Remarques sur les rapports entre écrivain et
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1. haut le fait que Boccace dans sa conclusion invite les lecteurs 147 ceux qui lisent constituer leur propre anthologie choisir d apr s l intitul des r cits Remarques et hypoth ses conclusives 1 Le projet initial de l crivain distraire les dames se trouve comme on l a vu historicis partir de l exp rience de Boccace telle qu il la revoit et la corrige dans sa l gende biographique Expos ainsi une premi re fois le trajet du livre de la douleur la s r nit est repris une deuxi me fois gr te au sombre motif historique de la peste introduction la joie des r cits Le D cam ron est actualis gr ce la peste et relativis un personnage ainsi qu ses diverses variantes Boccace conteurs sous conteurs qui sont autant de relais entre la production de l objet livre et sa consommation Dante s adresse directement son public le Je narrateur de la Divine Com die se pose comme une conscience totalisante synth tisant une exp rience et rendant compte de cette exp rience Vous Chez Boccace la tension vers un public contemporain aux contours mal d finis lecteur potentiel d une oeuvre de divertissement l oblige une recherche formelle de ce public d o l approche qui des femmes amoureuses conduit la brigata de la brigata aux d tracteurs du livre de la brigata enfin l ensemble de ceux pour qui est crit le livre Dans ce syst me tages le plan qu on2. l horreur de ce d but ne vous soit autre chose que ce qu est aux voyageurs une pre et roide montagne apr s laquelle s tendrait une tr s belle et d lectable plaine qui leur est d autant plus agr able que la fatigue de gravir et de descendre a t plus pesante il s agit ici du parcours qui de la description de la peste de Florence en 1348 conduit le lecteur aux nouvelles Cette image d veloppe et compl te celle implicite du 144 pro me dans celui ci Boccace conduisait de sa propre histoire amoureuse la justification du livre l exp rience ici le chemin conduit de l histoire int rieure de l oeuvre jusqu aux r cits Suit d ailleurs la promenade qui dans la fiction romanesque de la cornice am ne la brigata de Florence jusqu la premi re villa o elle s journe fuite hors de la peste vers le jardin chemin du lecteur vers les r cits sans cesse diff r s en vertu d une r gle dilatoire courtoise qui exige que les contes trouvent leur place en des temps et lieux convenables Enfin quand Boccace veut figurer le conte lui m me il emploie encore une fois la m taphore de la promenade comme dans la nouvelle VI 1 o il est d montr que toute nouvelle quivaut une promenade cheval condition qu elle soit bien cont e le conte r ussi est une promenade exemplaire L image de l pre sentier est plac sous le signe d une n cessit contraint par n cessit Le titre de l Introduction l
3. moderne autonome c est dire contenant en elle m me ses principes d interpr tation et de moralisation m me s il arrive que certains exordes des conteurs proposent sinon une moralit pr tablie du moins une probl matique g n rale comme par exemple dans I 1 VL2 II 1 etc 5 L autonomie de la nouvelle ainsi d finie et crite et la qualit du plaisir intellectuel qui devient sa finalit principale supposent une coh rence interne du r cit laquelle ne saurait reposer que sur le principe de vraisemblance L exemplum r cit ayant pour finalit pratique d illustrer telle ou telle v rit morale pouvait se contenter de la garantie d une auctoritas auteur compilateur voire h ros connus servant elle seule de certificat de v racit Ma s seule la vraisemblance m me dans les p rip ties les plus improbables II 7 m me dans le traitement de th mes topiques comme celui de la sagesse de Salomon IX 9 peut assurer la tenue et la continuit de la nouvelle dont la possible valeur didactique se fonde sur des analogies plus fines plus diversifi es bref sur des situations difficilement r ductibles une grille de fonctions simples C est dans ces situations et dans leurs motivations temps lieux et milieux d ailleurs situ s plus que d crits que nous retrouvons avec 3 Cf L Sanguineti White Apuleio e Boccaccio Bologna Ed Italiane Moderne 1977 4 V Branca Boccaccio e le tradizioni letterar
4. pourrait nommer d dicatoire courtois contient tous les symboles culturels reconnaissables par une classe tandis que le niveau figural de la brigata propose en plus de ces m mes symboles la notion dynamique de mod le S y adjoint le plan du scripteur et du public r el divis entre des lecteurs potentiellement bienveillants mais encore silencieux et des d tracteurs actifs A la faveur du dialogue que le scripteur noue avec ces derniers au moment m me o le livre est en train de se faire la contemporan it p n tre dans le programme m me de l oeuvre 2 Sur ce point il faut noter que l insertion de la critique du D cam ron au sein m me du D cam ron claire une contradiction d ordre culturel En effet dans ses r ponses aux d tracteurs Boccace d fend ses nouvelles en posant les principes d une esth tique r aliste aux Muses qu on l accuse de n gliger il oppose les 148 femmes mais il minimise la port e de son projet style humble langue vulgaire savoir le choix conscient d une cat gorie dans la hi rarchie des styles Il affirme cr er une oeuvre de loisirs destin e un large public mais en m me temps il s en excuse il n est pas insensible au reproche qui lui est fait de produire une litt rature de consommation Ne voulant pas luder le d bat il identifie son anti public ceux qui vivent morfondus un groupe d intellectuels de la tradition de ceux qui selon Gramsci existe
5. qui dit le plus au lecteur et ce qui signifie le moins Quant au programme des journ es il est organis selon un classement tr s flou tant t par th me philosophique la Fortune tant t par d nouement heureux ou malheureux ou par situation les mauvais tours et bien des nouvelles chappent ce programme celles de la premi re et neuvi me journ e sujet libres la derni re nouvelle de chaque journ e beaucoup d autres pourraient tre 150 class es ailleurs ou class es dans plusieurs journ es Ces th mes sont plut t des syst mes de repr sentation id ologiques juxtapos s Ils repr sentent la premi re tentative d organiser l inorganique la vari t des choses de ce monde guides indications auxquels ne peut suppl er que l initiative individuelle faute d un syst me transcendant auquel se r f rerait Boccace 6 L quivalence auteur public postul e chez les conteurs suppose aussi dans le texte du D cam ron une quivalence entre entendre lire d une part conter crire d autre part Dans le recueil l acte d crire est pr sent comme second les conteurs ont parl toute la fiction de la cornice est crite au pass d fini l acte de conter a t premier il a pu m me tre pr c d par d autres actes de conter Les deux pratiques diff rentes sont inscrites dans la distinction entre conteur et scripteur 7 Par l Boccace pr te le flanc un reproche que se
6. REMARQUES SUR LES RAPPORTS ENTRE ECRIVAIN ET PUBLIC DANS LE DECAMERON DE BOCCACE Avant propos Les Remarques que l on lira plus loin ont paru en 1970 dans un num ro sp cial de la Nouvelle Critique consacr aux rapports entre la litt rature et l id ologie Malgr le temps coul elles peuvent se r v ler utiles d faut d tre dilettevoli aux tudiants qu un programme de concours national invite tudier la repr sentation de la soci t m di vale dans le D cam ron Cet nonc requiert une analyse pr alable de l objet soci t m di vale de quelle soci t m di vale s agit il 1 dont il faut d finir sommairement les limites chronologiques car toutes les nouvelles ne se situent pas dans un pass proche ainsi que les donn es socio conomiques qui sont complexes et volutives Ces 1 Cf G DUBY Des soci t s m di vales Le on inaugurale au Coll ge de France prononc e le 4 d cembre 1970 Paris Gallimard 1971 Le pluriel de ce titre et les quarante neuf pages de ce plaidoyer pour une histoire sociale du Moyen Age n ont rien perdu de leur actualit On citera ici deux passages Les historiens ont longtemps inconsciemment accord une place privil gi e aux activit s marchandes et la circulation de l argent faute d avoir exactement d fini le r le de la monnaie ou la nature des changes dans une civilisation aussi profond ment ancr e dans la ruralit que l tait celle de l O
7. a premi re journ e pr cise qu il s agit de la d monstration faite par l auteur de la raison pour laquelle ces personnes que l on verra ensuite ont t amen es se r unir pour converser ensemble n cessit logique et morale La peste explique la constitution de la compagnie exigence de vraisemblance la justifie moralement et par suite justifie les nouvelles et peu importe ici de savoir quels textes Boccace a int gr s sa description On voit comment le topos de la cour d amour est transform parce qu ins r dans une motivation r aliste et historique Par suite la peste et sa cons quence anecdotique la brigata servent fonder le narrable son utilit ses conventions ses contenus ses cueils en contant par personnes interpos es Boccace conte aussi comment les nouvelles sont racont es Quant l image du conte promenade VI 1 elle montre donc comment se promener comment conter Elle est assortie d une le on de rh torique r gles internes de la promenade le chevalier qui veut divertir la dame est un pi tre narrateur dont le r cit est imit au discours indirect par l crivain La mesure interne qui est propos e en fin de compte pour tout r cit est conforme aux r gles des artes dictandi qu il s agit de restaurer comme ailleurs il s agit de restaurer l art du mot d esprit en tant que seule forme valable de transmission Ainsi la promenade exclut elle le vagabondage Sur le plan de la lecture l
8. autrement ce par moi est il un lapsus ou signifie t 1il comme nous le croyons par mon interm diaire 146 Le scripteur Boccace est donc un nouveau m diateur il se place entre la brigata et le public r el A ce titre et apr s une longue neutralit r cit et commentaire en voix off des faits et gestes de la brigata il redevient lui m me un conteur il conte la parabole des oies pr sent e justement comme une parabole c est dire un r cit subordonn une fin ext rieure qui peut l gitimement tre partiel une nouvelle ou partie d une nouvelle c est dire ici se passer d pilogue et ne jouit pas de l autonomie laquelle les cent nouvelles peuvent pr tendre Dans le livre chaque r cit inscrit dans le temps de la brigata est un v nement Ici l v nement est l apparition de la critique au coeur m me du livre et l auteur aux conteurs au scripteur vient s ajouter l auteur d exemplum D autre part les conteurs ne constituent pas un groupe clos il leur arrive de d l guer leur parole des sous conteurs Par exemple dans la nouvelle V 9 le r cit est confi un citoyen florentin Coppo di Borghese Domenichi dont la fonction est multiple il cr e un effet de r el il cautionne comme t moin la v rit historique il repr sente l excellence dans l art de conter avec ordre et m moire et rappelle du m me coup l existence d un code moral des r cits florentins La nouvel
9. aventure du lecteur est exclue le romanesque d ment circonscrit La forme du D cam ron exclut tout al a romanesque le trajet de la brigata est le suivant d part de Santa Maria Novella s jour retour Santa Maria Novella Chaque nouvelle se lira en connaissance de cause car un titre en r sume le contenu v nementiel les nouvelles dit Boccace dans la conclusion 145 portent crit sur leur front ce qu elles rec lent en leur sein Les donn es de l anecdote sont d voil es Remarquons au passage que le syst me des fronti qu il soit ou non post rieur la compilation du recueil sugg re d ailleurs aux lecteurs un mode d emploi libre et personnel qui contredit l architecture des journ es ou pour le moins lui est parall le Il reste aussi centrifuges par rapport l image et aux probl mes du recueil et des nouvelles les l ments romanesques pr sents dans les rapports entre les membres de la brigata et o l on peut d celer une bauche de roman ainsi que des allusions aux oeuvres pr c dentes On peut y voir le pressentiment d une saga ventuelle o l on retrouverait les personnages de Filostrato Dioneo Fiammetta etc d une oeuvre possible th oriquement mais que rien dans les conditions actuelles ne permettra Boccace de r aliser Pour en revenir l image de l oeuvre et celle du conte elles impliquent l id e d une forme circulaire Le contenu du D cam ron se pr sente comme un inventa
10. ccident m di val p 9 10 Et p 10 Le sentiment qu prouvent les individus et les groupes de leur position respective et les conduites que dicte ce sentiment ne sont pas imm diatement d termin s par la r alit de leur condition conomique mais par l image qu ils s en font toujours infl chie par le jeu d un ensemble complexe de repr sentations mentales 136 donn es m me si on ne les retrouve pas toutes dans le D cam ron et m me si elles sont loin d en puiser le sens fournissent les bases indispensables d une lecture correcte et concr te d barrass e de toute imagerie na ve comme de toute id e pr con ue Certains pr jug s en effet ont la vie dure tel celui d un Moyen Age vu en bloc comme ge de foi ou comme une poque barbare situ e des ann es lumi re de notre monde contemporain o triompheraient la rationalit et la justice Le revival d un Moyen Age de pacotille du type Excalibur n est pas de nature bien au contraire dissiper ces illusions Une fois men e dans ses grandes lignes cette r flexion pr liminaire on s aper oit la lecture du recueil que celui ci m me s il couvre un large terrain chronologique et social est loin de restituer une vision int grale et organis e de la soci t Cela n entre d ailleurs pas dans le propos de l oeuvre car c est sur des bases avant tout narratives que s op re le choix des anecdotes puis dans un second temps leur ventilati
11. ce 1313 1375 entretient avec un public Et plus pr cis ment la mani re dont Boccace formalise ce rapport dans la programmation et la pr sentation du D cam ron Le rapport entre id ologies et soci t au XIVe si cle en Italie est tr s complexe Les mod les culturels diffus s par les intellectuels trouvent dans la civilisation des communes des conditions de r ception particuli res il faudrait ici pouvoir faire une tude des mentalit s et les mpettre en rapport avec l assise conomique et sociale voir aussi ce qui dans ces mod les est privil gi et ce qui ne 140 l est pas 6 Contentons nous d indiquer de fa on tr s sommaire qu en Italie le mod le courtois non seulement survit au r le dirigeant de la classe f odale qui continue par l m me assurer son h g monie culturelle mais se perp tue dans la mesure m me o les f odaux souvent urbanis s se confondent partiellement avec les grands bourgeois de la classe marchande exer ant les m mes activit s jusqu ce que se pr cise une v ritable alliance de classes fin XIVe d but XVe qui sanctionne la fois le triomphe d une oligarchie financi re et le blocage historique d une bourgeoisie qui n a jamais fait comme on le sait sa r volution 7 Dans ces conditions sp cifiques Boccace se trouve plac si l on veut entre l id ologie courtoise assimil e par lui lectures et culture de la cour de Naples o il s journa plus
12. e et de la d gradation des rapports sociaux signum par rapport auquel va s organiser la tentative de refondation des valeurs dans laquelle s inscrit le novellare des dix jeunes gens Ainsi l v nement est il 2 Cf R Romano Tra due crisi l Italia del Rinascimento Torino Einaudi 1971 p 13 34 137 n cessairement remis en perspective sans parler des divers mod les dont son criture est inspir e On voit la faveur de cet exemple comment s ins re entre l oeuvre et le social la m diation de repr sentations mentales et aussi une autre m diation non moins importante celle du projet m me du D cam ron Le D cam ron est avant tout l entreprise de r criture de tout un fonds narratif compos de contes de fabliaux d exempla de r cits latins etc A l exception de quelques anecdotes de la chronique florentine r cente il s agit donc de r cits d j crits et qui se trouvent recodifi s et r actualis s les nouvelles V 1 et VII 2 par exemple sont une adaptation d Apul e 3 La repr sentation de la soci t par cons quent trouve son espace dans cette r actualisation et cette recodification qui impliquent sur le plan de l criture une contamination une ironisation voire une parodisation de genres litt raires 4 La fonction d notative repr sentative est seconde par rapport un objectif premier qui est pour aller vite stylistique L exp rience a pour objet de fonder une narration
13. groupes de cette classe dirigeante florentine unie par familles alliances affinit s commerciales ou politiques Femmes amoureuses traduit donc m taphoriquement un fait social 4 L image de l auteur A ce public m taphorique correspond une premi re image de l auteur Cette image est aussi fantasmatique que celle du public Le Je qui parle dans le pro me premier actant du r cit celui qui s adresse aux femmes amoureuses n est pas bien entendu Giovanni Boccaccio mais un avatar particulier de ce dernier fortement mythifi C est le Boccace du Filocolo celui qui dit il a aim plus haut qu il ne convenait sa basse condition le Boccace de sa propre l gende naissance parisienne origine noble amours princi res etc c est celui qui autrement dit se donne pour le sujet du r cit D oeuvre en oeuvre d ailleurs la mystification prend corps et l on a comme un embryon de m moires falsifi s 143 Le rapport que cet auteur l gendaire entretient avec son public m taphorique passe par le rituel courtois d abord le service des dames il milite pour elles dit il ensuite le don consolation re ue de ses amis quand il tait malheureux et le contre don consolation des dames restitution indirecte du bienfait re u Dans cette situation le rituel courtois n est plus r p t comme une formule mais prend valeur de fonction r gissant la pr sentation du livre La Dame perd sa valeur symbolique et devient u
14. ie in AA VV Il Boccaccio nelle culture e letterature nazionali a cura di F Mazzoni Firenze Olschki 1978 p 473 496 138 une densit in gale un substrat socio historique d o l int r t du pr savoir et des pr cautions m thodologiques rappel es plus haut Cependant Boccace lorsqu il interpr te ces situations le fait au moyen de cat gories non plus socio historiques mais d ordre g n ral philosophique Prenons l une de ces situations l amour passion dont les nouvelles font appara tre qu il rencontre des obstacles ragion di mercatura exigences du lignage interdits religieux ou pure et simple incompr hension devant un ph nom ne il faut le reconna tre peu commun dans toutes les classes sociales Mais au del des faits de soci t que r v le le crible admirablement fin dont use notre auteur exp rimentateur le probl me qui subsume tous les autres est celui du conflit ternel entre la bestialit sous toutes les formes accidentelles rappel es ci dessus et les justes droits de la Nature Citons un autre exemple la c l bre nouvelle VI 2 Voici un texte qui ne peut se d chiffrer litt ralement qu en ayant l esprit le cadre corporatif de la Florence de 1304 avec sa hi rarchie institutionnelle qui va du popolo minuto m me tr s riche le boulanger Cisti reste au bas de l chelle jusqu l oligarchie des grands banquiers incarn e par messire Geri Spina Mais les rapports de force q
15. ieurs ann es et un mod le chevaleresque re u et per u par un autre groupe celui de la classe dirigeante florentine pour laquelle il crit le D cam ron C est seulement en ces termes croyons nous que l on peut tenter de dialectiser l opposition toute subjective et mythique que Boccace instaure dans les oeuvres pr c dant le D cam ron entre les univers napolitain et florentin Par rapport ces deux l ments sa marge d invention est assez restreinte et ses choix id ologiques ne sont r ductibles ni une position de classe ni l autonomie suppos e de deux mondes culturels D autre part r pertorier les th mes courtois par exemple n aboutit en soi qu une sorte de tri o bien des l ments contradictoires sont juxtapos s comment d cider que ceci appartient au pass mais quel pass ou au pr sent sans reconstituer arbitrairement des ensembles dont la coh rence ne d pend finalement que d un coup de pouce Du choix dont la pertinence critique n est plus gu re soutenable aujourd hui entre un Boccace m di val et un Boccace renaissant Ce qui nous semble significatif en revanche c est que Boccace n est pas m diateur entre un savoir intellectuel et un public abstrait mais entre une id ologie r fl chie et un public qu il se trouve dans l oeuvre contraint de postuler et de repr senter Cette exigence nous semble tr s visible dans le D cam ron avant le D cam ron Boccace tra
16. ire qui en revient toujours son point de d part la brigata l oeuvre narrative est ferm e et si diff rents types de nouvelles sont propos s et essay s ils le sont toujours l int rieur d une mesure narrative canonique Le rapport crivain public tel que Boccace le formalise s exprime donc d abord par une succession de calques superpos s o se r alise ce qu on a coutume d appeler l architecture du D cam ron du Boccace fictif de la l gende un conteur collectif le premier s adressant un groupe sociologiquement d fini les Dames le second un groupe qui est lui m me en situation d coute Mais cela pos le public r el entre son tour dans la probl matique des rapports entre crivain et public dont cette forme n tait qu une r v lation et une solution provisoires 6 Les ruptures du syst me Elles sont de deux ordres externe et interne Dans l Introduction la quatri me journ e le d dicateur du D cam ron s il se renie en tant que conteur cf pro me je raconte des nouvelles racont es par d autres se revendique comme compilateur et scripteur ces nouvelles crites par moi en langue florentine vulgaire et en prose donc responsable Responsable stylistiquement de ces contes qui ont t dits et responsable du contenu pour tout ce qui regarde l opportunit d une censure et l exactitude des faits certains disent que les choses racont es par moi se sont pass es
17. le est un objet qui se transmet et le scripteur Boccace n est que le dernier maillon de la cha ne Autre exemple certains personnages de nouvelles proposent eux m mes une relecture et une r interpr tation de leur propre histoire c est le cas dans la nouvelle d Alatiel du gentilhomme qui appara t la fin et fait la le on l h ro ne il lui fournit une version compl tement invers e des faits version qu Alatiel fera admettre contre toute attente son p re Dans la nouvelle ILS le r cit des amours de Zima et de ses vaines tentatives de conqu te amoureuse nous est fait trois fois la premi re par le conteur la deuxi me par Zima s adressant la dame et rappelant ses m rites pass s la troisi me par Zima r pondant au nom de la dame laquelle son mari a interdit de parler et reprenant laudativement les m mes l ments Zima utilise le r cit lui m me pour parvenir ses fins La nouvelle n est pas seulement transmissible et transmise elle est utilisable discutable interpr table du r el qu elle est cens e d crire on peut donner des versions Ces possiblit s n ont t qu bauch es par Boccace mais elles constituent l un des l ments les plus dynamiques du recueil A la rigueur formelle des canons du r cit s oppose donc une relative flexibilit du sens Enfin la circularit le recueil a un motif un but un d but un milieu une fin et une conclusion s oppose comme on l a signal plus
18. les plac es sous le signe de l exemplaire de l utilit et le D cam ron lui m me est plac sous l enseigne du service rendu distraire Mais de l adresse aux lecteurs Filocolo je m adresse aux amoureux il passe une v ritable explication des raisons d crire Or dans le D cam ron ces raisons d crire sont rejet es dans une pr histoire sentimentale du livre Le livre n est pas d un amoureux il est d un ex amoureux ou si l on pr f re d un amoureux calm mon amour m a laiss seulement cette heure dans l me le plaisir qu elle a coutume d accorder ceux qui naviguent sans trop s aventurer sur ses flots les plus sombres ainsi de cette amour nagu re si poignante la tourmente cessant il ne me reste rien qui ne soit d lectable 8 Le livre est le r sultat d une exp rience l exp rience est ici un terme interm diaire et indispensable elle dialectalise le rapport avec le public 2 La d limitation du public Dans le pro me Boccace s adresse aux femmes amoureuses Son lecteur n est pas donc ni neutre ni abstrait comme seraient les amoureux en g n ral La preuve a contrario de ce choix c est lors de la r ponse ses d tracteurs Introduction la quatri me journ e 8 Le texte fran ais des citations du D cam ron est d Giovanni Clerico 142 la reconnaissance par Boccace de l existence d un contre public Dans le Filocolo il dit j cris pour les amoureux des autres je
19. n ai cure dans le D cam ron il accorde une place ces autres contraint par la n cessit en l occurrence la rencontre de l oeuvre in fieri et de lecteurs r els 3 L image du public Premi re image du public les femmes amoureuses Les femmes amoureuses repr sentent le public fantasmatique de Boccace A un premier degr la description de leur condition manifeste un f minisme militant elles gardent craintives et honteuses en leur sein d licat les amoureuses flammes encloses brim es de surcro t par les volont s les caprices les ordres enfin d un p re d une m re d un fr re ou d un mari elles demeurent la plupart du temps recluses dans le cadre troit de leur chambre comme vou es au d soeuvrement au m me instant voulant et ne voulant pas elles roulent dans leur t te diverses pens es qui ne sauraient tre toujours divertissantes Mais c est surtout la premi re image d un public id al la premi re et non la derni re car la fin du D cam ron Boccace parle de ceux qui lisent qu on pourrait d finir par culture et loisirs Ce choix exclut diverses cat gories de lecteurs clairement d sign es par Boccace savoir les sp cialistes ceux qui tudient et qui poss dent le monopole du savoir ceux qui n ont pas de loisirs si vous avez autre chose faire c est folie que de lire ces nouvelles Il s agit d un groupe plus que d une classe d un cercle homologue des cercles ou
20. n signe 5 L image de l auteur public La compagnie des dix jeunes gens la brigata qui racontent les nouvelles est la fois la projection du lecteur exemplaire une autre figure du public et celle de l auteur Elle remplace les femmes amoureuses elle en est un exemplum une mise en sc ne explicative Par rapport au niveau d fini pr c demment par Boccace le lien est constitu par le fait que la brigata est la fois un signe social l usage de ces compagnies sera rappel dans VI 9 et un signe id ologique en ce qu elle rappelle les cours d amour et certaines nouvelles reprennent des questions faisant l objet de d bats dans le Filocolo mod le paradigmatique d une certaine civilisation courtoise Mais sa fonction essentielle est de figurer le lecteur Dans le m me temps Boccace se dessaisit son profit de sa fonction de conteur Ainsi appara t une double identit l identit auteur public et l identit formelle lire conter que nous analyserons plus loin 6 L image et la figuration du livre La premi re image du D cam ron que Boccace nous propose est celle de Prince Gal haut allusion au roman de Lancelot travers la r miniscence dantesque des amours de Paolo et Francesca qui d couvrent leur passion la lecture de ce m me roman c est dire de livre m diateur entre les femmes et la connaissance de l amour de ses signes et de ses protocoles La deuxi me image est celle de la promenade Que
21. nt avant que ne se manifeste la pr pond rance de tel ou tel groupe essentiel ici la bourgeoisie marchande lequel en h rite avant de s cr ter ses propres intellectuels organiques Boccace a donc conscience de sa propre position d intellectuel et en ce sens le syst me de pr sentation du D cam ron appara t aussi comme une tentative de conciliation culturelle la pr sence du code chevaleresque et la rh torique lui servant en quelque sorte d alibi qui se heurte malgr tout la r alit d une opposition sectorielle celle des doctes Et le public effectif de ceux qui lisent ces nouvelles masqu par les femmes amoureuses auxquelles le livre est d di sera cette classe dirigeante florentine cultiv e mais non latiniste qui fera du D cam ron le livre de chevet de tous les marchands 3 Deux mots encore sur la strat gie de cette r ponse Pour r soudre le probl me que lui posent ses d tracteurs Boccace emploie une conduite tr s litt raire il ins re l incident dans le livre il fait des critiques et de sa propre r ponse un objet de litt rature et donne une structure pistolaire l introduction de la quatri me journ e Dames tr s ch res dans laquelle travers les femmes il en appelle par del ses d tracteurs ses v ritables destinataires en escamotant provisoirement l arri re plan figural de la brigata 4 L identit auteur public postul e dans l invention de la brigata s ac
22. on en un programme de journ es th matiques On ne saurait oublier non plus le point de vue implicite ou parfois explicitement exprim de Giovanni Boccaccio qui citoyen li l oligarchie dominante et intellectuel en qu te d une reconnaissance sociale et de ce qui la fonde une situation stable ne saurait pas plus qu aucun autre crivain tre cr dit de la miraculeuse neutralit confirmant l ir nisme d un observateur de la nature humaine comme on disait au bon vieux temps Ces sages pr cautions m thodologiques doivent donc dissuader de lire le D cam ron comme un catalogue ou m me comme une chronique de l Italie m di vale Pour mesurer la complexit de ce probl me de repr sentation la c l bre descritpion de la peste de 1348 pr sent e justement comme une chronique tragique r dig e par un t moin oculaire nous fournit un bon exemple Voil un v nement historique d une port e europ enne mais l histoire nous enseigne qu il couronne un long cycle de disettes et d pid mies et s inscrit de surcro t dans une crise conomique et sociale jalonn e dans toute l Europe par des r voltes urbaines et paysannes 2 Or cet v nement occupe dans le D cam ron la place strat gique d un orrido cominciamento ce qui suffirait d j en orienter le sens De plus il est interpr t conjonction astrale n faste ou ch timent divin comme une catastrophe absolue un signum de la d cadence du mond
23. s d tracteurs ne manquent pas de lui adresser raconter les faits autrement qu ils ne sont advenus Sa r ponse est en substance montrez moi les originaux En fait dans le D cam ron la vraisemblance l int rieur du livre remplace la v racit du conte et exclut aussi toute v rit univoque de nature transcendante Mieux encore Boccace propose comme on l a vu des perspectives de lecture diff rentes de ses nouvelles Claude PERRUS
24. teur collectif mais id ologiquement elle repr sente la restriction du public un cercle restreint une client le qui n prouve aucun besoin de s expliquer 5 Les conteurs invitent eux aussi un certain type de lecture Le choix du r cit reste libre m me lorsqu il y a un th me impos qui n est qu une contrainte de cr ation L un des conteurs dit un moment donn j avais pens une autre histoire mais j ai chang d avis il y a bien des contes non dits De m me comme on l a vu le lecteur est invit choisir lui m me la n cessit du recueil est fonction de l individu chacun poss de sa propre clef Boccace indique tout au plus le mode d emploi Ce qui revient certes faire confiance au lecteur mais repose sur un crit re aristocratique une pr s lection de lecteurs fins liseurs Le lecteur choisit donc d apr s le titre dont le contenu est anecdotique et r sume les principales s quences d action tel ou tel type d aventure Les personnages sont d sign s le plus souvent par leurs noms L anthologie qui se profile est une anthologie de situations et une revue de personnages situations et personnages parfois d j connus et en tous cas contenant les l ments d un recueil proverbial L introduction de chaque r cit ne fait que proposer une loi g n rale que les aventures et situations particuli res v rifieront ou non Le titre des nouvelles comme leur introduction sont donc la fois ce
25. tualise dans une situation historique peste de 1348 qui est aussi la situation id ologique des cent nouvelles inventaire et bilan du monde et d une civilisation qui s croule en 1348 selon une vision catastrophique propre l auteur Cependant le sens de cet inventaire demeure dans les nouvelles elles m mes qui se juxtaposent se commentent mutuellement l intervention des conteurs se bornant le plus souvent les moraliser assez faiblement Dans l Introduction Pampinea annonce et amorce elle m me un mouvement dialectique de r flexion et de bilan mais 149 cette annonce reste sans lendemain tout au long du recueil les conteurs resteront au dessus des nouvelles leur t che finit avec le conte La brigata public s amuse rit applaudit pleure etc mais ces plaisantes conversations entre les journ es ne sont pas rapport es mais seulement indiqu es comme un signe de convivialit En somme cet intellectuel collectif est le seul poss der la clef du recueil mais il ne la livre pas Nous sommes fond s faire cette remarque dans la mesure o Boccace lui m me laisse parfois entendre qu il y a un sens cach Ainsi dans la premi re nouvelle le conteur donne des indications assez longues sur le probl me religieux qui serait selon lui l axe de la nouvelle mais il faut d chiffrer ces indications celles du texte et l ensemble demeure nigmatique Formellement la brigata est l expansion de l auteur dans un con
26. ui r gissent la soci t sont gr ce au mot d esprit transf r s sur un plan interindividuel qui lui m me ruse de l id ologie permet de sugg rer l hypoth se d un consensus destin conserver ces rapports tels quels voire en am liorer le fonctionnement Ce conservatisme ne vise pas seulement de mani re utilitaire le r gime communal il rel ve d une vision g n rale des rapports sociaux que pourrait illustrer tout aussi bien la complicit intellectuelle entre par exemple un marin et un capitaine ou comme dans IIL 2 un palefrenier et son roi L interpr tation du social n est donc jamais directe comme le confirment par ailleurs les discours de l auteur et ceux de ses conteurs Ces discours s articulent autour de valeurs dont certaines comme l urbanit ou la production de richesses traduisent incontestablement l inscription directe de Boccace dans la dynamique socio conomique de son temps mais dont d autres comme la courtoisie appartiennent des r alit s id elles 5 Ancr dans l histoire le D cam ron la juge de haut et de loin La cornice pr cis ment outre qu elle assure au sein de la vari t des contenus et des genres narratifs la fonction d un tissu conjonctif nous repr sente travers la brigata ce point de vue de haut qui pour l essentiel et avec toute l ouveture d esprit que l auteur pr te aux 5 Cf les analyses de M Baratto Realt e stile nel Decameron Vicenza Neri Po
27. vaille d apr s certains mod les les am nage mais de l int rieur sans que le rapport crivain public soit directement l objet d une r flexion Dans le Filocolo qui reprend les 6 Cf Georges Duby Histoire sociale et histoire des mentalit s Nouvelle Critique n 34 mai 1970 p 11 19 7 D o la contradiction entre le r le international des humanistes italiens de la Renaissance et leur incapacit promouvoir une culture nationale cf Gramsci 141 amours de Floire et Blanchefleur l auteur intervient certes c est son amour dit il qui est l occasion et le pr texte du r cit le public auquel il s adresse est la foule de ceux qui aiment mais cette cat gorie reste abstraite Dans le D cam ron au contraire l auteur prouve le besoin de se situer et de situer son public d une certaine fa on par rapport au r cit L apparition m me d un principe de classement des nouvelles est un indice de ce rapport nouveau Boccace a donc fait en sorte que ce rapport crivain public soit lisible et nous allons tenter de d crire cette forme et de tirer de cette description quelques indications Configuration des rapports entre l crivain et son public dans le D cam ron 1 La conscience du public chez Boccace L auteur souligne la chose n est pas indiff rente que son livre s adresse des lecteurs A la m me poque bien des ouvrages manifestaient indirectement cette conscience les Fiori choix d anecdotes mora
28. zza 1970 et en particulier le chapitre Orientamenti morali del Boccaccio 139 membres de ce c nacle et postule chez ses lecteurs est un point de vue alto borghese Mais surtout la distance entre les donn es de l histoire et la repr sentation qu en fournit le D cam ron est mise en vidence par la structure ench ss e du recueil avec son syst me de d l gation de parole et les ruptures l int rieur m me du syst me Cette cornice ne r pond pas un souci esth tique mais elle est une v ritable machine s miologique charg e de r pondre des interrogations qui portent sur l entreprise narrative sur la valeur intrins que de ces faibles comme produit culturel sur leurs chances de succ s c est dire sur la d finition de leur public de leurs publics et de l horizon d attente des lecteurs On ne saurait n gliger ces interrogations car elles traduisent par un retour de l histoire une situation culturelle et nous rappellent qu il ne suffit pas un crivain surtout quand il a du g nie de se mettre sa table pour que soit r solu le conflit qui oppose in vitablement le travail de l criture et les habitudes mentales de la soci t kokk Remarques sur les rapports entre crivain et public dans le D cam ron de Boccace Ce qui est en cause dans cette tude est un aspect particulier de la question litt rature et id ologies savoir les rapports sp cifiques qu un crivain en l occurrence Bocca
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