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1. La violence commence d s qu on sort de chez soi Christine Angot Interview En 2000 Christine Angot publie Quitter la ville o elle place en exergue cette citation tir e du roman nterview paru en 1995 Cette courte phrase donne le ton ce qui suivra Angot raconte l histoire de la sortie de son pr c dent roman Inceste et rapporte les violences que sa r ception lui a fait subir Paru l automne 1999 Z Inceste a provoqu de vives r actions tant chez le public que dans le milieu litt raire Exhibitionnisme hyst rie recherche du scandale ne sont qu un chantillon de toutes les accusations port es contre Angot Les critiques l accusent de vouloir faire de la provocation en rendant publique cette sordide histoire d inceste dont plusieurs d tails sexuels sont cr ment rapport s On discr dite l crivaine on la traite de putain et son diteur Jean Marc Roberts d tre son souteneur Angot 2000 17 On affirme que son succ s est un coup mont qu on l utilise pour faire vendre et on lui reproche de se pr ter au jeu Angot 2000 22 Rapidement le d bat entourant le livre se transforme en chasse aux sorci res Qui ose ainsi prendre la parole pour d noncer l inceste Pour Eva Domeneghini les raisons derri re cette haine collective sont claires qJuand on vend 40 000 on devient trop visible on envahit l espace On est jaloux on est envieux on en a marre de la fille qui se p
2. renverser la dichotomie opposant le discours philosophique l art alors que traditionnellement la philosophie est investie de la capacit r v ler la v rit des penseurs tels que Johann Gottlieb Fichte 1984 et Friedrich Wilhelm Joseph von Schelling 1989 ont voulu inverser la dynamique et accorder ce pouvoir diverses formes artistiques Selon Jean Marie Schaeffer 1992 l envie de conf rer l art un caract re irr ductible et sacr demeure En effet il n est pas rare d entendre encore aujourd hui que l art permet au sujet d acc der sa propre v rit son essence v ritable Schaeffer 1992 23 Ainsi art et philosophie se frappent au m me cueil 1ls cherchent tous deux par diff rents moyens acc der la V rit La notion de v rit semble un absolu alors qu elle d pend grandement du r gime de v rit qui la produit comme nous l avons mentionn avec Michel Foucault Bref retenons de tout ceci que bien que de nombreux penseurs aient tent de d construire la logique aristot licienne en fragilisant son mode de conceptualisation dichotomique la V rit semble conserver sa valeur supr me Le travail d Angot poursuit cette r flexion tant sur le plan formel que th matique du fait que travers son uvre elle bafoue ces cat gories de pens e de fa on refuser toutes formes de division binaire et hi rarchique En fait il semble qu Angot veuille p
3. C tait bien pourquoi la responsabilit de l crivain n existe pas Et la culpabilit encore moins L crivain n tait pas responsable si le lecteur persistait mettre quatre pieds une chaise qui n en avait qu un Un signifiant n avait pas de r f rent un signifiant tait comme son nom l indique insignifiant chaise n avait pas de r f rent n avait pas quatre pieds les noms propres non plus Les r f rences se faisaient dans le cerveau du lecteur elles y taient diff rentes et indiscernables La litt rature n avait pas de r f rent Point final Angot 2004a 71 72 64 Dans cette perspective l uvre aurait davantage la qualit d un performatif c est dire une nonciation qui n a d autre contenu que lacte par lequel elle se prof re Barthes 1984 67 D velopp e par John Langshaw Austin 1991 la notion de performativit caract rise certaines expressions qui produisent ce qu elles noncent Ainsi certains nonc s sont descriptifs et refl tent un tat ind pendant d eux alors que d autres accomplissent un acte et modifient la r alit lorsqu ils sont prononc s dans certaines conditions en raison de leur caract re performatif Ces derniers sont donc caract ris s par le fait qu ils cr ent un tat nouveau Pour Austin les nonciations performatives A ne d crivent ne rapportent ne constatent absolument rien ne sont pa
4. caract re sexuel CALACS La probl matique de l inceste Lumi re bor ale Hhttp www lumiereboreale qc ca wmfichiers nceste pdf page consult e le 19 avril 2009 Colonna Vincent 2004 Autofictions amp autres mythomanies litt raires Auch France Tristram 250 pages Coracini Maria Jos R F 2006 L espace hybride de la subjectivit le bien tre entre les langues Langage et soci t Maison des sciences de l homme vol 3 no 117 p 41 6 Darrieussecq Marie 1999 Pour son Proc s de Jean Marie Le Pen Mathieu Lindon a t condamn Parce que les juges exigent que les romanciers apportent des preuves Le proc s du roman In Lib ration Paris 16 octobre p 6 Deleuze Gilles et F lix Guattari 1975 Qu est ce qu une litt rature mineure In Kafka Pour une litt rature mineure p 29 50 Coll Critique Paris Minuit Deleuze Gilles 1993 La litt rature et la vie In Critique et clinique p 11 17 Coll Paradoxes Paris Minuit Derrida Jacques 1972 La Diss mination Coll Tel Quel Paris Seuil 406 pages 1996a Demeure Fiction et t moignage In Passions de la litt rature Avec Jacques Derrida sous la dir de Michel Lisse p 13 73 Paris Galil e 1996b Le Monolinguisme de l autre Paris Galil e 135 pages Dorais Michel 1988 La politique de la marginalisation sexuelle ou l
5. David Ruffel Sur la notion de mineur chez Christine Angot Chao d no 1 t 2000 http www chao d com numero0 articles notion_ mineur htm 40 Guattari la d territonialisation de la langue le branchement de l individuel sur l imm diat politique et agencement collectif d nonciation Deleuze et Guattari 1975 33 de quelle mani re Christine Angot d veloppe un style qui lui est absolument particulier Nous examinerons de quelle fa on son travail serait pour reprendre les termes de Deleuze toujours un devenir Pour ce faire nous tudierons l ensemble de l uvre d Angot tout en faisant appel certains exemples plus pr cis tir s de L Inceste 1999a 2 1 D territorialisation de la langue 2 1 1 Conflit avec la langue maternelle La plume tr s caract ristique d Angot ne fait pas l unanimit En effet c est surtout son style qui anime les discussions entourant son uvre Alors que certains voient dans son ton contondant et ses r p titions forcen es un r el travail formel Marcelli 2001 http www imterdits net 2001fev angot htm d autres sont plut t d avis que son art est insipide et le devient d ailleurs de plus en plus dans ses ouvrages les plus r cents BJ 2006 http voir ca livres livres aspx 1DArticle 45213 On remarque surtout le rythme de son criture qui rappelle la parole avec notamment ses m langes de registres et la pr sence marqu e de l
6. a avoir une petite fille la Sainte Vierge s par e de l Enfant je pleurais ne riez pas pas de Marie mon mari veillait sur nous Joseph j tais la m re du Christ et le Christ les doigts de Marie Christine avaient six ans de moins J accouchais L onore Marie Christine Marie Christine L onore En accouchant je suis devenue homosexuelle en accouchant L onore Marie Christine L onore L onore L onore L onore Christine faudra qu on y aille dans ce restaurant Copenhague Le L onore Christine L onore Marie Christine L onore L onore Mon tr sor Allez le but le but le foot Angot 1999a 78 79 Entre autres Arr tons arr tez arr te cr e en 1997 est une adaptation du texte Normalement publi en 2001 tandis que Mais aussi autre chose cr e en 1999 est tir e de Sujet Angot 1998 Les Autres 1997 et L inceste 1999a 49 Comme le souligne Catherine Mavrikakis dans l article bout de souffle Vitesse rage et pornographie Parcours rapide des textes d Herv Guibert et Christine Angot 2002 il my a jamais r p tition de l identique chaque r p tition est diff rente ne serait ce que parce que le temps et l espace eux ne cessent d voluer Chaque r p tition pour Angot serait l occasion de rendre la respiration palpable de fa on t moigner de la vie qui se poursuit Dans chaque souffle r p t de la voix s inscrit une diff rence le m me comme toujours mieux le m
7. au milieu un mur Angot 19998 25 Mais il n en demeure pas moins que la r alit et la fiction ne sont pas d limit es par une d marcation claire la fronti re est souple mall able ce qui permet certains l ments dont les noms de certains de ses proches de traverser du c t de la fiction Ainsi les noms servent mettre en forme le r cit ces personnes deviennent des personnages des pr textes et non des victimes Domeneghini http ecrits vains com critique domeneghinil2 htm Bref le but est de r affirmer que ces 16 deux mondes bien qu ils soient enti rement distincts sont aussi intimement li s Le fait de se servir de d tails de sa vie et de celles de son entourage constitue en somme le seul moyen efficace de provoquer une r flexion sur la r alit et la fiction Angot est d avis qu elle peut tout dire dans ses livres dire vrai dire faux mentir tout en affirmant que l on dit la v rit et vice versa Que son enfant on voudrait la voir morte Que les Juifs on leur crache dessus Angot 19998 17 18 Cela s explique par le fait qu aux yeux de l auteure la morale n existe pas en litt rature la mise en fiction de certains v nements permet l uvre de se d gager de tout jugement moral le bien et le mal n existant que dans la r alit Guichard 1997 http www Imda net mat MATO02127html Ainsi si l crivaine semble avoir l impression
8. ils sont foisonnants Vignale 1999 http Imda net ecritures vignalangot html Il semble que cette critique r sulte de la ponctuation caract ristique d Angot qui hache le texte et lui donne un rythme pr cipit Nous ne nous attarderons pas sur cet aspect du travail d Angot bien que nous traiterons du lien entre la ponctuation et la pr sence marqu e du souffle dans la partie suivante 46 rendu possible que gr ce un travail stylistique travers lequel s opposent l aspect immat riel de l identit et la corporalit du texte litt raire en tant que mati re mall able 2 1 2 Le souffle chez Angot notre avis la pr sence du souffle que soul vent plusieurs critiques est une des marques les plus visibles qu a laiss e l exp rience de l inceste qui devient visible au niveau de la mat rialit m me du texte En effet Angot n crit pas sur l inceste elle crit l inceste en ce sens que son v cu incestueux devient la mati re partir de laquelle s crit le roman Angot ne raconte donc pas sa vie c est sa vie qui fabrique l criture Ma vie n est devenue qu criture maintenant Il n y a plus que a Angot 19998 17 Pour citer Isabelle Cata et Eliane DalMolin il nous appara t que I inceste est un mat riau essentiel proportionn aux nouvelles exigences d une litt rature du pr sent Cata et DalMolin 2004 88 Pour Angot l inceste devient d
9. poss de un exemplaire REMERCIEMENTS Je tiens remercier Martine Delvaux d avoir si g n reusement accept de diriger ce m moire de ma trise Ses commentaires pertinents et son jugement critique ont t des qualit s tr s importantes tout au long de mon travail de recherche Elle a su stimuler mes r flexions de fa on me pousser toujours au del de mes limites En outre je salue sa perspective tr s avant gardiste de l analyse litt raire qui allie entre autres les cultural studies l am ricaine aux tudes de genre et la th orie poststructuraliste mon p re et Philippe pour leur grande aide et leur soutien constant TABLE DES MATI RES R SUM iii INTRODUCTION iii idi eue uues es eueceeeenreeees CHAPITRE I LE PROJET ANGOTIEN A BALADER LE LECTEUR AINSI ENTRE REALITE ET FICTION EST CE QUE TU JOUIS l l Pr sentation de l uvre 1 1 1 Parution du roman L Inceste reen 1 1 2 Le projet d Angot 1 1 3 La fin du r f rent 1 2 Identit 1 2 1 D finition partir d Une Partie du c ur 1 2 2 T moignage et r cit de s01 1 2 3 L alt rit se CHAPITRE II CELLE QUI POSE DES MINES ANGOT ET LA LITTERATURE 2 1 D territorialisation de la langue 2 1 1 Conflit avec la langue ma
10. qui lui a t donn par son p re Angot 1999a 54 Bien que nous ne puissions affirmer avec certitude que les textes d Angot sont r solument engag s dans la mesure o ils seraient habit s d un imp ratif moral Sartre 1948 79 nous sommes en droit de supposer qu elle poursuit un objectif pr cis Je est un autre tait sans doute angoissant pour une soci t qui suivant une telle logique avait peur de plus savoir qui elle tait Mon premier choix n tait pas d apaiser le citoyen mais que la Loi fondamentale s exerce Angot 2004a 36 De fa on concr te la publication du roman L nceste a eu des cons quences tr s s rieuses pour l auteure qui s est vue point e du doigt et prise pour cible par la communaut de Montpellier Angot explique cette r action des Montpelli rains en disant qu en plus de refuser de reconna tre que je est un autre la soci t condamne aussi la personne qui persiste le r p ter Quand des romans remettaient le couvert avec Je est un autre a nervait la soci t Elle gueulait comme un putois d s qu un crivain recommen ait avec a de mani re trop claire comme c tait mon cas Angot 2004a 40 Cependant lorsqu on questionne l auteure en entrevue elle semble vouloir s loigner de toute forme de militantisme en Angot relate cette exp rience dans le roman Quitter la ville publi en 2000 imm diatement apr s L Inceste
11. un texte c est imposer ce texte un cran d arr t c est le pourvoir d un signifi dernier c est fermer l criture 1984 68 Or on ne peut lire les uvres d Angot avec un horizon d attente classique selon lequel le je de l instance narrative correspondrait au je biographique cela ne permettrait pas au lecteur de saisir la polys mie de ses textes Au total il suffit de lire n importe quel texte d Angot pour r aliser quel point son criture est ouverte ouverte sur le monde sur les autres et surtout sur la vie qui vibre dans chaque phrase A la lumi re de ce que nous venons de dire 1 devient vident qu Angot dans ses textes ne parle pas en son nom propre En effet elle labore une nouvelle instance narrative qui conf re son uvre une existence propre Dans une certaine mesure Deleuze et Guattari reprennent la m me id e et consid rent que C est l auteur qui souligne 59 1 l n y a pas de sujet il n y a que des agencements collectifs d nonciation et la litt rature exprime ces agencements dans les conditions o ils ne sont pas donn s au dehors et o ils existent seulement comme puissance diaboliques venir ou comme forces r volutionnaires construire 1975 33 Dans cette perspective si Angot semble puiser dans ses exp riences pass es et pr sentes pour trouver la mati re de L Inceste c est pour en faire l origine ou la d
12. www chao id com numero01 articles notion mineur htm Plus encore dans Sujet Angot 1998 l auteure pr te la parole son ex mari Claude sous la forme d un journal forme de la confidence par excellence qu il crit suite leur rupture Ainsi le narrateur tente de brosser un meilleur portrait de Christine que ce qu elle m me a su le faire Ce roman permet donc une nonciation ambig e qui questionne la co ncidence soi Un tel usage repris plus petite chelle dans tous ses autres romans n est possible qu au prix de la d personnalisation de l instance narrative En d autres termes le r cit cesse d appartenir son auteure il devient celui de toutes les voix qu on retrouve pr sentes divers degr s dans le texte L uvre est un espace dimensions multiples o se marient et se contestent des critures vari es dont aucune n est originelle Barthes 1984 67 L intersubjectivit rend donc clairement visible de quelle fa on l Autre est un 63 l ment fondamental dans l laboration du sujet Angot Cela appara t comme une des diff rentes m thodes qu utilise l crivaine pour d montrer que je est un autre De ce fait les pronoms deviennent presque interchangeables les diff rentes voix se m langent En un mot l identit de la narratrice se confond avec celle des autres Je lui ai dit que je m ab mais mes sentiments n taie
13. 2004 Introduction la philosophie de Michel Foucault Michel Foucault une philosophie de la v rit Nouveau Mill naire d fi libertaire http 1libertaire free fr IntroPhiloFoucault html page consult e le 27 juillet 2009 Guibert Herv 1990 l ami qui ne m a pas sauv la vie Coll Folio no 2366 Paris Gallimard 284 pages H ritier Fran oise 1996 La valence diff rentielle des sexes au fondement de la soci t In La pens e de la diff rence p 15 29 T 1 de Masculin F minin Paris Odile Jacob Husserl Edmund 1992 M ditations cart siennes Introduction la ph nom nologie Trad de l allemand de Gabrielle Peiffer et Emmanuel L vinas Coll Biblioth que des textes philosophiques Paris Vrin 256 pages Joubert Lucie 1998 Le Carquois de velours L ironie au f minin dans la litt rature qu b coise 1960 1980 Coll Essais litt raires Montr al Hexagone 221 pages Kafka Franz 1994 Journal d de Marthe Robert Coll Livre de poche no 3001 Paris Librairie g n rale fran aise 674 pages Kinsey Alfred C avec la collaboration de Wardell Baxter Pomeroy et Clyde E Martin 1998 Sexual Behavior in the Human Male Bloomington Ind Indiana University Press 804 pages 1998 Sexual Behavior in the Human Female Bloomington Ind Indiana University Press 842 pages Lacan Jacques 2006 D un autre l autre 1968 1969 d
14. Angot refuse que l on associe son uvre une recherche de soi autobiographique Je tait universel parce que Je tait crivain parce que je n appartenait personne de connu de l tat civil Angot 2004a 54 Son questionnement se joue donc un autre niveau pour elle la litt rature poss de une existence ind pendante qui ne renvoie pas la biographie de l crivain Suivant cet ordre d id es La mort de l auteur 1984 de Roland Barthes peut apporter un clairage diff rent sur le travail d Angot En effet le scripteur car on ne parle plus d auteur n aurait pas d existence qui pr c derait ou qui exc derait l criture il n existerait que dans la situation d nonciation du texte qui se situe dans un ici et maintenant ternels contemporains l acte de lecture Qui parle ainsi Il sera tout jamais impossible de le savoir pour la bonne raison que l criture est destruction de toute voix de toute origine L criture c est ce neutre ce composite cet oblique o fuit notre sujet le noir et blanc o vient se perdre toute identit commencer par celle l m me du corps qui crit Barthes 1984 63 58 L auteur n est donc plus le p le partir duquel il est possible d tudier une uvre litt raire Suivant cette logique le lecteur doit modifier son horizon d attente h rit de l poque moderne alors que l auteur obti
15. Ce faisant elle parvient remettre en cause l ensemble des structures culturelles et sociales qui r gissent la vie en soci t L crivaine ouvre ainsi la voie de nouvelles configurations de la matrice du pouvoir de mani re former un sujet toujours en devenir I nous appara t clairement que tout individu rig en sujet par un ensemble de 93 r gles est toujours d j inscrit dans un champ d action politique En d finitive l agentivit est toujours une affaire politique puisqu elle permet d agir sur un syst me normatif afin de r sister un mod le d assimilation CONCLUSION Au cours de notre analyse nous avons eu l occasion de montrer que Christine Angot au fil de ses diff rentes publications d joue sans cesse les attentes du lecteur de fa on court circuiter la notion de t moignage De fa on plus vidente lors de la parution de L nceste en 1999 plusieurs critiques ont accus l auteure d gocentrisme l accusant d exhiber ses probl mes personnels au grand jour Cependant nous sommes d avis que le contenu autobiographique de son uvre permet l expression d une pens e politique qui passe par une r flexion sur ce qu est l identit Cette r flexion prend forme autour de la figure de l inceste qui traverse le roman ainsi que l ensemble de son uvre En effet la question de l inceste est omnipr sente mais cesse de r f rer uniquement l amour entre deux indi
16. Le sujet Angot entreprend donc par diff rents moyens de d mystifier l interdit de l inceste en levant le voile sur ce tabou Elle le fait tant t par l acception au moins partielle du viol en bonne entente avec le p re et tant t par l vocation de lacte et de ses suites en d tails crus Dubois 2002 221 Notons entre autres exemples ce passage dans lequel elle d crit une fin de semaine pass e avec son p re Parce que en Savoie il y avait une glise dans ce village dont les maisons taient couvertes de lauzes une glise dont le chemin de croix tait particuli rement beau et que le confessionnal a vu ma bouche ouverte sur le sexe de mon p re il avait fallu que j aille le finir dans la voiture il n avait pas voulu jaculer quand m me l Angot 1999a 216 Plus que seulement par provocation Angot inclut de telles descriptions afin de d barrasser l inceste cette grande figure d effroi de ce qui la sacralise Dubois 2002 221 L inceste r el n appara t donc plus comme l ultime forme de violence l inceste devient le paradigme de toute violence ressentie Cette strat gie d voile une contradiction fondamentale chez Angot alors que la soci t condamne clairement certaines formes de violence qui sont ind niablement visibles elle passe sous silence les petites violences Angot suppose que ces petites violences perp tr es quotidiennement et faisant par
17. canismes de contr le issus de la m decine particuli rement de la psychiatrie dans la mesure o les homosexuels revendiquent haut et fort leur diff rence alors que dans une perspective foucaldienne il ne s agirait que d une autre manifestation du biopouvoir celle ci serait d autant plus pernicieuse que les communaut s gaies l adoptent de leur plein gr L incipit de L Inceste renvoie clairement au roman l ami qui ne m a pas sauv la vie 1990 d Herv Guibert roman qui traite de son homosexualit et de son sida J ai t homosexuelle pendant trois mois Plus exactement trois mois j ai cru que j y tais condamn e J tais r ellement atteinte je ne me faisais pas d illusions Le test s av rait positif Angot 1999a 11 Angot associe l inceste et le VIH sida en tant qu exp rience d un stigmate Encore aujourd hui le sida est v cu par ceux qui en sont atteints comme une maladie honteuse qui d coule d une responsabilit manqu e associ e des comportements socialement r pr hensibles Projet VIHsibilit 2008 http www vihsibilite uqam ca projet contexte asp les personnes s ropositives seraient dans une certaine mesure tenues responsables d avoir contract le virus Il est donc d autant plus difficile pour les personnes vivant avec le VIH sida de d voiler leur statut s rologique car cela entra nera leur exclusion Prendre la parole pour parler de son inceste ou
18. criture d Angot pousse plus loin la d construction du sujet un point tel que la notion de sujet semble se dissoudre dans un jeu de miroirs infini L usage singulier que fait Angot de la ponctuation serait donc une mani re de donner corps l interdit de l inceste pour ramener au c ur de la probl matique angotienne le fait que je est un autre 2 2 Branchement de l individuel sur l imm diat politique 2 2 1 Le personnel est politique Apr s la d territorialisation de la langue la deuxi me caract ristique de toute litt rature mineure serait le branchement de l individuel sur l imm diat politique En d autres termes la d territoriahisation de la langue permet aux questions individuelles de s ouvrir sur des probl matiques collectives En effet Deleuze et Guattari sont d avis que la grande litt rature bien qu elle pr tende d peindre un portrait de soci t ne fait que rapporter des histoires individuelles qui au final n utilisent le milieu social que comme arri re plan l inverse la litt rature mineure attaque de front les questions sociopolitiques son espace exigu fait que chaque affaire individuelle est imm diatement branch e sur la politique L affaire individuelle devient d autant plus grossie au microscope qu une tout autre histoire s agite en elle Deleuze et Guattari 1975 30 Dans cette perspective l expression individuelle renvoie des enjeux co
19. dont l existence d passe l uvre Cette logique quasi paradoxale s applique aussi aux autres qui se reconnaissent dans ses crits ce sujet l auteure croit que le fait de ne pas enlever enti rement la terre autour de lui du personnage ne pas effacer totalement les r f rences 21 clairait le myst re des rapports entre les signifiants infinis et immortels et les corps contingents Angot 2004a 14 Au final la confusion qu elle entretient entre les personnes r elles et les personnages imaginaires permet l crivaine de faire jaillir sa propre v rit Bouleverser la limite entre fiction et r alit devient ainsi une fa on de questionner la notion d identit 1 2 Identit 1 2 1 D finition partir d Une Partie du c ur D s les premi res pages d Une Partie du c ur 2004a Angot et J r me Beaujour sont en d saccord Il est question du fait que certaines personnes de l entourage d Angot se reconnaissent dans ses romans et sont bless es par le portrait qu elle brosse d eux c est le cas du livre Les D sax s 2004b Moi c ur e que les gens s invitent dans mon livre en se disant Untel c est moi elle c est elle et se permettent quand j crivais en Je de dire que je parlais de moi au sens ma petite personne moi je Angot 2004a 9 10 Une Partie du c ur entreprend de clarifier ce malentendu l crivaine se d fend bien d util
20. me comme encore mais pas exactement pareil parce que cette fois ci je veux aller plus loin si tu sens ce que je veux dire Encore encore sic Je veux l avant derni re fois Les sc nes s puisent montrer l avant dernier soupir Jamais le dernier Mavrikakis 2002 376 377 Ces nombreuses r p titions mettent en place un mouvement de va et vient constant l int rieur du texte qui participe aussi de la d territorialisation de la langue En effet selon Deleuze et Guattari r p ter un mot ou une expression lui retire son contenu jusqu ce que son sens soit neutralis Les sons deviennent comme une musique travers e d une ligne d abolition comme le langage sens d une ligne de fuite pour lib rer une mati re vivante expressive qui parle pour elle m me et n a plus besoin d tre form e Deleuze et Guattari 1975 38 En outre le motif de la r p tition revient aussi avec les clins d 1l que fait l auteure au film L Ab c daire de Gilles Deleuze Boutang et Pamart 1995 Elle se r f re plus sp cifiquement ce que dit Deleuze au sujet du mot boisson Comme l alcoolique qui veut arriver au dernier verre le sujet Angot veut arriver au dernier appel t l phonique celui qui marquera d finitivement sa rupture avec Marie Christine Les appels se succ dent m me si Christine dit chaque fois vouloir en finir Comme l alcoolique c est plus fort qu elle elle recomm
21. r f re un ensemble de pratiques et de m canismes d autol gitimation qui forme un dispositif de savoir pouvoir propre chaque soci t Paul Veyne remarque en ce sens ce qui semble tre une boutade Tout est dit Foucault doute de toute v rit universelle rien de plus rien de moins Veyne 2004 IV La th se de Foucault relativiste met en lumi re le fait qu il est impossible de poser un jugement sur les diff rentes formes de vie de pens e de valeurs et l id e que ces diff rentes formes mettent en jeu l imposition d un pouvoir Taylor 1989 113 Ainsi il appara t que la v rit n existe pas en soi elle est toujours le produit du pouvoir La v rit est de ce monde elle y est produite gr ce de multiples contraintes Elle y d tient des effets r gl s de pouvoir Chaque soci t a son r gime de v rit sa politique g n rale de la v rit c est dire les types de discours qu elle accueille et fait fonctionner comme vrais Foucault 1977 25 Suivant cette logique le sujet serait le produit d un ensemble de r gles de normes et de contraintes le pouvoir produirait le sujet en effa ant les traces de sa production laissant croire en une v rit lui pr existant Le pouvoir tiendrait sa force de sa capacit se dissimuler et faire croire au sujet qu il agit de son propre gr au nom de la V rit En effet traiter de la question de la v
22. rit suppose normalement que le sujet puisse acc der directement cette connaissance Foucault au contraire cherche montrer de quelle mani re les syst mes de pouvoir et de v rit produisent le sujet et le dominent C est ainsi que le sujet de droit des th ories juridiques et l homme normal des sciences humaines peuvent tre r fl chis comme des productions de ce pouvoir disciplinaire qui informe les pratiques inculque docilt et r gularit normalise les conduites Gros 2004 http libertaire free fr IntroPhiloFoucault html Dans une perspective foucaldienne nous pourrions dire qu une v rit plus relative se substitue imperceptiblement la V rit 32 absolue En outre ce r gime de v rit oblige le sujet produire un r cit vrai Selon Foucault we are forced to produce the truth of power that our society demands of which it has need in order to function we must speak the truth Foucault 1980 93 Plus encore toute forme de lib ration serait impossible puisque la lib ration au nom de la v rit ne pourrait se faire qu en substituant ce r gime de pouvoir un autre Taylor 1989 114 Ainsi le t moignage n cessairement v ridique remplirait un objectif similaire celui du r cit de soi en permettant l laboration du sujet soumis au pouvoir alors que l uvre d Angot poursuivrait le but oppos c est dire de rappeler que je e
23. travers cette relation r v le les diff rents m canismes par lesquels sont reproduites les identit s homme et femme ainsi que la distinction entre l homosexualit et l h t rosexualit Le sujet Angot refuse toute construction identitaire en questionnant la relation institu e entre le sexe le genre et le d sir telle que la d crit Judith Butler dans son ouvrage majeur Gender Trouble 1990 Cela lui permet d adopter une posture minoritaire qui r v le les failles du discours dominant h t ronormatif Ce faisant elle montre aussi que comme l individu d tient sa propre agentivit 1l lui est possible de conserver une distance critique par rapport aux normes de genre et d adopter des pratiques et des discours subversifs En ce sens nous avons relev le fait que les conceptions du pouvoir et du changement social que semble emprunter Angot recoupent celles de la pens e queer De toutes ces consid rations il ressort que Christine Angot labore au fil de son uvre sa propre d finition de l identit qui s loigne de la compr hension cart sienne classique qui semble occuper une place pr dominante dans le fonctionnement de la soci t Ainsi comme le soul ve Jacques Dubois un texte marqu l extr me par la subjectivit et d vor par un refus tenace de jouer le jeu se r v le capable de sortir du cercle intime o il semblait enferm pour acc der par le biais tout au moins une forme impr
24. www e litterature net publier2 spip spip php page ancientxt amp cel amp repert alice amp titre angot2 amp num 182 amp 1id aut eur amp crit Alice 20Granger de l autre le fait que ces m mes personnes d signent l ordure qui ne se m lange pas avec lor Por c est de notre c t Granger http www e litterature net publier2 spip spip php page ancientxt amp cel amp repert alice amp titre angot2 amp num 182 amp id auteur amp cnit Alice 20Granger Mais le sujet Angot ne se trouverait ni du c t de la bourgeoisie ni du c t des intouchables travers l criture 86 s labore une identit fluctuante Si les autres peinent comprendre son projet c est qu ils n ont pas compris que je est un autre et qu ils cherchent saisir la complexit du sujet Angot en se basant sur les rep res traditionnels de l identit cart sienne N anmoins il existe selon Butler certains avantages demeurer en de de toute intelligibilit surtout si cette reconnaissance d pend de normes socioculturelles contraignantes 2005c http www univ lillez fr set cadrebutler html Dans une telle situation la seule possibilit de survie de l individu d pend de sa capacit chapper l emprise des normes qui lui conf rent le statut de sujet C est ainsi que le sujet Angot accuse une certaine distance par rapport son groupe d appartenance dans un premier temps dans lequel
25. 1 1 Parution du roman L nceste La parution de son huiti me roman L nceste l automne 1999 projette Christine Angot l avant sc ne de l actualit litt raire Se multiplient alors les entrevues pour les Journaux et les magazines et les apparitions aux missions de vari t s Encens e par certains ouvertement critiqu e par d autres l uvre d Angot ne laisse personne indiff rent et son roman devient rapidement un best seller Certains le comparent une s ance de psychanalyse publique au cours de laquelle l auteure met trait nu le fantasme dipien Vincent http www femiweb com regard angot regard htm d autres en parlent comme d un t moignage o la grande pr tresse de J autofiction Payot 2004 http livres lexpress fr critique asp idC 8880 amp 1idR 9 amp 1idTC 3 amp idG 3 exhiberait ses probl mes personnels parmi lesquels se trouve au premier plan l inceste avec le p re En effet son uvre est souvent assimil e un travail autobiographique analogue celui de la confession Cela a d ailleurs longtemps t reproch la litt rature au f minin les femmes semblerait il n taient capables d crire que des textes intimistes narcissiques repli s Les opinions sur l uvre d Angot sont tr s mitig es Pour un aper u g n ral voir entre autres Eva Domeneghini Impressions sur l uvre de Christine Angot La revue des ress
26. 2 Le projet d Angot Dans le monologue th tral L Usage de la vie 1999b Angot entreprend de d finir sa pratique d criture En fait elle donne une sorte de mode d emploi un mode de lecture qui ne s adresserait qu aux gens intelligents 19998 10 et ce bien qu elle nie faire des romans cl s Angot 2004a 8 Ainsi l crivaine se d fend d exposer sa vie personnelle au grand jour elle pr f re penser que sa vie n est devenue qu criture maintenant Il n y a plus que a 1999b 17 Dans cette perspective la nature du r cit angotien est presque impossible d terminer bien que plusieurs critiques rattachent son travail au courant de autofiction Jenny 2003 http www unige ch lettres framo enseignements methodes autofiction afintegr html ce que nous refuserons de faire ici Angot est inclassable inassimilable dans notre soci t bien balis e elle ne se range pas facilement dans une case elle parvient toujours s chapper Marcelli 2001 http www interdits net 2001fev angot htm Ne pouvant d terminer le genre litt raire dans lequel s inscrit l uvre le lecteur n arrive pas reconna tre certaines conventions sur lesquelles il pourrait appuyer sa lecture Aussi Angot maintient elle le lecteur dans une posture angoissante qui exige de lui qu il suspende tout jugement alors que Jacques Derrida dit qu il est impossible de deme
27. 6124 et ferait donc partie de fa on plus large de la culture de la soci t Cela prouve la ma trise des codes sociaux du p re 27 tandis que le sujet Angot quant lui refuse leur caract re contraignant Plus encore le p re tient ces conventions un point tel que cela peut devenir absurde titre d exemple Angot raconte un pisode qui l a particuli rement marqu e alors qu elle passait les vacances chez son p re Un midi ils d cident de sortir d jeuner et ils oublient malencontreusement les clefs dans l appartement Le p re se f che et justifie sa col re en voquant des r gles d tiquette qui selon lui vont de soi Tu ne sais pas que quand on est chez des gens quand on n est pas chez soi on entre toujours le second apr s le propri taire de la maison qui ouvre la maison et le passage au visiteur en m me temps qui peut entrer alors seulement Toujours C est une r gle de politesse l mentaire Je suis tonn que tu ne la connaisses pas Et l inverse quand on sort de la maison on sort en premier pour permettre au propri taire de fermer la marche et sa maison derri re tout le monde La loi de l h te et de l invit 1l est incollable Angot 1999a 193 194 La jeune femme perplexe ne comprend pas pourquoi elle se fait r primander ni pourquoi elle serait la seule responsable de la situation ses yeux ces normes ne sont qu une autre fa on de limiter l action
28. 94 98 R SUM Dans L Usage de la vie Christine Angot soul ve le fait que la litt rature fran aise est aujourd hui accus e de nombrilisme Selon nombre de critiques litt raires les crivains actuels ne s int resseraient qu eux m mes et leur propre histoire comme en fait preuve la place importante qu occupe l autofiction dans la production contemporaine Alors que d une part nous avons l impression que la litt rature n aborde plus de front les questions sociopolitiques et les vacue il appara t que d autre part l engagement social se joue maintenant un autre niveau En effet plusieurs th oriciens poststructuralistes issus de diverses disciplines des sciences sociales sont d avis que nous assistons un d placement du pouvoir qui passe des hautes sph res de d cision l individu Ce dernier est non seulement soumis aux normes et aux r gles qui r gissent la soci t mais participe leur diffusion et cons quemment leur transformation cet gard Christine Angot une des auteures actuelles le plus souvent accus e de narcissisme se d fend pourtant d crire des livres qui ne parlent que d elle Au contraire le contenu autobiographique permet l expression d une pens e politique qui passe par une r flexion sur ce qu est l identit Ce m moire s int ressera l uvre de cette crivaine fran aise et plus particuli rement au roman L nceste paru en 1999 et
29. Internet Mais si Angot int gre cette trag die son roman ce n est certainement pas pour appuyer tout le battage m diatique qui a eu lieu autour de l v nement En fait l crivaine confronte le lecteur son propre go t pour le vice De mani re analogue nous pourrions dire que le titre du roman L nceste est un leurre il attire d abord le lecteur avec un titre br lant qui garantit le scandale S installe ensuite un jeu d rangeant qui brouille la limite entre le vrai et le faux il devient alors impossible de trancher entre la r alit et la fiction Ainsi le je d Angot qui prend tous les airs d un je autobiographique vise envoyer le lecteur sur une fausse piste 56 le sujet qui dit je et s expose sans honte bien au del de toute forme de honte ce sujet l parle moins de l auteure qu il ne l utilise comme objet ou accessoire autobiographique qui forcera le lecteur la lectrice poser son regard sur lui m me elle m me et la soci t du mal qui est la sienne Cata et DalMolin 2004 90 L uvre d Angot ressemble donc une attrape tendue au lecteur au final elle lui pose plus de questions qu elle ne lui apporte de r ponses Ce faisant l auteure met le lecteur face son d sir quasi pornographique de tout voir tout savoir tout conna tre L uvre d Angot entretient un malaise et maintient le lecteur dans une situation d inconfort dans le but de l amen
30. Tel no 7 Paris Gallimard 356 pages Boisclair Isabelle et Lori Saint Martin 2006 Les conceptions de l identit sexuelle le postmodernisme et les textes litt raires Recherches f ministes D construire le f minin vol 19 no 2 p 5 27 Bourcier Marie H l ne 2001 Politiques des identit s sexuelles des repr sentations et des savoirs T 1 de Queer Zones Coll Modernes Paris Balland 247 pages Boutang Pierre Andr et Michel Pamart 1995 Z Ab c daire de Gilles Deleuze Paris Montparnasse et SODAPERAGA Vid ocassette VHS 150 min son couleur Butler Judith 1990 Gender Trouble Feminism and the Subversion of Identity Coll Thinking Gender New York et Londres Routledge 172 pages 1993 Bodies that Matter On the Discursive Limits of Sex New York Routledge 288 pages 2005a Giving an Account of Oneself New York Fordham University Press 149 pages 20056 Trouble dans le genre Pour un f minisme de la subversion Trad de l anglais de Cynthia Kraus Paris La D couverte 283 pages 102 2005c Faire et d faire le genre Conf rence donn e l Universit Paris X Nanterre Centre de recherche sur l art CR ART et l cole doctorale Connaissance et culture 25 mai Disponible en ligne http www univ lillez fr set cadrebutler html page consult e le 5 mars 2007 Centre d aide et de lutte contre les agressions
31. ami cin aste Ceci n est qu une des multiples histoires de ce genre qu Angot raconte en entrevue ou dans ses livres 22 que je est un autre continue de vivre comme si ces paroles n avaient Jamais t prononc es En 1871 Rimbaud avait dit Je est un autre a semblait accept a semblait Ou Madame Bovary c est moi de Flaubert Tous connaissaient la phrase mais personne ne lavait accept e Angot 2004a 11 la lumi re de ce dont nous avons trait nous ne saurions nier la place importante qu occupe la question de l identit dans le travail d Angot C est dire que l auteure met en place un questionnement beaucoup plus vaste que la seule probl matique de T l inad quation de soi soi d un sujet qui a du mal se d finir Faerber 2002 51 et explore les fondements m mes de la notion de sujet En effet l influence grandissante du f minisme au cours des quarante derni res ann es a permis la constitution d un corpus litt raire au f minin De fa on g n rale la litt rature des femmes est souvent per ue comme tant une qu te identitaire dans laquelle le personnage f minin objet au d part d veloppe son libre arbitre de mani re devenir sujet Dans bien des cas l h ro ne doit exorciser ses d mons et faire la paix avec son pass pour prendre conscience de ses propres d sirs et de ses propres opinions et au final acc der sa propre subjectivit D
32. ancrer le r cit dans le r el si bien qu il s inscrit dans le quotidien ce sujet Ruffel note le fait que le roman serait mJineur comme le choix d lib r de l ph m re et de l insignifiant Ruffel 2000 http www chao id com numero01 articles notion mineur htm En outre l oralit de son style a permis certains de ses romans d tre adapt s au th tre de m me il n est pas rare qu Angot se livre des lectures publiques de ses textes au cours desquelles on se rend bien compte combien ses crits les plus r cents sont mis en valeur par une lecture haute voix qu ils sont faits pour faire passer son souffle Morello et Rodgers 2002 40 L abondance des r p titions est aussi une marque de l oralit des textes d Angot Ces r p titions scandent la lecture en rappelant l aspect corporel de la respiration qui appara t comme une condition sine qua non toute forme de vie Les phrases courtes incisives ass n es manent d un corps dont elles ne peuvent tre coup es d un corps qui dit ou sugg r affleure partout la surface de l crit Jacob 1999 http www fluctuat net paris99chronig sujetan htm Ainsi le style hach et direct d Angot est fait de phrases br ves qui rythment la lecture L onore Je l appelle Marie Christine et Marie Christine je l appelle L onore je ne savais pas quand on l a mise sur ma poitrine que c tait
33. autre Angot 2004a 49 50 Les m canismes de l inceste se reproduiraient donc dans d autres relations mais de fa on moins vidente et la Loi fondamentale continuerait d tre bafou e bien que l inceste soit interdit Le p re quant lui imposerait aussi sa propre subjectivit sa fille mais de fa on diff rente Un peu comme Gilles Lipovestsky dit qu tre marginal est devenu la norme l re postmoderne 1983 19 37 Angot semble croire qu il est devenu presque normal d enfreindre diff rents degr s l interdit de l inceste Ce point de vue est d autant plus pertinent que le p re incestueux est paradoxalement tr s attach aux traditions et aux r gles de savoir vivre Ainsi la narratrice le d crit comme un homme cultiv intelligent et rationnel pour qui elle a beaucoup de respect et d admiration Il explique tout L ib re le latin l Orangerie l tymologie l allemand la prononciation du w en fran ais la politique le racisme les animaux le nom des plantes tout les pharaons d gypte l origine des langues les familles de langues No Sem et compagnie l indo europ en l hindi Tout est clair Angot 1999 192 De surcro t il ma trise plusieurs langues et en conna t l origine Selon le Grand Dictionnaire encyclop dique Larousse la langue serait un syst me de signes propre une communaut d individus Dubois 1982 vol 6
34. autre paradoxe fondateur de l uvre d Angot en ce sens o de l uvre de fiction tissu de mensonges jaillirait la v rit l C est l auteur qui souligne 32 L art tait un endroit r el vrai auquel je croyais parce qu il disait la v rit Cocteau avait dit c est un mensonge qui dit la v rit Depuis quand un mensonge disait il la v rit Je trouvais a un peu trop alambiqu Je est un autre d accord oui videmment mais un mensonge qui dit la v rit l je n tais plus d accord ce n tait pas un mensonge Mais l inverse une v rit qui r v lait les mensonges auxquels on tait habitu s Angot 2004a 64 65 Pour tout dire la litt rature est investie du pouvoir de mettre au jour le mensonge social Domeneghini 2002 http www larevuedesressources org article php3 id article 77 Elle seule est capable de d noncer le mensonge entourant l interdit de l inceste et l hypocrisie g n ralis e ce sujet L acte d crire suivant cette logique devient une obligation remplir envers l ensemble de la soci t La v rit f t elle litt raire est un engagement condition que plane au dessus de chaque affirmation l ombre du doute Angot 19998 21 Si on se fie cette affirmation faudrait il croire en la mission salvatrice de Christine Angot Ne fait elle pas elle m me remarquer l allusion au Christ dans le pr nom Christine
35. cas l exercice est d ordre physique il ne s agit de rien de moins que de donner forme au texte litt raire Dans cet ordre d id es plut t que d tre un v hicule servant communiquer un message le langage devient un mat riau que l auteur fa onne Elle la litt rature nous apprendrait parler vraiment Notre m re nous avait appris t moigner alors que la litt rature tait la langue de la v rit Croire en la litt rature c tait renoncer tout ce que nous avait fait croire la langue maternelle On sortait peut tre du corps de la m re mais la litt rature aussi avait un corps Angot 2004a 65 Aussi Kafka dit il qu une litt rature mineure est beaucoup plus apte travailler la mati re Deleuze et Guattari 1975 33 34 Il semble donc que dans le cas d Angot l existence de l auteure constitue la mati re partir de laquelle l criture une criture autonome qui cesse de r f rer une r alit ext rieure prend forme Ce faisant Angot chappe toute expression autobiographique et tout panchement du moi dans la mesure o celui ci ne constitue plus l horizon du texte mais sa mati re la plus crue partir de laquelle peut s laborer une criture dans l preuve de sa v rit Ruffel 2000 http www chaoid com numero01 articles notion mineur htm Comme le sculpteur qui taille la pierre pour faire appara tre l objet qu il est en
36. conduit la conception d une identit fixe stable ne serait ce que pour un certain espace de temps liste de caract ristiques qui distinguent un individu in divis in divisible de l autre qui est l ext rieur mais qui le mettent en relation de ressemblance avec les autres que j identifie comme appartenant au m me groupe social identit qui signifie le m me cf Derrida 1996b 2006 57 Au surplus on dit de la langue maternelle qu elle est toujours la langue de l interdit car c est elle qui introduit des limites des contraintes au sujet Coracini 2006 56 Angot oppose donc la langue maternelle qui symbolise ici la rigidit du lien familial une identit fluide qui serait lib r e des contraintes li es au rapport de filiation 42 Je appartenait la litt rature personne d autre et surtout pas sa m re Ma m re devait arr ter de dire que Je tait sa fille arr ter de rappeler des souvenirs de Ch teauroux Je tait un autre L inceste tait interdit Ma m re n avait qu se rentrer a dans la t te la soci t aussi La soci t la langue maternelle et ma m re taient ligu es Ils avaient menti aux crivains qui avaient d aller chercher la langue ailleurs loin Dans ce pays lointain o Je tait un autre La litt rature qui leur avait enfin appris parler et leur avait r v l du m me coup que la langue maternelle disait
37. d finie il existe n anmoins un d sir qui est constitutif du genre lui m me Butler 2005c http www univ lillez fr set cadrebutier html Le sujet Angot perturbe donc la relation institu e entre ces trois concepts et met en sc ne des pratiques qui s ment le trouble dans les cat gories de corps de sexe de genre et de sexualit et qui amorcent un processus subversif 82 de resignification et de prolif ration du sens d bordant du cadre strictement binaire Butler 20056 270 Ainsi l apparence androgyne du sujet d naturalise les d sirs qui ne sont plus clairement h t rosexuel ou homosexuel Dans l avenue Saint Lazare la semaine derni re Sylvie a t attir e par une fille androgyne c tait moi elle s en est aper ue de profil l h tel javais besoin d un taxi on m a dit vous tes pr t Euh pardon pr te J ai un visage et une allure ambigus j ai toujours eu Angot 1999a 39 On remarquera que le personnage d Angot pr sente des caract ristiques propres aux deux genres simultan ment ce qui participe encore davantage l effacement de la fronti re entre masculin et f minin L auteure choisit de mettre l avant plan l ind termination sexuelle du sujet Angot afin de subvertir le d sir h t rosexuel Les diverses formes de sexualit masculine ou f minine homosexuelle ou h t rosexuelle sont aussi d crites dans le roman de fa on brouiller l
38. de Jacques Alain Miller Coll Champ freudien Paris Seuil 427 pages Lindon Mathieu 1998 Le Proc s de Jean Marie Le Pen Paris P O L 144 pages La Fontaine Jean de 1991 Fables d de Jean Pierre Collinet Coll Folio no 2246 Paris Gallimard 582 pages Laclavetine Jean Marie 1999 Premi re ligne Paris Gallimard 241 pages Lambotte Marie Claude Ironie in Encyclop dia Universalis d 2008 http www universalis edu com article2 php napp 8004 I amp nref T231905 page consult e le 20 juin 2009 Lamoureux Diane 2005 La r flexion queer apports et limites In Dialogues sur la troisi me vague f ministe sous la dir de Maria Nengeh Mensah p 91 103 Montr al Remue M nage 105 Laplanche Jean 1999 Responsabilit et r ponse In Entre S duction et inspiration l Homme p 147 172 Paris Presses Universitaires de France Lejeune Philippe 1975 Le Pacte autobiographique Coll Po tique no 326 Paris Seuil 357 pages L vi Strauss Claude 1967 Les Structures l mentaires de la parent Coll Des r ditions no 2 Paris et La Haye Mouton 591 pages Levinas Emmanuel 1972 Humanisme de l autre homme Montpellier Fata Morgana 111 pages 2001 En d couvrant l existence avec Husserl et Heidegger 3 d corr Coll Biblioth que d histoire de la philosophie Paris Vrin 331 pages Lipovetsky Gilles 1983 L
39. de m me des comportements incestueux o ils imposent leur propre volont aux autres et ce sans que cela n apparaisse particuli rement choquant L inceste dans ce contexte serait une figure servant critiquer le concept d identit qui r duit le sujet ses liens de filiation et qui joue un r le majeur dans la structure sociale Angot apporterait donc travers son uvre sa propre d finition de ce qu est l identit qui questionne les limites de sa propre subjectivit Cependant en plus de fermer les yeux sur diff rentes transgressions de la Loi fondamentale la soci t en encouragerait m me certaines L inceste selon Angot se produirait d abord et avant tout avec la m re En effet l amour maternel serait l exemple par excellence d une relation oppressante et donc incestueuse Le mot amour tait l outil par excellence de cette hypocrisie on taxait d amour ce qui n tait qu inceste la m re qui touffait l enfant amour Qui le niait amour Tous les exc s et tous les d bordements amour et motion Angot 2004a 41 42 Rappelons aussi qu Angot porte le nom de sa m re Schwartz jusqu en 1972 alors que son p re a reconnu sa paternit A comme Arthur et comme la seule voyelle de Schwartz le nom que m avait donn autoritairement ma m re avec la complicit des pouvoirs publics en 59 ma naissance les pouvoirs publics eux m mes avaient t incapables de d so
40. de ne rien faire de mal d un point de vue ext rieur elle d fie les r gles du politiquement correct et franchit la fronti re entre ce qui publiquement se dit et ce qui ne se dit pas provoquant parfois de vives r actions chez le lecteur Une dame qui habite Paris dans le douzi me me fait remarquer qu on ne peut pas tout crire Une criture sans thique n a pas de valeur Les mots ont un sens au del du symbolique Je ne peux laisser proclamer en public que Hitler n tait qu un pauvre type qui a rat sa vie et que l on peut cracher sur les Juifs Que vous criviez votre journal ou vous soulagiez devant votre psychanalyste grand bien vous fasse Un conseil si vous avez des probl mes avec quelqu un dites lui cette personne sans passer par des tiers qu il est un pauvre type et crachez lui la figure On ne peut pas donner n importe quoi au public Mme G dans le douzi me je crache sur elle on a le droit dans l crit si on a envie Oh toi toi toi tu as le droit de tout me disait ma m re et c tait vrai On peut bien tout dire quand on n a rien fait Angot 19998 58 Angot se permet donc d crire ce qu elle veut sur qui elle veut aussi va t elle jusqu inclure des personnalit s connues dans ses histoires Bien que cela lui ait valu bien des reproches 1l faut dire qu elle s en tire plut t bien puisque dans certains cas cette criture du r el Morello et
41. de son VIH sida se fait toujours dans des contextes normatifs sous la forme d une opposition bourreau victime dans le premier cas ou sous la forme du coming out dans le second cas Les discours qui s loignent de ces mod les s exposent la possibilit d tre mal interpr t s ce qui risque d aggraver la marginalisation de ces personnes C est le cas du roman d Angot qui ne correspond pas au prototype des r cits d inceste Ainsi L Inceste plut t que d amener Angot se lib rer du f L incipit du roman de Guibert se lit comme suit J ai eu le sida pendant trois mois Plus exactement j ai cru pendant trois mois que J tais condamn par cette maladie mortelle qu on appelle le sida Or je ne me faisais pas d id es j tais r ellement atteint le test qui s tait av r positif en t moignait ainsi que des analyses qui avaient d montr que mon sang amor ait un processus de faillite Guibert 1990 9 80 trauma en d voilant son histoire au grand jour entra ne de vives r actions chez le lecteur qui ne sait trop comment interpr ter ce qu il lit qui joue le r le du bourreau et qui joue celui de la victime Bourreau et victime la fois est ce possible Angot ironie Les gens pensaient elle pr pare le prochain livre c est d gueulasse Guibert qui s est inject le sang expr s Moi m me quatorze ans Je voulais devenir crivain je voulais d marrer fort j ai pens l inc
42. des individus Le p re quant lui adopte et perp tue les conventions sociales sans les questionner Ce faisant il se conforme au mod le dict par la soci t La politesse Tu aurais d laisser passer cette femme On ne dit pas par contre mais en revanche On n oublie pas la n gation la campagne on dit bonjour aux gens qu on rencontre Il tait incollable sur les r gles de politesse sur les r gles grammaticales dans toutes les langues sur les r gles de prononciation sur les usages Il avait beaucoup de connaissances On avait l impression que dans certains domaines il connaissait tout Angot 1999a 213 214 Nous verrons dans le deuxi me chapitre de quelle fa on Angot refuse les conventions li es l usage de la langue grammaire structure ponctuation Il s agirait notre avis d un signe de protestation l endroit de l autorit paternelle 28 Cependant il ne faut pas oublier que cet homme poli et obligeant est aussi celui qui a commis l inceste transgressant un des interdits les plus s v rement jug s Ainsi nous pourrions penser que la r volte d Angot vis vis de la soci t serait en fait une r action par rapport son p re mais il semble plut t que le p re soit jug en tant que repr sentant de cette soci t qu elle rejette et qui se fonde sur des principes fallacieux transgressant l interdit de l inceste Selon Angot non seulement les
43. deuxi me chapitre sera consacr l analyse formelle de l uvre d Angot et plus particuli rement du roman L Inceste Nous nous attarderons de fa on plus sp cifique sur l utilisation des pronoms et l intertextualit entre autres choses comme des marques de l Autre en soi 37 encore nous pouvons voir poindre l av nement d un univers qui cesserait de reposer sur la notion de sujet Et elle la litt rature nous permettait de nous rendre compte que nous tions li s autre chose un autre corps d autres liens que le sang On pouvait sortir du cercle rien qu en crivant Un autre est Je dans un caf pas besoin d aller Bagdad ou ailleurs Nous tions aussi li s linfini Au Je multiple Nous tions un autre le moi clatait Angot 2004a 65 66 notre avis la d construction du sujet n est pas sans effets sur la signification des pronoms utilis s ce qui permet une nouvelle interpr tation des glissements d un pronom l autre que nous avions mentionn s plus t t En fait les pronoms cessent de r f rer l une ou l autre des personnes grammaticales pour attirer l attention sur le fait que ces positions occup es par le sujet sont relatives Partant de cette d claration On n a pas le droit de r server Je moi Angot 2004a 10 s labore donc un autre paradoxe En effet si je n est pas r ductible la personne qui parle qu advien
44. du sentiment d aversion qu il ressent pour l auteure doit accepter ce cadre de r f rence comme une pr misse de base pour ensuite entreprendre une lecture qui sera engageante pour lui Il semblerait donc que la question de l identit chez Angot soit li e de mani re indissociable celle de l inceste car la litt rature serait au service de ce qu elle appelle la Loi fondamentale c est dire l interdit de l inceste Quand Rimbaud avait dit Je est un autre 1 avait dit Je vous rappelle que l inceste est interdit j en tais absolument convaincue Tous ceux au cours de l histoire qui rappelaient que Je tait un autre rappelait l interdit fondamental que la soci t refusait et ne cessait d enfreindre tout en criant ses grands dieux qu elle condamnait l inceste Angot 2004a 41 L inceste par d finition r f re tout type de rapport s sexuelf s entre un homme et une femme qui sont parents ou alli s un degr prohib Gillon 1962 vol 6 91 Plus 24 encore l inceste est souvent associ au viol en ce sens o la victime dans plusieurs cas ne peut clairement noncer son refus parce qu elle se trouve dans une situation o elle est domin e par son a n Selon Claude L vi Strauss p re de l anthropologie moderne l interdit de l inceste occupe un r le fondamental dans la soci t humaine 1967 14 33 En effet plusieurs anthropologues sont d av
45. elle ne se reconna t plus Puis dans un deuxi me temps elle d veloppe une distance critique par rapport aux normes elles m mes ce qui lui permet de s en carter La critique que fait Angot de la soci t et de son fonctionnement est donc rendue possible gr ce cette distance qui lui permet de rester l aff t des m canismes sournois et pernicieux de reproduction et de contr le sociaux Le point de vue de Jacques Dubois semble recouper notre proposition son avis tout le roman d Angot aurait pour but de frappelr sur un seul clou la violence symbolique que g n re le social Dubois 2002 222 I ne faudrait toutefois pas comprendre le roman comme un r glement de comptes ou un pamphlet d non ant l h g monie sociale pour Jacques Dubois allors qu ils sont habit s par une r elle inqui tude qui en derni re instance est d ordre identitaire de tels passages retournent cette inqui tude en pouvoir de d route et en force offensive 2002 233 Butler voit dans le refus de toute identit normative la condition d mergence de nouvelles possibilit s son avis i peut aussi arriver qu en d construisant une norme restrictive on d construise du m me coup une conception identitaire pr alable pour tout simplement inaugurer une nouvelle identit dont le but sera de s assurer une meilleure viabilit Butler 2005c http www univ lillez fr set cadrebutler html C est cet
46. essence qui lui soit propre et serait le fruit de l alt rit Un autre est Je quand tu d fends tes livres Tu dis on est happ par l alt rit cette alt rit on ne la choisit pas Elle arrive C est a l inspiration Angot 2004a 26 De fa on semblable Derrida croit que la litt rature plurielle et h t rog ne n a que ce qui lui vient de l ext rieur Il n y a pas d essence ni de substance de la litt rature la litt rature n est pas elle n existe pas elle ne se maintient pas demeure dans l identit d une nature ou m me d un tre historique identique lui m me Derrida 1996a 22 Le texte d Angot lui porte les marques de l alt rit particuli rement visibles sur les plans de la stylistique et de la syntaxe Entre autres choses l auteure op re un glissement entre les diff rentes personnes grammaticales je fu il nous d une telle fa on que la distinction entre soi et l autre s embrouille Je lis et je me dis de quoi elle me parle l De quoi tu me parles l De quoi parle t on Moi je te parle de toi moi Angot 1998 15 Au total le sujet plut t que d tre clos est ouvert sur le monde qui l entoure et se constitue travers Jui La litt rature pour Angot d tient le pouvoir de r v ler les processus constitutifs du sujet de fa on mettre en vidence son caract re normatif contingent voire fictionnel Plus Le
47. exemple dans Sujet Angot l auteure met en sc ne une entrevue au cours de laquelle elle r pond la journaliste Tu me connais On se conna t Qui t a dit que je parlais de moi On ne se conna t pas Tu n as pas entendu parler dans tes tudes de la diff rence auteur narrateur a ne te dit rien Angot 1998 52 Apr s avoir lu de telles r flexions sur la construction m me du texte le lecteur n a d autre choix que de s loigner d une compr hension personnaliste de l uvre pour conclure qu il s agit bel et bien d une mise en fiction ce sujet Jacques Dubois remarque qu Angot recourt divers proc d s afin d affirmer le statut fictionnel de ses crits En fait les subterfuges nonciatifs auxquels Angot renonce partir de L Inceste introduisent en douce l artifice dans la repr sentation mim tique La fiction s y avoue ou mieux encore s y affirme pour ce qu elle est dans la pl nitude d une criture qui compose arrange r git les fantasmes Par quoi se trouve mise mal la fronti re entre r alit et fiction sans dommage pour le r cit mais non pour sa r ception 2002 224 Le lecteur remarquera donc que les romans d Angot sont truff s de pistes d interpr tation qui plut t que de conforter le lecteur dans ses a priori ne font que semer davantage le doute quant la facture du texte auquel il est confront t C est l auteur qui souligne 1 1
48. faisant le sujet parviendrait une plus grande connaissance et un plus grand contr le de soi deux caract ristiques fondamentales du sujet cart sien Or la figure de l inceste lorsqu elle est comprise dans son sens plus large met en relief la configuration incestueuse de la soci t qui repose toujours sur l id e d une identit assignable soi notre avis la forme du roman apporte donc une r ponse critique l interdit de l inceste d s lors qu elle met en place un questionnement sur l identit qui mise sur sa mouvance et son ind cidabilit 3 1 2 Logique Angot Dans son refus constant des formes fig es Angot d veloppe une logique particuli re qu elle qualifie d incestueuse En fait elle cherche fragiliser la logique dominante qui s appuie sur un raisonnement dichotomique Au lieu d opposer certaines id es comme on le ferait normalement elle les met en parall le pour faire surgir la contradiction J associe ce qu on n associe pas je recoupe ce qui ne se recoupe pas Chien enfant inceste homosexualit ou sida cousine couple blonde conne fric haine vedette chienne L onore or charni r mine d or holocauste ghetto ouvrier noir etc etc et en plus je mets en vidence des contraires tout le temps par exemple Eustache c est mieux que Nadine Casta Dominique Quentin c est mieux aussi que NC je focalise Fr d ric a raison elle est la cousine de Nadine ell
49. fev angot htm Cette fa on de s exprimer avec des digressions et des associations libres n est pas sans rappeler le langage oral dont le travail d Angot porte aussi les traces Il s agirait l d une autre caract ristique de la litt rature mineure Riche ou pauvre un langage quelconque implique toujours une d territorialisation de la bouche de la langue et des dents Deleuze et Guattari 1975 35 Ainsi le texte litt raire en passant de l crit l oral projette la parole de l auteure vers le monde ext rieur Angot joue galement avec les diff rents niveaux de langage le langage familier faisant souvent irruption dans le roman Qu est ce que a veut dire Que apr s je ne lai plus t gentille Que je suis devenue un p nis sadique c est a Que a sous entend C est a Ou c est autre chose Hein Bonbons Kr ma Bonbons Kr ma et aussi autre chose Angot 1999a 177 Quoi qu il en soit auteure semble C est l auteur qui souligne 48 bouder l usage d un langage soutenu privil giant un vocabulaire qui se r f re au corps plut t qu au discours acad mique Tu comprends ce que je veux dire Oui Tu trouves a juste Our L criture c est exactement pareil L opposition entre intelligent et intellectuel c est a intelligent ce n est pas c r bral mais charnel Angot 1998 120 Par ailleurs l oralit du roman permet aussi d
50. int ress es qu entretiennent les individus 3 Mais toujours pouss s bout je leur fais confiance quand ils se disent bout ils me connaissent ils me connaissent bien ils m ont vue ils m ont entendue pouss s bout par une machine en moi verbale une machinerie extr mement efficace extr mement destructrice extr mement retorse extr mement surtout sadique voquant toujours des l ments de la r alit justes qui font mal dans une sorte de machinerie f roce que personne ne peut arr ter en tout cas pas moi Sauf un jour la mort Ou un autre d clic dans l autre sens Angot 1999a 162 163 Si les romans d Angot provoquent de si vives r actions de la part des lecteurs particuli rement de ceux qui connaissent l auteure au quotidien c est parce qu on les lit comme s il S agissait d un je autobiographique qui prend la parole Mais la lumi re du passage cit plus haut il devient vident que son criture est habit e par une force une nergie qui d passe largement l auteure la machine litt raire prend le dessus sur Angot En effet le je de l crivain se d personnalise au point de devenir autonome et de ne plus renvoyer une r alit ext rieure En d autres termes l nonc ne renvoie pas un sujet d nonciation qui en serait la cause pas plus qu un sujet d nonc qui en serait l effet Deleuze et Guattari 1975 32 Dans ce contexte
51. l auteur qui souligne 65 Le danger ici tel que Christine Angot le formule mais tel aussi qu prouv par tout lecteur jusqu au malaise parfois est celui d une litt rature de t moignage de confession comme peuvent en produire les crivains de paille ou au mieux une litt rature bonne pour le divan du psychanalyste une litt rature qui dans tous les cas ne suppose pas cette op ration de transposition composition et sublimation d finissant tout acte cr ateur le risque en somme d une litt rature mineure 2000 http www chao d com numero articles notion mineur htm Cependant il nous appara t vident la suite de notre d monstration que bien qu Angot mette en place certains stratag mes qui peuvent laisser croire que nous avons affaire comme le mentionne Ruffel une litt rature de confession psychologisante de surcro t elle vite de tomber dans ce pi ge Ici un second degr d criture apporte la r ponse nos questions le caract re autor flexif de ses crits permet au lecteur de comprendre que la mise en fiction du r cit entra ne un d placement quant la nature m me de l instance narrative Un autre singulier paradoxe appara t alors cette criture de l intime se fait le porte voix d une collectivit Mais cette nonciation collective n est rendue possible qu au prix de l effacement de soi un travail de d construction inlassable que l crivaine semble de
52. l identit est li e de mani re indissociable celle de l inceste Selon elle la litt rature serait au service de ce qu elle appelle la Loi fondamentale c est dire l interdit de l inceste l aide des travaux de Judith Butler dans Giving an Account of Oneself 2005a nous avons examin le r le central que joue le r cit de soi dans l laboration du sujet ainsi que sa relation au r gime de v rit de Michel Foucault 1977 1980 Nous avons remarqu le fait que le r cit de soi remplirait une fonction similaire celle du t moignage dans la mesure o l auteure serait forc e de livrer un r cit v ridique qui permet au sujet d acc der sa propre subjectivit Or comme le montre Angot la construction du sujet prend appui sur des fondements normatifs qui donnent l illusion d tre stables alors qu il s agit d une construction sociale La litt rature aurait la capacit de r v ler le caract re normatif de la construction identitaire et de rappeler que je est un autre partir de cette conception du sujet nous avons soulev le fait qu Angot adopte une criture performative qui ne limite pas le lecteur une interpr tation o l auteure la narratrice et le personnage concordent Effectivement l enti ret de son uvre s occupe questionner la co ncidence soi et pr senter un sujet qui serait toujours en devenir Prenant appui sur le concept de litt rature mineure de Gill
53. lecture du texte elle permet la respiration de l auteure d empreindre l ensemble du roman Par exemple la ponctuation traduit l urgence des moments de crise avec Marie Christine dans lesquels les phrases s encha nent un rythme fou la parole toujours pouss e en avant Ce que j aimerais le plus c est r ussir vivre pr s de toi Avec toi toi pour moi et moi pour toi avec d autres proches intimes parfois vivre et investir un lieu pour nous Je r ve Nous choisissons des choses que nous aimons Pitou mon c ur veille sur elle De plus en plus je me surprends dire nous pour toi et moi penser avec toi le temps la vie l avenir Je t aime tu le sais ne l oublie pas Soyons l une avec l autre Je viens de l appeler C tait occup il y avait le signal d appel Angot 1999a 73 La ponctuation scande donc le roman sans n cessairement rappeler la parole bien que cette derni re occupe une place importante chez Angot mais en faisant ressortir la pr sence du souffle un souffle rapide acc l r presque pris de panique Selon David Ruffel l existence singuli re de l auteure se manifeste travers cet usage abusif de la virgule le Habiter sa langue donc la rendre motive c est dire l affecter par un coefficient de subjectivit sans pour autant tre affect e soi m me puisque sic une fois encore la langue d Angot r alise ce paradoxe d imposer sa pr sence sa respir
54. lois qui r glementent la vie en soci t permettent certaines transgressions de l interdit de l inceste mais elles prot gent aussi ceux qui contreviennent la Loi fondamentale Les lois n taient pas r pressives elles caressaient le citoyen dans le sens du poil pour essayer de leur faire oublier la Loi avec un grand L autrement plus s v re Angot 2004a 31 32 En d autres mots l auteure semble vouloir dire que les lois sur lesquelles reposent le pouvoir juridique nous contraignent adopter une conception cart sienne du sujet alors que selon la Loi fondamentale telle qu nonc e par Angot je est un autre L identit est donc dans cette perspective un des produits premiers du pouvoir Droit 2004 112 et les lois seraient une des formes de contr le que prendrait ce pouvoir Chez Foucault le pouvoir n est pas hi rarchique en ce sens o il impliquerait un dominant et un domin mais plut t machinal voire al atoire qui fonctionne gr ce sa capacit de distribuer classer analyser et individualiser dans l espace tout objet donn Zine 1998 57 Suivant cette logique le pouvoir n est pas uniquement restrictif mais aussi productif Il faut rappeler que le pouvoir n est pas un ensemble de m canismes de n gation de refus d exclusion Mais il produit effectivement 1l produit vraisemblablement jusqu aux individus eux m mes L individualit l identit indi
55. n est plus possible de livrer un t moignage qui serait enti rement cons quent dans la mesure o le sujet n est plus une donn e stable Malgr l clatement de ce dernier il reste que l ensemble l appareil tatique qui assure l ordre social gr ce au syst me juridique repose sur une conception cart sienne du sujet o la notion de responsabilit est imputable un individu clairement identifiable par son patronyme et son v cu personnel Vus sous cet angle le t moignage et le r cit de soi sont tous deux impos s par le pouvoir et remplissent la m me fonction cr er un sujet assur et coh rent Les lois crites maintenaient le groupe ensemble pour que tout le monde reste bien dans le social tous les petits moi les uns c t des autres clairement s par s distincts apr s s tre entendu sur le coupable un seul ou un nombre limit chacun dans sa case et tous pareils avec chacun son t moignage concordant Angot 2004a 35 36 31 Pour r sumer rapidement le projet d Angot vise mettre au jour la mani re par laquelle se construit l identit en questionnant sa production normative Par ailleurs nous devons attirer l attention sur le fait que pour Michel Foucault la notion de sujet est indissociable du r gime de v rit dans lequel il se constitue il s agirait m me de la condition d existence du sujet Bri vement nous pourrions dire que l expression r gime de v rit
56. par m taphore Deleuze et Guattari 1975 37 En revanche un usage intensif d une langue majeure engendre des nonc s qui r sistent l interpr tation et qui expriment les tensions existant l int rieur d une langue Deleuze et Guattari 1975 41 Par cons quent le langage cesse d tre repr sentatif pour tendre vers ses extr mes ou ses limites Deleuze et Guattari 1975 42 plut t que d offrir une signification univoque De fa on semblable Angot d finit l criture comme une sorte d exp rience limite qui repousse toute fronti re crire ce n est pas une seule chose crire c est tout Dans la limite Toujours De la vie de soi du stylo de la taille et du poids Angot 19994 202 Un tel usage de la langue exige de l crivain qu il oublie ses cadres de r f rence habituels pour s loigner des structures normatives et linguistiques qui influencent son mode de pens e Autant dire qu il doit devenir tranger aux 43 normes grammaticales et aux codes linguistiques qui r gissent sa propre langue ce sujet Deleuze et Guattari demandent C omment arracher sa propre langue une litt rature mineure capable de creuser le langage et de le faire filer suivant une ligne r volutionnaire sobre Comment devenir le nomade et l immigr et le tzigane de sa propre langue Deleuze et Guattari 1975 35 Plus encore cette fa on de se d tacher des codes dominants pos
57. puisse juger d une uvre d art selon des crit res moraux mais bien selon sa qualit artistique Gautier 1966 25 60 Puis le d bat refait surface de fa on d autant plus urgente alors que l tat fran ais intente un proc s pour atteinte aux bonnes m urs Gustave Flaubert pour son roman Madame Bovary 1993 De mani re semblable le roman de Christine Angot L Inceste 1999a provoque au moment de sa publication le m me genre de r actions Son uvre est d autant plus choquante qu elle est per ue par la critique comme un t moignage qui ipso facto serait repr sentatif de la r alit Or le projet d Angot serait tout autre en refusant tout pacte autobiographique Angot dynamite la relation qui unit l auteur le narrateur et le personnage alors que le lecteur a le r flexe d appr hender son uvre sur la base d un tel pacte Ce faisant elle propose une d finition de ce qu est l identit qui questionne la co ncidence soi en mettant l accent sur le mouvement et l ind cidabilit ce Christine Angot L Usage de la vie Paris Stock 19998 p 31 10 qu elle explique plus en d tail dans l essai Une Partie du c ur 2004a Cette fa on de concevoir l identit n est pas sans effets sur le texte dont la nature m me semble chapper au lecteur qui s attend retrouver dans les pages de L Inceste le r cit authentique d une exp rience incestueuse 1 1 Pr sentation de l uvre 1
58. que la notion d objet qui s opposait au sujet imp n trable a volu pour devenir l alt rit l Autre en soi Les travaux de certains grands penseurs ont aussi d stabilis la notion de sujet Galil e au d but du dix septi me si cle affirme avec certitude que la Terre n est pas au centre du syst me solaire Darwin labore au dix neuvi me si cle sa th orie de l volution selon laquelle l humain descendrait du singe et ne serait pas la cr ation de Dieu la fin du dix neuvi me si cle Freud d couvre l inconscient et remet en doute le contr le du sujet sur lui m me Entre ces trois chocs que l homme avait encaiss s en trois si cles et le mot autre qui avait fait son trou sans m me qu on s en aper oive le sujet n tait plus du tout assur Il tait enti rement d centr Angot 2004a 19 Angot semble donc prendre en compte ces trois grands bouleversements dans sa compr hension de l identit alors qu elle reproche au reste de la soci t de continuer vivre comme si chacun poss dait toujours une identit stable Parall lement soulevons le fait qu Angot labore au fil de ses romans une herm neutique du sujet qui repose sur la figure de l inceste Elle d veloppe un cadre conceptuel dresse des param tres et d finit certains termes qui sont centraux dans l avancement de son projet litt raire largement autor f rentiel Le lecteur s il veut passer au del
59. qui l a propuls e l avant sc ne du monde litt raire De fa on g n rale ses ouvrages narr s la premi re personne mettent en sc ne un personnage ponyme qui selon toute apparence livre un r cit personnel de son exp rience incestueuse th me qui revient au fil de ses publications Cependant si l auteure s attache inclure des portions de sa vraie vie dans son univers fictif c est bien pour provoquer une r flexion chez le lecteur sur la nature du texte litt raire et sur la co ncidence soi Nous d montrerons ainsi de quelle mani re le sujet Angot parvient remettre en cause le concept m me d identit sur lequel repose la structure sociale Ce questionnement prendra forme autour de la figure de l inceste qui permettra de mieux comprendre la port e politique de l uvre de Christine Angot Dans cette perspective l inceste cessera donc de r f rer uniquement l exp rience que l auteure a v cue adolescente mais renverra de plus en plus une figure qui permet de questionner la notion de sujet cart sien En somme ce m moire se penchera sur les _ implications politiques qu entra ne une telle conception du sujet dans L nceste et aux diff rents processus de d placements et de resignifications que met en sc ne Angot bref le potentiel subversif du projet angotien sera au c ur de cette analyse Mots cl s Christine Angot inceste identit politique subversion INTRODUCTION
60. se dire et rendre compte de sa propre histoire comme le sugg re aussi Judith Butler The I is the moment of failure in every narrative effort to give an account of oneself It remains the unaccounted for and in that sense constitutes the failure that the very project of self narration requires Butler 2005a 79 Suivant cette logique le travail d Angot met en vidence le fait que le sujet ne peut qu avoir une connaissance de soi limit e tel que nous l avons mentionn plus t t En effet le sujet se constituerait en relation avec le monde ext rieur et demeurerait ainsi opaque lui m me Andr Akoun est d avis que bien que nous ayons longtemps cru que la soci t tait en r alit le r sultat de l alliance de plusieurs individus consid r s comme tant pleinement sujets dans leur s paration 2008 http www universalis edu com article2 php napp 81456 amp nref Q163261 on ne peut oublier que le sujet n existe pas hors du social qui l institue comme tel Car le je n existe que par sa relation autrui et cette relation elle 39 m me implique cet autre pr alable qu est le social la loi par quoi je et tu adviennent comme sujets en s y assujettissant Akoun 2008 http www universalis edu com article2 php napp 81456 amp nref Q163261 Butler parle en des termes similaires lorsqu elle affirme que l existence du sujet est rendue possible gr ce son rapport aux autres A
61. vue mais efficiente de critique sociale 2002 234 Or la critique s op re deux niveaux si l on en reste au contenu nous avons affaire un sujet Angot plein de ressentiment envers les diverses formes de violence aussi pernicieuses puissent elles tre dont il a t victime par contre si l on s int resse plan formel du texte la critique des oppressions et des institutions sociales devient beaucoup plus dynamique l crivaine empruntant diff rentes strat gies d criture pour subvertir l ordre dominant En somme force est de constater qu Angot est d cid ment une auteure engag e Bien qu elle se d fende d crire de tels textes l crivaine explique en entrevue que le but de toute litt rature est d crire contre la soci t Selon Angot le travail de la soci t serait d arrondir 97 les angles de limer les ar tes alors que la litt rature qui est au service de la Loi fondamentale cultiverait l autre extr me Mon ambition c est d tre ing rable que les gens m avalent et qu en m me temps ils ne puissent pas me dig rer Guichard 1997 http www Imda net mat MATO2127html Bref le nouveau militantisme d Angot prend une forme qui est moins balis e par des structures hi rarchiques et rigides semblables celles des syndicats ou des partis politiques traditionnels la politisation de la question de l identit chez Angot est habit e par une r
62. 0982 amp nref NT02504 page consult e le 15 avril 2009 Yaari Monique 1988 Ironie paradoxale et ironie po tique Vers une th orie de l ironie moderne sur les traces de Gide dans Paludes Birmingham Summa 277 pages Zine Mohammed Chaouki 1998 Mystique et myst re du pouvoir Michel de Certeau et Michel Foucault Revue alg rienne de philosophie no 1 janvier p 55 65
63. 34 arguant que ce qui ll int resse c est trouver sa chanson d individu indivisible Guichard 1997 http www Imda net mat MATO2127html Ainsi il semble que ce qu Angot cherche d fendre c est l individualit l unicit propre chaque individu Nous pouvons conclure qu Angot entretient une relation paradoxale avec la v rit D un c t l auteure semble penser que seule la litt rature serait apte d voiler la v rit alors que de l autre elle brouille le vrai et le faux au point de rendre ces concepts inop rables Devant cette contradiction nous sommes en droit de nous demander s il n y a pas de v rit de quoi Christine Angot parle t elle dans ses textes De quelle v rit parle t elle Et si la seule v rit tait que la v rit n existe pas 1 2 3 L alt rit Prenons comme point de d part l id e selon laquelle la seule v rit d Angot serait la c l bre citation de Rimbaud je est un autre Dans cet ordre d id es je serait ind finissable il ne serait pas un sujet arr t mais ouvert sur les autres La v rit d Anpgot en ce sens serait infinie Je contrairement ce que tout le monde croyait n tait pas facilement d finissable Je chappait car Je chappait l histoire que tout le monde se racontait de moi de toi de 1l et de elle Angot 2004a 51 52 Autant dire que sa seule certitude serait la difficult
64. 61 juridiques Savoir si j a1 le droit condition de mettre des guillemets ou pas a m nerve Angot 19998 11 En r sum si l intertextualit fait partie de toute criture d autres textes y tant pr sents des niveaux variables sous des formes plus ou moins reconnaissables Barthes 2008 http www universalis edu com article2 php napp 36280 amp nref R172671 Angot nous rappelle que la limite entre ce proc d stylistique et le plagiat est bien mince Cependant il faut penser au fait que l intertextualit ne se limite pas seulement la r f rence un autre texte il s agit d un artifice par lequel une uvre se situe la jonction de plusieurs discours dont il serait la relecture la r criture Gignoux 2006 http revel unice fr cnarra document html id 329 Dans cette optique l intertextualit vise la transformation d crits ant rieurs Angot pour sa part se r approprie certaines sources de telle fa on qu elle en modifie la nature et en donne une lecture compl tement diff rente Ce processus complexe d passe donc largement la pratique de la citation ou de la r f rence De plus l usage de l intertextualit est paradoxal chez Angot D une part elle int gre des passages entiers d autres auteurs et les adapte si bien qu ils deviennent presque imperceptibles d autre part elle attire l attention de mani re presque exag r e sur certains emprunts
65. 62 Bref ce passage r it re l ambition de l crivaine de faire Pour plus de d tails voir les r actions qu a provoqu es la parution du roman L Inceste ce dont il a t question dans le premier chapitre 54 de son histoire autre chose qu un r cit personnel L Inceste est une r flexion sur les rapports de pouvoir qui tissent le lien social et d s lors il pose des questions minemment politiques 2 2 2 L inceste une question publique De fa on g n rale Deleuze et Guattari nous rappellent que lorsque Kafka indique parmi les buts d une litt rature mineure l puration du conflit qui oppose p res et fils et la possibilit d en discuter il ne s agit pas d un fantasme dipier mais d un programme politique Deleuze et Guattari 1975 30 31 L inceste deviendrait ainsi une question d ordre politique car elle concerne l ensemble de la soci t L histoire d Angot qui d couvre sa sexualit avec son p re qu elle n a pas connu avant l ge de quatorze ans n est pas sans rappeler le mythe d dipe qui met en sc ne un fils pris de la m re dont il a t s par d s la naissance Cependant ce qui transforme l inceste en une affaire politique est le fait que ses implications d passent le plan strictement personnel l inceste engage tous les membres de la communaut qui s ils ne participent pas directement l acte l appuient de mani re i
66. 977 V rit et pouvoir L Arc no 70 p 16 26 1980 Power Knowledge Selected Interviews and Other Writings 1972 1977 d et trad du fran ais de Colin Gordon New York Pantheon Books 270 pages 2001 Qu est ce qu un auteur In Dits et crits d de Daniel Defert et Fran ois Ewald avec la collaboration de Jacques Lagrange Coll Quarto 2 t Paris Gallimard Freud Sigmund 1989 Introduction la psychanalyse Coll Petite biblioth que Payot no 16 Paris Payot 443 pages Gai coute Fondation mergence 2009 Journ e internationale contre l homophobie http www homophobie org page consult e le 11 mai 2009 Gautier Th ophile 1966 Mademoiselle de Maupin Coll Garnier Flammarion no 102 Paris Garnier Flammarion 375 pages Gefen Alexandre 2007 Atelier de th orie litt raire La fiction d finition s Fabula La recherche en litt rature 24 mai http www fabula org atelier php La fiction 2C d 26eacute 3Bfinition s page consult e le 13 mai 2009 Gignoux Anne Claire 2006 De l intertextualit l criture In Cahiers de narratologie Nouvelles approches de l intertextualit no 13 1 septembre http revel unice fr cnarra document html id 329 page consult e le 17 juin 2009 Gillon tienne dir publ 1962 Inceste In Grand Larousse encyclop dique Paris Larousse Vol 6 p 91 104 Gros Fr d ric
67. Christine Angot Contemporary French and Francophone Studies vol 6 no 2 p 370 378 Marcelli Sylvain 2001 Un m lange incestueux L Interdit f vrier http www interdits net 200 1fev angot htm page consult e le 27 septembre 2005 Mongeon Sylvie 2004 Le f minin de surcro t dans L nceste de Christine Angot In Esquisses du f minin Les contours d une d rive sous la dir de Sylvie Mongeon et Aurelia Klimkiewicz p 21 30 Montr al Cahiers du C LAT Universit du Qu bec Montr al Morello Nathalie et Catherine Rodgers 2002 Introduction In Nouvelles crivaines nouvelles voix sous la dir de Nathalie Morello et Catherine Rodgers p 7 45 Coll Faux titre no 230 Amsterdam Rodopi Nivet Alexis 2007 Je est un autre L interdit de l inceste chez Christine Angot M moire de ma trise Montr al Universit du Qu bec Montr al 100 pages Payot Marianne 2004 Bye bye la provoc L Express fr 23 ao t http livres lexpress fr critique asp idC 8880 amp idR 9 amp 1dTC 3 amp 1idG 3 page consult e le 8 f vrier 2009 Ruffel David 2000 Sur la notion de mineur chez Christine Angot Chao d no 1 t http www chao id com numero0l articles notion mineur htm page consult e le 3 f vrier 2006 Soubrouillard R gis 2008 Rentr e litt raire Le Monde vote pour Christine Angot Marianne 2 30 ao t http www marianne2 fr Re
68. Inceste de fa on plus sp cifique Nous verrons plus concr tement les m canismes que d ploie l crivaine afin de d stabiliser la notion d identit Ainsi le fait que la majeure partie du roman est d di e au r cit de son histoire d amour homosexuel semble une fa on pour l auteure de d jouer les attentes du lecteur en refusant la co ncidence entre auteure narratrice et personnage Nous nous pencherons plus sp cifiquement sur sa critique de l h t ronormativit qui appara t comme une autre fa on de refuser la fixit identitaire Selon Judith Butler 1990 l laboration du sujet repose en grande partie sur l incorporation des normes de genre Nous mettrons en parall le la structure mentale incestueuse d Angot avec la d construction de la logique aristot licienne que propose la th orie queer L article de Diane Lamoureux La r flexion queer apports et limites 2005 nous aidera soutenir notre point de vue Nous examinerons aussi les liens que tisse Angot entre l homosexualit et l inceste particuli rement gr ce l intertexte emprunt Herv Guibert 1990 en ce qui a trait la stigmatisation que Pun et l autre entra nent Enfin nous pr senterons de quelle mani re le sujet Angot en contestant la contrainte l h t rosexualit refuse d acc der au statut de sujet tel qu il est g n ralement con u et de se constituer en tant que sujet homme ou femme homosexuel ou h t ro
69. Rodgers 2002 29 peut m me donner lieu des poursuites Judiciaires Par exemple lorsque Jean Marie Le Pen intente un proc s pour diffamation contre Mathieu Lindon et son diteur pour le roman Le Proc s de Jean Marie Le Pen 1998 Christine Angot et d autres crivains viennent la d fense de leur coll gue Le roman raconte le proc s 17 d un militant du Front national accus de l assassinat d un jeune maghr bin et d fendu par un avocat gauchiste juif et homosexuel Quatre vingt dix sept crivains signent une p tition parue dans le journal Lib ration qui d clare que les passages du livre le Proc s de Jean Marie Le Pen pour lesquels Mathieu Lindon et son diteur ont t condamn s ne sont pas diffamatoires et qu ils sont pr ts les crire dans un roman 1999 6 Plusieurs crivains participent au d bat dont Marie Darrieussecq qui signe un article intitul Pour son Proc s de Jean Marie Le Pen Mathi u Lindon a t condamn Parce que les juges exigent que les romanciers apportent des preuves Le proc s du roman et dans lequel elle confie je ne me sens pas bien parce que la justice de mon pays du pays o g ographiquement J cris et dont je suis citoyenne exige de moi et de mes romans des preuves Des preuves de quoi Des preuves que je d cris le monde Que je parle du monde Que ce monde existe Qu il existe vraiment Darrieussecq 1999 6 Cette r flex
70. UNIVERSIT DU QU BEC MONTR AL LE PERSONNEL EST POLITIQUE LA FIGURE DE L INCESTE DANS L UVRE DE CHRISTINE ANGOT M MOIRE PR SENT COMME EXIGENCE PARTIELLE DE LA MA TRISE EN TUDES LITT RAIRES PAR MERC DE S BAILLARGEON JANVIER 2010 UNIVERSIT DU QU BEC MONTR AL Service des biblioth ques Avertissement La diffusion de ce m moire se fait dans le respect des droits de son auteur qui a sign le formulaire Autorisation de reproduire et de diffuser un travail de recherche de cycles sup rieurs SDU 522 R v 01 2006 Cette autorisation stipule que conform ment l article 11 du R glement n 8 des tudes de cycles sup rieurs l auteur conc de l Universit du Qu bec Montr al une licence non exclusive d utilisation et de publication de la totalit ou d une partie importante de son travail de recherche pour des fins p dagogiques et non commerciales Plus pr cis ment l auteur autorise l Universit du Qu bec Montr al reproduire diffuser pr ter distribuer ou vendre des copies de son travail de recherche des fins non commerciales sur quelque support que ce soit y compris l Internet Cette licence et cette autorisation n entrainent pas une renonciation de la part de l auteur ses droits moraux ni ses droits de propri t intellectuelle Sauf entente contraire l auteur conserve la libert de diffuser et de commercialiser ou non ce travail dont il
71. Voyons un exemple frappant de son recours paradoxal l intertextualit Dans ce passage Angot mentionne l crivain et po te fran ais Charles P guy comme source alors que la r f rence renvoie clairement L Ab c daire de Gilles Deleuze On veut arriver au dernier verre tout faire pour a un alcoolique ne cesse pas d arr ter D en tre au dernier Un peu comme la formule de P guy qui est tellement belle je cite ma source puisqu il faut un seul auteur par phrase Angot 1999 21 Angot sollicite encore davantage une participation active dans de tels passages car si Iles r f rences se font dans le cerveau du lecteur elles y sont diff rentes et indiscernables Angot 2004a 72 L auteure fournit des informations incompl tes afin de mettre le lecteur sur une fausse piste seul celui qui poss de un bagage culturel suffisant pourra d celer la ruse Cette strat gie attire l attention sur le fait que chaque lecture de L Inceste est diff rente et que le roman prend son sens seulement lorsqu il est confront au lecteur Ou plut t devrions nous dire qu il prend un sens puisque ce dernier Voir entre autres l intertexte Herv Guibert dont il sera question dans le troisi me chapitre Angot 1999a 11 62 n est pas clos mais bien ouvert sur une multitude d interpr tations possibles En outre il arrive aussi qu Angot ne fasse que nommer certains auteurs mais pour s en loigne
72. a co ncidence entre les sexes les genres et les d sirs Par exemple son criture provoque des glissements entre les sexualit s masculine et f minine quand elle parle de sodomisation vaginale plut t que de p n tration Angot 1999a 154 L auteure effectue aussi un rapprochement entre l homosexualit et l inceste en liant certaines pratiques sexuelles normalement associ es aux couples gais mon p re tait homosexuel Il ne l tait pas je d lire j exag re je dis n importe quoi mais la sodomie qu il pratiquait sur moi et aussi sur une certaine Marianne il m avait racont le rapproche d eux Angot 1999a 147 En outre en d pla ant la notion de d sir la relation homosexuelle modifie les identit s homme et femme Elle s en servait comme d une queue de sa langue Quand elle embrassait j ouvrais Je la voulais Vivre d exp dients c tait excitant On perd la moiti du monde et 1l y a beaucoup de torsions Comme on voit parfois les acteurs qui se trouvent tellement bons Avec moi qu est ce qui te manque Mais la moiti du monde ma ch rie tout simplement Avec toi il me manque la moiti du monde rien que a a ne me fait pas bander ceux qui n ont rien Ceux qui n ont pas de queue moi eh bien je trouve que a manque Angot 1999a 30 31 83 La rh torique de l ironie qui traverse le roman parvient d placer voire d faire les cat
73. a cr ation litt raire la premi re ne pouvant tre affect e par la seconde Le signifiant de la litt rature est donc d j souill et ne pourrait en ce sens contaminer la r alit Les signifiants transfiguraient une r alit qui se sentait en retour d pouill e C tait le monde l envers La r alit avait toute la place partout mais il fallait qu elle en revendique encore une dans les livres alors qu elle n y existait pas Elle ne pouvait pas tre l s e puisqu elle n y tait pas Elle s invitait dans les livres pour mieux se d clarer l s e et avoir enfin un moyen de clamer sa souffrance d tre coinc e sans pouvoir sortir d elle m me Elle ne supportait pas de voir la litt rature d coller et faire l appel pour constater les absents Ils avaient le culot de r pondre pr sents dans le livre alors qu ils taient rest s au sol Angot 2004a 15 16 En fait l crivaine admet ais ment que le signe linguistique poss de un r f rent pr d termin lorsqu il est utilis des fins de communication dans un contexte quotidien Selon Ferdinand de Saussure le signe linguistique est form de la r union d un signifiant ou d une image acoustique et d un signifi c est dire d un concept Le lien entre le signifiant et le signifi est immotiv et leur relation au r f rent savoir la r alit ext rieure laquelle ils renvoient ne se fonde pas sur un rapport d analog
74. a r alit l est tout autant Nous pourrions dire que la litt rature se rapproche donc de l art conceptuel en ce sens o l art conceptuel c est le comble de la r flexivit la r flexivit culminant dans l id alisme le concept se substitue la chose et c est lui qui s exhibe Dufrenne 2008 http www universalis edu com article2 php napp 354 amp nref N131041 La litt rature dans cette perspective porte en soi le signifiant et le signifi et le r f rent quant lui devient facultatif Fid le ce raisonnement Angot nie le fait que ses romans ne traitent que de sa personne et de sa vie R alit et fiction op rant dans des champs diff rents toute ressemblance avec des personnes ou des situations r elles n aurait pour but que de mettre l accent sur le mur qui divise et qui relie la fois la litt rature et le monde r el Rappelons seulement un passage de L Usage de la vie dans lequel on retrouve cette phrase significative et qui r sume l ensemble de son entreprise Mais la seule chose autobiographique ici attention c est l criture Mon personnage et moi sommes coll s cet endroit l part a tout le reste est litt rature Les vrais noms c est pour que le mur s amincisse et du m me coup grandisse Angot 19998 39 40 Ainsi malgr que le je qui parle dans ses romans est identifi comme tant Christine Angot il s agit d un personnage et non de l crivaine
75. a respiration C est ainsi que l uvre d Angot s loigne des canons de la litt rature dynamite les genres pour mieux servir un projet litt raire fascinant Marcelli 2001 http www interdits net 2001fev angot htm En ce sens elle r pond au premier crit re d une litt rature mineure que la langue y soit affect e d un fort coefficient de d territorialisation Deleuze et Guattari 1975 29 En fait la litt rature mineure d signe principalement l expression d une minorit l int rieur d une langue majeure Deleuze et Guattari citent Kafka comme exemple lui qui repr senterait l impasse qui barre aux juifs de Prague l acc s l criture et fait de leur litt rature quelque chose d impossible Deleuze et Guattari 1975 29 De fa on parall le Angot occupe aussi une position mineure par le fait que son r cit est celui d une crivaine qui a v cu l inceste l interdit fondamental sans cesse enfreint par une soci t qui pourtant pr tend le respecter Cette d territorialisation se manifeste sous la forme d une tension entre les langues dominante et mineure et se concr tise pour Angot en une opposition entre la langue 4 maternelle et le langage de la litt rature Dans mes livres il y avait une tension entre la langue maternelle et celle de la litt rature parce que c tait comme a que Je se lib rait Et qu il pouvait se passer quelq
76. ablement tout au moins vers ce politique de sens large qui concerne la gestion de la vie dans la cit Dubois 2002 235 Effectivement si nous creusons un peu plus son propos nous r alisons que l auteure questionne tr s s rieusement plusieurs m canismes de reproduction sociale sur lesquels repose la construction identitaire Suivant cette logique la litt rature mineure met en lumi re des processus socioculturels qui bien qu essentiels au maintien de la structure sociale passent normalement inaper us Deleuze et Guattari 1975 31 Angot travers son exp rience personnelle critique donc le fonctionnement de la soci t qui selon elle s appuie sur une logique incestueuse Selon David Ruffel ses romans seraient mineur s comme l ouvrier qui clair de sa lanterne descend dans les strates enfouies des comportements intimes et sociaux Ruffel 2000 http www chao d com numero0l articles notion mineur htm C est en ce sens qu Angot refuse que l on interpr te L nceste comme un t moignage dans lequel l auteure la narratrice et le personnage ne formeraient qu une seule et m me personne Aussi explicite t elle son ambition dans Quitter la ville roman qui fait un retour sur la parution de L Inceste Je ne RACONTE pas Je ne raconte pas MON histoire Je ne raconte pas une HISTOIRE Je ne d brouille pas MON affaire Je ne lave pas MON linge sale Mais le drap social Angot 2000 161 1
77. ale qui d passe les gestes incestueux proprement parler Nivet 2007 3 Angot d joue donc les attentes du lecteur en subvertissant les codes normalement associ s au t moignage Celui ci est souvent per u comme un discours th rapeutique qui permet son auteur de reconstituer une subjectivit mise mal par l v nement traumatique Il s agirait donc d une mani re de raconter l indicible afin de venir terme avec cette exp rience Ainsi le lecteur classera L Inceste dans la cat gorie du t moignage ce qui influencera les conditions de r ception de l uvre Oui cela bousille la vie d une femme Cela bousille une femme m me on pourrait aller jusqu dire C est un sabotage Oui on pourrait le dire comme a Ce livre va tre pris comme un t moignage sur le sabotage de la vie des femmes Les associations qui luttent contre l inceste vont se l arracher M me les livres sont sabot s Prendre ce livre comme une merde de t moignage ce sera du sabotage mais vous le ferez Cela bousille la vie d une femme cela bousille la vie d un crivain mais ce n est pas grave comme on dit Angot 1999a 197 Ce qu Angot tente d emp cher c est que le lecteur se trompant quant l ad quation entre l auteure la narratrice et le personnage consid re le roman comme un t moignage qui permettrait l crivaine de panser ses plaies et de reconstruire sa propre subjectivit Ce 69
78. ans cet ordre d id es les tudes de Johan Faerber 2002 et de Jeanette Den Toonder 2005 entre autres traitent des difficult s du personnage Angot se constituer comme sujet Mais dans ces circonstances l uvre est analys e d une telle fa on que le sujet cart sien demeure l id al atteindre Angot aborde cette question tr s diff remment plut t que de consid rer le sujet cart sien comme un absolu qu il serait impossible de contester elle attaque de front la notion de sujet en remettant en doute sa pertinence En gros la notion d identit repose sur une conception monolithique et cart sienne du sujet et appara t travers son uvre comme tant le produit d une construction socioculturelle Afin de justifier son point de vue Angot brosse ainsi un portrait de l volution du sujet depuis sa cr ation par Descartes au dix septi me si cle cogito ergo sum je pense donc je suis afin d exposer les conditions qui ont permis son mergence On reconna t d abord le sujet cart sien qui dot de raison libre et autonome appara t comme le ma tre de l univers L invention du sujet a ensuite permis la cr ation de l objet qui graduellement s est transform L objet petit petit et presque sans qu on s en aper oive s tait vanoui tait 23 devenu l autre Angot 2004a 18 En substance un glissement dans les conceptions s est op r de telle fa on
79. aration du lancement On se souvient aussi de la sortie remarqu e d Angot l mission Bouillon de culture cette occasion elle confronte Jean Marie Laclavetine qui elle reproche la m diocrit de son dernier roman Premi re ligne 1999 Sa f roce prestation qui a montr l auditoire une Christine Angot particuli rement agressive marquera d finitivement les relations du personnage public avec les m dias Cependant malgr son succ s en librairie le milieu litt raire lui r serve un accueil froid et hostile En effet les rumeurs veulent qu Angot doive le succ s de L Inceste davantage une habile campagne publicitaire qu son talent d crivaine Pierre Jourde qui publie La Litt rature sans estomac en 2002 partage cet avis Dans son essai sur la litt rature contemporaine 1l d die une partie enti re Christine Angot Pastichant son style singulier il ironise sur le fait que certains croient que le succ s de l auteure ne serait d qu deux facteurs un sujet scandaleux mont en pingle par une habile strat gie promotionnelle et quelques pugilats t l vis s Jourde 2002 69 70 En outre Angot continue d entretemir la pol mique la sortie de chaque livre avec de nouveaux r glements de compte publics et des prises de position provocantes Soubrouillard 2008 http www marianne2 fr Rentree litteraire Le Monde vote pour Christine Angot a90612 html Tout compte fait nous constat
80. arde livrer le r cit de son exp rience incestueuse ce qu elle ne fait qu la fin du roman apr s avoir 68 rapport son histoire d amour rat e avec Marie Christine Leur relation est quelque peu paradoxale alors que Christine s imagine vivre dans une grande maison avec Marie Christine et sa fille L onore elle ne s panouit pas travers la sexualit homosexuelle et bien qu elle veuille rompre les liens avec sa partenaire la narratrice lui t l phone plusieurs fois par Jour sous n importe quel pr texte simplement pour entendre sa voix Il s agit d un amour impossible entre l amour et la haine il n y a qu un pas franchir pour Christine Le lecteur se demandera pourquoi Angot raconte cette histoire d homosexualit dans un livre qui s intitule L Inceste il cherchera comprendre en quoi le r cit de l inceste est li celui de l homosexualit Il semble que cet agencement ait pour but de court circuiter la notion de t moignage cat gorie dans laquelle on inscrit de fa on syst matique tout r cit d inceste crit la premi re personne Alexis Nivet remarque qu Angot ne respecte pas les conventions habituelles qui encadrent la prise de parole sur l inceste son avis le r cit d inceste de Christine Angot s oppose aux r cits traditionnels en refusant la dichotomie bourreau victime pour r v ler une logique incestueuse d abord personnelle puis plus largement soci
81. ation son battement dans la distance froide de sa VOIX Ruffel 2000 http www chaoi d com numero01 articles notion mineur htm 51 L Inceste rythm par une cadence irr guli re chaotique se rapproche ainsi sur le plan formel de la brutalit du sujet dont il traite Ma ponctuation il faut que je m en d fasse que j en prenne une plus courante plus naturelle que les gens aient moins d efforts faire c est ridicule c tait ridicule Surtout que virgule tymologiquement a veut dire petite verge Angot 1999a 106 Bref la pr sence du corps qui peut tre aussi sensuelle que violente traverse l ensemble du roman et rappelle immanquablement la vie qui parcourt l crit angotien Par ailleurs Angot utilise aussi la virgule pour juxtaposer diff rentes id es diff rents moments diff rents niveaux de discours qui ne sont pas n cessairement compatibles Effectivement son emploi de la virgule permet de mettre en place un habile jeu o s encha nent des retournements des permutations des glissements de sens plut t que de clarifier son propos J ai d habitude une ponctuation un peu particuli re Je ponctue mes phrases d une fa on inhabituelle je vais tenter d arr ter Ma ponctuation aura seulement pour but la clart que les gens s y retrouvent La clart du propos Que mes propos soient clairs compris Un peu fastidieux peut tre mais en ordre cette fois Je n cri
82. avantage un style litt raire qu un pr texte pour livrer quelque confidence sur l v nement traumatique aussi Cata et DalMolin remarquent elles que ce qui compte dans ses livres est moins l inceste qui appartient au pass que le pr sent de l criture qui s interroge sur l inceste et ses cons quences 2004 88 Cette litt rature du pr sent qui revient sans cesse sur elle m me est vibrante intense elle est celle de la vie Et cette vie transpara t la surface de l criture qui porte autant des pulsions positives que n gatives Ces pulsions deviennent une ressource partir de laquelle se constitue une criture de la r volte l inceste porte ind niablement en lui les moyens et les affects n cessaires la cr ation d un nouveau style litt raire qui raconte le mal par le mal lui donne droit la parole et les moyens de se dire sans jamais s excuser ou s effacer puisqu il puise dans son nergie le meilleur de son art Cata et DalMolin 2004 89 3 Isabelle Cata et Eliane DalMolin 2004 Johan Faerber 2002 Catherine Mavrikakis 2002 David Ruffe 2000 pour ne nommer que ceux ci ont not la pr sence marqu e du souffle chez Angot dans leur tude du roman L Inceste 47 Autrement dit la critique qu articule Angot travers L Inceste s labore sur deux niveaux Non seulement l auteure analyse questionne d construit toute forme de normes ou de c
83. cturale avance l id e qu une alt rit irr ductible s pare je et fu qui ne peuvent renvoyer la m me personne simultan ment Benveniste 1966 260 Butler pense plut t qu une multitude de tu sont toujours l uvre l int rieur du je I may try to tell the story of myself but another story is already at work in me and there is no way to distinguish between the I who has emerged from this infantile condition and the you the set of you s who inhabits and dispossesses my desire from the outset Butler 2005a 74 36 Suivant cette logique toute tentative de livrer le r cit de soi serait perdue l avance en ce sens o 1l serait impossible de rendre compte de l alt rit qui marque fondamentalement le sujet Bref pour Angot le sujet n tait plus du tout assur Il tait enti rement d centr Il se sentait envahi par l autre Il ne r glait m me plus lui m me la place de l autre en lui l autre l envahissait tait il encore lui Non Il tait envahi par l autre C tait a tre un sujet l alt rit tait le sujet Angot 2004a 19 Par ailleurs il semble que la litt rature mette en vidence l autre en soi alors que sa pr sence est normalement occult e par une conception cart sienne du sujet Ainsi l alt rit se donnerait lire de la fa on la plus radicale dans l crit Dans cette perspective le texte angotien ne poss de pas d
84. d cide donc d exiger de son p re la reconnaissance qui lui revient Apr s avoir mis au jour le processus par lequel l identit est constitu e afin de d montrer ses fondements fallacieux elle d cide de se r approprier cette contrainte afin de subvertir sa relation incestueuse C est ce moment l que J ai d cid de me retourner de retourner mon corps de me retourner moi Pourquoi tre consid r e enfin comme une femme pas comme un cul un trou du cul beurre sur la cr pe retourn e vaseline je n tais pas qu un cul j ai commenc par prendre le pouvoir partir de ce moment l Sur cette histoire et maintenant j lai disons Au d but j tais dessous j avais le dessous Proposer me retourner de moi m me du bon c t j crivais d j j avais commenc Prendre le pouvoir avoir le dessus Et maintenant je lai Lui a perdu la t te Alzheimer Moi j ai le dessus sur l inceste Le pouvoir le p nis sadique a y est gr ce au stylo dans ma main s rement essentiellement Le dessous le dessus tr s bien Angot 1999a 173 Ainsi nous avons d j tabli le fait que la soci t en fermant les yeux sur l inceste bien qu elle le condamne avec conviction entretient une conception monolithique du sujet je je Cependant Angot en reconnaissant son p re et en admettant l inceste sort de ce pi ge en brisant le silence entourant l inceste elle d passe la logique cart sienne d
85. d un clivage binaire entre les hommes et les femmes Est donc queer ce qu on ne peut pr cis ment localiser ce qui interroge nos cat gories de pens e ce qui appartient la d viance par rapport une norme qui se pr sente comme claire et d limit e Lamoureux 2005 91 La logique angotienne se rapproche de la pens e queer particuli rement en ce qui a trait la mouvance identitaire qu elle semble revendiquer En refusant toute forme de cat gorisation binaire Angot sape les fondements m mes de l identit et fait clater la notion de sujet Ceci a pour effet de permettre l auteure de mettre en sc ne un sujet toujours en devenir comme le rappelle Lamoureux Le refus de la cat gorisation s inscrit tout le moins dans une logique d mancipation et de libert du sujet qui peut ainsi acc der une perspective de subjectivisation Lamoureux 2005 95 La pens e queer et Christine Angot poursuivraient un but commun liminer toute contrainte culturelle ou sociale afin de permettre au sujet d atteindre une pleine autod termination De ce fait la pens e queer cherche provoquer et d ranger le discours h t ronormatif dominant de fa on faire appara tre de nouvelles identit s et de nouvelles sexualit s la suite de Foucault Butler consid re que le sujet ne peut exister l ext rieur du r gime de pouvoir qui le constitue bien que l identit ne soit pas r ductible
86. de Calaceite Fondation Noesis 6 13 juillet 1996 T 2 de Ecritures contemporaines Paris et Caen Lettres Modernes Minard 266 pages 99 B J 2006 Rendez vous Voir ca 21 d cembre http voir ca livres aspx 11D Article 45213 page consult e le 30 mars 2007 Cata Isabelle et Eliane DalMolin 2004 crire et lire l inceste Christine Angot Women in French Studies vol 12 p 85 101 Den Toonder Jeanette 2005 L autorepr sentation dans une poque massm diatis e Le cas Angot In Territoires et terres d histoires Perspectives horizons jardins secrets dans la litt rature fran aise d aujourd hui sous la dir de Christine Delzons Dani le De Ruyter Tognotti et Sjef Houppermans p 39 59 Amsterdam Rodopi Domeneghini Eva 2002 Impressions sur l uvre de Christine Angot La revue des ressources mercredi 3 juillet http www larevuedesressources org article php3 id article 77 page consult e le 7 mars 2007 Quitter la ville crits vains http ecrits vains com critique domeneghini12 htm page consult e le 28 juin 2009 Dubois Jacques 2002 Angot ou la gu rilla litt raire Balises Cahiers de po tique des Archives et Mus e de la litt rature Bruxelles nos 1 2 automne p 219 236 Faerber Johan 2002 Le bruissement d elles ou le questionnement identitaire dans l uvre de Christine Angot In Nouvelles crivaines nouvelles vo
87. de cr er une r alit autre ind pendante du monde ext rieur qui n est plus soumise au r f rent Ainsi les textes d Angot ne renvoient pas sa personne et au monde dans lequel elle vit projet s dans une autre dimension ils poss dent une existence autonome 7 Pour un aper u tr s g n ral de ce qui s est crit sur l alt rit au cours du XX si cle consulter entre autres Sigmund Freud Introduction la psychanalyse Paris Payot 1989 Edmund Husserl M ditations cart siennes Introduction la ph nom nologie Paris Vrin 1992 Jacques Lacan D un autre l autre 1968 1969 Paris Seuil 2006 Emmanuel Levinas Humanisme de l autre homme Montpellier Fata Morgana 1972 Emmanuel Levinas En d couvrant l existence avec Husserl et Heidegger Paris Vrin 2001 Jean Luc Nancy Ego Sum Paris Flammarion 1979 Paul Ric ur Soi m me comme un autre Paris Seuil 1996 5 Angot traite souvent des difficult s qu entra ne l incorporation de faits r els son uvre Elle aborde ces questions de fa on directe ou indirecte entre autres dans L Inceste 1999a L Usage de la vie 1999 et Une partie du c ur 2004a CHAPITRE 2 CELLE QUI POSE DES MINES ANGOT ET LA LITT RATURE MINEURE Selon Alexandre Gefen elst fiction une repr sentation litt raire qui constitue un monde autonome ou du moins partiellement distinct du r el 2007 http www fabula org atelier php La ficti
88. des pratiques sexuelles consid r es comme des d viations par rapport une norme sociale et sexuelle Angot 1999 136 Angot s attaque donc aux discours du savoir et de la v rit issus du phallogocentrisme pour reprendre les termes de Jacques Derrida 1972 afin de mettre au jour leur caract re historique et contingent En effet la m decine a abondamment trait de la question de l homosexualit et a largement particip la stigmatisation des homosexuels Elle a mis en place diverses strat gies de normalisation qui poursuivent le but de r primer les sexualit s qui ne correspondraient pas au mod le h t rosexuel Angot utilise donc des lieux communs datant du XIX si cle au moment de l av nement de la m decine moderne et de l homosexualit comme maladie afin de subvertir le discours m dical Parmi d autres choses la narratrice r p te tout au long du roman qu elle est malade qu elle est folle qu elle ne se reconna t plus elle m me Angot 1999a 64 101 168 folle en ce sens qu elle aurait perdu contact avec la r alit mais aussi au sens d homosexuelle Signes sympt mes causes imm diatement rep rables d clic causes profondes manifestations concr tes et jeux de mots folle c est dire un homme homosexuel une folle qui se d croche le poignet je le fais souvent j y reviendrai Angot 1999a 102 Pour Michel Foucault l autod signation est un moyen de con
89. descriptifs qui semblent priv s de valeur fonctionnelle l poque o l analyse structurale est son apog e Angot subvertit cette notion de fa on reprendre des pans entiers de la r alit sans les modifier Elle donne ainsi l impression de fournir des preuves de ce qu elle crit Elle aborde aussi les difficult s que cr e l incorporation dans ses textes des noms de personnes de son entourage mais aussi de leurs actions de leurs paroles Morello et Rodgers 2002 29 Dans L Inceste l crivaine va m me jusqu inclure des extraits d une lettre que l avocate de Stock lui a adress e dans laquelle cette derni re rel ve certains passages du roman qu elle juge probl matique en ce sens qu ils portent atteinte la vie priv e des proches de l auteure Angot 1999a 41 43 En un mot elle cite pour couronner le tout 15 un avertissement qui lui reproche justement d inclure des l ments de la r alit dans son univers fictionnel Malgr toutes ces indications qui semblent t moigner de l authenticit de ce qu elle crit Angot refuse de reconna tre un quelconque pacte r f rentiel son uvre Claude pose la question balader le lecteur ainsi entre r alit et fiction est ce que tu jouis Il n y a m me que a qui me fait jouir je r ponds Angot 19998 31 Il appara t suivant cette logique que l auteure prend plaisir maintenir le lecteur da
90. donc de d noncer la rigidit du mod le identitaire De fa on plus sp cifique le r cit de son exp rience homosexuelle permet l auteure de questionner les normes de genre qui sont constitutives du sujet En effet parmi l ventail des normes qui caract risent l humain le genre est particuli rement r v lateur quant la situation d un individu dans le champ social La division de l humanit en deux genres se fait par un proc d m tonymique selon lequel le sexe biologique devient le tout d une personne Selon Isabelle Boisclair et Lori St Martin 67 cJette pens e qui cat gorise et identifie est bien le fruit d une op ration cognitive elle est donc culturelle 2006 9 Dans cet ordre d id es Angot r v le les m canismes de reproduction sociale qui permettent la propagation des identit s masculine et f minine et d montre de quelle mani re le genre est constitu sur un mode performatif par l institutionnalisation de normes h t rosexistes ses yeux le d r glement global du syst me h t ronormatif se reconna t dans les ph nom nes marginaux lesquels bousculent les normes largement accept es et d naturalisent l h t rosexualit obligatoire Ainsi Angot occupe une position marginale mineure d abord en tant qu homosexuelle dans un monde majoritairement h t rosexuel ensuite en tant que femme ayant fait l exp rience de l inceste dans une soci t qui condamne avec fe
91. e aussi La r daction du code civil l adh sion un patronyme des pr noms auxquels on r pondait on savait que c tait soi Autrefois le nom co ncidait soi son entourage familial ses racines une appartenance une terre un quelque part d fini et encercl La co ncidence soi m me avait t consacr e par la philosophie elle ne vacillait pas depuis longtemps Mais c tait vertigineux comme perte comme inqui tude tout ce changement au tournant du vingti me si cle Je tait il vraiment un autre Angot 2004a 21 22 L auteure remarque donc que m me si je est un autre semble d sormais un lieu commun la r alit est tout autre et la tendance faisant co ncider l identit avec elle m me demeure C est ainsi qu travers son uvre elle propose de mettre au jour de quelle mani re se construit l identit en questionnant son mode de production et ce travers la figure de l inceste Dans le texte Une Partie du c ur paru en 2004 Angot taye de fa on plus d taill e son projet litt raire ses yeux la litt rature serait au service de ce qu elle appelle la Loi fondamentale c est dire l interdit de l inceste De fait l inceste est interdit c est dire l amour entre deux individus consanguins rapport qui quivaut pour Angot une rencontre entre je et je et le mot de Rimbaud est consid r une vidence Mais si nous consid rons l inceste comme une r fl
92. e d Angot Ils ont aussi confort le lecteur dans l id e que L Inceste serait un t moignage v ridique alors que nous avons pu constater que les livres d Angot branlent la notion de co ncidence soi Un passage du roman Les D sax s 20048 est tr s loquent cet gard en plus d tre repr sentatif de la d marche entreprise dans L nceste Angot rapporte les circonstances entourant le meurtre de Marie Trintignant par son conjoint Bertrand Cantat l t 2003 Plus sp cifiquement elle relate la fa on dont toute la France a suivi l volution du drame en trouvant une satisfaction perverse dans les d tails les plus sordides La fille appartenait ce qu on appelait une famille de cin ma m re r alisatrice p re acteur oncle acteur fr re assistant r alisateur ex acteurs ou cin astes actrice elle m me et les enfants acteurs aussi Tous travaillent ensemble Presque toute la famille faisait partie du tournage sauf le p re venu le lendemain matin par avion sp cial Comme dans Ph dre l absence du p re entra nait le chaos La France enti re se sentait concern e La m re dominait l histoire elle filmait sa fille d nud e sans que personne l arr te sic et avait assist tous les accouchements de sa fille Angot 20048 113 114 Tous les yeux sont riv s sur le drame familial qui est v cu en direct par la France enti re sur les grandes cha nes de t l vision dans les journaux et sur
93. e aurait pu tre la cousine de Le Pen Angot 1999a 105 106 Ces associations rappellent la logique aristot licienne li e la m taphysique mode de conceptualisation sur lequel repose la pens e occidentale et qui valorise une sch matisation dichotomique Diane Lamoureux dans son article La r flexion queer apports et limites explique que la logique aristot licienne repose sur trois principes le principe d identit A reste A le principe de contradiction on ne peut tre simultan ment A et non A et le principe du tiers exclu on est soit A soit non A 2005 94 Notre compr hension du monde s articulerait donc par couples conceptuels en opposant par exemple la mati re le corps et le sensible l esprit l me et l intelligible On peut relever de cette mani re plusieurs oppositions tr s r pandues et qui influent sur la culture occidentale de fa on g n rale Cette structure binaire est aussi souvent tendue la division entre le masculin et le 70 f minin Lamoureux 2005 94 Fran oise H ritier une anthropologue f ministe remarque que ce ph nom ne est pr sent dans la vaste majorit des cultures elle nomme cette hi rarchisation de la diff rence la valence diff rentielle des sexes 1996 15 29 Notons en passant que bon nombre de philosophes ont tent de d construire cette conception dichotomique du monde Le romantisme allemand entre autres coles a cherch
94. e genre v ritable appareil de production du sexe matrice de pouvoir En fait acronyme LGBT signifie Lesbian Gay Bisexual and Transgendered people Le terme plus inclusif que celui de communaut homosexuelle ou communaut gaie d signe de fa on plus large un ensemble d individus qui bien qu ils aient des modes de vie diff rents subissent une discrimination similaire en raison de leur identit ou de leur orientation sexuelle non traditionnelle 2009 http www merriam webster com dictionary queer T3 phallocentriste et h t ronormative Saint Hilaire 1999 26 Dans cette perspective les attributs de genre sont vid s de leur signification et peuvent devenir des caract res tant t masculins tant t f minins When the constructed status of gender is theorized as radically independent of sex gender itself becomes a free floating artifice with the consequence that man and masculine might just as easily signify a female body as a male one and woman and feminine a male body as easily as a female one Butler 1990 6 Ainsi Angot ren gocie la norme du genre en la pliant la distordant et en d pla ant la fronti re entre le masculin et le f minin Elle d stabilise du coup le syst me h t ronormatif qui tend vers l uniformisation des identit s homme et femme Elle emprunte donc indiff remment des comportements tant masculins que f minins Je rasais les murs avec mon blouson
95. e qu elle n aurait qu adopter sans la questionner elle doit justifier sa diff rence Il convient aussi de pr ciser que les normes du genre bien qu elles soient reproduites dans le contexte plus vaste de la soci t et d coulent plus largement de l h t rosexualit obligatoire ne poss dent pas d existence autonome Il faudrait viter de penser qu elles se g n rent d elles m mes dans le but de maintenir tant les hommes que les femmes leur suj tion Plut t ce sont les individus travers leurs pratiques quotidiennes qui assurent la reproduction et le maintien des normes de genre En ce sens Butler d clare qJue le genre 85 soit une norme implique qu il est toujours quoique de mani re t nue incarn par tout acteur social dans sa singularit 2005c http www univ lillez fr set cadrebutler html Le bon fonctionnement de la soci t repose donc sur le fait que chaque individu participe la perp tuation de ce mod le social dont les normes implicites garantissent la coh sion Signalons ce propos que dans L Inceste le sujet Angot ressent une aversion si profonde envers le syst me dominant qu elle en vient renier les autres voulant briser les conventions sociales ou n y voyant que l instrument des rapports humains il finit par briser les liens humains eux m mes c est logique Angot 1999a 163 Ainsi lorsque l auteure entreprend dans L Inceste de me
96. e que selon Butler la stabilit du sujet est assur e par la matrice h t rosexuelle c est dire par une grille d intelligibilit culturelle qui naturalise les corps les genres et les d sirs Butler 2005c http www univ lillez fr set cadrebutler html h t rosexuels Les normes de genre sont donc intimement li es celles qui constituent le sujet s e conformer une certaine conception du genre quivaudrait alors pr cis ment garantir sa propre lisibilit en tant qu humain l inverse ne pas s y conformer risquerait de compromettre cette lisibilit de la mettre en danger Butler 2005c http www univ lille3 fr set cadrebutler html Ceci appara t de fa on d autant plus vidente dans L Inceste la premi re partie du livre qui est consacr e en grande partie au r cit de l homosexualit s intitule No man s land Angot 1999a 11 ou contr e d aucun homme zone 84 interm diaire dans laquelle la pr sence d aucun individu ne sera tol r e Par ailleurs en d construisant les conceptions normatives de la sexualit et du genre l crivaine d construit aussi le concept de sujet Ce que tente de dire Angot c est que ces identit s qui semblent naturelles ne sont en r alit que des constructions normatives Or en refusant de se conformer ces normes elle met en p ril sa propre lisibilit en tant que sujet Le sujet Angot se transforme alors en une sor
97. e un s rieux d fi si l on consid re quel point la langue structure la r alit de mani re entra ner des effets importants tant sur les plans individuels que collectifs Par cons quent la r volte d Angot vis vis des structures grammaticales devient un moyen d tourn d exprimer sa r bellion par rapport au protocole culturel et social Dubois 2002 87 Comme l expliquent Deleuze et Guattari la litt rature mineure a la sp cificit de creuser la langue pour trouver son point de sous d veloppement pour faire jaillir de nouvelles possibilit s elle y trace pr cis ment une sorte de langue trang re qui n est pas une autre langue ni un patois retrouv mais un devenir autre de la langue une minoration de cette langue majeure un d lire qui l emporte une ligne de sorci re qui s chappe du syst me dominant Deleuze 1993 15 Tout se passe dans la limite la fronti re devient un espace productif dans la mesure o il permet d inventer de nouvelles postures pour conserver l quilibre David Ruffel dans un article intitul Sur la notion de mineur chez Christine Angot 2000 s interroge sur la question de la mise en danger parce que selon lui cette id e rend compte des diff rentes possibilit s de l criture de Christine Angot sur quelques acceptions du mot mineur pr cis ment Ruffel 2000 http www chaoid com numero l articles notion_ mineur htm Le roma
98. echerche d authenticit et de libert loin des cadres normatifs classiques Mensah 2005 19 C est bien davantage par son potentiel subversif que l on peut dire d Angot qu elle est une auteure engag e Personne ne peut donc tre tonn qu elle subisse le sort habituellement r serv tout individu qui ose prendre la parole pour s insurger contre les normes sociales et contre la logique incestueuse sur laquelle se fonde le fonctionnement de la soci t BIBLIOGRAPHIE Corpus tudi Angot Christine 1995 Interview Paris Fayard 136 pages 1997 Les Autres Coll Pocket no 10469 Paris Fayard 167 pages 1998 Sujet Angot Paris Fayard 122 pages 1999a L Inceste Paris Stock 217 pages 19995 L Usage de la vie Coll Mille et une nuits no 260 Paris Fayard 62 pages 1999c La page noire In Lib ration Paris 6 novembre p 8 2000 Quitter la ville Coll Le Livre de poche no 15280 Paris Stock 189 pages 2001 Normalement suivi de La Peur du lendemain Paris Stock 113 pages nn en compagnie de J r me Beaujour 2004a Une Partie du c ur Paris Stock 86 pages 2004b Les D sax s Coll Le livre de poche no 30495 Paris Stock 155 pages Corpus critique Baetens Jan et Dominique Viart comp 1999 tats du roman contemporain Actes du colloque
99. ence En 1988 Pierre Andr Boutang tourne un t l film intitul L Ab c daire de Gilles Deleuze Il s agit du seul film jamais consacr ce personnage discret qui refuse habituellement toute interview t l vis e Deleuze impose deux conditions le film doit consister en une rencontre avec son ancienne l ve Claire Pamet et lui changeant et discutant et sa diffusion doit n cessairement tre posthume Fid le son titre l uvre se divise en vingt six th mes en ordre alphab tique lesquels portent tant t sur des id es et concepts chers au penseur tant t sur des aspects personnels de son uvre philosophique 50 Oh oui j ai beaucoup bu J ai arr t la boisson c est une notion de quantit On ne boit pas n importe quoi chacun a ses boissons favorites la quantit en est fix e On se moque beaucoup des alcooliques et des drogu s Parce que oh moi j arr te quand je veux C est le dernier Le dernier coup de fil dernier dernier Avant d en tre compl tement d go t e Angot 19994 18 En plus d tre caract ristique de l oralitude Morello et Rodgers 2002 40 de L Inceste la r p tition permet au langage de S arracher du sens et d laborer une pens e mineure gag La pr sence du souffle dans L Inceste est aussi rendue sensible gr ce l usage particulier que fait Angot de la ponctuation plus particuli rement de la virgule Plut t que de faciliter la
100. ent un statut privil gi Foucault 2001 t 1 831 afin d appr hender l criture comme le produit d une impersonnalit pr alable De m me Barthes d nonce le fait que l explication de l uvre est toujours cherch e du c t de celui qui l a produite comme si travers l all gorie plus ou moins transparente de la fiction c tait toujours finalement la voix d une seule et m me personne l auteur qui livrait sa confidence 1984 64 Ce point de vue recoupe aussi la proposition de Judith Butler par rapport au r cit de soi dont nous avons parl plus t t Rappelons seulement le fait que le r cit de soi contraint son auteur livrer un r cit v ridique dans lequel se construit son identit propre Or il nous semble que le projet d Angot s labore dans un mouvement contraire qui plut t que de mettre en sc ne la construction du sujet s appuie sur sa d construction Je tait d vi de moi dans mes livres en Je a ne voulait pas dire que ce n tait pas du tout moi mais d vi autre ailleurs autrement dans un monde lib r de r f rents enfin Angot 2004a 71 Bien que le lecteur croit quelquefois voir le sujet Angot se dessiner celui ci se d file de plus en plus et l auteure rappelle ici que le je mis en sc ne dans ses textes n est pas le sien Pour Angot en un mot je est un autre Et c est aussi ce que Barthes dit sa mani re Donner un Auteur
101. entit demeurerait le p le travers lequel ils appr hendent l individu comme une totalit L auteure que nous tudions ici par contre ne se limite pas dire que le sujet Angot reconnaissable en tant que sujet pleinement constitu porterait en elle les marques de l Autre elle met en chec la notion de sujet en refusant les conditions qui m nent sa production Le sujet dans cette perspective cesserait d exister selon les crit res sur lesquels nous nous appuyons pour le reconna tre Il s agirait l d une des caract ristiques les plus novatrices du travail d Angot Ainsi bien qu on lui reproche souvent d inclure des segments de la vie de son entourage dans ses livres elle est d avis que le fait de passer la r alit au broyeur de la litt rature en modifie la nature au point o le r f rent de ses textes devient m connaissable Ceci est d autant plus frappant qu Angot nie le fait que ses romans sont autobiographiques bien que la narratrice et personnage principal se nomme Christine Angot et parle la premi re personne Aux yeux de l crivaine ses romans sont tout sauf la preuve de son gocentrisme Je tait universel parce que Je tait crivain parce que je n appartenait personne de connu de l tat civil Angot 2004a 54 La r alit et la fiction existent donc dans deux sph res distinctes Et le texte litt raire aurait cela de particulier qu il poss de le pouvoir
102. er questionner certaines vidences dont la notion d identit Bref le r cit se transforme en une machine de guerre l intention du lecteur et se donne comme instrument d intervention arme de combat Dubois 2002 234 2 3 Agencement collectif d nonciation 2 3 1 crire pour un peuple venir La troisi me caract ristique de la litt rature mineure tient au fait que le politique contaminerait tous ses nonc s Deleuze et Guattari 1975 31 En fait comme le souligne Kafka la litt rature devient l affaire du peuple Kafka Journal 25 d cembre 1911 p 181 dans Deleuze et Guattari 1975 32 pour la bonne raison que l a machine litt raire prend le relais d une machine r volutionnaire venir non pas du tout pour des raisons id ologiques mais parce qu elle seule est d termin e remplir les conditions d une nonciation collective qui manquent partout ailleurs dans ce milieu Deleuze et Guattari 1975 32 Ainsi la subjectivit de l crivain s efface afin qu apparaisse travers sa voix celle d un peuple venir ternellement mineur et pris dans un devenir r volutionnaire Deleuze 1993 14 15 De fa on semblable Angot d crit elle m me son criture comme une arme de guerre qui bien qu elle puisse causer certains dommages collat raux et blesser des membres de son entourage poursuit l objectif de lever le voile sur les relations trompeuses et
103. es Deleuze 1975 1993 nous avons vu de quelle mani re son uvre r pond aux trois crit res d finissant la litt rature mineure savoir la d ternitorialisation du langage le branchement de l individuel sur l imm diat politique et l agencement collectif d nonciation Deleuze et Guattari 1975 33 Ainsi Angot oppose la langue maternelle qui serait au service du t moignage et de la bonne foi qu elle associe au mensonge la langue de la litt rature qui permettrait de mettre au jour le mensonge social Domeneghini 2002 http www larevuedesressources org article php3 1d_ article 77 De plus en faisant de l inceste une logique sociale son exp rience personnelle devient le paradigme de toute infraction la Loi fondamentale rappelant du coup que le personnel est politique Dans son r cit personnel s agite donc une histoire plus vaste celle d un peuple venir qui respecterait l interdit de l inceste et le consid rerait primordial contrairement ce qui se passe dans la soci t actuelle selon Angot 96 Enfin nous nous sommes int ress s la mani re dont Angot a mis en sc ne son refus de la fixit identitaire dans le roman Z nceste en laborant une critique du syst me h t ronormatif Nous avons mentionn que le roman en plus de livrer le r cit de son exp rience incestueuse raconte aussi et surtout son histoire d amour homosexuel avec Marie Christine Angot
104. es romans Angot r pond Non pas du tout Ce n est pas du tout coquin et impertinent Ce n est pas du tout un jeu Je ne me fous pas du tout de votre gueule Angot 1999a 104 Car ses yeux il ne s agit Nous avons d j trait de cette question dans le premier chapitre lorsque nous avons pr sent l uvre de Christine Angot 77 pas de simples jeux de mots Aussi Joubert souligne t elle qu eln ironie il subsistera toujours une volont une n cessit m me de d passer l innocence d un jeu de mots ou d un trait d esprit pour aller vers une contestation si t nue soit elle 1998 18 Par cons quent l ironie se d tache de l humour par son ambition pol mique Malgr cette diff rence fondamentale sur le plan rh torique Angot semble consid rer que l ironie et le mot d esprit partagent une vis e commune Pour pr ciser cette id e l auteure inclut m me la d finition du Dictionnaire de la psychanalyse 1997 selon laquelle les jeux de mots seraient une expression de l inconscient qui permet de rire tant de soi m me que des r alit s les plus obscures Angot 1999a 154 et qui aid e supporter les d sirs refoul s en leur fournissant un mode d expression socialement acceptable Angot 1999a 155 Il semble donc qu Angot utilise ces diverses strat gies dans le but de critiquer le syst me h t ronormatif Par exemple elle fait dans la provocatio
105. este j ai s duit mon p re Angot 19994 26 Ce qui semble d ranger le plus le lecteur c est le fait qu Angot ne fustige pas son p re incestueux alors que l on s attend ce qu elle le d nonce avec v h mence Encore une fois Angot d joue les attentes du lecteur avec un autre paradoxe tandis qu elle assimile l inceste un ensemble de petites transgressions qui attentent l intimit du sujet et qui peuvent sembler anodines l auteure n adopte pas une position aussi tranch e lorsqu il est question de l inceste r el qu elle a v cu Face cette r action d routante le lecteur ne peut faire autrement que de se demander si la victime ne serait pas complice du crime Bref le lecteur est laiss lui m me devant cette question qui soul ve immanquablement des enjeux moraux si l crivaine ne condamne pas les actes de son p re sur un ton cat gorique cela voudrait 1il dire qu elle d fend l inceste Angot r cup re aussi son compte plusieurs croyances populaires de fa on les subvertir plut t que de renforcer la marginalisation des homosexuels Par exemple elle monte en pingle dans un passage pour le moins provocateur la notion que les homosexuels priv s du r le procr atif compensent en s attachant souvent et de mani re obsessive aux animaux domestiques Quand je me promenais sur la plage avec elle il y avait comme beaucoup d homosexuels un chien avec nous notre enfa
106. estination collectives d un peuple venir encore enfoui sous ses trahisons et reniements Deleuze 1993 14 15 L interdit de l inceste serait donc le point de d part de cette nouvelle collectivit il est n cessaire que la soci t prenne acte de cet interdit fondamental pour qu advienne le peuple venir Autrement dit le fonctionnement de la soci t doit cesser de reposer sur une conception cart sienne du sujet Quand toute la soci t me dit que quand J cris en Je Je c est moi alors que Je est un autre la soci t me dit non Je c est toi Je n est pas un autre et toi c est ta m re et donc toute la soci t continue de me pousser dans l inceste et d y rester elle m me et c est tout ce qu ils font Angot 2004a 48 Le but ultime de l uvre d Angot serait ainsi l invention d un peuple qui reconna trait l interdit de l inceste comme le c ur de ses pratiques sociales L auteure crirait donc pour ce peuple qui manque pour dans ce cas signifie moins la place de que l intention de nous rappelle Deleuze 1993 15 Ce faisant Angot court circuite la notion d auteur qui serait intimement li e au concept d autorit Foucault 2001 t 1 831 832 Oui r fl chissONS ce n est pas MON histoire Ce n est pas une HISTOIRE Ce n est pas MON livre C est l histoire de personne l autofiction n est pas possible C est person
107. et du loup tir e de la fable de La Fontaine La Fontaine 1991 62 63 pour expliquer de fa on plus d taill e sa vision de la relation entre la litt rature et la r alit Succinctement la fable d crit la rencontre entre un candide agneau et un loup affam qui cherche n importe quelle raison pour pouvoir punir l agneau et le d vorer L int r t de cette histoire r side dans son caract re exemplaire l objectif de La Fontaine tant d exposer au lecteur une morale sur la nature humaine Par cons quent il d crit au del de la violence inh rente aux rapports de domination l attitude choquante de ceux qui se permettent d exercer leur pouvoir sur plus faibles qu eux en pr tendant justifier leurs comportements par des arguments trompeurs Ainsi l issue de ce face face ne laisse pas douter et l auteur annonce sa le on d s la premi re phrase La raison du plus fort est toujours meilleure La Fontaine 1991 62 Le sort de l agneau est scell d s le d part et bien qu il tente de se d fendre avec des arguments na fs le loup qui agit de mauvaise foi exp die son proc s en le condamnant mort Le bourreau tout au long de son argumentation tente de justifier l ex cution de sa proie en masquant son v ritable motif la faim et en se posant comme victime en exigeant r paration Le loup d ploie donc un argumentaire qui donne lieu un renversement brutal Le pr dateur justifie son envie de
108. et mes grosses chaussures Raser les murs les barri res au sens couper rasoir coupure de la veine et de la chance Rasoir dans les murs de pierre pr nom de mon p re sur cette pierre je b tirai mon glise c est la litt rature je l entaille un mur de livres un mur de lamentations inceste folie homosexualit holocauste d marrer fort mon blouson mes grosses chaussures et mon rasoir Angot 1999a 32 33 Autrement dit tre queer ici devient un moyen de dissoudre les fronti res pour faire appara tre d autres identit s multiples et variables qui d construisent les normes sexuelles sociales et culturelles Colette Saint Hilaire remarque que d ans cette approche la stabilit m me des cat gories homme femme h t rosexuel homosexuel devient probl matique tout comme les mouvements qui pr tendent en faire le fondement de leur lutte 1999 26 De mani re analogue Eve Kosofsky Sedgwick une autre figure importante du mouvement retrace l origine du mot queer l indo europ en werkw qui signifie litt ralement travers 1993 2 Elle sugg re une politique et une th orie qui s laborent travers les identit s les sexualit s les genres et les perversions Bref la th orie queer cherche repenser les identit s en dehors des cadres normatifs d une soci t qui envisage la C est l auteure qui souligne 74 diff rence sexuelle comme la base
109. eur chez l crivaine Nous analyserons plus sp cifiquement de quelle mani re la litt rature mineure exige de l auteure qu elle construise son propre rapport au langage une id e centrale pour Deleuze Dans cet ordre d id es l article de Catherine Mavrikakis bout de souffle Vitesse rage et pornographie Parcours rapide des textes d Herv Guibert et Christine Angot 2002 nous aidera mieux comprendre la pr sence marqu e de la respiration qui insuffle une nouvelle vie l uvre Ensuite nous nous appuierons sur l article d Isabelle Cata et d Eliane DalMolin crire et lire l inceste Christine Angot 2004 pour illustrer de quelle mani re Angot fait de la question de l inceste une pr occupation politique la r p tition de la logique incestueuse que d crie l crivaine devenant un crime collectif qui est le lot de chacun Finalement nous tudierons de quelle mani re l instance narrative chez Angot se d personnalise au point de ne plus renvoyer aucune r alit d passant l existence du texte conf rant du coup une autonomie l uvre Notre d monstration en ce sens prendra appui sur La mort de l auteur de Roland Barthes 1984 Toujours l aide de la proposition de Barthes nous nous pencherons sur le r le de l intertextualit comme un moyen pour l auteure de c der la parole une voix collective Le dernier chapitre sera consacr l tude du roman L
110. exion sur l identit il appara t que la structure de la soci t repose sur l id e d un sujet pleinement constitu unifi et coh rent je je et qu en ce sens la logique sociale bafoue la Loi fondamentale C est dans cette perspective que nous traiterons de l inceste en tant que figure plut t que dans son sens litt ral Dans cet ordre d id es le lecteur r alise rapidement que le r cit de l inceste avec le p re occupe une place secondaire dans le roman En fait L Inceste raconte la rupture amoureuse de la narratrice Christine Angot au terme d une relation homosexuelle passionn e qui appara t comme tant une autre forme d inceste Le roman nous plonge dans un univers de folie o il est difficile de diff rencier le vrai du faux se m langent entre autres les crises d angoisse les d fimtions du Dictionnaire de la psychanalyse 1997 de Michel Plon et lisabeth Rudinesco les paroles de son amante Marie Christine une lettre d avocate l accusant de porter atteinte la vie priv e des gens de son entourage Le roman narr la premi re personne du singulier donne l impression au lecteur d tre mis en contact avec un personnage qui se livre en toute sinc rit Le sujet Angot est fleur de peau comme le traduisent bien les passages o elle confie les moments de crise qu entra ne sa peine d amour la fin du livre l auteure d die une vingtaine de pages tr s condens es au
111. faux elle tait irr elle la litt rature tait vraie r elle La litt rature disait ne vous inqui tez pas je suis l j existe et je suis accessible La soci t tait avec la m re elles parlaient toutes les deux la m me langue La litt rature tait contre leur langue La m re et la soci t croyaient tout conna tre tout savoir tout d crypter D crypter tait interdit tout simplement parce que l inceste tait interdit Angot 2004a 55 56 En somme la langue maternelle occupe un r le central dans la culture d une soci t donn e participant l laboration d une identit collective de ce fait elle remplirait une fonction de normalisation l inverse Angot fait appel un autre registre et parle quant elle un autre langage celui de la litt rature Cette langue de la litt rature Angot 2004a 67 ferait un usage intensif du langage Pour ce faire Angot se r approprie la langue maternelle dominante en marquant un mouvement de la langue vers ses extr mes vers un au del ou un en de r versibles Deleuze et Guattari 1975 41 Plus sp cifiquement un usage extensif du langage fige le sens des nonc s dans leur acception propre ou figur e le langage n existe ainsi que par la distinction et la compl mentarit d un sujet d nonciation en rapport avec le sens et d un sujet d nonc en rapport avec la chose d sign e directement ou
112. fs et n gatifs Dans cette perspective le sujet en suspendant tout jugement cat gorique peut s identifier de mani re changeante selon les circonstances Le premier rendez vous L Esplanade c tait non homosexualit h t rosexualit il y a deux camps Ce terme de camps n est pas appropri gants Retourner comme un gant c est poisseux il faut des gants Angot 19994 52 Ici l crivaine oppose l homosexualit et l h t rosexualit qui sont normalement per ues selon un mod le binaire elle les compar deux camps antagonistes renvoyant l expression selon laquelle il faut choisir son camp Par ailleurs cette fa on de choisir son camp participe des processus d identification du sujet qui se reconna t dans l un ou l autre groupe Revenons un instant la signification de l inceste chez Angot Assez simplement l inceste c est dire Pamour entre deux individus consanguins devient le paradigme de toute rencontre impossible d autant plus que la transgression de cet interdit est s v rement punie par la loi Or c est en adoptant une vision monolithique du sujet que l identit se pr cise et que la transgression de cette limite devient envisageable Toutefois si la construction du sujet est un processus dynamique qui volue constamment celui ci peut alors d velopper de multiples all geances et son identit ne devient plus si clairement assignable Autrement dit s
113. gories de genre Selon Jacques Dubois le but d Angot serait de donner une forme dramatis e et exacerb e au type de r pression qui s exerce le plus commun ment aujourd hui sur les tres Dubois 2002 226 Elle t moigne du fait que les contraintes sociales auxquelles est soumis l individu parmi lesquelles nous retrouvons l h t ronormativit et l identit de genre se manifestent sous des formes sournoises et trompeuses Dans cette perspective son projet se rapprocherait de celui poursuivi par la pens e queer qui vise d construire les identit s sexu es en mettant au jour les m canismes discursifs et normatifs qui les constituent Cependant remarquons que les questionnements et les renversements mis en sc ne dans L Inceste n ont un sens que par rapport une norme dominante Ainsi le sujet est constitu par sa culture qui lui inculque un cadre normatif dans lequel son existence est rendue possible il ne peut donc exister l ext rieur de ce contexte Il appara t au final que l usage que fait Angot de l ironie est un moyen partir d une position int rieure d utiliser le discours dominant pour le retourner contre lui m me 3 3 D passer les limites de la norme de genre 3 3 1 No man s land Il semble que le fait de d construire les identit s homme et femme constitu es par la contrainte l h t rosexualit mette en p ril le sujet Angot Nous avons mentionn au passag
114. i les camps pour reprendre les termes d Angot ne sont plus nettement identifiables la fronti re s affaiblit et il devient impossible de distinguer l un ou l autre groupe L identit appara t ainsi davantage relative tant donn qu elle ne repose pas sur une essence mais qu elle se forme partir d un ensemble de contraintes et d interdits sociaux voil ce que permet de r v ler la figure de l inceste En somme il semble que l crivaine en cr ant des rapprochements improbables d stabilise la notion de sujet et affaiblit la logique binaire dominante 72 3 1 3 Queer I nous semble que l uvre d Angot recoupe plusieurs niveaux la th orie queer puisqu elle s inscrit en faux avec la logique sociale qui reconduit la binarit entre le masculin et le f minin l homosexualit et l h t rosexualit Plus largement nous pouvons avancer l id e que l crivaine poursuit des objectifs semblables ceux du queer dans la mesure o ils s opposent toute forme de contraintes sociales et revendiquent la pleine libert du sujet L Inceste pr senterait dans cet ordre d id es une dimension politique car le roman se veut une critique d un syst me normatif En effet le fait que le sujet Angot rapporte son histoire d amour homosexuel met en place une r flexion sur l h t rosexisme au c ur de laquelle se trouve une remise en question de la notion de sujet Pour mieux comprendre cette
115. id e il faut revenir l mergence du mouvement queer partir de la fin des ann es quatre vingt certaines communaut s LGBT se r approprient le terme par un d tournement parodique et commencent s identifier en tant que queer plut t que gai La r activation du terme queer se fait en r action aux identit s gaie et lesbienne qui cr ent des exclusions au sein m me des communaut s homosexuelles et qui sont consid r es comme fig es ribon 2003 394 Le mouvement queer prend pour principal ennemi l h t rosexisme un syst me de domination qui s appuie sur la hi rarchisation des sexualit s et qui fait de l h t rosexualit la norme universelle Rocchi 2003 243 Sur le plan th orique la pens e queer s inspire en grande partie des travaux de Judith Butler selon qui l identit de genre est une construction performative cr e par le pouvoir it ratif des normes masculine et f minine son avis il n y a pas d identit de genre cach e derri re les expressions du genre cette identit est constitu e sur un mode performatif par ces expressions celles l m mes qui sont cens es r sulter de cette identit Butler 20058 96 Avec Gender Trouble 1990 Butler avance l id e selon laquelle le sexe plut t que d tre un caract re biologique non th orisable sur lequel viendrait se greffer la donn e culturelle du genre serait en fait produit et naturalis dans l
116. identit d viante Le cas de l homosexualit masculine et de la prostitution f minine Le travailleur social vol 56 no 2 t p 54 59 Droit Roger Pol 2004 Michel Foucault Entretiens Paris Odile Jacob 155 pages Dubois Claude dir publ 1982 Langue In Grand Dictionnaire encyclop dique Larousse Paris Larousse Vol 6 p 6123 6125 Dufrenne Mikel uvre d art In Encyclop dia Universalis d 2008 http www universalis edu com article2 php napp 354 amp nref N131041 page consult e le 20 juin 2009 103 Dumont Louis 1971 Introduction deux th ories d anthropologie sociale Groupes de filiation et alliance de mariage Coll Le texte sociologique no 6 Paris Mouton 139 pages ribon Didier 2003 Queer In Dictionnaire des cultures gays et lesbiennes sous la dir de Didier Eribon Fr d ric Haboury et Arnaud Lerch p 393 395 Paris Larousse 2008 tude de la culture du t moignage des femmes et des hommes vivant avec le VIH sida dans les m dias Projet ViHsibilit http www vihsibilite uqam ca projet contexte asp page consult e le I 1 mai 2009 Fichte Johann Gottlieb 1984 Essais philosophiques choisis 1794 1795 Coll Biblioth que des textes philosophiques Paris Vrin 152 pages Flaubert Gustave 1993 Madame Bovary Coll Maxi poche Classiques fran ais Paris Bookking International 351 pages Foucault Michel 1
117. ie ou de ressemblance Saussure 1972 97 103 L usage de la langue repose donc sur une convention culturelle selon laquelle le signifiant et le signifi entretiennent un rapport d obligation structur Cependant J r me Beaujour avec qui elle signe le livre Une Partie du c ur 2004a tente d expliquer dans ses propres mots la mutation qu Angot fait subir au langage de fa on d vier les signifiants de leurs r f rents I a recours un exemple selon l auteure qui rapporte ses propos t r s syncop tr s pr cis tr s logique tr s tarte la cr me aussi de la psychanalyse et du structuralisme mais tr s 6 Cest l auteure qui souligne 20 juste Angot 2004a 69 Ainsi les mots seraient recouverts d une gangue c est dire d une substance sans valeur qui les enveloppe il s agirait du r f rent Pour faire simple il montre qu il existe des cartes g ographiques o les d partements sont color s la Loz re en rose par exemple comme Voyelles de Rimbaud Alors que la Loz re n tait pas rose Elle ne correspondait pas son signifiant le rose Le rose tait d vi de son r f rent le A noir de Rimbaud comme la Loz re tait lui aussi d vi de sa place dans l alphabet Angot 2004a 70 La litt rature pour Angot fonctionne suivant la m me logique alors que la relation entre le signe linguistique et le r f rent est arbitraire celle entre le texte et l
118. ion pourrait aussi bien tre int gr e un texte d Angot qu l article de Darrieussecq en ce qu elle aborde la question de la fronti re entre la fiction et la r alit M me si les demandes de la p tition touchent directement des enjeux chers Angot celle ci refuse de la signer expliquant qu elle ne serait pas pr te crire une phrase dans un roman qui ne serait pas diffamatoire Angot 1999c 8 Plus qu une simple boutade il nous semble qu Angot refuse de signer parce qu elle s objecte au fait que les auteurs de la p tition prennent comme position que les propos reproch s ne sont pas diffamatoires alors qu elle revendique haut et fort le droit de tout crire m me ce que certains consid rent diffamatoires Parce qu il s agit de fiction et qu elle consid re que la r alit et la fiction constituent deux univers distincts m me s ils sont limitrophes elle revendique la libert la plus compl te d crire ce qu elle veut Provocatrice l auteure s amuse brouiller la fronti re entre la r alit et la fiction afin d amener le lecteur s interroger sur la limite qui divise ces deux univers 18 1 1 3 La fin du r f rent En 2004 Angot publie un autre texte dans lequel elle se penche sur sa pratique d crivaine Une Partie du c ur est d abord et avant tout une r flexion sur la nature du texte litt raire L crivaine y emprunte l all gorie de l agneau
119. is qu il transcende les cultures car l inceste d stabilise la cellule familiale qui se trouve la base de la structure sociale Ainsi c est le parent plus g bien qu il soit cens prot ger ses cadets qui brise le lien de confiance qui unissait les membres de la famille en transgressant l interdit de l inceste Balandier 1984 12 18 Cependant Angot ne r duit pas sa compr hension de l inceste son acception classique si tel tait le cas les critiques auraient bien raison de traiter son travail comme s il s agissait d un t moignage Elle en largit plut t la d finition de fa on en faire le paradigme de diff rentes formes de violence qui demeurent invisibles bien qu elles soient continuellement perp tr es sous les yeux de tous de la m me mani re que l inceste est normalement v cu dans l intimit de la cellule familiale La lecture que fait Jacques Dubois de L Inceste corrobore aussi notre hypoth se Mais si bien que c est de plus en plus d une figure qu il s agit c est dire d une repr sentation d cal e Tout en gardant sa port e d exp rience de vie l v nement va de plus en plus prendre une valeur largie renvoyer d autres faits et s lever au statut d all gorie de toute violence ressentie Dubois 2002 225 Angot ne nie donc pas l inceste commis avec son p re mais elle transpose cette image tr s charg e sur le plan motif diverses f
120. iser la vie des autres son propre profit la litt rature et la r alit jouant dans deux sph res diff rentes Afin de faire comprendre son point de vue elle s appuie sur la c l bre phrase je est un autre qui r sume bien l ensemble de son projet litt raire Pour tout dire Angot rappelle que le sujet n est pas celui qu il croit tre et qu il n est pas ma tre de soi comme il le pr tend Cependant m me si le mot de Rimbaud semble un lieu commun et qu en th orie les gens admettent ais ment que je est un autre la structure sociale les comportements et les attitudes des gens plus grande chelle et leur fa on d aborder une uvre litt raire plus petite chelle repose sur l id e voulant que l identit co ncide avec elle m me En d autres termes Angot d nonce donc l attitude hypocrite de la soci t qui m me si elle pr tend reconna tre le fait 7 Pour crire ce roman Angot dit s tre inspir e de plusieurs personnes de son entourage particuli rement d un ami cin aste avec qui elle d jeunait r guli rement Au moment de la publication du livre l pouse de lami reconna t dans certains passages peu flatteurs leur vie priv e Plusieurs personnalit s du monde du cin ma signent une p tition qu ils font parvenir certaines librairies et qui les incite ne pas commander le livre Ces moyens de pression tomberont plat mais Angot perd travers cette histoire son
121. ix sous la dir de Nathalie Morello et Catherine Rodgers p 47 62 Amsterdam Rodopi Ferniot Christine 1999 Cette fille est dangereuse Lire septembre http www lire fr critique asp idC 33793 idR 218 idG 3 page consult e le 11 f vrier 2009 Granger Alice propos de L inceste Christine Angot Exigence Litt rature http www e litterature net publier2 spip spip php page ancientxt amp cel amp repert alice amp titre angot2 amp num 182 amp id auteur 1 amp crit Alice 20Granger page consult e le 11 f vrier 2009 Guichard Thierry 1997 En litt rature la morale n existe pas Le Matricule des Anges no 21 novembre d cembre http www Imda net mat MATO2127html page consult e le 1 1 f vrier 2009 Jacob Arnaud 1999 Les archives 99 Sujet Angot Fluctuat net http www fluctuat net livres paris99 chroniq sujetan htm page consult e le 7 octobre 2005 Jenny Laurent 2003 L autofiction M thodes et probl mes Universit de Gen ve D partement de Fran ais moderne http www unige ch lettres framo enseignements methodes autofiction afsommar html 100 Jourde Pierre 2002 140 000 francs pour Christine Angot Appel solennel In La Litt rature sans estomac p 69 83 Coll L alambic Paris Esprit des p ninsules 333 pages Mavrikakis Catherine 2002 bout de souffle Vitesse rage et pornographie Parcours rapide des textes d Herv Guibert et
122. la contrainte t he I neither precedes nor follows the process of this gendering but emerges only within and as the matrix of gender relations themselves Butler 1993 7 Cons quemment la lib ration du sujet ne peut se fonder sur des strat gies de nature identitaire s e lib rer exigera plut t de d loger de leur fondement m taphysique ces cat gories qui organisent la production des sujets sexu s et les inscrivent dans les limites du phallocentrisme et de la contrainte l h t rosexualit Saint Hilaire 1999 27 Plut t que de chercher se lib rer de la contrainte l h t rosexualit la pens e queer propose d opposer une r sistance l h g monie h t rosexuelle en adoptant certaines contre pratiques ou contre discours En ce sens Marie H l ne Bourcier principale figure du mouvement queer fran ais est d avis que l approche queer se fonde sur l id e que les instruments que l on a sa disposition pour contrer le r gime h t rosexuel viennent de l h t rosexualit Bourcier 2001 188 C est donc de l int rieur qu il faut combattre le syst me h t ronormatif en le retournant contre lui m me 75 3 2 D construire homosexualit 3 2 1 L arme de l ironie Angot d veloppe travers son uvre une s rie de strat gies de subversion des discours dominants et en particulier l ironie Dans Le Carquois de velours 1998 Lucie Joubert mon
123. la sociologie des rapports sociaux de sexe Recherches sociologiques Rapports sociaux de sexe no 3 p 23 42 Sartre Jean Paul 1948 Qu est ce que la litt rature Coll Id es NRF no 58 Paris Gallimard 374 pages Saussure Ferdinand de 1972 Cours de linguistique g n rale Coll Grande biblioth que Payot Paris Payot 520 pages Schaeffer Jean Marie 1992 L Art de l ge moderne L esth tique et la philosophie de l art du XVIII si cle nos jour Gallimard Paris coll NRF Essais 1992 Sedgwick Eve Kosofsky 1993 Tendencies Durham NC Duke University Press 281 pages Taylor Charles 1989 Foucault la libert la v rit In Michel Foucault Lectures critiques sous la dir de David Couzens Hoy p 85 120 Coll Le point philosophique Bruxelles De Boeck Veyne Paul 2004 Une conception nouvelle de la v rit In Le Monde Paris 19 20 septembre p IV Von Schelling Friedrich Wilhelm Joseph 1989 The Philosophy of Art d de Douglas W Stott Coll Theory and history of literature no 58 Minneapolis Minn University of Minnesota Press 342 pages Walker Nancy A 1990 Feminist Alternatives Irony and Fantasy in the Contemporary Novel by Women Jackson Miss University Press of Mississipi 220 pages Winkin Yves Interactionnisme symbolique In Encyclop dia Universalis d 2008 http www universalis edu com article2 php napp 4
124. lidariser ma m re de moi En 72 loi sur la filiation ils avaient essay en me faisant changer de nom et prendre celui de mon p re mais selon le principe des vases communicants l inceste avec mon p re s tait alors produit annulant leur tentative vou e l chec et J tais encore rest e solidaire de ma m re Angot 2004a 52 53 26 Nous remarquons donc que cette relation tend effacer les diff rences entre la m re et la fille les deux individus regroup s sous le m me nom et dans la continuit d une existence commune Sublimer tout Au lieu de rester coinc dans l tat civil dans l histoire biographique dans la m re dans la merde Puisque Je est un autre et que l inceste est interdit encore une fois Angot 2004a 53 54 Parall lement Angot va jusqu prendre dans la relation incestueuse avec le p re la place de la m re la fille devient le double de la m re ce qui m ne la confusion du p re qui ne peut les distinguer l une de l autre Tu as la peau tr s douce comme ta maman Angot 19994 209 lui dit il entre autres choses Angot a donc franchi la limite entre m re et fille voil ce qui serait incestueux et aurait men jusqu l inceste r el commis avec le p re dans l inceste il n y a pas de dialogue puisque la m re et la fille sont une seule et m me personne il n y a rien dire un m me corps bafouant la r gle Je est un
125. livre c est rare Pour ou contre une personne et c est moi pour ou contre moi Si pour ou contre une personne ce n est pas un vrai sujet romanesque alors je change de m tier Angot 2000 14 commente t elle ironiquement C est cette controverse entourant L nceste qui convainc Angot que la vie est devenue insoutenable Montpellier et qu il lui faut quitter la ville Mais si on s en permet tant avec Christine Angot c est qu on a l impression de la conna tre travers ses prestations la t l vision et son t moignage de l inceste Effectivement Domeneghini soul ve le fait que c est sans doute I e th me du livre qui entra ne ces libert s prises l encontre de la plus banale biens ance puisqu elle d balle tout disent ils alors on va la juger elle Pas l crivaim mais la femme http ecrits vains com critique domeneghinil2 htm Suivant cette logique il semblerait que le lecteur se soit laiss prendre au pi ge que l crivaine semblait justement vouloir viter que c e livre soit pris comme une merde de t moignage Angot 1999a 171 Car pour Angot 1l est d abord question de litt rature Quitter la ville serait donc une r ponse ceux qui n ont pas compris L Inceste et qui lont r duit une histoire sentimentale et personnaliste alors qu il s agit v ritablement d une uvre litt raire Dans le roman L nceste Angot cultive les paradoxe
126. llectifs dans un mouvement qui ram ne le personnel au politique Angot quant elle est d avis que son histoire concerne la soci t dans son ensemble Je suis un cas social Alors qu on arr te de dire que dans la litt rature fran aise il n y a plus de peinture sociale Pour encenser par comparaison la litt rature am ricaine Qui date pour moi du XIX si cle Angot 1999 46 47 Nous pourrions donc dire en empruntant les mots de Deleuze que le roman L inceste d couvrle sous les 53 apparentes personnes la puissance d un impersonnel qui n est nullement une g n ralit mais une singularit au plus haut point Deleuze 1993 13 Aussi lorsqu on reproche Angot de ne parler que d elle m me il semble que nous ayons tendance nous limiter un niveau de lecture strictement repr sentatif Comme nous l avons mentionn plus t t plusieurs critiques litt raires et personnalit s de la sc ne culturelle consid rent le travail d Angot comme gocentrique Cependant nous pouvons comparer le travail d Angot un entonnoir de son histoire personnelle mergent des pr occupations beaucoup plus vastes qui questionnent les rapports de pouvoir qui sous tendent la vie en soci t Notre point de vue recoupe ainsi celui de Jacques Dubois selon qui cle discours qui se circonscrire la sph re de l intimit d nie le politique se projette vers le politique comme immanqu
127. n L nceste semble effectivement tre compos d une suite d attentats avort s qui visent tous un but commun la mise mort du sujet Angot de l auteure et du personnage Cela maintient le lecteur au fil de sa lecture dans une zone d inconfort D ailleurs Deleuze attire notre attention sur la dimension presque inqui tante de la litt rature mineure qui selon lui dote l criture d un v ritable pouvoir r volutionnaire Angot serait donc cette crivaine qui pose des mines l int rieur de la langue mais surtout de la convention litt raire Ruffel 2000 http www chao d com numero01 articles notion _ mineur htm Serait ce d ailleurs cet aspect de son travail qui a donn l id e Jacques Dubois 44 d intituler son tude de L Inceste Angot ou la gu rilla litt raire 2002 Dans tous les cas selon Deleuze cl est seulement ce prix le prix de cette mise en danger perp tuelle que la litt rature devient r ellement machine collective d expression et se fait apte traiter entra ner les contenus Deleuze et Guattari 1975 33 34 En somme la langue dominante r duit la litt rature un art strictement repr sentatif tandis que la litt rature mineure ouvre la voie de nouvelles formes d expression autrement plus cr atives Selon Deleuze et Guattari l criture d une litt rature mineure se rapproche du travail de Partisan car dans les deux
128. n en mettant des jugements de valeur tout en laissant sous entendre ce qu elle pense r ellement Hier je disais X Eustache tu m excuseras c est mieux que Nadine Casta Elle que c tait diff rent je r pondais oui comme l homosexualit toujours le m me argument Et elle tu dis vraiment n importe quoi Mais j insistais Modiano c est mieux que Rouaud Eustache que Nadine Casta l h t rosexualit que l homosexualit les m decins que les ouvriers Angot 1999 45 Encore une fois l auteure emprunte ici la logique aristot licienne afin de la subvertir Dans une suite de comparaisons elle met exag r ment l accent sur la sup riorit d un terme sur l autre faisant transpara tre son opposition par rapport la pens e dominante Au total 1l ne s agit l que d une des nombreuses m thodes qu emprunte Angot afin de subvertir l h g monie du discours social 3 3 2 Retourner le stigmate contre les autres Angot se pla t galement mettre mal de nombreux st r otypes qui se rapportent l homosexualit Elle met de l avant le fait que plusieurs identit s sexuelles qui d rogent la norme binaire ont t longtemps per ues comme des d viances par la science T8 Perversion Terme d riv du latin pervertere retourner employ en psychiatrie et par les fondateurs de la sexologie pour d signer tant t de fa on p jorative tant t en les valorisant
129. ndirecte en entretenant une culture du silence Pour reprendre une id e que nous avions avanc e dans le premier chapitre il appara t que l interdit de l inceste serait continuellement transgress bien que l ensemble de la soci t s acharne nier ses infractions la Loi fondamentale Angot quant elle fait le choix conscient de d noncer l hypocrisie qui entoure cette question taboue Pire encore Isabelle Cata et Eliane DalMolin soul vent le fait que le public prend un plaisir malsain entendre ce genre d histoires scabreuses Le lecteur est habit par le d sir voyeur de faire son tour l exp rience de l inceste Le projet d Angot est clair et l inceste qui en fait grande partie est bien un objet social comme tant d autres L inceste appartient tout le monde mais crire l inceste ou plut t crire autour de l inceste devient la r ponse de choix pour l crivaine qui r agit avec force contre la soci t qui en a fait un article de spectacle populaire et convoit Cata et DalMolin 2004 90 55 La pipolisation des m dias qui consacrent une part toujours plus importante la vie priv e de personnalit s connues du grand public encourage la curiosit du spectateur qui est la recherche d histoires br lantes Les journaux les magazines et les missions de divertissement ont d ailleurs particip cr er une bulle m diatique autour de l uvr
130. ne c est une personne Angot 2000 158 La puissance de cet impersonnel r v le un peuple qui prendrait le je est un autre de Rimbaud comme Loi fondamentale et admettrait par le fait m me l interdit de l inceste au sens o l entend Angot Au final en d construisant le r f rent admis du je pour en faire un je pluriel et collectif les romans d Angot laissent poindre ce 10 Ce sont les auteurs qui soulignent 60 peuple venir et fait entendre les multiples voix qui le composent dans leur singularit la plus profonde 2 3 2 Intertextualit l Autre en soi En recourant au proc d de l intertextualit Angot invite diverses voix habiter son univers textuel Bri vement l intertextualit r f re au fait que l on retrouve plusieurs uvres l int rieur d un texte que cela soit implicitement ou explicitement L intertextualit appara t ainsi comme un moyen de fragiliser une conception monolithique du sujet lequel s exprimerait de mani re assur e En effet l nonciation cesse d appartenir seulement son auteur et devient collective du fait qu une vari t de paroles sont r unies pour former le corps du texte David Ruffel soul ve aussi ce trait caract nstique Angot pratique une litt rature du sujet et de son inscription dans le texte mais en m me temps la faveur d une nonciation r solument plurielle aucun de ses romans n est crit une se
131. ns cette ambigu t M me si elle semble cr er un rapprochement entre la r alit et la fiction ce n est que pour mettre l accent sur leur diff rence irr ductible Bien que le lecteur ait l impression que les deux se m langent tout se passe comme si l crivaine rigeait un mur transparent excessivement mince mais si haut et si large qu il est impossible de passer au del Rapportant les commentaires d une lectrice Angot dit Vous rigez un mur une paroi de verre transparente mais infranchissable tout en vous exposant Vous montrez brutalement vous n invitez pas voir vous n esquissez aucun geste d accueil Angot 1999a 58 Cette image revient plusieurs reprises lorsque l auteure cherche expliquer son projet d criture Par exemple dans une entrevue donn e la revue Le Matricule des Anges elle r v le que l criture est la seule chose qu elle partage avec son personnage Tout ce que tu peux faire c est tre adoss et le personnage qui te repr sente peut aussi tre adoss Le mur c est l criture C est le seul point d attache r el entre moi et ma narratrice Ce mur permet de conserver la loi emp cher la transgression Il faut que la litt rature soit diff renci e de la r alit Il faut qu il y ait un mur et solide Guichard 1997 htip www Imda net mat MATO2127html En r sum l crivaine ne cesse de r p ter sur un ton cat gorique fiction r alit
132. nt tait un monstre force d unions d g n r es Angot 19994 63 Avec cette image choquante Angot cherche d construire le pr jug selon lequel le couple homosexuel est une relation contre nature en exag rant ce qui demeure implicite dans l homophobie latente du discours dominant Cette image a aussi pour effet de questionner le lien naturel entre la f minit et la maternit lien tabli par la science et le syst me h t ronormatif L crivaine d ploie des strat gies de subversion similaires lorsque ce genre de situation se r p te dans les jeux de L onore 8 L onore a une copine Clara autoritaire qui veut tre la maman toujours Elle se d p che elle le dit vite L onore ce qui lui reste elle me raconte a moiti en pleurant au mieux c est d tre la deuxi me maman Et elle n a pas le droit d avoir d enfant un petit chat ou un petit chien c est tout J en suis malade J ai vraiment t pendant trois mois hors de moi Angot 19994 25 26 Angot montre ainsi quel point le genre et la sexualit sont des constructions sociales int rioris es d s le plus jeune ge et transmises travers la socialisation les enfants r p tant les m mes comportements que ceux des adultes Elle r fute donc l hypoth se d une identit ou d une nature homosexuelle Ce serait un moyen de mettre en vidence la fluctuation de son orientation sexuelle qui selon Sylvie Mongeon est ce
133. nt assignable il ne peut pas non plus occuper une position claire d oppresseur ou d opprim sa position toujours en mouvement oscille plut t entre ces deux p les Ainsi le p re n est pas d peint de fa on manich enne Je ne cherche pas l accuser Les monstres existent seulement dans les contes Je ne cherche ni l accuser ni l excuser Il n y a qu une chose qui compte la marque Et il m a marqu e Angot 1999a 207 208 Cette marque elle la porte d abord depuis l ge de quatorze ans quand elle a pris le nom de son p re avec la loi sur la filiation Angot 1999a 179 180 Sa m re organise alors une rencontre afin que l adolescente puisse faire la connaissance de son p re au Buffet de la gare Strasbourg La jeune fille est charm e sa m re lui r pond tu vois que je ne suis pas all e te chercher n importe qui comme p re Angot 1999a 168 Christine pour sa part semble heureuse d avoir enfin trouv le p re qu il lui manquait le p re quant lui forc par la loi de reconna tre sa paternit offre une r action beaucoup plus mitig e La rencontre suivante G rardmer 89 marquera le d but d une longue relation incestueuse qui s tendra sur plus de dix ans Pour le p re il semble qu enfreindre l interdit de l inceste soit l ultime fa on de renier son enfant et de refuser son statut de p re Leurs rencontres d ailleurs ressemblent da
134. nt plus les m mes tu sais je taime moins qu avant On a rendez vous trois heures Pour deux heures C est vrai que tu m aimes moins qu avant J ai dit a parce que je taime plus qu avant Ah oui c est la logique Angot ah oui t as raison Angot 1999a 87 N oublions pas aussi le point de vue de Judith Butler pour qui le sujet d centr ne peut que livrer un r cit de soi marqu par un ensemble de fu qui serait profond ment ancr en lui son insu Butler 20054 74 75 Suivant cette logique un texte n a pas d auteur unique et son sens serait davantage chercher du c t du lecteur C est d ailleurs ce que veut dire Barthes lorsqu il parle de La mort de l auteur un texte est fait d critures multiples issues de plusieurs cultures et qui entrent les unes avec les autres en dialogue en parodie en contestation mais 1l y a un lieu o cette multiplicit se rassemble et ce lieu ce n est pas l auteur comme on l a dit jusqu pr sent c est le lecteur le lecteur est l espace m me o s inscrivent sans qu aucune ne se perde toutes les citations dont est faite une criture 1984 69 En d autres mots la signification d une uvre ne d pendrait pas de son auteur elle serait le r sultat de l interpr tation du lecteur qui r actualise chaque nouvelle lecture son interpr tation selon son propre cadre de r f rence Angot est claire ce sujet
135. nt r pandus des jeux de mots ou des glissements de langage ne sont pas anodins puisque de l avis de Dubois ces proc d s stylistiques poursuivent une vis e de d nonciation Fortement scand par ses r p titions et ses formules crit sur un ton provocant de bagout trivial indiquant que la le on de C line n a pas t perdue pour tout le monde le pr sent soliloque mais tout le texte n est qu un long soliloque frappe sur un seul clou la violence symbolique que g n re le social Mais elle le fait avec une verve d nonciatrice qui semble emporter dans le m me flux les l ments les plus disparates associ s par analogies l emporte pi ce la famille restreinte et la grande famille chr tienne l heure de No l par jeux sur les mots la b che et le b cher et sur les formules st r otyp es motiv s motiv s et si tous les gars du monde Et c est comme si la locutrice en avait toute une culture clat e qui travers la mosa que de ses av nements ne faisait jamais qu en revenir toujours par le biais la m me logique destructrice Dubois 2002 228 ce sujet Marie Claude Lambotte soul ve le fait que l ironie a partie li e avec le mot d esprit ce dernier provoquant pour Freud un gain de plaisir Lambotte 2008 http www universalis edu com article2 php napp 8004 1 amp nref T231905 Ainsi Claude qui la taquine quant aux nombreux jeux de mots qui pars ment s
136. ntrale dans l laboration du sujet Angot Mongeon 2004 22 Nous pouvons dire que la logique Angot plut t que de concevoir les choses selon un mode dichotomique en cr ant une opposition les comprend comme un continuum D j dans les ann es cinquante Alfred Kinsey 1998a 1998b labore son chelle pour expliquer que l homosexualit et l h t rosexualit ne sont pas deux orientations sexuelles mutuellement exclusives mais qu il s agit plut t d un continuum Il nonce ainsi la bisexualit fondamentale de l humain les cat gories de l h t rosexualit et de l homosexualit deviennent beaucoup moins herm tiques que ce qui avait longtemps t cru Angot note m me le fait qu il s agit d une notion fondamentale en psychanalyse La bisexualit est humaine Elle existe l tat latent chez tous les h t rosexuels Freud le disait d j en 1920 1999 147 En plus de nous amener comprendre le sexe le genre et l orientation sexuelle comme des continuums Angot montre comment ces trois concepts sont li s de fa on complexe Cette id e est centrale dans les travaux de Judith Butler Selon cette derni re le sexe le genre et le d sir h t rosexuels sont naturalis s l int rieur de la matrice h t rosexuelle de telle mani re qu ils apparaissent naturellement coh rents s 1 l appartenance un certain genre n implique pas n cessairement que le d sir prenne une direction
137. ntree litteraire Le Monde vote pour Christine Angot a90612 html page consult e le 18 mars 2009 Vignale Fr d ric 1999 qui l Angot Le Matricule des Anges 29 octobre http www Imda net ecritures vignalangot html page consult e le 10 juillet 2005 Vincent Denise Regard pos sur L Inceste de Christine Angot F miWeb http www femiweb com regard angot regard htm page consult e le 8 f vrier 2009 101 Corpus th orique Akoun Andr Soci t In Encyclop dia Universalis d 2008 http www universalis edu com article2 php napp 8 1456 amp nref Q163261 page consult e le 23 mars 2009 Austin John Langshaw 1991 Quand dire c est faire Coll Points Essais no 235 Paris Seuil 202 pages Balandier Georges 1984 Le sexuel et le social Lecture anthropologique Cahiers internationaux de sociologie Le sexuel vol 76 janvier juin p 5 19 Barthes Roland 1982 L effet de r el In Litt rature et r alit p 81 90 Coll Points Essais no 142 Paris Seuil 1984 La mort de l auteur In Le Bruissement de la langue Essais critiques IV p 63 69 Coll Points Essais Paris Seuil Texte th orie du In Encyclop dia Universalis d 2008 http www universalis edu com article2 php napp 36280 amp nref R172671 page consult e le 19 avril 2009 Benveniste mile 1966 Probl mes de linguistique g n rale Coll
138. ocial 2002 229 Et ce serait justement l le caract re le plus novateur de l uvre d Angot prenant dans une perspective queer la sexualit comme point de d part de sa r flexion l crivaine met en lumi re de quelle fa on la soci t construit l gitime et contr le certaines pratiques sexuelles consid r es comme d viantes Toutefois ces sexualit s dites marginales l exemple le plus vident tant celui de l homosexualit qui bien qu elle soit aujourd hui de plus en plus accept e continue d tre stigmatis e Gai coute Fondation mergence 2009 http www homophobie org ont le pouvoir de perturber le mode de production de l identit largement normatif en mettant au jour les failles intrins ques du discours dominant Par ailleurs il nous para t important de souligner la diff rence fondamentale entre l homosexualit et l inceste l inceste demeurant une pratique sexuelle criminalis e Dans le cas qui nous int resse ici l interdit de l inceste et les lois qui en d coulent montrent clairement la limite entre ce qui est acceptable et ce qui ne l est pas aux yeux de la soci t et deviennent par le fait m me le symbole du tabou supr me En enfreignant cet interdit le sujet Angot renonce donc son propre statut de sujet en refusant de se conformer l identit femme traditionnelle que sous tend l ensemble des pratiques de sa soci t andro h t rocentrique
139. ohib par la loi propre chaque soci t Angot 1999a 131 Cependant si la d finition qu elle choisit d inclure ne fait aucune r f rence la violence l inceste d un point de vue f ministe est toujours reli la question du pouvoir Cette lecture de l inceste serait d ailleurs celle qui est couramment accept e comme nous l avons mentionn dans le premier chapitre La compr hension de l inceste s largirait ainsi tout acte connotations sexuelles commis par un adulte profitant d une situation de confiance avec un enfant qui est incapable de refuser par ignorance ou cause de son ge ou du contexte entourant la relation CALACS http www lumiereboreale qc ca wmfichiers Inceste pdf Bien qu Angot n adopte pas une posture d nonciatrice il ne faudrait pas penser non plus qu elle cautionne cette relation Elle r alise tout de m me le fait que son p re a injustement abus d une situation de pouvoir Je me suis rendue compte qu il ouvrait la marche dans mon corps en propri taire bien apr s Angot 1999a 194 Cependant elle brosse un portrait beaucoup moins tranch de sa situation l un et l autre des personnages ayant tant t le dessus et tant t le dessous sur les v nements Comme elle le dit Tout peut toujours se retourner 1999a 147 Cette situation peut s expliquer par le fait que le sujet Angot ne poss dant pas une identit claireme
140. on 2C d 26eacute 3Bfinition s On consid re ainsi le monde fictionnel comme n tant ni vrai ni faux celui ci ne r f re pas des r alit s objectives et ne r pond pas aux crit res g n raux du discours celui que nous utilisons quotidiennement pour communiquer avec les autres qui doit attester de la v rit des repr sentations qu il met en sc ne La fiction propose un monde possible qui bien qu il partage des liens parfois assez t nus avec la r alit parvient tout de m me par une imitation ressemblante vraisemblable ou par d calage fabriquer du sens Gefen 2007 http www fabula org atelier php La fiction 2C d 26eacute 3 Bfinition s Centrale au concept de litt rature mineure labor par Gilles Deleuze 1975 1993 on retrouve l id e selon laquelle l uvre litt raire serait une machine de guerre r volutionnaire capable d inventer un peuple venir L uvre de Christine Angot serait mineure tant donn qu elle s crit en r action au discours dominant l crivaine plus que tout cherche cr er une br che dans l id ologie collective pour faire ressurgir une nouvelle r alit La figure de l inceste est donc li e au syst me dominant puisqu il r duit l individu au sujet cart sien L criture d Angot recoupe de plusieurs autres mani res la notion de litt rature mineure Nous verrons par l entremise des trois principaux crit res que d finissent Deleuze et
141. on Butler flor such a stand it seems the very livability of the subject resides in its narrativizability Butler 2005a 79 Transparent lui m me le sujet doit tre capable de raconter son histoire personnelle son pass ses racines pour justifier son existence pr sente Cependant le sujet ne peut rendre compte de soi de fa on absolument transparente son avis t he T ruins its own story contrary to its best intentions Butler 2005a 67 En effet se soustraient non seulement les v nements qui ont pr c d l av nement de la m moire du je mais aussi les normes sociales qui le rendent lisible aux yeux de la soci t Butler 2005a 78 I Le titre original du livre Giving an Account of Oneself est beaucoup plus parlant que sa traduction fran aise intitul e Le R cit de soi Alors que le titre anglais si on le traduit de fa on litt rale signifie rendre compte de soi m me ce qui peut r f rer tout type de discours prononc dans divers contextes le titre fran ais semble renvoyer plus directement une forme crite de r cit de s01 Ce qui notre avis pourrait porter confusion Nous utiliserons le terme r cit de soi pour la suite de la d monstration mais nous voudrions insister sur Je fait que Butler ne parle pas sp cifiquement de discours litt raire mais bien de toute forme de discours se rapportant au r cit de SOI 30 It will be necessa
142. ons que peu importe sous quel angle le lecteur aborde son uvre qu il s agisse d un t moignage ou d un coup marketing son interpr tation est toujours ramen e la personne de Christine Angot qui serait la fois auteure narratrice et personnage de ses romans Christine Angot a elle m me cit cette expression lors d un entretien elle l attribue au Journaliste et romancier Christophe Donner 12 la lumi re de ce que nous venons de dire il n est pas surprenant que le lecteur reconnaissant les conditions essentielles au pacte autobiographique soit port lire L Inceste en reliant l histoire racont e la vie de l auteure En effet Philippe Lejeune attire notre attention sur le fait que pJour qu il y ait autobiographie et plus g n ralement litt rature intime il faut qu il y ait identit de l auteur du narrateur et du personnage 1975 15 Aussi le lecteur de la m me mani re que bon nombre de critiques interpr te t 11 le roman comme un d voilement total et autobiographique sans aucun art sans aucun mensonge sans aucune distance par rapport sa vie priv e Cata et DalMolin 2004 95 Ainsi bien que le lecteur croit lire le r cit que fait l crivaine de sa vie cette explication ne tient pas compte des nombreux commentaires m tatextuels qui doivent guider la lecture et in luctablement le pousser comprendre qu il s agit bien de fiction Par
143. onstamment qu il existe un mur entre fiction et r alit Angot 19998 25 de l autre elle s emploie faire croire au lecteur que son r cit est v ridique En entrevue elle explique de quelle mani re elle d joue les attentes du lecteur afin de mieux servir son projet litt raire Dans la litt rature on part avec l id e que tout est mensonge et une fois plong dans le livre on prend tout pour acquis Moi je fais le contraire je dis tout est vrai mais ne prenez rien pour acquis Guichard 1997 http www Imda net mat MATO2127html Partant de ce fait elle met en place une s rie de dispositifs litt raires qui permet au lecteur d adh rer la fiction cr ant ce que Barthes appelle l effet de r el 1982 89 Car selon Barthes les histoires que racontent les livres n ont pas besoin de rapporter des faits av r s mais elles doivent tout le moins en donner l impression au lecteur Voil qui serait m me aux yeux d Angot le but premier de la litt rature Il faut faire en sorte que le lecteur croie en la v racit de tout a Qu il soit persuad que la plus grande part s est r ellement pass e c est le but essentiel de toute cr ation litt raire Convaincre le lecteur de l authenticit de toutes nos inventions litt raires La litt rature n a pas d autre but 19998 26 Or tandis que le concept d effet de r el l origine permet de justifier certains l ments
144. onventions sociales culturelles linguistiques litt raires etc mais elle va aussi plus loin en proposant une nouvelle litt rature de la subversion qui gr ce la pr sence sensible du corps et du souffle qui donne vie au texte prend une dimension r volutionnaire Cette litt rature du corps serait rendue possible gr ce un usage subversif du langage En effet diff rents niveaux de langage discours rapport s de mani re directe ou indirecte histoire et r cit r flexions m tatextuelles sur la nature m me de l crit etc se succ dent dans L inceste Cette mise en sc ne du r cit entra ne selon Sylvain Marcelli une d personnalisation de l instance narrative Pour marquer ce d calage qui transforme l acte de t moigner en acte litt raire Christine Angot allume des contre feux dans son texte Ne se cantonnant jamais au simple r cit des v nements elle les commente les malaxe les triture les r p te passage au second degr Mais ce discours qui transcende le r cit est lui m me mis en sc ne comment malax tritur repris Les livres de Christine Angot sont des puits sans fond Incroyablement construits ils sont qualifi s dans Sujet Angot de miracle de d sorganisation logique Plusieurs motifs sont utilis s motifs de r p tition de contradiction d inversion qui cr ent un style syncop bouscul obsessionnel et obs dant 2001 http www interdits net 2001
145. ormes quotidiennes de violence Jacques Dubois poursuit Ainsi le travail du texte va consister mettre au jour des doubles affaiblis de la grande figure terrifiante et mythique de l inceste Il s attachera de la sorte voquer des formes diffuses de r pression et de violence li es aux comportements humains les plus communs un rendez vous une interview une conversation t l phonique Il s agit de menus empi tements sur la vie intime que la plupart des gens ne ressentent sans doute pas comme tels mais qui sont les marques de la violence de l Autre 2002 225 8 C est l auteur qui souligne 25 C est cette relecture de l inceste en tant qu all gorie qui permet au roman de s loigner du r cit intime pour poser des questions plus vastes sur la nature du lien social qui unit les individus et qui selon Angot serait toujours incestueux Dans cette perspective Angot explique les principes sous jacents l inceste qui m me s il est condamn continue d tre perp tr sous d autres formes plus symboliques Mais que nous parlions de l inceste au sens litt ral ou figur il n en demeure pas moins qu il appara t comme une fa on pour un individu d imposer ses propres d sirs l autre C est en ce sens que Jacques Dubois parle de petites atteintes la vie priv e 2002 225 Cela revient dire que alors que l inceste est interdit les individus reproduisent tout
146. ources mercredi 3 juillet 2002 http www larevuedesressources org spip php article77 amp PHPSESSID 6fe57b2f 17 f311c68aac80bb17df10 Christine Ferniot Cette fille est dangereuse Lire septembre 1999 http www lire fr critique asp idC 33793 1dR 218 1dG 3 Arnaud Jacob Les archives 99 Fluctuat net 1999 http www fluctuat net livres paris99 chroniq sujetan htm Sylvain Marcelli Un m lange incestueux L Interdit f vrier 2001 http www interdits net 200 1 fev angot htm Marianne Payot Bye bye la provoc L Express 23 ao t 2004 http livres lexpress fr critique asp idC 8880 amp idR 9 amp idTC 3 amp idG 3 R gis Soubrouillard Rentr e litt raire Le Monde vote pour Christine Angot Marianne 2 30 ao t 2008 http www marianne2 fr Rentree litteraire Le Monde vote pour Christine Angot a90612 html sur eux m mes qui ne contribuaient pas v ritablement explorer les grands probl mes du monde Morello et Rodgers 2002 27 Au total on a tant accus l crivaine de nombrilisme qu un critique aurait m me invent l adjectif angotcentrique Faerber 2002 48 pour qualifier son travail Cependant bien que plusieurs consid rent L Inceste comme un r cit intime le roman est la plupart du temps compris comme un coup marketing Au moment de sa sortie Stock minutieusement pr pare le terrain si bien que son diteur Jean Marc Roberts invite les m dias suivre la pr p
147. qui se poss de mais une relation qui s exerce et il n est pas l apanage des poss dants ou des dominants surtout il ne s exerce pas sur un mode majoritairement r pressif mais productif on oblige faire on cadre plus qu on n interdit de faire Bourcier 2001 182 Dans cet ordre d id es s il est impossible de se lib rer totalement de ces relations de pouvoir l individu peut tout le moins exercer une r sistance face au syst me normatif et trouver de nouvelles mani res de concevoir ce qui constitue une action politique Du coup les diff rents conflits apparaissent moins clairement car chaque individu peut tre la fois dominant et domin selon la situation il n y a plus choisir entre une cat gorie et une autre il est d sormais possible de s identifier de fa on plurielle Lamoureux 2005 94 Bref cette compr hension du pouvoir diffus et localis permet de d velopper de nouvelles strat gies d action qui prennent en consid ration la nature m me du pouvoir Suivant cette logique les places du dominant et du domin dans L Inceste ne sont pas clairement d finies Evidemment il n en demeure pas moins que le sujet Angot est victime 88 d inceste L auteure inclut la d finition du Dictionnaire de la psychanalyse Plon et Roudinesco 1997 selon laquelle l inceste serait toute relation sexuelle sans contrainte ni viol entre consanguins au degr pr
148. r cit de son exp rience incestueuse La narratrice emprunte ce moment l un ton froid et distanci pour rapporter avec d tails certains moments marquants de sa relation avec son p re Cependant bien que l inceste n apparaisse qu au tout dernier moment il ne nous faut pas sous estimer l importance de ce th me qui occupe une place centrale dans le roman et qui s il n est pas explicitement nomm s y trouve toujours en filigrane L inceste deviendrait ainsi une fa on de d construire la notion de sujet cart sien l identit n est pas un construit stable je est un autre c est ce que dit cette Loi qui d fend l inceste Pourtant cet interdit n est pas respect et on s ent te croire que je est je Il s agit l du probl me autour duquel s articulera notre r flexion de quelle mani re le sujet Angot parvient il remettre en cause le concept m me d identit sur lequel repose la structure sociale Ce questionnement s articulera autour de la figure de l inceste qui permettra de mieux comprendre la port e politique de l uvre de Christine Angot que cela soit gr ce la confusion qu entretiennent ses romans autour de la nature de l instance narrative leur caract re mineur ou leur pouvoir performatif tous des moyens de refuser la fixit identitaire Afin de faire avancer notre argumentation nous adopterons un point de vue analogue celui des interactionnistes symboliq
149. r plut t que de cr er un rapprochement Je vais raconter cette anecdote je ne suis pas Nietzsche je ne suis pas Nijinski je ne suis pas Artaud je ne suis pas Genet je suis Christine Angot j ai les moyens que j ai je fais avec Angot 1999a 101 la lumi re d un tel passage nous pouvons penser que le recours l intertextualit chez Angot semble tre un pied de nez l institution de la litt rature Bien s r Christine Angot ne peut aspirer se comparer tous les monstres sacr s de la litt rature qu elle voque apr s tout elle n est que Christine Angot Et qui est Christine Angot Elle n est rien de moins que la r union de toutes ces uvres de celle du plus grand celle du plus petit des crivains Non seulement Angot invite t elle ses pr d cesseurs hanter son uvre mais elle y convie aussi tout son entourage Le roman d Angot est aussi celui de Claude de L onore de Marie Christine et d autres personnes encore Ce faisant l auteure c de la parole une voix particuli re qui d coulerait de l amalgame de ces diff rentes subjectivit s comme si la parole du sujet ne pouvait tre qu une parole collective une parole qui prouve sa v rit dans le contact l autre et qui fait que la sph re priv e devient l histoire d une nonciation collective en m me temps que cette collectivit trouve son sens dans l histoire individuelle Ruffel 2000 http
150. rai plus un exemple j ai l ch moi cette femme dont l enfant est une chienne je n crirai plus a qu est ce que a apporte part de se retrouver seule On est s par es d finitivement maintenant vraiment d finitivement Je n crirai plus Nadine Casta NC haine c est c est la haine a non plus Angot 1999a 106 Cet exemple montre bien la ponctuation singuli re de l auteure qui met en lumi re ce que nous appellerons la logique Angot c est dire sa capacit mettre en relation des id es qui semblent en premier lieu oppos es En un mot il s agirait d une manifestation concr te de cette logique incestueuse 7 Nous traiterons plus en d tail de cette id e dans le chapitre suivant dans une section consacr e au renversement de la logique aristot licienne 32 Un autre l ment un lapsus d criture hier qui dit bien mes troubles sadiques et sadomasos au lieu de p n tration vaginale j avais crit sodomisation vaginale Et voyez la virgule entre virgule petite a recommence Comme si ma t te articul e sur un pivot avait deux faces toujours pr sentes je connecte j associe tout communique c est ce que j appelle ma structure mentale incestueuse Que j essaie de r duire un peu comme une fracture et une facture Angot 19994 154 La logique Angot contamine donc tout jusqu au corps du texte qu elle marque de fa on radicale En somme l
151. re du vide Coll NRF Paris Gallimard 247 pages Mensah Maria Nengeh 2005 Une troisi me vague f ministe au Qu bec In Dialogues sur la troisi me vague f ministe sous la dir de Maria Nengeh Mensah p 11 27 Montr al Remue M nage Nancy Jean Luc 1979 Ego sum Coll La philosophie en effet Paris Flammarion 164 pages 1999 P tition Les passages du livre le Proc s de Jean Marie Le Pen pour lesquels Mathieu Lindon et son diteur ont t condamn s ne sont pas diffamatoires Nous sommes pr ts les crire dans un roman Nous crirons contre Le Pen In Lib ration Paris 16 novembre p 6 Platon 2008 La R publique d et trad de Georges Leroux Coll Le monde de la philosophie Paris Flammarion 674 pages Plon Michel et lisabeth Roudinesco 1997 Dictionnaire de la psychanalyse Paris Fayard 119 pages 2009 Queer Merriam Webster Online Dictionary http www merriam webster com dictionary queer page consult e le 18 mai 2009 Ric ur Paul 1996 Soi m me comme un autre Coll Points Essais no 330 Paris Seuil 424 pages Rocchi Jean Paul 2003 H t rosexisme In Dictionnaire des cultures gays et lesbiennes sous la dir de Didier Eribon Fr d ric Haboury et Arnaud Lerch p 243 244 Paris Larousse 106 Saint Hilaire Colette 1999 Le paradoxe de l identit et le devenir queer du sujet de nouveaux enjeux pour
152. re vibrer en intensit Opposer un usage purement intensif de la langue tout usage symbolique ou m me significatif ou simplement signifiant Arriver une expression parfaite et non form e une expression mat rielle intense Deleuze et Guattari 1975 35 De mani re analogue le sujet Angot se constitue force de d pouillement En fait il peut arriver que le lecteur ait l impression certains moments que le sujet Angot prend forme Cependant plut t que de voir certains l ments tomber en place de fa on former un sujet unifi le sujet Angot appara t par la n gative J amor ais un processus de faillite Dans lequel je ne me reconnaissais pas Ce n tait plus mon histoire Ce n tait pas moi Angot 1999a 11 Le r cit du sujet est ainsi remis en cause du fait qu il est consid r suspect Convaincus que le sujet et plus encore le r cit du sujet sont une illusion un pi ge voire une mystification ils en instituent l absence manifeste par des jeux de miroirs sans fin o se dissout la notion m me d identit Baetens et Viart 1999 6 Cette mise en sc ne du sujet notion qui en elle m me semble tre devenue douteuse permet de d construire l identit au point o le je de Christine Angot prend une forme impersonnelle Ceci ne serait Il est important de souligner par contre que l on dit souvent aussi des livres d Angot particuli rement de L Inceste qu
153. rend pour un crivain et qui vend avec ses histoires d inceste plus de livres qu elle ne devrait Inadmissible racoleur pervers http ecrits Vvains com critique domeneghiml2 htm Quant la r action du grand public elle n est gu re plus accueillante lorsqu Angot croise des lecteurs ils ne la saluent pas ils l abordent en proposant d embl e leur opinion de L Inceste ils lui reprochent le sujet de son roman en protestant que ce n est pas bien pour sa fille qu elle crive des romans comme celui l ils s enqui rent de la sant de L onore prennent des nouvelles de Claude d autres encore se d clarent amoureux d elle ou du moins de la personne qu ils croient avoir d couverte travers ses apparitions publiques et ses romans Domeneghini http ecrits vains com critique domeneghinil2 htm Certaines personnes cognent m me chez Angot en pleine nuit pour se confier elle celle qui a v cu l inceste comprendra leurs probl mes croient ils Angot 2000 51 52 Bref les habitants de Montpellier font preuve de diverses mani res plus ou moins voil es d agressivit l endroit de l crivaine Tout se passe comme s ils voulaient punir celle qui prend la parole pour ramener la probl matique de l inceste sur la place publique drame qui se vit dans l intimit de la famille et par rapport auquel on doit garder le silence Pour ou contre un film a arrive Pour ou contre un
154. rouver que deux termes qui nous semblent tre oppos s sont en r alit beaucoup plus rapproch s que ce que l on peut croire comme par exemple l homosexualit et l h t rosexualit la femme et l homme De m me Angot dit la boutade u n homme c est mieux qu une femme Comme amant Un m decin c est mieux qu un ouvrier un Blanc c est mieux qu un Noir Elle tait scandalis e J avais beau pr ciser aux yeux de la soci t Angot 19994 37 Ce faisant elle d montre que la pens e aristot licienne a t int rioris e par l ensemble de la soci t Cependant les rapprochements que fait l auteure les associations de termes contraires qu elle relie au lieu de les opposer mettent en vidence sa structure mentale incestueuse Comme si ma t te articul e sur un pivot avait deux faces toujours pr sentes je connecte j associe tout 71 communique c est ce que j appelle ma structure mentale incestueuse Angot 1999 154 Pour le dire autrement ce qui semble r gle g n rale oppos serait en fait intimement li d une telle fa on qu il s agirait des deux c t s de la m me m daille C est ce qui fait dire Angot tout au long du roman que tout peut toujours se retourner Angot 1999a 57 En d autres termes les diff rentes situations auxquelles elle est confront e ne sont n1 noires ni blanches et elles pr sentent toutes des aspects positi
155. rveur des relations sexuelles entre consanguins Cette vision excentr e permet l auteure de faire tat avec force de certains ph nom nes sociaux alors que ceux ci passent normalement inaper us Elle formule donc une critique importante de l institutionnalisation des normes de genre et subvertit le discours dominant attirant du coup l attention sur son agentivit agency Signalons ce propos que nous retrouvons au c ur de son entreprise litt raire des questions de pouvoir de marginalit et de politique qui sont centrales dans la d finition d une litt rature mineure Bref avec sa critique de l h t ronormativit Angot met en sc ne une des multiples fa ons de refuser la fixit identitaire et d construit du coup tant les identit s homme et femme qu h t rosexuelle et homosexuelle 3 1 Refus de la binarit 3 1 1 L homosexualit quel r le dans le r cit de l inceste En se procurant un livre intitul L Inceste le lecteur s attend lire un r cit autobiographique portant sur l exp rience individuelle de l auteure Ceci est d autant plus vrai que le livre est crit la premi re personne et ne porte pas le paratexte roman en couverture Il semble que notre poque conna t un grand engouement pour les r cits personnels et les lecteurs ont soif de v rit d authenticit plus que jamais on veut savoir qui sont ces gens qui disent avoir v cu de tels traumatismes Cependant Angot t
156. ry to reconsider the relationship of ethics to social critique since part of what I find so hard to narrate are the norms social in character that bring me into being They are as it were the condition of my speech but I cannot fully thematize these conditions within the terms of my speech Butler 2005a 82 En r sum le r cit de soi serait toujours lacunaire en ce sens o il est impossible de mettre en discours le r le fondamental que jouent les normes sociales et culturelles dans l laboration du sujet Angot dans cette perspective semble accorder une attention particuli re aux processus de normalisation qui font partie de l existence du sujet Elle s int resse plus sp cifiquement la fonction que remplit le t moignage Les t moignages la t l vision sur la vie priv e n avaient plus aucun sens puisque les gens continuaient d y raconter leur vie comme avant 1900 en t moignant de leur bonne foi ressortant leurs souvenirs faisant jouer leur m moire leur sensibilit comme si tout a existait encore comme si on pouvait encore y croire comme s ils taient encore des sujets capables de voir et de comprendre quelque chose ce qu ils voyaient en en faisant le rapport comme un t moin la police ils ne savaient plus ce qu ils racontaient ils taient incapables de raconter la vie ils ne comprenaient m me plus leur propre composition Angot 2004a 22 23 Aux yeux d Angot il
157. s vraies ou fausses et sont telles que B l nonciation de la phrase est l ex cution d une action ou une partie de cette ex cution qu on ne saurait d crire out bonnement comme tant l acte de dire quelque chose Austin 1991 40 L uvre litt raire se dissocie donc de son auteur pour devenir une r alit ind pendante cet gard Barthes affirme que dans l uvre c est le langage qui parle ce n est pas l auteur crire c est travers une impersonnalit pr alable atteindre ce point o seul le langage agit performe et non moi 1984 64 Autrement dit le je se d personnalise au point o il ne renvoie qu une r alit du discours qui elle m me ne renvoie aucun r f rent l ext rieur de lunivers textuel Du coup l uvre d Angot d veloppe une autonomie par rapport au monde ext rieur En somme la notion de paradoxe explique le mieux le projet que poursuit Christine Angot travers son uvre in puisable effroi de son t moignage conjugu une criture de soi sans rel che Le roman L nceste o ce paradoxe entre en jeu semble tre un tournant pour l crivaine au sens o elle y interroge et prouve les limites et les possibilit s de son criture L crivaine partir de ce moment de sa carri re fait le choix du risque et met en danger jusqu sa propre personne Comme David Ruffel l explique D Cest
158. s de fa on ce que le lecteur ne sache plus quoi penser il ne distingue plus s il s agit de fiction ou si on lui rapporte des faits v ridiques Il n arrive plus identifier qui parle est ce r ellement Christine Angot qui raconte sa vie ou un personnage qui paradoxalement porte aussi le nom de Christine Angot Et cette histoire d inceste est elle bien r elle Ou s agit il seulement d un pr texte pour l criture A notre avis l inceste prend la valeur d une figure qui exemplifie diff rentes formes de violence perp tr e sous le couvert de l hypocrisie C est de ce type de violence dont a t victime l auteure la sortie du roman et que Quitter la ville d nonce En effet si l on se fie ce dernier les lecteurs ont interpr t L Inceste comme un r cit personnel alors qu Angot tente justement de s loigner de ce genre de lecture pour provoquer une r flexion plus vaste sur la question de l identit Ainsi m me s1 le je du sujet Angot est souvent r duit un je autobiographique l auteure d stabilise certains a priori du lecteur dont l id e selon laquelle chacun poss de une identit stable le sujet son avis n ta nt pas r ductible limit moi ou il Angot 2004a 11 Angot explique en ces termes le r le central que joue dans la soci t la co ncidence soi La co ncidence soi m me avait permis l laboration de toute la structure juridiqu
159. sexuel clairement d fini Cependant en refusant de s impliquer dans les termes que lui dicte le syst me h t ro normatif l auteure inaugure une nouvelle identit ax e sur son caract re mouvant et ind cidable Le sujet Angot dans cette perspective poss de donc le pouvoir de subvertir les normes qui circonscrivent l humain de fa on ouvrir la voie de nouvelles possibilit s L article de Jacques Dubois Angot ou la gu rilla litt raire 2002 accompagnera notre analyse lui qui voit dans le rejet des institutions et des normes d Angot une nergie cr atrice qui pousse toujours plus avant la d construction du sujet CHAPITRE LE PROJET ANGOTIEN BALADER LE LECTEUR AINSI ENTRE R ALIT ET FICTION EST CE QUE TU JOUIS L uvre de Christine Angot soul ve des questions fondamentales par rapport la relation qu entretiennent la r alit et la fiction D j l poque de l Antiquit Platon investit la po sie d un grand pouvoir mim tique la litt rature doit alors se donner lire comme le reflet le plus fid le possible de la r alit Platon 2008 La probl matique surgit nouveau mais quelque peu diff remment lorsque Th ophile Gautier expose la th orie de l art pour Part dans la pr face de son roman Mademoiselle de Maupin 1966 Il y d fend deux valeurs principales le fait que l artiste poss de une libert totale dans sa cr ation et le fait qu on ne
160. st un autre Dans cet ordre d id es Angot distingue la litt rature et le t moignage par leur obligation ou non de dire la v rit Comme nous l avons mentionn plus t t la litt rature dans une certaine mesure serait toujours mensong re puisqu il s agit d un ouvrage de fiction tandis que nous retrouvons implicite la notion de t moignage l id e selon laquelle 1l serait n cessairement v ridique Rappelons aussi le fait que la litt rature selon Angot serait au service de l interdit de l inceste La mauvaise foi Ce n tait pas dr le s il n y avait pas de mauvaise foi Il fallait de la mauvaise foi pour crire La bonne foi tait une notion juridique pour les t moins Le t moin de bonne foi tait une notion juridique comme le bon p re de famille La bonne foi ne faisait pas de la litt rature mais du t moignage elle tait au service de la coh sion sociale et des lois qui la permettaient sinon la soci t serait devenue ing rable Quand j crivais je n tais pas au service des lois je n avais pas tre de bonne foi La litt rature au service de laquelle j tais n tait pas au service des lois mais de a Loi Fondamentale les tables de la Loi La bonne foi n tait pas au service de a Loi fondamentale mais du t moignage Elle s exer ait dans le cadre beaucoup plus classique des lois du sol Angot 2004a 29 31 Suivant cette id e le lecteur se retrouve face un
161. t il du tu l utilisation du je r f rant toujours un tu explicite ou non Benveniste 1966 260 Selon Benveniste je et tu seraient d pendants l un tant tributaire de l autre Ainsi si nous questionnons l existence m me du sujet celui capable de dire je en toute certitude nous venons de modifier son rapport tu rendant pratiquement impossible l dification du tu En d autres termes dire je permettrait l laboration du fu et serait l acte fondateur de l alt rit Butler va aussi dans cette direction lorsqu elle affirme que the telling performs an action that presupposes an Other posits and elaborates the other is given to the other or by virtue of the other prior to the giving of an information 2005a 82 Angot met donc de lavant la relation de d pendance qui unit je et tu en l absence de l une ou l autre personne l laboration des deux devient impossible Cependant Angot pousse sa r flexion plus loin d une telle fa on que le concept de sujet cart sien qui est intimement li la notion de v rit cesse d tre un id al atteindre Bien s r bon nombre de philosophes de psychanalystes et de th oriciens du XX si cle se sont pench s sur la question de l alt rit d stabilisant du coup la notion de sujet cependant il semble que malgr leurs efforts ces penseurs ont eu de la difficult se distancer du mod le 38 cart sien En effet l id
162. te de non tre aux yeux de la soci t De plus il semble que ce soit lorsque l identit sexu e du personnage est le plus difficilement d finissable alors qu il adopte des caract res androgynes que le regard des autres p se le plus sur le sujet Angot je r vais mon sang nu toute heure dans les transports publics la fa on dont je me fringuais pour lui plaire dans la rue quand je marche toujours guett e par une fl che qui me vise chaque instant Les chaussures que je choisissais plus grosses et mon blouson que je mettais tous les jours Angot 1999a 28 Le paradigme du sang revient fr quemment tout au long du roman En plus de faire r f rence Herv Guibert 1l devient un symbole de stigmatisation au sens o son exp rience homosexuelle v cue au grand jour entra ne l exclusion sociale Le sang tout coup d couvert mis nu un v tement ou un capuchon lavait jusque l prot g sans que j en aie conscience a vous met le sang nu en trois mois Angot 1999a 27 En d autres termes en adoptant des pratiques subversives Angot d stabilise l identit femme traditionnelle laquelle on associe facilement des crit res dits f minins comme le d sir h t rosexuel la maternit la douceur etc Faisant maintenant partie de la minorit dans un monde majoritairement h t rosexuel le sujet Angot ne peut plus se cacher derri re une identit de genre pr fabriqu
163. te vision alternative et minoritaire des normes qui conf re au sujet Angot une capacit d agir et lui permet d aller plus loin dans la d construction du sujet 87 3 3 2 L agentivit comme pouvoir subversif Suite ce que nous avons d montr l incorporation des normes nous appara t comme un processus dynamique En effet le sujet n est pas seulement soumis aux normes qui le produisent mais il poss de aussi le potentiel de r sister leur incorporation et d adopter des pratiques subversives c est ce que Butler nomme l agentivit agency Si l on remet en question les fondements de l identit en tant que construction sociale il est possible de concevoir le sujet comme la possibilit constante d un processus de resignification d stabilisant ainsi le r gime du pouvoir qui constitue le sujet en lui m me Cependant loin d imaginer le sujet comme autonome et libre de toute contrainte sociale Butler comprend l agentivit comme une capacit faire quelque chose de ce qui est fait de moi 2005c http www univ lillez fr set cadrebutler html Ceci n est pas sans rappeler le point de vue de Michel Foucault pour qui l individu poss de une certaine marge de man uvre afin de n gocier la norme au quotidien Ainsi le pouvoir serait compris en termes de relations susceptibles de se produire partout et surtout l o on s y attend le moins le pouvoir n est pas une substance
164. ternelle 4 2 1 2 Le souffle chez Angot 2 2 Branchement de l individuel sur l imm diat politique 2 2 1 Le personnel est politique 2 2 2 L inceste une question publique 2 3 Agencement collectif d nonciation 2 3 1 crire pour un peuple venir 2 3 2 Intertextualit l Autre en SO issues 39 40 40 46 52 52 54 56 56 60 CHAPITRE NE SEXE GENRE DESIR D PLACEMENTS ET RESISTANCES DANS LE ROMAN L INCESTE iii ed eeeeeeeeeeeueeeenses 3 1 Refus de la binarit 3 1 1 L homosexualit quel r le dans le r cit de l inceste 7 3 1 2 Logique Angot 3 1 3 Queer iii eesssss eee 3 2 D construire l homosexualit 3 2 1 L arme de l ironie 3 2 2 Retourner le stigmate contre les autres 3 3 D passer les limites de la norme de genre 3 3 1 No man s land 3 3 2 L agentivit comme pouvoir subversif CONO RONI OIN iii iii idees n es uueeeececenceese BIBLIOGRAPHIE DR OO RO OS RO RO RNR 66 67 67 69 72 75 75 77 83 83 87
165. tie de relations interpersonnelles qui semblent parfaitement saines sont peut tre celles qui causent le plus de tort aux individus R p tons cet extrait tir de l article de Jacques Dubois qui nous semble particuli rement parlant sur cette question L nceste s attach e de la sorte voquer des formes diffuses de r pression et de violence li es aux comportements humains les plus communs un rendez vous une interview une conversation t l phonique Il s agit de menus empi tements sur la vie intime que la plupart des gens ne ressentent sans doute pas comme tels mais qui sont les marques de la violence de l Autre Dubois 2002 225 91 Cette conception du pouvoir comme diffus entra ne une compr hension du politique plus englobante Dans une optique queer la r sistance aux pouvoirs se fait un micro niveau hors des circuits classiques de la politique traditionnelle Bourcier 2001 189 Gr ce la performativit du genre 1l est possible d adopter des pratiques et des repr sentations qui permettent de d naturaliser le processus de sexuation et donc de le repolitiser Autrement dit o n retrouve ici une posture foucaldienne refuser de s impliquer dans les termes pos s par une forme d autorit ou un r gime disciplinaire et chercher plut t trouver la position strat gique qui permet d en exhiber les m canismes Bourcier 2001 191 Angot dans L nceste
166. tionnement sur l identit Afin de prouver notre hypoth se nous nous appuierons sur l essai Une Partie du c ur 2004a dans lequel elle explique son objectif de fa on plus d taill e Ainsi elle clarifie l nigmatique figure de l inceste qui traverse l ensemble de son uvre bien qu elle se d fende d crire sur cette question Angot 1998 52 En court circuitant le t moignage il semble que l crivaine d construise aussi la notion de sujet Autrement dit consid rant que le je est un autre de Rimbaud exprime l interdit de l inceste l inceste deviendrait une fa on de critiquer la notion de sujet Nous analyserons donc de quelle mani re Angot met en place ce questionnement en nous inspirant de la r flexion de Judith Butler dans Giving an Account of Oneself 2005a Dans cet ouvrage Butler relit les uvres de plusieurs grands penseurs du XX si cle dont Emmanuel Levinas Jean Laplanche et Michel Foucault et propose une th orie de la construction du sujet Selon Butler deux l ments fondateurs qui chappent au contr le du sujet qu ils forment constituent le sujet l alt rit et les normes qui r gissent la vie en soci t Ces deux l ments sont les conditions essentielles de la formation du sujet ce par quoi il devient reconnaissable en tant qu humain Le sujet dans cette perspective serait toujours le produit de la soci t dans laquelle 1l volue En dernier lieu nous nous pencherons s
167. tr le issu du biopouvoir qui est ax davantage sur la discipline que sur la punition et dont l une des strat gies consiste tout nommer pour tout normaliser Dorais 1988 56 Cela nous am ne une des principales critiques formul es l endroit des politiques identitaires strat gie de r sistance largement adopt e par les communaut s homosexuelles En effet Michel Dorais souligne que en reprenant son compte la d finition de l homosexualit comme identit particuli re et minoritaire ne f t ce pour la valoriser le mouvement homosexuel se pi ge lui m me 1988 57 En revendiquant une identit distinctive les communaut s gaies renforcent le clivage entre les homosexuels et les h t rosexuels Ce faisant elles participent malgr leurs meilleures intentions leur propre marginalisation Ainsi Dorais remarque avec justesse que le discours m dical s int resse de moins en moins la question de l homosexualit car les groupes marginalis s s occupent eux m mes de 79 r gulariser et de d finir leur diff rence Celui ci va m me jusqu se demander si le mouvement de lib ration homosexuel n a pas contribu f t ce malgr lui une modernisation du contr le social de l homosexualit gr ce une vaste entreprise d auto tiquetage 1988 57 En d autres termes il appara t que ces strat gies identitaires en sont venues remplacer certains m
168. train de cr er la litt rature pour Angot est semblable un processus d puration En crivant cette derni re phrase je viens d avoir la sensation d une grosse motion qui l che comme une partie du c ur qui c de enfin sous l obstination d crire Une partie du c ur enlev e pour qu apparaissent mieux les ar tes de la chose dire Et je suis en train de pleurer la litt rature me fait souvent pleurer Angot 2004a 85 45 Le r cit d Angot s crit donc par limination Son roman est d pouill des d tails sentimentalistes ou des descriptions lyriques dont regorgent habituellement les ouvrages de fiction et qui permettent au lecteur de s identifier au h ros et de s investir dans l histoire En effet si nous avons vu plus t t que les textes d Angot reproduisent l effet de r el dont parle Roland Barthes 1982 81 90 l auteure incluant certains l ments de sa vie il s agirait l de la seule strat gie sur laquelle elle mise qui va dans ce sens Au del de l int gration de ces pans de la r alit le lecteur est confront une mati re brute qui traduit la crudit et la violence du propos de l auteure Pour Deleuze et Guattari l usage d une langue minimaliste tel que le fait Angot participe encore davantage d territorialiser la langue Aller toujours plus loin dans la d territorialisation force de sobri t Puisque le vocabulaire est dess ch le fai
169. tre de quelle mani re l criture au f minin et l ironie sont intimement li es Difficilement d finissable en raison de la vari t de formes qu elle peut emprunter cette figure de rh torique pour le dire sommairement consiste dire le contraire de ce que l on pense Son usage conf re n cessairement l uvre un second degr car l ironie n cessite un certain recul de la part de l auteur En effet l intention de l ironiste serait de r v ler une v rit cach e par un mensonge apparent Yaari 1988 7 dans Joubert 1998 17 Notons aussi le fait que pour qu il y ait ironie il faut que celui qui lit ou qui entend l nonc comprenne selon le contexte sa dimension ironique La complicit du lecteur permet donc aux diff rentes significations de l uvre de s actualiser chaque relecture Ainsi ce proc d s inscrit parmi diverses strat gies qu emprunte Angot afin de solliciter une participation accrue de la part du lecteur Parall lement Joubert remarque que l ironie devient de plus en plus un moyen pour les femmes de revendiquer leur place dans la soci t et de d noncer la situation laquelle elles sont r duites C est pour les auteures une fa on de d fier le discours dominant Walker 1990 44 le recours l ironie t moignant d une contestation des valeurs traditionnelles et d une reconnaissance du caract re arbitraire des causes susceptibles de perp
170. ttre au jour les m canismes sociaux qui assurent la reproduction d une logique sociale incestueuse qui restreint le sujet une identit claire et arr t e elle est rapidement repouss e du c t des exclus Ceci explique pourquoi Angot se sent comme une intouchable Ce livre Marie Christine ne le lira pas comme Claude elle ne veut pas a tue des choses para t il Claude n a pas lu Sujet Angot non plus Autour de moi personne ne lit plus En fait je suis une Indienne de la classe des intouchables Je touche les ordures et normalement les morts Les intouchables en Inde touchent les morts Moi seulement les ordures Personne ne veut toucher avec moi Mon manuscrit je suis seule avec pendant des mois des mois des mois et des mois M me apr s quand c est publi ceux qui m aiment ne veulent pas le lire a tue des choses para t il Angot 1999 98 99 Selon Alice Granger cette r action que d crit Angot en plus de celles entourant la r ception de L Inceste en disent long sur la soci t Il s agirait l encore d un grand paradoxe qui assure l quilibre social d un c t nous retrouvons le fait que tant de gens soit sic int ress s par L Inceste ce qui tonne beaucoup Christine Angot cette v rit sur ce qui fait tenir la soci t bourgeoise toute l hypocrisie et les apparences sauves pourvu que tout baigne et que les int r ts soient sauvegard s Granger http
171. tuer l agneau en l accusant d abord d avoir caus des d g ts mat riels en viciant sa source d eau d avoir m dit son sujet puis de prendre part une conspiration contre lui tandis que l agneau na f fait appel des arguments rationnels pour se d fendre En somme La Fontaine met en sc ne la duplicit de l humain qui hypocritement refuse de se pr senter tel qu il est r ellement un loup pour l homme Dans la relecture que nous livre Angot la litt rature devient l agneau et la r alit joue le r le du loup en ce sens o la litt rature est injustement accus e de porter atteinte des personnes et des situations r elles Toutefois si tel n est pas le cas c est parce que la litt rature et la fiction agissent dans deux sph res diff rentes 19 Le signifiant de la litt rature tait accus de porter pr judice un r f rent de la r alit alors que les deux agissaient dans deux champs diff rents taient de composition diff rente chimiquement et que le signifiant buvait une eau d j souill e vingt pas au dessous et que par cons quent en aucune fa on je ne puis troubler sa boisson La litt rature tait l agneau et bouc missaire Angot 2004a 15 Pour le dire autrement selon Angot la litt rature ne peut avoir souill le breuvage du loup puisqu elle tait en aval Angot 2004a 14 Dans cette perspective la r alit se trouve en amont de l
172. tuer l oppression des femmes ibid 27 28 1998 19 Toujours selon Joubert le recours l ironie t moigne d une volont de manifester une agressivit envers quelque chose ou quelqu un 1998 18 Ainsi des formes plus violentes plus crues et par extension plus ouvertement pol miques de litt rature au f minin font leur apparition alors que les femmes avaient autrefois tendance id aliser leurs personnages et les ins rer dans des cadres dulcor s Joubert 1998 19 cet gard le personnage de Christine Angot se fait par moments particuli rement d sagr able et peut 76 s attirer l antipathie du lecteur En recourant l ironie Angot peut donc par des moyens d tourn s viter de s engager dans des paroles trop cons quentes par rapport une loi sociale qu elle peut se permettre de contourner Lambotte 2008 http www universalis edu com article2 php napp 80041 amp nref T231905 Au total l crivaine d gage les m canismes d autol gitimation du syst me h t ronormatif pour faire appara tre les multiples configurations que ce dernier peut prendre et mettre au jour le caract re construit des identit s masculine et f minine Pour ce faire l auteure utilise des moyens qui bien qu ils puissent para tre innocents s inscrivent dans une critique sociale plus large Ses multiples recours des lieux communs des clich s forteme
173. u sujet En somme alors que nous avons l impression que l uvre d Angot est un r cit intime qui serait uniquement centr sur la vie personnelle de l auteure elle questionne ses relations avec autrui que ce soit avec son p re avec Marie Christine ou avec L onore plus encore elle remet en cause les dispositifs sociaux qui motivent ces relations En ce sens le sujet Angot traite de probl matiques politiques en remettant en cause les normes qui r gissent les 92 relations interpersonnelles et qui sont immanquablement entach es par des jeux de pouvoir C est ce qui fait dire Jacques Dubois que contest ou d ni le social n en est pas moins l et qu il en devient m me la seule question 2002 227 Le discours d Angot dans cet ordre d id es se rapproche d une forme d engagement dont la vis e serait de d noncer les violences institu es sur lesquelles reposent l identit et le genre Plut t que d tre d sint ress e l uvre d Angot devient une prise de position engag e Selon Dubois Angot donne forme une forme encore bauch e un discours de la radicalit qui nous para t renouveler largement les habituels modes d intervention pol mique Or ce discours l d passe dans la port e le propos premier qui est pour le sujet d assurer sa sauvegarde personnelle puisque ce sujet vise d sormais mettre en cause tout un dispositif symbolique et s
174. ue chose entre lecteurs et crivains Angot 2004a 66 67 La langue maternelle selon Angot serait au service de la coh sion sociale elle assurerait la reproduction de l id ologie dominante au c ur de laquelle nous retrouvons la notion de sujet Ainsi elle crit Tout le monde croyait que c tait la langue maternelle qui nous fondait elle ne nous fondait pas elle nous consumait elle ne nous apprenait pas parler mais mentir A e i O u Que savait on de a e 1 o u A tait noir et on ne le savait pas la langue maternelle nous avait cach l essentiel Angot 2004 52 Dans cette perspective la sociolinguistique accorde une attention particuli re au fonctionnement du langage dans la constitution de la subjectivit et s int resse au r le que joue la langue dans tout processus d identification socioculturel En effet l acquisition de la langue maternelle participe la transmission de structures de comportements et de repr sentations propres une soci t donn e Ceci est d autant plus frappant en France alors que la langue fran aise appara t comme le principal facteur d finissant une identit nationale forte Maria Jos R F Coracini explique en ces termes le r le structurant que remplit la langue dans l laboration tant du sujet que de la structure sociale Cette promesse de langue v hicul e par l cole et par la soci t comme une v rit d sint ress e et neutre
175. ue j ai le temps a ne m int resse pas cette question Merde ceux qui liront la r ponse Pourquoi ne pas me demander carr ment Est ce que tu penses qu il aurait mieux valu ne pas tre qui tu es devenue Pourquoi Pourquoi carr ment ne me posez vous pas cette question l Pensez vous Christine Angot qu il aurait mieux valu ne pas tre qui vous tes Mais autre chose Pensez vous Christine Angot qu il aurait mieux valu pour vous et pour nous bien s r aussi sous entendu que vous puissiez crire d autres livres peut tre moins n gatifs Angot 1999a 178 Somme toute Angot emprunte un registre factuel plut t qu motif pour traiter de son exp rience incestueuse elle est la fille incestueuse de son p re elle reconna t que l v nement a eu lieu et que cela l a effectivement marqu e alors que lui en refusant son r le de p re nie implicitement avoir enfreint l interdit fondamental 90 Dans la m me perspective 1l faut tenter de comprendre de quelle mani re la transgression subie de l interdit de l inceste occupe une place importante dans le roman sans que la narration ne verse dans un discours victimaire videmment cette exp rience douloureuse revient hanter de mani re obsessive le sujet Angot mais selon Jacques Dubois au del de la souffrance qu il a provoqu e l inceste permet l auteure de construire son texte sur un d fi provocant 2002 221
176. ues un courant de la sociologie am ricaine pour qui la soci t est le produit des interactions entre les individus Winkin 2008 http www universalis edu com article2 php napp 40982 amp nref NT02504 Dans cette perspective nous consid rerons le sujet comme la base de la structure sociale En effet le sujet serait selon Andr Akoun le principal vecteur de la culture d une soci t et Jouerait en ce sens un r le important dans l laboration et le maintien de pratiques sous tendant l ensemble de la structure sociale I appara t bien que dans leur multiplicit les conduites les pratiques sociales les appartenances divers groupements famille classe ethnie sont en quelque sorte nou es dans et par l agent social qui traverse les diff rentes couches et r gions du social sans pouvoir tre assign exclusivement l une d elles Akoun 2008 http www universalis edu com article2 php napp 81456 amp nref Q0163261 Cette approche nous int resse particuli rement car elle prend pour point de d part le fait que l individu s inscrit activement dans la sph re publique qui devient par cons quent un espace de rencontre produisant de nouvelles significations L individu suivant cette logique est directement impliqu dans le politique travers ses pratiques culturelles et diverses relations de pouvoir changeantes et diffuses auxquelles il participe Nous nous int resserons au
177. ule voix et de la pratique forcen e de la citation le texte fait clater la notion d auteur et de propri t litt raire Ruffel 2000 http www chaoid com numero l articles notion mineur htm Ces diff rentes voix sont celles d crivains de penseurs et de philosophes qui ont marqu son imaginaire et qui son avis rappellent leur fa on le fait que je est un autre Angot int gre donc ses romans des extraits d autres auteurs sans n cessairement indiquer l emprunt En plus de faire clairement r f rence Herv Guibert et Gilles Deleuze comme nous l avons soulev plus t t elle r f re aussi dans L Inceste entre autres Albert Thibaudet Charles P guy Marguerite Duras L crivaine fait aussi mention dans d autres ouvrages des probl mes qu un tel usage des textes d autres auteurs peut entra ner J aimais les m langes de registres et des styles pas au point d affronter les probl mes Plusieurs intertextes renvoient ces auteurs Parmi les plus frappants nous retrouvons Le petit crivain raconte sa petite vie Thibaudet Angot 19994 21 Un peu comme la formule de P guy qui est tellement belle je cite ma source puisqu il faut un seul auteur par phrase Angot 1999a 21 Marguerite Duras aborde l homosexualit et l inceste toujours sous l angle du pass et de la mort toujours de biais on ne comprend pas Angot 1999a 49
178. ur l importance que joue le r cit de soi en tant que condition menant l laboration du sujet Ce dernier bien qu il ne puisse avoir qu une connaissance de soi limit e est contraint de rendre compte de son existence de fa on acc der sa propre v rit qui demeure illusoire si l on se fie au r gime de v rit de Michel Foucault 1977 1980 Dans un deuxi me chapitre nous verrons de quelle mani re cette remise en question du sujet affecte le texte angotien au niveau formel Notre r flexion tout en portant une attention particuli re au roman L nceste nous am nera survoler l ensemble de son uvre qui fonctionne comme un tout coh rent les th mes majeurs de l identit et de la violence et plus particuli rement le personnage de Christine Angot tant r currents d un ouvrage l autre Nous emprunterons le concept de litt rature mineure labor par Gilles Deleuze 1975 1993 afin de montrer de quelle mani re l uvre d Angot r pond ses trois crit res c est dire la d territorialisation du langage le branchement de l individuel sur l imm diat politique et l agencement collectif d nonciation Deleuze et Guattan 1975 33 Tout au long de cette partie nous porterons un int r t particulier l tude de David Ruffel du roman L Inceste intitul Sur la notion de mineur chez Christine Angot 2000 et qui s int resse directement la question du devenir min
179. urer dans l ind cidable 1996a 14 Angot entretient ce malaise I n est gu re surprenant dans ce contexte que plusieurs lecteurs trouvent son uvre r barbative La g ne la difficult que le lecteur ressent invariablement devant l inceste na t en partie d une confusion voulue entre l auteur et son personnage L cueil serait de croire que c est de la fiction a rassure mais aussi de prendre la chose pour une variante du cin ma v rit a inqui te on compatit Domeneghini 2002 http www larevuedesressources org article php31d article 77 Angot justifie cette strat gie d criture arguant que selon elle l e lecteur a besoin d un mur le plus fin possible entre r alit et fiction lui aussi si a doit faire sa vie 1998 114 Elle s acharmne donc rendre cette distinction la plus imperceptible possible ce qui fait en En effet plusieurs tudes semblent d montrer que l expression autofiction aurait tendance figer un corpus vari dans une cat gorie floue sans pour autant en faciliter la compr hension Colonna 2004 14 sorte qu il devient difficile de trancher afin de savoir si le roman est une uvre de fiction ou s il rapporte un r cit v ritablement authentique Dans les faits Angot fournit g n ralement plusieurs indices qui peuvent donner un clairage diff rent sur son travail Si d un c t l auteure r p te c
180. utrement dit le sujet n existerait que par cette d possession fondamentale de soi par l Autre De la m me mani re Angot semble adopter ce point de vue dans Une Partie du c ur ouvrage dans lequel elle aborde aussi la question de l alt rit qui selon elle est intimement li e l interdit de l inceste son avis Je est un autre avait un prolongement il avait son corollaire Un autre est Je Tout aussi bien Champ contrechamp il y avait toujours au moins deux visages c tait r versible R versibilit Angot 2004 25 26 Si nous tentons de simplifier la proposition d Angot nous pouvons supposer que les lois du sol contraignent l individu se reconna tre en tant que sujet unique et coh rent tandis que la Loi fondamentale nous ram ne la situation impossible du sujet qui est toujours contamin par l Autre Dans cette perspective Butler reprend les termes de Jean Laplanche selon qui man is not at home with himself in himself chez lui en lui Laplanche 1999 156 dans Butler 2005a 75 Ainsi nous pourrions dire que le sujet n est jamais ma tre chez soi En effet il semble que pour Butler la confusion entre soi et l Autre soit au c ur de la production du sujet This decentering follows from the way in which others from the outset transmit certain messages to us instilling their thoughts in our own Butler 2005a 75 Alors que la linguistique stru
181. vantage des fins de semaine en amoureux qu des sorties p re fille ils vont la campagne ou au bord de la mer et d nent dans les restaurants les mieux cot s du guide Michelin Angot 1999a 207 Par contre le sujet Angot reconna t le lien filial qui Punit son p re et ce faisant elle admet aussi avoir pris part l inceste Je n ai ni haine ni amour Elle la m re croit comprendre et me dit oui c est a sous entendu comme moi l indiff rence Non ni haine ni amour ni indiff rence c est mon p re ni pardon ni indiff rence ni bien s r amour reconnaissance Voil c est a la reconnaissance Il ne m a pas reconnue mais je le reconnais C est mon p re je le reconnais Je reconnais que c est mon p re C est mon p re incestueux je le reconnais Je suis sa fille incestueuse il est mon p re incestueux je le reconnais il ne m a pas reconnue mais moi Je le reconnais L onore est sa petite fille aurait pu tre sa fille a va Angot 1999a 182 183 La marque que porte le sujet Angot c est aussi celle de l Autre A travers la reconnaissance de son p re elle r v le de quelle fa on leurs rencontres ont aussi eu une influence positive ou n gative sur ce qu elle est devenue Hier elle la m re m a dit est ce que tu penses qu il aurait mieux valu ne pas le conna tre Est ce que j a le temps moi de r pondre des questions pareilles Est ce q
182. viduelle sont des produits du pouvoir C est pour cela que je m en m fie et que je m efforce de d faire ces pi ges Droit 2004 112 Le pouvoir en outre constitue le sujet et du m me geste efface les traces de sa production Ce faisant il nous laisse croire que le sujet pr existe au pouvoir alors que ce dernier en est la condition pr alable C est ainsi que Foucault pose cette question dans laquelle on trouve aussi la r ponse Est ce que le sujet identique lui m me avec son historicit propre sa 29 gen se ses continuit s les effets de son enfance prolong s jusqu au dernier jour de sa vie etc n est pas le produit d un certain type de pouvoir qui s exerce sur nous Droit 2004 112 Dans le m me ordre d id es lorsque Angot dit que le but des lois d un pays tait adoucir amoindrir affadir comner les tables de la Loi 2004a 30 elle r f re au m me type de pouvoir dont traite Foucault et qui serait fondateur d un sujet unifi et coh rent Le pouvoir et l inceste iraient donc de paire au sens o ils r duiraient tous deux le sujet une conception monolithique 1 2 2 T moignage et r cit de soi Dans Giving an Account of Oneself 2005a Judith Butler soul ve l importance du r cit de soi dans la constitution du sujet En effet le sujet afin d tre reconnu comme tel par ses pairs doit laborer le r cit de son mergence et de son volution Sel
183. vidus consanguins Comme l explique Jacques Dubois I inceste prendra un sens de plus en plus englobant et renverra d autres situations pour devenir une all gorie de la violence per ue sous toutes ses formes Dubois 2002 225 Dans une perspective poststructuraliste nous pourrions dire que l inceste renvoie aux diff rents rapports de pouvoir qui s exercent entre les individus Ainsi consid rant le sujet comme un des produits premiers du pouvoir plut t que comme une donn e naturelle et stable comme le sugg re Michel Foucault le sujet devient un lieu de d placements constants ce qui entra ne in vitablement des effets sur l ensemble de la structure sociale Plus pr cis ment la figure de l inceste permet de remettre en doute non seulement l laboration d un sujet unifi stable et coh rent mais entra ne aussi une r flexion sur l identit sexu e Le refus de la fixit du sujet Angot questionne la division binaire du genre les identit s homme et femme mais aussi la dichotomie opposant l h t rosexualit et l homosexualit Nous avons analys de quelle mani re l crivaine questionne la notion de sujet particuli rement dans l essai Une Partie du c ur 2004a o elle explicite davantage le lien 95 entre l inceste et l identit Nous avons pu voir que pour elle l interdit de l inceste quivaudrait au je est un autre de Rimbaud Angot affirme que la question de
184. voir reprendre chaque nouvelle publication CHAPITRE 3 SEXE GENRE D SIR D PLACEMENTS ET R SISTANCES DANS LE ROMAN L INCESTE Contrairement ce que l on pourrait croire en lisant un tel titre L Inceste raconte davantage la rupture amoureuse de Marie Christine et Christine que la relation incestueuse de cette derni re avec son p re La th matique de l inceste est n anmoins omnipr sente dans le roman et vise un objectif pr cis d noncer la structure incestueuse de la logique sociale l int rieur de laquelle la notion d identit fondamentale au fonctionnement de la soci t repose sur une conception monolithique du sujet Par cons quent l inceste appara t comme une mani re de circonscrire le sujet en lui attribuant une identit assignable soi je est je Dans Les Structures l mentaires de la parent 1967 Claude L vi Strauss soul ve le fait que la prohibition de l inceste s accompagne de son injonction positive c est dire la r gle d exogamie l a r gle d exogamie est une loi d change l expression au niveau des r gles d un principe universel de r ciprocit Dumont 1971 23 Pour le dire autrement l interdit de l inceste oblige le sujet entrer en contact avec l Autre inversement l inceste que la soci t refuse en surface mais qu elle accepte au fond quivaut une rencontre avec le M me La figure de l inceste prise en ce sens permet
185. x implications politiques qu entra ne une telle conception du sujet dans L Inceste et aux diff rents processus de d placements et de resignifications que met en sc ne Angot nous nous pencherons donc sur le potentiel subversif du projet angotien Dans notre premier chapitre nous pr senterons de fa on g n rale l uvre de Christine Angot et son projet litt raire qu elle poursuit chaque nouvelle publication Nous nous int resserons la r ception qu a re ue le roman L nceste au moment de sa parution En effet le roman a re u un accueil tr s mitig certains consid rant le livre comme un coup m diatique ou comme un simple t moignage d autres y voyant r ellement l mergence d une crivaine majeure du XXT si cle Cependant il semble que ces interpr tations aussi diversifi es puissent elles tre ont en commun qu elles r duisent le personnage de L nceste la personne r elle de l auteure cueil qu Angot cherche viter tout prix Nous verrons ensuite de quelle mani re l auteure s y prend pour d jouer cette difficult Par cons quent Angot explique partir d une relecture de la fable de La Fontaine L agneau et le loup 1991 que la litt rature n appartient pas au monde r el ni son auteur ni ceux qui croient s y reconna tre De fa on plus vaste l auteure plut t que de simplement s amuser brouiller les pistes pour le lecteur met en place un ques

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