Victor Hugo et la langue
Contents
1. p 299 11 Utilit du Beau ouvrage cit p 579 12 Dieu L Oc an d en haut VI vol Po sie IV p 662 Le silence ou le probl me muet chez Victor Hugo 5 avec le vide muet qu il s agit d explorer et de comprendre ce sera l ambition de Dieu En cons quence si ce probl me occupe une place nodale dans cette m ditation sur l art que poursuit William Shakespeare c est pr cis ment parce qu il noue de fa on inextricable esth tique thique et ontologie Ou plus exactement il est l expression de ce n ud gordien qu est pour Hugo l ad quation de la forme et du fond leur identit absolue C est le credo d Utilit du Beau Comme il n est pas question de trancher ce n ud le devoir du po te est de traiter en m me temps forme et fond et donc de faire surgir la premi re des entrailles m mes de l id e Encore faut il savoir quelle est l id e Sans la forme qui pr cis ment l informe ce n est pas vident Et le probl me se complique d tre tr s exactement celui de l informe Il n y a l aucun jeu de mots sauf admettre que c est bien le mot qui se joue de nous et se d robe par d faut ou par exc s Si les mots ont trop de contour comment signifier ce qui n en a pas Dans cette gen se invers e qu est la chute de Satan par exemple le silence est le r sultat de l effacement de la cr ation Le retour au chaos2. le mot qui sort de l ombre Je pardonne lequel ne fait qu annoncer la proclamation de la clart Dieu est cet amour qui attire tous les moi de l univers vers le grand moi leur centre et leur aimant La r ponse ne satisfait pas totalement le passant qui continue scruter le ciel Elle n a pas non plus les qualit s po tiques de l inqui tude et du d sarroi de l homme ab m dans le vide muet Plus le texte s l ve vers la lumi re plus il s dulcore et p lit victime de ce que Hugo lui m me notait propos du Paradis de Dante Le Purgatoire et le Paradis ne sont pas moins extraordinaires que la G henne mais mesure qu on monte on se d sint resse on tait bien de l enfer mais on n est plus du ciel on ne se reconna t plus aux anges l il humain n est pas fait peut tre pour tant de soleil et quand le po me devient heureux il ennuie Il y a fort gager que la r demption de Satan comme l ascension vers la lumi re dans Dieu ont fini par ennuyer jusqu au po te lui m me Il y a de l humour et de l autod rision dans l injonction de la clart qui impose le silence au po te C est quasiment le mot de la fin de ces huit po mes de L Oc an d en haut Que faut il conclure de cet trange chass crois o le silence de Dieu d clenche une qu te logorrh ique savamment orchestr e cependant par un fantastique oiseleur la plume enchant e
3. oise CHENET FAUGERAS qu il faudrait analyser permet de comprendre par quels moyens Hugo entendait re produire l invisible en produisant un visible spectral qui donne acc s la v rit trange du monde Une r alit chim rique appara t dans la profondeur indistincte L inconcevable s bauche quelques pas de vous avec une nettet spectrale On voit flotter dans l espace ou dans son propre cerveau on ne sait quoi de vague et d insaisissable comme les r ves des fleurs endormies Et ce on ne sait quoi de vague et d insaisissable c est le myst re du grand vide noir de l immensit s pulcrale du silence On comprend dans ces conditions que le silence puisse tre aussi la mati re plut t que le sujet de ses dessins Comme le proclame La Bouche d ombre l oreille pourrait avoir sa vision Si l il coute r ciproquement l oreille voit D o l int r t de ces paysages cr pusculaires obs dants correspondances de l me en d tresse et dans la g henne qu on trouve dans le prologue de La Fin de Satan par exemple L espace ressemblait aux plaines d ici bas Le soir quand l horizon qui tressaille et recule Noircit sous les yeux blancs du spectre cr puscule Les t n bres sans bruit croissaient dans le n ant L opaque obscurit fermait le ciel b ant Et faisant au del du dernier promontoire Une triple f lure cette vitre noire Les trois
4. probl me muet est elle m me probl matique En un sens elle est dichotomique 8 Voir l avertissement A l occasion de Shakespeare toutes les questions qui touchent l art se sont pr sent es son esprit traiter ces questions c est expliquer la mission de l art traiter ces questions c est expliquer le devoir de la pens e humaine envers l homme William Shakespeare ouvrage cit p 241 4 Fran oise CHENET FAUGERAS Les deux oreilles non seulement sont autonomes et sp cialis es ce qui est assez juste anatomiquement mais leur lat ralit est peut tre excessive qui tablit une dissym trie fortement marqu e par la syntaxe entre celle qui coute la vie et celle qui coute la mort Si la premi re est la condition du langage et correspondrait ce que les phoniatres appellent l oreille directrice enti rement vou e au bruit et le mot est ici p joratif elle ne joue plus son r le de coordinatrice et risque de contrarier la seconde menac e d atonie En d autres termes la sensibilit excessive au bruit rend sourd Pour aller jusqu au bout de la logique de l image de ces deux oreilles de la po sie pos es comme pr alable l uvre le risque majeur est bien celui de l impuissance entendre et dire parce que quelle que soit l oreille l coute est impossible Et l on sait que l enjeu de l art qui fait le Beau utile par sa seule puissance
5. c est le d passement du regard par la vision et de l coute par l entendement le Beau est l L homme regarde l homme coute peu peu il fait plus que regarder il voit il fait plus qu couter il entend Le probl me bruyant n est donc qu une modalit du probl me muet Celui l seul demeure dans son opacit comme obstacle sur lequel bute la pens e humaine On con oit qu il pourrait interdire au po te de remplir son devoir envers l homme et l art sa mission laquelle est messianique Car il s agit bien de salut et de r demption par la po sie charg e de relever l homme de la faute d Adam condamn la surdit de l impossible coute L informe Pos l art le probl me muet n est pourtant pas un simple probl me d herm neutique ni d esth tique voire de rh torique qui pourrait se r soudre par quelque artefact d l habilet technicienne d un auteur virtuose Les quivalents rh toriques n auraient d autre effet que de masquer ce qu il faut au contraire r v ler le vide ontologique Le probl me muet est dans un rapport sp culaire 9 L id e sans le mot serait une abstraction le mot sans l id e serait un bruit Utilit du Beau vol Critique p 585 10 Et la surdit est plus sombre encore que le silence Toute la lyre Qu est ce que ta sagesse LIX vol Po sie IV
6. du probl me le silence mais la suite de la phrase en pr cise la port e c est le probl me d un sens inexprimable et terrible On comprend obscur ment mais cette obscurit est intentionnelle que l hypallage par une mise en abyme expressive concentre dans le mot muet tous les aspects du probl me Dans ce contexte muet s opposant bruyant on peut comprendre que le probl me est muet parce que l homme se d robant au sens inexprimable et terrible pr f re s tourdir dans le bruit et laisser le probl me dans l ombre Seuls les g nies que vient d num rer Hugo l auraient affront Mais il d signe aussi l absence de r ponse la question que pose l homme la mort Ou l inverse ce qui serait le sens litt ral de probl me muet la mort comme r ponse une question que l homme ne peut formuler d autant qu il ne sait pas non plus qui l adresser L interlocuteur est il muet Existe t il Pourtant il y a r ponse puisque Hugo parle d un sens inexprimable Le probl me serait donc dans l impuissance de la parole dire la fois ce qui la fonde et la nie Mais alors comment l art pourrait il remplir sa mission et tendre l oreille l coute de la mort c est dire pr cis ment de l immense silence puis le r percuter et le faire entendre son tour On voit poindre l aporie L opposition entre probl me bruyant et
7. est une r gression un en de du langage Le monde n est plus qu un on ne sait quoi L ab me s effa ait Rien n avait plus de forme L obscurit semblait gonfler sa vague norme C tait on ne sait quoi de submerg c tait Ce qui n est plus ce qui s en va ce qui se tait Dans Dieu l image nihiliste mais est ce seulement une image que donne la chauve souris d un monde soumis au chaos a valeur ici d art po tique l gif rant pour l ensemble du po me 13 Il faudrait faire la g n alogie de cette image qui vaut concept On notera qu elle restreint le sens d ab me ou de gouffre plus g n ralement employ s Elle semble d embl e li e La Fin de Satan et contracter ce syntagme descriptif qui d signe le futur emplacement de Lut ce l espace tait vide et muet vol Po sie IV p 14 14 Il y a entre ce que vous nommez forme et ce que vous nommez fond identit absolue l une tant ext rieure l autre la forme tant le fond rendu visible Le Go t vol Critique p 575 15 Forma la beaut Le beau c est la forme Preuve trange et inattendue que la forme c est le fond Confondre forme et surface est absurde La forme est essentielle et absolue elle vient des entrailles m mes de l id e Elle est le Beau et tout ce qui est beau manifeste le vrai Utilit du Beau vol Critique p 581 583 16 La Fi
8. l auditeur au Ch telet ma tre Florian Barbedienne et le jugement absurde qu il entra ne C est aussi l id e directrice du premier soliloque de l Oc an d en haut celui de la chauve souris qui ironise sur les penseurs questionnant en vain la surdit des choses alors que le monde est irr m diablement absurde et insens Elle pose aussi la bonne question Rien n existe et comment expliquer en paroles La stup faction immense de la nuit L enfer du silence C est donc le silence qui voue le po me l informe et condamne l uvre l inach vement et la fragmentation pour peu qu elle le prenne pour objet et s essaie le saisir Encore qu il faille tre prudent sur le sens donner l inach vement de La Fin de Satan et de Dieu ou sur cette d cision du Testament litt raire de publier aussi les uvres commenc es et en parties achev es ainsi que les fragments et id es parses Outre le titre propos pour ces derniers Oc an qui fait cho aux hommes oc ans les g nies de William Shakespeare le projet de pr face pour le Tas de pierres laisse au lecteur le soin de juger si ce tas de pierres provient d un monument en ruine ou d un difice en construction Chantier ou catastrophe la question est ouverte Mais dans tous les cas c est admettre que le 20 Si l interlude d Ursus est muet jusqu au chant de Dea il n est pas sil
9. tandis que le verbe divin tarit l inspiration et renvoie son n ant le po te quasi foudroy par un baiser norme La r ussite plastique de cet ensemble d concertant est vidente Comme le dit plaisamment 41 Dieu L Oc an d en haut Il ibid p 627 42 Ibid VI ibid p 667 43 Ibid VIII ibid p 705 44 William Shakespeare 1 II 2 ouvrage cit p 277 278 45 Jean Maurel article Victor Hugo Dieu Encyclop die philosophique universelle P U F t I p 1850 12 Fran oise CHENET FAUGERAS Audiberti Dieu existe Malgr lui le lecteur est aspir par le souffle du po me et en reste sid r anesth si projet dans une sorte de vide o s abolit la pens e Est ce l effet voulu par Hugo Probablement si l on se r f re la lecture de Michel Butor qui dans Babel en creux en a d mont le m canisme L immensit s pulcrale du silence Reste le paradoxe de ce vide produit par le trop plein du texte L explication en est fournie par la r v lation des Tables l Infini c est le vide plein c est aussi l inconnu et le monde invisible Se fonde ainsi dans ce dialogue avec l au del une esth tique du vide qui non seulement permet de rendre compte de l architecture de la plupart de ses uvres mais mieux encore du point de vue adopt pour les crire et qui trouve dans William Shakespeare sa formule Pour qu un espr
10. 199 49 Voir en particulier Jacques Seebacher Le syst me du vide dans Notre Dame de Paris Litt rature f vrier 1972 50 William Shakespeare HI I 1 ouvrage cit p 417 Le silence ou le probl me muet chez Victor Hugo 13 l usage des deux oreilles de la po sie Il faudrait reprendre ici le texte de la Pr face de mes uvres et Post scriptum de ma vie qui exprime avec ce credo le refus obstin de tout ce qui enferme On croit que fin signifie mort Erreur Fin signifie vie L existence terrestre n est autre chose que la lente croissance de l tre humain vers cet panouissement de l me que nous appelons la mort C est dans le s pulcre que la fleur de la vie s ouvre La position est d autant plus facile occuper qu il n y a pas de fronti re entre la vie et la mort la nature existe seule et contient tout Tout Est Ce qui donne le vrai nom de l Etre Tout Un Tous les ab mes se correspondent dans tous les sens du terme ce qu il y a d ab me en nous est appel par ce qu il y a d ab me hors de nous On reconna t le Abyssus abyssum vocat du Psaume XLII qui sert de titre l un des chapitres d cisifs de L Homme qui rit et justifie toutes les sp cularit s vertigineuses entre le moi et ses doubles Chose inou e c est au dedans de soi qu il faut regarder le dehors Le profond miroir sombre est au fond de l homme L est le clair obscu
11. Hugo en vue du po me 33 Dieu Le Seuil du gouffre L esprit humain vol Po sie IV p 584 34 Dieu L Oc an d en haut IL ibid p 627 35 Les Contemplations Magnitudo parvi III 30 36 Les Mages Les Contemplations VI 23 4 vol Po sie II p 524 10 Fran oise CHENET FAUGERAS Le grand cach de la nature Vient hors de l antre leur appel LT Il y a donc un espoir de salut Le mutisme de Dieu est relatif et volontaire Le grand cach assez semblable au Satyre ici r pondra l appel pour peu qu on sache le faire sortir de son antre Mais nouvelle difficult le po te peut tout hors ceci nommer Dieu dit l une des Voix Dieu tant l illimit Ce nom d borde vaste inou r fractaire Quelque tre que ce soit au ciel et sur la terre L homme saisir ce mot s est parfois occup Mais en vain car ce nom ineffable est coup En autant de tron ons qu il est de cr atures Il est pars au loin dans les autres natures Personne n a l alpha personne l om ga L J Jeu de cache cache entre le tout et la partie et non plus dialectique De m me qu est r cus lantique rapport du microcosme au macrocosme la partie ne refl te pas le tout et ne saurait le saisir sinon le conna tre Le mutisme de Dieu ou de l Inconnu se complique donc de l impossibilit de le nommer Ineffable il laisse Phomme sans voix Encore cette autre forme d
12. Victor Hugo et la langue Actes du colloque de Cerisy 2 12 ao t 2002 Textes r unis par Florence Naugrette et pr sent s par Guy Rosa Ouvrage publi en 2005 aux ditions Br al avec le concours du Centre national du livre et de l Universit Paris7 reproduit avec la gracieuse autorisation de l diteur et l accord du Centre Culturel International de Cerisy la Salle Editions Br al 2005 et Universit Paris Diderot Paris 7 Le silence ou le probl me muet chez Victor Hugo Fran oise CHENET FAUGERAS Le silence chez Hugo est singulier Non seulement parce qu il est rarement employ au pluriel mais surtout parce qu il appara t au milieu de la verve inou e de la cr ation comme une aberration voire un scandale celui du ch timent supr me tel qu il le d finit propos de Satan le ch timent silencieux ch tie Plus fondamentalement il est ce probl me muet sourd obscur d cevant qui taraude les chercheurs sublimes de Pleurs dans la nuit De quelqu un qui se tait nous sommes les ministres Qui donc sait le secret le savez vous temp tes Gouffres en parlez vous Le probl me muet gonfle la mer sonore 4 Il est vrai que la r ponse est aussit t apport e Le mot c est Dieu Mais le probl me et sa r ponse toujours remise en cause n en sont pas moins ind finiment ressass s par les Voix du Seuil du gouffre ou par celles des cr atu
13. ab me la question de l tre que pose le probl me muet Il est du c t de la mort tandis que la trag die ses larmes ses cris et ses passions se trouve plac e du c t de la vie Le silence ou le probl me muet chez Victor Hugo 3 mission est de n exclure aucun des aspects de la cr ation et donc aucun probl me En l occurrence il s agit de la vie et de la mort A l une le probl me bruyant dont on remarquera qu il s nonce par une longue s quence tortueuse et d sordonn e mimant toutes les directions offertes aux mille pieds de l homme A regarder le d tail de l num ration le vaste carrefour vital est celui o se croisent nos douleurs et le probl me celui du mal D o ces bruits et cette fureur qui se r solvent parfois en tapage m lant la com die la trag die et dont l ventail d finit assez explicitement la diversit du drame shakespearien anticip par le th tre d Eschyle On comprend ais ment qu en pleinelumi re ce probl me soit le plus manifestement abord par l art et qu il constitue en quelque sorte sa face visible et sonore Raison pour laquelle aussi il est bruyant Et s il est probl matique c est par exc s C t invisible et secret de l art sa part d ombre le laconique et nigmatique probl me muet correspondant la mort L apposition l immense silence semble d finir la nature
14. encieux Lutte cris hurlements et tout coup silence Un chant dans l ombre Un souffle avait pass on entendait une voix Voix l g re profonde ineffable d invisible faite visible L Homme qui rit II II 9 Extravagances que les gens sans go t appellent po sie 21 Voir Camus qui oppose au non de l homme r volt le oui de l homme absurde Le sentiment de l absurde engendre la joie silencieuse de Sisyphe D o l ironie sur le silence fracassant de Vigny Mythe de Sisyphe Pl iade t H p 197 et L Homme r volt ibid p 463 22 Absurde vient du latin absurdus qui est form de ab et de surdus sourd 23 Notre Dame de Paris Pl iade p 197 Voir la note de Jacques Seebacher p 1159 24 William Shakespeare vol Critique p 247 25 Voir A du Bouchet ouvrage cit p 88 L uvre de Hugo la fois chantier et catastrophe poursuit ainsi sa course tourbillonnaire de l infini au fragment linfini per u h riss et du fragment l uvre qui finalement se d fait 8 Fran oise CHENET FAUGERAS non fini plut t que l inachev fait partie int grante de l uvre assumant sa gestation et ses rat s L id e va bien au del de ce que nous entendons par po etique ou work in progress Ici il n y a pas de progr s ou alors sous la forme d un lumineux d sastre ni m me de progression qui implique
15. ge r volt ou du po te qui m prise ce qui l crase Mais 26 C est tout un immense horizon d id es entrevues d ouvrages commenc s d bauches de plans d pures demi clair es de lin aments vagues entassement d uvres flottantes o ma pens e s enfonce sans savoir si elle en reviendra Oc an vers vol Po sie IV p 917 27 Dieu Le Seuil du gouffre Voix XII vol Po sie IV p 619 28 Voir galement La Vision de Dante Tomber dans le silence et la brume jamais Une chute sans fin dans une nuit sans fond Voil l enfer La L gende des si cles LIV 29 Sarcasmes de l Esprit noir fin 1861 Dieu fragments vol Chantiers p 704 30 C est la tentation du hibou en r ponse au silence de la cr ation Le muet est plus saint que le silencieux Oui se murer l oreille avec le mur silence Dieu L Oc an d en haut II vol Po sie IV p 634 Le silence ou le probl me muet chez Victor Hugo 9 pour Hugo le cri est la condition du pardon et du salut Tout ce qui veut rester mauvais doit rester sombre Volontairement ou non le maudit se mure dans le silence plus s rement encore que dans le gouffre o il a t jet Hugo le r p te sati t le silence est un enfermement une cl ture une prison une tombe La Bastille par exemple c est nuit silence asphyxie ennui et nul
16. it donne toute sa clart il lui faut la mort L blouissement du genre humain commence quand ce qui tait un L A Voe py AE S 50 g nie devient une me Un livre o il y a du fant me est irr sistible Elle a d j t appliqu e aux Contemplations ce livre qui doit tre lu comme on lirait le livre d un mort On pourrait d montrer que cette esp ce de focalisation s pulcrale est la condition m me de l criture et pas seulement chez Hugo Mais c est lui qui une fois de plus en comprend toutes les implications et en exploite au mieux les ressources Et en particulier pour r soudre ce lancinant probl me muet Comment se mettre l coute de la mort En prenant la place du mort dans son tombeau pour s ouvrir la vie et ainsi retrouver 46 Jacques Audiberti Mais Dieu existe Et aussi La Fin de Satan Dans le bloc de ces deux ouvrages retentit la recette o nous acheminent Les Ch timents vangile policier et La l gende pop e de spectres supplici s Ce testament collecte les diverses coul es de l uvre tout enti re absorbant les larmes du p re et les humeurs de l amant dans une lave rythmique anesth si e par sa propre densit Le Po te Fata Morgana 2001 p 41 47 Babel en creux Victor Hugo uvres compl tes Edition chronologique dirig e par J Massin CFL 1967 1970 t VIII p XIX XXXII 48 Proc s verbaux des Tables parlantes ibid t IX p 1
17. le communication L enfer ce n est pas l autre c est l autre avec lequel on ne peut rien changer C est pourquoi le mutisme de Dieu est intol rable et en contradiction avec l id e d un Dieu amour Dans La Fin de Satan son silence est cruel et odieux Dans Dieu les points noirs finiront par le d finir n gativement en l assimilant la nuit froide qui se tait Le hibou caustique dit Et Dieu s il est un Dieu fit sa ressemblance i 5 34 L universelle nuit et l ternel silence Dans Magnitudo parvi il est l Inconnu l immobile et muet visage Dans Les Mages et seulement pour l homme le ciel se tait L Inconnu garde le silence Et l homme qui se sent banni Ne sait s il redoute ou s il aime Cette lividit supr me De l nigme et de l infini Mais on sait que gr ce l intervention chirurgicale des penseurs des mages qui tirent Dieu de la cr ature par l esprit et le scalpel Le muet renonce se taire Tout luit la noirceur de la terre S claire la blancheur des cieux 31 Un po me de Toute la lyre Jai men parfois dure vie en fera une mal diction Se taire ne sied qu au maudit Toute la lyre V 21 vol Po sie IV p 359 Dat du 14 octobre 1853 Jersey 32 La Fin de Satan fragments vol Chantiers p 338 Il s agit de notes prises par
18. n de Satan vol Po sie IV p 5 6 Fran oise CHENET FAUGERAS Noire bauche de rien que personne n ach ve L univers est un monstre et le ciel est un r ve Ni volont ni loi ni p les ni milieu Un chaos compos de n ants pas de Dieu On peut lui pr f rer bien qu elle ne soit elle m me qu une bauche de La Fin de Satan po me inachev et laiss en suspens cette autre formulation qui explicitement fait du vide muet une sorte de d miurge de la n gativit creusant ind finiment son propre n ant Dans l espace sans bords sans forme et sans contour O le vide muet roule ses vagues noires Le chaos prolongeait ses mornes promontoires Edifices du souffle chaque instant d truits Par le souffle et croulant dans l ombre au fond des nuits Ces caps de l infini s allongeaient dans l ab me L essentiel n est pas dans les mots mais dans le mouvement la respiration l effet de souffle qui rejette par sa seule r p tition et sa place ce que le vers pr c dent a cru fixer Malgr la r ussite formelle de ces cinq vers on peut se demander si le moule de l alexandrin m me assoupli par Hugo ne contredit pas le lexique le vers aussi trop de contours Aussi n est ce qu une tentative pour sugg rer l informe l bauche d une bauche dont le v ritable int r t serait de d placer dans le m tadiscursif la solution du probl me Le fragment quel que soit
19. onsacr Aristophane La question pos e l oracle d Apollon le Tortueux tait de savoir si le nouveau genre la com die n tait pas impie et si la com die existait de droit aussi bien que la trag die Loxias r pondit la po sie a deux oreilles Cette r ponse qu Aristote d clare obscure nous semble fort claire Elle r sume la loi enti re de l art Deux probl mes en effet sont en pr sence en pleine lumi re le probl me bruyant tumultueux orageux tapageur le vaste carrefour vital toutes les directions offertes aux mille pieds de l homme les bouches contestant les querelles les passions avec leurs pourquoi le mal qui commence la souffrance par lui car tre le mal c est pire que le faire les peines les douleurs les larmes les cris les rumeurs dans l ombre le probl me muet l immense silence d un sens inexprimable et terrible Et la po sie a deux oreilles l une qui coute la vie l autre qui coute la mort L explication de Hugo n est pas aussi claire qu il le dit Elle semble oublier la question pos e Loxias sur l introduction de la com die face la trag die c est dire sur la place du rire c t du deuil pour d finir une fois de plus l art comme totalit dont la 6 William Shakespeare I IV 8 vol Critique p 321 322 7 En fait elle ne l oublie pas le rire est l panouissement redoutable de l inconnu et la r ponse de l
20. r terrible La chose r fl chie par l me est plus vertigineuse que vue directement C est plus que l image c est le simulacre et dans le simulacre il y a du spectre Ce reflet compliqu de l Ombre c est pour le r el une augmentation En nous penchant sur ce puits notre esprit x nous y apercevons une distance d ab me dans un cercle troit le monde immense Tout est expliqu dans ce mode d emploi de l uvre tout enti re ce qui est la fonction d une pr face Et il n est pas indiff rent qu elle soit galement un post scriptum crit de cet outre tombe qu il pense bient t rejoindre L explication tortueuse de l oracle de Loxias s en trouve redress e en quelque sorte et trouve ici les moyens de son accomplissement Tout point de l espace y compris de l espace int rieur peut donc servir cet exercice o l on se reconna t soi dans les autres et vice versa Ou chez soi dans un ab me sorte de non lieu de la positivit du monde par o se diffuse le moi de l infini Le tout est de trouver la bonne distance de soi soi cette distance d ab me dont Hamlet dans William Shakespeare donnait l exemple Mieux ce glissement subtil d image spectre en passant par simulacre ind pendamment de leurs pr suppos s philosophiques 51 Pr face de mes uvres et Post scriptum de ma vie vol Critique p 708 52 Ibid p 703 708 711 53 Ibid p 699 14 Fran
21. rait une lin arit et donc un sens d finitivement conquis Il y a l aventure de la pens e qui s enfonce sans savoir si elle en reviendra et se risque en enfer pour explorer le vide muet La n gativit qui lui est consubstantielle finit par atteindre le projet po tique lui m me Babel ne pourra plus se reconstruire qu en creux dans l effondrement vertigineux de Gavarnie en proie aux flux et reflux de la cr ation Si l enfer est un enfer de silence comme le dit sarcastiquement l Esprit noir qui s en prend l imagerie chr tienne revue par l utilitarisme bourgeois c est indiscutablement celui du po te La profondeur est sourde et l ab me est aveugle Ce qui fut les vivants se m le et se confond Avec la nuit sans borne avec le deuil sans fond La peine ouvre dans l ombre un regard d agonie Pas un mouvement Rien La stupeur infinie Pas un lin ament visible Pas un bruit Par moments des rougeurs flottent dans cette nuit Et passent L horreur sourde emplit ces lieux fun bres C est de la c cit qui t te des t n bres M me id e dans un fragment ant rieur 1856 57 mais dans un registre plus tragique qui oppose au Dieu implacable l enfer impassible subissant en silence son deuil et refusant de se plaindre On pourrait voir dans ce silence assum la fa on de Vigny seul le silence est grand une preuve de la noblesse hautaine de l an
22. re C est donc sur l image d un Hugo au travail aux prises avec le gouffre obscur des mots flottants qu il nous faudra rester 56 Pr face de mes uvres et Post scriptum de ma vie vol Critique p 698 57 Du G nie vol Critique p 561 58 Je travaille Toute la lyre V 15 vol Po sie IV p 351
23. res a riennes de L Oc an d en haut De fait comme le reconna t Hugo dans un fragment il wy a d incontest que le silence C est lui qui d finit si l on peut dire 1 J admire par instants cette verve inou e De la cr ation sans cesse panouie Fragment 190 de Dieu cote 106 O C Laffont Bouquins vol Chantiers p 491 Toutes les citations seront faites dans l dition Bouquins sauf mention contraire 2 Sarcasmes de l Esprit Noir Dieu fragments ibid p 704 3 Derni re gerbe CXXI en fait fragment de Dieu vol Po sie IV p 882 4 Les Contemplations VI 6 16 vol Po sie II p 490 5 Vol Oc an p 223 2 Fran oise CHENET FAUGERAS la cr ation et en donne le cadre pist mologique Au commencement mais y a t il eu un commencement n tait pas le verbe mais le silence C est la nature de ce probl me muet et ses implications esth tiques qu il s agira ici d analyser On peut consid rer en effet qu il cristallise toutes les formes que prend le silence dans l uvre de Hugo et qu il en est pour ainsi dire la pierre de touche Ou au plus intime de la relation au monde l autre et soi m me le seul probl me qui vaille d tre pos C est ce qu on se propose de v rifier Les deux oreilles de la po sie Le probl me est abord obliquement la fin d un chapitre de William Shakespeare c
24. soleils m laient leurs trois rayonnements Dans ces paysages d une apocalypse toujours latente le silence est associ la nuit et la mort du soleil Le soleil tait l qui mourait dans l ab me Le Et nox facta est du titre inversant le Lux facta est de la Gen se les correspondances Nox Silence et Lux Verbe permettent dans les dessins uvres du silence de le rendre visible Il faudrait un examen minutieux de ces correspondances qui par la vertu des synesth sies permettent dans les dessins comme dans les textes de convoquer tous les sens et donc les deux oreilles de la po sie auxquelles il faudrait ajouter les trois yeux du Jupiter 54 Les Mis rables II 3 5 vol Roman II p 308 55 La Fin de Satan ouvrage cit p 4 Le silence ou le probl me muet chez Victor Hugo 15 d Egine On conc dera que le travail exc de les limites de cette contribution Il aurait cependant le m rite de mettre en vidence celui de Hugo rien de moins facile que l criture du silence On aurait pu croire qu il suffisait de faire en quelque sorte des trous dans le texte de cr er par des blancs quelque vide signifiant Hugo a une conception quasi mystique du trou perc e sur l infini La n gativit du silence le rejette du c t de la lacune qui elle est un d faut Mais sa conception de la po sie et de sa mission lui interdit de produire une uvre d lib r ment lacunai
25. son contenu ne dit que la pens e fragment e impuissante se formuler De l cette impression que dans le naufrage permanent de la pens e devant le probl me muet les phrases de Hugo chavirent comme l analyse superbement Andr du Bouchet qui souligne ironiquement cette fausse prolif ration de paroles pour dire le vide et l ternelle r p tition de ce mot qui ne peut pas tre dit une perp tuelle addition aboutissant continuellement au m me total Preuve a contrario c est le Verbe qui recr e inlassablement le monde tandis que la parole d faillante le renvoie ce vide muet La cr ation est une lutte sans fin contre le silence et son pouvoir dissolvant et si elle r sulte d un chaos vaincu c est 17 Dieu L Oc an d en haut I vol Po sie IV p 624 18 La Fin de Satan fragments vol Chantiers p 310 19 Andr du Bouchet L infini et l inachev Critique n 54 novembre 1951 repris dans l anthologie L il gar dans les plis de l ob issance au vent Seghers 2001 pp 69 95 Le silence ou le probl me muet chez Victor Hugo 7 provisoirement Sans doute est ce quelque part absurde comme le geste de Sisyphe roulant son rocher qu il sait devoir retomber Mais tymologie oblige l absurdit est la cons quence de la surdit du monde comme le montre le dialogue impossible entre les deux sourds que sont Quasimodo et
26. u silence impos par la divinit est elle positive tout en s inscrivant dans une ontologie n gative elle affirme Dieu devenu dans l interrogation du hibou ce fant me muet agissant sous linfini senti certes mais non per u par le seul organe digne de foi la vue L tre est il parce que la vue est Atteint par le strabisme effrayant du doute le hibou oscille ternellement entre l affirmation et la n gation poursuivant en vain l ternel vanouissement et lui m me saisi par l ombre qu il voulait saisir Son passage dans le ciel permet cependant d entrevoir une solution au d fi que pose le probl me muet au po te Si la po sie doit lutter contre la formidable taciturnit de l ombre pour 37 Ibid p 525 526 38 Voir Paul B nichou Victor Hugo et le Dieu cach Hugo le fabuleux Colloque de Cerisy Seghers 1985 p 149 39 Dieu Le Seuil du gouffre Voix VII vol Po sie IV p 605 40 Dieu L Oc an d en haut IL ibid p 636 638 Le silence ou le probl me muet chez Victor Hugo 11 restaurer l coute et r tablir l change c est par l affirmation et non par la n gation L tre mortel m dite et songe avec effroi En attendant qu un jour quelqu un dise c est moi Elle doit donc pr parer la r v lation de ce moi de l infini Le griffon le confirme en donnant le mot magique que l enfer attend
Download Pdf Manuals
Related Search