Les actes de désobéissance civile comme critère - cems
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1. d expliquer cette mani re de faire dans Rules and Details From Wittgenstein and Rawls to the Study of Practices Journal of Classical Sociology 9 4 2009 2 Passons notre travail sur la d sob issance Nous sommes partis d un fait des actes de d sob issance civile sont commis par des individus qui en revendiquent le titre Ce fait place le sociologue dans une situation o 1l n a pas substituer une d finition savante la d finition ordinaire C est un de ce cas dans lequel il n a pas construire son objet pour s carter du sens commun puisqu il y a une congruence totale entre lacte commis et la mani re dont il se pr sente La seule intervention savante que je me suis permis de faire est de classer conceptuellement la d sob issance civile dans la cat gorie des formes d action politique Ce classement se justifie par le fait qu elle qualifie est un acte qui consiste pour un individu refuser d appliquer une directive en le faisant en nom propre de fa on collective et non violente au nom d un principe de bien commun sup rieur la l galit d une autorit et en appelant la sanction pour faire vivre dans le d bat public une question d int r t g n ral Le sociologue ne devrait donc avoir aucun probl me admettre que ceux qui recourent cette forme d action politique savent ce qu ils font et comment il convient de le faire ce qui lui permet une seconde intervention conceptuell2. rabilit des syst mes d information administratifs r ussit dissoudre la d cision politique dans la production de chiffres et place ceux qui contr lent l information quantifi e en position d imposer leurs choix en se servant de l outil budg taire et sans avoir les soumettre d lib ration L interop rabilit est cette technique qui permet d int grer l ensemble des niveaux de r gulation des activit s d un domaine d action publique dans une cha ne gestionnaire unique Cette int gration qui construit un v ritable instrument de mesure de la performance requiert un traitement crois de trois types de donn es qu il faut au pr alable rendre compatibles celles relatives l activit accomplie et sa performance soin justice enseignement recherche etc celles relatives son co t d taill par postes de d pense et celles relatives aux ressources humaines qu elle mobilise impliquant une d composition fine du service accompli par chaque individu Dans un syst me organis sur le mode de l interop rabilit l information produite ne sert pas uniquement un souci de transparence Le processus de d composition recomposition sur lequel le recueil et le traitement des donn es reposent et leur int gration m canis e et structur e remplissent une autre fonction celle de permettre la surveillance en temps aussi r el que possible de l volution de la productivit de chacun de
3. valuations gestionnaires impos es Pour le dire rapidement ce qui justifie ces formes d action est un sentiment qui est parfois un argument solidement fond la mani re dont la quantification saisit aujourd hui l activit quotidienne des agents et professionnels de service public valuations gestionnaires palmar s classements objectifs chiffr s indicateurs de performance comptabilit analytique etc est l instrument qui permet de concr tiser coups de mesures techniques la r forme de l Etat et l abandon d une partie des principes d universalit et d galit sur lesquels il repose Bref la quantification permet aujourd hui la mise en uvre d une logique du r sultat et de performance dans les administrations d Etat dont ceux qui en subissent les effets constatent que les syndicats ou les partis ne la tienne pas pour un th me de mobilisation majeur Pour comprendre l attitude de ces organisations repr sentatives officielles il suffit d imaginer ce que serait une gr ve nationale contre la production de grilles d valuation ou de tableaux de bords contre la production d objectifs chiffr s et d indicateurs de performance Une gr ve dont les revendications seraient un moratoire sur la production de chiffres telle qu elle est organis e aujourd hui au sein de l Etat la remise plat des modalit s de la quantification publique ou l institution de Comit s d tablissements qui aur
4. autorit s ou la hi rarchie ainsi d fi e accepte d engager des poursuites contre les r fractaires Une des faiblesses constitutive de la d sob issance est que l absence de r action le refus de sanctionner les r calcitrants rend l action insignifiante ou la cantonne dans une zone de non application tol r e des directives Une autre limite tient ce que les instructions donn es n en soient pas vraiment comme c est le cas avec les nouvelles formes de droit soft law 10 qui n dictent pas des obligations et des instructions imp ratives mais fixent des objectifs et mettent des recommandations comme dans le cas de la M thode Ouverte de Coordination institu e par l Union europ enne ou lorsqu une r forme s applique sur la base du volontariat et de l incitation financi re comme dans le cas de la restructuration en cours de l enseignement sup rieur et de la recherche Qu observe t on en effet dans ce domaine Petit petit l ment apr s l ment et avec une obstination t tue un nouveau cadre institutionnel se met en place qui bouleverse l organisation ancienne en introduisant de nouveaux dispositifs ANR et AERES pour la recherche Plan Campus PRES Idex Labex pour l enseignement sup rieur qui parviennent diluer l interrogation sur les cons quences de cette modernisation Que se passe t il dans ce cas Ceux qui ne participent pas aux appels d offres qui ponctu
5. dirigeants et leur subordonn s de se passer de penser aux fins de l action qu ils conduisent puisqu elles sont d finies par la quantification et qu ils peuvent donc juger que tous les moyens sont bons pour parvenir remplir l objectif fix qui est juste par nature puisque l objectivit du chiffre le pare de cet attribut essentiel r pondre l efficacit Une seconde de ces transformations est la suivante en r glant son jugement sur la mesure de l efficacit les dirigeants peuvent se sentir l gitim s s archouter sur les d cisions prises jusqu refuser d en discuter les modalit s d application Sous couvert de performance on r tablit l autoritarisme avec tout ce que cela porte d arbitraire et d arrogance La certitude d tre dans le juste peut galement conduire ignorer ou suspendre les formes de n gociation politique institu es et restreindre les droits politiques et sociaux des citoyens ou de leurs repr sentants en justifiant cette attitude au nom de la logique du r sultat Une troisi me touche directement les rapports sociaux qui se nouent au sein des administrations d Etat D une part les professionnels de service public enseignants m decins policiers juges etc peuvent se sentir d valoris s lorsqu ils constatent qu ils sont tenus pour une quantit sans qualit ils sont tenus pour interchangeables dans une processus de production et que leurs revendicatio
6. est donn e ne sont pas des actes de ce type Pour que le refus de se plier aux instructions devienne une d sob issance il faut que ceux qui l expriment revendiquent leur intention de ne pas remplir une obligation qui leur est faite Et cette revendication pour tre l gitime ne peut se faire de n importe quelle mani re Il arrive que cette revendication soit sectorielle et localis e comme lorsque des casernes de CRS refusent leur d m nagement ou qu elle naisse de l aversion l endroit d une hi rarchie particuli rement indigne injuste et m prisante comme dans bien des cas de restructuration des services publics comme celui de la justice ou de l h pital Mais le plus g n ralement la d sob issance est un acte qui vient mettre au jour le caract re inacceptable des mesures d cid es par les pouvoirs publics comme dans le cas de la r forme des coles ou celle de la formation des professeurs ou attentatoires aux principes de la d mocratie comme dans l obligation de d lation faite aux agents de Pole Emploi ou aux travailleurs sociaux ou l introduction du fichier Base l ves ou le fichage des malades mentaux Dans tous les cas il ne s agit pas d actes laiss s dans la clandestinit des arrangements de guichet des contournements de la loi des infractions la r gle pour calmer une mauvaise conscience ou du sabotage Une des limites de cette forme d action est qu il n est jamais certain que les
7. pas la remise en cause du principe de repr sentation et de la r gle majoritaire Mais elle ne nous sert pas de crit re pour analyser l exp rience individuelle des personnes qui d sob issent La d finition de l objet d sob issance civile s est donc fait en deux tapes 1 Clarifier les limites de l usage du concept qui qualifie l objet de l enqu te ce que recouvre le terme d sob issance civile en tant que forme d action politique en d finissant pr cis ment le type d activit pratique dans lequel cet objet s inscrit les modalit s de l activit politique en r gime d mocratique 2 Fixer le contexte l int rieur duquel l analyse de cet objet se m ne les techniques utilis es pour conduire les affaires publiques et le passage un mod le gestionnaire d exercice du pouvoir en d taillant rigoureusement les l ments mat riels et conceptuels qui fa onnent les modalit s d actualisation de cet objet trois ou quatre politiques publiques prises dans le mouvement de r forme gestionnaire Cette suite d op rations de clarification conceptuelle vise d composer analytiquement l ench ssement de strates qui composent la forme de raisonnement pratique que tout un chacun met approximativement en uvre pour appr hender le spectre des significations d usage qu il est possible d attribuer un acte de d sob issance civile D abord le concept de politique puis la mani
8. se contente de mettre en place la concurrence sans le dire express ment et sans annoncer les cons quences qui en sont attendues est une forme d action politique dont on peut douter de la pertinence Sauf ce qu elle devienne massive Mais alors elle aura cess d tre ce qu elle est et changerait de nature on aurait alors affaire une gr ve g n rale dont l exigence serait l abrogation des dispositifs techniques mis en place par la r forme Et la revendication d un tel changement est g n ralement port e par les syndicats et les partis d opposition Et si les actions de ces institutions officielles ne suffisent pas obtenir cette abrogation n gociations 11 manifestations gr ves votes au Parement etc il convient en r gime d mocratique d en faire une proposition politique et d attendre l alternance pour la voir se r aliser Mais voil certaines revendications ne parviennent pas devenir des propositions politiques C est qu il semble difficile de rendre l gitimes des actes qui prennent cette allure un peu curieuse rejet des op rations d enregistrement comme pour Base l ves refus de produire ou de communiquer de donn es indispensables l ex cution des proc dures l gales ou administratives blocage des saisies obligatoires pour alimenter les multiples syst mes d information refus de remplir des questionnaires ou des tableaux de bord administratifs boycott des
9. Les actes de d sob issance civile comme crit re Albert Ogien Institut Marcel Mauss CEMS Paris Occasional Papers 2 Avril 2011 Les actes de d sob issance civile comme crit re Albert Ogien 1 Je voudrais pour situer cette intervention dans la perspective de ce s minaire dont le th me est le travail de terrain en sociologie expliciter le type de recherche empirique qui est pr sent dans Pourquoi d sob ir en d mocratie C est le genre d enqu te que je m ne depuis une quinzaine d ann es d j que je situe dans le prolongement direct du travail de terrain et que je con ois non pas comme un d passement de l enqu te ethnographique mais comme un approfondissement des questions qu elle conduit se poser Si on consid re qu un travail de nature ethnographique vise en g n ral rendre compte des choses telles qu elles se r alisent entre individus en interaction ma d marche tranche sur deux points a la conception de l objet de l enqu te qui m int resse moins pour lui m me que pour le potentiel de cr ativit qu il rec le autrement dit en ce qu il permet de documenter un ph nom ne g n ral auquel on peut le rapporter b le genre de donn es sur lesquelles repose l analyse qui renvoient plus aux l ments constitutifs de l organisation sociale d une forme d activit pratique qu des activit s en train de s accomplir c est dire plus au cadre pr alab
10. a d sob issance civile Dans la suite de mes analyses sur l Esprit gestionnaire j ai essay de comprendre comment depuis une quinzaine d ann es maintenant la culture du r sultat la d marche qualit la logique de la performance ou l esprit d entreprise s imposaient aux professionnels de service public qui travaillent l cole l h pital et l universit J ai pens qu une mani re commode de le faire tait de partir d un fait d observation l existence et la multiplication de mouvements de rejet du mod le de direction qui introduit ces notions dans l exercice quotidien de leur m tier et qui s expriment sous la forme d actes de d sob issance civile Il faut cependant pr ciser les choses Les actes de d sob issance civile qui se commettent en r gime d mocratique servent deux causes celle du droit des trangers aide et accueil des clandestins combat contre les expulsions refus de la d lation opposition aux arrestations etc et celle de la d fense et du d veloppement des pratiques de la d mocratie Dans ce second cas les actes de d sob issance sont de deux sortes e soit un groupe de citoyens inform s se met en ill galit en articulant sa revendication politique une action de l opposition parlementaire visant modifier la loi ou en imposer de nouvelles Greenpeace OGM DAL etc e soit des individus d cident de faire entendre une revendi
11. aient pour mission de d finir collectivement les param tres utiles au recueil et au traitement de donn es afin d am liorer les pratiques professionnelles et la r alisation des missions de service public Tout cela ne ressemble pas ce dont sont normalement faites les luttes politiques encore que ces th mes commencent la faveur de la mise en uvre de la RGPP p n trer les plates formes des syndicats et des partis d opposition Et pour que cela le devienne les actes de d sob issance qui bloquent la mise en chiffres dans les administrations remplissent un objectif qui n est pas toujours affich maintenir la question de la nature et de la fonction politiques de la quantification ouverte dans le d bat public Pour approcher le sens politique des actes de d sob issance civile qui se produisent aujourd hui dans les administrations d Etat il faut consid rer l tat dans lequel le mouvement 12 de modernisation de l Etat a plac la relation entre chiffre et politique c est dire analyser un ph nom ne la num risation du politique et ses effets sur la d finition et la conduite des affaires publiques 5 Les r formes gestionnaires qui sont mises aujourd hui en application et dont les deux fleurons sont en France la LOLF et la RGPP prennent une maxime au pied de la lettre l tat doit tre g r comme on g re une entreprise Ce slogan a remis au go t du jour l id e selon laquell
12. ans une circonstance d action donn e C est l int rieur de cet espace que les actes et les paroles des individus en interaction dont on ne 4 Je reprends volontiers et escient l expression forg e par Bourdieu pour d finir un champ mais en lui donnant un contenu empirique et analytique tout fait diff rent peut jamais pr dire la nature et le mode d expression et les v nements qui mergent deviennent mutuellement acceptables afin d assurer la fluidit et la continuit des changes Mon id e est donc que la premi re t che du travail ethnographique est d identifier de fa on aussi d taill e que possible pour chaque contexte d action observ ce dont est constitu cet espace objectif de relations Cette attention port e aux cadres pr alables dans lesquels une action en commun s engage se justifie galement mes yeux par la reconnaissance de la pertinence de deux lois sociologiques 1 les pratiques des agents ne s alignent jamais parfaitement sur les r gles que les dirigeants d une institution voudraient leur voir suivre autrement dit les ph nom nes de l arrangement au guichet du jeu avec les r glementations de l am nagement avec la loi et de l accommodation aux r gles n ont plus tre d montr s et il faut les tenir pour irr m diables 2 il est impossible de savoir vraiment ou d expliquer comment une intention ou une d cision se traduit finaleme
13. cation collective qu aucune organisation officielle ne prend en charge dans l univers politique C est ce qui se passe dans le cas des agents et des professionnels de service public enseignants m decins juges policiers ou agents de la fonction publique qui d cident de se mettre ouvertement dans l ill galit en connaissance du risque de sanction encouru en refusant de suivre des instructions dont ils pensent qu elles font peser des menaces sur l gal acc s des citoyens des besoins fondamentaux sant ducation justice etc ou nuisent aux libert s individuelles ou d gradent la qualit des prestations offertes aux usagers d un service public C est de cette seconde modalit de d sob issance que traite le livre Que nous apprennent les revendications qui accompagnent les actes qui se commettent en son nom 1 Que lorsque les m thodes de gestion et de management en vigueur dans les entreprises dans un souci d optimisation de la productivit sont mises en uvre dans les administrations d tat ceux qui sont somm s de s y plier se trouvent dans la situation d tre les agents de r formes qui modifient les conditions d acc s aux droits sociaux et politiques de leurs concitoyens Bref qu il existe une sorte de relation interne entre les actes qui composent leur travail quotidien et la nature intrins quement politique des instructions qu ils doivent suivre pour l accomplir Autrement dit la s
14. e poser qu ils ma trisent un savoir faire politique puisque ceux qui se mettent en d sob issance savent exactement ce qu ils font sinon ils ne le feraient pas ce qu il pr tendent faire ce qui est sans doute impensable vu le caract re public de leur acte Le sociologue n a pas non plus se demander ce qui les motive le faire le refus d ob ir s accompagne en effet toujours d une revendication publique Pour le sociologue la question n est donc pas pourquoi certains individus se mettent ils en d sob issance mais comment se construit et s exprime la revendication qui justifie de commettre de fa on l gitime un acte ill gal Sous cet angle la d sob issance n est pas un fait expliquer en demandant aux gens pourquoi ils font ce qu ils font et en consid rant les effets de leur action mais une manifestation publique socialement organis e au sens o la forme qu elle doit prendre est donn e et connue avant qu elle ne la prenne D s lors elle devient un crit re un l ment constitutif d un ph nom ne pour l analyse d un ph nom ne auquel elle renvoie Dans le livre la d sob issance nous sert en premier lieu de crit re pour l analyse de la d mocratie appr hender ce qu est la d mocratie partir de la d sob issance puis de crit re pour l analyse du politique partir de l id e que la d sob issance civile est le fondement m me de la d mocratie et
15. e Et c est bien l argument qu on retrouve au c ur des revendications qui fondent les appels la d sob issance civile dans certains secteurs du service public
16. e pour que l action publique soit performante les tablissements et les institutions publics devaient tre dirig s par un vrai patron un chef qui dispose seul du pouvoir de d cider puisqu il doit conduire ses troupes au combat dans une comp tition f roce et assumer en son nom propre la responsabilit de la victoire ou de l chec Des dispositifs institutionnels ont donc t mis en place pour instaurer ce pouvoir strat gique du dirigeant et des quelques conseillers et experts dont il s entoure en assurant au passage la promotion de deux principes in dits dans la fonction publique celui de concurrence et celui des primes au m rite pour r compenser les plus audacieux des entrepreneurs de la modernisation La r forme gestionnaire pose donc une question l Etat peut il tre tenu pour une entreprise comme les autres Certes rien n interdit d envisager l action publique comme une activit de service et de ce point de vue on ne voit pas pourquoi les administrations ne seraient pas g r es comme une organisation en cherchant en r duire le co t de fonctionnement Le probl me est que ce service est d une nature particuli re il consiste garantir la jouissance des droits sociaux et politiques des citoyens et assurer la coh sion sociale et la paix civile sans parler de la s curit ext rieure De ce fait toute rationalisation administrative doit tre valu e l aune de son impac
17. ent la course l excellence s excluent d eux m mes de la r partition de la manne ceux qui n acceptent pas de si ger dans des instances d valuation laissent la place d autres dont on peut estimer qu ils d fendront des positions trop inf od es au pouvoir ceux qui ne se plient pas aux directives de l AERES en mati re d valuation se voient attribuer une note qui les d valorise ou leur interdit de concourir ensuite aux projets et aux financements Dans ces conditions un acte de d sob issance est imm diatement vid de toute signification cela revient se mettre sur la touche sans que personne n en soit vraiment affect Elle n a tout bonnement pas de place dans un univers o les obligations ne sont pas imp ratives mais sont contenues dans les dispositifs techniques dans lesquels tout un chacun est libre d inscrire son travail ou pas Ce qui rend un peu de sa raison d tre la d sob issance civile dans ce cas est le fait qu une action de ce type maintienne vivante dans le d bat public l id e selon laquelle la r organisation du monde de l enseignement sup rieur et de la recherche remet en cause des principes et r duit les pratiques de la d mocratie autonomie acad mique galit d acc s garantie de financement libert p dagogique souverainet professionnelle etc Mais entrer en d sob issance dans un cadre qui par le truchement de la r f rence l excellence
18. iser une chose il n est pas besoin de chiffres pour exercer un pouvoir autoritaire gouverner en autocrate instaurer le despotisme ou un r gime totalitaire On pourrait m me dire que la quantification en est un antidote Ce sur quoi je veux insister c est que la production de statistique publique telle qu elle se r alise aujourd hui dans le cadre de la logique du r sultat et de la performance conduit insidieusement admettre l id e selon laquelle la d cision politique peut se passer de proc dure de d lib ration et rendre cette id e l gitime au nom de l efficacit Ce sont les effets de ce processus qu il faut saisir car on peut y trouver les ingr dients d une d gradation des pratiques de la d mocratie qui ne se pr sente pas comme telle et se justifie par les chiffres qui d finissent de fa on cens ment objective les mesures prises pour le bien commun C est cette conjoncture que je propose de nommer exercice autoritaire de la d mocratie une mani re de gouverner qui cherche se passer de plus en plus d lib r ment de l avis des citoyens et de leurs repr sentants et pr f re cantonner l exercice de leurs droits politiques l acte lectoral C est en ce sens qu on peut dire de la num risation qu elle est une technique qui se traduit en instructions dont ceux qui les contestent ont tout lieu de pr tendre qu elles contribuent d truire les fondements d mocratiques de l action politiqu
19. ituation d agent de service public permet de qualifier le refus de remplir une obligation professionnelle de d sob issance civile en justifiant la non application d une de ces instructions par l id e qu elle porte une atteinte aux principes de la d mocratie 2 Que l id e de rentabilit des services publics recouvre aujourd hui un imp ratif bien d fini imposer aux administrations d Etat d en faire autant ou plus avec moins de personnel et moins de moyens Cet imp ratif pourrait se suffire lui m me On observe cependant que la r alisation de ces gains de productivit qui peut se justifier par l argument de la dette publique s accompagne d une autre vis e r duire l id e que les citoyens continuent se faire de ce qu ils sont en droit d attendre de l tat savoir assurer un acc s gal tous la sant l ducation la justice au logement ou l information permettre l exercice des droits et libert s individuels fixer des normes et des standards sanitaires hygi niques industriels environnementaux professionnels etc garantissant l honn tet et la r gularit des transactions sociales et commerciales ordinaires intervenir le cas ch ant dans l organisation des activit s collectives par le biais de subventions de d gr vements fiscaux d exon rations de charges d aides la cr ation de soutien l activit industrielle de nationalisa
20. le de l action en commun qu aux pratiques d ploy es par les individus pour red couvrir et faire usage de ce cadre dans le cours de leurs changes Il ne s agit nullement pour moi de disqualifier ce second moment de l enqu te que j ai pratiqu de longues ann es durant et que je tiens pour d terminant Mais de porter attention et d explorer plus avant et de fa on syst matique ce qu implique l id e que nous retenons tous au moment de commencer le travail ethnographique selon laquelle les individus laborent ensemble l action en commun dans laquelle ils sont engag s dans le temps m me o ils l accomplissent Prenons l exemple de mon travail sur les actes de d sob issance civile dans certains services publics Universit coles h pital Il repose exclusivement sur l analyse des d tails techniques essentiellement li s la mise en place de dispositifs informatiques de quantification administrative qui organisent l activit des agents et des professionnels de 1 Texte pr sent au s minaire du CEMS 24 4 2011 2 Adresse de l auteur CEMS IMM EHESS 190 av de France 75013 Paris Email ogien ehess fr 3 Sur ces points voir Cr ativit de l objet Inventivit des donn es L imagination sociologique dans et pour l enqu te de terrain dans B Olszewka amp M Barth l my ds Les donn es de l enqu te Paris PUF 2011 Les articles cit s sont disponibles en ver
21. les qui s imposent eux ou des justifications qu ils donnent leur refus de les appliquer Tout cela peut faire l objet d autres recherches La question se pose donc de savoir qu est ce au juste que j tudie et est ce que les donn es que je recueille et analyse peuvent encore tre consid r es comme de nature ethnographique Ma d marche repose sur un postulat que je d duis de mon exp rience d enqu teur de terrain pour appr hender ce que font ensemble des individus pris dans une activit pratique il importe avant de les interroger sur ce qui se passe et d observer des sc nes d interaction et pour saisir le plus pleinement possible ce qu ils font et disent une fois que l observation a commenc de s int resser aux contraintes mat rielles initiales qui p sent sur l action en commun dans laquelle ils sont engag s C est qu une part importante que l ethnographie n glige souvent de ce qui guide les conduites individuelles pr existe l engagement effectif des personnes dans l action Je pose que cette part est contenue dans ces contraintes ou qu elle est immanente ce que j appelle la mat rialit du social Cette mat rialit il faut aller la d busquer dans l environnement physique conceptuel situationnel et institutionnel dans lequel une action en commun s inscrit c est dire dans cet espace objectif de relations qui sp cifie ce qu il est acceptable de faire d
22. leur utilisation intensive il n est pas impossible de penser qu un recteur d acad mie fasse installer des salles d injection d h ro ne dans les maternelles lorsque les enfants sont rentr s chez eux ou des peep show le soir dans les coles La num risation du politique entra ne une quatri me transformation qui est d terminante c est dans la d composition d une activit en param tres pertinents et dans l laboration d algorithmes de recomposition que la nature et l tendue des missions de service public se trouvent totalement reconfigur es C est galement de cette mani re que s impose la red finition du travail d une institution ou d un tablissement comme celle des modalit s d exercice d un m tier celui d enseignant de professeur de m decin de chercheur ou de juge Et ces reconfigurations finissent par prendre la force de l vidence dans la routine des saisies et des traitements informatiques qui se r alisent une fois le dispositif calibr de mani re automatique C est en tout cas ce qu on constate quand on analyse les r formes gestionnaires impos es l cole l h pital l enseignement sup rieur et la recherche la justice la police et la gendarmerie la culture etc Bref avec la num risation la production de chiffres est devenue un lieu crucial du politique au sens extensif qu on peut donner ce concept 16 Il faut pr c
23. ns sont trait es avec m pris au nom de l efficacit D autre part les agents charg s de remplir les objectifs qui leur sont assign s peuvent se sentir bafou s lorsque les obligations nouvelles qui leur sont impos es s opposent ce qu ils pensent qu elles devraient tre pour assurer le service qu ils sont cens s rendre aux citoyens Bref la tentation de l autoritarisme se profile derri re l implacable froideur du chiffre et avec elle l apparition de la peur de la r signation de l impuissance et de l indiff rence Toutes attitudes qui rompent avec l arri re plan de confiance sur lequel se d veloppent ordinairement les pratiques de la d mocratie Voil donc ce qui permet de pr tendre que la num risation du politique ou la logique du r sultat et de la performance qu elle met en sc ne produit bas bruit une lente rosion des cat gories de jugement l aide desquelles l action publique est habituellement appr hend e Cette imperceptible rosion se signale dans de petits remaniements qui p n trent le quotidien mais sont g n ralement tenus pour anodins A titre d exemples 1 Au lieu d tre investi d une mission porteuse de valeurs collectives politiques l agent de service public doit accomplir une t che en remplissant des objectifs chiffr s 2 L incitation financi re la prime se substitue l intelligence collective d une quipe ou au respect des mobile
24. nt en acte S il n est plus besoin de d montrer l cart entre les intentions de dirigeants ou d une institution et leur actualisation au quotidien et que les sociologues entendent faire progresser la recherche ils doivent donc passer autre chose Et cet autre chose pour moi c est l analyse de ce qui permet une action en commun quelle qu elle soit de se d rouler de fa on fluide et satisfaisante mais sans tomber dans les travers du d terminisme et du mentalisme La solution que je retiens est la suivante ce quoi l tude empirique d une forme d activit pratique concr te doit servir c est produire des donn es venant documenter l analyse de la mani re dont la coordination de l action se r alise dans la s quentialit m me de sa r alisation ou de comprendre comment les individus lient une s quence d action en commun une autre conjointement avec leurs partenaires dans le temps m me de son accomplissement En somme l horizon de la recherche n est plus celui d une ethnographie d une mani re de faire mais celui d une ethnographie des usages d un savoir faire en contexte en acceptant une certaine conception du recouvrement radical entre raisonnement pratique et action et en faisant l hypoth se que chaque forme d activit pratique engendre un savoir faire sp cifique Ce qui pose la question de savoir ce qu est analytiquement un savoir 5 faire 5 J ai essay
25. re dont ce concept se traduit en pratiques dans un r gime d mocratique on peut ensuite envisager parmi ces pratiques cette forme d action politique singuli re qu est la d sob issance civile et en venir enfin consid rer une actualisation concr te de cette forme d action un acte de d sob issance civile particulier dans une situation r gime d mocratique et dans une circonstance donn e elle m me prise dans un contexte singulier en entreprise ou en administration Au terme de cette d composition s est d gag un premier groupe de cat gories de jugement dont on peut bon droit estimer qu elles devraient tre communes aux participants la circonstance d action tudi e et donc figurer l arri re plan de ce que les gens font et disent lorsqu ils agissent de concert Cette fa on d entrer dans l enqu te oblige proc der un d placement du site d investigation ce n est plus l action collective dans son d roulement ses d terminants sociaux traditionnels les acteurs qui la font tre ce qu elle est et ce qui en r sulte concr tement dans l ordre des relations sociales effectives qui retiennent l attention mais tout ce qui l organise socialement et la rend possible et dont on fait l hypoth se qu il oriente massivement l ajustement des conduites individuelles les unes aux autres et leur assure leur coh rence d ensemble 3 D o est venu l int r t pour le th me de l
26. s ou des vocations individuels 15 3 Chaque agent est con u comme un ETP auquel est assignable une t che merci un professeur de math matiques qui doit galement enseigner le sport un urgentiste affect la chirurgie etc selon un principe de flexibilit 4 Les d cisions prises sur des crit res purement financiers directement reprises de rapports d audit peuvent avoir un caract re absurde l cole co te trop cher on d cide de r duire le nombre de mati res enseign es ou le nombre d heures de cours les frais de justice sont trop lev s on d cide de r duire le prix des analyses g n tiques 5 La technique de la segmentation des client les conduit d finir des cat gories fines afin de fixer des objectifs pr cis permettant la mesure exacte de la performance ce qui peut parfois de faire au m pris du principe constitutionnel d galit et de non discrimination comme ce fut le cas pour les Roms ou les ressortissants tunisiens traquer pour remplir les objectifs chiffr s fix s par les pr fectures 6 La dur e tant l ennemie de l efficacit on tend privil gier le recours des formes d action exp ditives incarc rer au lieu de r ins rer prescrire au lieu de soigner voter au lieu de d battre d cr ter au lieu de d lib rer 7 Le raisonnement gestionnaire introduit une certaine confusion morale Puisque les r gles de rentabilisation des infrastructures pousse
27. services rendus par l tablissement et selon l analyse de leurs r sultats d ajuster son offre en renon ant certains d entre eux ou en engageant des restructurations afin de r pondre aux indications du march Ce dispositif sert galement anticiper le changement et pr figurer les changements organisationnels et en ressources humaines qu il faudrait adopter pour survivre dans la comp tition C est pourquoi la num risation avec la logique du r sultat et de la performance qu elle permet d imposer est devenue un instrument strat gique dans l exercice du pouvoir comme on le constate avec les mesures de la RGPP Et c est pourquoi contester cette mani re de produire et d utiliser l information statistique en la bloquant au besoin comme le font les actes de d sob issance est une d marche de nature politique 7 C est ce type d int gration que la num risation vise r aliser dans toutes les administrations d Etat et qui dans le domaine de l enseignement sup rieur et de la recherche est l uvre travers la cha ne informationnelle mise en service par les logiciels mis en compatibilit Chorus LOLF SYMPA 2 Universit SIRHUS CNRS et SIFAC comptabilit analytique 14 La num risation engendre d autres transformations des rapports sociaux et de l ordre du politique L une d elles tient au fait que la d finition d objectifs chiffr s permet aux
28. sion PDF service public en fixant les t ches en structurant le traitement des donn es et en tablissant des relations entre syst mes d information sur un mode automatis La nature de ces d tails se d couvre dans des textes de lois des articles de r glements des documents d experts ou des manuels d instructions Bref ce que j ai examin pour ob ir ce que l objet que j ai d fini me dictait de faire c est avant tout le mode d emploi de la r forme gestionnaire de l Etat en cours depuis plus d un quart de si cle ce qu on appelle la modernisation tel qu il est formul dans les directives que les agents et les professionnels des administrations et des tablissements publics devraient suivre s ils devaient remplir les attentes de ceux qui les dirigent et j esp re que tout le monde admet avec les science studies qu un mode d emploi ne permet jamais lui seul de r aliser l op ration qu il d crit Je ne cherche donc pas rendre compte des pratiques c est dire de la mise en uvre concr te de la r forme de l Etat dans l ensemble des minist res de la mani re dont les directives y sont suivies des cons quences de ce changement sur le travail des agents et de son incidence sur ce que fait le service public Je ne rapporte pas non plus les contestations et les conflits auxquels cette transformation donne lieu en cherchant restituer le point de vue des agents au sujet des r g
29. t sur l ordre du politique ou les pratiques de la d mocratie ce qui est particuli rement le cas lorsque les restructurations et les concentrations de services r duisent au nom de la mutualisation et des gains de productivit la vigueur des contre pouvoirs et entravent les pratiques de la d mocratie C est que soumettre l activit de gouvernement la logique du r sultat et de la performance entra ne une s rie de transformations des rapports politiques La premi re de ces transformations est le fait qu on peut appliquer les m thodes de management en vigueur dans les entreprises l activit de l Etat Et ces m thodes qui sont d velopp es par une v ritable industrie du management et du conseil reposent sur des techniques sophistiqu es de recueil et de traitement de l information Ce sont ces techniques 6 Voir La valeur sociale du chiffre La quantification de l action publique entre performance et d mocratie Revue fran aise de socio conomie 5 1 2010 13 contenues dans les progiciels de gestion vendus cl en mains qui p n trent l univers des institutions d Etat mesure que ces dispositifs techniques ont t install s dans les administrations nous sommes insensiblement entr s dans une nouvelle poque celle de la num risation du politique c est dire cette forme particuli re de recueil de traitement et de diffusion de donn es statistiques qui au moyen de l interop
30. tions d entreprises en faillite etc Bref au nom de l efficacit les gouvernants mettent en uvre des politiques de retrait et de concentration de l Etat et de d m nagement du territoire qui remettent pratiquement en cause des valeurs collectives politiques sur lesquelles repose un r gime d mocratique l galit la justice la solidarit le respect de la personne l acc s aux besoins vitaux Mon travail sur le cadre technique et conceptuel qui accompagne l imposition d une logique du r sultat et de la performance dans les administration d Etat et qu illustrent les revendications de ceux qui la contestent en commettant des actes de d sob issance entend rendre compte de la pression qu exercent tous les petits d tails qui se nichent dans la routine de l activit quotidienne et rappellent en permanence et de fa on insistante aux agents et aux professionnels de service public qu ils doivent adopter de nouvelles mani res de faire une nouvelle conception de ce en quoi leur travail consiste et un nouveau vocabulaire pour en parler Quand on consid re les revendications des d sob isseurs on constate que c est la formulation m me des instructions qui leur sont donn es et la forme de raisonnement qu elles v hiculent ce ressassement des notions de performance de r sultat d excellence d valuation d efficacit de responsabilit de concurrence etc qui produit l motion politiq
31. ue l c urement face une obligation indigne ignoble ou inhumaine le d go t devant un discours public r pugnant l incompr hension devant l absurdit de lois ou de r glements qu il faut appliquer l irritation et la hargne devant le m pris affich par une direction qui d clenche le recours cette forme d action politique Le pari que je fais lorsque je rends publics les textes ennuyeux et roboratifs de la litt rature grise est d approcher cette motion en tablant sur le fait que tout un chacun est en mesure de la ressentir en exposant le caract re r p titif et la tonalit paternaliste des textes de loi rapports d audits prescriptions techniques et manuels de gestion qui diffusent la rh torique de la r forme gestionnaire et en captant sur un mode plus intuitif que d monstratif un peu de l atmosph re pesante dans laquelle cette r forme s impose ce qu on entend ce qu on dit ce qu on pense ce qu on suppose ce qu on exige ce qu on reproche etc Toutes ces choses qu on peut ensuite relever dans les dires et les compte rendus des personnes affect es par ce changement 4 Il faut sp cifier les conditions qui font qu un refus est un acte de d sob issance Tous les cas dans lesquels un agent ou un professionnel de service public enseignant juge m decin psychiatre policier gendarme agent de Pole Emploi travailleur social etc n applique pas une instruction qui lui
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