1 L`oued Chélif à travers l`écriture : Littérature, oralité, géocritique et
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1. 15 Gilbert Durand Champs de l imaginaire Textes r unis par Dani le Chauvin Grenoble Ellug 1996 p 77 cf article L Univers du symbole p 65 80 paradis de l enfance savoir le paradis terrestre ou l den qui se confond avec cet espace rural qu est Voltaire le pays natal Ce degr premier du bonheur et de paix est connot esth tiquement en deux leitmotivs celui de la Terre et de la qualit des eaux et de leur pouvoir de r g n rescence qui r v le une v ritable fascination de cet l ment premier de toute vie sur l crivain Ainsi le traitement textuel du lieu dessine sa mani re le portrait de celui qui le contemple et ce que la narratrice d couvre le pays mythique Au niveau historique et symbolique cet espace est d une importance primordiale pour la compr hension du processus de cr ation imaginaire Il convient nous semble t il de se r f rer d une part au contexte historique de l v nement et d autre part la situation affective de Yasmina la pseudo narratrice Cette vocation de l espace natal intervient un moment historiquement marqu c est la guerre d Alg rie sur le cahier journal l extrait est dat au 18 octobre 1956 Cette guerre qui est d abord lutte pour le territoire n est pas commune c est en fait l affrontement entre deux espaces g ographiques l espace de l occupation coloniale que sont les villes et villages et l espace de2. L change de vocabulaire pr pare la confusion de l oued et de la mer il rapproche l analogie phonique pour sugg rer celle de la terre et de la m re L image rotis e de l oued le ballet annonciateur des pr mices de la fusion fougueuse avec la mer s ordonne selon l coulement naturel et n est que l enclenchement d une logique amoureuse les appels du d sir consentant La chor graphie se r gle d abord sur la lenteur de l oued qui rampe plat ventre puis sur sa rapide progression il continue fi rement sa course il court vers la mer en furie l il se jette l eau pour finir sur la prise de possession des amants l un par l autre leurs eaux s entrem lent sati t Sa sauvagerie sera celle du d sir exacerb par une trop longue attente Les mouvements des eaux des amants s assujettissent enfin leurs caps r ciproques Petit petit les flots s apaisent La description anthropomorphique du Ch lif se jetant dans la mer M diterran e en furie est ainsi m tonymie de la passion qui enflamme les deux amants Yasmina et Fran ois symboles de deux peuples de la relation passionnelle qui a toujours pr valu entre deux pays 12 Annette Ciattoni et Yvette Veyret dir Les Fondamentaux de la g ographie op cit p 22 23 137p Ibid situ s sur les rives oppos es de cette mer M diterran e La violence de cette passion recevra t
3. affinit lective d appropriation d identification d affiliation processus complexe dit de territorialisation gt Dans cette portion de terre d limit e par le Ch lif la pr sence de la source et de l olivier sont autant d l ments symboliques qui renvoient l espace des origines au lieu d nique de l enfance galement et la relation charnelle qui lie la narratrice cet espace car territorialiser revient investir un espace en y multipliant les lieux et les r seaux sur un mode la fois concret et symbolique De fait l vocation du fleuve se fait alors homme paysage rotis sous le regard de Yasmina prouv e par la s paration de l tre aim et la solitude de la prison comme en t moignent les nombreux pronoms possessifs Le paysage se charge de sensualit il devient expression lyrique des corps Mon Ch lif traverse la chevelure blonde de la plaine et court vers la mer Au spectacle de la plaine se superpose bient t l image d un dos nu de femme En passant le Ch lif effleure les petites dunes bien rondes lascives souhait son front heurte le rivage Ici les mots plaine plage rivage voquent les paysages mais s appliquent la chair f minine tandis que l oued voque le partenaire masculin d sign encore par le pronom possessif Mon Ch lif d pose r guli rement un baiser sur les l vres ourl es de la mer
4. veiller l int r t de nos tudiants par l tude d un lieu qui leur est familier pour la transmission de ces nouvelles approches du texte litt raire Il n est pas superflu de rappeler que Le Ch lif est le plus important fleuve d Alg rie Les eaux boueuses de ce fleuve roi sont un bienfait du ciel une richesse indispensable toute vie Il est un peu le Nil de cette r gion d Alg rie m me s il n est pas navigable Ce qu il faut retenir c est que son r gime est extr mement irr gulier Malgr son apparence paisible certains endroits il n est plus qu un mince filet d eau il peut tre tr s violent Ainsi dans le 4 Christiane Chaulet Achour Belgacem A t Ouyahia Pierres et lumi res Itin raires de m moire Alg rie Litt rature action Alger Paris n 39 40 mars avril 2000 p 153 3 Belgacem A t Ouyahia Pierres et lumi res Alger Casbah ditions 1999 p 5 6 Sn prend sa source dans l Atlas Saharien plus pr cis ment dans le Djebel Amour ou Djebel Gourou qui culmine 1937 m tres pr s d Aflou Il commence par couler du Sud vers le Nord comme pour rejoindre au plus court la M diterran e A sa naissance il se nomme Oued Chelal Puis il devient l Oued Touil long Sur les Hauts Plateaux il se nomme Oued Ouerk Chahbounia apr s avoir re u les eaux du Nahr Ouassel ou Naar Ouassel qui arrive du Sersou il devient enfin le Ch liff et arrose Boghari Il traverse les g
5. Azt ques de Mouloud Mammeri est d actualit Apr s l ind pendance il faut s attaquer d coloniser l esprit les modes de se voir et de se repr senter Edward Sa d rappelle la profonde influence des id es de Frantz Fanon qui a examin les effets psychologiques du colonialisme dans la formation de l identit du colonis en tant que Autre une anomalie quelque chose d ind sirable et d anormal pour l enseignant de litt rature de d finir certains concepts Aussi ai je choisi sciemment un corpus litt raire traitant de la r gion du Ch lif et plus pr cis ment de l oued qui lui donne son nom pour claircir le concept de g ocritique et souligner le r le de l oralit dans le processus d criture pour une tentative d approche concr te de la pens e postcoloniale La r gion du Ch lif est voqu e d s le titre dans les romans de Tami Medjebeur Passion sur les berges du Ch lif de Guy Granger Yasmina la rebelle du Ch lif de Belgacem A t Ouyahia Les bl s d or du Ch lif comme il est l espace de la fiction dans plusieurs romans de Mohammed Magani et notamment le th me central de son dernier roman intitul Sc nes de p che en Alg rie C est qu il est un l ment g ographique essentiel dans la configuration du pays Aussi est il utile de rappeler ses caract ristiques et ce afin de voir comment travers l oralit et la topos mie un lieu advient en litt rature La compr hensio
6. de la prison se jetant dans une mer M diterran e mis ricordieuse r g n ratrice est le r f rent de l imaginaire de l auteur qui recourt aux mythes comme l atteste le mot cume qui renvoie Aphrodite qui signifie n e de l cume d esse grecque de la beaut et de l amour Les termes chaste puret g n reuse nourrici re la redondance des qualificatifs signalent aussi le mythe de l den d une terre de paix d un espace possible de renaissance Gilbert Durand affirme qu un mythe existe par sa geste par son drama par son cort ge d pith tes et de verbes Toute la mythologie classique nous enseigne que bien avant le nom c est l attribut qui caract rise renvoient un espace mythique Il explique encore Le mythe diss mination diachronique de s quences myth mes et de symboles syst me ultime asymptotique d int gration des antagonismes le mythe est l ultime discours et cet ultime discours exprime en dernier ressort la guerre des dieux En fait ce passage trace la figure du pays mythique du bonheur esp r ou perdu le retour la m re nourrici re Le lieu du d sir se dessine comme la projection des contr es de l enfance du lieu natal Il c l bre le bonheur originel qui fait de cet espace l analogique du 1 Gilbert Durand Introduction la mythodologie Mythes et soci t s Paris Albin Michel 1996 p 196
7. documentaire Ce texte susceptible de plusieurs lectures offre une peinture de la soci t alg rienne de l poque pr cise ressentie et pr sent e de l int rieur mais du point de vue fran ais En effet l histoire dans laquelle s ancre ce r cit la guerre d Alg rie les rapports antagoniques mis en vidence pour la r appropriation d un espace et les liens qui unissent la pseudo narratice au lieu natal situ au bord du Ch lif sont les l ments moteurs de ce roman Ainsi la g ographie le rapport aux lieux est intimement imbriqu e l histoire intime de l crivain narrateur qui se d voile travers le journal de Yasmina De fait en litt rature g ographie et imaginaire sont troitement imbriqu s et la g ocritique s int ressera la fonction di g tique et symbolique de ces lieux car sa vocation premi re est n anmoins litt raire C est en tout cas sur le texte qu elle prend appui Elle placera l uvre en regard des espaces humains qu elle investira et o elle s investira car les relations entre l uvre et les espaces humains sont interactifs Nous pouvons tre en pr sence de lieux symboliques inspir s partiellement par un lieu d exp rience et de lieux r els parcourus par les personnages de la fiction Dans tous les cas nous avons affaire un espace fantasm d un lieu enti rement imaginaire Le passage voquant le Ch lif est un extrait du chapitre 7 intitul Mon ad
8. e Lausanne mais qui s est tablie en Alg rie par choix de 1897 jusqu sa mort en 1904 A n Sefra et dont de nombreuses nouvelles ont pour cadre la r gion du Ch lif Dans une tude g ocritique les trois types de focalisation seront pris en compte un m me niveau dans le jeu de leur intervention Pour clore mon intervention sur ces approches du texte litt raire j emprunterai cette citation Charles Bonn Mais alors qu une description litt raire s attachera essentiellement cette th matique la th orie postcoloniale permet parmi d autres approches d en cerner davantage la spatialit Or l espace ici plus qu ailleurs a valeur politique La th matique de l engagement ne peut se lire en dehors d une appr hension de cette spatialit du texte produite par son auto mise en sc ne consciente ou non A Charles Bonn Sc nographie postcoloniale et d finition forte de l espace d nonciation dans le roman maghr bin in Les tudes litt raires francophones tat des lieux Lieven D hulst et Jean Marc Moura directeurs Editions du conseil scientifique de l Universit Charles de Gaulle coll UL3 travaux et recherches Actes du colloque du 2 4 mai 2002 p 127 12
9. rieur A Christiane Chaulet Achour qui lui fait lors d un entretien cette remarque on sent que B A t Ouyahia prend v ritablement plaisir incruster sa langue dans l criture en langue fran aise Il r pond Oui ici c est un v ritable cri d amour au terroir cette langue en citant aussi un certain nombre de proverbes Tout cela dispara t remplac par le parpaing je veux dire seulement laissez un peu les Belgacem A t ouyahia Pierres et lumi res souvenirs et digressions d un m decin fils d instituteur d origine indig ne Alger casbah editions 1999 2000 pr face de Mostefa Lacheraf L crivain et l esprit du lieu choses du pass Ne les oubliez pas Je devais assumer enti rement mon histoire qui passe galement par les langues la langue maternelle le kabyle et la langue paternelle le fran ais langue du p re instituteur Et je regrette vivement de ne pas parler arabe de ne pas crire l arabe comme j cris et parle le fran ais L histoire en a ainsi d cid Le kabyle est une richesse du patrimoine national que je voudrais voir exploit e et non vou e la disparition comme les orangeraies de la Mitidja aujourd hui ensevelies sous le parpaing et les jardins de Kabylie abandonn s aux ronces et aux foug res Dans cette cohabitation des langues et des cultures ce qui est dominant et veille notre int r t ce sont les nombreux passages qui jouen
10. village o la narratrice a pass son enfance elle le prom ne sur tous les chemins comme un grain de beaut image m taphorique de tout espace g ographique marqu sur une carte comme le grain de beaut sur la figure Pour tout un chacun le pays natal est un point sur une carte Plus encore pour Yasmina car il a marqu son corps comme un tatouage ind l bile Or cette trace est aussi repr sentation spatiale et m taphore de la carte de g ographie physique se confondant avec le corps La g ographie sous l aspect de carte organise ainsi la vision mais la m moire par quoi advient l criture est structurante et d voile le processus imaginaire De fait cette vocation du pays sur le mode symbolique de cette carte de g ographie dont le support est le corps se superpose bient t l image du territoire le Ch lif d limite mon fief en le cernant dans sa boucle liquide c est mon limes ma protection contre d ventuels envahisseurs Progressivement le territoire se pr cise Il devient fief un domaine situ au coeur du Ch lif Cet oued le prot ge il est son limes Et cet espace g ographique cern par le Ch lif se fait alors le se transforme en refuge compris aussi comme protection par l imaginaire Comme l expliquent les g ographes un moment donn la repr sentation spatiale permet d tablir une correspondance entre un groupe et un espace en termes d
11. L oued Ch lif travers l criture Litt rature oralit g ocritique et approche postcoloniale En pr ambule la r flexion que je propose sur les nouvelles approches du texte litt raire je voudrais d abord souligner combien l espace joue un r le primordial dans la compr hension d une culture Il est de fait voire vident que l tude du rapport d une soci t l espace permet souvent de mieux la comprendre Or avec le ph nom ne de la mondialisation la notion d espace est devenue complexe et mouvante et les modes de voir le monde et de le repr senter sont au c ur m me du d bat pour ne pas dire des inqui tudes des tudes postcoloniales De fait ce ph nom ne de mondialisation est certains gards en germe dans le fait colonial Car si la relation coloniale concernant notamment les repr sentations du centre et de la p riph rie de la m tropole et de la colonie est le point de d part de la critique postcoloniale il faut rappeler qu Edward Sa d et d autres th oriciens apr s lui ont soulign que les ind pendances des pays colonis s ne suffisent pas pour d monter le pouvoir colonial Ainsi Le sentiment d tranget qui motive la reconfiguration du monde dans l criture postcoloniale est partag par tous les sujets confront s l ambivalence des interpr tations que rend manifeste la mise en rapport d une langue avec une culture trang res l une l autre Ce sentime
12. cription mondaine de nos repr sentations c est montrer que nos r ves et nos pratiques quotidiennes s enracinent se territorialisent dans un humus qui est facteur de socialit Ainsi le lieu r el ou l espace g ographique joue en un r le primordial dans la cr ation imaginaire Pour Mohammed Magani outre El Asnam l oued Ch lif joue un r le dynamique dans la narration Il explique ainsi le sujet de son dernier roman Dans Sc ne de p che en Alg rie il s agit en fait en bonne part d une biographie de l oued Cheliff Je crois que l se trouve l origine de mon affection pour le pays natal J ai eu ma premi re vision de la mer au travers des crues de l oued imp rissable souvenir Ma vie et celle de beaucoup d autres enfants se rythmait par les allers et retours entre l oued et l cole alors que nous tions sous occupation fran aise Nous allions l oued comme d autres les enfants fran ais allaient aux f tes ou aux bals Sc ne de p che en Alg rie emprunte formellement l oued son vaporation et disparition continuelle d o la bri vet des textes leur essoufflement devant l in luctable Comme le souligne Bertrand Westphal Dans une logique g ocritique la multifocalisation s exprime dans une taxinomie trois variantes de base Le point de vue est relatif la situation de l observateur ou de l observatrice l gard de l espace de r f rence Il elle entretient avec cet e
13. ieux empreint de subjectivit Il nous conduit nous interroger sur le processus cr ateur pour d terminer comment sa seule vocation un lieu s impr gne de magie De plus la prise en charge du r cit sous forme de journal par Yasmina personnage fictif r v le une situation d nonciation la fois double et ambigu La position narrative de Guy Granger l auteur narrateur qui prend la place de Yasmina une femme appartenant la communaut oppos e peut s expliquer comme une tentative de comprendre les v nements du point de vue de l autre et ob it des motivations complexes que nous tenterons de pointer travers l analyse du texte Dans la biblioth que Yasmina fait abstraction de la r alit elle prouve un certain plaisir contracter le temps L vocation du village natal est marqu e par le Ch lif et par le son diffus de la derbouka qui l ancrent ainsi dans un lieu de l Alg rie rurale Ancrage la fois g ographique et sonore qui permet de mani re m taphorique le d roulement de l anamn se et d tablir un premier parall lisme Les souvenirs se d ploient diffus l envahissent en une longue reptation l image de cet oued aux m andres capricieux En fait le son de la derbouka qui l enveloppe permet d tablir un second parall lisme avec le Ch lif le limes l oued protecteur qui se confond avec Voltaire son village natal Ce
14. ire du paysage et sa restitution par le langage La fiction crit Le la Sebbar dans une correspondance avec Nancy Huston c est la suture qui masque la blessure l cart entre les deux rives La passion un langage imag une sensibilit visuelle exceptionnelle font de la pseudo narratrice ou en r alit de l auteur narrateur une image en miroir du paysage L hommage rendu aux lieux de son enfance et cet oued qui les d limite exprime le lien f cond qui s est tiss entre m moire du paysage et sa restitution par l criture Si l extrait occupe une place centrale dans le roman ce n est gu re fortuit Le personnage vit dans la perte d un paysage familier le lieu natal qui est assimil ici la perte d un tre aim paraissant irrempla able Et quelle que soient les figures de cette perte l exp rience est douloureuse car selon Freud ce qui est demeur incompris fait retour telle une me en peine il n a pas de repos jusqu ce que soient trouv es r solution et d livrance Le refoul reste comme un corps tranger dans le psychisme fait retour frappe la porte et n a de cesse qu il mait t d livr Telle est la raison profonde de la plupart des crits fran ais sur l Alg rie En effet on peut d duire la lecture de notre corpus que loued Ch lif nourrit un imaginaire qui peut se traduit sous forme de trois figures celle de l oued aux crues impr
15. la r sistance qu est le maquis Commentant un passage du livre de Jean P l ri 6 Catherine Milkovitch Rioux d finit ainsi le maquis 8 q Le lieu de la connaissance intime et de la s dition le maquis enracine dans la terre alg rienne la r sistance l Histoire con ue par l empire europ en comme projet colonial et gt 17 expansion territoriale Or Mina la rebelle a opt pour l espace de la m re qui se confond avec la terre Elle a pris le maquis pour combattre l espace colonial auquel appartient Fran ois Mais cet espace de l autre se confond aussi avec celui du p re qui lui a permis l acc s au savoir d o dilemme Pour surmonter cet antagonisme la narratrice ou plut t le narrateur crivain a recours au mythe Car comme le souligne Gilbert Durand Le mythe est le discours ultime o se constitue la tension antagoniste fondamentale tout discours c est dire tout d veloppement du sens 18 L histoire dans laquelle s ancre ce r cit la guerre d Alg rie les rapports antagoniques mis en vidence pour la r appropriation d un espace et les liens qui unissent la pseudo narratrice ce lieu ne peut s expliquer qu en r f rence aux mythes qui structurent l histoire de l crivain Guy Granger crivain pied noir pr ne le dialogue des communaut s et renoue les fils de la m moire pour tenter par le biais de l criture n e d une s para
16. n de la culture passe aussi par la topos mie Quand on parle de culture on voque ses racines on a coutume d y voir la conscience d appartenir une terre un lieu en m me temps qu un groupe familial Ici cependant la terre n a de sens qu int gr e un espace temps et un nom L importance des noms et de la topos mie est de fait li e l acculturation c est une fa on de revendiquer une identit culturelle Et cette identit culturelle se constitue travers la revendication d une langue et d une culture parts enti res qui doivent tre reconnues en tant que telles c t de la langue et de la culture officielle Le renouveau de la culture orale participe au renouveau culturel qui est l uvre dans le corpus choisi pour cette tude L on remarque une volont de re construction d une identit culturelle chez notamment Magani qui selon lui passe en grande partie par la valorisation de la litt rature orale Son second roman Esth tique de boucher est un v ritable plaidoyer pour la pr servation du patrimoine culturel oral par le recours l crit Tout comme chez Belgacem A t Ouyahia qui ins re sa langue pour dire son r el dans son roman Pierres et lumi res souvenirs et digressions d un m decin fils d instituteur d origine indig ne Il y a une volont d appropriation et d assimilation de l h ritage culturel mais avec le d sir et le souci de le faire s ouvrir l ext
17. nt d tranget se d ploie en effet dans toute situation d nonciation initi e par cette confrontation Il est certes vident que pour le sujet colonial la distance de la langue au lieu s impose d elle m me mais pour le sujet colonis il semble r ducteur de sugg rer que cette condition coloniale se r v le dans la langue dominante Il est pr ciser que l origine m me de la langue d criture ne peut tre en ce cas le facteur d terminant de la qualit postcoloniale mais plut t le rapport du discours au lieu le rapport d appropriation de la langue par le lieu ou du lieu par la langue Aussi s il semble vident que l tude du rapport d une soci t l espace permet souvent de mieux la comprendre il est aussi n cessaire d examiner le r le de l oralit et de la g ographie comme ferment de l imaginaire Autrement dit face la mondialisation et aux nouvelles approches du texte litt raire il est indispensable Pour beaucoup la mondialisation est synonyme d uniformisation culturelle d effacement de la diversit ce probl me remet l art et la litt rature au centre du d bat Le ph nom ne semble tre la cons quence implacable de comportements conomiques imp rialistes qui d truisent les cultures locales en application d une politique h g moniste Je rappelle cet effet combien la pr face de la pi ce th trale Le banquet intitul e La mort absurde des
18. olescence Tiaret Il occupe une place centrale dans le cahier journal compos de 14 chapitres Prisonni re Yasmina la narratrice explique dans le chapitre introductif ainsi les raisons qui la poussent crire je vais tenir un Journal pour graver ces souvenirs qui m accompagnent dans mon preuve il adoucira ma vie L criture est en fait pr texte l vocation de son village natal Voltaire situ dans la plaine du Ch lif Derri re cette porte close jJ prouvai le d sir d aller la rencontre du village rest cher mon c ur o je connus mes premiers mois amoureux o j appris la nature L int r t de ce texte est la th matique g ographique appr hend e de mani re singuli re par un personnage invent par un narrateur de l autre communaut lennemi dans le contexte de la guerre mais aussi l ancien aim plus ou moins 10 Aujourd hui A n Lechiakh Guy Granger Yasmina la rebelle du Ch lif Alger Paris Marsa ditions coll Alg rie Litt rature Action 2004 p 17 Non seulement l l ment g ographique joue un r le primordial dans le travail de l imaginaire car l vocation du village natal situ dans la plaine du Ch lif qui abrite le site de ses premiers mois amoureux est d une part pour ainsi dire le lieu g ographique d clencheur de r ves d autre part le je narratif induit la mise en sc ne d un rapport aux l
19. orges profondes de l Atlas Tellien o le barrage du Ghrib le retient un moment Il fr le Oued Chorfa de ses m andres apr s avoir ralli l Oued El Harbit puis il se dirige vers l Ouest Il d bouche ensuite dans la riche plaine d El Asnam qui s tend de Miliana Mostaganem entre les monts du Dahra au Nord et ceux de l Ouarsenis au Sud roman de Tami Medjebeur qui est une chronique de la soci t rurale dans la plaine du Ch lif pendant la p riode coloniale la relation de la crue de cet oued qui est compl tement ass ch par endroits permet de constater qu il peut se transformer en rivi re imp tueuse d vastant tout sur son passage Dans l extrait de ce roman la description de la crue du Ch lif d bute ainsi A mesure que la pluie tombe le Ch liff grossit et son niveau monte La largeur de la rivi re a tripl et divers endroits les eaux tourbillonnent en bruissant Parfois un peu de terre attenant la falaise se d tache l norme bloc se pr cipite et s engouffre dans la rivi re avec un fracas de tonnerre provoquant un remous dont les vagues vont se briser jusqu la rive oppos e Le lendemain tout ce que Ouled Meziane compte comme population m le se trouve rassembl e sur les bords du Ch liff De ce c t ci la rivi re n est plus qu un m tre du bord tandis que du c t oppos elle a recouvert tout le versant en pente inclin e et s tend perte de vue jus
20. outes les interpr tations mais aucune n expliquera son ampleur Dans le cadre d une approche g osymbolique nous rel verons comment le village natal s efface son tour dans une vision plus ample la M diterran e Cet espace projet en avant et au del de la terre natale s impose d embl e comme le lieu autre le lien de l entre deux comme l indique son tymologie mer entre deux terres Car si cette mer situ e entre trois continents a t souvent le th tre de conflits sanglants dus aux chocs provoqu s par les trois religions monoth istes juda sme christianisme et islam elle est un espace o se superposent des lieux des civilisations diverses comme l atteste l vocation des villes caract re mythique du pourtour m diterran en Memphis Ath nes Rome J rusalem elle est aussi espace de renaissance elle rend s la puret toutes ces eaux qui charrient tant de douleur Le titre du roman annonce une sollicitation g ographique mais la gen se du projet implique sans cesse l histoire dans la lecture du paysage Le changement spatial accompagne et repr sente le changement temporel passage d un moment un autre sur la ligne du temps trajet d un point un autre dans l espace mais aussi conscience de la dur e et symbole d une mutation d un parcours int rieur d une transformation mentale ou spirituelle Ce Ch lif hors du temps p nible de la guerre et du lieu mesquin
21. qu au ras des maisons de Houaoura Le fleuve tranquille qu on se permettait de traverser gu s est enfl d mesur ment Avec ses trois cents m tres de large il m rite son surnom de ghoul el ouid ne l ogre des rivi res Ces crues du Ch lif sont bien videmment des catastrophes naturelles mais dans l imaginaire populaire elles sont consid r es le plus souvent comme un ch timent divin Comme l atteste cette traduction litt rale d un paysan dans le roman de Tami Medjebeur Pour s r cette fois c est la fin du monde Dieu nous envoie le Ch liff pour nous punir Les gens sont devenus trop mauvais trop m chants Ils oublient Dieu trop souvent et ne Du 8 pensent qu aux avantages mat riels de l existence Je m attarderai plus longuement sur un extrait du roman de Guy Granger Yasmina la rebelle du Ch lif extrait consacr cet oued et qui nous permet de parler de la magie du lieu La trame narrative du roman de Guy Granger qui se pr sente comme un journal intime a pour toile de fond et r f rence la guerre de lib ration nationale Yasmina une jeune alg rienne instruite a choisi la lutte arm e et pris le maquis pour combattre l occupant Au cours d une op ration militaire qui tourne la d route elle est faite prisonni re Tortur e isol e puis partageant le sort de ses s urs emprisonn es pour leurs convictions politiques elle crit son journal intime pour ne pas sombre
22. r dans la folie Au fil des pages de ce cahier journal du 3 octobre au 2 novembre 1956 l histoire du pays croise intimement l histoire de Mina qui a choisi les siens et qui cependant est prise de Fran ois un ami d enfance Cet amour est condamn d avance par les communaut s en pr sence car il symbolise le choix TT Medjebeur Passion sur les berges du Ch lif op cit cf T 43 Cf T 43 i Ce journal commence le 3 octobre et se termine le 2 novembre 1956 Dates et lieu ancrent le r cit dans la guerre d Alg rie d sign e par euph misme les v nements Alg rie tout comme le terme rebelle du titre r v le le point de vue fran ais si nous nous r f rons au lexique utilis dans les journaux de l poque Ce terme rebelle connot positivement en langue fran aise prend un sens p joratif et d valuant dans le contexte de la guerre d Alg rie En effet dans ce m me contexte Une Alg rienne combattante aurait t le titre attendu d un roman crit par un Alg rien d une alt rit inacceptable en p riode de rupture et de guerre sous couvert d appartenance une autre communaut politique socio culturelle et religieuse Ce roman est particuli rement int ressant parce que l auteur narrateur r ussit plus ou moins s effacer derri re sa jeune h ro ne alg rienne Yasmina qui raconte son histoire sans que le r cit donne l impression du factice ou du
23. space une gamme de rapports allant de l intimit ou de la familiarit une extran it plus ou moins absolue Cela s explique par le fait que le point de vue est tour tour endog ne exog ne ou allog ne Le point de vue endog ne caract rise une vision autochtone de l espace Normalement r fractaire toute vis e exotique il t moigne d un espace familier Ce sera dans leur repr sentation du Ch lif le point de vue de Mohamed Magani ou celui de Tami Medjebeur et de Guy Granger Le point de vue exog ne marque en revanche la vision du voyageur 1l est empreint d exotisme Est exog ne au Ch lif le point de vue d un Guy de Maupassant et de toutes les repr sentations des militaires parlementaires etc crivains de la p riode de la conqu te qui ont voulu laisser un t moignage de leur passage pour la post rit l Michel Maffesoli l espace de la socialit Espaces et imaginaire Ville Montagne Carrefours Grenoble Presses universitaires de Grenoble 1979 p 18 Bertrand Westphal La g ocritique R el Fiction Espace Paris Les ditions de Minuit col paradoxe 2007 p 208 11 Le point de vue allog ne quant lui se situe entre les deux autres Il est le propre de tous ceux et toutes celles qui se sont fix s dans un endroit sans que celui ci leur soit encore familier sans non plus qu il demeure pour eux exotique Tel est le cas de Isabelle Eberhardt auteur d origine russe n
24. t justement de cette incrustation de l arabe ou du berb re dans le fran ais L importance de l oralit et de la voix dire et entendre m me dans le silence du secret sont des op rations auxquelles le lecteur doit se soumettre tout au long de la lecture et d signe un premier rapprochement entre l criture ou la parole po tique et ses sources orales Sources orales qui sont enracin es dans un lieu Comme l crit Mostefa Lacheraf dans la pr face intitul e l crivain et l esprit du lieu de ce livre de B A t Ouyahia Nous voyons se d gager loin des amalgames id ologiques anti alg riens une tradition qui avait t perdue depuis l ind pendance et relative la connaissance sur le terrain et par la m moire de ce tr s vieux pays Une tradition de la v racit qui est aux antipodes du conservatisme et de la complaisance et rend plus fid le aux siens le visage d une Alg rie attachante et diverse c est que l oubli ingrat a trop dur la confusion des concepts sur un fond d ignorance de soi qui font de Alg rie aujourd hui agress e de l int rieur un pays qui affabule son histoire et tourne le dos sa g ographie faute de savoir se situer de fa on ad quate et dans le temps Le choix de l oued Ch lif en criture pour illustrer ces nouvelles approches du texte peut sembler subjectif Mais pour l enseignante et la native de la r gion que je suis il me para t stimulant d
25. tion douloureuse un retour pacifi au pays L vocation explicite de la M diterran e ancre ce roman dans l histoire 6 Jean P l gri Ma M re l Alg rie Actes Sud 1990 p 15 17 Catherine Milkovitch Rioux Le champ de bataille ou les m tamorphoses de l espace in Bertrand Westphal La g ocritique mode d emploi op cit p 73 8 Thid p 75 agit e de tout le pourtour m diterran en et dans le champ litt raire de la patrie m diterran enne d velopp e par Gabriel Audisio au d but des ann es cinquante Patrie qui entend favoriser sur les deux rives de la M diterran e un renouvellement des th mes et des lieux d criture Aussi la r surgence litt raire et id ologique du mythe d Aphrodite du paradis terrestre dans ce lieu mythique travers l criture d voile en fait un antagonisme insurmontable Le d sir d un peuple pour un autre ailleurs d un homme ou d une femme pour un partenaire d une race dite diff rente est la pulsion d une m moire historique commune refoul e dans l inconscient Cette qu te de la jonction entre les deux rives est le moteur m me de l criture parce que l exil est rapport la terre la m re soi L criture se nourrit du pays r v de la symbolique qui na t de l exil A travers le prisme du souvenir revisit dans une douloureuse investigation le travail d criture devient alors une mani re de cerner la double confrontation entre m mo
26. visibles qui lui donne le surnom caract ristique de ghoul el ouid ne d vastant tout sur son passage de manne c leste qui apporte vie et richesse de lieu alimentant l imagination Ces trois figures associ es cet espace particulier font partie de ces l ments qui habitent aussi bien l imaginaire individuel que l imaginaire collectif elles forment des r seaux I Le la Sebbar Nancy Huston Lettres Parisiennes Histoires d exil Paris J ai Lu 1997 p 147 2 Sigmund Freud Cinq psychanalyses Paris PUF 1980 10 s miotiques reconnus et r activ s par la lecture des textes Il est vident que le paysage fait intervenir des filtres culturels au m me titre que les diff rentes figures mentionn es plus haut On s aper oit dans cette tude que la confrontation du sujet avec l espace r el enrichit l imaginaire que le paysage joue un r le pr pond rant dans les imaginaires spatialis s c est dire d termin s de mani re g ographique Dans une tude intitul e l espace de la socialit Michel Maffesoli commente certaines observations faites par Gilbert Durand au sujet des figures de l imaginaire et de leur relation au lieu Ces figures que l on retrouve dans les l gendes dans les contes dans les fantasmes populaires sont toutes li es un lieu une territorialisation bien pr cise Affirmer donc que l espace est le lieu des figurations c est souligner l ins
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