Glauber Rocha et l`image-exil dans Claro
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1. CiN MAS vol 15 n 1 IV Les superpositions rocha ennes des langues En analysant l uvre th trale de Carmelo Bene dans Claro le dramaturge italien joue le r le d un travesti bourgeois qui fait un long monologue sur Paristocratie occidentale Deleuze dans Bene et Deleuze 1979 p 105 souligne Pimportance chez lui du refus ou de l impossibilit du dialogue C est curieux comme il my a pas de dialogue dans le th tre de CB car les voix simultan es ou successives superpos es ou transpos es sont prises dans cette continuit spatio temporelle de la varia tion La variation assure le mouvement et la transition d un nonc l autre nonc s qui s imbriquent se transforment se refl tent comme si le dehors intervenait l int rieur des phrases et d s lors suscitait une criture op ratoire et dont l effet sur le lecteur est tr s fort tr s trange Deleuze dans Bene et Deleuze 1979 p 106 Dans Claro Rocha donne apparemment la voix tous conf rant chacun des nonc s personnels du noble jusqu au riche industriel du soldat am ricain l immigrant noir de Phomme politique au manifestant Les discours se confrontent se superposent se mixent ils traduisent surtout Pimpossibilit d tablir des liens par la parole de fonder une parole coh sive lin aire chronologique ou m me historique Il y a toujours des interruptions des arr ts des b gaiements2. Dans un processus de survivance Rocha transgresse alors la barri re des autres langues pour les d structurer de l int rieur il les m lange les d compose les rend trang res Dans cette perspective Rocha va mettre en sc ne tous les types de discours des personnages mieux encore il va montrer leur grande diversit en les int grant et en les opposant les uns aux autres La langue italienne est soutenue et erratique lorsqu elle est utilis e par un aristocrate dans la bouche d un bourgeois travesti pompeux et polyglotte elle n exprime qu un discours vide et narcissique les manifestants et le peuple habitant la p riph rie romaine prouvent quant eux une difficult manifeste s exprimer la parole est chez eux entrecoup e par des bruits et devient impossible En bref l aristocratie ma trise la langue mais n a rien dire alors que le peuple aurait tout dire mais n y arrive jamais La langue de la jeune Fran aise n est pas probl matis e elle nen parle pas d autres il en est de m me pour l Am ricain Les Africains soul vent quant eux un autre type de probl me puisque ce n est pas leur langue qui fait d faut mais leur corps ils ma trisent parfaitement la langue mais demeurent une conscience critique de leur descendance de Pailleurs Ainsi en est il du personnage de lAfro Am ricaine qui reproche un soldat d avoir tu son peuple Le chaos imag et sonore de Claro t moignerait i
3. Mem ria e comunidade letra e a voz litera tura medieval S o Paulo Companhia das Letras 1993 Glauber Rocha et Pimage exil dans Claro l 03
4. lang e dilu e dans Pitalien et le fran ais la langue portu gaise devient la fois inaccessible et obstin ment pr sente Elle devient inaccessible parce que Rocha est le seul qui puisse la comprendre en effet il n a pas d interlocuteur dans le film sauf peut tre le spectateur dont il d nonce la pr sence en regardant la cam ra tandis que par son fort accent et par sa parole il m lange passionn ment toutes les langues dans une seule phrase Les multiples langues pr sentes dans Claro taient d j fusionn es dans un autre film de Rocha Der leone have sept cabe as r alis au Congo Brazzaville en Afrique en 1970 Comme son titre l indique le film pr sente les langues des colonisateurs l allemand l italien l anglais le fran ais et le portugais dans une perspective all gorique Ces langues suscitent un jeu controvers et des affrontements en effet aucune d entre elles ne devient la langue du colonis lequel est confront l impossibilit de s exprimer car les langues in carnent toujours la parole de PAutre du Pouvoir et de la sou mission Glauber Rocha et Pimage exil dans Claro D 94 Dans Claro ce conflit des langues nationales appara t quand celles ci transitent par l espace filmique alors que chacun des personnages a la possibilit de discourir dans sa propre langue Dans une s quence du film la protagoniste Juliet Berto parle en fran ais un Noir africain et celui ci
5. a b ti l une des filmographies les plus importantes exp rimentales puissantes visc rales et pol miques du cin ma br silien Tous ces adjectifs sont des lieux communs pour les admirateurs de son uvre quand ces derniers parlent de la mani re agit e rageuse et passionn e avec laquelle Rocha s exprime Dans les ann es 1960 il a cr avec un groupe de cin astes le mouvement du Cinema Novo qui a fait le tour du monde et qui a contribu faire conna tre le cin ma politique de l Am rique latine Il a publi la m me poque deux manifestes Esth tique de la faim et Esth tique du r ve Cinq ann es apr s le coup d tat de 1964 par les militaires instaurant un r gime dictatorial qui durera vingt ans Rocha part en exil Et en 1975 apr s six ann es au cours desquelles il r sida en Europe Cuba et en Afrique il r alise en Italie le film Claro qu on pourrait qualifier de semi autobiographique Desth tique cin manoviste du d but de sa carri re au Br sil Le Dieu noir et le Diable blond 1964 Terre en transe 1967 et Antonio das Mortes 1969 prend un nouveau souffle pendant l exil notamment avec la radicalisation de son caract re exp rimental et avant gardiste Der Leone have sept cabe as 1970 T tes coup es 1970 et Claro 1975 Malgr cela le con tenu politique et r volutionnaire de ses premiers films reste pr sent En effet cette radicalisation est mise au service du dis cours p
6. apr s son retour de la guerre du Vietnam se demande tr s attendri sur lui m me sil n est pas un bien pauvre type d avoir g ch sa belle jeunesse tirer sur des Viets sans m me le faire expr s et sans intention de donner la mort Pierre 1987 p 243 un autre moment il converse avec son amante une Noire am ri caine qui lui reproche d avoir tu son peuple Cependant on peut se demander si le film produit v ritablement ce m lange s il est une uvre m tiss e ou s il ne montre pas simplement la diversit culturelle une profusion de langues et de cultures sans cr er de relations effectives entre elles Claro serait il simplement un film multiculturel qui respecte CiN MAS vol 15 n 1 et pr sente la complexit des diverses cultures et origines raciales La langue de Pexil d plac e et corch e par des accents et par des enchev trements de mots issus d autres langues s inscrit elle dans un devenir mineur La langue dans Claro est un l ment autant esth tique que culturel qui soul ve la question de la diff rence et d limite les territoires de chacun Toutefois il faut la faire devenir encore plus mineure dans son processus minoritaire de langue de l tranger autant dans ses puissances que dans ses faiblesses ses intermittences et ses accents Il faut souligner ses diverses particularit s qui t moignent d une tran get devant l espace et l histoire
7. circonscrit de l cran Dans l image habitent ces indices du dehors qui nous renvoient une autre perception de l image Au del d une possibilit cette image est cr e dans Pinterstice dans Parr t du temps dans la juxtaposition spatiotemporelle ou par un regard d tranget il s agit d une image en devenir En quoi le cin ma est il le m dium le plus apte r v ler cette situation gr ce ce que j appelle Pimage exil Deleuze 1985 p 203 d une certaine fa on r pond la question C est seulement quand le mouvement devient automatique que l essence artiste de l image s effectue produire un choc sur la pens e communiquer au cortex des vibrations toucher directement le syst me nerveux et c r bral Parce que l image cin matographique fait elle m me le mouvement parce qu elle fait ce que les autres arts se contentent d exiger ou de dire elle recueille l essentiel des autres arts elle en h rite elle est comme le mode d emploi des autres images elle convertit en puissance ce qui n tait que possibilit L image capt e en exil pr sente ainsi les enjeux auxquels doit faire face Pexil l tranger elle contient tout ce que l homme lui m me per oit et comprend de cette exp rience non seule ment comme une simple repr sentation mais comme si la cam ra et l image qui en est issue produisaient aussi l absence et la distance provoqu es par lexil Pimage exil
8. des phrases incom pl tes comme si toutes ces choses exprimaient l attente d un dialogue avec PAutre ou peut tre avec le public Par contre c est dans ces intervalles que le film gagne sa force sa puissance sa raison d tre comme s il tait une uvre litt ralement ouverte au dialogue l Autre Or cela para t contradictoire puisque les dialogues font d faut dans le film Plusieurs parlent presque personne n coute comme dans les s quences bruyantes qui mettent en sc ne des manifestants et des politiciens M me la messe papale sur la place Saint Pierre semble tre un acte politique contestataire ou r actionnaire mais surtout bruyant Dans l une des premi res s quences du film le cin aste Rocha se place devant la cam ra et essaie de raconter une his toire sur l Europe Une jeune fille l interrompt soudainement pour lui demander manger La s quence commence en voix Glauber Rocha et Pimage exil dans Claro 91 72 off on voit la statue d Auguste Octave au centre d une place italienne La derni re image de l Occident La derni re image de l Occident Puis subitement Glauber marche sur la place et commence raconter son histoire en regardant la cam ra Le centre c tait a mais nous sommes partis Il est n en Suisse ensuite il est all dans un autre lieu il est all dans un autre lieu il s est engag dans le terrorisme Sa m re tait morte dans un
9. espace tranger en proposant un discours id ologique adapt l exil impos par Glauber Rocha et Pimage exil dans Claro l 0 l un r gime autoritaire et qui en exprime la saudade Claro invente une esth tique unique Et en remettant en question la narrativit et l image cin matographique en mixant des l ments sonores disparates en ayant recours aux superpositions en d doublant le peuple par exemple dans les sc nes de la favela romaine ou encore la fin du film en d doublant l espace et les l ments m diatiques revues journaux Rocha ne fait il pas galement de son film une d claration politique Chez Rocha le politique est une force plus qu un discours et le po tique est une puissance plus qu une esth tique Simon Fraser University NOTES 1 T moignage recueilli par l acteur Patrick Bauchau et film en vid o amateur en avril 1981 Sintra au Portugal quatre mois avant la mort de Rocha 2 Ces textes sont disponibles en ligne Padresse suivante lt www tempoglauber com br gt 3 Il tait d j pass par Pexp rimental dans le court m trage Cancer de 1970 1972 r alis avec la m me quipe et les m mes acteurs que Antonio das Mortes 4 T moignage recueilli dans le documentaire Que Viva Glauber de Aur lio Michiles TV Cultura 1991 5 La litt rature dite de cordel de cordeau est ainsi appel e parce que sa forme de diffusion crite il s agit en
10. l a tr s joliment dit le cin aste italien Gianni Amico dans les favelas cariocas Pierre 1987 p 66 En transposant son univers br silien en Italie il fait le pont entre les deux espaces de son exil l Am rique latine qu il r ve de pouvoir regagner et l Europe ce vieux continent qui refuse son cin ma le succ s et la cons cration Claro illustre ainsi la perte de la terre natale le moment de ressourcer ses vieilles racines son propre besoin d inscrire l histoire du Br sil dans un flux universel des civilisations Pierre 1987 p 66 Cela parce que le Br sil devient un mirage et de souvenir nostalgique se transforme en une m moire m lancolique telle une image illu soire comme s il tait impossible de le retrouver quelque part comme si son absence rendue sensible dans les images fil m es en Italie condamnait Rocha une perte irr parable et irr versible inh rente Pexil D ailleurs le r alisateur craignait depuis longtemps cette nostalgie habit e le pays appel Br sil est tellement l int rieur de nous qu il nous est impossible de le faire sortir La musique br silienne qu la fin du film Rocha coute et dont il chante les paroles incarne une nostalgie pure de Pailleurs Il n y a vraiment personne avec qui la partager Rocha tait pris au pi ge la lutte contre le pouvoir capita liste pr sente galement dans ses films ant rieurs devient en e
11. lui donne une valeur d nonc collectif pour l opposer aux mythes du colonisateur Sa force critique permet de d gager sous le mythe un v cu actuel Pintol rable l invivable l impossibilit de vivre maintenant dans cette soci t Glauber Rocha consid re que la violence est le moyen id al pour alerter le monde au sujet de l existence d une culture sous d velopp e comme c est le cas pour la culture br silienne Celle ci est le r sultat d une politique colonisatrice mais qui peut d clencher le mouvement de son ind pendance et de sa nouveaut Notre originalit c est notre faim La violence du colonisateur envers le colonis est maintenant renvers e La culture br silienne va na tre apr s ce mouvement Elle va surgir de la violence r volutionnaire CiN MAS vol 15 n 1 II Rocha Pexil En 1968 les militaires mettent en place de nouvelles mesures de contr le des m dias et censurent toutes les formes de pens e susceptibles d tre subversives ou contestataires S tant d j fait prendre et pers cuter par la police Rocha entreprend de s exiler du Br sil en 1969 alors que son film Terre en transe est interdit dans tout le pays D abord il r alise deux films l tranger Der Leone have sept cabe as et T tes coup es Puis en 1971 il part d finitivement en exil Cuba et en Europe jusqu en 1976 Claro r alis en 1975 constitue un d tournement un n ud dans l
12. lui r pond en italien V tue d une sorte de ch le p ruvien et d un chapeau de paille br silien elle lui demande de laide il refuse Je suis fatigu J ai voyag j tais en Afrique en Am rique au Br sil au Congo Je suis fatigu je ne supporte plus Ici il y a boire manger de amour tout ci on mange J aime bien je m amuse En guise de r plique elle le pousse afin de lui donner une conscience r volutionnaire reconduisant ainsi une vieille id e rochaienne pour que la conscience r vo lutionnaire d une classe populaire et marginalis e soit veill e il faut lui faire violence et lui montrer la r alit laquelle elle est soumise Ah oui Ganga tu es devenu le gardien de l Enfer Tu tais battu au fouet Tu tais vaincu Ils ont tu tes fr res Ils ont viol tes s urs Tes vieux taient extermin s vous avez coup de la canne sous le soleil dans tous les endroits Une autre pratique typiquement rocha enne consiste confier aux diff rents personnages des nonc s collectifs Ganga n est pas un Noir africain en Italie il repr sente et incarne le discours de tous les Noirs de tous les ges qui ont t faits esclaves Dans une autre s quence on voit un ex combattant am ricain qui se tient devant un miroir Dans le reflet on reconna t aussi la jeune fille omnipr sente dans toutes les s quences du film telle une conscience r v latrice Le soldat am ricain
13. premier lieu d une litt rature orale et m me le plus souvent improvis e consistait en petits livrets broch s et orn s de gravures sur bois qui taient vendus sur les foires du Nordeste nord est br silien surtout par des colporteurs qui les pr sentaient suspendus une ficelle Avant d tre litt rature les r cits de cordel dans un monde rural peu p n tr par les communications de masse avaient essentiellement pour mission d informer sur certains v nements sensationnels tel que l arriv e du cangaceiro Lampiao en enfer ou la mort de Glauber Rocha 1981 C est dire quel point ces r cits en vers confondaient le niveau r el et la mythologie Pierre 1987 p 38 6 L Tmage exil th se de doctorat soutenue au D partement de litt rature compar e de l Universit de Montr al sous la direction de Silvestra Mariniello 7 Selon Deleuze et Guattari dans Kafka Pour une litt rature mineure 1975 la litt rature mineure distingue trois caract ristiques la d territorialisation de la langue le branchement de Pindividuel sur l imm diat politique et Pagencement collectif d nonciation 8 Saudade dans une premi re d finition serait un ensemble de sentiments qui engloberaient la nostalgie la m lancolie le manque le d sir et la solitude Selon P crivain portugais Carlos Ascenso Andr 1992 p 44 le sentiment de saudade depuis le Moyen ge est consid r comme un sen
14. Article Glauber Rocha et l image exil dans Claro Hudson Moura Cin mas revue d tudes cin matographiques Cin mas Journal of Film Studies vol 15 n 1 2004 p 81 108 Pour citer cet article utiliser l information suivante URI http id erudit org iderudit 011660ar DOI 10 7202 011660ar Note les r gles d criture des r f rences bibliographiques peuvent varier selon les diff rents domaines du savoir Ce document est prot g par la loi sur le droit d auteur L utilisation des services d rudit y compris la reproduction est assujettie sa politique d utilisation que vous pouvez consulter l URI https apropos erudit org fr usagers politique dutilisation rudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif compos de l Universit de Montr al l Universit Laval et l Universit du Qu bec Montr al Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche rudit offre des services d dition num rique de documents scientifiques depuis 1998 Pour communiquer avec les responsables d rudit info erudit org Document t l charg le 16 novembre 2015 08 36 Glauber Rocha et l image exil dans Claro Hudson Moura R SUM Le cin aste Glauber Rocha est l auteur de l une des uvres cin matographiques les plus importantes les plus exp rimentales et les plus pol miques du cin ma br silien En 1975 apr s six ans d exil en Europe il r alise en Ita
15. accident d avion Je suis venu ici deux fois et ensuite une fois encore Je ne me souviens plus o tait ce Il arr te son discours Que veux tu demande t il la jeune fille qui s approche Et en revenant la cam ra il continue sa narration Je suis venu venu ici et il y avait Je suis aussi ici et je veux une chambre dit elle Une chambre Alors il venait c tait une nuit une chose continue t il Elle insiste Une chambre La m re tait morte dans un accident d auto mobile Il continue raconter en se tournant mainte nant vers la jeune fille Elle r agit en riant Va te faire f Tu comprends Il y avait un terroriste un autre qui ensuite fut arr t Survint une histoire de de suicide La lutte des classes est dure tu veux Ce dialogue un peu absurde met l accent sur plusieurs aspects du film notamment la parole la langue et le discours en plus de montrer le caract re fr n tique et puissant du r alisateur qui s adresse la cam ra avec un regard fixe et s exprime par gestes tout en dirigeant simultan ment le cam raman Dans le film on sent cette urgence et ce besoin de dire dans le cas de Rocha la parole est surtout expressive Comme le dit Blanchot 1969 p 106 le fait que la parole a le besoin de passer de Pun Pautre soit pour se confir mer soit pour se contredire ou se d velopper mont
16. auber Rocha et Pimage exil dans Claro 85 86 lesquels se sont perp tu s gr ce la litt rature de cordel les cangaceiros le beato proph te le vacher le colonel le tueur gages matador le chantre qui est en quelque sorte le gardien de la m moire du sert o Selon Jerusa Pires Ferreira 1993 le po te populaire nous met devant une iconicit recueillie dans un r pertoire qui vient du mythe du conte d enchantement et dans sa trajectoire il va r unir d autres textes dans un continuum temporel La rivalit entre Dieu et le diable ainsi que la terre sans malheurs sont des motifs cou rants dans la litt rature de cordel Paul Zumthor dans M moire et Communaut 1993 souligne le fait que la voix po tique assume la fonction coh sive et stabilisante sans laquelle le groupe social ne pourrait vivre elle est une r f rence perma nente et s re pour une communaut et elle est en m me temps proph tie et m moire En ayant cela l esprit Rocha investit ces personnages populaires d une nouvelle fonction le devenir r volutionnaire Selon Gilles Deleuze 1985 dans l uvre de Glauber Rocha les mythes du peuple le proph tisme et le banditisme sont l envers archa que de la violence capitaliste comme si le peuple retournait contre lui m me la violence qu il subit d autre part Le Cinema Novo exalte la fabulation qui caract rise la parole vivante qui en assure la libert et la circulation qui
17. ble tr s clair le moment dans lequel la conclusion du film les gens pauvres occupent l cran le peuple doit occuper l espace qui lui a t pris pendant des si cles d oppression Rocha 1975 Glauber Rocha et Pimage exil dans Claro 8 88 Mais Claro a t tr s mal re u par la critique fran aise apr s que Glauber Rocha eut t proclam l un des meilleurs cin astes de sa g n ration Le critique Jacques Siclier dans Le Monde a vu dans le film un m pris du langage bourgeois et un go t pour Pimpr cation dans Rocha 1998 p 46 Jean Louis Bory du Nouvel Observateur a consid r le film comme l exemple d un narcissisme confus insupportable et perp tr Rome dans Rocha 1998 p 46 La r gle semble g n rale le film est le moins connu de son uvre et le plus marginalis En Europe alors qu il est sous l emprise de la nostalgie et tente de rentrer au pays apr s six ans d exil Rocha crit dans la presse br silienne un article passionn faisant P loge de la dictature militaire Cet acte sera tr s mal per u par les intellec tuels br siliens l int rieur et hors du pays Geste de complai sance envers les militaires il ne sera jamais oubli ni m me pardonn par certains la fin de sa vie au moment de subir de nouveau lexil cette fois ci au Portugal il rentre au Br sil et meurt d un cancer quelques jours plus tard Claro est essentiel pour comprendre l uvre
18. dans le cas de Rocha aux histoires populaires Le Cinema Novo rompt avec l esth tique du cin ma classique am ricain des ann es 1950 Il opte pour une nouvelle concep tion esth tique selon un processus que les artisans appellent eux m mes la d colonisation de l image et du contenu des films cam ra la main photographie contrast e montage discontinu musique interpr tative son direct improvisation et dialogues libres Largement influenc par le mouvement du cin ma d auteur de la Nouvelle Vague selon le cin aste Caca Diegues le projet du Cinema Novo est tr s simple On peut le CiN MAS vol 15 n 1 r sumer en disant qu il visait trois choses transformer le cin ma br silien transformer le cin ma proprement dit et transformer le monde D apr s Glauber Rocha cin aste embl matique de ce mouvement l auteur est responsable de sa v rit son esth tique est une thique et sa mise en sc ne est une politique Les mots de Rocha t moignent du fort engagement social des cin astes Selon Paulo Emilio Salles Gomes 1986 p 98 l un des critiques majeurs de l poque la signification du Cinema Novo pour le cin ma br silien est tr s importante Il refl te et cr e une image visuelle et sonore rendue coh rente pour la majorit absolue du peuple br silien Dans le texte Esth tique de la faim 1965 crit par Glauber Rocha la demande des organisateurs d une r trospective du ci
19. e Pon voit dans la sc ne finale d nud apr s une marche dans les rues de la ville Outre le jeu de la critique et de la manifestation o est la po tique de Claro sinon dans la nostalgie dans la saudade Hors du Br sil sa lutte perd elle son sens Il ne peut en effet s appuyer sur une base combative et une autorit politique repr sentative qui puissent mettre son art en marche de mani re efficace contre les forces imp rialistes du capitalisme L exil de Rocha n en est pas moins puissant courageux cr atif et contestataire Ce que les critiques de cin ma de l poque incluant Sylvie Pierre amie et admiratrice du r alisateur et journaliste aux Cahiers du cin ma n ont pas compris c est que Rocha prom ne un regard d tranger sur les terres du colonisa teur semblable celui qu il jetait sur l lite br silienne dans les ann es 1960 et que la presse europ enne admirait tant L absence d un public le fait d avoir t mis distance tant du peuple br silien que de sa terre natale ont amen Rocha produire une uvre aussi clat e que son exil une uvre dans laquelle les genres sont clat s mais aussi les langues les discours et dont toutes les parties se confondent Limage exil dans Claro arrive se faire jour gr ce ce jeu des intervalles des m langes et des superpositions En donnant la parole plusieurs personnages en donnant entendre plusieurs langues inscrites dans l
20. e sont la dissem blance et P tranget qui dominent La conception de cet espace est bien plus complexe que ne le serait une simple construction nostalgique manant d une revendication li e la terre Elle s approche d une construction de l alt rit propre Pexil et qui lui permet de d finir son alt rit de d limiter sa place de se reterritorialiser L espace exilique est aussi diff rent du leu d origine que de l espace d insertion Les derni res s quences sont exemplaires cet gard les musiques et les voix transitent d un espace l autre les images Glauber Rocha et Pimage exil dans Claro J 98 se superposent le r alisateur lui m me interfere en fusionnant les corps de deux mannequins ou en accentuant le contraste entre la mode et la guerre entre les couvertures de journaux et les revues sur le Vietnam Ces derni res s quences montrent la richesse et la complexit de l uvre rocha enne en exil tr s diff rente de la majorit de ses films tourn s auparavant Cette diff rence est expos e dans plusieurs micro r cits du film la trag die gr co latine dont une th tralisation baroque qui foisonne de r f rences au cin ma de Rocha au th tre lui m me et la litt rature et qui engendre une pop e fragment e exacerb e et consid r e d ail leurs par plusieurs comme indigeste Rocha cr e des rituels dans lesquels les personnages caricatu raux repr sent
21. ent la d cadence de la civilisation occidentale et du capitalisme Le documentaire politique pr sent dans le film parfois d sengag et parfois id ologique renforce le c t pol mique et contradictoire de l uvre rocha enne il en r sulte une incertitude quant au sujet trait et la position prise par le r alisateur On entend des voix d o le droit de contester et des bruits d o la possibilit de mettre tout l envers pour le penser autrement Ce qui est vraiment clair dans le r cit de Claro c est sa critique et son grand m pris de la civilisation bourgeoise europ enne D s le d but soit d s l essai exp ri mental que constituent les s quences face aux ruines le film affiche ses positions Tout est l le continent d cadent et jonch de d combres le rituel d sesp r du couple qui crie et qui se d bat sous les yeux tonn s des touristes rejetant et admirant tout la fois l Histoire Jusqu quel point s identifie t on ce rituel Certes Rocha est fils de la culture europ enne s il la conteste et la questionne autant c est parce qu il en fait partie Mais Rocha est fatigu comme le personnage africain Ganga il s est battu jusqu P puisement et sa terre lui manque la terre brasilis source de son nergie vitale L absence c est peut tre ce qui explique la rage des images l se trouve peut tre la cl du film Rocha s il n est pas en mesure de racon
22. l d un malaise face la soci t occidentale Face la politique euro p enne Face l apathie du cin ma qui devrait permettre d autres moyens d intervention Face Pabsence de dialogue Glauber Rocha et Pimage exil dans Claro 95 96 Si les mots ne suffisent pas Rocha va les rar fier plus encore il va briser les phrases abimer les dialogues leur donner un sens autre jusqu ce qu il parvienne communiquer Si les images ne suffisent pas montrer il va d ranger les codes cin mato graphiques par le moyen d un faux raccord de Pinterruption abrupte d une sc ne d un changement inopin de sujet d une s quence une autre ou d une superposition d images V Les superpositions rocha ennes d images Dans Claro la langue portugaise et la culture br silienne se m langent d autres langues le fran ais Pitalien et Panglais et d autres cultures les cultures fran aise italienne africaine et am ricaine Les superpositions de langues et de cultures sont galement bien repr sent es et mises en sc ne travers la super position des discours narratifs et des images On pourrait iden tifier trois types distincts de r cits dans le film Pessai exp rimental le fictionnel th tral et le documentaire Un personnage omnipr sent une jeune fille sert de fil con ducteur au r cit et nous aide mieux comprendre cet univers particulier Selon Rocha elle est une figure mythique de Pinn
23. lie le film Claro Dans ce film la fiction se confond avec le documentaire autobiographique Un aspect particulier distingue le film Claro des autres films du r alisateur la nostalgie de Pexil Dans Claro la nostalgie mat rialis e dans Pinteraction de l image et du son permet de r inventer le politique Le Br sil y est d abord l objet d un souvenir nostalgique puis d une m moire m lancolique comme si la distance constituait une perte irr parable et irr versible propre Pexil ABSTRACT Filmmaker Glauber Rocha is the author of one of the most important experimental and polemical bodies of work within Brazilian cinema Following six years of exile in Europe he directed Claro in Italy in 1975 In this film fiction meets autobiographical documentary One specific element enables us to distinguish Claro from the directors other works the nostalgia of exile In Claro nostalgia through its materialization within the interaction of images and sound reinvents the political Brazil is first represented as the object of nos talgic recollections before becoming part of a melan cholic memory as if distance itself formed an irrepara ble and irreversible loss that is peculiar to the exile 82 Mourir du coeur cause d une vie agit e mais r volutionnaire comme ma vie ne sera pas tr s g nant dans un contexte historique Glauber Rocha dans Sintra is a beautiful place to die Le cin aste Glauber Rocha
24. n ma latino am ricain en Italie Rocha pr sente le projet du Cinema Novo comme un manifeste non seulement artistique mais aussi politique et social Selon ce manifeste c est seulement en subissant la violence et l horreur que le coloni sateur peut comprendre la force de la culture qu il exploite car la violence n est pas un pur sympt me mais un besoin de trans formation c est la plus noble manifestation culturelle de la faim Seule une culture de la faim minant ses propres structures peut se d passer qualitativement et la plus noble manifestation culturelle de la faim c est la violence Une esth tique de la violence avant d tre primitive est r volutionnaire et c est ici le point de d part pour faire comprendre au colonisateur Pexis tence du colonis La faim latine n est pas seule ment un sympt me alarmant c est le syst me nerveux de la soci t Ici r side la tragique originalit du Cinema Novo en face du cin ma mondial notre origi nalit c est notre faim et notre plus grande mis re c est que cette faim bien que sentie n est pas comprise Pour Pobservateur europ en les processus de cr ation artistique du monde du sous d veloppement ne pa raissent int ressants que dans la mesure o ils satisfont sa nostalgie du primitivisme Dans le film Le Dieu noir et le Diable blond Glauber Rocha met en sc ne les personnages de la culture populaire br silienne Gl
25. ns le film et chantant une m lodie br silienne au milieu des plantes tropi cales sur le balcon de sa maison Rome C est cette nostalgie mat rialis e dans la superposition des lieux et des discours narratifs dans l interaction de l image et du son qui se charge de r inventer le politique dans Claro Mais Glauber Rocha est un dramaturge pique dont Pobsession est d inscrire la trag die dans l histoire de faire se rejoindre la sc ne du monde et la sc ne de la repr sentation Pierre 1987 p 87 Le politique se manifeste ainsi travers ces revendications d ranger la dialectique cin matographique d Eisenstein montrer les circuits que peut emprunter la parole et la faire devenir trang re faire se superposer les favelas italiennes et br siliennes permettre au peuple d occuper l cran enfin rentrer au pays tout cela sans encore exprimer son angoisse ni son malaise au sujet de la soci t tant aim e qui le trouble et qui h berge Glauber Rocha et Pimage exil dans Claro 99 Rocha marque avec ce film fr n tique toute sa passion contradictoire pour un pays dont il pingle cruellement une sorte d tat latent de mauvaise sant pourriture culpabilit p trification pontificale et monumentale tandis qu il transforme amoureusement ses lieux mill naires en sc nes magiques et sacr es pour un th tre des mythologiques de Occident tentateur et ses banlieues romaines mis rables comme
26. o cence de l ing nuit confront e un monde hostile et r pressif Rocha 1975 Dans une sc ne elle dit ceci Il wy a plus de mots pour dire les choses lorsque le langage n est plus le langage et que la diff rence entre l action et la parole est tomb e dans une esp ce de chose unilat rale o la couleur le son toutes les formes se m langent dans un chaos cosmique et d mo niaque o nous oublions ce que jadis on appelait lucidit et c est pourquoi j erre comme une chose cristalline et nouvelle aupr s de nouveaux sons d o le parfum pourrait surgir et ne surgit pas Le proc d qui consiste couper la parole et la rendre h sitante se traduit en images Il y a tout au long du film des s quences interrompues inachev es des sc nes sans son des sons entendus lors d une sc ne pr c dente et qui reviennent des bruits qui rendent inaudibles des paroles en les renvoyant au second plan des superpositions d images et des coupures de sc nes Tout cela appara t comme des emp chements comme dirait CiN MAS vol 15 n 1 Deleuze dans Bene et Deleuze 1979 p 110 qui travaillent desservir la parole au lieu de la servir Enfin des infinit s d inter ventions dans le r cit filmique rendent difficile la compr hension des encha nements des actions qui se d roulent sur l cran Chez Rocha ce proc d para t d autant plus trange que le film semble chercher brouiller son pro
27. olitico po tique puisque le probl me perdure soit le conflit entre le colonisateur et le colonis Les multiples r f rences de Claro renvoient au th tre baroque le dramaturge Carmelo Bene joue dans le film et au n or alisme italien elles vont de la Nouvelle Vague de Godard jusqu aux racines du Cinema Novo La superposition des images pr sente une esth tique non moins engag e et apporte au cin ma rocha en un style plus diversifi et fragment CiN MAS vol 15 n 1 qu auparavant Le film marque aussi pour la premi re fois la participation de Rocha l un de ses films comme personnage devant la cam ra Il proc dera de la m me fa on dans les missions de t l vision qu il r alisera au cours d une courte et marquante p riode la fin des ann es 1970 au Br sil Claro consiste en une vision br silienne de Rome Ou mieux un t moignage du colonis sur la terre du colonisateur Rocha 1975 C est en ces termes que le r alisateur a d fini le film l poque de son lancement Or il importe de s arr ter justement sur cette transposition d images br siliennes Rome Comment Rocha a t il construit son monde mythico politique dans cet ailleurs Et d autre part dans quelle mesure son exp rience de l exil a t elle affect son r cit typiquement br silien Les mythes ont ils surv cu Le discours politique est il encore pr sent Cette fois ci qui est il adress Comment s artic
28. pre fil narratif Comme le souligne Sylvie Pierre 1987 p 243 le spectateur ne sait pas o l histoire ou le r alisateur veut en venir Cela r sulte du caract re fragmentaire et excessif autant des dialogues que des histoires des images et des sons Le d but du film mise sur un m lange entre le documentaire et le drame La s quence d ouverture se d roule au milieu des ruines italiennes bond es de touristes un couple latino am ricain Rocha et la jeune fille Juliet Berto livre une sorte de prestation rituelle faite de mouvements d sordonn s de gestes d synchronis s et de cris primitifs perturbant un lieu sacr et silencieux de la civilisation occidentale Les deux person nages finissent par d sacraliser les ruines romaines par une d mystification ou un exorcisme entre le pass et le pr sent entre l angoisse et l espoir Rocha 1975 Les sc nes sont bruyantes presque assourdissantes et r p titives certains moments pendant cette s quence Rocha fusionne la fiction et le documentaire autobiographique autant que l espace italien et l espace br silien Les genres et les langues transitent dans l espace et l espace lui m me se m tamorphose L espace de lexil a cette capacit de concilier les espaces temps de deux territoires de deux cultures et de deux mon des diff rents Mais a contrario il peut aussi tre le lieu d un cart lement o tout para t fragment o c
29. re la n cessit de Pintervalle Quand il passe de la langue italienne au fran ais le film pr sente chaque fois un intervalle Il montre alors des personnages qui ne communiquent pas des discours CiN MAS vol 15 n 1 qui se m langent et n interagissent pas mais qui habitent n anmoins le film C est justement cette possibilit de cohabita tion que le film pr sente par l entremise des dialogues et sur tout des monologues Par contre l errance dans le discours l intermittence des images du film par le faux raccord entre une s quence et une autre entre une image et une autre font d faut Cela cr e la possibilit du devenir tranger le devenir d une image autre dont la discontinuit assure la continuit latente comme l crit Blanchot 1969 p 107 Rocha parle la plupart du temps en italien alors que la jeune fille ne lui parle qu en fran ais Toutefois la rh torique exalt e du r alisateur ne laisse aucune langue intacte Rocha utilise un mot en portugais de temps en temps dit quelques phrases en fran ais et parle au rythme de la langue italienne Il r v le une langue autre aux intonations diff rentes de celles de la langue courante D gageant d autres sens il donne d autres reliefs aux mots qui accentuent davan tage la singularit de son discours Quelques ann es plus tard la mani re dont il va alt rer la graphie de la langue portugaise va devenir notoire M
30. rendues visibles au cin ma Mon hypoth se est pr cis ment que le cin ma est le m dia id al pour d voiler la pluralit de l espace temps de l exil La cam ra parcourt les chemins de l exil catalyse les exp riences et cr e un pont entre le nouveau lieu et le lieu d origine Ce pont cin ma tographique je le nomme Pimage exil Le but de la pr sente analyse est de d couvrir cette construction par une lecture attentive des caract ristiques des images du film Quand je parle de construction je pense la conception du film car au cin ma Glauber Rocha et Pimage exil dans Claro 69 90 bien qu il y ait souvent un sc nario pr tabli la r alisation et la construction se font sur le tas c est dire pendant le tour nage et le montage L exil a la possibilit de percevoir ce que les autochtones souvent ne voient pas et il d couvre des aspects originaux ou m me banals de l espace tranger Le cin ma souvent d crit comme le m dia qui fait la synth se des arts comme Pont dit Glauber Rocha et Gilles Deleuze arrive montrer tout cela L image cin matographique rend mat riellement visible cette exp rience tout en transformant notre perception du r el Le cin ma est converti en puissance il permet de d voiler une image qui ne laisse pas de traces mais seulement des percep tions J entends par l que l image est parfois davantage suscit e par le hors champ que par l espace
31. rocha enne les films de Rocha n ont jamais t aussi personnels ni aussi exp rimentaux sur le plan cin matographique Claro est le pur exil et montre bien les contradictions et les h sitations du cin aste III propos d un concept Dans Claro Glauber Rocha intervient tant comme person nage que comme r alisateur tant comme sujet du film que comme narrateur Il traverse incessamment les fronti res comme dans la premi re s quence du film alors qu il donne la r plique une actrice tout en dirigeant les prises de vue faites par le cam raman Dans une autre s quence il parle directe ment la cam ra en racontant une histoire sur la ville de Rome laissant alors entendre le jeu fragile de son locution Pimbri cation des mots le b gaiement et les transitions entre plusieurs langues le passage de Pitalien au fran ais puis au portugais Dans une autre s quence on le voit assis sur une chaise chantant une chanson br silienne et fumant de la marijuana avec une actrice l poque sa femme comme dans un film de CiN MAS vol 15 n 1 famille puis r p tant les mots clair et claro au t l phone Quel sens veut il faire surgir de toutes ces superpositions et de tous ces passages dans le film L inach vement de l uvre Pincompr hension qu elle suscite sont en fait les signes d une demande de l gitimit L exil n est pas encore achev ou compris il est toujours en devenir Rocha ve
32. rt o de m me que la qualit technique du mon tage et surtout Pinexp rience de ses r alisateurs qui n avaient jamais tourn de film auparavant Tout cela va beaucoup in fluencer les jeunes cin astes br siliens Le film tourn Talhado dans le sert o distingue deux poques la formation d un village d esclaves au d but du si cle et Porganisation actuelle fond e sur la fabrication de vases de c ramique par les habitants de Pendroit La premi re poque recourt la fiction deux habitants reproduisent la sc ne o v curent leurs anc tres en arrivant sur le lieu o sera construit le village La deuxi me poque plus actuelle fait appel au discours du documentaire la cam ra accompagnant le quotidien des habitants au travail les images tant comment es en voix off Le discours politique et social dont le film est porteur devient vi dent dans les derniers mots du narrateur Talhado vie primitive Elle existe g opolitiquement mais elle n existe pas pour les institutions gouvernementales En 1964 trois films racontant des histoires qui se d roulent au sert o sont consid r s comme la cons cration du Cinema Novo Deus e o diabo na Terra do Sol Le Dieu noir et le Diable blond de Glauber Rocha Os Fuzis Les Fusil de Ruy Guerra et Vidas Secas S cheresse de Nelson Pereira dos Santos La carac t ristique principale du mouvement tait d allier le cin ma la politique esth tique de la faim et
33. ter cette absence va puiser son sens dans tout ce qui peut tre compris comme construction production ou composition Dans cette perspective rocha enne c est mettre l exil en puissance ne pas CiN MAS vol 15 n 1 construire une histoire sur lexil mais rendre sa force pulsante et en transe pr sente dans le film faire converger tous les r cits pour qu il soit impossible de les transposer dans une histoire ou de les rendre en paroles ce qui est de l ordre de insupportable comme sa nostalgie VI La saudade en exil Le politique et Pesth tique sont profond ment int gr s dans la cr ation et la mise en sc ne rocha ennes C est en analysant les dimensions politique et sociale de l uvre en pr tant une atten tion particuli re sa po tique qu on peut v ritablement comprendre la complexit et la fr n sie d un tel processus de cr ation Mais si Glauber Rocha parcourt toujours la m me histoire politique il ajoute dans Claro un aspect qui le distingue des autres films la saudade en exil Le film occupe une place unique dans la carri re et la vie du cin aste Il a t r alis en Italie la fin d un exil politique de six ans et montre le r alisa teur lui m me devant la cam ra d voilant sa saudade son mal du pays Dans l une des derni res s quences du film le cin aste est assis sur une chaise bascule fumant de la marijuana avec sa femme Juliet Berto qui incarne la jeune fille da
34. timent purement portugais propag avec fiert par le peuple Il est encore vu par d autres comme Pessence de P me lusophone dans sa dimension mythique et mystique 9 Lettre envoy e au r alisateur Caca Diegues en ao t 1969 dans Rocha 1998 p 340 l 02 CiN MAS vol 15 n 1 R F RENCES BIBLIOGRAPHIQUES Andr 1992 Carlos Ascenso Andr Mal de Aus ncia O canto do ex lio na l rica do humanismo portugu s Coimbra Minerva 1992 Bene et Deleuze 1979 Carmelo Bene et Gilles Deleuze Superpositions Paris Minuit 1979 Blanchot 1969 Maurice Blanchot L Entretien infini Paris Gallimard 1969 Deleuze 1985 Gilles Deleuze Cin ma II L Tmage temps Paris Minuit 1985 Deleuze et Guattari 1975 Gilles Deleuze et F lix Guattari Kafka Pour une litt rature mineure Paris Minuit 1975 Ferreira 1993 Jerusa Pires Ferreira Mem ria ic nica o oral e o visual Revista Cruzeiro Semi tico n 18 19 1993 Pierre 1987 Sylvie Pierre Glauber Rocha Paris Cahiers du Cin ma 1987 Rocha 1975 Glauber Rocha Entretien avec Glauber Rocha Paese Sera 23 juillet 1975 Rocha 1998 Glauber Rocha Cartas ao mundo S o Paulo Companhia das Letras 1998 Salles Gomes 1986 Paulo Em lio Salles Gomes Cinema trajet ria no subdesenvol vimento Rio de Janeiro Paz e Terra 1986 Trigano 2001 Shmuel Trigano Le Temps de l exil Paris Payot Rivages 2001 Zumthor 1993 Paul Zumthor
35. ulent ses discours dans un autre contexte c est dire l tranger I propos du Cinema Novo Le Cinema Novo demeure le plus important mouvement cin matographique au Br sil Deux films du cin aste Nelson Pereira dos Santos Rio 40 et Rio Zone Nord r alis s dans les ann es 1950 et fortement influenc s par le n or alisme italien ont grandement marqu le mouvement Les deux films montrent la r alit sociale et la criminalit dans les favelas de Rio de Janeiro Un autre film a eu une influence d terminante sur le Cinema Novo Il s agit d un court m trage documentaire r alis en 1960 par un groupe compos de jeunes journalistes et d tudiants Linduarte Noronha Vladimir Carvalho Jo o Ramiro Mello dans la province de la Paraiba au nord est du Br sil Le film Aruanda provoque une r action enthousiaste chez les critiques et les intellectuels br siliens Il fut l un des premiers films autour desquels fut lanc e la question d une ad quation de la pauvret des moyens du cin ma br silien au sous d veloppement conomique du pays et ce comme une qualit une v rit et non pas un d faut du cin ma national Glauber Rocha et Pimage exil dans Claro 83 84 lorsque existaient par ailleurs la justesse et Poriginalit du regard Pierre 1987 p 38 On peut remarquer dans le film la beaut des images pho tographie contrast e en opposition avec la terre aride et la pauvret du se
36. ut atteindre des buts qu il s tait fix s avant lexil et qui sont donc trangers sa condition d exil Toutefois il ne s interroge pas mais met tout en sc ne dans une transe absolue et in narrable travers plusieurs langues et divers discours cin matographiques D sormais c est la nostalgie et le senti ment de saudade qui demeurent dans le film le manque insup portable du pays natal de l Autre l tat d incommunicabilit qui le rend sensible la distance et la condition d tranger La prise de conscience de la condition d exil et la mise en question de cette exp rience m nent l exil selon Trigano une forme de sagesse Ce qui permet d atteindre cette sagesse est le fait de passer travers traverser la perte la tirer du n ant d boucher sur une compr hension et un apprentissage de celle ci C est d un travail de la perte et sur la perte que na t ainsi la sagesse de lexil dans laquelle la conscience se m tamorphose dans son rapport au monde Trigano 2001 p 104 Le lien entre humain et le monde devient autre la perception de l espace temps change et l incite concevoir autrement son environnement L exil vit normalement dans une esp ce d espace temps unique parfois double parfois ambigu entre son leu d origine et son nouveau milieu Les exp riences s accumulent inter f rent interagissent entre elles Cette superposition et cette dualit des exp riences sont
37. uvre cin matographique de Glauber Rocha Il reprend des composantes de films ant rieurs appartenant au Cinema Novo et en r it re Paspect r volutionnaire de m me que la critique de la bourgeoisie industrielle et de l aristocratie imp rialiste comme dans Le Dieu noir et le Diable blond Terre en transe et Antonio das Mortes Il poss de galement les traits caract ristiques des films de lexil comme dans T tes coup es et Der leone have sept cabe as dont la mise en sc ne se d veloppe sans sc nario tr s structur quoique selon une forme strictement th trale Cependant avec Claro Rocha pousse plus loin Pexp rimen tation en misant sur trois nouveaux l ments le documentaire des images de rue des entrevues et des manifestations la pr sence du r alisateur devant la cam ra lequel devient un personnage du film dont le discours parfois en voix off est la premi re personne comme dans un essai film et refl te son mal du pays et le discours du colonis rebours m pris du colonis pour la terre du colonisateur transpositions des fave las cariocas la p riph rie romaine Il construit un discours enrag f roce et accablant envers la soci t et la culture euro p ennes Il a lui m me pr sent son film en ces termes Un t moignage du colonis sur la terre de colonisation Je voulais voir clair dans les contradictions de la soci t capitaliste de notre temps Par exemple il me sem
38. xil une impossibilit car ce sont justement le cin ma r vo lutionnaire et le manque du peuple Deleuze 1985 p 281 qui Pont oblig s exiler Ce combat est un fardeau qu il ne semble plus pouvoir porter Claro est clairement marqu par cet exil C est ce qui reste du film aujourd hui la d tresse de l homme consum par exil de celui qui a perdu non seulement sa patrie mais aussi le peuple au nom duquel il pouvait encore lutter la raison d tre de son cin ma la terre celle du Dieu et le l 00 CiN MAS vol 15 n 1 diable dans la terre du soleil traduction litt rale du titre de son film Le Dieu noir et le Diable blond ou celle de Terre en transe Dans Claro il y a superposition constante des deux territoires gr ce la musique Les images de Rome de la banlieue pauvre ou du vieux centre ville sont associ es la musique du carnaval br silien des ann es 1930 ou la musique instrumentale r gio nale de Villa Lobos O trenzinho caipira par exemple qui voque une image nostalgique de l exode rural br silien Les r f rences au Br sil n ont jamais t si implicites dans ses films L exil est donc le noyau de Claro rendre compte de cette exp rience en saisir les limites travers les limites m mes du moyen d expression que constitue le cin ma tel semble tre l enjeu de ce film Celui ci n est il pas en effet fragment confus dispers cartel l image de l homme qu
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