Achille Mbembe Marches militaires et economie de
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1. J ai pris la musique mais j aurais pu prendre le football le roman la peinture les arts et l esth tique en g n ral Dans tous ces domaines tu montres bien que les transformations auxquelles on a assist depuis vingt cinq ans peu pr s indiquent clairement que tant de choses peuvent tre chang es m me si la plupart nous sont pr sent es comme inaccessibles Je prends ces aspects de la cr ativit africaine pour deux raisons D une part il me semble qu il faut absolument r engager le d bat esth tique en Afrique La discussion sur ce que j appellerais le syst me des formes est au point mort depuis la disparition de Senghor et ce malgr les efforts de gens comme Simon Njami Godefroy Bidima Okwui Enwezor Salah Hassan ou plus r cemment Sarah Nuttall Le renouvellement des formes me para t tre une dimension essentielle de l esth tique africaine contemporaine notamment dans le domaine litt raire Je lisais r cemment Verre cass le dernier roman d Alain Mabanckou Il est crit d une seule phrase ce qui ne l emp che pas de toucher de mani re oblique une infinit de th mes J ai encore l esprit Temps de chien d Alain Patrice Nganang dont le personnage principal est pr cis ment un chien J ai l impression que tous ces nouveaux auteurs bousculent la syntaxe de l imaginaire francophone Ils le font sans c der aux sir nes de l exotisme primaire Ils le font avec le m me sens de l urgence et la m me dos2. L picentre de la nouvelle chanson africaine des vari t s est probablement Koffi Olomid le Grand Mopao Je conseille souvent mes amis de s offrir un de ses vid oclips pour les jours o ils se r veillent de mauvaise humeur c est p tillant et a d coiffe Les maquillages des danseuses sont d lib r ment grossiers les costumes bigarr s sont d licieusement agressifs pour surligner leurs rondeurs les coiffures font sauter les tabous comme pour faire un clin d il aux voyeurs qui regardent La chor graphie est inventive et pleine d humour Elle mime s lectivement nos vies d sarticul es Et il y a la gestuelle ample et l gante de Koffi lui m me sa voix chaude grave majestueuse qui vous inocule la joie de vivre d s les premi res syllabes Ce n est pas un grand chanteur au sens technique du terme puisqu il n volue pas sur plusieurs octaves Mais par ses seules intonations il vous assure que vous n avez rien craindre et que tout ira bien En fait c est une nouvelle forme d expressionnisme qui aide survivre la brutalit de notre quotidien et nous emp che d aller gaspiller de l argent chez des psychologues Par ailleurs beaucoup d artistes n ont plus honte d ancrer leur travail dans l univers musical dit traditionnel les Toumani Diabat et autres Thomas Mapfumo sont d sormais tr s nombreux A partir de leur terrain familier ils engagent sans complexe le dialogue avec les autres cultures Hugh Masekela
3. cartent d lib r ment de l ordre esth tique en vigueur parce que leur production n est pas dict e par des gesticulations politiques A ce moment l on entre dans le domaine de la contre culture dans la contre soci t On s aper oit alors que les arts africains ont une infinit de significations non seulement parce qu ils mergent de diff rentes strates de la soci t mais aussi parce qu ils expriment la singularit irr ductible de chaque artiste Pour ma part je m int resse surtout aux cr ateurs dont le travail s nonce en d calage par rapport aux normes officielles ceux qui pratiquent un devoir d irr v rence l gard des pouvoirs et m me de l ordre social et des canons esth tiques en vigueur Et une certaine musique africaine ferait donc partie de ces arts maudits qui quelque part t moignent sinon d un certain esprit de l impertinence et du sacril ge du moins d un engagement en faveur de la vie Tout fait En Afrique la musique a toujours servi le sacr et ambitionn de r guler et de rythmer l ordre social on chante l occasion de la naissance d un enfant de la c l bration d un mariage ou la m moire des morts On chante aussi l occasion des semailles et des moissons ou pour exprimer notre all geance Dieu Depuis la p riode coloniale les instances de pouvoir ont tent de contr ler l usage de la musique Mais les artistes ont toujours trouv le moyen d esquiver cet embrig
4. Norbert N Ouendji dans Le Messager du 4 mai 2006 Tout se passe comme si l Afrique enfonc e dans le pr sent et trangl e par les imp ratifs de la survie n avait plus gu re le temps de penser Pis on dirait que ses intellectuels artistes chercheurs universitaires romanciers hommes et femmes de culture n ont rien se dire encore moins dire au monde Du reste comment nier le fait que les intellectuels africains prouvent d normes difficult s dialoguer entre eux Tr s souvent la libert intellectuelle faisant d faut et les structures et institutions destin es accueillir la pens e n existant presque pas ils ont plus de chances de s exprimer l tranger que dans leurs propres pays Pourtant la n cessit d une pens e neuve et critique sur les transformations en cours sur le continent n a jamais t aussi imp rieuse qu en ces temps de crise et de blocage Celle ci heureusement est d j en cours fragile il est vrai mais pleine de promesses galement Souvent elle surgit de lieux souterrains et est le fait d acteurs sociaux inattendus Force est cependant de reconna tre qu elle est encore le fait d individualit s trop isol es pour faire masse Cette pens e en gestation est elle m me bien des gards encore trop clat e et trop parse pour faire mouvement Le Messager se propose de combler ce d ficit travers L Entretien du mois un suppl ment mensuel in dit qui renforce
5. es par la confr rie des Sanusi Les caravanes couvrent d normes distances et contribuent aux diff rents cycles commerciaux cycle des graines et des dattes cycle du b tail cycle de l ivoire et des esclaves et aujourd hui cycle du p trole et ainsi de suite Si la plupart des tablissements commerciaux de Tripoli puis de Benghazi sont aux mains de commer ants juifs italiens et de maltais les interm diaires eux sont des Arabes Mejabra et Zuwa a Le drame de la colonisation ici ne consista pas en le d coupage arbitraire d entit s autrefois r unies la balkanisation comme n a cess de le r p ter la vulgate afro nationaliste Il fut au contraire de vouloir tailler une pseudo nation partir de ce qui fondamentalement tait avant tout un espace multinational constitu non de peuples gt ou de nations en tant que telles mais de r seaux Il fut de vouloir fixer des fronti res rigides ce qui tait structurellement un espace de circulation et de marchandage flexible g om trie variable Cette invention coloniale d nomm e le Tchad produit typique de l id ologie dix neuvi miste du national tatisme fran ais paie aujourd hui encore le prix de cette m prise Historiquement les v ritables ressorts du pouvoir dans cette r gion se sont toujours structur s la faveur d un double cycle celui du commerce et celui de la pr dation Commerce et pr dation ont toujours t sous ten
6. l mancipation africaine et Milla l autre Milla le repr sentant d un r gime corrompu le public tant appel bien distinguer l un de l autre Soit Ceci dit la question de fond est tout de m me la suivante Devons nous vraiment consid rer tous les faits sportifs et toutes les formes artistiques africaines contemporaines comme participant de facto du principe de l indiscipline de la subversion et de la dissidence Non Tu as raison de me faire remarquer qu il faut viter de romancer et d id aliser le travail des artistes africains Il est toujours risqu de chercher des fondements thiques dans des signaux acoustiques des formes ou des images Mais je ne confonds pas l thique de la dissidence qui sous tend une certaine production artistique africaine avec l esth tique de la vulgarit que revendiquent certains autres artistes Car ce que les cha nes de t l vision pr sentent comme tant l art africain se r duit des masques g n ralement assez hideux dont on ne conna t pas les auteurs et des danses folkloriques que l on organise pour c l brer les voyages des potentats locaux ou l arriv e d un dignitaire ex colonial Pour prendre la vraie mesure des arts africains il faudrait aller au del de ces arts officiels qui servent surtout aux mises en sc nes administratives et observer ce que le philosophe Jean Godefroy Bidima appelle les arts marginaux les arts maudits ceux qui s
7. transformisme la critique sociale doit s manciper de la douleur qui d stabilise beaucoup de nos intellectuels et artistes et r duit leur travail une complainte interminable ou la nostalgie de moments que nous n avons pas connus Compte tenu de tout ce que nous venons d examiner quelles formes devrait prendre dans les circonstances pr sentes ce que l on pourrait appeler la critique radicale La grosse question l intelligentsia africaine est celle ci comment penser l Afrique apr s le Rwanda et la Sierra Leone Comment survivre la pulsion g nocidaire et la tentation mutiler des enfants qui habitent beaucoup de monde chez nous Comment penser dans des pays affam s C est vrai qu un aspect important du probl me est au del de la sph re politique La v rit politique si tant est qu elle existe est probablement circonstancielle et donc ph m re Le po te Novalis disait que chaque Anglais est une le Je dirais que chaque Africain est une for t Nous sommes tous capables de cr ativit et de sto cisme mais souvent pi g s par une telle dose de parano a que nous sommes aussi dou s pour l autodestruction Cet inconfort psychologique explique le taux tr s lev d ins curit et de jalousie de certains Africains aussi bien que le nivellement par le bas qui fait que beaucoup d entre nous pr f rent souffrir plut t que de s accommoder de l id e que quelqu un d autre r ussit C est
8. Chacun de nous est en fin de compte ce qu il croit tre ou ce que les autres l ont convaincu d tre Quant au risque de voir la pens e se r duire un simple jeu d instrumentalit s je le redoute moins que toi L effervescence intellectuelle m me centr e sur des choses purement pratiques laissera toujours une place suffisante une autre pens e plus ambitieuse focalis e sur les grands desseins philosophiques de nos soci t s Ne pourrait on pas dire que l un des checs du dernier quart de si cle est d avoir privil gi une certaine critique politique de notre pr sent exclusivement centr e sur le pouvoir politique je dirais m me exclusivement centr e sur la personne de l autocrate et ses frasques et oublieuse non seulement de la complexit du pouvoir en g n ral mais aussi des autres domaines de la vie Cette th se est soutenue par ceux qui estiment qu il faut n gliger contourner ou m me oublier les pouvoirs autoritaires africains et se concentrer sur la soci t africaine elle m me Je crois comme Guy Adj t Kouassigan que le vrai changement est celui de l homme lui m me et qu il ne saurait se limiter des discours sur le fonctionnement du politique En m me temps dans nos pays o l ombre de l Etat crase tout o le secteur priv est embryonnaire ou alors otage de quelques arr t s minist riels et des humeurs des inspecteurs d imp t et o la soci t civile est touff e nous ne pouvo
9. a r alis des alliages audacieux entre les musiques d Afrique australe et le jazz Pierre Akendengue proc de un d licieux cocktail des m lodies de la for t gabonaise et des harmonies de Jean Sebastien Bach Ray Lema compositeur congolais dont l inspiration effervescente vient tout droit de la for t peut travailler aussi bien avec un orchestre philharmonique bulgare qu avec des musiciens de rock anglais ou avec des rappeurs fran ais Au niveau des textes galement les changements sont normes La sentimentalit larmoyante qui s duisait mes parents dans les chansons de Tabu Ley Rochereau ou de Prince Nico Mbarga a c d la place l alg bre po tique d un Lokua Kanza ou la d construction du langage d un Lapiro de Mbanga Ensuite sur le plan de la th orie musicale je veux parler de la structure et de l esth tique des musiques africaines des formes sonores en quelque sorte la diversit des d marches est tout aussi vidente il suffit pour cela de comparer les partitions d une chanson de Lady Smith Black Mambazo avec celles d une cr ation d Ali Farka Toure et vous aurez le vertige Regardez la subtilit avec laquelle le contrepoint la cohabitation de plusieurs lignes m lodiques est utilis dans les op ras yoruba d Akin Euba ou dans les compositions piques zoulous de Mzilikazi Nkumalo Comme quoi Fela Anikulapo Kuti peut dormir tranquille la contestation musicale a pris des formes tr s labor es
10. aussi la raison pour laquelle les Africains excellent sur le plan individuel mais ont beaucoup de peine travailler collectivement De ce point de vue le succ s des quipes de football comme Les Lions indomptables ou Les l phants peut avoir des vertus sociales p dagogiques Nous devons dompter nos peurs pour arracher notre place dans ce que Senghor appelait le rendez vous du donner et du recevoir Beaucoup d Africains le font d ailleurs avec succ s Je pense par exemple Cheikh Modibo Diarra qui quitte son Mali natal pour aller accumuler un grand savoir scientifique la Nasa et revient le faire partager avec des milliers d enfants d Afrique Je pense au musicien Vincent Nguini qui s est impos comme le chef d orchestre de Paul Simon dont il a transform enrichi et ressuscit le travail Je pense Were Were Liking dont l uvre inspir e des mythes africains est en train de bouleverser l criture th trale francophone Pour moi ces gens l ont en commun leur volont de s attaquer de front aux quatre d ficits que j ai mentionn s tout l heure et d exalter l ventail de nos possibilit s dans un monde ouvert et globalis Leur travail va bien au del de ce que tu appelles le transformisme Admettons que ceci soit le cas Il reste tout de m me comme tu le signales d ailleurs toi m me que nous prouvons d normes difficult s faire d placer et transformer les cadres de pens e
11. de communication populaires comme le cin ma ou le th tre Sinon elle continuera d appara tre comme la triste rengaine d intellectuels aigris et donc comme une forme d agitation exotique et destin e l autoc l bration Nombreux sont ceux qui r cemment n ont cess de me dire Eh bien la critique telle qu elle est faite par les intellectuels ne m ne rien elle ne d bouche sur rien Derri re ce scepticisme se trouve l id e selon laquelle cette critique est de l ordre de l id el alors que ce dont on a besoin ici et maintenant c est d action directe Serions nous donc en train de faire l exp rience d une culture dominante o la seule r alit concevable est celle qui r sulte de l action directe et imm diatement utile Comment expliquer ce d placement culturel et ce scepticisme l gard de la pens e et ce d senchantement l gard de la figure de l intellectuel Et puis jusqu quel point peut on continuer d opposer critique intellectuelle d un c t et de l autre ce que l on met sous le terme transformation pratique et presque sans m diation aucune Cette tension et ce questionnement existent dans toutes les soci t s Le probl me se pose avec plus d acuit chez nous d abord parce que la production intellectuelle tarde se lib rer de l h ritage intellectuel encombrant de la d colonisation Rechignant faire l inventaire du nationalisme beau
12. de divorce restent relativement faibles en Afrique parce qu ils sont mal recens s et aussi cause des pressions conomiques socioculturelles et religieuses qui forcent certains couples rester ensemble m me lorsqu il n y a plus ni amour ni respect mutuel Faisons un pas en arri re En voquant les questions que l on ne parvient pas encore formuler et qui doivent pourtant tre pos es ce que je vise aussi c est le statut de la critique dans l Afrique contemporaine Par critique j entends simplement la somme de travail pour penser autrement mais penser autrement dans le but de faire autre chose de devenir comme tu le sugg res d ailleurs autre que ce que nous sommes dans le pr sent D apr s toi o sont dans l Afrique d aujourd hui les lieux o s op re cette sorte de critique Quelles formes prend elle et quel est son impact potentiel Une telle critique ne s attaque pas simplement au politique Elle va plus loin car elle s attaque au probl me de fond qui est celui des limites que nous imposons nos r ves et notre imaginaire Elle prend diverses formes mais c est dans les actes les plus banals de la vie quotidienne et dans les arts et le sport que la subversion est la plus corrosive et la plus insidieuse Elle fait sauter le couvercle la chape de plomb que plusieurs si cles de d ficit d amour propre ont impos aux Africains Elle y parvient en nous faisant entrevoir d autres possibilit s C
13. du pouvoir et que l on pourrait exposer dans un zoo comme beaucoup de nos ministres Plus g n ralement je ne pense pas qu il faille juger quelqu un sur l id ologie suppos e de son employeur Si l on empruntait ce chemin escarp certains esprits malfaisants te reprocheraient par exemple de travailler pour une universit sud africaine qui d fendait l apartheid et le racisme il y a seulement quelques ann es Toi et moi serions d ailleurs dans des situations comparables puisqu il faudrait alors que je m explique sur l id ologie suppos e de chacun de mes 11 000 coll gues de la Banque mondiale Ce qui serait videmment bien au del de mes talents Je dirais que les r gimes politiques et les bureaucraties ne fonctionnent pas comme la Rose Croix ou la franc ma onnerie Ce qui compte c est de garder sa libert de jugement et sa distance critique et de ne pas tre prisonnier ou chantre d un syst me Roger Milla n a rien prouver En ces temps de globalisation et de marketing il est m me une source potentielle de devises et un des meilleurs produits d exportation dont notre pays dispose L on devrait utiliser son image pour vendre le caf le cacao le coton le bois les v tements ou m me les logiciels que l on produit dans notre pays Le Cameroun gagnerait pas mal d argent en mettant simplement sa photo sur tout ce que nous vendons l tranger Triomphe de la logique marchande donc qui fait qu il y a Milla le symbole de
14. re laisser les individus se d finir comme a leur convient L crivain nig rian Chinua Achebe se dit authentiquement africain ce qui sonne comme du nativisme alors que le Sud africain J M Coetzee se sent mieux dans sa peau en Australie Qu ils soient heureux tous les deux Quant au sanglot de l homme blanc s il est sinc re il sera toujours une premi re tape de reconnaissance symbolique loin d tre suffisante je te le conc de pour une v ritable remise en orbite de nos soci t s Car n oublions tout de m me pas qu en cette ann e 2006 presque cinquante ans apr s les ind pendances la statue du G n ral Leclerc tr ne la place de l ind pendance Douala Nos plus grands boulevards s appellent De Gaulle ou Giscard d Estaing alors qu aucune rue du pays ne porte le nom de Ruben Um Nyob ou de Patrice Lumumba Les programmes scolaires et universitaires sont de m diocres versions r chauff es de ce qui existait pendant la p riode coloniale La politique mon taire dans beaucoup de nos pays est con ue et labor e ailleurs Les taux d int r t que les entreprises s n galaises b ninoises ou tchadiennes doivent supporter sont pratiquement fix s Francfort par de petits employ s de la Banque centrale europ enne qui ne savent m me pas o se trouvent Dakar Cotonou et Ndjamena Peut tre serait il temps de vraiment faire sangloter quelques personnes blanches ou noires Sinon pour chapper ce
15. sur notre devenir et inventer de nouveaux instruments d analyse correspondant nos exp riences de vie et nos itin raires Nous nous appuyons donc effectivement sur les paules de glorieux anciens Dans mon domaine la science conomique j ai une dette intellectuelle imprescriptible l gard des marxistes comme Samir Amin des panafricanistes comme Joseph Tchundjang Pou mi ou des nationalistes comme Georges Ngango m me si je me distance assez nettement de certaines de leurs th ses Je suppose d ailleurs que tu peux en dire autant dans ton domaine Dans la conversation avec notre pr sent et notre futur nous nous gardons donc bien de sous estimer la contribution de ceux qui nous ont ouvert la porte A ce sujet je me souviens d une conversation avec le violoniste du groupe antillais Malavoi Je lui disais la fraicheur que m apporte leur musique en comparaison avec l ennui mortel qui m habite lorsque j coute des artistes antillais plus anciens comme David Martial o la Compagnie Cr ole Il m a r pondu que c tait une erreur de voir les choses de fa on aussi tranch e Il m a expliqu que son goupe Malavoi n avait pu exister que parce que des pionniers comme la Compagnie Cr ole ou Kassav leur avaient ouvert le chemin Comme quoi les courants intellectuels naissent d un processus de s dimentation d id es De m me les inventions culturelles proc dent souvent d un aggiornamento silencieux C est pour cela que nos identit s s
16. March s militaires et conomie de la pr dation des pays du Lac Tchad et du Soudan occidental au Golfe de Guin e Par Achille Mbembe publi le 26 04 2006 La crise politique et militaire en cours au Tchad n aura surpris que ceux qui ne veulent ni voir ni entendre Des signes annonciateurs n ont cess de s accumuler depuis au moins cinq ans L exploitation des champs p trolif res dans le sud du pays aidant la clameur n a cess de monter et avec elle de gros risques d une nouvelle guerre africaine de basse intensit facteur d incalculables destructions pour des gens qui d j n ont presque rien et par dessus tout fort co teuse en vies humaines Ni la ni me et vaine intervention militaire fran aise ni la mascarade lectorale en cours de pr paration Ndjamena ne r gleront ce qui de toute vidence constitue une crise structurelle Les soubresauts actuels s inscrivent en effet dans une structure historique de tr s longue dur e Pour comprendre une partie des luttes politiques en cours et pour bien en mesurer les enjeux il faut en effet revisiter cette matrice historique la veille de la partition coloniale l espace connu aujourd hui sous le nom de Tchad fait en effet partie d un vaste ensemble multinational plus ou moins coh rent au sein duquel aussi bien la g ographie du pouvoir que celle du commerce est relativement fragment e Cet ensemble multinational se caract rise non par des fronti res stables e
17. adement C est la raison pour laquelle chez nous la musique ne s est jamais content e d mouvoir Elle a toujours voulu parler m me lorsqu elle semblait silencieuse ou instrumentale Elle peut tre douce et l nifiante comme celle de Cesaria Evora ou charg e d une violence tellurique comme celle de Mbilia Bel Angelique Kidjo Bailly Spinto ou Gino Sitson Dans tous les cas elle nous offre l infrastructure motionnelle dont nous avons tous besoin pour r sister aux traumatismes de la vie Laissons de c t du moins pour l instant les arts et la vie quotidienne Examinons plus pr cis ment la critique men e par les intellectuels en faisant momentan ment abstraction du fait sociologique qu en Afrique la notion d intellectuel joue avant tout des fonctions pol miques Vrai Tu poses l le probl me de la d finition du statut et de la fonction de l intellectuel dans une soci t affam e comme la n tre Comment le d finit on et quoi le reconna t on Les artistes illettr s qui font du reggae ou du couper d caler dans les faubourgs d Abidjan dans l espoir de changer la soci t ivoirienne sont ils des intellectuels Les dipl m s au ch mage dont le nombre augmente chaque jour dans les rues des grandes villes africaines sont ils des intellectuels Les grands professeurs les docteurs Machin que les partis uniques d hier payaient pour mettre leur comp tence au service de la r pression et qui aujourd hui enco
18. ains voulons nous produire pour devenir enfin les sujets de notre propre histoire et non simplement l objet de nos fantasmes et de ceux des autres Quel dessein avons nous pour nos soci t s Quel doit tre le mode d emploi de notre vie La famille et le syst me ducatif constituent pour moi les deux principales questions critiques sur lesquelles nous devons r fl chir Les relations au sein de beaucoup de familles n aident pas pr parer les enfants se valoriser assumer les d fis de la citoyennet ou saisir les opportunit s que la vie leur offrira Prisonniers de leurs propres parcours pi g s par des histoires de villages de jalousies familiales de querelles d h ritage de rivalit s futiles dues l ignorance et la cr dulit certains parents ne savent pas offrir leurs enfants les choses les plus importantes pour leur d veloppement savoir un amour inconditionnel et la confiance en eux m mes Nous connaissons tous des gens qui attribuent toutes les difficult s de leur vie la sorcellerie d un oncle malfaisant ou au mauvais sort que le voisin leur aurait jet Ce n est videmment pas avec cet tat d esprit que nous sortirons de notre mentalit de victimes pour revendiquer notre place dans un monde comp titif et globalis Quant au syst me ducatif il n a pratiquement pas chang depuis l poque coloniale Sa principale fonction est toujours de fabriquer des fonctionnaires semi ill tr s auxquels o
19. ande ampleur sur l conomie politique des mati res premi res africaines est venu Pour chapper au cycle de la pr dation dont on sait qu il se nourrit du d sordre politique de l irresponsabilit du profit et du syst me des capitulations et des immunit s garanties aux compagnies multinationales le temps est peut tre venu de mettre en place des m canismes internationaux de r gulation de l exploitation des mati res premi res africaines Comme l poque de la traite de l ivoire et sous la colonisation une relation globalement n gative existe d sormais entre l exploitation des mati res premi res et le d veloppement humain en Afrique Pis l extraction des mati res premi res africaines est d sormais l origine d une conomie de la mort qui repose sur une alliance entre des gouvernements autochtones profond ment corrompus et des compagnies multinationales qui dans le contexte du n o lib ralisme ambiant fonctionnent la mani re de capitulations dot es de toutes sortes d immunit s Si l on ne brise pas le lien entre corruption extraction et militarisation l exploitation des richesses africaines sera de plus en plus un r el facteur de g nocide Le Messager 2006 Comment penser l Afrique De la famille africaine des artistes des intellectuels de la critique et des volutions de la cr ation entretien d Achille Mbembe avec C lestin Monga publi le 04 05 2006 Le temps de la pens e ditorial publi
20. ar pour un Africain l ambition d excellence est une attitude hautement subversive Des exemples Certains vont sauter au plafond en m entendant dire que Roger Milla a apport sa contribution dans le d clenchement du processus de d mocratisation au Cameroun Qui ne se souvient de sa performance la coupe du monde de football de 1990 C tait un d fi l ordre tabli un acte audacieux de proclamation que les temps avaient chang C tait sa mani re lui d interpeller les Africains en leur disant qu ils devaient croire en eux m mes et ne plus avoir peur de r ver Prenons un autre domaine la musique Au d but des ann es 1970 Manu Dibango compose Soul makossa et arrache un disque d or aux Etats Unis C tait sa mani re de mettre les pieds dans le plat de s aventurer sur un terrain o nous n avions pas le droit d voluer de crier la face du monde que nous refusions d sormais d tre des citoyens de deuxi me classe L on pourrait en dire autant du travail d un couturier comme Alphadi qui est d abord un mode de reconqu te de notre amour propre un acte d indocilit pour reprendre un th me que tu as bien tudi Ce n est d ailleurs pas le fait du hasard que Nelson Mandela se fait habiller par Alphadi ou par le couturier burkinab Path O De m me Laurent Gbagbo rechigne ostensiblement porter des v tements de Pierre Cardin ou de Francesco Smalto C est probablement sa mani re lui de mener la derni re ba
21. cieuse avec les quelques lites bruyantes et artificielles qui roulent en grosses cylindr es dans les rues trou es de Douala ou de Kinshasa en coutant des sonates de Mozart simplement pour se cultiver une image Je voudrais pour terminer que l on explore une s rie de questions ayant trait non pas aux sonates de Mozart mais aux mondes africains des sonorit s Qu est ce qui ton avis se passe dans la musique africaine depuis disons vingt cinq ans Deux choses D abord sur le plan de la musicologie par quoi j entends le contexte dans lequel s noncent les musiques d Afrique les savoirs auxquels elles renvoient leurs discours leurs significations l closion des genres depuis le d but des ann es 1980 est poustouflante Il y a trente ans Francis Bebey opposait les musiques traditionnelles classiques africaines ce qu il appelait la musique africaine de vari t s Cette lecture un peu sch matique suffisait pour offrir un bon panorama des musiques d Afrique Aujourd hui elle ne suffirait pas restituer la profusion et l explosion de cr ativit sonore qui secoue le continent Il est d sormais presque impossible d esquisser une typologie coh rente des genres musicaux africains Les clivages et les parcours ne sont d ailleurs pas une affaire de g n rations il est difficile de r concilier ce que font des artistes comme Coumba Gawlo Rokia Traor Zap Mama ou K Tino qui sont pourtant peu pr s du m me ge
22. coup de nos chercheurs restent prisonniers d une dichotomie st rile soit ils concentrent leurs efforts hurler leur d pit ceux qui nous ont longtemps opprim s soit ils ambitionnent de s duire et impressionner leurs anciens professeurs R sultat notre r flexion se d tache rarement des contingences de la col re historique et du besoin de s duction Quant ceux qui veulent faire de l action directe de la transformation pratique comme tu le dis ils c dent parfois la superficialit et au mim tisme En refusant le pr alable d une pens e endog ne qui exprimerait les sp cificit s de nos terroirs et de nos peuples ils reproduisent simplement les cadres mentaux et les sch mas d action en vogue en Occident L on cr e par exemple des Ong dont l objet les statuts et les modes de fonctionnement sont calqu s sur ce que l on a vu ailleurs a permet de se donner bonne conscience mais pas d noncer des solutions efficaces nos probl mes Enfin les intellectuels africains voluent trop souvent en solo Enferm s dans leurs minuscules tours d ivoire communiquant rarement entre eux ils jouent chacun leur partition et apparaissent comme des singletons qu on coute par inadvertance juste pour se distraire Je le vois notamment chez les conomistes Repus de leur gloire solitaire et d risoire ils se contentent de p rorer chacun dans son coin comme des mes damn es Ils sont donc incapables de susciter le mouvement d
23. dus par la possibilit de la guerre de pr f rence sous la forme de raids Les luttes de pouvoir et les conflits autour de la captation du contr le et de la r partition des ressources rares tout cela s est toujours d roul le long de lignes par d finition trans locales Peu importe que ces lignes renvoient aux confr ries aux clans ou aux lignages Leur formation a toujours ob i ce que l on pourrait appeler a logique des sables mouvants D ailleurs faute de transformer ces logiques la colonisation avait tent de les utiliser son profit avec les r sultats catastrophiques que l on conna t Que le pouvoir se structure et se d sorganise la faveur des cycles pr datoires n est pas nouveau Ce fut le cas avec l conomie du d sert domin par le commerce des fruits et des graines le contr le des oasis la technique des raids et la constitution des entrep ts Ce fut galement le cas avec l conomie de l ivoire et des esclaves lorsqu merg rent dans la r gion des entrepreneurs de la guerre l instar de Rabah une sorte de Charles Taylor et de Jonas Savimbi avant la lettre D ailleurs le syst me de circulation les fronti res mouvantes qui se d placent constamment en fonction des opportunit s d exploitation tout cela n est pas non plus nouveau Avant la colonisation guerriers marchands et marabouts pouvaient de Koufra traverser all grement le massif du Tibesti et occuper la capitale du Wadai Ab ch Su
24. e comme la bonne litt rature est compos e de fa on un peu myst rieuse et proph tique Elle se consomme donc au del de l intention circonstancielle de son auteur Ton observation sur la souplesse l ambigu t et le caract re r p titif des musiques africaines m autorisent en retour une ou deux remarques Il faudrait malgr cela insister sur l norme vari t des musiques africaines Meiway et Africando n voluent pas dans le m me registre que Petit Pays Isma l Lo ou Abdullah Ibrahim Dollar Brand Les compositions d un King Sunny Ade semblent r p titives la premi re coute Mais lorsqu on en examine la texture l on mesure vite la subtilit de la structure rythmique et des syncopes et la richesse des harmonies et des arrangements m me si l ambigu t de l uvre n est pas de la m me nature que ce qu on trouve chez Francis Bebey ou dans les chansons polyphoniques des Pygm es Il est impossible d laborer un syst me unique d interpr tation de l utopie et de l espoir que proposent les musiciens africains Cette agr able t che doit tre laiss e ceux qui coutent leurs chansons Je crois que le consommateur doit avoir sa part de libert dans la mani re dont il approche toute uvre de cr ation Sony Labou Tansi me disait souvent qu il aimait la rumba congolaise parce qu elle n avait pas la pr tention de parler uniquement l me Le corps m rite lui aussi d tre pris au s rieux Le Messager
25. e de critique qui se limite faire sangloter l homme blanc Ou encore celle qui se contente de dire que les choses ne sont pas ce qu elles devraient tre et que pour cette raison le pouvoir devrait changer de main L une des difficult s me semble t il est bien de savoir comment chapper au type de transformisme en cours en Afrique dont l une des particularit s est de rester dans le m me mode de pens e en changeant en apparence les formes Les th oriciens du cosmopolitanisme doivent faire attention ne pas laisser croire que du point de vue culturel nous serions tous devenus semblables sans nous en apercevoir Kwame Anthony Appiah souligne bien ce paradoxe et le risque d un cosmopolitanisme toxique dans son livre The Ethics of Identity Il nous rappelle que les commandos suicides qui ont perp tr les attentats du 11 septembre 2001 aux Etats Unis taient des universalistes et des modernes leur mani re Mohamed Atta le chef du groupe tait un ing nieur form en Allemagne un grand voyageur un fin connaisseur d autres cultures qu il avait d ailleurs bien int gr es Il parlait couramment quatre langues Beaucoup de mouvements fondamentalistes aujourd hui sont multiethniques et multiculturels ce qui ne les emp che pas de pr cher un moralisme globalisant et uniformiste Nous devons donc nous m fier des identit s de groupes qu elles soient nationalistes ou transnationales C est pourquoi je pr f
26. e de dignit d contract e qu Aim C saire d ployait pour faire reculer les fronti res de la po sie classique la fin des ann es 1930 Je ne parlerai pas de Sami Tchak qui tout en suivant sa propre d marche est peut tre sur orbite pour succ der Sony Labou Tansi dans l ordre litt raire francophone ou encore de Gaston Paul Effa qui allie une esth tique stylistique rigoureuse sans concession et la douce violence avec laquelle il traite du th me de l amour maternel De tels talents n ont pas d quivalent dans la litt rature fran aise d aujourd hui En fait pour la plupart des crivains africains le renouvellement des formes va de pair avec une audace th matique sans limites m me si celle ci conduit certains de nos auteurs flirter avec des sujets qui risquent d alimenter certains clich s que les Occidentaux les plus paresseux se font au sujet de l Afrique Je pense par exemple Leonora Miano qui explore les m canismes psychologiques de l obscurantisme et m me du cannibalisme dans son roman L int rieur de la nuit La densit des litt ratures africaines des musiques ou des arts plastiques est ind niable J ai n anmoins l impression et c est l autre constat qu il existe un norme cart entre la richesse relative de cette production artistique d un c t et de l autre la pauvret de la critique esth tique et politique A partir des aspects de la cr ativit africaine contemporaine que tu signal
27. ective notamment celle des femmes qui bien plus que la mis re sexuelle refl te le peu de souci que nous avons de l autre S agissant en particulier de l homosexualit qu est ce qui la rend si troublante dans le discours public africain alors qu on sait par ailleurs qu elle est de plus en plus pratiqu e Est ce le mode de vie homosexuel supposer qu une telle chose existe ou l acte sexuel lui m me L interdiction du corps de l homme l homme ou celui de la femme la femme s explique t elle au contraire par la difficult que nous prouvons lib rer nos d sirs La biologie et la psychologie nous apprennent que l homosexualit est un ph nom ne naturel hormonal probablement voire g n tique dans certains cas Il n y a donc pas de socle moral pour discuter de la validit des orientations sexuelles d un individu Le probl me en Afrique est que l homosexualit tout comme l h t rosexualit d ailleurs s nonce surtout comme une mode pouvoiriste un rite de passage pour acc der aux cercles du pouvoir une secte activement manag e Parfois elle semble tre un passeport pour gravir les chelons de la haute administration ou pour se faire de l argent Mais on n a pas besoin d tre homosexuel pour utiliser son anatomie comme arme de pouvoir Pour faire carri re dans certaines entreprises beaucoup de jeunes femmes doivent se soumettre aux fantasmes sexuels du directeur A l universit et da
28. es ne pourrait on de fait imaginer de nouvelles conversations et de nouvelles passerelles entre les arts d une part et de l autre la critique savante ou th orique et les transformations sur le terrain Cette fertilisation r ciproque des discours est absente De ce point de vue ce qui me frappe s agissant des musiques africaines au cours des vingt derni res ann es c est tout de m me d un c t le m lange de rigidit et de r p tition et de l autre une extraordinaire souplesse un fonds d ambigu t et de prolif ration qui chappe toute instrumentalisation politique comme d ailleurs tu le sugg rais au d but de cette conversation Je ne suis pas partisan d une th orisation excessive des significations de l art Les artistes qui voudraient prescrire de fa on draconienne la mani re dont leur travail doit tre compris interpr t et v cu sont des dictateurs Apr s tout ils n en sont que les auteurs Et un auteur n est qu une hypoth se selon la boutade de Jorge Luis Borges Si ce que l on crit exprime exactement ce que l on veut crire cela perd de sa valeur Il convient d aller au del Une uvre doit se lire au del de son intention J ai assist un jour une soutenance de th se sur un de mes livres J tais en d saccord complet avec ce qui se disait dans la salle Un membre du jury m a rappel que j tais seulement l auteur du livre et donc incomp tent pour en parler La bonne musiqu
29. fications internationales En effet le cordon p trolier africain aujourd hui ne s tend pas seulement du Golfe de Guin e aux confins du Lac Tchad Il a d sormais des prolongements nilotiques le Soudan tant en passe de devenir un producteur substantiel d or noir Il n est d ailleurs pas exclu que le g nocide en cours dans le Darfour s explique lui aussi en tr s grande partie par la perspective d exploitation du p trole dans cette r gion En l absence d un cadre politique solide et l gitime et face aux r alit s d une souverainet fortement limit e les gouvernements locaux peinent imposer des conditions aux multinationales dans l exploitation des ressources naturelles locales En d pit de ses bonnes intentions affich es le r gime des conditionnalit s impos l Etat tchadien en mati re d utilisation des ressources tir es du p trole est strictement parlant semblable celui que l on imposait autrefois aux pays vaincus lors des guerres Il n est pas exclu que les pays faisant partie de l arc p trolier africain du Golfe de Guin e aux pays nilotiques soient dans un avenir pas tout fait loign petit petit aspir s par le tourbillon de conflits li s ce nouveau cycle de la pr dation D ores et d j d innombrables points de fixation existent Le Cameroun par exemple n est pas l abri d une extension du conflit dans la r gion du Delta du Niger De m me est il fortement expos la prolif rati
30. gif rer au nom du continent comme se demande ironiquement Chinua Achebe Nous ne sommes pas les seuls nous buter sur ces questions De Julien Benda Edward Said et Fabien Eboussi Boulaga les repr sentations de l intellectuel n ont cess d tre questionn es Pour moi finalement un intellectuel est quelqu un qui ambitionne d largir les fronti res du stock de connaissances dans le but de donner plus d paisseur nos vies ou de nous pousser prendre nos responsabilit s Travaillant sur des id es il met la r alit en concepts Il confronte les orthodoxies et les dogmes au lieu de les produire et de les g rer Il garde l esprit ouvert et pose les questions les plus embarrassantes la soci t et lui m me Admettons la difficult Mais au del de l interminable questionnement au sujet du statut et des fonctions de l intellectuel y a t il tr s pr cis ment des lieux aujourd hui o s effectue une critique sp cifiquement intellectuelle novatrice ou transformatrice Quels sont ils Et s il n y en a pas quoi cela tient il Les lieux o s exprime une critique intellectuelle novatrice ou transformatrice pour reprendre tes termes ne sont pas statiques Ils ont volu au rythme du chaos de notre histoire socio politique Pendant l poque coloniale ce sont surtout les syndicats les mouvements d tudiants comme la Feanf et les partis politiques ind pendantistes qui h bergeaient la
31. hacun dit adh rer et abandonner les habitudes et les mentalit s dans lesquelles tout le monde s est longtemps endormi Ceci suppose un grand nettoyage philosophique ainsi qu un ajustement des comportements individuels et collectifs On s aper oit alors que les diff rents groupes sociaux ont chacun une mani re particuli re d imaginer la cr ation du monde d envisager l avenir et d noncer les priorit s Les cosmogonies ne sont pas forc ment les m mes Pourtant l ambition de construire une nation semble partag e par tous Une bonne strat gie doit int grer plusieurs dimensions D un c t elle doit exercer une pression politique multiforme sur les pouvoirs autoritaires pour les contraindre l cher du lest Ceci implique des actions classiques du type d sob issance civile lobbying de la communaut internationale etc Mais comme l histoire ne fabrique pas profusion des leaders comme Nelson Mandela ou Martin Luther King il convient de penser au long terme Pour cela il faudrait stimuler les capacit s to empower des pauvres en les quipant du corpus thique et de l infrastructure culturelle dont ils ont besoin pour s manciper de leurs propres peurs Je pense aux initiatives visant par exemple cr er des syst mes ducatifs priv s alternatifs renforcer le capital social travers des actions de soutien la presse priv e ou mobiliser la soci t civile et le secteur priv Dans nos pays o les attentes et gr
32. i m me pour se transformer soi m me est le v ritable d fi thique de notre temps C est vrai que la lib ration des d sirs et la propension la jouissance et aux plaisirs fugaces cr vent les yeux C est d ailleurs toujours le cas dans les soci t s totalitaires lorsqu on entrouvre le couvercle d une marmite bouillante longtemps ferm e On a l impression de voir des picuriens et des jouisseurs partout On l a vu ailleurs dans le monde notamment dans la Russie de l oligarchie l poque de Boris Eltsine ou en Argentine apr s la fin de la dictature militaire On commence observer le m me ph nom ne dans les grandes villes de la Chine d aujourd hui notamment Shanghai Mais l arbre que constitue l h donisme des nouveaux riches ne doit pas cacher la for t du sto cisme de la majorit de la population Revenant notre contexte je dirai que l asc se est en r alit la religion quotidienne de la plupart des Africains Tenez A presque quatre vingts ans Mami Mad ma pauvre grand m re continue de se lever tous les matins pour aller taquiner une terre ingrate avec sa houe jusqu au coucher du soleil tout cela dans l espoir de rapporter quelques tubercules ou des grains d arachide la maison pour nourrir ses arri re petits enfants Des millions d autres femmes africaines s imposent quotidiennement ce type de rituel sous la pluie et sous le soleil juste pour survivre L on ne saurait confondre cette majorit silen
33. id es qui seul permettrait d enclencher le type d interrogations et de secousses sociales dont nous avons besoin Bien s r certains grands producteurs d id es sont parvenus initier le mouvement concilier une critique intellectuelle sophistiqu e et l action pratique C tait le cas de Cheikh Anta Diop qui avait m me cr un parti politique non pas pour devenir Pr sident du S n gal mais pour promouvoir des id es la fin il ne se pr sentait m me pas aux lections C tait galement le cas de Mongo Beti qui crivait des romans extraordinaires tout en animant la meilleure librairie de Yaound ainsi qu un groupe de paysans dans son village Tout le monde ne peut pas faire la m me chose Mais nos intellectuels pourraient au moins tablir des r seaux puissants de r flexion d changes et d action Ils pourraient s organiser de fa on plus rigoureuse cr er des associations un peu plus dynamiques et institutionnaliser des moments de rencontres sous la forme de symposiums ou de forums annuels o l on discuterait des th mes d int r t g n ral des grands chantiers de notre devenir Un dernier mot concernant le d senchantement l gard de la pens e et de la figure de l intellectuel pouvons nous vraiment nous contenter d une existence sociale o la pens e soit n existe pas est d courag e ou encore n a de valeur qu en relation un jeu d instrumentalit s notamment travers les probl mes prat
34. iefs cumul s de pratiquement tous les groupes sociaux d passent tous les moyens financiers dont pourrait disposer l Etat il faudrait organiser la solidarit et la compassion L on pourrait utiliser judicieusement des instruments macro conomiques comme l imp t ou la politique des taux d int r t pour stimuler et orienter l investissement et la cr ation d emploi vers les zones o la mobilit des populations est faible mais o l infrastructure a une rentabilit conomique L on peut imaginer aussi des syst mes d incitations pour que tous les jeunes dipl m s avocats juges m decins pharmaciens experts comptables journalistes enseignants etc consacrent une ou deux ann es de leur carri re faire du travail pro bono dans les zones urbaines ou dans les r gions les plus d favoris es de nos pays Ces incitations pourraient tre d ordre financier fiscal ou m me simplement de reconnaissance sociale Si un m decin sortant de fac sait par exemple que deux ann es pass es soigner de pauvres villageois lui garantissent des cr dits d imp t pour 10 ou 15 ans lorsqu il cr era sa clinique priv e si un jeune avocat sait qu il sera fait chevalier de l Ordre du M rite parce qu il met ses comp tences au service des justiciables illettr s que l on maltraite quotidiennement dans nos tribunaux cela encouragera des vocations Je voudrais maintenant t entrainer sur des terrains relativement loign s de l conomie politique trad
35. ifs sur l me et le destin de chacun D o l inqui tude collective devant tout ce qui peut tre consid r comme une d mocratisation intol rable des pratiques sexuelles contre nature Pourtant d un autre c t on entretient avec fr n sie le culte des plaisirs sexuels les plus loufoques que l on pare m me de vertus mystiques Les fantasmes collectifs tournent autour de la sophistication des techniques de jouissance D o l engouement pour la pornographie une des industries les plus prosp res en Afrique Le caricaturiste Popoli m a racont que ses bandes dessin es que le public s arrache volontiers sont celles qui racontent les histoires de sexe les plus piment es Tout ceci rel verait simplement de conversations de bars s il n y avait un aspect politique cette question En r alit les tentatives autoritaires de moralisation de la soci t travers la r glementation de l activit sexuelle refl tent deux probl mes la sexualisation de la politique et la politisation du sexe Comme le sexisme hier l homophobie est utilis e aujourd hui pour exorciser la peur de cet autre qui serait cach en nous Elle sert de pr servatif pour prot ger une certaine conception de la virilit Le sexe est instrumentalis comme un outil de s lection d exclusion et de domination comme un vecteur de pouvoir Dans la version anglaise de mon livre Anthropologie de la col re j ai longuement discut la notion de mis re aff
36. iques qu elle permet de r soudre Lorsque Pascal Lissouba tait pr sident de la R publique du Congo il insistait pour que sa photo officielle de chef d Etat porte la mention Professeur parce qu il avait tra n pendant quelques ann es comme un obscur enseignant de laboratoire dans une universit de troisi me ordre en France Beaucoup de cadres africains n ont jamais pu vaincre ce complexe de l inutilit ce d ficit d existence qui les pousse constamment exiger que le peuple les prenne au s rieux Ils passent leur temps proclamer qu ils ont tudi l tranger et que de ce fait la soci t leur doit une r mun ration Sangl s dans leurs costumes sombres dans la chaleur de Brazzaville ou de Douala ils insistent pour que l on sache qu ils portent une cravate de chez Herm s et qu ils sont de grands connaisseurs des vins de Bordeaux Ils sont comme ces alcooliques qui auraient besoin d une bonne cure de d sintoxication L anti intellectualisme s explique d abord par le fait que le public africain a tendance confondre intellectuels et dipl m s ce n est pas la m me chose Beaucoup de ceux qui r clament bruyamment l tiquette d intellectuels le font surtout pour acc der des positions de pouvoir Certains rejoignent m me les gouvernements qu ils n ont cess de critiquer et en deviennent les serviteurs les plus z l s Le public n est videmment pas dupe de ces cam l ons qui font de
37. is e gr ce au courrier lectronique entre mars et avril 2006 est conduite par Achille Mbembe professeur d histoire et de sciences politiques l universit du Witwatersrand Johannesburg Afrique du Sud et l universit de Californie Irvine Usa L invit de cette grande plume que nos lecteurs connaissent comme auteur de la Chronique du mardi est C lestin Monga Lead economist et conseiller du premier vice pr sident de la Banque mondiale Washington D C Usa C lestin Monga s exprime ici titre strictement personnel Ses d clarations n engagent donc en aucun cas la Banque mondiale L entretien qui suit est frappant aussi bien par sa densit et sa profondeur que par son l gance et sa courtoisie Il couvre des domaines aussi vari s que le statut et les acteurs de la critique sociale dans l Afrique actuelle les formes et la port e des dissidences culturelles les conditions de l mancipation africaine aujourd hui la cr ativit musicale et artistique les langages de la transformation politique et les questions li es la famille la sexualit et l thique Le d bat sur l homosexualit la lecture politique des prouesses de Roger Milla la coupe du monde 1990 la satire des intellectuels africains etc meublent galement cette conversation riche qui nous permet de renouveler notre regard sur la vie et la fa on dont le monde est g r Au passage se d voilent deux sensibilit s esth tiques et pol
38. itionnelle Si sur le plan culturel il y a quelque chose qui marque le d but de l ann e 2006 en Afrique c est bel et bien l irruption dans le champ public des questions li es la sexualit et ses formes En Afrique du Sud par exemple l ex vice pr sident de la R publique M Jacob Zuma est accus d avoir viol une jeune dame de moiti son ge et de surcro t s ropositive Dans ce proc s tr s m diatique on voit bien comment la domination masculine se conjugue une certaine conomie du plaisir et une vision cul e de la culture traditionnelle africaine pour produire des risques tr s r els de mort Au Cameroun des politiciens se d fendent devant les tribunaux d tre des homosexuels De quels types de conflits culturels ces v nements constituent ils la manifestation Il y a beaucoup d hypocrisie dans le discours public sur la sexualit D un c t notre soci t pr tend valoriser un corpus thique qui place un tabou sur le sujet La sexualit est pr sent e comme le vecteur par excellence de la procr ation On la r duit au mariage et aux obligations conjugales on l enrobe d une grande signification spirituelle L Etat pr che l aust rit sexuelle et des lois sont vot es pour permettre aux autorit s de s infiltrer dans la sph re de la vie priv e du citoyen On cultive aussi une m fiance officielle l gard des plaisirs jug s non conventionnels on insiste sur leurs effets corros
39. itiques produit de deux itin raires diff rents mais bien enracin s dans une mani re d tre Africain l ge de la globalisation Partons de l hypoth se selon laquelle il y a chaque p riode de l histoire d une soci t une s rie de secousses muettes de conflits invisibles qui parcourent le champ social et culturel ou encore un ensemble de questions d cisives que l on ne parvient pas encore formuler distinctement mais qui doivent pourtant tre pos es si de profondes transformations doivent avoir lieu Quelles sont de ton point de vue les deux ou trois questions qui dans la vie africaine contemporaine r pondent ce crit re et pourquoi Comment les d busquer et comment travailler leur mergence en tant que questions critiques pour l avenir Supposons qu un observateur venu de la plan te Mars d barque aujourd hui sur terre et observe l Afrique en comparaison aux autres continents Id e saugrenue mais peu importe Il aurait du mal r concilier ses impressions dans une synth se coh rente D un c t il verrait des gens mat riellement plus d munis qu ailleurs Il noterait que beaucoup d Africains sont comme des personnages de Fernando Pessoa Ils existent sans le savoir Ils sont comme un intervalle fig entre leurs r ves et ce que la vie fait d eux Ils sont une moyenne abstraite et charnelle entre les turbulences du quotidien et la vie en pointill s qui les touffe Ils paraissent trangers
40. la transhumance politique Une autre explication de la m fiance qui existe l gard de ceux que l on appelle souvent abusivement les intellectuels est le fait qu ils reproduisent souvent de fa on mim tique les rudiments de ce que l cole coloniale leur a appris Ce faisant ils nous proposent des repr sentations de nous m mes qui ne nous aident pas conceptualiser efficacement nos probl mes L oppression a laiss de larges cicatrices dans l me de beaucoup d intellectuels africains M me lorsqu ils croient s tre mancip s ils demeurent sans le savoir prisonniers des fantasmes des autres Ils ne se valorisent que dans le regard de l autre du ma tre Ils n existent qu l chelle du m pris dont ils sont l objet Ils ont tellement internalis l humiliation qu ils abdiquent leur humanit parfois m me sans en tre pleinement conscients C est pourquoi beaucoup d entre eux se d finissent uniquement travers leurs titres acad miques C est aussi pour cela que le travail de Cheikh Anta Diop ou Th ophile Obenga que je trouvais un peu excentrique lorsque j tais moi m me un stupide tudiant la Sorbonne me para t aujourd hui essentiel Si nous voulons sortir de la crise du regard dont parle souvent Jean Marc Ela nous devons engager un d bat vigoureux sur le regard que nous portons sur nous m mes Car plusieurs gards les repr sentations de soi d terminent la mani re dont on con oit la r alit
41. leur propre conscience Leur itin raire ne leur appartient pas et leur destin se construit en marge d eux m mes Et ils sont surpris de d couvrir accidentellement l humanit de leur voisin Pourquoi Parce que l Afrique souffre de quatre d ficits profonds qui se renforcent mutuellement le d ficit d amour propre self esteem et de confiance en soi le d ficit de savoir et de connaissance le d ficit de leadership et le d ficit de communication D un autre c t notre expert Martien serait surpris de constater que les Africains sont malgr tout les habitants les plus optimistes de la terre Ils ont d velopp un art de vivre qui leur permet de dompter la souffrance et de rire de leurs malheurs N emp che le diagnostic final de l expert venu d ailleurs serait globalement pr occupant car les civilisations africaines ont perdu beaucoup de terrain depuis quelques si cles Ayant voyag travers la galaxie il nous mettrait en garde toute chose a besoin de maintenance et de r paration Tout comme les montagnes qui finissent par s crouler les civilisations s vanouissent lentement si on ne leur insuffle pas assez d nergie Nous sommes donc confront s quelques interrogations comment nous lib rer de l tat d esprit qui consiste se m priser et n gliger l Autre au point de croire que ce dernier n existe pas Comment changer les repr sentations que nous avons de nous m mes et des autres Quels citoyens afric
42. modifier les valeurs re ues faire en sorte que les affrontements politiques soient plus que de simples affrontements de villages En l tat actuel des choses peut on vraiment dire que les rapports de force en vigueur sont nettement favorables un changement en profondeur de nos soci t s Une amie Djiboutienne qui je reprochais de faire partie d un gouvernement honteux qui opprime la majorit de la population m a r pondu que la vraie opposition consisterait non pas organiser des manifestations dans les rues mais aller en brousse pour apprendre aux gens lire et crire et ce faisant leur donner la capacit d noncer eux m mes les conditions de leur citoyennet L Afrique est coinc e entre d un c t l auto pessimisme et le nihilisme des personnes pauvres et de l autre le cynisme et l h donisme de la petite poign e de ceux qui ont pu tirer leur pingle du jeu Une critique sociale utile est celle qui nous aiderait sortir de ce tragique face face entre le d couragement et l go sme La probabilit d une confrontation violente est donc toujours tr s forte Mais chasser un dictateur et renverser un r gime autoritaire ne constituent que la premi re tape d ailleurs la plus facile du combat pour la libert Les S n galais les Maliens les Kenyans ou les Zambiens le savent tr s bien Le plus difficile vient apr s il faut construire une soci t inspir e des valeurs thiques auxquelles c
43. n d livre des parchemins purement d coratifs un peu comme les m dailles du Vieux N gre Meka pour en faire des auxiliaires de la post colonie Si nous parvenons am liorer le fonctionnement de nos familles et le contenu du syst me ducatif nous cesserons de vivre au hasard et l expert Martien qui nous rendra visite dans quelques d cennies observera que nos soci t s ont su se r g n rer et organiser leur syst me de maintenance Prenons justement la famille Au del du fait qu il n existe pas un mod le unique de la famille dite africaine ton propos semble plaider pour une nette distinction entre l institution familiale en tant que telle et ce que l on pourrait appeler un certain esprit du familialisme Nombreux sont au demeurant ceux qui de plus en plus d noncent l esprit du familialisme comme un obstacle l mergence de l individu en Afrique L opposition que certains font entre individu et famille est un peu superficielle et trop m canique La crise du sens dont souffre l individu en Afrique est fortement corr l e celle de la famille ou du groupe qu il pr tend repr senter Ces deux entit s sociales ne sont pas ind pendantes l une de l autre Le familialisme que je d finirais comme l exploitation go ste et caricaturale des relations de famille et des dynamiques de groupe des fins individualistes et parfois sectaristes d coule des dysfonctionnements de notre soci t de la pauvret et de l implo
44. ns les lyc es certaines tudiantes s offrent aux professeurs pour passer leurs examens Plus que les conduites sexuelles entre adultes c est la question des rapports de pouvoir et des crit res de validation des individus dans l ordre social qui me para t importante La libert de comportement est un merveilleux cauchemar car son bon usage repose sur l illusion que chacun de nous dispose du libre arbitre Or ce n est jamais le cas Chacun d entre nous approche un probl me avec ses pr jug s ses fantasmes le bagage de son pass bref sa subjectivit Il faut en tre conscient pour garder l esprit ouvert Je parle de la lib ration des d sirs Mais l on pourrait tout aussi bien imaginer que ce dont il est question c est de notre difficult celle des lites notamment pratiquer l asc se Je dis bien asc se et non pas asc tisme Partout pr tres religieux imams et autres crois s pr chent l asc tisme Il faut disent ils renoncer au plaisir Mais ils se gardent bien eux m mes de mettre en application leurs pr ceptes Paradoxalement les conditions de pauvret ne favorisent pas non plus cette culture de l asc se Bien au contraire elles semblent raviver la course la richesse soudaine aux plaisirs imm diats et la pr dation Si cong doit tre donn l asc tisme ne peut on tout de m me pas penser qu une certaine culture de l asc se sous la forme d un travail que l on fait sur so
45. ns pas faire l conomie d une discussion du r le du pouvoir politique de l optimalit de ses fonctions et de sa responsabilit J ai appris r cemment que 75 000 enfants dorment dans les rues en Zambie Le chiffre est probablement au moins aussi lev au Cameroun au S n gal ou en C te d Ivoire Nous savons tous comment l Etat a pratiquement institu des Bantoustans au Congo ou au Cameroun pour les populations Pygm es qui n ont droit ni l ducation ni la sant ni aucune infrastructure de d veloppement Nous ne pouvons pas nous taire face de telles situations simplement par crainte d tre accus s de privil gier la critique politique Hormis peut tre un certain sens de la dette l gard de ceux qui l ont combattu que reste t il aujourd hui de ce qu on appelait autrefois le n ocolonialisme et l imp rialisme Quelle valeur peut on encore accorder au principal outil analytique qui pr tendait on alors servait le mieux cerner notre r alit savoir le marxisme dont le sort en Afrique fut longtemps li la fois une certaine id e de l mancipation et une forme de cl ture nationaliste et culturelle voire d autoritarisme politique Le nationalisme et le marxisme ont servi de d tonateur et d instrument analytique pour la lutte anti coloniale Ceux qui ont men ce combat intr pide souvent au p ril de leur vie l ont fait pour que nous puissions converser librement aujourd hui
46. on sur les pourtours occidentaux de la R publique centrafricaine de noyaux de la violence pudiquement appel s pour l heure les coupeurs de route Depuis les ann es quatre vingt la Centrafrique est en effet retourn e aux fonctions qu elle occupait dans la g opolitique r gionale la veille de la partition coloniale celle d un vaste espace de passage presque vide travers par toutes sortes de maraudeurs et chasseurs d ivoire et d esclaves L imbrication des conflits tchadien et soudanais saute aux yeux La cha ne du p trole lie ces noyaux sur fonds de pouvoirs parmi les plus obscurantistes et les plus corrompus du globe Guin e Equatoriale Cameroun Congo et Gabon en particulier Comme on l a vu dans d autres parties du continent Angola Congo Sierra Leone Lib ria de tels conflits combinent toujours violence et extraction du travail Ils d pendent pour leur reproduction de la constitution de v ritables march s militaires li s et entretenus par des r seaux internationaux Sur ces march s sont recrut s toutes sortes de cadets sociaux enfants soldats et mercenaires dont le seul produit de vente est d sormais la force directe C est d ailleurs ainsi que fonctionnait au XIXe si cle l conomie de l ivoire et des esclaves Aujourd hui l on n assiste pas une simple reprise de cet ancien mod le Mais les logiques qui le rendirent possible ont tr s peu chang Le temps d une r flexion de tr s gr
47. ont mutantes et multiples et qu il y a en permanence une modernit de nos traditions Ta question voque aussi le probl me plus g n ral de l efficacit des outils d analyse sociale bas s sur le nationalisme culturel et du mythe de la puret des civilisations africaines telles que les noncent certains auteurs panaf ricanistes Il faut videmment sortir de ce carcan intellectuel Je partage ton intransigeance l gard du f tichisme bio racial Les civilisations ne sont pas des particules chimiques tanches Ceci dit certaines g rent mieux le processus de fusion absorption que d autres Nul ne dirait par exemple que la Chine n est plus chinoise parce que en 5 000 ans d histoire elle a int gr des coutumes de Mongolie ou du Japon L imbrication de l ici et de l ailleurs dans chacun de nous comme tu le dis joliment dans un de tes textes est un fait ind niable mais elle ne s op re pas avec la m me intensit partout et ses r sultats ne sont pas uniformes Le ph nom ne qui consiste se fondre dans des cultures venues d ailleurs ne touche pas tout le monde et certainement pas au m me degr Et puis si tous les citoyens du monde avaient les m mes doses d emprunts culturels nous finirions tr s vite par tre identiques Le m tissage culturel n aurait plus de justification puisque nous serions comme des ordinateurs fonctionnant avec les m mes logiciels Existe t il un lien entre cette obsession identitaire et la sort
48. r flexion critique Il y a eu ensuite l euphorie des ann es soixante beaucoup d intellectuels africains avaient t gris s par les ind pendances que le G n ral De Gaulle nous a g n reusement accord es apr s avoir annonc Alger Je vous ai compris Ils se sont endormis brutalement comme sous une cure d opium C est surtout la fin des ann es 1960 et pendant la d cennie 1970 qu ils se sont r veill s Certains se sont alors r fugi s dans des universit s comme celles de Dakar S n gal d Ibadan Nigeria ou de Makerere Ouganda D autres ont continu de publier aupr s de maisons d dition comme Pr sence Africaine Maspero ou Zed Books ou encore dans des revues acad miques comme Ethiopiques et Abbia Des cercles de r flexion et parfois m me des caf s litt raires ont parfois vu le jour Aujourd hui la critique intellectuelle la plus pointue est enfouie dans les journaux africains dans les blogs de l Internet et dans quelques revues acad miques au tirage malheureusement confidentiel Il y a galement quelques voix rauques et discordantes sur les campus universitaires ou dans des maisons d dition dont les ouvrages sont hors de prix L audience et l impact de cette critique sont donc limit s Pour tre percutante elle devrait investir les lieux de grande coute comme les nouvelles cha nes de radios et de t l vision s infiltrer dans les programmes scolaires et pactiser un peu mieux avec des vecteurs
49. r l axe Darfur Kordofan Bahr el Ghazal s vissaient alors les Nubiens arabis s de la r gion de Dongola ainsi que les jallaba Ce sont ces derniers qui profitant des exp ditions turco gyptiennes des ann es 1840 ouvrent la fronti re conomique du sud du Darfour des montagnes de Nouba du Nil bleu jusqu aux marches de l thiopie Plus important encore ils tendent leurs tentacules dans l Equateur forcent leur pr sence sur les grandes plaines qui s talent du Nil en direction de l ouest et du sud vers le Congo et l actuelle r publique centrafricaine o ils excelleront dans le commerce des esclaves et de l ivoire Ici ils tabliront des fortifications zariba au milieu de peuples nilotiques tels que les Dinka les Nuer les Azande actuel Soudan les Banda actuelle RCA les Bongo et Sara actuelle r publique du Tchad On retrouve ces jallaba plus l est au Darfour dans le Kanem et le Bornou Aujourd hui la nouvelle fronti re c est le p trole Le p trole a ouvert dans la r gion un nouveau cycle de la pr dation Les soubresauts actuels sont la manifestation sur la longue dur e des logiques bri vement d crites plus haut La violence et les d sordres li s au p trole ont remplac l ancienne conomie du d sert si caract ristique des conflits tchadiens de l imm diat apr s ind pendance C est l extr me fluidit et volatilit de cette nouvelle fronti re de la pr dation qui donne au conflit tchadien ses signi
50. ra la place que votre journal accorde aux d bats d id es Sorte d agora ouverte tous ceux qui ont des choses utiles dire cet espace donnera l occasion aux uns et aux autres d aller la rencontre des sujets d int r t g n ral et des personnalit s dispos es les aider mieux comprendre le monde d aujourd hui et de demain Ce nouveau chantier a pr cis ment pour objectif de donner voix et visibilit ce qui se fait de plus novateur dans le domaine de la pens e critique en Afrique m me si pour des raisons videntes l actualit nationale pourrait nous amener observer et envisager les choses autrement L id e est de convier des intellectuels cr ateurs romanciers artistes travailleurs de l esprit et producteurs de culture autour d un format original la conversation interview On s en tiendra parfois des interviews classiques en sollicitant l clairage des hommes et femmes d ici ou d ailleurs sur les questions pr occupantes de l heure Autrement dit L Entretien du mois est d di des figures qui font autorit et dont le rayonnement la pertinence du propos ou la hauteur du ton invite la lecture et la r flexion Il s agit de privil gier des interlocuteurs qui par leur capacit d analyse et leurs id es peuvent apporter une contribution significative au d veloppement au changement des mentalit s et l panouissement intellectuel des jeunes La premi re interview du genre essentiellement r al
51. re prescrivent l obscurantisme sur nos cha nes de t l vision nationales sont ils des intellectuels Un math maticien S n galais qui r side Londres se voudrait un amateur de cuisine chinoise coute exclusivement la musique de Beethoven et se nourrit de philosophie fran aise est il un intellectuel africain Un professeur sud africain de danse moderne install Broadway qui ambitionne de penser la vie sociale New York travers une uvre inspir e de Gershwin et de Maurice B jart est il un intellectuel africain Un crivain congolais ayant tudi en Russie install en France et n ayant pas remis les pieds dans son pays natal pendant trente ans est il africain Si l intellectuel africain existe comment s exprime t il et quels crit res et cadres d analyse doit on utiliser pour cerner valuer et juger son engagement Et puis a t on le droit de juger de l engagement social d autrui Qui serions nous pour noncer des hypoth ses de bonheur social et prescrire une mani re unique d tre Africain et une seule fa on de voir L intellectuel africain a t il un devoir de participation la gestion des affaires publiques A t il un devoir d influence sur la direction que doit prendre le mouvement social ce qui suppose un postulat de comp tence Le cadre africain est il plus forc ment clair que les populations au nom desquels il parle Dispose t il de la l gitimit et de la confiance n cessaires pour l
52. reliant la r gion au Sultanat du Darfour et se connectant sur le Kordofan et Bahr al Ghazal jusqu aux confins nilotiques cet ordonnancement double dimension verticale et lat rale s ajoute une deuxi me dynamique de nature proprement institutionnelle Jusqu au d but du XIXe si cle les deux institutions dominantes par lesquelles la socialisation des lites s effectue tout aussi bien que la mobilisation des ressources et des id es sont la zawiya d un c t et la zariba de l autre Ces deux institutions fort originales ont pour fonction entre autres de r guler le commerce caravanier transnational de cimenter les alliances commerciales politiques et religieuses de n gocier la proximit avec les voisins cas des Bideyat et des Toubous par exemple et les conflits entre diverses factions et au besoin de conduire la guerre en s appuyant sur une s rie d implantations fortifi es Nomadisme et territorialisation donc La troisi me dynamique est celle qui combine guerre mobilit et commerce Car ici la guerre et le commerce vont de pair avec la pratique de l Islam Il n y a pas de commerce sans la capacit de cr er des alliances transversales d tendre et d investir des points nodaux dans un espace en pointill s sans cesse mouvant De m me la guerre elle m me est toujours une guerre de mouvement jamais locale toujours transnationale Les institutions charg es de r guler la guerre et le commerce sont par ailleurs g r
53. sion de nos syst mes de valeurs Nos familles sont souvent cras es par la mis re ou hant es jusqu l obsession par le syndrome du d nuement Dans un tel contexte la fin justifie les moyens Au sein m me des familles l individualisme prend les formes les plus insidieuses On utilise l tiquette du groupe pour faire avancer son agenda personnel Dans beaucoup de familles on n accorde par exemple qu une importance limit e un parent malade C est peine si on lui rend visite l h pital Mais d s qu il d c de faute de soins et d attention c est le grand cirque Chacun se d cha ne pour manifester sa compassion On organise un grand concert de pleureuses On court acheter le meilleur costume et le cercueil le plus cher pour son enterrement On lui organise des fun railles non pas la noix de kola et au vin de palme mais au vin rouge au whisky et au champagne Des millions sont d pens s aupr s des restaurateurs traiteurs pour des orgies collectives Certains vont m me s endetter pour animer le spectacle Car en r alit c est l occasion non pas vraiment de c l brer la m moire de la personne d c d e mais de montrer tout le village qu on n est pas n importe qui et qu un grand n est pas un petit Cette trange conomie de la mort confirme bien que nos priorit s sont l envers Une autre illustration de ce familialisme pervers est la banalisation de la violence contre les femmes et contre les enfan
54. t pr cises ou encore par des figures nettes de la souverainet mais par une gamme complexe de couloirs verticaux d axes lat raux de r seaux qui parfois se recoupent parfois sont imbriqu s les uns dans les autres selon le principe de l entrem lement ou encore s opposent et se juxtaposent simplement Comme la plupart des ensembles politiques trans sahariens de l poque les peuples de la r gion sont alors arrim s plusieurs p les de pouvoir Et c est leur cart lement par une multiplicit de forces contradictoires qui au m me titre que les dynamiques proprement internes explique la nature des luttes sociales de l poque tout comme celles d aujourd hui De ces dynamiques contradictoires la premi re est videmment d ordre spatial Avant la colonisation le bassin du Lac Tchad est arrim aux trois p les de pouvoir et d influence que sont la Cyr na que l extr me p riph rie de l empire ottoman le Soudan gyptien le Califat de Sokoto et les cit s Hausa Sokoto Kano Katsina l int rieur de ce triangle dont la base repose sur l quateur dont les flancs orientaux et occidentaux renvoient vers le Sahara et le Nil et dont la pointe est la M diterran e des routes partent du Kanem et du Wadai passent par Murzuq d un c t et par Koufra de l autre et d bouchent directement sur Tripoli et Benghazi apr s avoir travers de nombreuses oasis S ajoute cet axe vertical Nord Sud un norme couloir transversal
55. taille de Dien Bien Phu Dans un autre registre la musique africaine exprime de plus en plus clairement une critique sociale qui ressemble fort l insoumission Les compositions du Congolais Lokua Kanza de l Ougandais Geoffrey Oryema ou du Camerounais Richard Bona symbolisent bien ce d sir de dissidence C est pareil dans la peinture et le cin ma Aucun dictateur intelligent ne devrait dormir tranquille en regardant un tableau de Pascale Marthine Tayou ou Les Saignantes le dernier film de Jean Pierre Bekolo qui constituent des satires f roces de notre mani re d exister En fait parce qu il largit l imaginaire des peuples et a un impact profond sur les consciences l art africain aujourd hui est une menace bien plus grave pour le syst me oppressif que n importe quel discours d un leader de parti d opposition Tu cites Roger Milla As tu en t te le sportif et ou l ambassadeur itin rant d un r gime parmi les plus corrompus au monde Je parle du Lion indomptable qui n a pas besoin d un strapontin d ambassadeur pour tre pris au s rieux n importe o sur la plan te Le monde entier a t le t moin de la puissance de ses rugissements de la mani re dont il a fait entrer l Afrique par effraction dans des cercles o l on nous avait exclus Ce n est pas un de ces ministres de pacotille qui ont besoin d un d cret pr sidentiel pour avoir une identit Ce n est pas le genre de N gre complex qui se satisfait des lambris dor s
56. tc Il y a enfin le fait troublant qu est la conjonction des silences autour de la famille africaine Silence social li une sorte de pudeur mal plac e nos soci t s n aiment pas trop parler d elles m mes Silence politique cause du d ficit d id es nouvelles qui caract rise le d bat public au sein d une classe politique obs d e par le pouvoir et par la jouissance Silence acad mique parce que ceux qui laborent les programmes scolaires et universitaires sont souvent des N gres complex s dont le seul objectif est de recopier b tement les concepts qu ils ont mal dig r s lorsqu ils pr paraient leurs th ses de doctorat Paris Ces silences conjugu s nous emp chent de comprendre que nos difficult s conomiques et politiques refl tent avant tout une grave crise des syst mes sociaux Il suffit de voir la violence des conflits souterrains au sein des familles entre parents et enfants ou m me le d labrement de la vie des couples Pas besoin de statistiques pour mesurer de l ampleur du d sastre Parce que les parents ont parfois eux m mes manqu de bons rep res beaucoup de jeunes grandissent dans des familles qui ne les pr parent pas assumer les deux principales responsabilit s de la vie savoir tablir une vraie relation de couple avec le conjoint pour former une famille stable et lever des enfants en leur inculquant l thique du travail les vertus de l amour et du respect de l autre Les taux officiels
57. ts On s accommode de raccourcis thiques de toutes sortes Les parents ferment les yeux sur n importe quel comportement de la part des enfants si cela peut leur permettre de sortir de la mis re Ils ne se posent pas de questions sur l origine de la fortune de leur fils qui devient un Feyman ce d autant plus que les enfants s rieux qui se contentent d aller l cole obtiennent des dipl mes leur garantissant seulement le ch mage Il y aurait donc tes yeux plusieurs niveaux de compr hension de la famille africaine Oui Il y a d abord le concept lui m me qui est toujours un peu flou et ne s accommode pas toujours des descriptions acad miques que l on trouve dans les ouvrages de sciences sociales Les conomistes et les statisticiens butent sur ce probl me lorsqu ils tentent de r aliser des sondages aupr s des m nages africains Les d finitions de la famille deviennent beaucoup plus lastiques qu ils ne l imaginaient sur le papier Ceci est d au fait que la notion occidentale tr s restrictive de famille dite moderne un couple et ses enfants est relativement nouvelle et inop rante dans nos soci t s Un deuxi me niveau de compr hension est la mat rialit de ce que chacun de nous consid re comme tant sa famille ses fonctions sociales son efficacit conomique les relations de pouvoir au sein de cette structure non seulement entre hommes et femmes mais galement entre g n rations entre lignages e
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