Contre la droiture des lignes ou de l`espace habitable chez Perec
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1. espace euclidien de la physique moderne cet espace homog ne isotrope infini et purement m trique illustr par la cosmologie newtonienne Selon Augustin Berque c est ce courant de pens e qui a conduit aux propos de Le Corbusier qui en traitant de la question de l espace dans l architecture parle d une pure g om trie qui ne prend pas en consid ration les liens entre l homme et son milieu C est cette attitude de l arr t sur l objet comme Berque la qualifie que Perec rejette compl tement Il n est pas g om tre Pour lui la ligne droite de Le Corbusier signifie l inhumain l inhabitable le calcul au plus juste l espace parcimonieux de la propri t priv e avec ses vue imprenable double exposition arbres poutres caract re luxueusement am nag par d corateur etc Pour Perec l espace n est ni continu ni infini ni homog ne ni isotrope L espace de notre vie n est pas une abstraction math matique pr cis ment parce que nous y vivons Les espaces sont bien concrets et ils s embo tent les uns dans les autres Perec compare dans un entretien l espace un oignon avec ses sph res successives On peut toucher on peut se cogner ou bien laisser quelque part un sillon une trace une marque ou quelques signes Perec finit son chapitre sur le monde en parlant du sentiment de la concr tude du monde Augustin Berque remonte l origine d2. et de ce qui s y trouve l id e de topos telle que l expose Aristote dans la Physique manifeste une approche plus 70 coum ne op cit p 122 21 Jbid p 31 2 Ibid p 25 Le Cabinet d amateur Revue d tudes perecquiennes 8 abstraite qui ouvrira les portes de la modernit Le Stagirite est beaucoup plus pr cis et plus syst matique que l auteur du Tim e dans son examen du lieu Il le per oit comme la limite immobile imm diate du corps enveloppant Pour Aristote le lieu est s parable de la chose qui est mobile alors qu il ne l est pas ensuite il la limite comme un vase d limite son contenu Au contraire la ch ra est un lieu dynamique partir de quoi il advient quelque chose de diff rent non pas un lieu qui enferme la chose dans l identit de son tre Le topos aristot licien pr suppose que les objets sont sans lien ontologique avec leur entourage alors que la ch ra platonicienne pr suppose des objets engag s dans leur lieu Ce qui manque au topos aristot licien pour tre tout fait moderne est de se situer dans un espace notion que les Grecs ne poss daient pas Mais l histoire a montr que c tait bien ce topos d Aristote et non pas la ch ra qui a domin la science occidentale depuis l Antiquit Berque explique citant Koyr que pendant des si cles l homme a mesur l espace au moyen du temps cf par exemple l expression ancienne une journ e
3. ses biais est bien un texte vis e coum nale On voit ainsi que les crits de Perec sur l espace ne se bornent pas au discours de l infra ordinaire On peut aussi constater que la question du biais et de l cart chez Perec d passe largement le domaine purement esth tique et litt raire En renon ant la ligne droite Perec affirme que l espace qui nous entoure est loin d tre 4 Entretien Georges Perec Ewa Pawlikowska op cit p 203 35 Entretien avec Gabriel Simony in Entretiens et Conf rences t IL p 212 36 propos de la description in Entretiens et Conf rences t Il p 232 3 Thid p 230 38 Thid p 234 Le Cabinet d amateur Revue d tudes perecquiennes 11 une tendue vide et st rile mais qu il participe de notre existence et ne doit donc pas tre n glig
4. Le Cabinet d amateur Revue d tudes perecquiennes 1 Contre la droiture des lignes ou de l espace habitable chez Perec Oleksandr Vynogradov Universit Taras Chevtchenko de Ky v La question de l espace chez Perec a t abord e par plusieurs chercheurs et on la consid re juste titre comme un des th mes principaux de son uvre Le probl me de l espace est tout de m me un peu trop souvent rattach au corpus de l infra ordinaire m me si ces deux domaines ne sont pas toujours compatibles Par exemple quand Perec crit au d but du pri re d ins rer d Esp ces d espaces que l espace de notre vie n est ni continu ni infini ni homog ne ni isotrope ou quand il parle de l embo tement des espaces il d passe bien la question du quotidien et traite de sujets plut t philosophiques que sociologiques quoique d une mani re assez fragmentaire mon avis on peut parler d un discours perecquien sur l espace relativement ind pendant de celui sur l infra ordinaire m me si les deux ont de nombreux points d intersection voire des zones communes Ce discours traite de plusieurs aspects de l espace tels que le statut des limites et des fronti res l espace vide qui est li au probl me du manque d j bien labor par les chercheurs des questions concernant le mouvement dans les livres de Perec ete Ce discours sur l espace perecquien reste toujours tre tudi et syst matis d un
5. che rappelle les travaux pratiques de Perec dont le but est de ressentir l impression d tre dans une ville trang re Perec lui m me confirmait dans plusieurs entretiens qu il faisait un peu comme les situationnistes y Un tel cart par rapport aux itin raires habituels est une forme de protestation contre les conventions de la soci t contemporaine Debord cite dans son article un ouvrage de Paul Henry Chombart de Lauwe intitul Paris et l agglom ration parisienne 1952 o le sociologue trace tous les parcours effectu s en une ann e par une tudiante du XVI arrondissement Ces parcours ont dessin un triangle de dimension r duite sans chapp es dont les trois sommets sont l cole des Sciences Politiques le domicile de la jeune fille et celui de son professeur de piano Une ligne droite est la ligne la plus courte dit Archim de que l on puisse tirer d un point un autre Il est clair que le triangle form par l itin raire de l tudiante parisienne est fait des lignes les plus courtes possible qui doivent lui conomiser le temps Faire un d tour ou m me un petit pas de c t sans mentionner une longue d rive c est perdre du temps Plus on d couvre l espace moins de temps on a Mais quelle est la qualit de ce temps d pourvu de d couvertes et vaut il la peine de l conomiser Dans un autre entretien Perec stigmatise notre soci t qui broie qui anesth sie qui homog n
6. de marche ce qui signifiait que l on ne l abstrayait ni de l existence ni de l action humaine concr tes Mesurer les champs en journaux est signe du m me lien entre l espace et la vie humaine En revanche mesurer les champs en hectares c est rapporter tout uniment l tendue elle m me autrement dit absolutiser l espace Au cours de l histoire l espace a ainsi acquis un r le de plus en plus autonome La pens e moderne classique a d pouill l espace de toute concr tude en le faisant tout fait abstrait Ainsi Descartes identifie la mati re l tendue extensio en disant Ce n est pas la pesanteur ni la duret ni la couleur etc qui constitue la nature du corps mais l extension seule Et r ciproquement les mots de lieu et d espace ne signifient rien qui diff re v ritablement du corps que nous disons tre en quelque lieu et nous marquent seulement sa grandeur sa figure et comment il est situ entre les autres corps Ainsi dans le dualisme cart sien observe Berque l espace et le lieu sont la chose comme la chose est le lieu et l espace On en arrive un espace purement 7 Ibid p 34 2 Thid p 107 7 Thid p 108 2 Thid p 109 Le Cabinet d amateur Revue d tudes perecquiennes 9 math matique celui des coordonn es cart siennes Cette conception op re ontologiquement une r duction virtuelle de tout milieu humain l
7. e tendue Le chercheur d veloppe la th orie de l coum ne fortement influenc e par la ph nom nologie heidegg rienne dont la devise peut tre formul e comme suit Renaturer la culture reculturer la nature Berque revient au concept platonicien de ch ra et l oppose au topos aristot licien Rappelons que la ch ra dont Platon d veloppe la notion dans le Tim e d signe le troisi me genre qui lie d une mani re inconcevable l tre absolu ou l Id e et l tre relatif ou en devenir S appuyant sur l tymologie du mot ch ra qui signifiait en ancien grec non seulement espace lieu ou pays mais d signait aussi la campagne qui nourrissait des villes qu elle entourait et se fondant sur la comparaison que fait Platon entre la ch ra et une m re dans cette trinit l tre est assimil un p re et le devenir leur enfant Berque interpr te la ch ra comme une b ance l ouverture par laquelle adviennent l existence les tres qui vont constituer le monde Ce qui importe dans cette lecture de Platon est que la ch ra est vue comme ins parable de l tre Augustin Berque d clare que le trait d cisif des lieux de l coum ne dont le prototype est la ch ra est l impr gnation r ciproque du lieu et de ce qui s y trouve Autrement dit dans l coum ne le lieu et la chose participent l un de l autre A la diff rence de cette impr gnation du lieu
8. e mani re ou d une autre Dans la pr sente recherche je voudrais me concentrer sur un seul aspect de ce discours qui est la passion de Perec pour les tours et les d tours s carter du mouvement rectiligne en somme notamment dans Esp ces d espaces J essayerai de d montrer que ces virages perecquiens peuvent avoir une signification philosophique Dans ses entretiens Georges Perec mentionne plusieurs reprises la notion de pas de c t emprunt e au film L An 01 o l un des protagonistes dit Il faut faire un pas de c t et tout change Il s agit pour Perec de regarder les choses un peu de biais de mani re oblique pour voir le monde appara tre de mani re un peu Le Cabinet d amateur Revue d tudes perecquiennes 2 d tourn e C est alors qu il appara t avec un grand relief Ce pas de c t est donc une m thode pour regarder la r alit quotidienne autrement Nous sommes ainsi en plein discours de l infra ordinaire mais il suffit de s en abstraire un peu et de faire usage d une m taphore pour voir que ce pas de c t est plus qu une technique d observation Car qu est ce que ce pas de c t sinon un d tour hors du sentier bien battu un cart par rapport au cours ordinaire On conna t un autre cart utilis dans l criture de Perec qui est bien videmment le clinamen Rappelons que la notion vient de Lucr ce et des atomistes anciens pour qui le clinamen s
9. ente d Esp ces d espaces Quand le narrateur trace une ligne assez strictement horizontale il aboutit une diagonale Ce passage repris par Magn n est pas sans rappeler la fonction oblique du groupe Architecture Principe de Paul Virilio le cr ateur de la collection Espace critique On reviendra cette id e plus tard Dans le chapitre intitul Sur les lignes droites o Perec cite un extrait de Tristram Shandy de Laurence Sterne num rant des vertus de la ligne droite qui prouvent son excellence il finit par dire Mais un auteur tel que moi et tel que bien d autres n est pas un g om tre et j ai abandonn la ligne droite Curieusement cette phrase ne figure pas dans le texte sternien original et donc a t invent e par Perec Cette manipulation est une d claration de la position personnelle de Perec qui renon e la ligne droite Un autre exemple que je citerai est celui qu on retrouve dans le chapitre Le monde o Perec mentionne un d tour qu il a fait se rendant de Forbach Metz pour aller voir le lieu de naissance du g n ral bl Saint Jean Rorbach Hormis les virages et d tours au sens litt ral Perec sugg re aussi des exemples de pas de c t s plus Bernard Magn Le biais Le Cabinet d amateur n 2 1993 p 37 53 6 Georges Perec Esp ces d espaces Galil e coll L Espace critique 2000 p 16 7 Ibid p 21 Ibid
10. ignifiait un cart une d viation litt ralement une d clinaison spontan e des atomes par rapport leur chute dans le vide Dans le cas de Perec une d viation de la r gle est ainsi assimil e un cart du mouvement rectiligne Il est noter que parmi tous les Oulipiens Perec fut le promoteur le plus actif de ce principe Christelle Reggiani a montr dans Rh toriques de la contrainte que le clinamen explicite une copr sence ambigu dans les crits oulipiens d un rejet de l expressionisme et d une th matique du choix con u comme une intervention du sujet cr ateur Cette ambigu t est manifeste dans plusieurs textes de Perec qui d une part renon ait l inspiration et attribuait la cr ation au travail du langage seul et d autre part opposait l uvre l exercice et parlait de l importance gale de contraintes et de libert Enfin Perec accompagnait souvent ses r flexions sur le clinamen d une citation de Paul Klee Le g nie c est l erreur dans le syst me C Reggiani en tire la conclusion que le clinamen se trouve chez Perec rattach la notion romantique de g nie une notion clairement rejet e par Oulipo Ceci montre que Perec utilise la notion de clinamen dans un sens plut t original un sens qui est le sien tout comme la logique de l cart ce que l on va voir ensuite Georges Perec romanzi e cruciverba in Entretiens et Conf rences d
11. ise qui tue toute curiosit Cette d claration de 1979 sonne comme un cho du Formulaire pour un urbanisme nouveau de Ivan Chtcheglov qui commence son article de 1958 par la d claration Nous nous ennuyons dans la ville il n y a plus de temple du soleil La fonctionalit et la m chanicit de nos mouvements quotidiens dict s par la n cessit rendent la vie fade et routini re 12 Guy Debord Th orie de la d rive Internationale Situationniste n 2 d cembre 1958 p 19 3 Esp ces d espaces op cit p 105 14 Georges Perec Les Paris d un joueur in Entretiens et Conf rences t II p 129 15 En dialogue avec l poque ibid p 61 16 Iyan Chtcheglov Formulaire pour un urbanisme nouveau in crits retrouv s Allia 2006 p 7 Le Cabinet d amateur Revue d tudes perecquiennes 6 Perec comme les situationnistes sacrifie volontiers son temps en faveur de la d couverte d espaces nouveaux affirmant ainsi une position la fois artistique et politique et non ant une critique de la soci t contemporaine Comme Matthieu R my le montre un des th mes communs Debord et Perec est l ali nation en ce qu elle ferait des hommes des spectateurs des consommateurs des individus emprisonn s dans les compromissions de la vie quotidienne La soci t capitaliste pour laquelle le temps c est de l argent et la meilleure voie celle qui es
12. ition critique tablie par Dominique Bertelli et Mireille Ribi re Nantes Joseph K 2003 t II p 328 Christelle Reggiani Rh toriques de la contrainte Georges Perec l Oulipo Saint Pierre du Mont ditions Inter Universitaires 1999 p 46 Georges Perec La chose texte in dit pr face par Hans Hartje Magazine litt raire n 316 d cembre 1993 p 56 63 4 Par exemple voir La maison des romans in Entretiens et Conf rences t I p 241 Le Cabinet d amateur Revue d tudes perecquiennes 3 On retrouve des virages et des d tours partout dans l uvre de Perec Bernard Magn l a brillamment d montr dans son article Le biais o il a rapproch l esth tique du regard oblique perecquien et son amour des diagonales aux niveaux de l espace d criture de la strat gie nonciative et comme un biograph me Magn a comment plusieurs passages de W de La Boutique obscure de La Vie mode d emploi et d autres textes quant moi je m arr terai sur Esp ces d espaces Je ne vais citer que quelques exemples de pas de c t et de d tours pr sents dans le texte Perec dit dans l avant propos que vivre c est passer d un espace un autre en essayant le plus possible de ne pas se cogner Passer d un espace un autre signifie la n cessit du mouvement et ce mouvement ne peut pas tre rectiligne si l on essaye de ne pas se cogner La ligne droite est abs
13. ive en vue de r aliser toutes les potentialit s du corps par rapport au monde qui l entoure Ce qui est important dans cette citation est que le jeu est per u par Perec comme un lien entre notre corps et l espace qui nous entoure Cette id e doit nous interdire de consid rer Esp ces d espaces comme un jeu purement textuel n ayant aucun rapport avec la r alit Bien au contraire Les Travaux pratiques propos s par Perec sugg rent non seulement le d passement de l univers strictement litt raire mais aussi un message vis es sociale et politique Il y a videmment dans les carts de Perec un d fi au rythme acc l r de la vie contemporaine et l utilitarisme de notre soci t et de ce point de vue le projet perecquien se rapproche de celui des situationnistes Les d tours et virages perecquiens ressemblent beaucoup la d rive Guy Debord dans sa Th orie de la d rive note que une ou plusieurs personnes se livrant la d rive renoncent pour une dur e plus Ibid p 87 1 Thid p 106 1 La vie r gle du jeu in Entretiens et Conf rences t I p 277 Le Cabinet d amateur Revue d tudes perecquiennes 5 ou moins longue aux raisons de se d placer et d agir qu elles se connaissent g n ralement aux relations aux travaux et aux loisirs qui leur sont propres pour se laisser aller aux sollicitations du terrain et des rencontres qui y correspondent Cette d mar
14. lant sur la commande d un professeur d UPA 6 qui consistait d crire un lot parisien donn Perec avouait Ce quartier ne me disait rien parce que c est un quartier o je ne savais absolument pas me rep rer l endroit o je me trouvais ne signifiait rien pour moi C est assez curieux mais je me rends compte que ce n est videmment pas par hasard si j ai choisi pour mes tentatives de description de quelques lieux parisiens uniquement des lieux tr s fortement attach s mon exp rience et mon histoire Le probl me de l espace le premier probl me de l espace c est que quand on se trouve dans un espace il y a un certain nombre de choses que l on sait que l on s attend voir ou que l on reconna t ou que l on invente parce qu on les invente partir de quelque chose qui vous est donn Lorsque rien ne vous est donn un p t de maisons ressemble n importe quel p t de maisons On peut voir dans ces lignes l amorce d une ph nom nologie perecquienne Malheureusement Georges Perec n a pas pu laborer et approfondir ces propos mais m me en s en tenant aux textes publi s on peut parler d un certain esprit qui domine le discours perecquien sur l espace et s oppose sa g om trisation Si pour Augustin Berque le symbole de l coum ne est un chemin des nes tellement m pris par un Le Corbusier Esp ces d espaces avec ses d tours et
15. nt construction des immeubles des gouts des canalisations des chauss es des trottoirs ete La circulation exige la droite La droite est saine aussi l me des villes La courbe est ruineuse difficile et dangereuse elle paralyse La rue courbe est le chemin des nes la rue droite le chemin des hommes 17 Matthieu R my Georges Perec dans lair du temps situationniste Archives et documents situationnistes n 4 automne 2004 p 129 18 Lucr ce De rerum natura II 251 19 Cit dans Augustin Berque coum ne Introduction l tude des milieux humains Belin 2010 p 120 Le Cabinet d amateur Revue d tudes perecquiennes 7 Ce sont les mots d un moderniste fervent auquel sont clairement oppos s certains des propos de Perec aussi bien que de Paul Virilio d j mentionn Ce dernier refuse l orthogonalit de l espace euclidien consid r comme un micro ghetto et d veloppe la th orie de la fonction oblique qui doit permettre l enrichissement des rapports humains par la fluidit d un mouvement continu On comprend bien que la droiture des lignes ne se borne pas la pure g om trie elle rel ve de toute une philosophie moderne Augustin Berque g ographe et philosophe fran ais analyse ce qu il consid re comme un courant dominant de la pens e occidentale des derniers quatre si cles qui commence avec Descartes et consiste r duire le monde la pure extensio de la chos
16. p 161 Le Cabinet d amateur Revue d tudes perecquiennes 4 abstraits et m taphoriques Telle la liste des choses que de temps autre on devrait faire syst matiquement par exemple prendre l escalier B au lieu de l escalier A ou monter au 5 alors que l on habite au second Telle la tentative d imaginer sous le r seau des rues l enchev trement des gouts le passage des lignes de m tro la prolif ration invisible et souterraine des conduits Quel est le sens de ces virages Ont ils tous la m me fonction Bien s r il y a dans des fragments comme celui de la ligne strictement horizontale un l ment humoristique L humour d ailleurs peut tre compris comme une d viation de l ordre normal des choses et donc comme un cart Ces fragments ont aussi un c t ludique et on peut parler d Esp ces d espaces comme d un jeu avec des id es et des mots sur l espace Mais le jeu n est jamais innocent chez Perec Et dans le cas pr sent 1l me semble ad quat de citer une r plique de Perec propos du jeu tir e de son entretien avec Alain Herv en 1978 Le jeu a commence avec le d veloppement des ext rocepteurs c est dire de la relation entre l enfant et le milieu ext rieur a commence quand il commence voir quand il commence conna tre s habituer un espace On sent que le jeu est une activit d exploration C est une tentat
17. t la plus courte tend am liorer la vie en la simplifiant Mais plus simple ne signifie pas meilleur et en recourant de nouveau la m taphore on peut dire que des lignes droites forment une cage que Perec s efforce de d truire dans la plupart de ses textes Dans cette perspective il n est pas du tout tonnant que le principe du clinamen tel que Lucr ce l utilise constitue un fondement philosophique de l id e de la libert accord e sur Terre aux tres vivants L cart selon Lucr ce est un r sultat direct du choix oppos l ob issance aveugle au destin D une mani re similaire Perec pr f re choisir sa propre voie nonobstant son utilit selon les termes de la soci t de consommation Toutes ces r flexions sont toujours du c t de l infra ordinaire Mon but jusqu ici tait de montrer que premi rement les pas de c t d tours et virages sont nombreux dans les textes perecquiens et deuxi mement qu ils ne sont pas un pur jeu litt raire mais sont en rapport avec la r alit Ce que j essayerai d claircir maintenant est le fait que ce rapport d passe la sph re sociale et rel ve de questions philosophiques plus profondes Consid rons les citations suivantes de Le Corbusier La grande ville ph nom ne de force en mouvement est aujourd hui une catastrophe mena ante pour n avoir plus t anim e d un esprit de g om trie Or une ville moderne vit de droites pratiqueme
18. u mot concret le latin concretus participe pass de concrescere c est dire grandir ensemble Berque note que dans la r alit du monde les gens les mots et les choses ont grandi ensemble ils ont une histoire commune Cette id e rappelle les propos de Perec sur le monde comme retrouvaille d un sens perception d une criture terrestre d une g ographie y 33 dont nous avons oubli que nous sommes les auteurs 77 Thid p 110 7 Esp ces d espaces op cit p 177 7 Entretien Georges Perec Ewa Pawlikowska in Entretiens et Conf rences t II p 203 Esp ces d espaces op cit p 180 31 Thid p 156 coum ne op cit p 23 3 Esp ces d espaces op cit p 156 Le Cabinet d amateur Revue d tudes perecquiennes 10 Pour Perec il n y a pas de choses en soi toute chose existe en relation avec l homme Les choses nous d crivent dit il Ewa Pawlikowska On peut reconstituer l histoire du monde partir d un seul objet Il est int ressant de remarquer que malgr son insistance sur la neutralit de la description de l espace et des choses qui nous entourent dans le cadre de ses tudes sur l infra ordinaire Perec ne choisissait jamais pour ces tudes des lieux neutres pour lui m me Au cours du colloque Espace et repr sentation Albi 20 24 juillet 1981 Perec parle des difficult s normes qu il a prouv es en travail
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