On disait que... by Nicolas Ancion
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1. l phonais au conducteur de ton char on disait que ton char tait un t l phone on disait que le monde tait plein de chars on disait que nous ne vivions pas dans un monde en plastique on disait que les objets avaient des noms et des formes on disait qu on comprenait quoi serve les choses on disait que ce que nous appelons pendu n tait qu un jeu d enfant un jeu de mots on disait qu on ne pendait pas les enfants on disait qu on ne pendait pas les pansements on disait que l on ne plantait pas de cure dents dans les t tes on disait que tout cela c tait pour rire les armes les fl ches les avions de chasse et les tanks la religion et le sexe que tout cela se r duisait sans peine des jouets en plastique dans des bo tes en carton que tout cela et le reste le monde qui nous entoure n tait qu un jeu d enfant pas m me un jeu t l vis ou un jeu vid o non un truc roulettes et baballe un machin pour gosse juste bon montrer dans les catalogues de jouets dans les bo tes aux lettres On disait tout a D un coup et sans respirer en courant sur les pav s Le premier qui touche le poteau a gagn Le premier qui ferme les yeux et qui fonce dans le mur aura mal au cr ne On disait tout a mais personne n y croyait plus Trop tard Car apr s avoir jou on sait que tout cela n est que du plastique et du carton sans danger Qu on peut en faire exactement ce qu on veut En to2. et trompettes donc dragon bouclier p e et cheval cotte de maille blason couronne caverne for t sombre et rivi re Rivi re Pont de pierre et ch teau Ch teau o la trompette annon ait un tournoi C tait reparti pour un tour Les heures passaient Les ann es ont pass elles aussi Je n habite plus ni la m me maison ni la m me ville je n ai plus qu une seule bo te aux lettres et ph nom ne trange je ne re ois plus les imprim s publicitaires depuis trois d m nagements Peut tre que les toutes bo tes ne portent pas bien leur nom et qu ils sont r serv s certaines portes en particulier Je ne sais pas En tout cas je ne les re ois plus Mais quand on m a pr sent les installations de Sylvie Macias Diaz je me suis d un coup retrouv dans une position terriblement famili re Pas celle du consommateur qui cherche acheter mais celle du joueur qui r ve d inventer Les installations ont d clench la m me r action dans mon cerveau de gosse mal grandi que les catalogues de jouets dans ma grosse t te de gamin Pour moi il n est pas plus question de porter les lunettes spatiales que d allumer les fus es Ce qui est imp ratif ce n est pas de trouver une place pour ces objets dans ce monde mais de leur inventer un univers complet qui leur soit propre Il faut de toute urgence r inventer tout le reste Car si ces fus es sont r elles si ce t l phone 1960 est l c e
3. je posais le papier glac sur mes cuisses frissonnantes Je tournais la premi re page sautais celles consacr es aux accessoires pour b b aux poup es longs cheveux aux tables repasser aux Barbies affreusement roses et j arrivais enfin l o je voulais en venir aux pages emplies de trains de meccanos de briques et de bonshommes de bo tes vives et de couleurs criardes J tais arriv aux jouets et c est l que je voulais rester Je ne quittais les toilettes dont la lunette tait d sormais bien chaude qu une fois le catalogue parcouru au complet Et j emportais le pr cieux document dans ma chambre sous les toits o couch sur le lit je repartais pour une nouvelle travers e des pages et des photos Et cette seconde lecture tait suivie de bien d autres Au fil des jours force de contempler les m mes images et les m mes textes je connaissais par c ur chacune des bo tes chacune des sc nes photographi es chacune des descriptions Je savais aussi qu aucun de ces jouets l n arriverait le 6 d cembre sur la table de la salle manger Ce n tait pas l l important L essentiel tait ailleurs Il s agissait de regarder les jouets non pas pour en choisir un mais pour imaginer les heures de jeux qui pourraient en sortir Des heures de jeu qui n existeraient sans doute jamais ailleurs que dans ma t te mais qui valaient bien les autres celles qu on passe sur le tapis assembler se
4. On disait que Nicolas Ancion en Sylvie Macias Diaz On disait que Nicolas Ancion et sylvie Macias Diaz par Nicolas Ancion J ai pass une bonne partie de mon enfance le nez plong dans les catalogues de jouets D s l arriv e de l automne alors que la Saint Nicolas tait encore cach e derri re de longues semaines de classes les premiers imprim s d barquaient dans les bo tes aux lettres Les jours se faisaient plus courts les nuits plus fra ches mais le samedi matin au pied de la porte d entr e on trouvait le courrier publicitaire glac sur les dalles du couloir Pour les bo tes aux lettres nous tions des enfants g t s il y en avait quatre dans la porte d entr e de la maison familiale Derni res traces de l poque o le b timent avait abrit de nombreux locataires Cela nous valait un petit miracle hebdomadaire la multiplication des toutes bo tes Quatre exemplaires du folder Cora quatre publicit s pour les matelas et les salons en cuir quatre clefs essayer sur la voiture offerte par tirage au sort quatre magnifiques catalogues de Saint Nicolas Broze Christiansen ou Sarma Star peu importe ceux l je ne les ratais pas C est aux toilettes que je les parcourais pour la premi re fois Les toilettes froides sur le palier avec la fen tre ouverte m me en novembre et un radiateur toujours ferm Je m asseyais le pantalon sur les genoux pour conserver un peu de chaleur humaine et
5. ordinateur avec les copeaux de polystyr ne au fond de l emballage Avec la ficelle autour de l enveloppe m me Et les rouleaux vides de papier essuie tout Heureusement le travail de Sylvie Macias Diaz r concilie tout le monde en rappelant que les armes les radars les saute balles et les cordes sauter ce sont aussi des bo tes en carton et des morceaux de notre bois nous le plastique Le plastique Quelle jolie invention Moul au bout du monde dans toutes les formes et dans toutes les positions voil qu il devient mati re premi re et unique avec l autocollant qui le recouvre et les microcircuits qu il abrite de presque tous les jeux d enfants Une mitraillette C est du plastique Un st thoscope c est du plastique Un four micro onde un percolateur un GSM encore et toujours du plastique L enfant vit dans un monde de plastique Comme c est triste pense l adulte qui r ve aux bouts de bois de son enfance Et il s en retourne au bureau tapoter sur son clavier en plastique t l phoner avec son portable en plastique photocopier dans une machine en plastique boire son caf dans un gobelet en plastique On a le monde que l on m rite Le monde des grands est il aussi factice que celui des enfants Ou tout aussi r el tout aussi mall able Transformable volont Car si tous ces accessoires quotidiens depuis le gobelet de caf jusqu aux montures de lunettes ne sont que des jouets p
6. oses et des objets D int grer une fois pour toute le fonctionnement du monde et de le respecter sans l interroger ni le bousculer L adulte fort de ses ann es d apprentissage conna t le sens des choses Il les comprend Ne faudrait il pas au contraire qu il profit de sa connaissance pour inventer des usages diff rents Des usages diff rents se r criera t on mais ce ne sont que des jouets cela ne sert de toute fa on rien Pr cis ment Pr cis ment qu y a t il de plus utile pour l esprit qu un objet qui ne sert a priori rien Quoi de plus utile qu un objet dont le sens doit encore se construire Prenons le t l phone 1930 par exemple voil bien un objet dont on comprend d s l abord qu il ne servira pas t l phoner Ceci n est pas un t l phone aurait peint Magritte En effet il ne pourra pas t l phoner sur le r seau que nous connaissons o les unit s se paient prix d or o les r pondeurs se d clenchent l autre bout des lignes Celui ci de t l phone est un jouet Il sera juste bon faire semblant A faire comme si A dire que A jouer Il ne sera pas limit son r le de t l phone il pourra les jouer tous On disait que ceci tait un t l phone on disait que mon t l phone explosait on disait que dans le t l phone il y avait des microfilms on disait que j tais conducteur de char on disait que mon char te fon ait sur les pieds on disait que je t
7. s Lego disposer son train lectrique ou ses Playmobils Ou dans le grenier choisir ses d guisements pendant des heures pour pr parer le jeu qui ne durera que quelques minutes C est vrai bien y compter je crois qu un enfant passe bien plus de temps se r jouir de ce qu il pourra faire avec son jouet imaginer tout ce qui est possible qu le r aliser Ce n est pas l envie de poss der qui le guide c est le besoin de se fabriquer du bonheur venir Je parcourais et reparcourais ce catalogue non pas pour valuer quel jouet remplirait au mieux les besoins de ma petite vie moi mais pour imaginer des tas de vies qui d marreraient avec chacun de ces jouets Me raconter des histoires M inventer des mondes Fabriquer du sens et du r ve avec de simples bouts de plastique photographi s sur du papier mal imprim souvent en plus C est comme a que je r vais couch sur mon lit immense le tronc pos sur les avant bras les catalogues sous les yeux Les heures passaient et dans ma t te je jouais Avec le vaisseau pirate il y a avait la mer avec la mer les canons avec les canons les yeux crev s avec les yeux crev les bandeaux Et qui dit bandeau dit pirate donc perroquet donc tr sor donc vaisseau et ainsi de suite La pens e tournait en rond comme les voitures lectriques sur un circuit Puis je recommen ais avec le ch teau et les chevaliers Chevaliers donne tournoi qui signifie princesse
8. st bien pour permettre son tour quelqu un d exister Quelqu un qui l espace d un jeu l espace d un r ve utilisera ce t l phone pour appeler ses amis imaginaires pour commander des pizzas ou des glaces aux doigts de pieds pour alerter la bombe pour ragoter et m dire pour se taire murmurer dans le combin faire des appels anonymes des d clarations d amour Quelqu un qui explosera les fus es en un feu d artifice de jardin qui les attachera au tank pour lui faire traverser la cour de r cr ation en un clair qui les allumera sous l eau pour voir comment a fait vraiment Ou peut tre que non au contraire que la simple existence de ces objets se suffit elle m me et vite de faire exister quelqu un qui les utilise Economie d efforts Comme mon catalogue de jouets suffisait ce que je joue pendant des heures dans ma t te sans avoir les objets dont il faisait la retape C est possible Je n en sais rien Mais je me pose la question Tout ga est bien compliqu Quand j tais petit on s amusait avec un rien On jouait avec deux bouts de bois ou une caisse en carton et on tait heureux Combien de fois aurons nous entendu ce poncif Impossible de compter Impossible de r pondre sans sombrer soi m me dans la cr tinerie nostalgique Parce que nous aussi nous avons jou avec la bo te en carton de nos jouets douze piles avec le plastique bulles qui emballait le premier
9. uisqu ils sont en plastique aussi qui invente alors les r gles du grand jeu dans lequel ils interviennent Y a t il quelque part un enfant coinc dans des toilettes froides qui regarde les pages de l immense catalogue dans lequel nous nous d battons et qui s invente des histoires rien que pour lui Ou sommes nous simplement des jouets sans histoire Mais les jouets de Sylvie Macias Diaz ne sont pas moul s en Chine Ils ne sont pas recouverts d autocollants ni bourr s de piles qui s usent trop vite Ils sont compos s partir des pi ces d tach es des objets les plus usuels en plastique et en carton bouchons couvercles fourchettes frites tubes Est ce que cela ne signifie pas tout simplement que notre monde nous ce grand catalogue que nous feuilletons sans cesse n est qu une mati re premi re recycler Le mat riau de base pour un usage diff rent des choses et de leur sens Comme le rebord de l vier dans ma chambre devenait une falaise ou une base spatiale et la couverture brune de mon lit un d sert o se perdaient mes jouets avant de ramper de soif puis pos e sur les paules devenait cape d empereur sit t gliss e sur les paules Elle n tait couverture brune qu aux yeux de ceux qui n avaient rien compris au jeu Qui restaient en dehors attach au sens premier des choses leur usage convenu N est ce pas d ailleurs le propre de l adulte de se borner l usage convenu des ch
10. ute libert Le seul danger c est de ne pas prendre le jeu au s rieux Parce que le jeu est le lieu pr cis ment o l on se remet en question O l on teste O l on value En proposant de tester le monde d interroger sa mati re n est il pas fait lui aussi de plastique et de carton sa repr sentation quelles sont les images de notre civilisation que nous transmettons nos enfants en leur donnant des armes et des chars miniatures et son fonctionnement un t l phone ne sert il rien s il n est pas reli d autres t l phones c est une invitation pour chacun des adultes que nous sommes nous replacer un instant dans la t te des enfants que nous tions De regarder le monde comme si nous pouvions en inventer les r gles De le r duire un peu de plastique un peu de carton pour l assouplir le mettre distance et par la m me occasion le saisir bras le corps et le mettre en jeu Nous mettre en jeu du m me coup Offrir un sexe assembler un enfant accrocher un pendu au lustre de sa chambre coincer ses doigts dans les turbines pour sentir la douleur s enfermer dans la cave avec une bo te de fus es Ou tout le reste qui doit encore tre imagin Le monde a bien grandi depuis l poque o je m enfermais aux toilettes le catalogue sur les cuises Je n ai plus quatre bo tes aux lettres je n ai plus des heures pour r vasser partir de quelques photos Tout
11. va plus vite tout est important Mais le secret reste entier Le myst re du monde Derri re son apparence de papier glac et ses belles bo tes color es l univers qui nous entoure est fourni sans mode d emploi Il ne faut pas l oublier Nicolas Ancion Madrid novembre 2001 Pour DWB
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