Saveurs et savoirs dans les Fables de La Fontaine Il est une fable
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1. auxquels la foule et le Roi pr f rent Alceste ou Th s e ou Cadmus Face aux clats et l norme il a la nostalgie du rare et d une voix tendre Ce go t para t s accorder au dernier des repas que racontent les livres de Fables le repas l ger simple sans violence et m me tendre qu offrent Phil mon et Baucis Selon La Fontaine qui suit largement Ovide ces deux personnages vivaient l cart dans une cabane comme des jardiniers Ils surent cultiver sans se voir assist s Leur enclos et leur champ par deux fois vingt t s Deux voyageurs se pr sent rent Aussit t ils leur offrirent l hospitalit une table un champ tre repas autant de mets peu d licieux le tout sur un tapis tout us fort loin du fameux tapis de Turquie Un peu de vin grossier est m l au cristal d une source Enfin croyant bien faire Baucis se propose d attraper et de tuer une Perdrix qu elle a tendrement l v e Mais un des voyageurs qui n est autre que Jupiter interc de La volatile trouve asile entre les pieds des Dieux Ainsi n y a t il pas meurtre Les mets apparemment peu d licieux la mort tant vit e s av rent merveilleux Ils forment point de d part pour la m tamorphose heureuse de Phil mon et Baucis C est le coeur qui fait tout 24m 20 Discours Monsieur le duc de La Rochefoucauld X 14 v 56 21 Je ne prends que l id e et les tours et les lois Que nos ma tres suivaient eux2. quelque grain sa voisine Si cette chanteuse vivait pour son plaisir ne vous d plaise elle accepte d sormais tout pour subsister La course du temps l incapacit de la ralentir et les interruptions emp chent de d velopper un savoir des saveurs A la fable suivante Ma tre Corbeau a beau tenir dans son bec un fromage un flatteur tr s vite intervient et le lui prend Le Jardinier n est pas un de ces gloutons Il cultive la fois les nourritures et les fleurs Il appr cie les parfums les couleurs tout comme les saveurs Il a su cr er en ses terres un lieu o il se donne le temps d aimer Margot lui qui est d j p re d une fille Son jardin para t en partie prot g par lui de l exp rience contraignante du temps Une f licit tranquille peut s y vivre sans pr cipitation ni crainte L entr e du Seigneur repr sente en revanche l entr e du temps En une heure de temps ce Seigneur d truit plus de choses que n en auraient fait en cent ans tous les Li vres de la province La Fontaine tout au contraire de cet introducteur d urgence catastrophique se pla t d ployer le temps dans sa fable en multiplant les mots pour voquer la diversit des choses que produit le Jardinier Par cette ornementation qui enrichit son r cit de quelques traits qui en rel vent le go t il imite et produit le rythme mod r du temps dans le jardin Il avait de plan vif ferm cette tendue L croissait plaisir
3. l oseille et la laitue De quoi faire Margot pour sa f te un bouquet Peu de jasmin d Espagne et force serpolet La Fontaine se pla t nommer compl tement les choses diverses qui font saveurs Un peu plus loin quand le Seigneur a tout d truit et comme pour compenser cette destruction par les mots il reprend son num ration Adieu planches et carreaux Adieu chicor e et poreaux Adieu de quoi mettre au potage L abondance diverse des mots et le temps n cessaire leur prof ration imite l abondance diverse des choses qui font saveurs dans le jardin La Fontaine certes ne peut livrer directement ces saveurs mais les mots en forment image par la langue et cet emploi se justifie d autant plus que la saveur ne va pas sans les mots On l a prouv avec Le Rat et l Hu tre la vue de l Hu tre am ne d abord le Rat a d ployer tout un appareil de mots La saveur avant d tre effectivement sentie exige d abord tr s trangement pour une th orie na ve des sensations du langage Les mots en ce cas accompagnent mais plus subtilement pr c dent l exp rience La saveur ne va pas sans les mots et plus encore sans un savoir de leur usage Le Jardinier le cuisinier et le po te sont figures qui se r pondent Tout au contraire le Loup au fond des for ts quand il mange l Agneau c est soudain sans parole la fable m me se tait La saveur est une relation imaginante du sujet la chose qu il go te et cette relati
4. la connaissance et l exp rience C est que le bon jugement quant aux saveurs qui suppose un r el go t po tique ce dont dispose le lyrique Rat n est pas condition suffisante pour juger ad quatement du monde D autres Rats en donnent l exemple et le r cit de leur affaire pose pr cis ment question d thique Le Rat de ville et le Rat des champs Un Rat de ville invite un Rat des champs manger des reliefs d ortolans oiseau r put exceptionellement savoureux Sur un tapis de Turquie Le couvert se trouva mis A la porte de la salle Ils entendirent du bruit Rats en campagne aussit t Le calme revenu le Rat des champs refuse de reprendre le repas Fi du plaisir Que la crainte peut corrompre Le Rat des champs appr cie les reliefs d ortolans C est apparemment pour eux qu il quitte la campagne Ce Rat n est pas un barbare ou un Ane mais il juge que le plaisir que la crainte ne peut corrompre est un plaisir meilleur que le plaisir ventuellement corrompu du gourmet Tel est son choix qui pr side ses actes Ce choix se fonde sur un savoir d un autre ordre que celui dont il dispose sur les saveurs Et ce savoir apparemment d ordre thique le fait rompre avec son h te Ce dernier se d lecte d un plaisir que la crainte peut corrompre Il ignore ou feint d ignorer la qualit particuli re d un plaisir que la crainte ne corrompt pas Il est d abord gourmet Et son go t en mati re culin
5. m mes autrefois Si d ailleurs quelque endroit plein chez eux d excellence Peut entrer dans mes vers sans nulle violence Je l y transporte monsieur l Ev que de Soissons Oeuvres diverses Biblioth que de la Pl iade p 648 22 Voir par exemple Le Cygne et le Cuisinier III 12 23 A Monsieur de Niert sur l op ra Oeuvres diverses Biblioth que de la Pl iade p 618 24 Phil mon et Baucis XII 25 v 21 22 Un savoir des saveurs m me si d licatement discret ne fait pas tout il n apprend pas reconna tre le divin et la vie fragile Mieux vaut un savoir du coeur qui s accorde au go t et qui n est sans doute pas lui m me pas sans saveur Or ce savoir du coeur et sa reconnaissance sont n cessaires l art des mots pour engendrer une heureuse m tamorphose qui est la po sie un chant sous les ombrages dont l amour suppose des Dieux ou bien ce que Montaigne appelle un suffisant lecteur 25 Ibid vers 191 26 Montaigne Essais I 23
6. nourritures sont n cessairement des gens de coeur Le comportement du Chat illustre le contraire S esquisse ainsi une critique de la capacit de go ter qui ne saurait fonder m me quand elle est excellemment d velopp e comme chez le Rat de Ville elle seule l thos du sage De cette complexit de point de vue t moigne remarquablement Le Jardinier et son Seigneur Le Jardinier son Seigneur Le Jardinier de cette fable cultive des plantes diverses et qui sont bonnes belles parfum es donnant du plaisir et du go t L croissait plaisir l oseille et la laitue De quoi faire Margot pour sa f te un bouquet Peu de jasmin d Espagne et force serpolet Ce Jardinier cr pour autrui et pour lui m me une f licit Un Li vre vient la troubler Le Jardinier en appelle au Seigneur du Bourg qui pour chasser l animal cr e dans la haie une trou e horrible et large plaie met en piteux tat le pauvre potager 12 Leo Spitzer Etudes de style Tel Gallimard 1985 p 166 207 13 Le Rieur et les Poissons VIII 8 v 23 14 Le Chat et les deux Moineaux XII 2 v 29 15 Le Jardinier et son Seigneur IV 4 v 6 8 vaque la cuisine et s essaie la fille Le Jardinier savant en saveurs s est tromp pour avoir voulu une f licit que rien absolument ne corromprait il a fait d truire son lieu Sa pratique des go ts divers ne l a pas emp ch de s aveugler sur la nature du Seigneur Il n
7. offerts Ren Pintard Klincksieck 1975 p 283 290 8 Le Rat et l Hu tre VIII 9 9 Chacun croit fort ais ment Ce qu il craint et ce qu il d sire Le Loup et le Renard XI 6 vers 46 47 Le savoir des saveurs r el chez le Rat malgr son ignorance ne fait pas tout le savoir du monde L imagination de la saveur de l Hu tre qui est d j en partie sa saveur n est pas sa connaissance enti re Cela pose tonnamment par la physique mais La Fontaine y travaille depuis La Cigale et la Fourmi la question de la po sie En effet dans cette fable de l exp rience en acte mais apparemment hors la bouche de la saveur le passage la parole donc dans la bouche est capital puisqu il n y a pas d imagination sans les mots qui la font et la formulent Pour la saveur tout se joue dans la bouche m me hors la bouche comme ici o elle n a pas contact avec la chose savoureuse Cela implique que peut la figurant exister une criture voire une po sie de la saveur comme le montrent les vers d j cit s Mais la po sie n est pas pour La Fontaine toute la connaissance du monde et encore moins son mode d emploi Le beau souvent nous d truit L agrandissement lyrique se heurte la fermeture r elle des pi ges La bouche qui s ouvre pour multiplier splendidement le monde fait parfois prendre le cou aux lacs La belle esp rance vertu cardinale cependant et particuli rement pour le po te rime douloureusement avec
8. second Il fait l exp rience personnelle des deux miels en les go tant et il distingue Mais il n a pas le savoir valid par la communaut de ceux qui savent go ter ce savoir qui suppose un go t et qui est le go t Ce savoir lui manque Il ne l aura jamais car ce savoir qui ne s acquiert pas rel ve d une nature selon ses go ts juge la b te Le premier savoir est la condition n cessaire du second qui est lui m me condition n cessaire d un savoir juger en g n ral La capacit bien juger d pend de la capacit bien se prononcer sur les saveurs L Ane juge propose cette logique qui para t lafontainienne car elle s accorde avec un picurisme commun lui m me r pandu de nos jours Mais cette logique est dangereuse car elle tend faire croire que la capacit bien juger est une condition suffisante pour bien juger Or La Fontaine ne dit rien de tel dans ses Fables Beaucoup plus subtil que le Renard de L Ane juge il y multiplie au contraire les avertissements S il y a dans ses Fables un loge r gulier de la capacit go ter les saveurs La Fontaine propose galement une critique diverse de la croyance en sa valeur ultime Il indique les insuffisances d un savoir quant aux saveurs savoir bien en juger ne fait pas imm diatement selon lui de leur juge le bon juge du monde Le savoir des saveurs ne saurait tenir lieu d exp rience et d thique Les gourmets ne sont pas n cessairement avis s et justes Se
9. Saveurs et savoirs dans les Fables de La Fontaine Il est une fable qui semble tre de La Fontaine en est contemporaine et a pu passer pour authentique mais qui certainement n est pas de lui Cette fable c est L Ane juge Ce texte contient la seule occurrence du mot saveur dans le corpus lafontainien l auteur des Contes de Psych et des Fables pr f rant employer go t Ce mot para t lorsqu il s agit de d signer la qualit d une certaine chose telle qu elle est formul e par un sujet la go tant Les moineaux sont d un go t exquis et d licat remarque ainsi Le Chat avant de croquer son compagnon Ces fables tant sues de tout le monde je ne ferais rien si je ne les rendais nouvelles par quelques traits qui en relevassent le go t annonce la Pr face du premier Recueil Go t est l synonyme de saveur Ce mot d signe une qualit qui appartient la chose go t e une qualit ressentie et formul e par le sujet qui la go te Le go t comme la saveur suppose la chose et le sujet Ce mot para t encore pour d signer une qualit minente du sujet go tant S adressant au duc de La Rochefoucauld La Fontaine crit ainsi Votre go t a servi de r gle en mon ouvrage Le mot go t d signe ici l aptitude chez un sujet distinguer des saveurs les hi rarchiser selon une norme jug e excellente le go t par d autres sujets de go t C est une norme toujours contestable donc critique ce qui autor
10. a pas su reconna tre qu il pouvait et peut tre devait tol rer le parasitage du Li vre Celui ci n tait pas de m me nature que le Bruit redoutable au Rat des champs qui produit la crainte corruptrice Par son passage et sa rapine le Li vre cr e certes un trouble mais l ger et peut tre charmant comme le sugg re l tymologie latine Ce Li vre n effraie pas Les pertes qu il occasionne ne corrompent pas sauf dans l imaginaire le restant des poreaux des choux et du serpolet Le Jardinier n a pas su go ter un jardin imparfait Il pr sente donc deux aspects D un c t il est un mod le Il sait les saveurs les cultive et il d sire les faire partager par Margot Son attention aux l gumes n est pas ridicule ils ont accru leur r putation en cuisine au cours du XVII me si cle et l association avec les plantes aromatiques par es de diverses vertus peut m me passer pour excellente Ce Jardinier sans archa sme propose donc avec justesse une heureuse diversit Il est un philosophe picurien gardant pratiquement m moire de l Ecole du Jardin et portant peut tre en son go t discret et g n reux pour l amour par son renouvellement en acte du paradis terrestre la le on chr tienne de Gassendi Il est physicien soucieux du monde terrestre aspirant au plaisir tranquille p re d une fille et amoureux Quoi de mieux D un autre c t ce Jardinier ne se contente pas de l assez propre Il r ve de p
11. aire lui fait accepter la crainte donc la corruption La fable ne le condamne pas C est le Rat des champs qui parle pour finir Apr s lln 10 Le Cerf se voyant dans l eau VI 9 vers 22 11 Le Rat de Ville et le Rat des champs 1 9 tout il est peut tre possible d aimer le plaisir que la crainte peut corrompre Mais c est alors aimer au bout du compte la corruption Le lecteur de La Fontaine peut sa guise se demander si le bon go t du Rat de Ville ne l am ne pas avoir mauvais go t sur la r alit des plaisirs Nulle r ponse dans la fable suspension La question cependant se pose Et ses effets sont vastes Le Rustique condamne la corruption et l effet qu elle produit Son jugement tel qu il est formul Fi du plaisir que la crainte peut corrompre permet La Fontaine de relier le champ particulier des plaisirs que peut procurer la nourriture avec le champ g n ral des plaisirs Il ne s agit pas simplement d un jouir des saveurs mais du jouir en g n ral Les saveurs servent de mod le pour toutes sortes de plaisirs possibles mais elles ne sont pas tous les plaisirs Ainsi se jouent la fois une valorisation du r le des saveurs et une int gration de leur cas dans la probl matique d ensemble de la Volupt telle que La Fontaine la construit dans son oeuvre enti re et particuli rement la fin des Amours de Psych et de Cupidon La formulation du Rat participe remarquablement d un art de la tran
12. erfection et ce r ve le conduit diaboliser qui veut le pur suscite le Diable Maudit animal dit il du Li vre Le d sir de perfection engendre au bout du compte le mal en ce qu il fait surgir le pouvoir n gateur inapte toute distinction dont la figure est ici le Seigneur La faute thique se d veloppe alors en faute politique le tout sur fond physique c est dire circulations changes flux si l on veut bien se souvenir du sens qu active Michel Serres dans La naissance de la Physique Le Jardinier n a pas tir toutes les le ons de son exp rience du jardin celle des go ts divers cultiv s et parfois chang s Ce demi bourgeois demi manant ce personnage du m lange n a pas su tout aimer jusqu au sombre plaisir d un coeur m lancolique Il n a pas su faire place une part de n gation une ombre un trou un Li vre l ger charmant et quelque peu destructeur Il n a pas su enrichir et renouveler le vieil picurisme du Jardin qui porte risque de fermeture ce Jardin pouvant s environner d un mur tanche sans trou dans l esp rance d une f licit absolument hors trouble Il n a pas su reconna tre l heureuse fatalit d une part de perte et le plaisir d une m lancolie Son exp rience savante des saveurs n a pas suffi en toutes choses et m me pour sa vie en faire un bon juge Ce Jardinier est pourtant un bon homme S il se trompe s il est malheureux finalement il n est pas fourbe et il n es
13. ise Philippe Sollers intituler un de ses ouvrages La Guerre du go t et Claude Chantalat se mettre la recherche du go t classique Cette importance du mot go t dans le vocabulaire classique la non r duction du terme au champ de la nourriture les possibilit s de diversit d emploi et ce double sens sont s rement du go t de La Fontaine Aussi dans ses Fables o on se mange o on se d vore o paraissent force affaires de cuisine alors qu il avait maintes occasions pour employer saveur il pr f re go t D s lors le puissant soup on qui p se sur l authenticit de Ane L Ane juge d j publi e en 1681 se lit dans la partie Fables non recueillies de l dition de la Pl iade p 547 548 Le Chat et les deux Moineaux XII 2 vers 29 Pr face des Fables Pl aide p 7 Le B cheron et Mercure IV 1 vers 1 Philippe Sollers La Guerre du go t Gallimard 1994 Claude Chantalat la recherche du go t classique Klincksieck 1992 SU D juge se renforce la pr sence de saveur et son absence dans le reste de l oeuvre font une pi ce verser au dossier de l attribution de cette fable Un savoir se consolide ainsi par l observation critique de saveur Que conte cependant L Ane juge Son auteur est assez habile pour rendre ce texte proche et m me symptomatique de la probl matique lafontainienne du savoir et de la saveur terme par lequel nous d signerons le premier sens d
14. lon ses go ts ne juge pas la b te enti rement De cette critique en actes de la facult de go ter voici trois exemples physique thique et politique qui s enrichissent l un par l autre Le Rat et l Hu tre Le Rat de ville et le Rat des champs Le Jardinier et son Seigneur Le Rat et l Hu tre Au coeur du livre VIII que Georges Couton d signe un peu trop exclusivement comme Le Livre picurien des Fables Le Rat et l Hu tre conte qu un jeune Rat de peu d exp rience vit une Huftre sur une plage la go ta des yeux s en fit une f licit s approcha et mourut l tau des cailles L Hu tre tout d un coup Se referme et voil ce que fait l ignorance Le Rat ignore le dangerosit de l Hu tre Cette ignorance est la condition n cessaire de sa mort mais elle ne suffit pas pour la faire La premi re partie de la fable indique d ailleurs que le Rat se trompe d abord sans danger sur plusieurs aspects du monde confondre une taupin e avec le Caucase taler sa parole ridicule aux vents agrandir po tiquement ce qu il voit cela ne le tue pas La double morale finale pr cise le point de vue Cette fable contient plus d un enseignement Nous y voyons premi rement Que ceux qui n ont du monde aucune exp rience Sont aux moindres objets frapp s d tonnement Et puis nous y pouvons apprendre Que tel est pris qui croyait prendre L ignorance seule ne fait pas la mort du Rat Il faut l t
15. on en sa subtilit emploie les mots la diversit des mots sans doute toute la langue la saveur se pratique doublement sur et dans la langue par elle et au plus pr s d elle Aussi l criture de La Fontaine dans le Jardinier et son Seigneur fait elle un usage savoureusement savant et savamment savoureux des mots Elle cultive en po sie le vieil h ritage sopique qu elle enrichit qu elle orne auquel elle donne le temps de se d ployer dans sa diversit possible Surtout elle ne pr tend pas enfermer la langue dans un usage strict communicationnel sans trou ni Li vre Elle propose un jardin d changes d licieux imparfait d lib r ment imparfait employant ce que Mallarm nommera plus tard d faut des langues et sans Seigneur qui vienne partout faire d g t Elle est l utopie d un lieu dont le jardin devient l image d truite Elle manifeste au del d un savoir des saveurs une lucidit en acte sur le monde et sur soi qui est par l esth tique physique politique et thique Elle est un savoir critique 19 St phane Mallarm Crise de vers des saveurs qui sait ses trous et en fait des fables Au lecteur de savoir en trouver quelque chose penser L criture des Fables rel ve de la cuisine Elle est d abord un bricolage comme le sugg re la fameuse p tre Monseigneur l v que de Soissons Mais ce bricolage vise relever le go t comme l indique encore une fois la Pr face j ai
16. onnement et la croyance Or si le Rat s tonne et croit c est qu il d sire go ter la saveur de l Hu tre dont ses yeux lui offrent l image et son esprit pr sent sa parole l imagination Parmi tant d hu tres toutes closes Une s tait ouverte et baillant au soleil Par un doux z phyr r jouie Humait l air respirait tait panouie Blanche grasse et d un go t la voir non pareil Le Rat n a pas mauvais go t Il n est pas un Ane Il est m me gourmet contrairement au Juge de la fable apocryphe Son bon go t ne provient pas d une exp rience de la saveur de l Hu tre Il tient son naturel Peu importe le contact direct L n est pas le point Ce qui importe outre le naturel gourmet c est la repr sentation de la saveur La couleur la chair panouie fonctionnent dans cette fable comme les l ments d un discours de la saveur que le sujet construit sans doute partir d une capacit la go ter d une vue mais aussi de souvenirs de vieilles repr sentations sans doute livresques comparables au Caucase ou aux Apennins C est tout cela qui s duit le Rat C est cette imagination qui produit la belle esp rance qui le fait directement parler Et si je ne me trompe la couleur du mets Je dois faire aujourd hui bonne ch re ou jamais Cette imagination est trompeuse Elle tonne Elle fait croire 7 Georges Couton Le livre picurien des fables essai de lecture du Livre VIII M langes
17. pourtant consid r que ces fables tant sues de tout le monde je ne ferais rien si je ne les rendais nouvelles par quelques traits qui en relevassent le go t La Fontaine s annnonce cuisinier mais sans meurtre comme le sont tel ou tel des cuisiniers qui figurent dans son oeuvre il rend nouveau il rel ve Il va en quelque mani re la vie l veil au mouvement du d sir Cette cuisine n emploie pas tous les moyens possibles Elle use de quelques traits Elle ne vise pas aux gros effets ou aux gros poissons dont veut le Rieur que La Fontaine vite Ce qu elle propose ce ne sont pas festins de rois La Fontaine pas plus que le Rat ne s en pique Son go t peut en revanche s clairer par celui qu il manifeste en musique Dans l p tre Monsieur de Niert il l illustre en r cusant l Op ra art bruyant plaisant pour les adulateurs du pouvoir pour les rois et singuli rement pour Louis XIV Cet art selon La Fontaine ajoute les effets aux effets les vertus aux vertus Il faut en avoir mille et toutes la non fois Comme le Monarque aime la guerre ses concerts d instruments ont le bruit du tonnerre Ce n est plus la saison de Raymond ni d Hilaire Il faut vingt clavecins cent violons pour plaire On ne va plus chercher au fond de quelque bois Des amoureux bergers la fl te et le haubois La Fontaine regrette le t orbe charmant les airs choisis Du But et Lambert et Camus
18. sition si bien caract ris par L o Spitzer Elle permet de sugg rer en solidarit deux enseignements l un sur la valeur du go t en mati re de nourriture l autre sur l insuffisance de ce go t quand il s agit de fonder thiquement un comportement Il ne suffit pas de savoir bien go ter la saveur des reliefs d ortolans pour bien savoir vivre Le premier de ces savoirs est excellent mais le gourmet ne sait pas n cessairement jouir Il n est pas toujours un sage Cette insuffisance La Fontaine la signale ailleurs Dans Le Rieur et les Poissons le Rieur a beau appr cier les bons plats et particuli rement les gros il ne sait pas se comporter l gamment Il produit en effet des plaisanteries de mauvais go t que la fin de la fable oppose la po sie qui agrandit l espace fait r ver par le langage multiplie les possibilit s de plaisir Savoir manger et bien go ter les Poissons ne fait pas du Rieur un personnage fr quentable Il faut l viter Le cas du Chat d abord amis de deux moineaux est beaucoup plus grave sa qualit de gourmet quand il l exp rimente pleinement lui fait oublier l amiti Lorsqu il a constat pour avoir mang un par hasard que les moineaux ont un go t exquis et d licat il croque l autre Un savoir correct des saveurs ne rend pas d licat en tout La Fontaine donne m diter ici une illusion vulgaire qui consiste croire que les bon vivants qui savent bien go ter les
19. t surtout pas mauvais Voil du moins un personnage qui tente de se placer en dehors de la guerre perp tuelle que se livrent la plupart des cr atures et qui les fait s abuser se croquer se d vorer sans autre plaisir parfois que d an antir Dans ses terres le Jardinier comme tel ou tel ermite chez La Fontaine ou comme le po te vit l cart en lieu o quasi rien rien ne vient l interrompre et c est par cet cart qu il peut cultiver et go ter localement la diversit La haie qui le s pare du monde est sans doute la condition r elle de sa pratique des saveurs Presque partout ailleurs chez La Fontaine les gloutons dominent Il ne s agit pas de go ter mais d avaler Les bouches sont des antres les antres sont des bouches Le Lion le Renard le Rat la Grue le Loup sont avant tout voraces L dessus au fond des for ts Le Loup l emporte et puis le mange 18m 16 Tszvetan Todorov Le Jardin imparfait Livre de poche 1999 17 Michel Serres La naissance de la Physique dans le texte de Lucr ce Fleuves et turbulences Les ditions de Minuit 1977 18 Les Amours de Psych et de Cupidon Oeuvres diverses Bibiloth que de la Pl iade p 258 Le Loup ne prend pas le temps de savourer La vitesse rendue lisible par le pr sent caract rise son acte Il s agit de manger selon ses besoins et sans art Le temps partout presse d s la premi re fable du premier Livre l urgence r duit la Cigale demander
20. u mot go t Les Animaux pour juge lisent un Ane Rapidement un d bat survient entre une Abeille et une Gu pe cette derni re se plaignant de ce que l on m prise son miel en faveur de celui de l Abeille L Ane doit trancher et pour cela il go te les miels de chacune des parties La plaignante ayant fait une cuisine fade Nous d clarons tout tr s consid r Qu sa compote de malade Le miel gu pin est par nous pr f r Quelle saveur au palais agr able C est le piquant des mets d licieux Dont H b parfume la table De Jupin le ma tre des Dieux Et chacun de bl mer cet arr t vicieux Il y a donc accord g n ral chez la gent animale sur la hi rarchie des valeurs de saveur quant au miel le doux vaut mieux que l cre Seuls la Gu pe dont on voit trop bien l int r t et le Juge pensent autrement Le Renard souligne finement l erreur commise quant au Baudet De votre choix vous avez les guerdons Je n attendais pas moins de ce croque chardons Selon ses go ts juge la b te Qui peut devenir juge Celui qui sait au moins distinguer deux saveurs et les hi rarchiser Il est aberrant d tre juge si l on erre sur ce point Le savoir juger sur les saveurs est n cessaire pour valider un savoir juger en g n ral Il est donc bien lire ce Renard de forte t te un savoir critique Ce savoir se compose d un savoir reconna tre et d un savoir hi rarchiser L Ane dispose du premier pas du
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