Régis Jauffret
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1. aurai rien c tait clair avant de quitter la maison Alors j en avais pris mon parti je compensais toutefois en regardant Tout sur mon passage les boules de glace pos es sur les cornets gaufr s Les gar ons jouer avec les cerceaux ou les bateaux voiles Ce devait tre des gens riches ces gens l pour avoir les moyens qu ils avaient Pour offrir a leurs sales gosses Je compensais donc comme je pouvais plus tard Je me rattrapais quant la consommation je devenais un consommateur inv t r Il me reste toutefois un regret et c est bien regrettable je n ai jamais mis les pieds Au th tre des marionnettes de ce jardin et maintenant c est trop tard Pour qui me prendrait on si dans un moment de courage absolu Je m aventurai y entrer Et puis je voyais passer tel dans un film Les balan oires les tourniquets avec des si ges en forme d l phants Demain j irai contr ler sur place la v racit de mes dires sans omettre de fixer Pendant une minute le pendule du S nat comme je le faisais cette poque l Maman aimait coudre apr s nous avoir install sur ces chaises encore payantes et Nous esp rions toujours que peut tre la dame avec ses tickets ne passerait pas Toute conomie tait bonne prendre Timidement je regardais les statues De ces hommes et de ces femmes tous enti rement nus en pierre et non en chair Dommage me disais je en riant au fond de moi Poli apr s notre balade Je remercia2. re Une fois tr s jeune encore je me trouvais seul la maison et un homme en soutane Rodait pas tr s loin de chez nous je n tais pas inquiet puisque C tait un parent Dieu seulement je ne sais pourquoi lorsqu il s approcha Trop pr s de la fen tre je ne pus faire autrement que de lui donner un coup de fusil Avec la carabine de maman je l ai fait sa place elle n tait pas l Pour le faire elle m me son retour pas contente d avoir un mort inanim Devant chez nous elle appela la gendarmerie pour nous en d barrasser Tout le monde a pens qu il s tait suicid mais on ne trouva jamais l arme L ayant aid accomplir sa t che mais comme c tait un clochard On ne fit aucune enqu te et dans le fond ce n tait pas plus mal de mon point de vue Depuis ce jour l je n ai plus jamais touch un fusil je lui pr f rai l cole O j tais entr avec bonheur et d s les premiers jours je me fis remarquer Par mon enthousiasme aider la ma tresse et faire r gner l ordre dans la classe D s que je rentrais la maison j aimais aider ma m re plucher les l gumes la soutenir dans ses occupations quotidiennes Mon p re m enseignait La composition des aliments et pour me montrer son savoir Il improvisait de longs discours sur tout ce qu il trouvait dans la cuisine N importe quoi a n avait pas d importance L essentiel pour lui tait de parler son fils Je ne comprenais pas tout Il dissertait
3. L ducation donn e par mon p re N tait pas des plus joyeuses des plus optimistes en cela il avait h rit De l esprit malsain de Ciorant qu il n avait jamais lu car il ne lisait jamais Sinon un journal r cup r tous les jours dans un caf pr s de sa boutique Et dont le patron tait un ami Donc la maison ce n tait pas dr le Alors pour ne pas m ennuyer j inventais des histoires j utilisais les objets De chez nous pour mes personnages et le salon la chambre pour mes sc nes Les plans de mes films en noir et blanc la couleur n existant pas dans ces ann es l En agissant ainsi avec ces meubles j tais moins seul au monde et Avec mes ustensiles d colier les crayons les gommes les buvards publicitaires Que papa r cup rait je ne sais o et tout cela contribuait m initier cr er en permanence pour ne pas mourir d ennui ne pas mourir tout court Avec le temps ils taient m me devenus mes amis mon petit monde moi Je les aimais comme des personnes et jamais oh grand jamais ils ne m ont d u Ils taient toujours l satisfaire mes d sirs sans rechigner sans grommeler Comme le ferait n importe quel humain rencontr sur ma route D homme normal ne voulant pas rester enferm chez lui toute sa vie De ce temps l il me reste une passion difficile jeter au panier J aime les cahiers Tous les cahiers puis aussi pourquoi vous le cacher les vieilles chaises trop us es Elles me font r v
4. R gis Jauffret Cl mence Picot J habite boulevard Saint Michel je viens d avoir trente ans Et n ai pas honte de dire ma profession je suis infirmier de nuit Dans la vie normale je suis seul et en dehors d un vieil oncle demeurant dans le marais C est le vide total Bien s r l h pital je croise plein de gens ils sont sans importance Sauf une coll gue qui assure la garde au rez de chauss e et comme je suis Au premier tage alors je la croise quand je rentre quand je sors Pour tre un peu tranquille dans mon travail et puisque la loi me le permet J administre tous les malades de mon service surtout aux insomniaques Des hypnotiques efficaces ayant fait leurs preuves sur les rats des laboratoires Pharmaceutiques qui nous bichonnent avec des bo tes de chocolats la fin de l ann e Pour notre fid lit leurs produits Apr s la distribution je peux m asseoir Dans l infirmerie et attendre qu on ait besoin de moi malgr les m dicaments Pas toujours aussi radicaux qu on pourrait le croire En g n ral on me fiche la paix Mais il y a des nuits o ils ont l air de s tre donn le mot pour m emmerder Alors a sonne dans trois chambres la fois et comme je n ai personne pour m aider Je dois me d brouiller comme un grand tout seul je pique je rassure les anxieux Avant que je m en aille le matin les femmes de service pr parent les plateaux Du petit d jeuner huit heures on m a remplac je peux partir r
5. ait toutefois Inculqu un mode d emploi pour retenir mes le ons et ici je l avoue honteusement Je ne veux pas vendre ce secret gard en famille depuis plusieurs g n rations Tout est clair dans mon esprit et je peux si vous le demandez express ment Vous d crire par le d tail les moindres v nements de ma vie allant Du jour de ma naissance au moment si merveilleux o ma plume Sous mon autorit crit ces mots sortant de cette dite m moire auquel je dois tout Il me suffit de le vouloir pour ressusciter sans effort n importe quel cours Donn par ces hommes et femmes ayant consacr leur temps Et leur nergie nous passer ce que d autres leur ont appris dans Des circonstances identiques celles que je v cus Ainsi l h pital o je travaille la nuit lorsque les malades me le permettent Je m installe dans un fauteuil pas sp cialement confortable je ferme les yeux Et je me propulse dans les sph res d un cours de math ou de litt rature appliqu e Que je n avais pas bien compris l poque mais maintenant avec le recul Et surtout l exp rience qui est la mienne je d couvre des angles de compr hension M levant au sommet de mon talent remonter le temps partir De ma m moire infaillible La voix m me de mes professeurs me revient l identique ils nous criaient dessus ce qu il fallait savoir pour avoir le dipl me Et tout a pour se trouver comme un con jouer les infirmiers de nuit Dans un h pital Paris
6. e apr s le tango car le lendemain C est le boulot qui red marre Parfois je reste un peu plus de temps histoire d tre Un peu avec elle lorsqu elle pense son pauvre mari mort d un accident cardiaque Elle et moi on s entend bien on pourrait m me vivre ensemble chacun dans son coin Histoire de ne pas perdre notre ind pendance ainsi nous n aurons plus cette impression Parfois pesante d tre seul au monde Pourquoi ne pas envisager ce projet Pourquoi le r aliser me para t il impossible alors que Mes parents ont eu l id e g n reuse de me laisser leur appartement avant de mourir Je leur en suis reconnaissant car il me permet de faire une conomie substantielle Sauf les charges de copropri t le chauffage lectrique Et les taxes fonci res et d habitation Mes parents ont t exemplaires mais ai je pour autant envie de faire comme eux Me marier avoir des enfants et leur laisser mon appartement plus tard Mes vacances je les passe Paris je visite tous les sites touristiques avec Mon appareil photo en bandouli re ainsi j ai l impression de ne pas perdre mon temps Je passe ma derni re semaine dormir histoire d tre frais et dispo pour la rentr e Seulement je sais qu en dormant trop je prends quelques risques au niveau du coeur Et celui d affaiblir mon cerveau j ai vu tant de cas de ce genre l h pital Que plus rien ne me surprend Cette semaine de sommeil m a compl tement achev Je dois reprendre
7. entrer chez moi Et l franchement je ne m attarde pas tailler une bavette avec toutes ces pies Qui commencent la journ e toutes fraiches toutes pimpantes Dehors je bois un caf Je fais quelques courses je regarde les pi tons marcher sur le trottoir Et je ne sais pourquoi je les compare tous ces malades allong s sans force s Sns nergie qui j ai donn de quoi se reposer toute la nuit neuf heures je suis mon tour dans mon lit pour un sommeil r parateur En me r veillant j ouvre mes volets je donne directement sur le jardin du Luxembourg Quand je ne travaille pas la nuit je ne peux pas dormir Cela arrive souvent lorsqu on ne bosse pas comme tout le monde C est notre punition en quelque sorte Alors d s la tomb e du jour Je consacre mon temps jusqu une heure du matin des taches m nag res Tout en regardant la t l d un oeil distrait Apr s je tourne dans l appartement ou Je sors pour user mon ennui Mes promenades vous les connaissez pour les avoir D j lues dans mon pr c dent livre Place Furstenberg je m assois sur un banc Et regarde paisiblement ce qui m entoure parfois m me des touristes me photographient Je repr sente certainement pour eux Un l ment de ce qu ils iront montrer au bout du monde Mes parents n taient pas croyants mais par superstition ne voulaient pas Me voir en photo Un jour pour des papiers administratifs Il nous a fallu des photomatons on les fi
8. er ce temps l maintenant temps tout jamais r volu
9. is ma m re pour cette sortie qu elle m assurait toujours tre la derni re Pourquoi disait elle a Je ne sais pas Mes parents ne riaient jamais devant moi Il craignait plus que tout de me voir piquer une crise de fou rire Pouvant me tuer sur le coup d apr s les m decins consult s Pour ce sympt me peu ordinaire J allais aux toilettes lorsque a me prenait Ne voulant pas les inqui ter plus gravement encore Les rendre plus fous qu ils n taient d j Pourquoi aimai je tant rire Peut tre tait ce le seul moyen que j avais pour me raccrocher la vie Une fa on de purger un trop plein d motion impossible d finir pour l instant Un jour devant maman j eus une crise et mon rire se transforma en provocation Je la regardai droit dans les yeux tout en riant aux clats Sa premi re r action Fut de me mettre sa main dans la bouche pour boucher le son mais rapidement Elle la retira car je la mordis jusqu au sang sans le vouloir je le jure devant Dieu En levant la main droite en crachant un molard afin de prouver ma bonne foi Nous avons connu des hivers froids des souris mortes Coinc es dans leurs tapettes aux coins des angles de notre immeuble Une plus r sistante que les autres a su me tenir compagnie Je l entendais aller et venir dans ma chambre peut tre cherchait elle De quoi se nourrir j aurai voulu en faire une amie mais ma m re Ne l entendit pas de cette oreille elle l a pi gea un soir de col
10. le boulot dare dare Mon p re travaillait au Bazar de l H tel de Ville et nous habitions pas trop loin De la rue Mouffetard ma m re brodait des barboteuses pour compl ter Le salaire du BHV et moi je faisais rien de sp cial sinon couter les histoires Qu on raconte en g n ral aux enfants lorsqu il n y a pas de t l la maison Maman ne voulait pas de chat chez nous alors on n a pas eu de chat et puis Il aurait fallu lui donner du lait tous les jours et le lait a coute de l argent l poque l conomie tait bien vue il y avait m me des cours pour les filles Avec la couture et la cuisine Je me souviens je ne sais pourquoi je vous dis a La femme du boulanger tait gaie mais pour nous c tait pas un probl me Son pain tait bon on prenait le gros pain pas la baguette c est trop cher la baguette La tendresse n tait pas de mise dans la famille mes parents ne se sont jamais aim s L amour tait un luxe pour les riches Le cin ma ou les romans photos Dans la vie r elle faut les viter comme la peste tant ils font de ravages dans les coeurs Au point de rendre les gens compl tement gagas Souvent nous allions au jardin du Luxembourg donner manger aux pigeons Le pain rassis mouill au pr alable par ma m re quelques heures Avant notre promenade la condition formelle d tre bien sage et De ne pas toucher tout surtout ne pas crier ne pas pleurer pour une glace la vanille au chocolat J
11. sur de minuscules objets tournant dans l atmosph re la vitesse De la lumi re je regardais la lampe teinte me demandant o tait le rapport Avec les mots de mon p re Lui tr nait sur un pi destal intellectuellement Et moi je faisais la vaisselle avant d aller me coucher Maman s est toujours bien occup e de moi pr f rant me voir gentil Plut t que m chant avec mes camarades et mon p re en coeur avec elle Se mettait la suivre sur ce chemin houleux oh combien discutable Alors l cole je me tenais penaud dans mes basquets et mon jean serr Restant calme coute que coute quant au fond de moi bouillait le feu ardant D un Cypango dans ses mines lointaines et heureusement les portes des s sames S ouvr rent la voix de son ma tre auquel je vouais une adoration ravageuse J avais re u d ailleurs l ordre de n adresser la parole aucun homme sauf si On me l avait pr sent auparavant d une fa on formelle Comme Rousseau je ne devais toucher rien de la chair des autres et Consacrer mon temps aux tudes et l admiration de ma ma tresse Mais sans arri res pens es Mon attention devait ob ir mes injonctions de ne pas s garer Comme trop souvent elle se l autorise je devais imp rativement la centrer Sur les cours donn es par ma ma tresse d cole tout garder dans ma m moire De ce qu elle disait et m me de ce qu elle ne disait pas Mon p re pas sp cialement reconnu pour son h ro sme m av
12. t mais je ne devais pas les regarder C tait p ch un point c est tout D ailleurs mes papiers d identit C tait mon p re qui les d tenait Voyez un peu si j tais dans de bonnes conditions Pour tre un gar on bien normal bien comme les autres Tous les dimanches je vais voir mon oncle il habite au sixi me tage et Bien que vieux il se d brouille tr s bien tout seul pour les choses du quotidien Il m attend quand je viens je le sais je le sens et lorsqu on se trouve face face On s embrasse comme deux bons amis chaleureusement Le soir le quittant Je d ne chez ma voisine de palier maman d un bambin de dix ans il reste avec nous Jusqu vingt heures apr s c est l heure pour lui d aller se coucher alors nous On reste ensemble Dans la vie elle a beaucoup souffert elle est rest e toutefois Tr s sensible veuve elle s est beaucoup battue pour en arriver l o elle est maintenant On a beau dire les cours du soir a peut sauver quelqu un ce fut le cas pour Christine Elle est fonctionnaire avec un salaire qui tombe toutes les fins de mois On mange donc tous le deux en coutant du piano la radio sous la lumi re tamis e Des bougies qu elle a soigneusement allum es afin de cr er une atmosph re intime Nous sirotons la bouteille de bordeaux que j ai apport par politesse mais aussi Pour nous d tendre des stress de la semaine et m me parfois on danse le tango Pieds nus sur la moquette Je la quitte just
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