L`Espionne démasquée. Encyclopédie et Appropriation
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1. ua il Article L Espionne d masqu e Encyclop die et Appropriation contextuelle dans un r cit argumentatif Paul Bleton tudes litt raires vol 25 n 1 2 1992 p 37 47 Pour citer cet article utiliser l information suivante URI http id erudit org iderudit 500995ar DOI 10 7202 500995ar Note les r gles d criture des r f rences bibliographiques peuvent varier selon les diff rents domaines du savoir Ce document est prot g par la loi sur le droit d auteur L utilisation des services d rudit y compris la reproduction est assujettie sa politique d utilisation que vous pouvez consulter l URI https apropos erudlit org fr usagers politique dutilisation rudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif compos de l Universit de Montr al l Universit Laval et l Universit du Qu bec Montr al Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche rudit offre des services d dition num rique de documents scientifiques depuis 1998 Pour communiquer avec les responsables d rudit info erudit org Document t l charg le 16 novembre 2015 07 47 L ESPIONNE D MASQU E ENCYCLOP DIE ET APPROPRIATION CONTEXTUELLE DANS UN R CIT ARGUMENTATIF Paul Bleton Encyclop die Comme l encyclop die est certainement lincar nation g n rique typique de l illocution ajust e des mots au monde son concept rel ve plus du paradigme de l information que2. VERSCHNEREN Jeff la recherche d une pragmatique unifi e dans Communications 32 1980 p 274 283 YOUNG Gordon l Espionne n 1 la Chatte Paris Fayard 1957 5 Sur la conception de la pragmatique comme tude des conditions d appropri t contextuelle des nonc s linguistiques voir Jeff Verschneren
3. vie exceptionnelle et la dissidence de la voix qui allait la narrer dissidence par rapport la voix massm diatique qui s en tait empar e auparavant c est surtout au souvenir des films de Decoin du d but des ann es soixante que le lec teur pouvait se r f rer pour identifier la Chatte du titre Assez rapidement le lecteur allait cons tater le caract re hybride des intentions du livre le r cit m me de cette vie exceptionnelle devant conduire l affrontement de deux interpr tations des actes de Lily Carr celle de sa culpabilit dans une affaire de trahison pour laquelle elle avait t L ESPIONNE D MASQU E condamn e et celle de son innocence ou au moins de son innocence relative Pour le lecteur curieux de l univers de la guerre secr te r elle 1975 avait t un bon cru avec des t moignages qui ont marqu l historiographie de l espionnage L opold Trepper l ancien chef de l Orchestre rouge Paul Paillolle chef du Deuxi me Bureau fran ais durant la guerre Victor Marchetti ancien agent de la CIA devenu avec John D Marks une des plus importantes et fiables sources de documentation sur la centrale am ri caine ceci sans compter de moindres autobio graphies toutes fid les n anmoins la loi du genre son acte de langage fondateur la r v lation Otto Skorzeny qui vint lib rer Mussolini en un coup de main spectaculaire Philippe Thyraud de Vosjoli qui avait connu
4. argument de cette auto justification a pour cons quence une hypertrophie d un seul des postes pragmatiques celui de l nonciatrice un amoindrissement des deux autres le r f rent et l adresse et celui con s cutif de ce jeu de langage contraire l autobio graphie dans lequel l nonciateur doit dans la transparence rh torique la plus parfaite possible mettre en contact quasi imm diat adresse et r f rent jeu r alis dans le discours scientifique le discours p dagogique ou leur hybride le discours encyclop dique Ce n tait certes pas le propos de Lily Carr de fournir une encyclop die de l espion nage puisqu elle morgnait et qu elle t moignait de son seul destin mais la voici une seconde fois en porte faux avec l encyclop die cens e faire lien entre elle et son adresse La premi re fois face au jury le malentendu avait r sid dans la contradiction entre le cynisme d sabus du savoir technique et la vertu patriote de l coute thique cette fois ci c tait encore l thique qui allait faire pierre d achoppement La premi re fois en effet la prison entre 1942 et 1948 lui avait fait manquer le virage vers le rigorisme moral pris par la France p tainiste et son h riti re la IV R publique Cette fois ci c est sa conversion mais aussi son retrait du monde et son ge peut tre qui devaient lui dissimuler le nouveau chan gement des mentalit s de la fin des ann es soixan
5. d abord dans des articles puis dans des enqu tes plus fouill es des protagonistes visage d cou vert et enfin de simples badauds donn rent corps l accueil sceptique que re ut la version de la Chatte La troisi me fois le circuit est public choisi et non impos post rieur tous les chos que le d bat avait jusqu alors suscit s c est dire en position d y r torquer Espionnage connaissable Mais si ce bref rappel permet de voir ce qui a conduit la r daction de On m appelait la Chatte et de d terminer le type de lecteur implicite que construit un tel texte l on ne sait rien encore des conditions d acceptabilit voire d intelligibilit de telles r v lations On n a pas encore l encyclo p die qui m diatise lunivers improbable de les pionnage et l exp rience des lecteurs de collections grand public Aussi avant de voir comment le 2 R sonateur modeste d ailleurs puisque seuls des journaux issus de la R sistance comme Lib ration o Franc Tireur en firent des premi res pages TUDES LITT RAIRES texte a g r la m diation encyclop dique un petit d tour s impose pour surplomber l histoire de cette encyclop die histoire constitu e de trois p riodes avant 1925 1925 1950 1950 aujourd hui Premi re p riode donc Avec la d faite de 1871 contre la Prusse c tait plus qu un personnage in dit qui mergeait dans le discours social c tait une nouvelle
6. de celui de la com munication Et lorsque d aventure l accent est mis sur son efficacit relationnelle si l on tudie le r le tactique de la forme encyclop dique dans le d bat philosophique l poque des Lumi res par exemple le projet m me de convaincre ainsi mis jour incite l analyste focaliser sur l met teur l nonciateur collectif plut t que sur le r cepteur La perspective du lecteur actif de la coop ration interpr tative du r cepteur dans l laboration du sens Eco permet de reprendre sur de nouveaux frais la question de l encyclop die en particulier de mettre l ombre deux des traits majeurs de l encyclop die selon le paradigme informationnel son caract re totalisateur et son caract re accompli Mettre l ombre et non pas refuser la totalit du savoir sur le monde est toujours l hori zon constitutif du projet encyclop dique pour l en cyclop diste tout comme la r alisation empirique de cette notion de totalit sous forme de livre ou de banque de donn es remis jour mais toujours 1 La recherche dont ce texte est issu a t rendue possible par une subvention du Conseil de la recherche en sciences humaines du Canada Une premi re version a t prononc e au colloque Epist mologie et symbolique de la communication Cerisy 1988 tudes Litt raires Volume 25 N 1 2 t Automne 1992 TUDES LITT RAIRES consultables toujours
7. disponibles reste une repr sentation commune et juste de l encyclop die Mettre l ombre n anmoins car la coop ration interpr tative se fonde sur l id e que le r cepteur n est pas l image en miroir de l metteur que la construction et les al as du sens sont tout autant de son fait que de celui de l metteur avec cette double cons quence que du point de vue esth si que c est la consultation pratique d extraction de fragmentation qui devient importante au d tri ment du trait po tique crucial de totalit et que ce recours au savoir accumul est un processus une construction et non pas un simple transfert d infor mations une simple consultation de donn es d j l C est cet usage d linquant d une bonne vieille notion qui nous autorisera continuer de parler de pragmatique m me si nous sommes pass s du c t du lecteur les op rations pragmatiques n tant dit on donn es pour le lecteur que sous les esp ces de leurs traces c est dire tant affaire d interpr tation de s mantique Le changement de perspec tive fait il une telle diff rence Cette insistance sur le r le du r cepteur n est elle pas tout fait secon daire C est ce que je voudrais examiner partir de la lecture d un r cit argumentatif c est dire d un hybride d j pr sentant en outre la particu larit de constituer un univers de r f rence struc turellement mal connaissable d avanc
8. le succ s de scandale de la censure en 1970 Comme il s agit d un corpus peu fr quent par l analyse de discours et que le texte de Lily Carr est la fois trop ancien pour la renomm e d actua lit et trop vert pour une ventuelle renomm e l gendaire je resituerai l argumentation dans le contexte historique du d bat et rappellerai les ten sions qu y subissaient les postes pragmatiques ce qui montrera que ce contexte pouvait lui seul rendre vaine l argumentation On trouve bien dans ce texte le frisson que doit provoquer tout r cit d espionnage le thrill de la mort suspendue sur la t te des protagonistes Dans cet univers l effet persuasif d une argumentation doit se mesurer l effet dissuassif de l article 76 du Code p nal ou l effet de conviction d une inti midation comme celle exerc e par le sergent Bleicher de la 3 section de l Abwehr ce qui risque d loigner de la puret syllogistique L pisode cri tique de la vie de la Chatte est en effet encadr et 39 domin par deux nonc s tr s cr diblement mena ants Travaillez loyalement avec moi et vous serez libre Sinon je vous fais ex cuter et Quiconque aura pratiqu des machinations ou entretenu des intelligences avec les puissances trang res ou leurs agents pour les engager commettre des hostilit s contre la France ou pour leur en procurer les moyens sera puni de mort Le simple fait que le livre a
9. m moires peu logieux son endroit de son ancien avocat L enjeu en tait moins radical son diteur ne l ayant sans doute pas menac e de mort pour obtenir son manuscrit ni ses lecteurs pour qu elle en change le contenu L adresse par contre en tait beaucoup plus indif f renci e grand public plut t que jury ou cama rade de combat clandestin Ceci signifie que les deux premiers circuits les deux premi res strates du d bat permettant de qualifier l acte de Lily Carr ne sont accessibles qu indirectement au lecteur La question La Chatte a t elle trahi s tait une premi re fois pos e aux membres de l Interalli mais toute ses r les cons cutifs d agent triple de t moin privil gi sinon impartial et d accus e Lily avait t con trainte une focalisation troite durant sa d tention et son interrogatoire par Bleicher elle ne pouvait videmment rien savoir du d bat tenu par ses camarades et plus tard l limination du r seau r duisit encore les chances de publication de ce premier avatar de la question A t elle trahi La seconde fois le circuit tait plus directement public c est dire que Lily devait convaincre les repr sentants de la soci t les jur s et le faire devant un public et la presse qui allait servir de r sonateur Pendant le proc s de Lily Carr et apr s sa condamnation des journalistes c est dire des repr sentants experts du public
10. a conscience claire du grand public et que l histoire de sa cons titution lui est inconnue D autre part et de fa on plus obvie m me pour un lecteur relativement ing nu passe encore qu une clandestine fasse des r v lations elle est VOLUME 25 N 1 2 40 T AUTOMNE 1992 bien plac e en regard d un secret pour a Mais qu une sp cialiste en tromperie donne des assuran ces sur la v racit de ses r v lations voil qui pour rait passer pour une ing nuit plus grande encore que celle du lecteur na f ing nuit voire impudence Circuits argumentatifs Partons du noyau argumentatif La force de son punch est largement amortie par la tactique auto biographique qui l enrobe et en r duit le d velop pement rh torique possible amortie aussi par le fait que l argumentation n est plus adress e l in terlocuteur masqu et expert qu il avait fallu ini tialement convaincre Le propos m me du livre la question de la culpabilit sa stratification his torique et son caract re conflictuel que l auteur propose sous une forme lin airement narrative incite en effet le lecteur une strat gie de d lin a risation une recomposition des l ments du r cit autobiographique autour d un noyau argumentatif nart r p t et ench ss faisant donc saillance pour le lecteur En effet avant le livre avant cette r v lation imprim e Lily Carr avait deux fois d se montrer persu
11. asive avec le m me contenu propositionnel Elle avait d abord d convaincre Lucas pseudo nyme de Vanecourt agent du Special Operation Executive britannique qui elle avouait en 1942 qu elle n avait trahi le r seau de l Interalli que sous la contrainte son all geance de c ur restant toujours aux Alli s malgr un interm de malheu reux arr t e en novembre 1941 par Bleicher et plac e devant le choix de trahir ou mourir elle avait donn trente cinq membres de son r seau jusqu son aveu Lucas en f vrier 1942 L ESPIONNE D MASQU E En outre elle devait le convaincre qu elle pouvait tre une parfaite cavale de Troie contre ceux qui l avaient retourn e qu elle tait en position privi l gi e pour les intoxiquer devenant ainsi un agent triple au service du SOE qu elle aurait t cens e trahir Cette tentative de persuasion avait t un succ s En second lieu Lily dut convaincre un jury que m me si son cas relevait bien de l article 76 du Code p nal les circonstances ses tats de ser vice ant rieurs aussi bien que ses aveux ou son second retournement att nuaient largement la port e de son crime Cette tentative fut un chec Lily devait tre condamn e mort en 1949 Troisi me circuit communicationnel apr s la gr ce pr sidentielle puis sa lib ration en 1954 son purgatoire dans la discr tion la publication de On mappelait la Chatte en 1975 sans doute pour r agir aux
12. configuration qui allait par sa coh rence s mantique et son utilit fonctionnelle effa cer tous les espions qui avaient acquis une certaine notori t auparavant Coh rent et utile le premier avatar du personnage de l espion dans l encyclop die ne devait pas grand chose l espionnage r el Le de Napol on III peu pr s inexistant n avait pas vu et pour cause contre espionnage op rer les trente mille agents de Wilhelm Stieber dans leur campagne organis e remarquablement et de longue main Ceci n emp cha nullement le dis cours social de trouver abr activement parmi les justifications honorables la d faite que la Prusse avait us d une arme d loyale cette r voltante fourberie s illustrait hyperboliquement dans la litt rature populaire par l opposition du franc tireur cincinnatus appel par la Patrie et de l espzon prussien manation de l tat caserne d guis en civil Premier trait de l encyclop die d termi nant l espionnage rel ve du registre thique le mot espion doit plus servir stigmatiser qu d noter Comme il fallait contrer le fourbe le franc tireur de la nuit allait satisfaire Mars et la morale et avec la r surgence du genre la guerre de 14 reprendre du service dans l appareil d Etat et dans VOLUME 25 N 1 2 T AUTOMNE 1992 des histoires qui devaient plus Fant mas qu l espionnage r el Pierre Souvestre et Marce
13. connues sauf pendant la guerre pour les prota gonistes trop loin des t tes de ces services et apr s la guerre pour le grand public pris entre r v lations inv rifiables et constitution de la geste narrative de la R sistance Un seul exemple en 1948 Henri Dericourt tait acquitt d une accusation de trahi son alors qu il avait eu des relations suivies avec Hans Boemelburg chef du contre espionnage alle mand en France et pourtant il avait donn le r seau Prosper dont presque tous les membres quatre cents r sistants fran ais une vingtaine d agents britanniques arr t s en juin juillet 1943 devaient mourir en d portation Alors cet acquittement Dericourt tait en fait un agent du SIS et c est sur ordre de ce service que Prosper avait t sacrifi ce r seau ayant pour principal d faut de travailler sous la responsabilit du SOE nouveau service plac par Churchill sous la tutelle du provisoire Minist re de la guerre conomique c est dire hors de celle du War Office et du MI 5 ou de celle du Foreign Office et du MI 6 Tous les l ments mis en uvre par Lily Carr auraient pu on le voit constituer les bases d un dossier de r habilitation pourtant son livre ne cherchait pas vraiment en faire le montage leur donner la forme exhibant leur coh rence le plan d un plaidoyer Maladroite alors cette argumenta tion La forme de son livre nous ouvre plut t une autr
14. e perspective l ing nuit d un r cit de forma tion de l enfance la guerre succ dent la fid lit de la chronique l authenticit du journal de prison et la communion dans la v rit partir de la con version religieuse une d clinaison compl te des VOLUME 25 N 1 2 44 T AUTOMNE 1992 formes v ridiques une hyperbole d authenticit Le plaidoyer aurait eu un co t rh torique celui de discipliner cette authenticit jaillissante Ce choix revendiqu fait alors prendre comme une mayonnaise toute une s rie de propositions dis pers es dans le registre confession c est le d ni de son aventure amoureuse avec Armand dans le registre chronique c est le rappel de l amateurisme des r seaux d avant 1943 par touches successives mais de fa on concert e le rev tement autobiographique devient l argument le plus fort Le d bat se d place il s agit moins de ce que la Chatte a fait que de ce qu elle est D n gations corrections r v lations ou explica tions ne sont pas au service d un plaidoyer elles servent toutes contrer l adversaire contre laquelle Lily avait perdu en 1949 lors du proc s Mata Hari Sur le plan technique s adressant un techni cien comme Lucas elle avait pu convaincre Mais changeant d interlocuteur elle tait rest e sur ce plan technique lors du proc s elle avait aussi assum le cynisme de l emploi avec l adage fonda
15. er des pro positions assertives dont la valeur de v rit est difficilement d terminable et de mal r gler le pro cessus de consultation encylop dique pourtant d terminant en tant que condition communica tionnelle de r ussite persuasive Vilain petit canard dans une couv e de cygnes Pas seulement et pas vraiment puisque ce r cit caract ristique d un argumentatif est assez VOLUME 25 NS 1 2 38 T AUTOMNE 1992 ensemble de textes que j ai rencontr s en exami nant l mergence du discours romanesque ou non prenant l espionnage pour objet et illustrant le paradoxe de l espion d masqu avant de pou voir convaincre l nonciateur doit tablir que son autorit et sa force lui viennent de ce qu il est un t moin privil gi et cr dible mais s il prend le d tour oblig du t moignage l univers de r f rence de son r cit provoque tout aussi in vitable ment le scepticisme de celui qu il s agissait de convaincre Lecture et contradiction pragmatique de l espion d masqu Partons donc d une lecture celle de On mappe lait la Chatte 1975 de Lily Carr Averti par le paratexte de couverture le lecteur avait d j avant m me de commencer sa lecture un cadrage du livre assez pr cis espionnage r alit t moignage autobiographie En fait outre le propos du r cit le genre laissait pr voir des l ments d nonciation et d intertexte la fois une
16. ersus tra tre la typologie d espions le conflit entre les exi gences de l honneur militaire ou de la morale natu relle et les n cessit s pragmatiques du combat secret des emplois faisant paradigme comme la 3 C est dire le contre espion patriote incarn pour la premi re fois dans es Espions d Alphonse Brot 1874 42 L ESPIONNE D MASQU E patriote vertueuse et sublime contre la beaut fatale La beaut fatale devint arch typale dans l encyclop die gr ce Mata Hari qui synth tisait c l brit mondaine et mythique sensualit mortif re clandestinit et renomm e pratiquant un art sans mots mais devenue l objet d une v ritable et prolif rante mataharilogie avec ses encha nements oblig s le tout encapsul dans un signifiant magique Se fix rent enfin dans l encyclop die les pre miers op rateurs de liaison les premiers m ta nonc s Joncteurs entre espionnage historique et espionnage romanesque la r alit d passe la fic tion et entre espionnage historique et grand public incroyable mais vrai Et comme la r v lation entra ne souvent la controverse un der nier op rateur allait maner du grand public devenu rapidement sceptique incroyable et effectivement controuv Troisi me p riode Les histoires de la R sistance avaient maintenu apr s 1945 la veine patriotique mais cette derni re mutation de l encyclop die soutenue pa
17. it t crit est d j en lui m me l illustration que les nonc s mena ants peuvent tre contr s et si de son succ s argu mentatif ne d pend pas la peau de son auteur le fait que Lily Carr ait t expos e deux fois l ir r parable donne son t moignage une vague aura de cr dibilit ordalique videmment exploit e par l diteur sur la quatri me de couverture Le livre a pour enjeu l extojustification de l auteur la stra t gie dominante est celle de la r v lation et la forme g n rique rectionnelle est celle de l extobiographie Dans le trajet d appropriation du sens par le lec teur ces l ments apparaissent dans un autre ordre la quatri me de couverture annonce des r v lations celles ci sont le fait d un t moin dont la vie m me cautionne le s rieux de son t moi gnage enfin campant dans la v rit cette rappor teuse fid le peut corriger le traitement injuste que quelque sournoise rumeur avait fait subir sa r pu tation Non Lily Carr n a pas vraiment trahi son r seau de r sistance telle devrait tre la convic tion du lecteur pour sceller la r ussite du r cit argumentatif Le paradoxe de tout espion d masqu tient d abord une difficult d ajointement des deux TUDES LITT RAIRES p les pragmatiques que le moi je de l autobiogra phie rectionnelle ma trise le moins bien le r f rent et l adresse La r v lation jeu de langage dominant pr sup
18. l Allain eux m mes mais aussi L on Sazie Maurice Leblanc Gustave Le Faure Gaston Leroux Jules Mary Gabriel Bernard et tout le gratin de la lit t rature populaire ayant ainsi mis leur inspiration au service de l effort de guerre Second trait de l encyclop die donc l espionnage est romanesque la fin des ann es vingt l encyclop die subit une mutation d cisive non qu on cess t d crire des romans au contraire mais parall lement entre ce moment et la dr le de guerre furent publi s une centaine de titres donnant l espion de fiction un double historique Fonctionnellement ces textes se r partissaient en deux registres l histo rique et le politique les r v lations pour tablir la v rit sur la guerre secr te d hier et les r v la tions pour intervenir sur aujourd hui les inten tions de Payot et celles des ditions de France proches de l Action fran aise D un point de vue nonciatif la strat gie tait majoritairement celle de la r v lation r v lation faite avec une implica tion plus ou moins directe de l nonciateur depuis le mode autobiographique jusqu l historiogra phie mod le s rieux et didactique mod le scep tique ou mod le hagiographique en passant par les journalistes de droite voire les anciens chefs Sont fix s quelques uns des motifs des th mes et des emplois du genre l entr e en espionnage la d finition contrastive espion v
19. la pragmatique et au para digme de la coop ration interpr tative la question de leur ajointement L on consid re usuellement que l appropriation contextuelle n a de pertinence que pour l nonciateur que le lecteur ne peut que s mantiquement interpr ter les traces laiss es par les contraintes communicationnelles dans l non c Hybridation autobiographique adresses implicites des trois versions du r cit argumentatif seraient donc affaire de pragmatique mais pas ma pr sente pr tention de saisir ces conditions d appropriation contex r cit argumentation contrat tuelles dans le paradigme de la coop ration inter pr tative qui serait affaire de s mantique exclusi vement semblerait il Revenons donc une derni re fois sur l acte de lecture sur la d marche cognitive de compr hen L ESPIONNE D MASQU E sion du lecteur Il peut fort bien ne pas avoir t convaincu par l argumentation de Lily Carr il n en a pas moins VU j insiste VU et non pas inf r le r le crucial dans l argumentation du savoir dont dispose d j l adresse de cette argu mentation Lily Carr peut bien avoir effectu de mauvais choix strat giques face au jury et face au lecteur de ses m moires son r cit n en a pas moins mis en sc ne en creux l encyclop die probable du sp cialiste et du jury adresses des deux circuits argumentatifs ench ss s Autrement dit si l tude de l encyclop die dun lecte
20. lennemi Elle nze sa participation la principale affaire d intoxication dont sa radio retourn e aurait t l instrument contre la Royal Navy et la RAF l affaire de la fuite des trois croiseurs Scharnhorst Gneisenau et Prinz Eugen selon elle Bleicher aurait connu le code et donc pu signer les messages radio incrimin s la place de la Chatte Elle corrige la conviction du procureur g n ral et de son propre avocat que son arrestation avait t le fait des Britanniques c taient les gaullistes de Londres qui l avaient fait emprison ner document l appui Elle r v le bien s r qu Armand Ciarniawski avec qui avec elle avait fond le r seau Interalli et qui avait t arr t un peu avant elle avait trahi et tait pass l Abwehr l enqu te sur lui aurait t touff e par les Anglais la Lib ration r v lation forte puisqu elle per mettait l argument les Allemands n ont pas eu besoin de ma trahison puisqu ils avaient toutes les informations sur l Interalli par une autre source Elle propose une explication synth tique ayant choisi son arriv e en Angleterre apr s son second retournement de travailler pour le c l bre Secret Intelligence Service elle aurait t l ch e par le SOE TUDES LITT RAIRES devenue inutile voire nuisible aux gaullistes ceux ci en auraient profit pour la faire arr ter Les rivalit s entre services taient loin d tre in
21. pose bien un secret mais dans le discours prenant l espionnage pour objet c est l univers de r f rence complet qui est secret par d finition guerre secr te agents secrets si la r v lation veut tre av r e s1 elle veut tre crue elle a besoin d un lecteur expert pour qui l univers de r f rence n est pas totalement opaque d un lec teur capable de mesurer la particularit de telle r v lation la g n ralit des lois de cet univers de r f rence Le plus vraisemblable lecteur expert devrait donc tre dans le secret pr alablement tre un espion peut tre Or ce livre a t publi dans une collection grand public sans liminer la clien t le de lecteurs experts l diteur ne l a peut tre pas cibl e en priorit les survivants de la R sistance trente ans apr s la guerre ne valant sans doute pas eux seuls les frais d une publication On le voit le probl me aborder ici n est pas curieusement celui spectaculairement annonc par le texte lui m me du savoir de l nonciatrice mais plut t celui du savoir de l nonciataire entre qui veut convaincre en t moignant et qui doit tre convaincu s interpose en tiers une encyclop die celle du savoir endoxal sur l espionnage potentiel lement disponible pour le grand public Malgr le caract re cryptique de son objet cette encyclop die n est pas vide ni quelconque d ailleurs ni immuable m me si elle chappe l
22. r une abondance de titres tr s vari s souvent le fait de journalistes ou d espions la retraite devait tre originale en ce sens que r f rence thique et justification patriotique allaient s estomper au profit d une conception profession naliste de l espionnage Cette immanentisation se sera doubl e d un autre th me le Spzonspiel est un jeu exigeant meurtrier mais sans autre finalit que le jeu lui m me ou des fins motion nellement assez neutres au moins dans l id ologie nationaliste new look de la France d apr s guerre la d fense de l Occident par exemple Enfin le grand public connaissait plus large ment des l ments carr ment techniques de luni vers de r f rence les gadgets meurtriers popula 43 ris s par les jamesbonderies des ann es soixante et la d sinformation popularis e la fois par les romans de Le Carr et de nombreuses vulgarisa tions du d but des ann es soixante dix Apr s la r alit d passe la fiction on en tait la r alit est machin e comme une fiction Apr s ce survol revenons aux espions d mas qu s Le texte de Lily Carr d fend une th se celle de sa culpabilit certes mais qualifi e att nu e avec les moyens narratifs et argumentatifs pr vi sibles en un tel cas le r cit att nue par exemple les effets des d nonciations il insiste par contre sur la restriction mentale lorsque l espionne est con trainte de servir
23. t de d p trer Lily Tout d abord son d sir d appar tenir vraiment au monde de l espionnage con textualisation biographique de son action clandes tine amateurisme de celle ci puis le choix d un sc nario pr construit tranger ceux naturalis s par cet univers de r f rence la conversion de la p cheresse devant faire pi ce au noyau ind niable la trahison Le cadrage pr alable tait n anmoins trop rigide l interpr tant espionnage trop pr gnant pour que la tentative d y chapper ait eu quelque force de conviction l objectif de Lily tait somme toute modeste puisqu elle n attendait m me pas une r habilitation officielle Aussi faudra t il se contenter de r ver deux strat gies qui auraient au contraire manipul l encyclop die sur l espionnage La postmoderne e t consist en une nouvelle mise jour de l encyclop die en une int gration du nouveau savoir commun sur l espionnage La 4 vrai dire comme pour Mata Hari il ne manquait pas non plus l ind cision sur le nom propre Carr tait le nom de l poux dont elle s tait s par e au d but de la guerre il tait mort au combat et d cor B lard tait son nom de jeune fille Mathilde tait le pr nom public qu elle avait choisi de remplacer par le pr nom intime de Lily pour signer son livre TUDES LITT RAIRES VOLUME 25 N 1 2 T AUTOMNE 1992 posture autobiographique le plus fort
24. te le grand public de 1975 aurait il ren cl devant des m moires moins ang liques conversion et plus piment s liaison avec Armand Mais sur tout apr s la guerre froide les r v lations sur la guerre subversive Indochine Alg rie apr s un quart de si cle de romans d espionnage moulin s industriellement le savoir commun avait finale ment ent rin dans son encyclop die que l espion 46 nage ne relevait pas du registre thique mais d un jeu aux r gles l tales et arbitraires ignorant toute transcendance pour mieux assujettir les joueurs double cauchemardesque de l id ologie organisa tionnelle le Spzonspiel Sans conversion sans hyper trophie autobiographique sans responsabilit un peu la Eichman Lily aurait pu recourir cet hybride pragmatique aujourd hui banal dans le discours politique ce d doublement ventriloque le commentaire action Voici ce que j ai fait sans avoir alors la conscience que j ai aujourd hui d avoir t un pion sur l chiquier Je parlais d une autre strat gie possible nietzs ch enne elle e t consist un peu la Georges Bataille en une affirmation de tout du sexe et de la trahison du plaisir et de la honte de l espion nage et des lans mystiques En fait Lily Carr aura sans doute fait manquer la Chatte son rendez vous avec la mythologie de l espionnage N emp che que la lecture de son plaidoyer ban cal permet de poser
25. teur de l espionnage qui veut la fin veut les moyens En fait assumer est bien trop dire elle occupa en effet une place pr d termin e dans l encyclop die ainsi que le r v le l incident sui vant Le procureur devait citer dans son r quisi toire une r ponse que la Chatte avait faite ses manipulateurs allemands lui demandant Et si on vous fusillait quel serait votre dernier d sir Bien d ner faire lamour et entendre le Requiem de Mozart Par les vertus de l interpr tant r quisitoire et de l emploi entendez ce mot comme emploi th tral sous jacent de femme fatale mod lisant le portrait psychologique que le procureur tra ait de la tra tresse la valeur de L ESPIONNE D MASQU E cette phrase devenait tout autre que dans l inter action originale elle provoquait un Quelle sorte de femme peut penser des choses pareilles sinon une femme condamnable Le jury avait conclu que le cas particulier de Lily Carr tombait bien dans le cadre g n ral de lar ticle 76 mais il lavait fait en passant par la m dia tion d un cadrage singulier celui de l emploi beaut fatale disponible pour tous sous la forme mataharique Il ne manquait m me pas le signifiant magique la Chatte En sous estimant la pr gnance du registre thique dans l encyclop die de 1949 par go t de la provocation ou par ignorance elle avait v cu en clandestine au d but de la guerre p
26. uis tait rest e sept ans en pri son et n avait pas connu le changement de men talit que le p tainisme avait l gu lapr s guerre elle avait perdu En estimant plus justement ces facteurs son avocat avait obtenu la gr ce pr sidentielle La d fense a le sentiment que la liaison entre Mathilde B lard et Bleicher a t utilis e par l accusation comme une lourde pr somption de sa culpabilit en sorte que le proc s a t men essentiellement sur un terrain psy chologique M Naud cit par Young p 160 L appropriation contextuelle repr sent e Il ne suffit pas de dire le vrai il faut aussi en fournir le mode d emploi ma triser les conditions de son interpr tation de son intelligibilit de son acceptabilit Pi g e par le paradoxe de l espion d masqu Lily Carr choisit de se d masquer jus qu la nudit pour d nier au maximum avoir t une espionne saint Paul contre Mata Hari Mata Hari ce complexe encyclop di que de savoir diffus sur l espionnage et de sc nario pr construit s mantis par des valeurs patriotes et misogynes On m appelait la Chatte prenant acte de l aveuglement dont Lily avait fait preuve face au jury opposa donc une double riposte qui ne doit rien bien s r l argumentaire ni aux enchaf nements convenus de la mataharilogie puisque l autobiographie argumentative se garde bien de d signer explicitement le paradigme dont il s agi
27. ur d On m appelait la Chatte est affaire de s mantique on peut consid rer que ce lecteur a eu sous les yeux deux argumen tations au contenu similaire dont les r sultats divergents le contraignent envisager l hypoth se m ta argumentative qu il y a une diff rence entre le contenu et l appropriation d une argumentation On l avait vu avec l espionnage son encyclop die comprend non seulement des informations mais aussi des op rateurs de liaison on voit qu avec tout r cit d une argumentation le lecteur enrichit son encyclop die de r gles d une pragmatique sponta n e Qu il ait eu conscience ou non de la strat gie argumentative de Lily Carr pour emporter son adh sion qu il ait correctement interpr t ou non le lecteur aura eu sous les yeux en lisant cette his toire le projet m me de toute pragmatique la compr hension des conditions d appropriation des nonc s R f rences BROT Alphonse es Espions Paris Librairie du Moniteur universel 1874 CARR Lily On m appelait la Chatte Paris Albin Michel 1975 ECO Umberto Lector in fabula Paris Grasset 1985 MARCHETTI Victor et John D MARKS a CIA et le culte du renseignement Paris Robert Laffont 1975 SKORZENY Otto la Guerre inconnue Paris Albin Michel 1975 THYRAUD DE VOSJOLI Philippe Lamia l anti barbouze Montr al ditions de l Homme 1972 TREPPER L opold e Grand Jeu Paris Albin Michel 1975
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