Entretien Jackie-Ruth Meyer & Saadane Afif
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1. la m me id e Les lettres sont d mesur es On est oblig de les d chiffrer une une Or l underground on ne sait jamais vraiment o c est et de quoi il s agit Ce sont souvent des lieux de grande effervescence parfois des lieux o se fomentent des r volutions On ne mesure jamais la masse totale de l underground La for t est aussi un lieu de retraite J R M Le chapeau est il une indication sur le processus de cr ation un processus de pens e S A Travailler du chapeau c est de l autod rision de l ironie C est voquer la profondeur et la l g ret simultan ment Je pense Gombrovitch et sa citation qui m inspire l homme est entre maturit et Dieu gt Le chapeau est l picentre de toute l exposition J R M This is the way you and me mesure the world trois disques miroirs sans tain structurent l espace de la derni re salle Tu convoques la lumi re la forme l espace de fa on sculpturale cette fois ci moderne et simultan ment tu englobes le visiteur qui se trouve face son image et celle d autres visiteurs r fl chies dans les volumes Le titre compl te l uvre en livrant son sens de fa on tr s directe N anmoins elle reste tr s nigmatique comme l ensemble de l exposition Que transmet l art et comment S A Le titre inspir d une phrase de Tom Morton est venu presque avant la pi ce A c t de la grande biblioth que j ai2. autre part quel lien cr es tu entre l id e de la for t et celle de zone souterraine d activit parall le l ordre social que underground sugg re S A Je suis incapable de faire un choix c est la raison pour laquelle je travaille avec beaucoup de gens Les commandes d autres artistes me permettent de d passer les limites de mon propre travail La premi re fois que j ai fait appel des artistes tr s proches c tait pour partager des moments extr mes de doute J aime inviter des artistes venir intervenir dans mon exposition J indique les contraintes de l exposition aux artistes qui ainsi prennent en charge la mise en forme de mes pens es Ils ouvrent alors une r alit autre dans l exposition Je passe des commandes je deviens metteur en sc ne du travail Plut t que de faire un emprunt ou une citation je pr f re que les gens viennent directement faire leurs uvres dans l exposition Je suis alors dans le copyshare gt et non dans le copyright Copyshare signifiant la copie partag e Mais r pondre ces questions est difficile car elles sont au c ur de mon travail et de mes questionnements Mes sujets d investigation sont certainement les repr sentations et l chec de ces repr sentations Concernant St phane Calais je voulais travailler avec quelqu un ayant un style reconnaissable J avais d cid d crire underground sur les murs d une galerie St pha
3. des sculptures Et il n y a aucune raison de ne pas essayer de faire jouer ces sculptures comme des morceaux de musique J ai pens l exposition en visitant l espace Je ne travaille qu en fonction des expositions que je fais et chaque exposition devient pr texte produire quelque chose de tout fait nouveau J aime me dire que le lieu de l exposition soit presque comme le lieu de l atelier dans la forme exp rimentale qu il peut avoir J essaie de construire mes expositions comme une phrase ouverte un ensemble de mots des articulations la fa on des tchatcheurs ces gens qui viennent prendre le micro et qui parlent En d finitive je g re un travail qui n est plus uniquement li l exposition mais li un processus qui fait intervenir des auteurs des musiciens M me si l exposition reste toujours le r f rent absolu j inclus mon travail dans un moment plus large que le simple moment de l exposition J R M Est ce que tu as imm diatement pens les choses dans leur globalit avec toutes les pi ces ou une pi ce a t elle t le point initial S A La plupart de mes expositions sont construites l image de celle de Cimaise et Portique tout appara t au dernier moment Si c est une catastrophe la catastrophe appara t au dernier moment D ailleurs je vais d couvrir l exposition en m me temps que le visiteur le jour du vernissage C est toujours un enjeu stressant mais tr s
4. int ressant car je reste toujours tr s curieux de voir voluer mon travail et les choses qui peuvent en d couler Quant aux pi ces elles taient toutes l potentiellement Le Laocoon qui devait exister pour une autre exposition prenait tout son sens ici Mais la pi ce que j ai pens e tr s vite en relation avec l espace est This is the way you and me measure the world ces miroirs sans tain qui tournent sur eux m mes En effet la derni re salle est extr mement contrast e il tait vident qu on pouvait jouer avec ces miroirs sans tain dont la caract ristique est de fonctionner parfaitement avec du noir et du jour Il faut surtout rappeler que j ai construit l ensemble de l exposition travers une s rie de titres qui forment une track list un ensemble de morceaux qui composent un album de musique Comme je le disais ONE MILLION BPM est une exposition qui r ve de devenir un album de musique J R M Temps et espace sont les bases de l appr hension du monde et de soi ce sont galement les dimensions explor es par l art depuis toujours Quel est l enjeu de ton travail Comment te situes tu par rapport l histoire de l art Quel est le champ d investigation de l art aujourd hui d apr s toi Tu prends galement des formes imm diatement reconnaissables y a t il une dimension classique dans ton travail S A Je d veloppe actuellement une forme tr s contemporaine rejou e
5. puni pour avoir brav la volont d Apollon en mettant en garde les Troyens contre le cadeau des Grecs le c l bre cheval de bois destin leur destruction Cette sculpture est la forme par excellence de l expression de la douleur dans la sculpture classique un serpent de mer monstrueux envoy par Apollon menace Laocoon aid par ses fils Ici il n y a pas de serpent pas d expression de douleur le corps est d une beaut impassible seul d coup en morceaux et mont sur un mobile il tournoie dans l espace Quelle est ton intention S A Le Laocoo n que je mets en sc ne est une repr sentation de la douleur Il est li l id e de human bomber bombe humaine quintessence de la douleur moderne Il n y a pas de plus forte repr sentation de la douleur que de se faire sauter pour une cause L id e du corps clat joue sur cette id e d une soci t qui selon moi produit des n uds de d tresse Le mod le qui a servi au moulage est une statue d Antinous du Capitole favori de l empereur Adrien Ce dernier l a fait dieu apr s qu il se fut noy C tait une nouvelle occasion pour les sculpteurs de l poque d exceller dans la repr sentation d un corps sublim Cet id al de la beaut chez les Grecs reste un point de r f rence pour tout le monde Ma pi ce du Laocoon incarne une dualit deux id aux un peuple en qu te absolue du beau et un peuple qui se sacrifie p
6. vu un squat o tourne un grand miroir J ai imm diatement pens l artiste Dan Graham L espace brut de la grande salle tait parfait pour accueillir ces trois miroirs ronds sans tain de 1m 80 de diam tre qui tournent sur eux m mes Si l on devait traduire le titre cela donnerait Ceci est la fa on dont toi et moi mesurons le monde gt Je con ois cette pi ce comme une fa on de se mesurer au monde l autre mais galement de mesurer tout ce qui nous entoure Cette installation se situe entre aveuglement transparence et r flexion J R M Le mot de la fin S A Le mot de la fin c est la vid o Nead Dead Experience gt diffus e dans le couloir dans la grande salle J ai film les lumi res des lampadaires dans la ville Ces points lumineux au fond du tunnel rappellent ce que certaines personnes disent avoir vu en fr lant la mort
7. cimaise centre et d partemental portique d art contemporain Entretien entre Sa dane Afif et Jackie Ruth Meyer J R M One million BPM le titre de l exposition se r f re l unit de mesure d un rythme de la musique techno et simultan ment l identit sonore des Moulins Albigeois espace qui inspire la production et le choix des uvres pr sent es Peux tu pr ciser la nature de ce lien et donner des indices sur la fa on dont tu as pens l exposition S A Un BPM Beat Per Minute est une unit de mesure du nombre de battements par une minute D ailleurs cette exposition devrait s intituler one thousand million BPM gt pour reprendre l id e de ces milliers de gouttes d eau qui viennent s exploser chaque minute sur le barrage du Tarn juste sous les Moulins Albigeois Ces milliers de gouttes d eau finissent par cr er un battement si bien qu on n entend plus qu une fr quence continue One Million BPM est une exposition qui r ve de devenir un album de musique et qui se structure comme tel C est la raison pour laquelle son titre se r f re une unit de mesure de la musique beaucoup utilis e par la techno Cette exposition ne met aucun rocker heroe gt en sc ne mais des formes de repr sentation Car comment dessiner exposer un album part en jouant sur la repr sentation C est la raison pour laquelle les morceaux dans le cadre de l exposition sont remplac s par
8. e champ de l art J R M Tu fais r f rence Cadere artiste fran ais des ann es soixante dix dont l uvre consistait peindre des bandes de couleur sur un b ton qu il d posait en toute libert dans des espaces d volus l art et dans d autres lieux Que retiens tu de sa d marche S A Cadere pour moi est un hobby J adore jouer avec La premi re approche que j ai eue de son travail est romantique cet homme exotique qui d cide d imposer son travail en posant son b ton en promeneur nomade Pour moi c est une id e mouvante En fait Cadere se situe l oppos de cette vision romantique et son travail est des plus cart sien C est un travail paradoxal il produit des erreurs l int rieur d un syst me tr s rationnel Son travail est tr s figuratif et en m me temps extr mement abstrait radical De plus je trouve l objet b ton qu il a produit tr s mouvant D ailleurs lors de la premi re exposition laquelle j tais invit en tant que commissaire j ai pr sent un b ton de Cadere Apr s avoir beaucoup lu et m tre pench sur son travail j ai d cid que Cadere pouvait devenir un programme J R M Il y a aussi du son dans l exposition Comment l as tu pens S A Le son a toujours t une couleur Je n ai jamais con u le son autrement que comme une sculpture ou un volume C est impossible de faire un cd partir du son que je produis Cela fonc
9. es Alors que le lieu est envahi par le son du barrage cette pi ce lui permet de retrouver un peu d autonomie sonore J R M Une pi ce trange un chapeau dont la forme s inspire de la chevelure dans la sculpture classique et d un geste de protection du visage est pr sent e dans une vitrine Quel est son r le dans l exposition S A Intro s inspire d une photographie r alis e par Guillaume Jeannot dans laquelle je me mets en sc ne avec un t shirt sur lequel est crit Restore Hope Il s agit du nom de code d une op ration militaire d sastreuse men e par les Am ricains en Somalie deuxi me op ration de guerre spectacle apr s la premi re guerre d lrak Debout j avais mis tous mes cheveux devant les yeux comme une position d anonymat la fa on des teenagers Intro est un chapeau qui reprend la forme des cheveux de la photographie Ce chapeau est un objet compl tement idiot qui n a pas de valeur d usage Une sorte de heaume dont la r alisation soign e et stylis e renvoie une certaine id e du luxe L objet reste n anmoins tr s simple et tr s graphique Je le pr sente comme une sculpture abstraite J ai appel cela Intro gt comme introversion Il met en valeur un geste l mentaire pour s isoler de ce qui nous entoure Cet acte de r sistance premier est une mise en apn e n cessaire pour dig rer ce que nous renvoie le monde Underground et la For t renvoient
10. ne a tout simplement mis en forme une de mes uvres Et j avais d j utilis le graffiti comme forme po tique J R M Tu laisses autant de place au visiteur que tu en laisses aux artistes que tu invites Tu poses un cadre et tu laisses les gens voluer l int rieur de ce cadre S A En effet Mais la fa on dont on pose les contraintes est celle dont on pose ses propres libert s Cela permet de d gager des territoires de libert d interpr tation et de formes nouvelles Ce qui m int resse c est l interpr tation des choses Or il me semble qu on est dans un chec permanent de la repr sentation de ce qu on projette sur lavenir J R M Tu as command un sculpteur l criture de chansons partir des uvres pr sent es tu les mets au mur et elles sont en tant que telles des uvres part enti re Seront elles mises en musique par la suite Pourquoi passer de l art visuel inscrit dans l espace une transcription litt raire jouant d une temporalit Comment lies tu ces diff rents aspects de l uvre Pourquoi fais tu appel d autres savoir faire S A J cris tr s peu Mais voici quelques anecdotes explicatives Pour une uvre en Chine une fl che en n on tourn e vers le ciel je voulais un cartel dont la forme n tait pas d finie La r flexion autour de ce cartel m a inspir la r alisation d une collection de chansons qui ne parlaient que des toiles Je me suis
11. our d fendre ses id es J R M Cette pi ce le Laocoon me fait penser un texte de Peter Sloterdijk qui dit que dans l antiquit on apprivoisait le temps et la mort par l id e d ternit et aujourd hui on l apprivoise par le mouvement et la mobilit Qu en penses tu S A Oui c est vrai Mais je n aime pas vraiment expliquer une pi ce En effet une pi ce a lieu d tre partir du moment o j ai d cid de son existence Je pose des choses je produis des choses Si c est juste ces choses arriveront se d velopper sous d autres formes encore ind finies J R M Une des donn es de l exposition r side dans l nigmatique Cette exposition est tr s nigmatique et laisse beaucoup de libert S A Oui elle est nigmatique et non sot rique Enigmatique ne signifie pas que J ai l intention de cacher des choses Bien au contraire Il est vrai galement que je suis fascin par l abstraction Pour moi il n y pas d autres formes d art que l art abstrait Je pense que si tu fais une pi ce abstraite aujourd hui elle est forc ment figurative aujourd hui on a tellement de r f rents c est devenu un lieu commun J R M Tu as pass commande un autre artiste St phane Calais pour qu il cr e une uvre que tu pr sentes intitul e La For t gt elle dessine au mur le mot underground gt D une part comment se joue cet emprunt un autre artiste D
12. par beaucoup d artistes aujourd hui Je pars du principe qu une uvre n est pas compr hensible de toute fa on Je pense qu en multipliant les formes et les id es on multiplie les approches de ces m mes oeuvres Oui j utilise des formes classiques imm diatement identifiables qui me permettent de d velopper des champs d exp rimentation Je pense que si ces formes taient totalement nouvelles j aurais davantage de difficult s Je suis citoyen d un monde Mes propositions plastiques viennent des relations que j entretiens au monde J essaie de m attaquer ce que je ressens qui la plupart du temps est fauss et galvaud par une soci t fondamentalement violente Avant l artiste tait un reflet du monde dans lequel il vivait pr sent c est un filtre il se r approprie les choses Je m inscris d lib r ment dans le champ d investigation qu est l art Je pense que l art est un domaine sp cifique Il restera toujours le domaine privil gi du geste en plus de ce qu on fait en dehors de toute n cessit dans un domaine id al Ce qui m int resse dans une uvre d art c est sa pertinence et sa persistance Et l on se retrouve forc ment face des formes plastiques qui ont des r f rences et qui s inscrivent dans l histoire de l art J R M Entrons dans l exposition une pi ce a pour titre Laocoon gt qui renvoie l antiquit gr co romaine et la l gende de ce pr tre
13. retrouv avec deux cent compositeurs qui parlaient de ce m me sujet Quelque mois apr s je voulais avoir un commentaire sur mon travail qui ne soit ni didactique ni redondant J ai d cid de faire appel un auteur et de lui commander des chansons apr s lui avoir pr cis le titre de l exposition et les formes plastiques que devaient prendre les pi ces Je me suis retrouv avec une s rie de textes tous plus tonnants les uns que les autres ouvrant nouveau une fen tre sur une autre r alit La chanson prend alors la place du texte didactique qui dans les mus es est cens donner une forme d approche de l uvre Mais dans mon travail c est aussi une forme ironique de pr sentation Depuis ces v nements mes expositions se construisent comme des albums de musique Je prends l album comme format pour construire l id e des phrases que j utilise pour mes expositions Je consid re les textes comme une uvre Je signe avec l auteur pour plein de raisons Tout d abord je revendique le copyshare cette copie partag e et enfin je pense tre pour 50 du sc nario qui se d veloppe dans l exposition Mais il est vrai que la question de la revendication du travail se pose quand tu fais intervenir des personnes ext rieures Ce n est pas un travail iconoclaste mais un travail qui produit une surench re de formes une multiplication des possibles Et je n essaie pas de faire de la musique je parle dans l
14. tionne r ellement et pleinement dans le cadre d une proposition spatiale Cadere utilisait des suites permutations trois ou quatre couleurs Je me sers des b tons de Cadere comme partition qui vont jouer des suites d accords les money chords gt Je me suis aper u en lisant un article de Patrick Eudeline intitul Chanson mode d emploi paru dans Rock and Folk que l histoire du rock tait faite de trois ou quatre accords maximum J ai utilis l ensemble de cet article et toutes les suites d accords cit s par Eudelin Chaque accord pouvait tre une couleur Enfin j ai trouv un programmateur qui j ai parl des suites permutations de Cadere Pour la pi ce Money Chords un programme va jouer l ensemble des b tons de Cadere Il va jouer la s rie de chaque b ton la lettre C est un programme qui choisit toutes les suites de chaque b ton avec leurs erreurs Toutes les suites d accords relev s par Eudelin sont r pertori es et jou es par un musicien Le programme choisit de fa on al atoire un b ton qui va coller de fa on al atoire avec une des suites Puis il restitue cela sur un haut parleur quatre voix C est un collage entre la pr sentation d une uvre et l article de Patrick Eudelin Cette forme m canique de faire la musique m int resse norm ment Elle renvoie aussi directement au son m canique des Moulins Albigeois l poque de ses activit s initial
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