moration base de num rique h rite du privil ge de l audio visuel et doit composer avec lui elle introduit des moments de recul de reprise qui peuvent redonner au temps son paisseur Manipuler les traces les transforme n cessairement on l a vu pour Total Recall avec les acc s al atoires ou les cr mages automatiques voire les ab me La r p tition est pourtant d ni de la perte Or rappelle J Schlanger 2010 Nous avons infiniment perdu et nous perdrons sans cesse et il est vraisemblable que nous perdrons toujours Aucune g n ration n aura affaire au pass culturel tout entier et aucune ne transmettra l ensemble de ce qu elle a fait La d perdition nous accompagne et il reste comprendre ce qu elle signifie pour nous A titre individuel nous ne transmettrons pas non plus nos de
24. ent pr cis de l acc s 2 2 Discordance des temps E Hoog 2009 et R Robin 2003 pointent les signes d un engouement croissant pour le pass d une obsession voire d une compulsion m morielle En France les projets de num risation foisonnent les mus es aussi Alors que 6 comm morations nationales ont t fix es en France entre 1880 et 1999 6 l ont t entre 2000 et 2006 Hoog comme d autres relie ce privil ge donn au pass la disparition des t l ologies des sens de l histoire qu ont constitu jusqu la fin du XX me si cle les utopies r volutionnaires ou lib rales la r gulation harmonieuse par le march et aux tentations concomitantes communautarismes ou replis individualistes et relativistes Aujourd hui la m moire et son culte font office d agents de liaison entre un pass fantasm un pr sent inqui tant et un futur ind finissable Cette nostalgie du pass s accompagne d un essai toujours plus envahissant num rique aidant de fixer la Total Recall un pr sent liquide Bauman 2008 C est ce que d crit A Ernaux dans Les ann es 2008 La recherche du temps perdu passait par le web On tait dans un pr sent infini On n arr tait pas de vouloir le sauvegarder en une fr n sie de photos et de films visibles sur le champ Des centaines d images dispers es aux quatre coins des amiti s dans un nouvel us
25. er des informations num riques repr sent es en pratique par des donn es constitu es de s quences de 0 et de 1 les bits Le mod le d information identifie et conceptualise les cat gories d informations suppl mentaires qu il faudra obligatoirement conserver en compl ment des donn es pour atteindre l objectif fix Au c ur de ces informations compl mentaires se trouve l information de repr sentation elle concentre tout ce qu il est n cessaire de savoir aujourd hui et dans le futur proche ou lointain pour pouvoir passer des s quences de bits une information intelligible des types de donn es l mentaires aux mod lisations informationnelles A c t se greffent galement l information de provenance savoir d o vient le document tre s r de son authenticit l information d identification qui n est pas un concept nouveau et qui existe depuis longtemps avec les ISBN ISSN mais en num rique comment cr er un identifiant la fois unique et p renne L information d int grit nous assure que le document n a pas t modifi et l information de contexte replace ce document dans le cadre g n ral d un ensemble de documents organis s hi rarchis s reli s 26 Consultative Committee for Space Data Systems organisme de standardisation commun aux agences spatiales NASA aux Etats Unis CNES en France etc http public cesds org 27 OAIS CCSDS 650 0 B 1 Reference Model f
26. es moyens pour nous souvenir que les g n rations pr c dentes et nous n avons pas le m me rapport aux souvenirs et au fait de se souvenir 2 1 Le num rique mall able mais fragile Les deux r alisations de la premi re partie Total Recall et Un sp cialiste aident d gager les forces et les faiblesses de la m moire num rique 7 C est le destin posthume d Akh naton 8 Article 1 Premi rement que la m moire de toutes choses pass es d une part et d autre part depuis le commencement du mois de mars 1585 jusqu notre av nement la couronne et durant les troubles pr c dents et l occasion d iceux demeurera teinte et assoupie comme de chose non advenue 9 R Robin 2003 indique par exemple propos du mus e de l Holocauste aux Etats Unis Pour poser une question heuristique alternative pourquoi pas un mus e de l esclavage am ricain Ne serait il pas plus appropri d utiliser le territoire national et l argent dans le but de rendre plus pr sents des crimes pour lesquels notre pays doit admettre sa responsabilit plut t que de rappeler des crimes perp tr s par un r gime que les Am ricains ont contribu d truire et contre lequel ils ont donn leur vie 10 Respectivement Freud 1953 et Freud 1968 11 On se reportera Huc 2011 pour l analyse de la situation au plan individuel et les cons quences en tirer L ARCHIVAGE P RENNE ENTRE US ET ABUS
27. es traces sauvegarde r plication en particulier sur le cloud e rendre ces traces utilisables classement indexation pour que vous puissiez avoir acc s d un simple clic toutes les informations re ues au cours de votre vie Bill Gates Pr face p 10 Le fait que Bill Gates pr face Total Recall l indique le projet n est pas celui d un illumin du num rique Il a re u un soutien fort de Microsoft comme projet de recherche sous le nom de MyLifeBits ma vie en miettes en octets http research microsoft com en us projects mylifebits Il a donn lieu d veloppements sur l acc s aux traces en particulier et publications C est donc une utopie r aliste et partiellement r alis e que le livre incite reprendre son compte Pour G Bell La m moire biologique est subjective in gale influenc e par nos motions et par notre ego impressionniste et mouvante La m moire num rique est objective impartiale prosa que et d une pr cision impitoyable L id al revendiqu est celui de la transparence de la v racit num ris s les v nements tres et choses sont l devant nous presque tels qu en eux m mes G Bell d veloppe les avantages de ces simulacres La technologie ne supprimera certes pas cette tendance bien humaine s aveugler sur son compte mais nos actes et les v nements de notre vie nous appara tront plus objectivement plus clairement
28. es villes sans bouger de devant nos crans La reproduction peut diverger de l original on peut recadrer une photo un plan Avec le num rique cette divergence s accro t si bien qu on pourrait parler de productibilit technique plut t que de simple reproductibilit C est ce que font Sivan et Brauman quand ils composent des vrais faux sons et images partir du mat riau num ris dont ils disposent C est aussi ce que permettent les transformations ordonn es sur des documents structur es le couplage XSLT XML La m moire num rique fait face des menaces sp cifiques qui creusent foss d obsolescence et foss d intelligibilit En premier lieu les supports se d gradent Une tude r alis e en 2007 par Google sur son propre parc informatique a ainsi r v l que 8 des disques vieux de deux trois ans devaient tre remplac s en raison de leur d faillance Hoog 2009 Il n existe pas encore de support fiable long terme Une tude technique r cente Hourcade et al 2010 r alis e conjointement par l Acad mie des sciences et l Acad mie des technologies montre ainsi la r sistance au temps limit e et tr s in gale des CD et DVD bien inf rieure aux annonces des fabricants et variant m me pour un m me fabricant et un m me produit Les supports analogiques connaissent souvent une d gradation graduelle continue les photos p lissent les caract res s effacent mais progressivemen
29. i me objectif les am ne gommer les outrages du temps dans la mesure o L image d archives posait elle un probl me particulier Son aspect imm diatement reconnaissable contours flous fourmillement faible contraste place en effet le spectateur dans un rapport inconscient d loignement temporel vis vis de l action qui se joue l cran Pour liminer cette distance mentale effacer ce qui donnait ces images leur caract re dat les r alisateurs indiquent nous les avons int gralement restaur es et r clair es en recourant aux m thodes de traitement num rique et aux stations de travail habituellement utilis es pour les effets sp ciaux Au del de ces nettoyages ils cr ent des images vraies fausses par combinaison de l existant pour rendre compte de l espace architectural du tribunal et pour assurer certains moments la continuit temporelle des dialogues nous avons introduit plusieurs mouvements de cam ra qui n existaient pas dans le tournage d origine Pour cela nous avons d composer partir de plusieurs images d origine une image unique englobant par exemple la cage de verre de l accus gauche l estrade des juges au centre et le box des t moins droite Sur cette image nouvellement cr e nous avons ensuite appliqu un mouvement panoramique Enfin des plans de la salle d audience furent incrust s comme reflets sur la paroi en verre de
30. i permet de constituer un contexte d interpr tation Sur ces deux points l obstacle n est plus technique le dispositif de restitution existe mais culturel le dispositif de restitution n est pas localisable le contexte culturel idoine n est pas imm diatement mobilisable Dernier obstacle possible sur le versant culturel aussi le droit d acc s au document La profusion envahissante des documents num riques nous rend difficile la perception des multiples filtres 13 Cf Didi Huberman 2009 2010 14 Dans le monde analogique Brauman et Sivan ont t confront s au m me obstacle Les originaux taient enferm s double tour dans un format vid o obsol te deux pouces NTSC le format am ricain des ann es soixante n cessitant des machines sp ciales qu on ne pouvait louer qu aux Etats Unis 15 G Bell Bell et Gemmell 2011 exprime ainsi joliment les dol ances d une donn e abandonn e son triste sort de suite inane de 0 et de 1 Ch re Appli Je nous croyais li s par un engagement Tu devais me comprendre et me soutenir tout jamais Que s est il pass O es tu pass e Ta pauvre donn e perdue et oubli e L ARCHIVAGE P RENNE ENTRE US ET ABUS DE LA M MOIRE NUM RIQUE 31 l uvre acc s via un intranet ou li mon identit Nous croyons habiter un m me monde num rique alors que ce que nous en pouvons utiliser d pend de ce que chacun e de nous est au mom
31. ire sur les engloutis les effac s sans pour autant pr tendre porter t moignage Cette m ditation sur la disparition vise faire exister une seconde fois un tre dont le souvenir est aboli auquel aucun lien affectif ne me rattache avec lequel je ne partage a priori aucune croyance aucune mission aucun engagement Il s agit de le re cr er de lui offrir une seconde chance assez solide dans l imm diat d entrer dans la m moire de son si cle 42 BENO T HABERT au lieu d accumuler des souvenirs il s agit de d cider de ce dont nous voulons nous souvenir de ce qui du pass a du sens pour notre pr sent et pour notre futur C est d ailleurs parce que nous avons d cid de nous souvenir de quelque chose qui compte aujourd hui et maintenant que nous prenons les mesures pour emp cher que se creusent tant le foss d obsolescence que le foss d intelligibilit Nous adaptons techniquement l enregistrement et les dispositifs de restitution nous faisons voluer le contenu C est la d marche de l archivage p renne J Schlanger indique Il est toujours douloureux de perdre il est peut tre in vitable de perdre et les rapports complexes entre perte et renouvellement sont au c ur du dispositif de la m moire et de l invention P Brunet 2004 en fournit un exemple au travers de cent versions des traductions et adaptations depuis la Renaissance aujourd hui d un po me de Sappho vers
32. it pu bifurquer un moment donn comme dans L ARCHIVAGE P RENNE ENTRE US ET ABUS DE LA M MOIRE NUM RIQUE 41 plus risqu e qui fasse place la perte si blessant que ce soit En effet selon les termes de J Schlanger Explorer la perte c est aussi errer dans l interminable deuil de la totalit C est la d marche d A Farge dans Le go t de l archive 1989 On ne ressuscite pas les vies chou es en archive Ce n est pas une raison pour les faire mourir une deuxi me fois L espace est troit pour laborer un r cit qui ne les annule ni ne les dissolve qui les garde disponibles ce qu un jour et ailleurs une autre narration soit faite de leur nigmatique pr sence coup s r le go t pour les mots et les actions en lambeaux mod le l criture prenant appui sur la fragmentation des paroles elle trouve son rythme partir de s quences qui ne doivent rien la n cessit mais tout au plausible elle cherche un langage qui laisse subsister de la m connaissance tout en offrant des parcelles de savoir neuf inattendu J Schlanger 2010 attribue l attention que nous leur portons la permanence ventuelle des uvres Ni le danger d tre unique ni le danger d tre trop nombreux n expliqueront la fragilit et la persistance la pr carit et la vitalit des uvres dans la m moire Ce qui les maintient jusqu un certain point dans la r alit mat rielle ou intellectuelle ce qui les
33. la cage de l accus de fa on r int grer le public dans le huis clos La recherche d un son moins dat a conduit de la m me mani re une sorte de chirurgie sonore Des enregistrements radiophoniques de bonne qualit avaient t r alis s au moyen de micros distincts attribu s chacun des protagonistes du proc s Nous les avons utilis s pour remplacer le son d origine de la vid o puis cr er une spatialisation sonore de notre huis clos Le passage de l analogique au num rique permet donc un retravail de la m moire sans pr c dent C est reconsid rer le statut des traces comme l indiquent les auteurs qui d fendent la l gitimit de leur d marche En agissant ainsi sur l image d une fa on imperceptible pour le spectateur nous avions ainsi conscience d afjaiblir son statut d ultime v rit et d aborder par l m me un terrain sensible plus sensible pour un film sur Eichmann que dans le cas par exemple de Forrest Gump Mais que ce soit par rapport l image ou par rapport l crit nous nous situons dans la m me perspective de la cit la diff rence des ic nes objets de culte les images sont au mieux des objets de pens e Le respect que l on doit celles l ne se justifie pas pour celles ci qui n existent que par le travail qui leur est appliqu Nous ne voyons pas comment attacher une quelconque valeur morale une technique en elle m me estimant que seul son usage
34. llimard Castel R et Haroche C 2001 Propri t priv e propri t sociale propri t de soi entretiens sur la construction de l individu moderne Fayard Cerquiglini B 1989 loge de la variante Histoire critique de la philologie Seuil Corbin A 1998 Le monde retrouv de Louis Fran ois Pinagot sur les traces d un inconnu 1798 1876 Flammarion Depuss M 2000 Qu est ce qu on garde P O L Dh rent C 2009 L implantation d un syst me de Records Management la Biblioth que nationale de France BnF In Leblond C ed Archivage et stockage p rennes enjeux et r alisations Lavoisier Didi Huberman G 2009 Quand les images prennent position L il de l histoire 1 Minuit Didi Huberman G 2010 Remontages du temps subi L il de l histoire 2 Minuit Eco U 1982 Le nom de la rose Grasset Eco U 1988 Pastiches et postiches Editions Messidor Ernaux A 2008 Les ann es Gallimard Farge A 1989 Le go t de l archive Seuil Folman A 2008 Valse avec Bachir Film Folman A et Polonsky D 2009 Valse avec Bachir Casterman Arte Editions Freud S 1953 La technique psychanalytique PUF Freud S 1968 M tapsychologie Gallimard Freud S 1971 L avenir d une illusion PUF Haroche C 2008 L avenir du sensible Les sens et les sentiments en question PUF Hoog E 2009 M moire ann e z ro Seuil Houd O 1992 Cat gori
35. m rique En 1960 Adolf Eichmann responsable de la logistique de la solution finale nazie est enlev en Argentine par les services secrets d Isra l Le jeune Etat isra lien veut faire de son proc s 11 avril 14 ao t 1961 celui d un monstre et enregistre l int gralit du proc s pour l dification des g n rations futures Eichmann est pendu Hannah Arendt qui couvre le proc s pour le New Yorker insiste sur l aspect falot d Eichmann Elle d veloppe dans ses articles et dans le livre qu elle en tire en 1963 Arendt 2002 la th se de la banalit du mal Elle qualifie ainsi le souci d ob issance d Eichmann ses sup rieurs et le refus d Eichmann de penser les cons quences de cette ob issance Elle d clenche une pol mique immense qui n est toujours pas teinte En 1999 Rony Brauman et le r alisateur isra lien Eyal Sivan produisent un film Un sp cialiste Portrait d un criminel moderne qui s inscrit explicitement dans la lign e des th ses d H Arendt Ce film retravaille par le biais du num rique les archives audio visuelles analogiques du proc s Leur livre de 2006 Brauman amp Sivan 2006 d taille leurs choix que nous allons analyser 500 heures ont t tourn es pendant le proc s 350 heures seulement demeurent souvent de mauvaise qualit Les 70 heures de meilleure qualit ont t retenues par Brauman et Sivan En leur sein 10 ont t conserv es et num ris es
36. me nous avons l impression d tre confront s de l identique travers du plus ou moins l g rement diff rent En cela nous ne sommes vraiment pas Funes Ce destin est en m me temps une chance puisque cette incontournable traduction permet galement des remodelages infinis W Benjamin 2008 dans son ouvrage de 1935 L uvre d art l heure de sa reproductibilit technique celle de la photo et du cin ma au d but du XXe si cle insiste sur les transformations qui en d coulent La reproduction s immisce dans des contextes impossibles pour l original au plus pr s du r cepteur et dans le contexte de ce dernier Nous visitons en effet virtuellement les plus grands mus es ou les plus 12 C est ce foss d intelligibilit que confronte la lecture pr s de 35 ans apr s leur parution des 480 Je me souviens de Perec 1978 inspir s de ceux que Brainard 1997 a r dig s entre 1970 et 1975 et auxquels Perec fixe l objectif de tenter de retrouver un souvenir presque oubli inessentiel banal commun sinon tous du moins beaucoup Par exemple quoi renvoie le 243 Je me souviens des 121 ou encore le 9 Je me souviens de Ploum ploum tra la la Rien d tonnant alors ce qu un ouvrage Brasseur 2003 propose des Notes pour Je me souviens de Georges Perec l usage des g n rations oublieuses et de celles qui n ont jamais su 30 BENO T HABERT bell
37. ng est la limite et rem moration sont deux mani res de se pr munir contre de telles pertes m morielles Nous approfondirons d abord leur caract risation Nous continuerons par la contribution sp cifique du num rique l tablissement de ce qui vaut pour vrai Nous terminerons par ce qui permet effectivement au num rique de durer l attention et l int r t pour ce qu il permet de m moriser 29 SPAR Syst me de pr servation et d archivage r parti de la Biblioth que nationale de France BnF http www bnf fr fr professionnels conserver_spar s conserver SPAR presentation html L ARCHIVAGE P RENNE ENTRE US ET ABUS DE LA M MOIRE NUM RIQUE 37 4 1 Lifelogging Pavenir d une illusion La m moire satur e imagine pouvoir entrer directement en contact avec le r el du pass int gral C est dans Total Recall le projet d avatar qui parlerait notre place nos descendants C est aussi aux premiers temps du US Holocaust Memorial Museum de Washington le fait de fournir l entr e chaque visiteur la carte d identit d une victime Robin 2003 ou le projet en 2008 de Nicolas Sarkozy que chaque enfant de CM2 adopte un enfant victime de la Shoah Cette m moire envahissante ne fournit pas la dur e suffisante pour laborer les repr sentations et les sentiments comme le manifeste A Ernaux 2008 Une autre forme de pass s inscrivait fluide faible teneur de souvenirs r els
38. nsable que s vanouisse la multitude de souvenirs qu il permet d arr ter un instant plus que de pr server 4 Vers de nouveaux arts et devoirs de la m moire Le monde num rique qui est le n tre entra ne des modifications importantes des op rations intellectuelles et sensibles de base lire crire mais aussi se souvenir Les arts de la m moire Carruthers 2002 voluent avec les techniques de la m moire comme lors du passage au 14 si cle de la lecture haute voix la lecture silencieuse et de l arriv e de l imprimerie J Schangler 2010 rappelle d ailleurs que ces progr s techniques sont toujours aussi l occasion de pertes m morielles Ilest difficile de mesurer combien les chances de survie des uvres d pendent des circonstances et des conditions techniques de la transmission Et par exemple des goulets d tranglement de l crit que sont les grands changements techniques de support de mat riau et d criture Ainsi le passage du papyrus au parchemin puis du rouleau au codex ou le passage de l criture capitale l onciale puis de l onciale la minuscule carolingienne chaque reprise les crits qui n auront pas t retenus pour tre recopi s entament un destin diminu o ils seront moins diffus s moins lus moins agissants et bien plus vuln rables De nos jours la num risation des textes est un autre exemple de tourniquet technique R p tition dont le lifeloggi
39. nt Leur absence d bouche sur un foss d obsolescence Le num rique comme m dium technique poss de des forces propres l accueil int gratif d une bonne partie de ce qui nous est sensible son remodelage incontournable et infini L exemple de Total Recall le manifeste le son l image fixe ou anim e le texte sont m morisables num riquement soit une grande partie de ce qui nous est perceptible Ce n est pas encore le cas pour ce qui nous est accessible par le go t l odorat le toucher mais pour combien de temps Quelle que soit sa nature texte son image ce qui est m moris l est de mani re uniforme des 0 et des 1 et sur un m me support ce qui permet d int grer les modalit s d articuler les m moires C est le cas par exemple en transcription d interactions film es le texte est align avec le son et l image Deuxi me volet la restitution est toujours une traduction de ce qui figure sur le support num rique d enregistrement La longue tradition de stabilit de l crit nous cache souvent le fait que cette traduction est forc ment multiple un m me document n est pas rendu de la m me mani re selon le syst me d exploitation Mac Windows Linux Android l appareil ordinateur tablette liseuse smartphone le logiciel Chrome Firefox Safari Internet Explorer voire l utilisateur nous param trons nos modes d acc s aux documents Nous reconnaissons du m
40. or an Open Archival Information System OAIS ISO 14721 janvier 2002 http public cesds org publications archive 650x0b1 pdf L ARCHIVAGE P RENNE ENTRE US ET ABUS DE LA M MOIRE NUM RIQUE 35 entre eux En mati re de terminologie la distinction est donc faite dans le mod le OAIS entre l information d finie ici comme une connaissance susceptible d tre chang e et la donn e qui n est que la repr sentation formalis e de cette information repr sentation adapt e la communication l interpr tation ou au traitement La donn e est porteuse d information Une difficult majeure sur le long terme sera donc de toujours tre en mesure de passer de la donn e l information contenue dans cette donn e puisque c est la pr servation de l information qui nous int resse Archiver dans ce cadre consiste tout d abord v rifier les donn es qui sont livr es les trains de bits en s assurant qu elles r pondent effectivement au format qu elles revendiquent Une archive accepte donc un nombre d termin de formats d archivage pour les donn es et op re au versement cette certification Par exemple un fichier PDF peut ne pas contenir toutes les ressources n cessaires polices par exemple pour tre utilis sur toutes les plateformes Le caract re auto porteur du fichier va donc tre examin L archive v rifie galement la bonne formation des m tadonn es correspondantes Le contexte
41. peut tre objet de jugement 1 3 La m moire entre r p tition et rem moration Pour Hoog 2009 la recomposition du pass par la m moire demeure une condition essentielle pour qu une soci t puisse avoir une repr sentation d elle m me et agir en se tournant vers l avenir Cela vaut galement au niveau individuel Robin 2003 Cette place de la m moire dans la construction de l identit tant collective qu individuelle explique que la m moire soit l objet d injonctions contradictoires comme le souligne Ricoeur 2000 qui parle de m moire emp ch e m moire manipul e m moire abusivement command e C est la damnatio memoriae des Romains qui vise effacer au sens le plus litt ral en martelant les 28 BENO T HABERT inscriptions et les effigies tout souvenir toute trace des souverains d cr t s ennemis publics Robin 2003 ou encore l obligation d oubli qu inclut l Edit de Nantes promulgu par Henri IV ibid C est encore l interdiction d oubli de g nocides que l on veut inscrire dans la loi fran aise L oubli comme la m moire sont toujours s lectifs et cette s lectivit est toujours questionner Mais ces choix s inscrivent dans deux grands modes de construction de l identit r p tition et rem moration R Robin 2003 relaie et tend les analyses de Ricoeur 2000 Se fondant sur les c l bres articles de Freud Rem moration r
42. prot ge temporairement du n ant n est pas la quantit mais l int r t Ce qui assure momentan ment la visibilit et donc la survie n est pas le nombre mais l attention qui accompagne l int r t Dans le m me sens plaidons donc pour finir en rejoignant B Bachimont 2009 2010 pour une m moire num rique raisonn e durable plut t du c t de la rem moration voulue du remaniement volontaire A rebours d une propension num riser ou pr server au cas o Smoking No smoking d A Resnais malgr le diverticule imagin ils aboutissent la m me vie pr sente Le remaniement tourne court 41 C est dans W ou le souvenir d enfance Perec 1975 la tension entre la reconstitution d un fantasme enfantin de cit r gie par l id al olympique et le r cit fragmentaire d une vie d enfant pendant la guerre qui permet Perec d approcher l indicible de la disparition maternelle Ou la langue m me comme l indique Bon 2005 l o Perec bute sur l innommable c est la grammaire qui vient son secours avec un emploi soudain du conditionnel d chirant d une gravit dont je ne connais pas d autre gale Moi j aurais aim aider ma m re d barrasser la table de la cuisine apr s le d ner Sur la table il y aurait eu une toile cir e petits carreaux bleus Puis je serais all chercher mon cartable j aurais sorti mon livre mes cahiers et mon plumier de bois je les
43. r remplir une des fonctions de l archive la r versibilit c est dire la capacit retourner l identique au service versant son paquet par exemple en cas de cessation de l archive ou de changement d archive pour le service versant En second lieu l archive doit pr server les paquets archiv s des destructions ou d gradations de support Elle assure leur r plication sur un site distant Elle v rifie r guli rement la stabilit de chaque paquet elle compare l empreinte num rique de d part du paquet et celle qu on calcule elles doivent tre identiques dans le cas contraire elle restaure le paquet partir de l autre version En troisi me lieu l archive assure la migration des donn es et des m tadonn es en fonction des volutions des formats ce qui suppose une activit de veille sur les formats Enfin l archive donne acc s l information en diffusant des versions des paquets archiv s DIP Dissemination Information Package D s la fin des ann es 1990 avant m me sa normalisation d finitive le mod le OAIS s est impos comme une base conceptuelle incontournable pour la p rennisation du patrimoine 28 Un format acceptable pour archivage est un format largement utilis mais surtout dont les sp cifications sont publi es de telle mani re qu on puisse valider automatiquement son respect par une m ta donn e qui s en r clame Les formats normalis s sont donc privil gi
44. re num rique vraie Brauman et Sivan se situent l exact oppos de Bell et Gemmell quand ils affirment propos d Un sp cialiste La v rit de ce film de tout film ne se retrouve pas dans une inconcevable absorption du r el mais dans une reconstruction dont la structure et les crit res de choix doivent tre explicites Ce caract re explicit abl e tient la dimension potentiellement tra able des choix faits Les tapes successives de cette longue suite de d coupages et de sutures ont t conserv es sous leur forme mont e Elles peuvent tre reconstitu es gr ce au catalogue d taill qui a permis leur r alisation Toute sc ne du film peut ainsi tre rattach e sa source et ses d veloppements ant rieurs m me si paradoxalement ce film d archives contient des plans n existant pas dans le fond d archives dont il est issu Cette transparence nous a sembl tre au del de l explication de nos choix de fabrication le seul imp ratif thique partir duquel nous pouvions proc der notre construction Au del du cas particulier de ce film ce qui r appara t ici est la n cessit plus g n rale de la conservation des documents dans des conditions qui les rendent utilisables et permettent les allers retours entre la source et leur utilisation Insister sur le potentiel de remaniement du num rique ne revient donc pas pour autant mettre toutes les re compositions sur le m me plan Ce q
45. s voir d filer tir es au sort comme fond d cran e Les progr s de l indexation multim dia reconnaissance automatique de la parole reconnaissance des formes pour distinguer personnages paysages etc e L cr mage tout comme le TAL permet de donner des versions raccourcies de textes des r sum s audiovisuels d activit peuvent tre fournis e Le rep rage automatique des l ments importants par exemple par mise en vidence des carts par rapport aux routines habituelles Tout compte fait Bell ne fait jamais que chercher r aliser un r ve celui que Borges 1957 d veloppe dans la nouvelle Funes ou la m moire Funes est un personnage qu un accident a dot d une m moire absolue de total recall Il dit de lui m me J ai moi seul plus de souvenirs que n en peuvent avoir eu tous les hommes depuis que le monde est monde On rejoint le paradoxe que d veloppe Eco 1988 dans la nouvelle De l impossibilit d tablir une carte de l empire l chelle de 1 1 Cette carte la plus fid le vu son chelle ne peut manquer de trahir le territoire dont elle est cens e rendre compte Lorsqu on la d plie en effet qu on la suspende ou qu on l tale qu elle soit transparente ou opaque sa pr sence m me modifie le territoire puisqu elle g ne le soleil la pluie le vent et les tres vivants Il en va de m me pour Funes Deux ou trois fois
46. sation et d veloppement cognitif PUF Hourcade J Lalo F et Spitz E 2010 Long vit de l information num rique EDP Sciences Huc C 2011 Pr server son patrimoine num rique classer et archiver ses e mails photos vid os et documents administratifs guide l usage des particuliers et des entrepreneurs individuels Eyrolles Latour B 2010 Cogitamus six lettres sur les humanit s scientifiques La D couverte Menger P 2002 Portrait de l artiste en travailleur M tamorphoses du capitalisme Seuil amp La r publique des id es Olivier L 2008 Le sombre ab me du temps m moire et arch ologie Seuil Perec G 1975 W ou le souvenir d enfance Deno l Perec G 1978 Je me souviens Hachette Ricoeur P 1985 Temps et R cit 3 Seuil Ricoeur P 2000 La m moire l histoire l oubli Seuil Robin R 2003 La m moire satur e Stock Schlanger J 2010 Permanence des uvres perdues Hermann
47. scendants l int gralit de ce nous aurons fait M me si nous le pouvions ce serait une vision behavioriste de l existence qui ferait l conomie des sens vari s que nous trouvons diff rents moments ce que nous vivons et avons v cu La rem moration peut s accommoder elle aussi de la d n gation de la d perdition C est le cas lorsqu elle cl t le sens lorsqu elle aboutit un sens unique et intangible pour ce sur quoi elle porte R Robin 2003 et J Schlanger 2010 d fendent une rem moration 37 Pour s inspirer de la 346 entr e de Perec 1978 Je me souviens de La pile Wonder ne s use que si l on s en sert Les lecteurs tomb s dans le foss d intelligibilit en sortiront gr ce Brasseur 2003 38 Pourquoi Proust ne nous a t il pas laiss une simple photo de la fameuse petite madeleine et de la tisane attenante plut t que les interminables pages de La recherche 39 Comme Lascaut victime de sa d couverte le film de Fellini Roma 1972 montre l in vitable destruction du pass lorsqu on y acc de Les cin astes tournent dans les sous sols de Rome o il est question de construire un m tro Ils d couvrent d anciennes grottes orn es de fresques antiques dont les dessins s estompent au contact de Pair 40 Le sp cialiste de l autobiographie P Lejeune pointe des ph nom nes de ce genre chez Stendhal ou Ch teaubriand Lorsqu ils essaient d envisager que leur vie a
48. t L alt ration du num rique rel ve plut t du catastrophique il peut suffire d une interversion 0 1 pour qu un fichier entier devienne inutilisable Le num rique peut galement devenir inaccessible faute de dispositif technique d acc s aux donn es La d faillance peut se produire tous les niveaux d un encha nement complexe dont chaque tape est indispensable Le mat riel tout d abord nous ne disposons plus forc ment du lecteur disquettes 5 pouces 1 4 3 pouces 2 par exemple Logiciels ensuite du syst me d exploitation l application sp cifique Soulignons que l obsolescence est particuli rement rapide pour le num rique Par ailleurs une suite de 0 et de 1 ne porte pas son mode d emploi c est dire n indique pas le dispositif technique qui est n cessaire pour donner acc s au contenu C est ce quoi nous sommes confront s quand le syst me d exploitation nous indique qu il ne dispose pas de suffisamment de renseignements pour savoir comment rendre le fichier sur lequel nous avons cliqu par exemple parce que l extension ne figure pas dans les associations m moris es extension application comme entre pdf et Acrobat Reader ou Aper u Au del de cet acc s machinal au contenu un fichier fournit rarement le contexte d interpr tation n cessaire Les m tadonn es sont g n ralement r duites peu de choses si bien que c est le circuit de provenance qu
49. t rit seuls les grands hommes comme Aristote Alexandre le Grand Shakespeare Mozart Edison ou Einstein voient leurs id es et leurs uvres leur survivre Et pourtant la p rennit de vos id es de vos uvres et de votre personnalit deviendra bient t chose commune gr ce l enregistrement num rique int gral Apr s votre mort le corpus d informations ainsi constitu permettra m me la cr ation d un vous virtuel Vos souvenirs num riques et les traits de votre personnalit sous forme fossilis e formeront comme un avatar avec lequel les g n rations futures pourront converser On pourra par exemple demander son arri re grand p re ce qu il appr ciait le plus chez son pouse Le moi num rique fonctionnera comme une extension de soi m me dans le futur G Bell a entam son projet en 1998 En 2009 au moment de l criture de Total Recall il faisait tat d un volume de 260 Go sur son ordinateur de 100 Go sur le cloud volume s accroissant d 1 Go tous les mois sans compter cependant les enregistrements audio et vid o G Bell est conscient de la course d Achille et de la tortue qui se joue entre l augmentation des capacit s d enregistrement et de stockage et celle des capacit s d acc s et de traitement Pour ma triser le Niagara grandissant de traces produites il parie sur plusieurs voies e L acc s al atoire tout comme nous pouvons utiliser un r pertoire de photos pour le
50. t une forme de migration 23 C est la situation laquelle aboutit la pr servation de certains lieux de la seconde guerre mondiale Les cas les plus connus sont Oradour sur Glane et Auschwitz La volont de les laisser strictement en l tat en fait par endroits des ruines dont la valeur de t moignage d archive est atteinte 24 L quivalent dans le domaine arch ologique est la reconstitution C est le cas par exemple de Lascault II qui restitue la grotte originelle dans des mat riaux moins sensibles de mani re pr server l original 25 Comme lorsqu on vous avertit lors du passage d une version une autre d un tableur qu une partie des macros utilis es pr c demment dans vos feuilles de calcul sont d sormais obsol tes 34 BENO T HABERT 3 4 Le mod le de r f rence OAIS pour la p rennisation du num rique Le domaine spatial a t l un des premiers utiliser les technologies num riques de fa on massive d s la fin des ann es 1960 La question de la p rennisation de ce patrimoine d observations scientifiques s est pos e avec acuit d s le d but des ann es 1990 Les ing nieurs du CCSDS ont t sollicit s en 1995 pour laborer une norme en mati re d archivage long terme des observations spatiales Ils ont alors eu l intelligence de r pondre de mani re prospective sur deux points essentiels e La question de l archivage long terme d informations sous forme num rique
51. tes de celles de Brauman et Sivan qui bien que m diocres et fragmentaires taient devenues l illustration de r f rence du proc s et elles refusaient le droit d utiliser l ensemble Puisque le fond avait t confi aux archives Spielberg par l Etat isra lien Brauman et Sivan ont d recourir la Cour supr me isra lienne pour obtenir l acc s l int gralit des enregistrements 17 En particulier parce que nous avons des identit s num riques multiples participant avec tels droits de tel internet et membre de LinkedIn et 18 Les paroles de L internationale comprennent d ailleurs ces mots Du pass faisons table rase 19 Selon les estimations du cabinet IDC 420 milliards de photos ont t prises dans le monde en 2007 soit pr s de 50 millions par heure Hoog 2009 32 BENO T HABERT Haroche 2001 La m moire individuelle ou collective devient tentative d ajustement ces flux incessants par la production et si possible l utilisation de traces 3 Archivage num rique p renne choisir situer et restituer B Bachimont 2010 le rappelle deux visions de la m moire s opposent selon qu on met l accent sur les traces objectives avoir des souvenirs ou sur le processus l uvre se souvenir Il souligne l avantage sans pr c dent donn la premi re vision sur fond de compulsion m morielle par l re num rique vu la diminution des co ts de constitution
52. u vrai entendu comme r el imm diat Total Recall mais galement comme incontestable parole d expert Cette r flexivit c est la capacit raconter des histoires y compris savantes sans se raconter d histoires 36 Pour aboutir ventuellement la juxtaposition d histoires incompatibles la diff rence du manuel d histoire franco allemand publi en France par les ditions Nathan comme l Histoire de l autre Liana Levi 2008 crite par six professeurs d histoire palestiniens et six professeurs d histoire isra liens 40 BENO T HABERT 4 4 La m moire num rique ne s use que si l on ne s en sert pas On a identifi deux p les dans les usages des techniques num riques de la m moire la r p tition et la rem moration Ce sont les deux p les d un continuum deux mani res de se confronter la question de la chair du temps Cannone 2012 et celle de la perte Robin 2003 Olivier 2008 Schlanger 2010 Potentiellement le num rique enl ve sa chair au temps en le r duisant ce qui se voit et ce qui s entend et en y ramenant ce qui chappe l il et l oreille Le p le de la r p tition exploite ce potentiel G Bell 2011 prend ainsi des photos num riques d objets pour se pr munir via ces avatars de leur disparition Si un tremblement de terre ou un incendie vient d truire d finitivement tous ces tr sors il me restera toujours leur souv
53. ue permet le num rique ce n est pas simplement d accumuler des traces ou m me de les remanier C est surtout de garder la trace de ce que nous faisons de ces traces individuelles ou collectives comme dans Un sp cialiste C est donc permettre de revenir sur nos pas pour critiquer le chemin pris ou en prendre un autre Dans la m me optique le num rique permet de relier au sens fort les publications scientifiques aux donn es sur lesquelles elles se basent donn es exp rimentales donn es d enqu te corpus etc Des dispositifs du type de CrossRef http www crossref org permettent de passer d un article ceux qu il cite Il devient possible de v rifier ce qu il fait des donn es de d part qu il emploie et des articles qu il convoque La d mocratie technique ou la d mocratie scientifique que vise B Latour 2010 s inscrit galement dans cette logique le suivi actuellement possible sur la Toile de bon nombre de d bats et controverses donne de nouveaux moyens pour v rifier opinions et r sultats Plus largement le Web de donn es ADBS 2011 c est dire le lien automatique entre des connaissances l mentaires disponibles sur le Web permet des croisements et des recoupements qui permettent de progresser vers une valuation des id es et informations disponibles On le voit le num rique offre des potentiels sp cifiques pour une m moire critique qui substitue le v rifiable accru a
54. ux heures d un fond de trois cent cinquante heures Elles prennent tout leur sens comme l ments d une construction dramaturgique dont l enjeu est de rendre le film intelligible d en faire un objet de pens e 33 Selon Pontalis cit par Aug 1998 34 Conan Doyle joue sur un m canisme de ce genre dans le chapitre The Trapping of Birdy Edwards de The Valley of Fear Dans une vall e domin e par un gang un jeune gangster arriv depuis peu mais qui s est impos par son audace pr vient la bande qu un d tective Birdy Edwards va venir les arr ter Ils pr parent un pi ge Et attendent en vain Le jeune gangster leur dit que c est lui Birdy Edwards qu il a infiltr la bande et qu ils sont cern s Le titre du chapitre signifie donc en premi re lecture Le pi ge pour Birdy Edwards et r trospectivement le chapitre lu Le pi ge tendu par Birdy Edwards Une traduction gardant l quivoque pourrait tre Birdy Edwards le pi ge 35 C est la d marche tr s loign e de celle de Total Recall que poursuit A Folman dans Valse avec Bachir Folman 2008 Folman et Polonsky 2009 Ce film autobiographique revient sur les massacres de Sabra et Chatila en 1982 dont l auteur a t t moin Il associe bande dessin e r cits de r ves et extraits de documents pour re composer la m moire de ces v nements L ARCHIVAGE P RENNE ENTRE US ET ABUS DE LA M MOIRE NUM RIQUE 39 4 3 Qu est ce qu une histoi
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