Claude LANZMANN - Les Cahiers naturalistes
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1. Argent m a tr s vite pos un probl me qui d abord me semblait insoluble c est l antis mitisme de Saccard le protagoniste majeur du livre Ce livre vous le connaissez videmment tous et je ne prendrai pas la peine de le commenter pour vous Mais l antis mitisme l antijuda sme de Saccard est si violent si essentiel au personnage et ses entreprises il coule tellement de source en longues tirades fulminantes et argument es que je ne pouvais m emp cher de me demander mais qui parle Est ce Saccard ou bien l auteur de J accuse Quant au banquier calme froid refusant tout ses motions menant une vie asc tique calculateur et man uvrier g nial certain de sa victoire il figure le premier l poque des barons de Rothschild et ce n est pas seulement Saccard qui parle de lui mais aussi Zola l crivain qui le d crit dans une combinatoire ind cidable de fascination et de r pulsion Alors Il y a d autres Juifs dans l uvre de Zola Pensez Steiner un banquier encore un des amants de Nana qui c de toutes les passions et se d pouille de tout comme les autres hommes qu elle exploite et ridiculise La bassesse de Steiner n en a pas moins des traits sp cifiquement juifs tels que les voient les antis mites Je sais que Zola dans les notes qu il r digea avant l criture de L Argent dit en plusieurs occurrences Ici impossible de ne pas affronter la question juive Il tait donc le2. Allocution de Claude Lanzmann P lerinage de M dan 2009 Cher Pierre Berg cher Fran ois Labadens chers amis connus ou inconnus je me demande par quelle d mesure ou inconscience d orgueil jai pu c der la douce et imp rieuse pri re de Fran ois Labadens et accepter d inaugurer votre p lerinage litt raire de M dan Il y a parmi vous qui en douterait des zoliens purs et durs connaissant fond toute l uvre du ma tre bien plus qualifi s que moi pour s adresser vous aujourd hui C est seulement au fur et mesure qu approchait l ch ance que mon insignifiance et le sentiment de mon incomp tence m ont saut aux yeux me donnant un irr sistible d sir de fuir que j aurais s rement d mettre ex cution vous vous en persuaderez dans un instant J ai lu Zola aussit t apr s la guerre je n ai pas lu tout Zola quoique me disant apr s chaque lecture qu il tait de mon devoir de le faire Pas seulement de mon devoir mais de mon plaisir de mon d sir tant le monde que l crivain proposait tait extraordinaire de richesse de finesse de rudesse de tendresse de brutalit d actualit surtout J ai lu Zola dans le d sordre mes premiers furent Au Bonheur des dames et Le Docteur Pascal qui m enthousiasm rent pour mille raisons mais essentiellement par la capacit de l auteur entrer dans les mes et les mondes dans les raisons et d raisons dans les langages les argots les codes les
3. e ne suis pas certain de la v racit de ce que je d clare ici Ces deux hypoth ses ne sont au bout du compte nullement contradictoires elles se compl teraient plut t Regardons les comme des pistes ouvertes que je livre la r flexion et la ferveur de chacun de ceux qui sont ici et plus particuli rement aux zoliens purs et durs dont j ai tout apprendre
4. m urs les classes sociales les m tiers Nulle abstraction mais un souffle non pareil appuy chaque fois sur une connaissance concr te celle du grand magasin de la mine du chemin de fer et de la locomotive des techniques du blanchissage du linge du blanchiment de l argent pourquoi pas Chaque fois Zola se renseigne s informe passe du temps sur place s impr gne de la r alit laquelle il semble perm able comme une ponge et dans un ph nom ne unique de transsubstantiation qui est le signe de sa grandeur nous restitue tout ce qu il a vu senti compris par une recr ation d immense crivain visionnaire qui d passe et transcende infiniment ce sur quoi il s est appuy J ai lu mile Zola tous les ges de ma vie et je le tiens pour un des tr s grands Lorsque j ai c d avant l t l insistance de Fran ois Labadens j ai emport avec moi L Argent que je navais jamais lu et le gros livre de Jean Denis Bredin sur l affaire Dreyfus qui s appelle pr cis ment L Affaire et que j avais d j lu avec faveur au moment de sa parution Pourquoi L Argent Parce que je pr parais ce moment l un dossier pour ma revue Les Temps Modernes consacr la crise financi re et conomique laquelle je ne comprenais pas grand chose L Argent de Zola fut pour moi comme une r v lation un vade mecum un mode d emploi et de compr hension qui m en disait plus que les conomistes d aujourd hui En v rit L
5. ma tre absolu de ce qu il faisait Zola tait il un antis mite Ou tait il l ponge dont j ai parl il y a un instant L ponge cela ne fait aucun doute Le si cle entier tait antis mite et l ponge Zola ne pouvait pas ne pas absorber le poison de tous C tait un passage oblig pour le grand romancier du temps La gen se de J accuse l audace de la solitude et l h ro sme v ritable qui furent ensuite ceux de Zola ne contredisent en rien ce que je viens de dire Sa vie t moignera jusqu sa mort et jusqu aujourd hui de cette m tamorphose et de son courage Je pense quant moi que le probl me juif ou la question juive au choix avaient t centraux pour Zola Et c est cette centralit qui est l origine du courage et de l h ro sme dont je viens de parler Avant de se battre pour le Capitaine Dreyfus Zola s est battu contre lui m me combattant en lui le poison de l poque qu il avait reconnu comme un poison Mais on peut aussi et d autres textes tayeraient cette hypoth se penser que Zola lorsqu il se mettait en crivant dans la peau du plus f roce antis mite s oubliait se d pouillait enti rement de lui m me atteignant une forme de voyance supr me qui est l imaginaire m me La question biographique n a plus alors aucun sens ne doit pas tre pos e Seuls les actes comptent on ne peut pas valuer les propos d un grand romancier l aune des mes ordinaires J
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