L`effet Bartleby
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1. espace de la toile laiss intouch par le pinceau qu on lit dans leur interstice bien des gards Blanchot est 25 L effet Bartleby ici le grand le secret initiateur C est avec lui que dialogue Der rida dans Donner la mort c est avec lui encore que dialogue De leuze dans son texte sur Bartleby ou la formule On aimerait ici esquisser quelques l ments d une constellation le neutre de Blanchot qui d sactive le travail du n gatif et les op rations m diatrices de la dialectique ouvre sur une conception in dite de la litt rature comme d s uvrement comme absence non n ga tive qui va inspirer la pens e du dehors d velopp e par Deleuze dans l avant propos de Critique et clinique Derrida est marqu par Blanchot mais sur un autre mode lui qui va confronter la d construction l rd constructible sous l esp ce de la litt rature et du secret qui lui est attach Dans R sistances de la psychanalyse Derrida voquant Bartleby ce petit livre immense de Melville voit en lui Pembl me du secret de la litt rature l o peut tre elle fait parler ou chanter la psychanalyse Lisant le philosophe difie surimpose une fable seconde pr l ve une s rie d l ments signifiants transforme en mod le en chiffre ou en concept la fascination premi re produite par un texte haute densit figurale Mais comment op re le geste interpr ta tif2. l vent au dessus des mots Quant Blanchot qui a tant m dit sur la figure de Bartleby il dresse dans L Entretien infini le programme suivant crire le rapport l autre de tout livre ce qui dans le livre serait d scription exigence scripturaire hors discours hors langage crire au bord du livre en dehors du livre Et Pon notera que dans L criture du d sastre la formule de Bartleby est ce qui unit le d passement de l ontologie et la pens e du dehors puisqu avec elle nous sommes tomb s hors de l tre dans le champ du dehors o immobiles marchant d un pas gal et lent vont et viennent les hommes d truits Sans doute n est ce pas un hasard si la silhouette lividement propre pitoyablement respectable incurablement abandonn e 31 G Deleuze Critique et clinique Paris Minuit 1993 p 9 La position de Deleuze dans cet Avant propos est tr s proche de celle de Lyotard dans Discours Figure pour qui le langage est comme perc de trous la r serve pr s que chez ce dernier le dehors renvoie l intimit m me du corps et de son espace 32 M Blanchot L Entretien infini Paris Gallimard 1969 p 626 33 M Blanchot L criture du d sastre Paris Gallimard 1980 p 33 34 34 I can see that figure now pallidly neat pitiably respectable incurably 23 L effet Bartleby B1 23 du scribe a successivement fascin Blanchot Deleuze et Derr
3. agit du nom du peintre allemand dont un tableau orne la couverture de l dition folio de la nouvelle de Melville Le clin d il intertextuel aux mises en abyme des ann es soixante s accommode fort bien ici d un salut dis cret la force de vente des ditions Gallimard Que la radicalit bouleversante de Bartleby the scrivener se voie mu e par Delerm en refus born presque sournois adress au monde voil qui assur ment a valeur de sympt me 25 Ph Jaworski Melville Le d sert et l empire op cit p 19 26 Ph Delerm Quelque chose en lui de Bartleby Paris Mercure de France 2009 la fin du roman le personnage se demande s il est devenu un bartleby Un tanker passe au loin Monsieur Spitzweg sourit Il vient de parler voix haute Et si j tais un bartleby p 150 27 Ibid p 53 Bartleby se dessinait plut t comme une esp ce de mod le en creux Monsieur Spitzweg tait tent par une attitude massive de refus Mais le refus glorieux bravache de Cyrano dans sa tirade des non merci n tait pas pour lui Le refus born presque sournois de Bartleby lui paraissait davantage dans sa nature 21 L effet Bartleby 3 PHILOSOPHES LECTEURS Il s agira ici de mener l enqu te sur les commentaires philo sophiques de la nouvelle de Melville fa on pour nous de lire le texte philosophique l preuve de son autre qui est le texte lit t
4. de l all gorique Ah Bartleby Ah humanit c est sur ces quelques mots que le texte se referme sur son propre clat neutre voil comme le sont les yeux du scribe sous le regard inqui siteur de l avou 1 L EFFET BARTLEBY Singulier pouvoir de ces fictions dont les h ros comme man cip s de leur texte d origine se mettent vivre d une vie propre animant leur tout d autres uvres donnant chair et forme des 8 H Melville Pierre ou les ambiguit s in uvres ITI op cit p 964 13 L effet Bartleby concepts Puissance de suggestion du Bartleby de Melville de cette figure bl me et d charn e qui a pour un temps incarn a liff rature m me celle ci apparaissant alors comme une preuve du n gatif comme un refus d crire un discret I would prefer not to adress la face du monde trange fortune de Bartleby cette nouvelle publi e anonymement dans deux livraisons du Pu nams monthly magazine en novembre et d cembre 1853 sorte de bouteille la mer lanc e par Melville apr s P chec retentissant de ce chef d uvre incom pris que fut Pierre ou les ambiguit s demeur lettre morte lors de sa parution Comme le rappelle en effet Pierre Leyris Apr s un tel chec celui de Pierre on les ambiguit s Melville ne pouvait plus proposer de roman aucun diteur Il ne pouvait que collaborer une revue ce qu il fit en effet apr s un long silence en publian
5. la prison trouve Bartleby recroquevill dans la cour mort Je m arr tai puis m approchai tout contre lui je vis en me penchant que ses yeux voil s taient ouverts par ailleurs il semblait profond ment endormi Quelque chose m incita le toucher Je t tai sa main un frisson convulsif courut le long de mon bras et de mon chine jusqu mes pieds B7 77 Le bref pilogue relate une trange rumeur dont l avou dans sa soif d exactitude pr cise qu il ne saurait dire dans quelle mesure elle est v ridique avant d tre employ comme scribe Bartleby aurait exerc une fonction subalterne au bureau des Lettres au Rebut de Washington L avou imagine le d sespoir occasionn par la r ception de ces lettres mortes Messages de vie ces lettres courent vers la mort et a cette exclamation finale Ah Bartleby Ah Humanit B1 79 Nous voici en quelque sorte au c ur des t n bres Dans la fin terrible du scribe qui se laisse mourir sur le doux gazon de la sinistre prison des Tombes nouveau Job dormant avec les Rois et les Conseillers B1 77 se lit comme l universalit d un destin et plus encore une forme de r sistance nue que l on ne saurait appeler celle de la ve quelque chose d aussi irr ductible que peut l tre le pur fait d exister Il y aurait ici quelque chose qui d fie toute mise en sens tout en donnant l opacit si l
6. on peut dire 12 Introduction figure de forme quelque chose qui constitue de ce fait une prodi gieuse invite interpr ter et penser C est que l on ne saurait sans risque soulever ce que Voltaire nommait le voile de la fable Non que le lecteur en qu te de sens stabilis s expose une in terdiction quelconque Simplement ce qu il d couvrira c est ren ce rien que le h ros de Pierre ou les ambiguit s se refusait voir au principe de toute chose La vieille momie est enfouie sous de multiples bandelettes il faut du temps pour d mailloter ce roi gyptien Parce que Pierre commen ait percer du regard la premi re couche superficielle du monde il s imaginait dans sa folie qu il avait atteint la substance non stratifi e Mais si loin que les g ologues soient descendus dans les profondeurs de la Terre ils mont trouv que strates sur strates Car jusqu son axe le monde n est que surfaces superpo s es Au prix d immenses efforts nous nous frayons une voie sou terraine dans la pyramide au prix d horribles t tonnements nous parvenons dans la chambre centrale notre grande joie nous d couvrons le sarcophage nous levons le couvercle et il n y a personne L me de l homme est un vide immense et terrifiant D faire les bandelettes soulever le coin du voile c est s exposer figer en all gorie ce qui est comme un tat naissant mourant ou spectral
7. parti de lattitude de Bartleby qui copie une quantit consid rable de documents tout en se soustrayant obstin ment la v rification d autrui Le scribe devient alors l ind logeable linexpulsable le grand point tait qu i tait toujours l le premier le matin continuellement pr sent tout le long du jour et le dernier le soir B1 36 La deuxi me phase du r cit m ne l expulsion de Bartleby L avou s aper oit que le scribe poss de un double de la clef de son bureau et qu il s y enferme Voici avou la porte de son propre bureau et singuli rement d sarm En v rit c tait surtout son extraordinaire suavit qui me d sarmait ou pour mieux dire m masculait B1 39 et BS 27 Indeed it was his wonderful mildness chiefly which not only disarmed me but unmanned me as it were Le narrateur passe successivement de la m lancolie fraternelle devant cet autre fils d Adam la frayeur puis la piti et une forme de r pulsion Le voici qui doute de l tat mental de son employ Ce que j avais vu ce matin l me persuada que le scribe souffrait d un d sordre inn incurable Je pouvais faire l aum ne son corps mais son corps ne le faisait point souffrir c tait son me qui souffrait et son me je ne pouvais l atteindre B1 44 Press de questions Bartleby toujours post face son mur aveugle met un refus explicite Quand
8. raire non pour prendre en d faut la fameuse patience du concept mais pour saisir les choses en quelque sorte la limite la lisi re l o litt rature et philosophie tout la fois se distinguent et s entr appellent La vague des commentaires philosophiques de Bartleby dessine en creux la cartographie de cette pens e fran ai se pour laquelle la litt rature a pu constituer une forme d preuve du dehors La modernit litt raire et philosophique que l on peut dater des ann es soixante et soixante dix et qui jette encore quel ques feux dispers s au d but des ann es 1990 est ins parable d une dramaturgie du dehors d une topique de l ext riorit C est la pens e du dehors que Foucault lit en 1966 dans les fictions de Blanchot et qui ouvre sur ce dehors o dispara t le sujet qui parle La question du dehors unit tout un ensemble de pens es li es sous des modalit s diverses la critique de la dialectique h g lienne et de la circularit syst matique Chez Derrida c est la trace entendue comme archi criture et premi re possibilit d une parole qui constitue l ouverture de la premi re ext riorit en g n ral nigmatique rapport du vivant son autre et d un dedans un dehors Pespacement La diff rance pour Derrida commande le dehors et c est cet te condition que l tre peut tre mis sous rature et que peut tre pos
9. st rilis la fiction L o la r sistance passive de Barfleby a pu figurer une forme d preuve ou endurance du n gatif bien des discours actuels sur la litt ra ture qu ils manent de litt raires ou de philosophes tendent stigmatiser tout ce qui peut tre per u comme une apologie de la n gativit ou des jeux st riles sur le scintillement du sens absent Bartleby a cess de faire figure d incarner celui qui n crit pas ou plus dans la mesure o la figure du dernier crivain ch re Blanchot et travestie en apologie du nihilisme par des criti ques h tifs a d sert le champ de la critique litt raire proprement dite pour migrer dans celui de l esth tique Le critique Jean Yves Jouannais a sous titr I would prefer not to son investigation sur les artistes sans uvre en t te desquels il place une cr ature de fiction ce F licien Marb uf auquel il a consacr r cemment une installation toute bartlebyenne De l au urel il n y a qu un pas ais ment franchi ce qui veut dire aussi tout un espace de pens e arpenter 39 J Y Jouannais Artistes sans uvre I would prefer not to 1997 r d revue et augment e d une pr face dE Vila Matas Paris Verticales 2009 On aura not le clin d il Vila Matas tant l auteur de l essai Bartleby et compagnie L exposition collective F licien Marb uf 1852 1924 propos e par Jean Yves Jo
10. un certain ge attach une forme de sagesse de modestie et de mod ration homme de la retenue donc ce qui mexclut pas une pratique de l action charitable comme auto r tribution bien entendue Et la casuistique le d bat int rieur ont dans le r cit une tr s grande importance Melville exhibant ironi quement les plis et replis rh toriques de la fausse conscience de lavou v ritable figure de la belle me D embl e l avou nous pr vient que la biographie de Bartleby ne saurait tre que lacunaire qu il ne saurait en relater que qu il en a vu 5 H Melville Moby Dick texte fran ais et introduction A Guerne Paris Ph bus 2005 p 271 272 d sormais M1 Nous nous r f rerons galement la traduction de Ph Jaworski in H Melville Moby Dick Pierre ou les ambiguit s uvres III Paris Gallimard Pl iade 2006 not e M2 6 Phistoire d abord tr s dr le puis surprenante est finalement bou leversante Elle est narr e par un homme de loi qui tient une tude Wall Street o officient quatre clercs d vou s L homme pr cise d embl e qu il n a pas grand chose raconter Ici je serais tent de le copier Parce que copier et ruminer est une de mes activit s r currentes parce que je n ai pas grand chose dire Je me sens ainsi en sympathie avec le prince Mychkine bien que lui calligraphie avec le monsieur Dick de David Copperfield qui copie et extra
11. Citons entre autres les blogs litt raires Bartleby les yeux ouverts et Bartleby com 24 M Deguy Retour sur le culturel in R ouverture apr s travaux Paris Galil e 2007 p 249 269 et notamment p 255 cette d finition Le culturel produit la valeur de ce qui vaut ajoute la valeur tant transmute imm diatement l tantit en valeur 20 Introduction affirmation mais elle peut prendre de subtils d tours pour par venir ses fins Parall lement le texte de Melville a cess de figurer cette nig me que la litt rature propose la philosophie tout en ne cessant d un m me mouvement de la lui d rober En 1986 Philippe Jaworski formulait en ces termes la question de Bartleby celle de la litt rature m me Non il ne r pond pas il renvoie qui Pin terroge avec une inflexible douceur la question de la litt rature que d sires tu de moi Il n est pas s r que cette adresse soit encore perceptible aujourd hui Signe des temps l effet Bartleby a gagn la litt rature gros tirages Sous un titre doucement et doublement complaisant Quelque chose en lui de Bartleby Philippe Delerm conte l histoire d un petit employ Arnold Spitzweg qui cr e un blog au nom vocateur d antiaction com Mention est faite du Bartleby et compagnie de Vila Matas et le nom du personnage est lui m me explicitement cod puisqu il s
12. Hawthorne Je ne puis pas encore m arr ter l Si le monde tait enti re ment compos de magiciens je vais te dire ce que je ferais J ins tallerais une fabrique de papier un bout de la maison et j aurais un ruban de papier colier qui se d roulerait sans fin sur mon bureau et sur ce ruban sans fin j crirais un millier un million un billion de pens es toutes sous la forme d une lettre qui te serait adres s e L aimant divin est en toi et mon aimant y r pond Quel est le plus grand Sotte question ils ne font qu Un 2 LA FIN DE L INTERPR TATION C est pr cis ment cette dimension de fable qui est occult e aujourd hui r sorb e dans une certaine fascination pour la figure de r sistance passive incarn e par le scribe Cette occultation et ce d ni doivent tre pens s sur fond d une certaine fin de Pinter pr tation les subtilit s du commentaire se voyant assimil es en 21 H Melville Moby Dick op cit p 636 22 H Melville Lettres Hawthorne in uvres vol I Moby Dick Pierre on les ambiguit s trad de Panglais par Ph Jaworski et P Leyris Paris Gallimard Pl iade 2006 p 1135 1136 Nous soulignons 19 L effet Bartleby notre re de positivit s retrouv es aux errements et aux errances de P re du soup on et des ann es th oriques La fascination m diatique produite par la figure de Bartleby est concomitante de l puise
13. e l quivalence apor tique qui constitue l un des intertitres de la Grammatologie le dehors est le dedans Une histoire du dehors reste faire indissociable d une poque de l interpr ta tion Sans doute est ce la position du dehors qui donne sa chance 28 M Foucault La pens e du dehors in Critique 1966 p 525 29 J Derrida De la Grammatologie Paris Minuit 1967 p 103 30 Ibid p 65 22 Introduction l h t rog ne ce qui ne saurait se subsumer dans une parcours totalisant La pens e du dehors est une pens e du res cet gard Melville Kafka taient les auteurs id aux dans la me sure o leurs textes offraient une r sistance infinie non soluble dans le cercle herm neutique de la question et de la r ponse Deleuze d s l avant propos de Critique et clinique voque cette limite qui n est pas en dehors du langage mais qui en est le dehors limite qui ouvre sur un au del du langage puisqu aussi bien poursuit Deleuze elle est faite de visions et d auditions non langagi res mais que seul le langage rend possibles Il faut lire la suite du propos pour mesurer combien la formule de Bartleby est pr cis ment ce qui permet d activer ce passage la limite qui est la marque pour Deleuze de toute criture v rita ble Aussi y a t il une peinture et une musique propre l cri ture comme des effets de couleurs et de sonorit s qui s
14. il en uvre quelles strates du texte privil gie t il dans sa lecture quel trac dessine t il des limites toujours mouvantes en tre litt rature et philosophie Sans doute faut il s armer pour lexercice de cette finesse doreille pour le refoul inconscient dont parlait Freud dans La question de l analyse profane La nouvelle de Melville dans son nigmatique concision constitue une prodigieuse pierre de touche du rapport de d sir et d incompr hension m l s que se manifestent litt rature et philo sophie Lire Barfleby quel que soit le sch me qu on lui surimpose puissance non r solutive du neutre ou messianisme de la soci t des fr res c est bien des gards construire une certaine fable de la litt rature de son pouvoir et de son impouvoir m l s C est superposer l opaque l ind chiffrable y h05 melvillien un thos second celui de la philosophie r crivant son lien amoureux et dissonant la litt rature qu il s agisse de s en d faire et de s en dissocier ou de proclamer une forme d indivision qui ne saurait tre une fusion identifiante Ainsi la lecture de Bartkby loin de n offrir qu un toilement potentiellement ind fini de m ta com mentaires sera t elle ici indice critique r v lateur d une poque Une cartographie de la pens e qui s crit dans le jeu dialogique des commentaires et jusque dans cette r serve comme le disent les peintres de l
15. je lui demandai pourquoi il n crivait pas il r pondit qu il avait d cid de ne plus faire d critures B1 49 BS 31 he had decided upon doing no more writing Quant avou sa raison se trouve confront e une aporie insurmontable Un vagabond un r deur lui qui refuse de bouger C est justement parce qu il ne veuf pas tre un vagabond que tu cherches le classer comme tel cela est par trop absurde B1 64 C est alors l avou qui fait d m nager ses propres meubles Bartleby restant l immobile 11 L effet Bartleby occupant d une pi ce nue B7 65 Mais avou se voit rattrap par le destin de son trange liaison avec le scribe Un homme de loi vient le trouver pour se plaindre de Bartleby qui continue de hanter l ancien bureau de Wall Street L avou se trouve alors en quelque sorte assign par autrui sa propre responsabilit l gard de Bartleby Lors d une ultime conversation il tente en vain de persuader son ancien employ de quitter les lieux En d sespoir de cause il prend la fuite dans son cabriolet pour apprendre son retour que le propri taire de l tude a fait incarc rer Bartleby la prison des Tombes pour vagabondage L avou rend alors visite en prison Bartleby et celui ci refuse de lui parler Je vous connais dit il sans se retourner et je mai rien vous dire B1 73 Quelques jours plus tard l avou retournant
16. quel tempo quelle syntaxe secr te ob it il Ne proc de t il pas par pr l vements successifs lesquels occultent tels ou tels pans ou strates du texte pour les besoins de la d monstration N y a t il pas quelques points communs entre la lecture philosophique et la construction en analyse telle que Freud en offrit la th orisation Dans quelle mesure le concept s difie t il au rebours de la figure litt raire proprement dite dont il constitue parfois comme le re foul ou l oblit ration Et comment penser inversement une cet taine figuralit de la litt rature sans renier le travail du concept C est d un certain sze de l interbr table qu il sera question au sens o le psychanalyste Pierre F dida parlait lui d un s7 de l tranger L nigme de la fable de Melville la bri vet et la densit de sa forme la dimension sp culative voire l nigme irr solue de 38 J Derrida R sistances de la psychanalyse Paris Galil e 1996 p 38 26 Introduction la fameuse formule tout cela a constitu un temps une sorte d invite et de provocation penser Mais celle ci semble en voie d essoufflement de d sh rence L emprise que la litt rature a exerc e un temps sut la philosophie rencontrerait elle un ach vement provisoire On solde les comptes de cette pr tendue querelle du sujet qui aurait mis mal la puissance de reliaison des grands r cits aras le romanesque
17. 105 1 Les trois images de la pens e ss ssssssssssssessrressrressrreesressreese 109 2 R glages ou m taphysique sssssssssssssesssreesssessreesrreessreesseress 113 3 Le xix si cle et l Image de la pens e sssssssssessisessesssreeseeess 118 V DE BARTLEBY AU MUSULMAN AGAMBEN sm 127 tola Houre etle chiffre s sauraient 129 2 L avoir lieu du langage ss 137 3 Du scribe au musulman nanasa 149 VI L EFFET BARTLEBY FACE AU NOUVEAU PARADIGME 155 1 Anciens et modernes ou comment solder les comptes 159 2 Politiques de Bartleby ss 161 34 Ilfaut passer name tens nine 165 A Retours Sant Paul sms tot nent 169 5 L ge de la traduction une re en voie d ach vement 171 6 Bartleby aujourd hui nn 173 APPENDICE Le Bartleby de Jean Luc Nancy sssssssssssssiseeseee 179 INTRODUCTION Certains livres rayonnent d une lumi re inusit e la fois aveu glante et neutre Comme ces toiles mortes dont la lumi re nous parvient encore ils continuent bien apr s le moment de leur pa rution de diffuser un rayonnement singulier qui participe intime ment de la relation que nous entretenons avec eux Lors m me que nous ne les avons pas lus ou trop peu ou trop vite Kafka Melville Walser pour ne citer que quelques uns d entre eux nous sont en quelque sorte adress s et nous avons de leurs uvres et des figures qui les peuplent une sorte de pr savoir intime com
18. 34 14 Introduction dans cette constellation critique pour lequel Bartleby le scribe a repr sent le dernier crivain Au d but et la fin de L eriture du d sastre cette figure se condense dans l nigme de la formule o se lisent tout ensemble le dessaisissement et la r sistance passive oppos e aux incarnations du pouvoir de l ordre et de la loi Cette r sistance est celle du langage lui m me Je pr f rerais ne pas le faire Cette phrase parle dans l intimit de nos nuits la pr f rence n gative la n gation qui efface la pr f rence et s efface en elle le neutre de ce qu il n y a pas faire la retenue la douceur qu on ne peut dire obstin e et qui d joue l obstination avec ces quelques mots le langage se tait en se perp tuant De Blanchot Deleuze puis Derrida mais il faudrait citer galement pour la port e proprement politique de la fable Agam ben Badiou Zizek et Negri un certain nombre de penseurs et de philosophes se sont empar s de l nigme de Bartleby devenue embl me de ce par quoi la litt rature cette sir ne saisit et s duit la philosophie Lors m me que le penseur tel Deleuze pr tend s en tenir dans sa lecture une pure litt ralit il ne peut pas ne pas interpr ter donner figure et texture l nigme preuve les der ni res lignes du texte que Deleuze en 1989 consacre Bartleby Bartleby ou la formule
19. Mychkine et les greffiers anonymes des comique est toujours litt ral Il ne veut dire que ce qu il dit litt ralement p 89 15 E Vila Matas Bartleby et compagnie Paris Christian Bourgois 2002 Vila Matas d c le un syndrome de Bartleby qu il d finit comme un mal end mi que une pulsion n gative et une attirance vers le n ant qui emp chent en apparence certains crivains de le devenir vraiment 16 M Blanchot Le paradoxe d Aytr in La Part du feu op cit p 67 16 Introduction tribunaux kafka ens Constellation laquelle on pourrait ajouter l tonnant personnage de Dick dans David Copperfield uvrant copier sur un cerf volant des missives qui relatent la d capitation de Charles I d Angleterre Mais Giorgio Agamben voit dans la philosophie ce qui fournit le chiffre de la constellation litt raire et ce faisant il ne rend pas justice ce que la litt rature en ses tours et d tours dit d elle m me Que Pon pense cet gard au plan final labor par Flaubert pour Bouvard et P cuchet et tout ce qui s y dit figuralement d un destin de la lettre et de la r p tition que nul concept ne vient puiser Ainsi tout leur a craqu dans les mains Ils n ont plus aucun int r t dans la vie Bonne id e nourrie en secret par chacun d eux Ils se la dissi mulent De temps autre ils sourient quand elle leur vient puis se l
20. SOMMAIRE INTRODUCTION das a 7 1 L t bartl by s8 8 errant rs 13 2 La fin de l interpr tation 2e int 19 3 Philos phes lecteurs nt i 22 I CELUI QUI N CRIT PAS Le Battleby de Blanchot su Hands 29 1 La ligne odyss enne du r cit ss 31 2 Vers le neutre situations ss 34 3 La pens e le d sastre le neutre s sssssssessssesssssssressrressrreesrreess 38 4 Bartleby de la litt rature l criture s ssssssssssssesssrisssressssessren 41 5 La pure criture P criture hors langage sssssssessseseess 46 IL BARTLEBY OU LE SACRIFICE Blanchot D fid fines tn ttes 53 1 Le sacrifice et l embarras ssunnesasusiiiaisisiissa 53 2 Le sacrifice maintenu suspendu ss sssssssssesssessreessreessrressreessee 56 3 La Philia et Esprit du temps Blanchot Derrida s 64 4 L poque de Rousseau ns 72 5 Ce go t de mort en poste restante sss essesssesssresreesrreesreeess 75 LIL CLINIQUES DE BARTLEBY Deleuze inime ana a a a 83 1 Les ap ries dela fio teneranerenoenainnniininaa a 83 2 Le signe secret de l architecte ss 86 3 L Idiot L Original et le Schizo es 88 L effet Bartleby 4 Le clinique la clinique topique et modalit s d un partage ss 91 5 Wolfson ou la doublure ssssesssesensesesesososnsnssssssseseenensososososeseses 96 6 Le cogito wolfsonien ss 100 IV PENS E SANS IMAGE ET IMAGE DE LA PENS E Deleuze Ranci re et l extr me contemporain s ssssesessee s
21. a communiquent simultan ment copier Confection de bureau double pupitre s adressant pour cela un menuisier Gorgu qui a entendu parler de leur inven tion leur propose de le faire Rappeler le bahut Achat de registres et d ustensiles sandaraque grattoirs etc Ils s y mettent Singuli res histoires de scribes de lettres vol es perdues et re trouv es au moment o l on s achemine vers les diff rentes modali t s de la reproductibilit technique analys e par Walter Benjamin On verra dans le xIx si cle cet ge de la lettre de la traduction du souci philologique de la Babel traductive Antoine Berman o se d ploient par voie de fiction d tonnantes fables de la lettre 17 G Agamben Bartleby ou la cr ation trad fr C Walter Paris Circ 1995 18 Ch Dickens L Histoire les Aventures et Exp rience personnelle de David Copperfield le Jeune pr f J P Naugrette Paris Le Livre de poche 2007 p 274 sq la fin du roman Dick dont le nom commence comme celui de Dickens et en qui on peut voir une sorte d all gorie de l auteur en vieux fou s occupel copier tout ce qui lui tombe sous la main Ibid p 976 19 G Flaubert Bouvard et P cuchet d Cl Gothot Mersch Paris Gallimard Folio classique p 414 17 L effet Bartleby et de la copie dans lesquelles l intertexte biblique prend une im portance extr me Dans toute une
22. be refuse de proc der avec l avou la v rification Ou plut t il use de la fameuse formule qui ouvre un espace ind cidable entre le oui et le non ce I would prefer not to que Pierre Leyris traduit judicieusement par je pr f rerais pas La r sistance passive de Bartleby s installe cependant que l avou commence ressentir son endroit une singuli re fascination On pourrait aller jusqu voir en Bartleby comme le fait Philippe Jaworski une histoire d amour et d emprise Bartleby est Phistoire d un homme amoureux ou plut t d un homme qui tente vainement d en entra ner un autre qui lui fait face dans la pl nitude de PAmour L autre le copiste apr s avoir paru trouver sa place dans cet ordre pr f re mettre un terme l arrangement Non pas en prenant cong pour aller s installer ailleurs mais en restant l sans y tre En v ritable casuiste l avou trouve l l occasion de s arranger avec sa propre conscience Oui voici l occasion de 7 Ph Jaworski Melville Le d sert et l empire op cit p 47 10 Introduction jouir fort agr ablement peu de frais de ma propre estime Il ne me co tera rien ou presque rien d tre amical avec Bartleby de me pr ter son trange ent tement et du m me coup d emmagasiner dans mon me ce qui deviendra ventuellement une friandise pour ma conscience B1 32 Les jours passent et l avou prend son
23. ce Pair du temps celui qui a suscit la pl thore des commentaires et des interpr tations et la mise en coupe r gl e du texte de Melville Signe des temps L un des derniers commentaires en date celui de Jacques Ranci re est un m ta commentaire dans la 2 forlorn BS p 8 35 J L Nancy La pens e d rob e in La Pens e d rob e Paris Galil e 2001 p 38 36 J L Nancy nous a expos son point de vue dans des courriels qui sont reproduits en appendice 37 J Ranci re Deleuze Bartleby et la formule litt raire in La Chair des mots politiques de l criture Paris Galil e 1998 p 179 203 24 Introduction mesure o il s agit d une lecture de Deleuze lisant Barfleby Lectu re d une grande pertinence d une redoutable f rocit pol mique par laquelle il s agit avant tout d imposer une autre conception de la litt rature et dont Bartleby est certains gards l ofage Si troublante et bouleversante que soit la nouvelle de Melville il ne saurait tre question dans ce livre d en faire un commentaire direct Ce qui nous int resse ici c est la fa on dont la philosophie entre en contact avec la litt rature en prouve l nigme avant de dissoudre cette derni re la pointe du concept On tentera une forme d auscultation critique d herm neutique non r solutive Comment lire un philosophe lisant un texte litt raire Quel tou cher met
24. er par crit sont relev es textuellement de mon bras droit o je les ai taton es L existence follement errante et sauvage que je menais alors ne me permettait aucun autre moyen de conserver assur ment des statistiques aussi pr cieuses mais l espace tant limit vu que je d sirais garder les autres parties de mon corps comme pages blanches pour un po me auquel je travaillais alors et que resterait il de moi au bout du compte qui ne soit pas tatou je ne me 20 V Sachs L Tmaginaire Melville a french point of view Saint Denis Presses Uni vetsitaires de Vincennes 1992 p 1 sq 18 Introduction suis donc fait aucun tracas pour les bribes et morceaux repr sent s par les quelques malheureux pouces exc dentaires On retrouverait cette folie de la lettre l uvre sous d autres modalit s chez Balzac Baudelaire Hugo sans parler du Bouvard et P cuchet de Flaubert Aussi faut il envisager Bartleby comme fa ble de la lettre et de la copie nous transmettant une missive irr m diablement crypt e sur le destin de la reproduction l or e de P re de la reproductibilit technique laquelle Walter Benjamin consacrera sa c l bre tude quoi l on ajoutera que Melville a d velopp en plusieurs points de son uvre le r ve d une cri ture et d une adresse infinies de sa propre pens e dont t moigne parmi tant d autres exemples l admirable correspondance adres s e
25. et qui font de ce dernier le m decin d une Am rique malade le Medicine man le nouveau Christ ou no tre fr re tous Ainsi les philosophes se sont ils empar s de 11 M Blanchot L criture du d sastre Paris Gallimard 1980 p 219 12 Badiou Logiques des mondes l tre et l v nement 2 Paris Seuil 2006 p 422 13 Voir Le sourire de Bartleby in S Zizek La Parallaxe Paris Fayard 2008 14 G Deleuze Bartleby ou la formule postface Melville Bartleby Paris Flammarion 1989 in Critique et clinique Paris Minuit 1993 p 114 L expression Medicine Man est calqu e sur The Confidence Man que l on pourrait traduire par L homme la confiance et qui est ce tr s trange roman de Melville auquel Deleuze emprunte la figure de l Original pr sente dans Critique et clinique et dans Qu est ce que la philosophie 2 Voir aussi les premi res lignes de Bartleby ou la formule qui se r clament d une lecture strictement litt rale Bartleby n est pas une m taphore de l crivain ni le symbole de quoi que ce soit C est un texte violemment comique et le 15 L effet Bartleby la nouvelle de Melville tentant d arraisonner au concept l nigme d une fable dont le sens ultime se d robe La litt rature pour sa part a fait clore des Bartleby dis crets mais persistants que l on pense au Bartlebooth de La vie mode d emploi de Perec ou
26. ida soit un penseur et deux philosophes qu unissent par del leurs diff rences la passion du dehors la mise en question de l origine ainsi qu une r flexion incessante sur la litt rature envisag e non comme l autre du concept mais comme sa dou blure et son preuve sensible Et l on peut se demander pourquoi Foucault n a pas crit sur Barleby lui qui voit dans les fictions de Blanchot la trace de la pens e du dehors sans doute parce que c est avec le Neveu de Rameau cet autre original que d bute pour lui la litt rature m me Blanchot Derrida Deleuze Agamben ce dernier occupant comme on le verra une place part en lisant tour tour Bartleby ces penseurs se commentent aussi les uns les autres Lat rale ment ils se r pondent et s entre glosent dressant une sorte de diagramme de l espace philosophique que celui ci s entretisse l espace litt raire ou s en dissocie cet gard il peut sembler singulier que Jean Luc Nancy qui a forg le concept d excrit partir de sa lecture de Bataille et pour qui la pens e est cogito excogit pens e hors de soi mait pas crit sur Bartleby et qu il soit peu sensible la nouvelle de Melville Mais sa r ticence voire sa r sistance se d veloppe sur deux plans bien distincts Il y a la r sistance une fable qui semble artificielle con ue de toutes pi ces pour susciter le d sir herm neutique et la r sistan
27. la r f rence Bartleby dans Un homme qui dort Un livre plein de s duction d Enrique Vila Matas Bartleby et compagnie enregistre cette fascination pour la figure de Pauteur sans uvre celui qui r crit pas ou plus C est que le scribe le copiste l avatar bl me et abandonn forlorn dit le texte am ri cain des Bouvard et P cuchet de Flaubert s est vite trouv mu par certaines traductions et par les interpr tations qui leur sont li es en crivain qui a cess d crire D s La Part du feu Bart leby semble avoir t pour Blanchot Bartleby crivain si nous nous rappelons les paroles de Bartleby l crivain opposant toute demande de son ma tre cette r ponse Je pr f rerais ne pas le faire nous sentons que la parole ici a le privil ge du silence Se taire n est pas toujours le meilleur moyen de se taire C est d j la raison pour laquelle Pascal affirmait que le silence lui aussi est impur On fera toutefois remarquer que Blanchot lui m me n a cess d osciller entre la vision d un Bartleby crivain et celle d un Bartleby vou au travail mat riel de la copie Mais comment ne pas noter que Bartleby est avant tout un scribe et que l on ne saurait sans quelque manipulation faire de lui un awfeur Il appartient cette constellation litt raire des copistes dans laquelle Giorgio Agamben range Akakij Akakievic Bouvard et P cuchet Simon Tanner le prince
28. litt rature am ricaine dont les noms majeurs sont ceux de Melville Poe Hawthorne et pour des raisons qui allient le juridique l historique et le politique les fables de la lettre sont l uvre Viola Sachs dans son tude sur Mel ville s est int ress e ce qui pouvait unir dans ces fables Nouveau Monde et Nouvelle Alliance en mettant en valeur importance du livre des Mormons lequel montre que le souhait de nouvelles critures sacr es du Nouveau Monde tait r pandu dans toutes les couches sociales du Nord Est des tats Unis D o l quation de l identit nationale des critures saintes du Nouveau Monde cach es dans les profondeurs et des hi roglyphes des aborig nes du Red Man d o l importance de la couleur rouge Nous retrouvons ce sch ma avec des variations importantes travers les crits mythiques Hawthorne Melville Thoreau Whitman chacun sa fa on voyait son ouvrage comme les critures du Nouveau Monde C est que la question de la lettre celle aussi des fables dans lesquelles elle s inscrit est au premier chef une question th o logico politique comme le montre la r miniscence chez certains auteurs Melville en t te du mot fameux de saint Paul La lettre tue l Esprit vivifie Que l on pense seulement dans Moby Dick une certaine folie de la lettre grav e m me le corps Les dimensions et mesures du squelette que je vais mainte nant couch
29. me nourti de nos hantises et de nos songes Ce qui est alors en jeu c est la force d attraction d une fable qui se tient tout au bord du mythe l opacit d une lettre qui jamais ne se mue en chiffre d un sens conqu rir Tout est l semble dire le texte tout se dispose pour ainsi dire sous vos yeux nul arri re monde ne pr side l intrigue et pourtant quelle souveraine tranget mane de ces r cits la fois obscurs et cristallins Tel est le cas du Bartleby the Scrivener d Herman Melville nouvelle qui 1 Ce livre constitue la version tr s remani e d un s minaire donn au Coll ge international de philosophie de 2002 2005 et intitul L effet Bartleby 2 H Melville Bartleby the scrivener in The Piazza tales Evanston Illinois Northwestern University press 2000 d sormais BS Pour les versions en fran ais nous renverrons tant t la traduction de Pierre Leyris Bartleby le scribe Paris Gallimard Folio 1996 not e B1 tant t celle de Philippe Jaworski Bartleby le scribe une histoire de Wall Street in H Melville Bartleby le scribe Billy Budd marin et autres romans uvres IV Paris Gallimard Pl iade 2010 not e B2 L effet Bartleby fascine m me ceux qui ne connaissent d elle que la trop fameuse formule le I would prefer not to par lequel Bartleby le scribe renonce copier renonce ob ir renonce pr f rer renonce vivre mais
30. ment de l interpr tation de la fable melvillienne Il y a l comme les deux faces avers et revers d un m me processus Or Bartleby a aujourd hui ses fans clubs et ses blogs et l on n en finirait pas d inventorier les uvres et les actes de langage qui y font r f rence ou se situent dans sa descendance Un exemple parmi tant d autres dans le Carnet du Monde du 5 mars 2010 la mort de l cri vain Pascal Garnier tait annonc e en ces termes Ni fleurs ni couronnes I would prefer not to Bartleby Il y a un vivace un persistant effet Bartleby Mais cet effet semble avoir d sert le champ de l interpr tation et du commentaire proprement dits pour ce que Michel Deguy nomme le domaine du cu turef Voici Bartleby devenu embl me gimmick symbole Daniel Pennac donne des lectures de la nouvelle Le fameux I would prefer not to inspire aux ditions Circ le titre d une collection l art de ne pas dirig e par le sociologue Henri Pierre Jeudy qui s en explique en ces termes L art de ne pas est un art de L auteur c l bre de Moby Dick Melville a crit une nouvelle intitul e Bartleby C est l his toire d un greffier qui r pond j aimerais mieux ne pas chaque fois qu on lui demande de faire quelque chose Plut t qu une strat gie de l vitement Part de ne pas est une mani re d prouver la puissance Nul ignore que la n gation est une 23
31. renonce t il et pr f rer ne pas est ce ne pas pr f rer est ce r sister passivement ou bien s abstenir se d mettre voire selon Michael Hardt et Toni Negri pratiquer un refus absolu Myst re de ce I would prefer not to dont on n a peut tre pas suffisamment enregistr les variations les tremblements les revirements au fil de cette nouvelle de Melville dont chaque mot semble fait de foudre et de cendre nigme de la fameuse for mule comme cartel e entre deux bords du langage une formule qui dit en disant presque selon le commentaire clairant de Philippe Jaworski Bartleby c est le merveilleux myst re d une parole qui dit en m me temps presque oui et presque non Bartleby est presque immobile presque silencieux presque inutile presque mort pres que incompr hensible Presque est le mot de la limite mouvante de la trace qui va s effa ant du signe qui va p lissant Bartleby the scrivener ne saurait se r sumer sans quelque crainte et tremblement Comment condenser une fable aussi lacunaire aussi conome de ses mots de ses figures de ses tours et d tours Un texte qui offre d j une forme de r duction au sens quasi ph no m nologique du terme Comment de surcro t m conna tre la conscience aigu qu a Melville de la fable pos e comme m dium du vrai lui qui crit dans Moby Dick non seulement le fabuleux prend tout naturellement nais sance sur le corps
32. t Bartleby Mais notre objet n est pas la fortune critique de Bartleby aux tats Unis ou ailleurs et il ne s agira pas de nous livrer Pex g se de cette nouvelle tous gards fascinante Il s agira d analyser cette s quence r v latrice indissolublement litt raire et philosophique qui s est d roul e en France entre les ann es 70 et la fin des ann es 80 s quence qui est sans doute plus d un titre derri re nous en voie d ach vement provisoire et que certains aimeraient refermer sans prendre le risque de la relance de la reprise du ressouvenir en avant cher Kierkegaard Cette s quence est celle d une certaine modernit indissociable telle est notre hypoth se d une fascination pour cette figure de Bartleby qui a suscit toute une constellation de commentaires de penseurs Sans doute Blanchot est il le premier 9 Dans sa pr cieuse notice de l dition Pl iade Ph Jaworski signale qu il existe toute une tradition new yorkaise d histoires dans lesquelles un avou raconte sa rencontre avec un copiste l identit myst rieuse et signale quelques unes des sources auxquelles Melville a pu puiser qu il s agisse de L Histoire de l avon de James Maitland 1853 ou encore de La Maison d Aprevent de Dickens texte dans lequel un copiste nomm Nemo dispara t sans laisser trace 10 P Leyris La chambre du traducteur d tablie par B Cournut Paris Corti 2007 p 1
33. uannais s est tenue la Fondation Ricard du 3 juin au 11 juillet 2009
34. vague Avec ces deux hommes qui apr s tant d essais et d checs parta gent la bonne id e nourrie en secret par chacun d eux de revenir la copie P Buraglio Caviardage in Beaux arts 1998 p 97 L effet Bartleby la fiction se donne ici comme t moignage L avou a deux employ s Dindon et Lagrinche deux grotesques qui pourraient tre comme le note justement Deleuze deux personnages de Dickens La t che de l avou se trouvant accrue lorsqu il est nomm conseiller la Cour de la Chancellerie le voici qui passe une annonce un jeune homme immobile apparut un matin sur le seuil de mon tude Je vois encore cette silhouette lividement propre pitoyablement respectable incurablement abandonn e C tait Bartleby Puis le r cit se d compose en trois phases Dans un premier temps l trange scribe abat une quantit de travail consid rable il crivait toujours silencieusement lividement machinalement isol qu il est dans son ermitage savoir le grand paravent vert qui l isole du regard de son patron tout en le laissant port e de voix singulier dispositif spatial tr s minutieusement d crit Nous apprenons galement que Bartleby a pour seule vue un haut wwr aveugle et c est encore un mur aveugle qu il contemplera lors de sa br ve incarc ration la prison des Tombes Mais lorsqu il est question de collationner les documents copi s le scri
35. vrai d un v nement bouleversant et terrible de m me que de la souche pourrissante de l arbre abattu naissent 3 M Hardt et T Negri Empire Paris Exils 2000 p 254 Le myst re de Phistoire classique d Herman Melville est le caract re absolu du refus de son h ros Le comportement de Bartleby est ainsi d sarmant en partie parce qu il est si calme et si serein mais plus encore parce que son refus est si vague qu il en devient absolu 4 Ph Jaworski Melville Le d sert et l empire Paris Presses de l cole Normale sup rieure 1986 p 19 Introduction les champignons mais chez les marins beaucoup plus que sur la terre ferme encore les fables prennent corps au moindre pr texte de r alit sur lequel elles puissent fixer leurs racines Et autant la vie maritime d passe t elle la vie terrestre en ces domaines du fantastique autant la vie des baleiniers le fait elle sur la vie de tous les autres marins les fables et les rumeurs qui circulent chez eux surpassent par horreur et par le merveilleux toutes celles qui circulent ailleurs Pon ne peut ici que tenter une forme de paraphrase l ombre port e le cair de terre si Pon veut de la nouvelle Au fond pour bien r sumer Bartleby the scrivener il faudrait pouvoir le recopier se coulant dans l activit mim tique du scribe comme l a not Pierre Buraglio dans un hommage pensif Le r cit est effectu par un avou homme d
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