Anne F. Garreta, Les Dialogues de Rousseau
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1. 92 LA CRITIQUE AUTOBIOGRAPHIQUE lettr s d rudits et de psychiatres lorsqu il s agit d clairer l histoire des grands hommes et celle de leurs oeuvres qui ne saurait en tre s par e voit dans les Dialogues le plus psychopathique des crits de Rousseau crit l poque du point culminant de son d lire de pers cution m lancolique lequel s adoucit s apaise ensuite comme en t moignent les R veries crites durant la phase de pr s nilit que R gis discerne dans les deux derni res ann es de la vie de Rousseau Enfin soulignant ce paradoxe de raison et de folie incarn dans les Dialogues le livre de S rieux et Capgras sur Les Folies raisonnantes et le d lire d interpr tation Ces deux derniers exemples ont leur importance Le concept de folie raisonnante est l un des avatars nosologiques de celui de parano a que Starobinski appliquera Rousseau dans la premi re dition de son tude classique Et si dans une dition ult rieure de de m decine du Dr Georges Sibiril sur le m me sujet Histoire m dicale de J J Rousseau Th se de m decine Bordeaux 1899 1900 ns 62 Paris Alcan 1909 Cest un diagnostic que l on retrouve dans la litt rature psychanalytique d inspiration notamment lacanienne J Lacan lui m me dans sa th se de 1932 De la psychose parano aque dans ses rapports avec la personnalit Paris Seuil 1980 mentionne en passant un parano aque de g nie Jean J2. Et les Dialogues la d fient sans doute pour une raison tr s forte si Lejeune fonde sa d finition sur un mod le originaire qui est celui des Confessions du m me Rousseau alors les Dialogues qui leur succ dent ne leur font pas pour autant suite ni ne les r p tent Le texte crit en r ponse l chec du projet autobiographique des Confessions peut il tre justifiable d une d finition model e sur ce projet La r ponse de Foucault r ponse par avance puisque sa pr face pr c de de loin les travaux de Lejeune Foucault qu invoque Jones l origine de son livre tait claire d j les Dialogues sont des anti Confessions On assiste depuis quelques ann es une multiplication des James F Jones Jr Rousseau s Dialogues An Interpretive Essay Gen ve Droz 1991 chap I section 2 p 39 51 C est nous qui traduisons Le recours au dialogue forme originaire de la philosophie R Masters et C Kelly ont bien mis en vidence les chos platoniciens de ce texte l interrogation logique sur le sujet du nom propre font des Dialogues bien autre chose qu une autobiographie une tentative radicale de fonder philosophiquement ce que celle ci pr suppose le concept m me d identit lIntroduction Op cit p vii 96 LA CRITIQUE AUTOBIOGRAPHIQUE essais d approche des Dialogues dont la r cente traduction en anglais et la place qu elle leur procure au sein du corpus des oeuvres de Rousseau est la manifestation l
3. Plon 1961 r dition Histoire de la folie l ge classique Paris Gallimard 1972 p 554 556 Introduction p xxiii On sait que Foucault prouva le besoin de pr ciser ce qu il entendait par absence d oeuvre cf l article La Folie l absence d oeuvre La Table ronde mai 1964 reprise en appendice I de la r dition de 1972 de l Histoire de la folie op cit p 575 582 98 LA CRITIQUE AUTOBIOGRAPHIQUE d chiffrera Foucault et par lequel le concept d auteur comme personne r elle c est dire sujet pensant et moralement actif responsable du texte merge en Occident la fin du XVIII si cle et par lequel les livres et les discours commenc rent d avoir r ellement des auteurs et que cette origine se trouve scell e dans les Dialogues Foucault lit Rousseau contre lui m me et d liant oeuvre et folie d fait l oeuvre elle m me Le paradoxe s ach ve en aporie Anne F Garreta Princeton University Qu est ce qu un auteur Bulletin de la Soci t Fran aise de philosophie LXIII 3 1969
4. op cit p 123 24 A Philonenko Jean Jacques Rousseau et la pens e du malheur t 3 Apoth ose du d sespoir Paris Vrin 1984 chap XI 90 Celle dress e par J Starobinski dans son article Sur la maladie de Rousseau initialement paru dans Yale French Studies 28 1962 et repris dans La Transparence et l obstacle Paris Gallimard 1971 p 430 444 bien qu tendue elle est loin d tre compl te Celle propos e par Ellrich dans la revue American Imago 31 1974 est tr s partielle Un ouvrage r cent de Claude Wacjman Fous de Rousseau le cas Rousseau dans l histoire de la psychopathologie Paris L Harmattan 1992 semblait promettre une enqu te exhaustive Ce n est malheureusement pas le cas le choix d une approche th matique et non chronologique am ne des r p titions et des oublis Pas de traces par exemple dans le corpus de l ouvrage crucial de P J Moegius traducteur allemand de Magnan Rousseaus Krankenheitsgeschichte Leipzig Vogel 1888 qui pourtant prononce le premier le diagnostic de parano a Par ailleurs si Wacjman d gage bien l volution des entit s nosologiques et remplit bien son projet d une histoire de la psychopathologie il n claire pas la sp cifict du cas Rousseau dans une telle histoire et les effets critiques de la vulgarisation d un savoir psychiatrique discemables dans LES DIALOGUES DE ROUSSEAU 89 peine distinguer avec Jean Starobinski dans cette lign e pathographique deu
5. par rapport la raison est il si tonnant d ailleurs qu sa suite Foucault se soit attaqu au texte o par excellence se nouait leur paradoxe savoir les Dialogues en g n ralise certains points La derni re section du Cercle anthropologique dernier chapitre de la Cf la section II A de la bibliographie que donne J Jones Jr op cit p 197 198 Elle ne compte pas moins de 27 r f rences concernant les Dialogues entre 1962 et 1985 introduction p xv Ibid p xxiii Derni re r plique du dialogue Ceci est une question de psychologue Non la mienne par cons quent ibid p xxiv Surveiller et punir 1975 Les mots et les choses 1966 LES DIALOGUES DE ROUSSEAU 97 derni re partie de l ouvrage articulait en effet une rupture historique La folie du Tasse la m lancolie de Swift le d lire de Rousseau appartenaient leurs oeuvres tout comme ces oeuvres m mes leur appartenaient langage et d lire s entrela aient La folie de l crivain c tait pour les autres la chance de voir na tre rena tre sans cesse dans les d couragements de ia r p tition et de la maladie la v rit de l oeuvre La folie de Nietzsche la folie de Van Gogh ou celle d Artaud appartiennent leur oeuvre ni plus ni moins profond ment peut tre mais sur un tout autre monde sic Entre la folie et l oeuvre il n y a pas eu accommodement ni communication des langages leur affrontemen
6. a le cerveau bless Dans le Sentiment des Citoyens 1764 On a piti d un fou La d mence ne peut plus servir d excuse quand elle fait commettre des crimes Voir aussi les attaques plus proprement politiques mais couch es toujours en termes de folie de d mence ou d extravagance contenues dans Le Si cle de Louis XV tome IV chapitre XXXIX 1768 et r dition 1769 ou encore les Questions sur l Encyclop die tome VII article Homme 1770 72 Sur Voltaire et Rousseau cf l ouvrage de Henri Gouhier Rousseau et Voltaire Portraits dans deux miroirs Paris LES DIALOGUES DE ROUSSEAU 91 Mais ce n est que dans les Dialogues qu appara t aux lecteurs la possibilit monstrueuse de philosopher follement ce n est pas par hasard que Meister emploie le terme technique de dialectique il s agit bien l de philosophie Et les pathographes m decins ou critiques des si cles suivants ne feront que poursuivre cette intuition Maxime du Camp propos de la folie de Nerval a cette phrase Tout ali niste qui voudra conna tre le mode de production des ph nom nes morbides dont le cerveau des fous est travaill devra lire Aur lia J ai lu plus d un livre par lequel le myst re de la folie peut tre p n tr Ce sont alors les Dialogues qu il cite et non pas les Confessions Bruneti re dans son article sur La folie de J J Rousseau distingue galement entre les Confessions o la folie es
7. cas est rel gu au profit du sujet et c est l homme Rousseau ou son oeuvre que l on Cherche comprendre beaucoup plus que son comportement Wacjman op cit p 145 le distinguo est subtil entre sujet homme oeuvre et cas YJ Derrida De la Grammatologie Paris Minuit 1967 p 218 19 note 6 Starobinski op cit p 242 LES DIALOGUES DE ROUSSEAU 95 individuelle en particulier sur l histoire de sa personnalit James Jones conclut que les Dialogues remplissent ces termes et peuvent tre qualifi s de texte autobiographique par excellence Passent inaper us le fait que les Dialogues ne sont pas un r cit qu on y trouve peu de faits et que l accent n est pas mis sur la vie individuelle de son auteur Plus g n ralement la condition formelle que met Philippe Lejeune l autobiographie savoir l identit de l auteur du narrateur et du personnage est radicalement mise en cause par les strat gies rh toriques et po tiques des Dialogues De l sans doute le recours successif de Jones diverses d finitions que les Dialogues selon lui illustrent toutes Le sujet annonc par le titre est bien Rousseau et rien d autre le texte est bien n d un moment de crise et tente bien de constituer un t moignage justificatif et explicatif de son auteur Or les Dialogues d fient la d finition canonique propos e par Lejeune canonique en ce qu elle tablit et d limite un corpus d autobiographies
8. 1780 On ne peut douter qu en crivant ceci Rousseau ne f t parfaitement fou et il ne para t pas moins certain qu il n y a que Rousseau dans le monde qui ait pu l crire Quelles inexplicables disparates quoi tient donc le syst me de nos id es Comment au m me instant la sagesse et la folie peuvent ils occuper ainsi le m me cerveau Les Dialogues sont donc per us d s leur parution comme le lieu exact de ce paradoxe de la raison et du d lire Rousseau est fou Voltaire n a cess de le r p ter dans sa correspondance l affaire Hume l a confirm M moires secrets pour servir l histoire de la r publique des lettres en France depuis MDCCLXH jusqu nos jours ou journal d un observateur Londres John Adamson 1781 15 p 315 Correspondance litt raire philosophique et critique par Grimm Diderot Raynal Meister etc Paris Garnier 1880 XII 409 vpou archifou monstre fou fou m chant fou dangereux ma tre fou sont quelques uns des termes r currents avec les accusations de cynisme b tard de Diog ne Ce vocabulaire semble tre apparu la suite de la fameuse lettre que Rousseau lui crivit le 17 juin 1760 Je vous hais Les m mes termes se retrouveront dans les pamphlets ainsi dans la Quatri me des Lettres de M de Voltaire sur la Nouvelle H lo se 1761 C est un pauvre fou qui n est pas si m chant qu on cro t Il faut pardonner un homme qui
9. Rousseau Rousseau and et la Criticism Critique edited by sous la direction de Lorraine Clark and Guy Lafrance Pens e Libre N 5 Association nord am ricaine des tudes Jean Jacques Rousseau North American Association for the Study of Jean Jacques Rousseau Ottawa 1995 LES DIALOGUES DE ROUSSEAU PARADOXES D UNE R CEPTION CRITIQUE Rousseau Juge de Jean Jacques tel est le titre que portait le manuscrit remis Boothby en avril 1776 par J J Rousseau On sait qu il contenait le Premier de trois dialogues publi posthum ment en 1780 Londres Les deux autres ne parurent sur la base du manuscrit remis Moultou qu en 1782 Gen ve les trois dialogues formant le tome XI de la Collection compl te des Oeuvres de J J Rousseai Il fallut attendre 1959 et le premier volume de l dition des Oeuvres compl tes dans la Pl iade pour disposer d une dition critique et voir r tablis certains passages retranch s par Moultou en 1782 Enfin en 1990 paraissait constituant le premier volume des Collected Writings of Rousseau sous la direction de Roger Masters et Christopher Kelly la premi re traduction int grale en anglais des Dialogues On sait que c est l occasion d une requ te de Marc Michel Rey son diteur hollandais que Rousseau con ut le projet des Confessions Rey d sirait une vie de Rousseau qu il p t imprimer en t te de ses oeuvres Or voici que r cemment ce qui vient en t te d une collection des oeu
10. a plus vidente Cette floraison il faut la faire remonter me semble t il l Introduction de Foucault de 1962 texte crucial en ce qu il r inscrit les Dialogues dans le corpus philosophique de Rousseau Les Dialogues texte autobiographique ont au fond la structure des grands textes th oriques S achevant sur un dialogue que mime formellement les Dialogues et r affirment une des conclusions centrales de L Histoire de la folie l oeuvre par d finition est non folie cette Introduction l ve strat giquement l hypoth que que la folie faisait peser sur l interpr tation Foucault y tablit une barri re entre la folie du sujet empirique Rousseau et son texte et il l tablit doublement signifi e dans le dialogue final elle est aussi manifest e par la discontinuit entre le commentaire que forme le corps de l Intorduction o la question de la folie n appara t en rien et le dialogue mim tique final qui la renvoie aux limbes de l inanit psychologique Il faudrait revenir sur la place qu occupe dans l oeuvre de Michel Foucault cette pr face aux Dialogues Il y d chiffre une opposition paradigmatique entre un syst me Surveillance Signes et un syst me Jugement Supplice opposition o l on ne peut manquer d entendre les accents de livres ult rieurs Presque contemporaine du grand ouvrage sur Folie et d raison Histoire de la folie l ge classique 1961 et sa remise en question de l ext riorit de la d raison
11. acques Rousseau et dans l un de ses Premiers crits sur la parano a attribue celle de Rousseau la fascination qu il exerca sur son si cle par sa personne et par son Style Octave Mannoni propos du Pr sident Schreber a cette comparaison qui m riterait un commentaire ce D P Schreber qui se pr sente tout comme Jean Jacques Rousseau cet autre parano aque un livre la main pour nous dire Lisez et jugez moi Mais Schreber en juriste professionnel qui ne s appelle pas Daniel en vain sait qu on ne peut obtenir de jugement qu condition d avoir des juges et une requ te pr senter qui soit de leur comp tence En cela mais en cela seulement il d lirait moins que Rousseau Schreber als Schreiber Schreber comme crivain in Cl s pour l imaginaire ou l autre sc ne Paris Seuil coll Le champ freudien 1969 p 86 L allusion n est pas claire s agit il des Confessions ou des Dialogues Dans les deux cas Rousseau se pr sente livre en main et demande tre lu et jug Il n ignore pas qu il faille des juges pour tre jug Foucault a bien montr comment les Dialogues sont une requ te non pas en justice mais de justice D ailleurs quel juge plus universellement comp tent peut requ rir en appel du d ni de justice des hommes que celui qui pr side au Jugement Dernier LES DIALOGUES DE ROUSSEAU 93 La Transparence et l obstacle l auteur revient sur la pertinence de tels diagnostics et d finit son pro
12. auss invoqu par Goldschmidt oppose le caract re onirique de la contemplation solitaire de Rousseau la vigilance de sa contemplation philosophique R veries du promeneur solitaire ou cauchemar du complot des Dialogues il en va de m me citons ici Christopher Kelly la tentative de ressaisir la pens e de Rousseau comme objet d tude am ne une s paration entre les oeuvres autobiographiques en lesquelles ces divisions intemes sont manifest es et les oeuvres plus videmment th oriques en lesquelles elles sont r duites au silence si ce n est absentes Or dans la s rie des oeuvres exclues de la lecture 7Ce discours se trouve aux pages 933 937 dans la Pl iade Gustave Lanson L Unit de la pens e de Jean Jacques Rousseau Annales de la Soci t Jean Jacques Rousseau VII 6 1912 Ernest Cassirer L Unit dans l oeuvre de Rousseau Bulletin de la Soci t Fran aise de Philosophie XXXII 1932 Cet article r dit dans Pens e de Rousseau Paris Seuil 1984 p 41 65 reprenait la substance d un autre paru originellement en allemand Das Problem Jean Jacques Rousseau Archiv f r Geschichte der Philosophie XLI 1932 et tardivement traduit en fran ais Le probl me Jean Jacques Rousseau Paris Hachette 1987 avec une pr face de Jean Starobinski Victor Goldschmidt Anthropologie et politique les principes du syst me de Rousseau Paris Vrin 1974 Op cit p 123 V Goldschmidt cite i
13. ci L Strauss Droit naturel et Histoire Paris 1954 p 302 C Kelly Rousseau s Exemplary Life The Confessions As Political Philosophy Ithaca N Y Cornell UP 1987 p 24 C est nous qui traduisons 88 LA CRITIQUE AUTOBIOGRAPHIQUE philosophique la plus violemment et la plus radicalement r jet e ce sont les Dialogues Citons Victor Goldschmidt Quant aux Dialogues on peut se demander s il est d une saine ex g se de se pr valoir d un crit apolog tique datant de 1772 76 pour commenter un ouvrage philosophique r dig en 1753 54 Que les pers cutions r elles ou imaginaires aient amen Rousseau se projeter dans l homme de la nature transformer une distinction philosophique en un affrontement v cu rien n est plus certain Ou encore Alexis Philonenko pour l historien de la philosophie on pourrait m me souhaiter que l crit juridique c est ainsi qu il appelle les Dialogues n ait jamais vu le jour et quant savoir ce que les Dialogues apportent titre de compl ment essentiel aux Confessions la r ponse est rien de nouveau L altemative la r duction m thodologique du corpus est la r duction psychologique des contradictions leur explication par la pathologie S il reste encore conduire un recensement exhaustif des articles th ses ouvrages de m decine psychiatrie ou psychopathologie consacr s ou touchant au cas Jean Jacques Rousseau on peut sans Goldschmidt
14. dre que celle de n importe quelle autre oeuvre de l auteur se voit tre l objet d une valuation renouvel e qui tend le pr senter comme une clef du syst me de Rousseau Les Dialogues se retrouvent en fonction du mode d emploi du syst me en position d ext riorit par rapport celui ci et d ext riorit surplombante position que dans leur Introduction les diteurs argumentent et justifient On disceme dans leur lecture l aboutissement d une r volution critique qui me semble avoir t inaugur e par le texte que Foucault appendait en 1962 la premi re et ce jour unique dition separ e des Dialogues A la faveur de cette r volution le texte le plus n glig le plus intraitable se retrouve plac en position d terminante pour l interpr tation de l oeuvre Si les Dialogues n ont pas fait l objet jusqu r cemment d une interpr tation globale les critiques n ont cess d y faire r f rence certains pour y trouver la preuve de la folie de Rousseau c est l cole infiniment florissante vers la fin du XIX et le d but du XX si cle en particulier des valuations pathologiques et accessoirement des raisons de disqualifier sa philosophie politique de Burke Taine Maurras et au del d autres pour y trouver la The Dialogues can appear as a necessary prelude to Rousseau s system that if it is successful predisposes the reader to approach the system with an open mind As such the Dialogue
15. jet en r action contre une psychologie r ductrice causaliste et dissociative comme une tentative de d placer le probl me et nous demander ce que la maladie fut pour la conscience m me de Rousseau il ne s en inscrit pas moins dans une lign e ininterrompue C est ce que constate Claude Wacjman Starobinski parlant de la parano a des derni res ann es estime que Jean Jacques n invente rien il ne se trompe pas sur les faits mais sur leur signification Cette explication est d j celle des ali nistes et des psychiatres qui se penchent sur l tude des distorsions de la r alit per ue par Rousseau Ce qui est sp cifique du raisonnement de Starobinski c est la prise en compte de la dimension inconsciente Car il semble bien y avoir solution de continuit entre les travaux des ali nistes neurologues et psychiatres positivistes du tournant du si cle et les tentatives de psychanalyse litt raire qui se font jour en France d s la fondation en 1926 de la Soci t psychanalytique de Paris continuit qui transpara t dans l tude qu offre Claude Wacjman des g n alogies nosologiques et ce malgr les pr cautions qu il prend EwTant d opinions et de diagnostics divers pourraient fort bien nous instruire sur l volution des id es m dicales de 1800 nos jours en revanche notre intelligence de Rousseau ne s en trouve gu re avanc e Starobinski op cit p 437 bid p 438 Wacjman
16. op cit p 170 Sa citation est tir e de l article de Starobinski datant de 1960 Jean Jacques Rousseau et le p ril de la r flexion recueilli in L Oeil vivant Paris Gallimard 1961 nouvelle d 1979 p 94 Quelques vidences anecdotiques mais qui nous paraissent significatives le premier expos important des th ories freudiennes en France est un article paru en 1913 dans L Enc phale sous la plume du m me Emmanuel R gis et de son disciple Angelo Hesnard La Doctrine de Freud et de son Ecole ce dernier fondateur avec d autres de la S P P Le premier num ro 1927 de son organe la Revue Fran aise de psychanalyse contiendra une Etude sur J J Rousseau par Ren Laforgue tude reprise et prolong e dans le chapitre IX de son ouvrage de 1939 Psychoparhologie de l chec Paris Payot nouv d revue 1950 pp 97 120 94 LA CRITIQUE AUTOBIOGRAPHIQUE pour d gager une sp cificit de la psychanalyse par rapport aux divers courants de la psychiatrie de l ali nisme et de la m decine Et lorsque Starobinski propose une lecture globale de l oeuvre de Rousseau abordant les Dialogues il en revient sans doute ainsi que le signale Jacques Derrida une conception tr s classique du pathologique comme exc s Citons Starobinski dans la perspective d une analyse globale il appara tra que certaines conduites premi res constituent la fois la source de la pens e sp culative de Rousseau et la so
17. re lues comme document psychiatrique cela n engage pas n cessairement la rationalit de sa philosophie Le sujet de l autobiographie peut tre fou et faire le r cit de ses maux Mais les Dialogues emportent la d cision ne tentent ils pas de constituer le lien de l homme et de l oeuvre Si les commentateurs m dicaux ou profanes qui s adonnent l tude du cas Rousseau vont chercher dans ses Confessions et dans sa Correspondance les l ments d une tiologie et d une histoire pathologique c est dans les Dialogues qu ils voient la marque ultime et la confirmation du diagnostic psychiatrique qui doit accommoder deux faits sp cifiques ce texte l extravagance des tudes telle celle de F Bruneti re La folie de J J Rousseau Revue des Deux mondes ler F vrier 1890 que Wacjman ne consid re pas Rousseau et sa folie sont encore une fois pr textes Starobinski op cit p 435 90 LA CRITIQUE AUTOBIOGRAPHIQUE d un suppos d doublement de personnalit qu annoncerait son titre et l insistance rationnelle logique de sa m thode Les M moires de Bachaumont au moment de la premi re parution du texte 1780 soulignaient d j cet aspect sp cifique et paradoxal Dialogue fort long o il y a peu de faits o l on remarque une imagination noire exalt e jusqu au d lire et en m me temps une dialectique de la t te la mieux organis e et la plus froide Ou encore Meister dans la Correspondance litt raire de Juillet
18. s is extemal to the system as the precondition of or advertisement for the system it would not be a part of the system itself ibid pp xxi xxii Cette introduction a fait l objet d une publication s par e in Interpretation Journal of Political Philosophy 17 2 1989 p 238 253 Introduction Rousseau Juge de Jean Jacques Dialogues Paris Armand Colin 1962 p VII XXIV Le texte reproduit celui de la Pl iade de 1959 Citons par exemple le Procureur Louis Proal auteur d une v ritable somme sur La Psychologie de Jean Jacques Paris Alcan 1923 nouvelle ed 1930 p 238 La v ritable cause des sentiments r volutionnnaires de Rousseau tait dans sa sensibilit morbide qui lui faussait le jugement et le mettait en fureur contre ceux qu il rendait responsables de la mis re des pauvres LES DIALOGUES DE ROUSSEAU 87 confirmation de l existence d un syst me de la pens e de Rousseau et l on voit ressurgir sans cesse de Lanson Cassirer Goldschmidt le m me passage extrait du discours tenu par le personnage du Fran ais dans le troisi me des Dialogues Mais les tenants de l unit de la pens e de Rousseau s ils trouvent dans les Dialogues un pr texte la lecture syst matique op rent le plus souvent et dans le but d carter le spectre des fameuses contradictions soulev es par les adversaires de Rousseau une r duction du corpus d oeuvres sujettes la lecture philosophique Ainsi Leo Str
19. t invisible et pr sente et les Dialogues qui tout au contraire des R veries doivent tre eux rapport s au paroxysme de la folie de Rousseau Ils sonnent la f lure et ce qui est plus extraordinaire qu eux m mes c est qu un homme en soit revenu sous entendu pour crire les R veries On pourrait multiplier les exemples j en citerai encore deux Emmanuel R gis convaincu de l utilit de la collaboration de Vrin 1983 VM du Camp Souvenirs litt raires r d partielle Paris Balland 1984 p 198 Bruneti re Art cit repris dans ses Etudes critiques sur l histoire de la litt rature Fran aise 6 me dition 4 me s rie Paris Hachette 1911 p 350 E R gis La Phase de pr s nilit chez J J Rousseau L Enc phale no suppl mentaire ao t 1907 Actes du Congr s de Gen ve Lausanne pp 246 250 Le professeur R gis n a pas consacr moins de huit articles au cas Rousseau dont une fort longue Etude m diale sur J J Rousseau parue en 6 livraisons chelonn es dans La chronique m dicale nos 3 5 6 7 12 13 1900 Le r dacteur en chef de cette revue n tait autre que le Docteur Caban s auteur lui aussi d une tude sur Le cas pathologique de Rousseau parue dans son ouvrage Le Cabinet secret de l histoire Paris Charles 1898 3 me s rie pp 41 158 On doit aussi au Dr R gis Professeurde Psychiatrie l Universit de Bordeaux la direction de la th se
20. t est bien plus p rilleux qu autrefois La folie d Artaud ne se glisse pas dans les interstices de l oeuvre elle est pr cis ment l absence d oeuvre la pr sence ressass e de cette absence son vide central prouv et mesur dans toutes ses dimensions qui ne finissent point La folie n est plus l espace d ind cision o risquait de transpara tre la v rit originaire de l oeuvre mais la d cision partir de laquelle irr vocablement elle cesse et surplombe pour toujours l histoire La pr face de 1962 r inscrit le m me th me mais la coupure historique en est effac e C est un alliage de mots et bien barbare que celui si fr quent si logieux de nos jours qui associe oeuvre ct d lire une oeuvre ne peut avoir son lieu dans le d lire il se peut seulement que le langage qui du fond de lui m me la rend possible l ouvre de plus l espace empirique de la folie Or cette lecture qui veut rendre au texte de Rousseau sa lisibilit en le d barrassant des parasitages psycho biographiques s applique un texte les Dialogues dont le projet le plus affirm est de r tablir la vraie figure de l auteur et de son ocuvre par l identification de l un l autre Ainsi Foucault disjoint ce que les Dialogues m thodiquement et dialectiquement tentent d unir Mieux encore si Rousseau est bien embl matique de ce mouvement que Folie et d raison Histoire de la folie l ge classique Paris
21. urce de sa folie Mais ces conduites l origine ne sont pas morbides par elle m mes C est seulement parce qu elles vont l exc s et la rupture que la maladie se d clare et se d veloppe ironie majeure qu il s agisse d op rations de r duction psychologique ou de r duction philosophique les critiques qui trouvent dans les Dialogues l indice du syst me ou l indice de la folie sont contraints d aller chercher ailleurs que dans ceux ci les l ments de leur interpr tation Se veut elle philosophique dans les textes indubitablement th oriques psychopathologique dans les crits proprement autobiographiques et la correspondance Ultime paradoxe les tudes florissantes depuis 20 ans du genre de l autogiographie n ont pas trouv dans les Dialogues un terrain aussi favorable leurs enqu tes que dans les Confessions o m me dans les R veries Dans la seule monographie consacr e ce jour aux Dialogues James Jones cherche justifier l inclusion de ceux ci dans la probl matique de genre L accumulation des d finitions qu il recense de Roy Pascal James Olney Philippe Lejeune dissimule mal l excentricit des Dialogues Citant le d finition de Lejeune r cit r trospectif en prose qu une personne r elle fait de sa propre existence lorsqu elle met l accent sur sa vie Rousseau demeure un cas d application th orique mais il devient surtout un sujet de r flexion th orique que la clinique enrichit Le
22. vres de Rousseau ce sont les Dialogues Il y a l un sympt me quand bien m me des consid rations commerciales auraient pes sur la d cision L dition savante tait pass e d un principe d ordonnancement chronologique suivie par la majorit des ditions d Oeuvres Compl tes jusqu en 1959 un principe th matique la Pl iade qui recueillait les Dialogues dans un premier volume de textes autobiographiques et sanctionna it ainsi la partition du corpus On en peut consulter la description dans la notice bibliographique tablie pour l dition sous la direction de B Gagnebin et M Raymond dans les Oeuvres compl tes biblioth que de la Pl iade t I Les confessions et autres textes autobiographiques Paris Gallimard 1959 p 1901 1905 Voir aussi la notice de B Gagnebin Le sous titre du tome Tome onzi me contenant la seconde Partie des M moires ou Rousseau Juge de Jean Jacques en trois Dialogues semble indiquer que les diteurs d alors Du Peyrou et Moultou voient dans les Dialogues la suite du projet des Confessions Celles ci annon aient en effet leur suite que Rousseau ne donna pas Rousseau Judge of Jean Jacques Dialogues Hanover and London UP of New England 1990 86 LA CRITIQUE AUTOBIOGRAPHIQUE rousseauiste entre litt rature oeuvres intimes et th orie L ultime mutation n est pas la moins surprenante le texte des Dialogues dont jusqu pr sent la fortune critique a t infiniment moin
23. x tendances Toute la personne est d consider e c est un g nie morbide son oeuvre est vici e de part en part corrompue dans sa source m me On veut bien qu elle soit int ressante titre de sympt me Voici l autre plaidoyer la maladie n occupe pas cette position centrale et premi re elle est une plaie surajout e une ombre accidentelle Il est courant de s tonner de ce que les ex g ses de la philosophie kantienne ou hegelienne tournent rarement la discussion de la personnalit de ces philosophes il y aurait un privil ge pathologique de Rousseau partag par Nietszche Cet tonnement demande tre relativis Rousseau n est pas le seul faire l objet des enqu tes d ali nistes et de psychiatres tout au long du XIX si cle la question de la proximit du g nie et de la folie est une question d anthropologie g n rale Qu on relise le livre de Cesare Lombroso L Homme de g nie trad fr 1889 sur les planches duquel voisinent les cerveaux de fous et de savants Rousseau y para t au m me titre que Cuvier Gauss Vico et bien d autres L tonnant n est pas le privil ge pathologique de Rousseau mais la constance de celui ci du dix huiti me si cle nos jours Nous proposons que ce privil ge et sa continuit ne tiennent pas tant la pathologie de Rousseau sujet empirique qu l existence d un texte les Dialogues Rousseau sujet empirique peut tre fou ses Confessions peuvent t
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