Aventures de l`analyse de Fermat à Borel
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1. tout au contraire 8 que sur le contraste suppos entre les conceptions fran aises et allemandes de la mobilisation Selon Dieudonn ce serait l id ologie galitaire de la Troisi me R publique qui aurait conduit l h catombe normalienne alors que l Allemagne qui aurait su mieux utiliser ses savants aurait connu un ph nom ne de moindre ampleur Il est malheureusement tr s difficile de trouver des donn es comparables pour l Allemagne Il para t par exemple que les noms grav s sur le monument aux morts de G ttingen sont illi sibles Avant de nous occuper du cas allemand il est instructif de comparer le cas fran ais avec celui d autres institutions de grande renomm e dans les nations alli es Des donn es publi es concernant l universit de Cam bridge en Angleterre et l universit Harvard aux tats Unis ont donc t analys es de mani re similaire voir figures 7 et 8 La War List de l universit de Cambridge Carey 1921 est un ouvrage de 616 pages qui donne la liste d environ 12 000 de ses tudiants ou dipl m s qui ont servi dans l arm e pendant la premi re guerre mondiale Parmi eux 2 464 sont selon mes comptes d sign s comme ayant succomb suite 18 Chabert et Gilain para tre 698 L lite sous la mitraille leur engagement qu ils ait t tu s au front ou non Environ 20 des mobilis s de Cambridge sont donc morts la guerre ce qui les situe2. Georges Lery 18995 ancien professeur de math matiques au lyc e de Reims tout pr s de l qui lui aussi tait en train de pr parer une th se sur les fonctions de Green une blessure la poitrine qui quatre jours plus tard lui sera fatale Le m me jour Louis Michel 1904s professeur au lyc e de Nice dispara t galement Deux jours plus tard le 12 septembre l astronome de Bordeaux Al phonse Blondel 1904s auteur d une th orie des mar es est tu la t te de sa section devant l ennemi qui recule enfin Le 2 octobre Ren Gateaux 19075 professeur au lyc e de Bar le Duc dont les travaux d analyse fonc tionnelle avaient grandement impressionn le grand math maticien italien Vito Volterra est galement frapp la t te alors qu il commande cou rageusement une section de mitrailleuses Mazliak para tre Le 20 oc tobre enfin Robert Blum 1906s professeur de math matiques au lyc e de Douai se trouvait avec ses hommes dans une tranch e avanc e dans la ferme du Chol ra pr s de Berry au Bac en Picardie Tout tait relativement calme lorsque soudain trois obus clatent devant la tran ch e Les coups assourdissent les hommes qui se terrent Aussit t d un boyau creus secr tement l attaque surgit Les hommes de Blum surpris ont un moment d h si tation une minute tragique de flottement se passe Avec un calme et une fermet admirable Blum ressaisit la
3. t grav s Parmi eux exactement 100 rappellent le souvenir de jeunes hommes appartenant aux promotions scientifiques de NS traditionnelle ment moins nombreuses que les litt raires Le graphique de la figure 1 fait cruellement appara tre l ampleur des pertes pour les promotions n ayant pas encore termin leurs tudes en ao t 1914 c est dire les promotions 1909 1914 On se souvient des chiffres de Lanson cit s plus haut selon lesquels 107 des 239 tu s 45 appartenaient des promotions en cours d tude Dans des classes comptant rarement plus de 60 entrants pr s de 25 en moyenne sont tu s pendant la guerre Dans la promotion de 1913 qui est double en raison de l allongement de la dur e du service militaire de deux trois ans le nombre de tu s atteint 44 Quant aux normaliens de la promotion 1914 ils ont pu avoir le sentiment d avoir t relativement par 691 D AUBIN gn s du fait qu ils n ont le plus souvent t appel s qu en septembre 1914 et rejoint le front sous lieutenants qu au d but de l ann e 1915 chappant ainsi aux mois les plus meurtriers de la guerre Arnaud 1980 Le nombre des normaliens scientifiques tu s par rapport l effectif de leur promotion est repr sent sur la figure 2 On y voit que le taux de mor talit d j tr s lev en moyenne pour les promotions 1909 1914 est tout simplement inimaginable en ce qui concerne les trois promotions mart
4. Saint Denis Presses de l Universit de Vincennes Saint Denis Friedel Victor Henri 1917 P dagogie de guerre allemande Paris Fischbacher Gispert H l ne 1991 La France math matique La Soci t math matique de France 1870 1914 vol 34 de Cahiers d histoire et de philosophie des sciences Soci t fran aise d histoire des sciences et des techniques Gispert H l ne et Juliette Leloup 2009 Des patrons des math matiques en France dans l entre deux guerres Revue d histoire des sciences 62 p 39 118 Goldstein Catherine 2009 La th orie des nombres en France dans l entre deux guerres de quelques effets de la premi re guerre mondiale Revue d histoire des sciences 62 p 143 175 Goldstein Catherine et David Aubin d para tre La Grande Guerre des ma th maticiens fran ais Goldstein Catherine Jeremy Gray et Jim Ritter d 1996 L Europe math ma tique Paris d de la Maison des sciences de l homme Halbwachs Maurice 1950 La M moire collective 2 d 1968 Paris Presses universitaires de France Harvard University 1920 A Roll of Honor of Harvard Men who Have Given Their Lives for Liberty and Democracy in the War Against Germany Harvard Harvard University Press Huber Michel 1931 La Population de la France pendant la guerre avec un appendice sur les revenus avant et apr s la guerre Publi de la Donation Car negie pour la paix internationale Paris
5. AUBIN ment rappel ces chiffres mais le plus souvent sans chercher les mettre en contexte 2 Le silence comme m moire Les chiffres des pertes dues la premi re guerre mondiale sont frappants certes mais sont ils loquents Le normalien Marcel D at 19141 estime qu entre les deux g n rations qui ont fait et n ont pas fait la guerre une coupure irr parable est apparue Sirinelli 1988 p 32 Pour ces nor maliens l exp rience de la guerre est n en pas douter un choc terrible qui marque leur existence tout enti re et qui est impossible partager avec ceux qui ne l ont pas connue Nous tions quatre au 16 d infanterie qui repr sentions l cole ajoute t il Roulleau de Robert Courtines et moi l armistice h las je demeurais seul deux tu s un bless grave telle fut la proportion souvent renouvel e du commun sacrifice D at 1920 p 139 Maurice Halbwachs crit pr sent de douze quinze ans me s parent de la grande guerre et je suppose que pour mes enfants la soci t d avant 1914 qu ils n ont pas connue recule dans un pass o leur m moire croit ne pas atteindre Halbwachs 1950 p 56 Pour percer le mur de l incompr hension et appuyer l impression de d solation laiss e par la saign e subie par la premi re de ces g n rations on a souvent recours aux t moignages pars et aux citations poignantes En ce qui concerne l h
6. Depuis les ann es o Bourbaki exer ait son ascendant sur l histoire des math matiques celle ci a beaucoup volu Il est loin le temps o le bour baki Andr Weil 19225 crivait que mathematical ideas are the true object of mathematical history pensant que c en tait le seul vrai sujet Weil 1980 p 231 On n est plus l poque o Jean Dieudonn 19245 autre membre fondateur de Bourbaki excluait du champ de l histoire de sa discipline toute consid ration autre que purement math matique en af firmant Il semble que l on a une vue assez juste du d veloppement des 8 Sur l histoire de Bourbaki voir Beaulieu 1989 Aubin 1997 Mashaal 2002 9 Suivant l usage Beaulieu 1989 j appellerai bourbakis les membres du groupe Bourbaki et premiers bourbakis ceux qui ont particip sa fondation 689 D AUBIN math matiques en consid rant que son principal moteur est d origine in terne la r flexion approfondie sur la nature des probl mes r soudre sans que l origine de ces derniers exerce beaucoup d influence Dieudonn 1978 I p 11 Beaucoup de ceux et celles qui s int ressent l histoire de ce domaine du savoir ont largi le champ des questions pos es bien au del du strict contenu math matique Des probl matiques ont merg li es aux repr sentations l uvre dans l laboration et la diffusion des savoirs math matiques aux prati
7. L un de ces candidats le probabiliste Paul L vy X 1904 notait par exemple qu il de vait sans doute d avoir surv cu la guerre au choix qu il avait fait en faveur de l P puisque sa cohorte avait subi un taux de mortalit bien moins lev que celle de l NS Ma d cision de 1904 m a peut tre sauv la vie L vy 1970 p 33 Consid rant le monument aux morts lev en l hon neur des polytechniciens tomb s pendant la guerre on remarque que 16 camarades de sa promotion sont morts alors que seulement 6 normaliens de la promotion 1904 ont connu le m me sort 14 Mais en tenant compte de la taille de chaque promotion on s aper oit que le taux de mortalit tait en effet en faveur des polytechniciens puisque 90 de la promotion de L vy a surv cu la guerre alors que moins de 75 de ses contempo rains normaliens taient encore vivants d s la fin de 1916 Les normaliens contemporains de L vy engag s dans la carri re scientifique ont cepen dant souvent chapp l horreur des tranch es Ma tre de conf rences Clermont Ferrand Jules Haag 1903s est contemporain de L vy or on sait qu il sera affect aux usines Michelin avant de rejoindre la Commis sion d exp riences de G vre en 1915 o il participera la r novation des m thodes de calcul en balistique Aubin para tre Les donn es sur la mortalit parmi les polytechniciens ont t analy s es Le graphique 3 repr sen
8. amp New Haven Presses universitaires de France amp Yale University Press Leloup Juliette 2009 L entre deux guerres math matique travers les th ses soutenues en France Th se Universit Pierre et Marie Curie L vy Paul 1970 Quelques aspects de la pens e d un math maticien Paris Blanchard L vy Robert 1918 Blum Michel Robert n Paris le 11 octobre 1884 tu lennemi pr s de la ferme du Chol ra le 20 octobre 1914 Promotion de 1906 dans Association amicale de secours des anciens l ves de l cole normale sup rieure d R union g n rale annuelle p 129 133 Mashaal Maurice 2002 Bourbaki une soci t secr te de math maticiens Pa ris Belin Mazliak Laurent para tre Les fant mes de l cole normale vie mort et destin de Ren Gateaux dans Catherine Goldstein et David Aubin d La Grande 705 D AUBIN Guerre des math maticiens fran ais Mazliak Laurent et Rossana Tazzioli 2009 Mathematicians at War Volterra and his French Colleagues in World War I Berlin Springer Painlev Paul 1916 L cole normale sup rieure et la guerre Revue scienti fique 54 p 193 195 Pestre Dominique 1984 Physique et physiciens en France 1918 1940 Paris ditions des Archives Contemporaines Prochasson Christophe et Anne Rasmussen 1996 Au nom de la patrie les in tellectuels et la Premi re Guerre mondiale 1910 1919 Paris La D couver
9. origine des math mati ciens appartenant aux promotions d apr s guerre de P NS 1922 1926 Ils se retrouvent autour d un projet commun la r daction d un nouveau trait d analyse bas e sur la m thode axiomatique projet qui voluera jus qu proposer une refonte tr s ambitieuse de la structure l mentaire des math matiques de l poque 8 En insistant sur la m thode axiomatique dans l esprit du math maticien allemand David Hilbert et en voulant structurer les math matiques sur des bases internes la discipline et portant peu d at tention aux applications concr tes qu elles sont susceptibles d avoir la vo lont de rupture avec la vision dominante des math matiques en France est tout fait claire Apr s la seconde guerre mondiale Bourbaki exercera une influence majeure sur les math matiques du XX si cle mais aussi sur son historiographie Trente ans plus tard cette volont de rupture se mani feste dans la th se historique qu il labore au sujet de sa propre origine et que j appellerai par cons quent la th se Bourbaki Relever les math matiques du champ de ruines laiss s par la guerre t che que s assignent r trospectivement les permiers bourbakis dans cette ego histoire cadre bien avec la tabula rasa qui caract rise son trait qui prend les math matiques leur d but et donne des d monstrations compl tes Bourbaki 1940 Mode d emploi de ce trait
10. r sont beaucoup plus nombreux tre tomb s pendant la guerre Comme l P est une cole mi litaire on peut supposer qu un grand nombre d entre eux taient officiers de carri re et donc naturellement plus expos s que des professeurs agr g s mobilis s dans l enseignement ou l industrie 90 80 70 60 50 40 Nombre de morts 30 20 o 1870 1874 1878 1882 1886 1890 1894 1898 1902 1906 1910 1914 1918 Ann e de la promotion FIGURE 3 Polytechniciens morts pendant la premi re guerre mondiale par pro motion Il est noter qu il n y a pas eu de concours VEP en 1915 En ce qui concerne les promotions qui ont pay le tribut le plus lourd voir figure 4 il appara t maintenant clairement que le taux de mortalit des normaliens est peu pr s le double de celui des polytechniciens pour les promotions entre 1910 et 1914 On avait d j soulign ce fait notant que 14 des polytechniciens des promotions 1894 1918 taient tomb s la guerre contre 20 des normaliens Huber 1931 p 425 426 et nos donn es le confirment En r gle g n rale il semble donc que les jeunes 15 En tant que tels ces chiffres que Villarmet attribue Huber Villermet 1993 sont absents de son livre mais on peut les d duire de ses donn es 694 L lite sous la mitraille tudiants normaliens avaient entre deux et trois fois plus de chances d tre tu s la guerre que leurs homo
11. sultats originaux sur les quations de Fredholm publi s par un autre avant qu il n ait le temps de les r diger re oit une balle en pleine poitrine qui le tue net Courdemanges pr s de Vitry le Fran ois dans 2 Pour r diger cet article je me suis abondamment servi de bases donn es dis ponibles sur l Internet Citons en particulier le JFM qui recense une bonne partie des articles de math matiques publi s entre 1868 et 1942 accessible l adresse http www emis de MATH JFM Le r pertoire des agr g s de l enseignement secondaire 1809 1950 par Andr Chervel se retrouve l adresse http www inrp fr she chervel_laureatsi htm Des renseignements sur les soldats morts pour la France sont disponibles sur le site http wwiw memoiredeshommes sga defense gouv fr M moire des hommes de la D fense Nationale Enfin pour les normaliens morts pendant la premi re guerre mondiale j ai voulu prendre comme source premi re la liste de noms grav s sur le monument aux morts de la rue d Ulm mais aussi les Suppl ments historiques publi s in Association amicale de secours des an ciens l ves de l cole normale sup rieure 2000 amp 2005 Par ailleurs apr s un nom de normalien la date entre parenth ses suivie de s ou indique l ann e de sa promotion scien tifique resp litt raire 682 L lite sous la mitraille la ferme des Petites Perthes l explosion d un obus inflige
12. chez les normaliens se rapproche plus des l ves officiers de 696 L lite sous la mitraille i 1917 Pertes f ertes fran aises Polytechnique 1915 1916 1917 En 24 20 12 1915 1917 EE 40 10 6 ENS T T 0 10 20 30 40 50 60 70 80 90 100 FIGURE 6 Proportion de la mortalit par ann e de la mort chez les normaliens chez les polytechniciens et dans l ensemble des Fran ais mobilis s Il existe une autre fa on de tester l volution des mentalit s pendant la guerre La figure 6 repr sente pour chacune des populations examin es jusqu maintenant la proportion des morts survenues chaque ann e qu a dur la guerre 7 D apr s ce graphique tandis que la proportion des po lytechniciens morts chaque ann e suit peu pr s celle de l ensemble de la population mobilis e la proportion des normaliens tu s dans les deux premi res ann es de la guerre et en particulier en 1915 est particuli re ment lev e On peut penser que lors des premi res batailles les normaliens avaient beaucoup plus de chances d tre affect s des postes dangereux et qu au contraire en 1918 ils taient relativement mieux prot g s tout l cole militaire de Saint Cyr Ainsi les promotions admises en 1912 1913 et 1914 ont respectivement subi des pertes de 48 54 4 et 55 Ces chiffres proviennent d une tude de Cyril Legrand et sont cit s in Chaline 1996
13. plus pr s du taux de mortalit des normaliens que de celui des polytechniciens promotions 1894 1918 Le profil des Cambridge Men morts en fonction de leur ann e d inscription l universit n est pas tr s diff rent de celui des normaliens Par contre les hommes de Cambridge sont en moyenne morts plus tard dans la guerre que les Fran ais Havard 4 1900 1909 1910 1913 1914 1919 38 35 LE 1900 1909 1914 1919 37 13 Cambridge 1900 1909 1910 1913 1914 1919 35 45 11 o o 1870 1889 1890 1899 1900 1909 1910 1913 1914 1919 17 21 28 23 11 ENS Polytechnique 0 10 20 30 40 50 60 70 80 90 100 FIGURE 7 Proportion de la mortalit par cohorte chez les polytechniciens les normaliens les Cambridge Men et les Harvard Men Notons que pour les tudiants et dipl m s de Harvard l ann e indiqu e est en g n ral l ann e de sortie on a donc soustrait 4 ans ce chiffre Les Honor Rolls de l universit de Harvard Harvard University 1920 indiquent que 289 tudiants et dipl m s de cette universit sont morts la guerre un nombre comparable celui des normaliens ayant subi le m me sort m me si les effectifs d tudiants Harvard taient d j cette poque beaucoup plus lev s Comme on aurait pu s y attendre en ce qui concerne des ressortissants d un pays qui n a d clar la guerre l Allemagne que le 16 avril 1917 ces derniers so
14. section branl e la rassemble et commence le feu Mais peine avait il pass la t te au parapet qu il tombe frapp d une balle la t te et meurt aussit t L vy 1918 p 133 Ces histoires tristement similaires sont frappantes autant que tragiques Sur les 239 normaliens dont le nom figure sur le monument aux morts de la rue d Ulm on compte vingt deux agr g s de math matiques Comme le montre le tableau 27 1 quatorze d entre eux sont morts en 1914 quatre en 1915 trois en 1916 et un dernier Paul Viple 1906s quelques jours apr s l Armistice des suites de blessures subies le 25 octobre 1918 fin de com paraison on peut noter que dans les premi res ann es du si cle ce nombre quivaut environ une promotion scientifique compl te de P NS et une fois et demi le nombre de candidats re us chaque ann e l agr gation de math matiques Pour au moins cinq d entre eux l uvre qu ils laissent bien qu incompl te aura sur le long terme des r sonances extraordinaires une poque o l crasante majorit des professeurs de math matiques du sup rieur et l essentiel de ceux qui marquent de leur empreinte le d velop pement de la discipline se recrutent parmi les normaliens agr g s la perte 683 D AUBIN est donc indubitablement significative tragique irr parable sans doute En terme quantitatifs on peut galement se faire une id e de l ampleur de la saign e par rap
15. sup rieure 1915 695 D AUBIN p 2 Comme on le constate ce n est pas le cas 60 0 50 0 40 0 30 0 QPertes fran aises globales BPolytechnique mens 20 0 10 0 1870 1889 1890 1899 1900 1909 1910 1913 1914 1919 Ann e de la promotion ou de la classe FIGURE 5 Comparaison de la proportion des effectifs morts la guerre par classes d ge des normaliens polytechniciens et de la population fran aise mobilis e en g n ral La conclusion est ahurissante alors que polytechniciens et normaliens ont des taux de mortalit globalement inf rieurs ou au pire comparables celui de la population g n rale des mobilis s les normaliens des classes 1910 1913 ont avec un taux de mortalit sup rieur 50 t deux fois plus durement touch s non seulement que leurs homologues polytechni ciens mais encore que leurs contemporains en g n ral De mani re signi ficative la proportion des pertes attribuables aux classes plus jeunes encore m me en tenant compte qu il n y a pas eu de promotion en 1915 et que les classes taient moins nombreuses d cro t bien en de de celle de la po pulation g n rale A n en pas douter ceci refl te un ph nom ne d j not Dieudonn 1969 savoir la lente prise de conscience de la n cessit de mieux utiliser les l ves des grandes coles et de les affecter des missions moins risqu es 6 16 Le taux de mortalit
16. 9 Bourbaki une histoire du groupe de math maticiens fran ais et de ses travaux 1934 1944 Th se universit de Montr al Beaulieu Liliane 2009 Regards sur les math matiques fran aises entre les deux guerres Introduction Revue d histoire des sciences 62 1 p 9 37 Becker Jean Jacques et Gerd Krumeich 2008 La Grande Guerre une histoire franco allemande Paris Tallandier Bourbaki Nicolas 1940 l ments de math matique Paris Hermann Carey G V 1921 The War List of the University of Cambridge 1914 1918 Cambridge Cambridge University Press C line 2009 Lettres La Pl iade Paris Gallimard Chabert Jean Luc et Christian Gilain para tre The Teaching of Mathematics at the cole polytechnique before during and after World War I dans David Aubin et Catherine Goldstein d The War of Guns and Mathematics World War I and the Place of Mathematics Providence amp London American Mathe matical Society amp London Mathematical Society Chaline Olivier 1996 Les Normaliens dans la grande guerre Guerres mondiales et conflits contemporains 183 184 p 99 110 Ch telet Albert 1920 Chatanay Jean n Autun Sa ne et Loire le 2avril 1884 tu l ennemi Vermettes Pas de Calais le 15 octobre 1914 Promo tion de 1904 dans Association amicale de secours des anciens l ves de l cole normale sup rieure d R union g n rale annuelle p 57 59 Chervel An
17. Aventures de l analyse de Fermat Borel M langes en l honneur de Christian Gilain dirig par Suzanne F ry PRESSES UNIVERSITAIRES DE NANCY EDITIONS UNIVERSITAIRES DE LORRAINE L lite sous la mitraille les math maticiens normaliens morts pour la France 1914 1918 David Aubin 1 L incompr hensible h catombe Au cours des semaines les plus sanglantes de l histoire de France entre le 22 ao t et le 20 octobre 1914 douze math maticiens tous anciens l ves de l cole normale sup rieure de la rue d Ulm Paris tous agr g s de math matiques et pour la plupart auteurs de travaux remarqu s publi s et recens s dans le Jahrbuch ber die Forschritte der Mathematik JFM sont 1 david aubin upmc fr Adresse postale Sorbonne Universit Pierre et Marie Curie Institut de math matiques de Jussieu 4 place Jussieu 75252 Paris Cedex 05 France Cet article est adapt d un ouvrage para tre sur les normaliens math maticiens morts pen dant la premi re guerre mondiale Pour leur aide pendant la r daction de cet ouvrage je tiens remercier tout particuli rement les participants du groupe de travail math matiques et math maticiens autour de la premi re guerre mondiale de l Institut de math matiques de Jussieu D AUBIN tu s sur les champs de bataille du Nord et de l Est Bless d une balle au front Thun l v que Nord Jean Clairin 1896s profes
18. Nicolas Bourbaki A Cultural Connector at the Confluence of Mathematics Structuralism and the Oulipo in France Science in Context 10 p 297 342 Aubin David 2004 octobre Quelques tendances actuelles en histoire des ma th matiques Gazette des math maticiens 102 p 91 100 Aubin David para tre The war of guns and mathematics why and how French mathematicians collaborated with military ballisticians at G vre dans David Aubin et Catherine Goldstein d The War of Guns and Mathematics World War I and the Place of Mathematics Providence amp Londres American Mathe matical Society amp London Mathematical Society Aubin David H l ne Gispert et Catherine Goldstein 2011 Les math maticiens fran ais dans la Grande Guerre dans Fran ois Bouloc R my Cazals et Andr Loez d 1914 1916 identit s troubl es les appartenances sociales et natio nales l preuve de la Grande Guerre Toulouse Privat p 183 197 703 D AUBIN Aubin David et Catherine Goldstein d para tre The War of Guns and Ma thematics World War I and the Place of Mathematics Providence amp London American Mathematical Society amp London Mathematical Society Audin Mich le 2009 Fatou Julia Montel Le Grand Prix des sciences math matiques de 1918 et apr s Berlin Springer Audoin Rouzeau St phane et Annette Becker 2000 74 18 retrouver la guerre Paris Gallimard Beaulieu Liliane 198
19. RI Michel Louis 311 RI Aim Paillard Louis 117 RI Marty Joseph 38 RIC Andrieu Martial 153 RI Blum Robert 201 RI Viple Paul 6 RG 11 63 Gateaux Ren 269 RI Ballongue Alfred 2 RZ Doncker Henri 247 RI Antoni Camille 81 RI Berthiot Henri 11 BC Piglowski Jean 253 RI Deffayet Charles 11 BC Lambert Paul 60 RI Vidil Roger 2 RZ Naissance 13 nov 1876 9 mai 1876 23 avr 1876 28 avr 1880 20 avr 1881 28 mars 1884 29 nov 1883 11 mai 1882 22 mars 1883 12 f v 1885 31 d c 1885 11 oct 1884 2 ao t 1886 5 mai 1889 1 juil 1887 24 f v 1890 13 ao t 1887 22 avr 1888 4 ao t 1889 31 juil 1890 27 f vr 1894 1 oct 1891 Mort 26 ao t 1914 29 ao t 1914 11 avril 1916 10 sept 1914 5 mars 1915 12 sept 1914 11 juil 1916 10 sept 1914 24 sept 1914 10 sept 1914 7 avr 1916 20 oct 1914 18 nov 1918 2 oct 1914 28 avr 1915 8 sept 1914 22 ao t 1914 29 ao t 1914 18 f v 1915 22 nov 1914 13 mars 1915 27 nov 1914 TABLE 27 1 Normaliens agr g s de math matiques morts pendant la premi re guerre mondiale Abr viations BC bataillon de chasseurs RG r giment du g nie RI r giment d infanterie RIC r giment d infanterie coloniale RIT r giment d infanterie territoriale RZ r giment de zouaves Les renseignements dont nous disposons propos d Eug ne Martin n ont pas permis de d terminer son r gi ment 685 D
20. a liste des Oberlehrer morts pendant la guerre et celle des anciens l ves d un lyc e de l lite berlinoise le Friedrich Wilhelm Gymnasium On pourrait s attendre ce que les taux de mortalit des professeurs de lyc e hambourgeois soient comparables ceux des norma liens qui ont fini leurs tudes Notre analyse montre que c est globalement le cas La g n ration la plus touch e est celle n e dans les ann es 1880 et ce Hambourg comme en France de quatre cinq fois plus que leurs a n s des ann es 1870 Si 40 des morts normaliens ont disparu en 1915 un tiers des professeurs de Hambourg tomb s pendant la guerre ont t tu s en 1914 et un quart chacune des deux ann es qui suivent figure 9 Quant aux anciens tudiants du lyc e Friedrich Wilhelm on ne d c le pas de dif f rence notable entre leur taux de mortalit que ce soit en fonction de leur 19 Les donn es pour les deux groupes s lectionn s sont disponibles sur le site in ternet Denkmalprojekt On pourra consulter le Gedenkbuch der Hamburger Ober lehrer 1 Weltkrieg publi par la Verein der Oberlehrer an den H heren Staatsschu len Hamburgs Hambourg 1919 http www denkmalprojekt org Verlustlisten vl_hamburg_oberlehrer_wk1i htm qui comporte 75 noms et Ehrentafel Lehrer und Sch ler d Kgl Friedrich Wilhelms Gymnasiums zu Berlin Kriegsannalen 3 Berlin 1920 qui comporte 226 noms http www denkmalprojekt org Gedenkbue
21. ats Unis et l Allemagne soulignent par contre la non exceptionnalit de l exp rience Dans tous ces pays les pertes statis tiques au sein des jeunes lites universitaires sont consid rables ce ni veau d analyse aucune diff rence vraiment notable ne semble merger Il sera int ressant de poursuivre cette recherche afin de mieux tayer certaines de nos conclusions Une tude des travaux math matiques des normaliens morts la guerre pourrait faire ressortir les travaux manquants que d plorent certains bourbakis ou au contraire montrer que cet espoir n est bas sur aucune tude s rieuse Une analyse plus fine de la vie ma th matique de l cole normale de l avant guerre et sur la mani re dont on entretient la m moire des morts apr s l Armistice apportera une meilleure compr hension des m canismes m moriels qui singularisent la Grande Guerre dans l histoire des math matiques fran aises Bibliographie Association amicale de secours des anciens l ves de l cole normale sup rieure 1915 2009 R union g n rale annuelle Archives nationales s ries AJ 16 AJ 61 et F 17 Arnaud Ren 1980 Vaubourolle Ren n Limoges le 11 juillet 1894 d c d Paris le 18 avril 1978 Promotion de 1914 dans Association amicale de se cours des anciens l ves de l cole normale sup rieure d R union g n rale annuelle p 52 53 Aubin David 1997 The Withering Immortality of
22. cher friedrich wilhelms gymnasium_berlin_wk1 htm 701 D AUBIN classe d ge ou de l ann e de leur mort et celui des mobilis s fran ais en g n ral La taille de ces chantillons est bien faible pour vouloir tirer des conclusions d finitives mais il laisse penser qu aucune diff rence impor tante n est perceptible entre le comportement allemand et fran ais vis vis de leurs professeurs de lyc e Il semblerait m me plut t que les Fran ais les aient plus rapidement que leur ennemis soustraits des champs de bataille les plus meurtriers Pertes fran aises FWG Berlin Hambourg 191 10 ENS 0 10 20 30 40 50 60 70 80 90 100 FIGURE 9 Proportion du nombre total des morts parmi les normaliens les pro Jesseurs de lyc e d Hambourg les dipl m s et tudiants du lyc e Friedrich Wilhelm de Berlin et dans l ensemble des mobilis s fran ais en fonction de l ann e de leur mort 5 Conclusion Les donn es rassembl es dans cet article font clairement appara tre la bru talit du choc subi par les jeunes normaliens dans les premi res ann es de la Grande Guerre Nous avons montr que ces derniers ont bien t au d but du conflit proportionnellement plus expos s que leurs camarades 702 L lite sous la mitraille de l cole polytechnique Les comparaisons internationales ici esquiss es avec l Angleterre les t
23. dr 1993 Histoire de l agr gation contribution l histoire de la culture scolaire Paris Institut national de recherches pr dagogiques amp ditions Kin Dahan Dalmedico Amy et Umberto Bottazzini d 2001 Changing Images in Mathematics From the French Revolution to the New Millenium Routledge Darmon Pierre 2002 Vivre Paris pendant la Grande Guerre Paris Fayard D at Marcel 1920 De Robert Edouard n Saint Amand Valloret Tarn le 11 f vrier 1893 tu Grand Rozoy le 29 juillet 1918 Promotion de 1913 Roulleau Louis n Riom le 18 ao t 1892 mort de ses blessures l Ambu lance de Ressons sur Matz le 16 mai 1917 Promotion 1913 dans Associa tion amicale de secours des anciens l ves de l cole normale sup rieure d R union g n rale annuelle p 139 141 Desforges Julien 1980 Barbier Georges n le ler janvier 1893 Orl ans d c d le 5 ao t 1977 Paris Promotion de 1911 dans Association amicale de 704 L lite sous la mitraille secours des anciens l ves de l cole normale sup rieure d R union g n rale annuelle p 40 41 Dieudonn Jean 1969 Regards sur Bourbaki Analele universitatii Bucaresti Matematica mecanica 18 p 13 25 Dieudonn Jean d 1978 Abr g d histoire des math matiques 1700 1900 2 tomes Paris Hermann Durand Richard Marie Jos 2006 Les Math matiques dans la cit
24. eur du sacrifice Sirinelli 1988 p 29 7 C est bien parce que les textes qu ils ont produits m ritent d tre ana lys s et les motions crues qu ils suscitent explicit es afin de mieux com prendre l impact laiss sur la m moire de leurs contemporains qu il me semble n cessaire sinon d affaiblir ces t moignages du moins de ne pas les laisser sans commentaire critique D autant plus que le silence organis 7 Curieusement il n existe qu un seul article historique int ressant mais incomplet consacr aux normaliens dans la Grande Guerre Chaline 1996 Annie B lis 19721 a rassembl quelques documents relatifs aux normaliens morts la guerre et les a pr sent s lors de la c r monie du 11 novembre 2009 P NS voir Normale sup info 119 novembre 2009 disponible sur http www ens fr IMG file ens infos ENS_INFO_119 pdf consult le 30 juin 2011 688 L lite sous la mitraille autour de l exp rience de guerre des normaliens a laiss s installer l opinion aujourd hui r pandue selon laquelle la premi re guerre mondiale serait di rectement responsable du d clin de l cole math matique fran aise D clin temporaire jusqu ce que survienne la g n ration Bourbaki une quinzaine d ann es apr s l Armistice C est cette opinion historiographique que jJ ap pellerai dans ce qui suit la th se Bourbaki Fond en 1934 1935 le groupe rassemble l
25. hit pas seulement l incom pr hension profonde du contexte qui a pu mener un tel massacre ou le respect naturel qu on estime devoir ceux qui en furent les victimes Le silence est aussi le produit d une histoire Il r pond l injonction tant de fois r p t e enjoignant au pieux recueillement tant il est vrai que le silence semble tre le seul hommage qu on puisse t moigner ces morts Ainsi le math maticien Ernest Vessiot 1884s apr s avoir sommairement rappel les pertes subie par NS pendant la guerre et avant de lire les noms qui figurent sur le monument dit il de la c r monie qu il pr side devant le mo nument aux morts de la rue d Ulm le 11 novembre 1928 Le recueillement suffit lui donner tout son sens et les paroles y semblent vaines Archives nationales AJ 61 163 De m me apr s avoir reproduit dans la Revue des deux mondes le texte de la citation de Gaston Julia 1911s bless le 15 janvier 1915 le recteur de l acad mie de Bordeaux crit il Je n ajoute rai rien il y a des textes que tout commentaire affaiblit Thamin 1916a p 296 On comprend facilement la pudeur et la retenue des a n s qui voient leurs fils tomber pour la patrie litt ralement dans le cas de Raymond Tha min 18771 qui d die son livre L Universit et la guerre Thamin 1916b son fils pilote aviateur mort pour la France le 11 octobre 1915 Je croirais impie d ajouter un mot crit e
26. istoire des math matiques deux ouvrages r cents Audin 2009 Mazliak et Tazzioli 2009 exhument ainsi de remarquables documents Mais le probl me est qu ici aussi on en examine trop rarement le contexte de production Quand le t moignage poss de en soi une telle force dramatique que dire de plus en effet Pour troublants ou choquants qu ils puissent tre les t moignages ne parlent pas d eux m mes et leur utilisation pose probl me aux historiens qui ont d ailleurs pol miqu ce sujet Si certains ont d nonc la dictature du t moignage produisant une vision tronqu e occultant certains aspects de la culture de guerre Audoin Rouzeau et Becker 2000 p 52 c est bien parce qu il est n ces saire de les recueillir et de les analyser avec pr caution Si d autres plaident 5 Voir par exemple Pestre 1984 p 218 et 222 223 Sirinelli 1988 p 28 Prochas son et Rasmussen 1996 p 186 Darmon 2002 p 65 et citant les m mes chiffres mais de fa on plus approximative Becker et Krumeich 2008 p 294 686 L lite sous la mitraille au contraire pour leur r habilitation ils soulignent du m me souffle la n cessit de les accompagner de rigueur et de novation dans les m thodes permettant de faire progresser par leur biais les connaissances Le silence gla ant et embarrass qu on peut se sentir tenu de pr server face au sacrifice ultime d une g n ration ne tra
27. logues polytechniciens 70 60 50 40 Ens 30 Polytechnique 20 o lt 1910 1911 1912 1913 1914 1915 1916 1917 1918 Taux de mortalit par rapport aux effectifs R R Ann e de promotion FIGURE 4 Comparaison entre les taux de mortalit des promotions d l ves de PENS et de VEP Seules les promotions scientifiques sont prises en compte pour l ENS Le sentiment qu ont pu avoir les normaliens de s tre ou d avoir t plus que d autres sacrifi s la cause nationale refl te donc la r alit d une exp rience tragique Pour souligner ce point il est utile de comparer les proportions de normaliens et de polytechniciens morts la guerre avec les pertes totales de chaque classe d ge dans la population mobilis e partir des donn es de Huber 1931 p 422 Sur le graphique 5 on a compar les taux de mortalit des normaliens des polytechniciens et de la population mobilis e par rapport aux effectifs Notons que les effectifs normaliens et polytechniciens correspondent au total de chaque promotion alors que les effectifs g n raux correspondent aux mobilis s seulement Il serait donc naturel de s attendre un plus faible taux de pertes au moins chez les nor maliens qui ne sont pas n cessairement mobilisables une vingtaine de normaliens soit environ 10 restent l NS en 1914 voir Association amicale de secours des anciens l ves de l cole normale
28. ncore le math maticien Albert Ch telet 1905s apr s avoir d crit la mort de son ami le naturaliste Jean Chatanay 1904s Ch telet 1920 p 59 On ne s est gu re priv pourtant de discourir sur l engagement des normaliens dans la Grande Guerre Le 4 mars 1916 pendant la bataille de Verdun le math maticien Paul Painlev 18835 ministre de l Instruction publique des beaux arts et des inventions int ressant la d fense nationale prend ainsi la parole dans une matin e de gala organis e au profit des bles s s de l h pital de l Union des Femmes de France mis en place dans les locaux de l cole normale sup rieure de la rue d Ulm Paris Il y pro nonce un discours sur L cole normale sup rieure et la guerre 6 Andr Loez avec Nicolas Offenstadt Petit r pertoire critique des concepts de la Grande Guerre http www cridi418 org espace_scientifique textes con ceptsgg_01 htm Voir aussi Rousseau 2003 687 D AUBIN aujourd hui comment parler de l cole normale sup rieure sans voquer avec une tendresse particuli re avec une pi t profonde tous ces jeunes gens qu elle a form s pour penser et qui ont su si bien combattre Comment ne pas voir se dresser devant soi cette lite de chercheurs de savants d crivains qui si vite se sont r v l s des chefs sous la mitraille Painlev 1916 p 194 La part prise par NS dans la premi re guerre mondiale a d
29. nt en g n ral morts plus tard encore en 1918 pour 72 d entre eux 699 D AUBIN Les figures 7 et 8 r sument les similarit s et diff rences qu il est pos sible d tablir entre les dipl m s et tudiants de ces quatre institutions d lite Malgr des traditions et coutumes distinctes on remarque que ce sont les m mes classes d ge qui ont t le plus durement touch es Les po lytechniciens se d marquent nettement des institutions civiles par la grande proportion de tu s parmi les hommes les plus g s Si on peut constater que les normaliens sont en effet ceux dont la proportion de la mortalit tou chant les jeunes en cours d tude en 1914 est la plus lev e les plus jeunes classes d tudiants de Harvard semblent proportionnellement avoir pay un prix plus lourd Mais il faut cependant remarquer que ce sont l les classes qui de fait comptaient la grande majorit des hommes en cours d tudes au moment de la d claration de guerre par les tats unis IEIR 1917 Havard 4 2 Cambridge Polytechnique 1917 REJI 0 10 20 30 40 50 60 70 80 90 100 FIGURE 8 Proportion de la mortalit par ann e de la mort chez les polytech niciens les normaliens Cambridge Men et les Harvard Men On a soustrait 4 ans la classe des tudiants et dipl m s de l universit Harvard Enfin la tendance d cel e qui consiste mieux prot ger les normaliens mesure que la gue
30. onc frapp les imaginations plus d un titre Au del du choc caus par le nombre lev de jeunes victimes la conduite exemplaire de ses l ves et les mul tiples t moignages qu ils ont laiss s ont aussi permis de perp tuer cette m moire Devenue presque incompr hensible l h morragie subie par la jeunesse intellectuelle et scientifique appara t souvent aujourd hui encore comme le signe de l ampleur de l effort consenti par la nation mais aussi comme celui d un certain manque de discernement dont elle fait montre dans l utilisation de ses ressources et de ses hommes Malgr le sentiment d urgence qui pr side au d but de la Grande Guerre il est difficile de s em p cher de penser que la France aurait mieux fait de pr server ce capital humain n cessaire non seulement son rel vement futur mais galement la conduite m me de cette grande guerre scientifique qui s enclenche Comme le rappelle l historien Jean Fran ois Sirinelli le sacrifice de l lite dans les combats de 1914 1918 a laiss une trace profonde sur l histoire intellectuelle de la France et sur celle de l NS en particulier Cette h morragie qu a connue l cole normale sup rieure a sans doute t ressentie par les autorit s universitaires comme une ponction catastrophique dont il convenait tout prix de colmater les effets Et la communaut normalienne de son c t plusieurs reprises a insist sur l ampl
31. p 107 17 Les donn es g n rales sont disponible dans Huber 1931 p 420 En ce qui concerne l NS on pourra consulter Association amicale de secours des anciens l ves de l cole normale sup rieure suppl ment historique 2000 et pour l P la base Famille polytech nicienne d j mentionn e 697 D AUBIN comme les polytechniciens mais un moindre degr Il est toutefois n cessaire de faire remarquer que dans de nombreux cas les normaliens sont loign s du front non pour tre directement affect s d autres t ches mais suite une blessure ou une s v re maladie qui les rendent impropres au ser vice actif En conclusion il semble maintenant bien tabli que la perception commun ment admise traduit bien une cruelle r alit savoir qu en tant qu officiers subalternes de l infanterie les jeunes normaliens et tout parti culi rement ceux qui n avaient pas encore termin leurs tudes au moment du d clenchement du conflit ont bien t pendant les deux premi res ann es de la guerre beaucoup plus expos s proportionnellement non seule ment que leurs homologues polytechniciens mais que l ensemble des mo bilis s fran ais 4 Comparaisons internationales La th se Bourbaki s appuie cependant moins sur une comparaison entre l NS et P qui n a d ailleurs pas accueilli les math matiques structurales avec plus d enthousiasme que l NS apr s la guerre
32. port au nombre de math maticiens exer ant en France en 1914 en se r f rant aux travaux d H l ne Gispert sur la Soci t ma th matique de France SMF Gispert 1991 p 174 M me si peu des 22 agr g s normaliens morts pendant la premi re guerre mondiale en sont membres en 1914 SMF 1914 ce chiffre reste significatif H l ne Gispert montre en particulier que la SMF compte 278 membres en 1914 dont 178 sont fran ais 139 enseignants 31 seulement professeurs de lyc e Il n est pas vident de d terminer le nombre des soci taires qui sont morts pen dant la guerre puisque nous n avons souvent ni leur pr nom ni leur date de naissance mais ils ne semblent pas avoir t tr s nombreux D s le 15 janvier 1915 on a pris conscience de l ampleur du d sastre qui bien s r ne frappe pas les math maticiens plus que les autres A l as sembl e g n rale annuelle de l Association amicale de secours des anciens l ves de l cole normale sup rieure AASAE le directeur Ernest La visse 18621 et le secr taire Paul Dupuy 18761 r v lent tous deux des chiffres qu on a peine croire Sur 195 l ves actuels qui sont all s au feu en ao t 1914 seuls 54 ou 55 28 sont encore indemnes apr s cinq mois de combat Si les chiffres diff rent l g rement l impression globale reste la m me 34 ou 35 sont morts 17 18 15 ont disparu 8 74 ont t bless s 38 21 ont t fait prisonniers dont cer
33. ques math matiques qu elles soient le fait de ma th maticiens ou non aux structures de la ou mieux des communaut s ma th matiques et aux fa ons dont ces derni res interagissent sur divers plans avec d autres secteurs de la soci t Aujourd hui l histoire des math ma tiques qui par ailleurs ne se d tourne videmment pas de son objectif pre mier qui tait de retracer la filiation des id es dans ce domaine peut aussi par l int gration de tous ces divers aspects esp rer apporter des contribu tions originales l histoire intellectuelle et culturelle du XX si cle 3 Les pertes l cole normale sup rieure et l cole polytechnique Les chiffres que nous avons rappel s plus haut sont bouleversants la mor talit des l ves de l NS est particuli rement choquante Ces chiffres per mettent donc de souligner l alt rit profonde de l exp rience de la guerre Mais comme nous l avons rappel plus haut ces chiffres bruts ne livrent pas n cessairement tout leur sens Afin d en mieux saisir la signification et percevoir les r alit s refl t es par la th se Bourbaki il est utile de chercher mettre les donn es en perspective et de les comparer d autres donn es 10 Sont repr sentatives de ces tendances entre autres les tudes suivantes Gispert 1991 Goldstein et al 1996 Dahan Dalmedico et Bottazzini 2001 Durand Richard 2006 Pour une discussion de l hi
34. rre avance semble encore plus marqu e lorsqu on com pare la proportion de la mortalit subie chaque ann e du conflit La prise de 700 L lite sous la mitraille conscience du besoin de prot ger l lite instruite se serait elle manifest e plus t t qu ailleurs l NS Comme on le verra il semble bien que ce soit le cas En ce qui a trait l Allemagne maintenant aucune donn e directe ment comparable n a malheureusement t trouv e On constate sans grand tonnement que les valuations globales diff rent peu de celles qu on peut trouver en France qu elles concernent le nombre de mobilis s ou de tu s au sein des enseignants de tous les niveaux ou des tudiants des universit s En janvier 1916 le minist re de l instruction publique de Prusse fait savoir que sur 51 018 instituteurs mobilis s 6 000 sont morts plus d un cinqui me des l ves des coles pr paratoires et normales partis comme volontaires galement tu s Le 16 mars 1916 le ministre indique que des 15 700 pro fesseurs de lyc e Oberlehrer de Prusse 7 000 sont aux arm es l t 1915 81 des tudiants inscrits dans les universit s et coles techniques sup rieures sont mobilis s dans l arm e et les services auxiliaires Friedel 1917 p 23 Sont galement disponibles quelques listes de soldats disparus qui peu vent servir de base de comparaisons avec les nations alli es Nous avons par exemple analys l
35. seur de math matiques g n rales l universit de Lille dis para t d s le 26 ao t 1914 moins d un mois apr s la d claration de guerre Il tait sp cialiste des quations aux d riv es partielles et des transformations de B cklund Atteint par des clats d obus la m choire et l paule Jean Merlin 1898s astronome l observatoire de Lyon qui pr parait une th se sur la th orie des nombres est laiss par ses camarades en d route pr s du col d Anozel Vosges le 29 ao t on le retrouvera sans vie dix jours plus tard le 8 septembre plusieurs kilom tres de l endroit o il avait t vu pour la derni re fois Le m me jour tombe aussi le jeune Henri Berthiot 1910s qui avait peine eu le temps de passer la partie crite du concours de l agr gation interrompu par la mobilisation Le surlendemain le soldat Louis Destouches le futur C line crit ses parents La lutte s engage formidable jamais je n ai vu et verrai autant d horreurs nous nous promenons le long de ce spectacle presque incons cients par habitude du danger et surtout par la fatigue crasante que nous subissons depuis un mois C line 2009 p 104 Ce jour l le 10 sep tembre 1914 trois normaliens agr g s de math matiques tombent tour tour Pr s de S raucourt dans la Meuse Joseph Marty 1905s professeur de math matiques au lyc e de Toulouse qui avait eu la malchance de voir certains de ses r
36. storiographie des sciences math matiques actuelle voir Aubin 2004 11 Des travaux r cents ont permis de faire faire l historiographie des pas consid rables dans la compr hension des math matiques fran aises de l entre deux guerres Voir en particulier la th se de Juliette Leloup 2009 et certains des articles publi s dans un nu m ro r cent de la Revue d histoire des sciences Beaulieu 2009 Goldstein 2009 Gispert et Leloup 2009 Au sujet des math matiques pendant la premi re guerre mondiale voir Aubin et al 2011 et deux ouvrages para tre issus du groupe de travail de l Institut de math matiques de Jussieu Aubin et Goldstein para tre Goldstein et Aubin para tre 690 L lite sous la mitraille disponibles Penchons nous donc nouveau sur ce que ces chiffres peuvent nous apprendre au sujet des pertes subies par les normaliens pendant la premi re guerre mondiale Nombre de morts Y 6 u N il an 1870 1872 1874 1876 1878 1880 1882 1884 1886 1888 1890 1892 1894 1896 1898 1900 1902 1904 1906 1908 1910 1912 1914 1916 1918 o Ann e de la promotion FIGURE 1 Normaliens morts pendant la premi re guerre mondiale sections de lettres et sciences Il est noter que la promotion de 1913 compte le double du nombre habituel d admis et que le concours n a pas t organis en 1915 Sur le monument aux morts de la rue d Ulm on l a dit 239 noms ont
37. tains bless s 11 9 sont malades 5 Association amicale de secours des anciens l ves de l cole normale sup rieure 1915 p 2 amp 5 Selon un rapport de Gustave Lanson 18761 directeur de l NS partir de 1919 sur 211 mobilis s ap partenant des promotions en cours d tudes 107 sont tu s soit plus de la moiti Six seulement selon Lanson ont travers toute la guerre en res tant absolument indemnes 4 Les bilans tablis apr s guerre seront rappe l s chaque ann e lors de la c r monie devant le monument aux morts Hors les murs de l NS le d mographe Michel Huber souligne dans son uvre monumentale sur la population de la France pendant la guerre les pertes subies par P NS comme celles de l cole polytechnique P d ailleurs Huber 1931 p 425 426 Plus r cemment les historiens ont r guli re 3 Sur l histoire de l agr gation voir Chervel 1993 sur celle de V NS voir Zwer ling 1980 4 Rapport dat du 27 janvier 1922 Archives nationales AJ 16 2895 cit par Sirinelli 1988 p 28 684 Promo 1896 1898 1898 1899 1901 1904 1904 1904 1904 1905 1906 1906 1906 1907 1909 1909 1910 1910 1910 1911 1911 1911 L lite sous la mitraille Nom Pr nom R giment Clairin Jean 26 RIT Merlin Jean 22 RI Rousseau Th ophile 227 RI Lery Georges 272 RI Martin Eug ne Blondel Alphonse 135 RI Klein Henri 167
38. te Rousseau Fr d ric 2003 Le Proc s des t moins de la Grande Guerre L affaire Norton Cru Paris Seuil Sirinelli Jean Fran ois 1988 G n ration intellectuelle kh gneux et normaliens dans l entre deux guerres Paris Fayard SMF 1914 Vie de la soci t Bull S M F 42 p 1 79 Thamin Raymond 1916a L Universit de France et la guerre Revue des deux mondes 34 p 294 326 Thamin Raymond 1916b L Universit et la guerre Paris Hachette Villermet Bernard 1993 L cole polytechnique de 1914 1920 Bulletin de la Soci t des amis de la Biblioth que de l cole polytechnique 10 p 5 62 Weil Andr 1980 History of Mathematics Why and How dans Proceedings of the International Congress of Mathematicians Helsinki 1978 Helsinki Acade mia Scientiarum Fennica p 227 236 Zwerling Craig 1980 The Emergence of the cole Normale Sup rieure as a center of Scientific Education in the Nineteenth Century dans Robert Fox et George Weisz d The Organization of Science and Technology in France 1808 1914 Cambridge amp Paris Cambridge University Press amp ditions de la Maison des Sciences de l Homme p 31 60 706
39. te le nombre de polytechniciens tu s pen dant la premi re guerre mondiale en fonction de l ann e de leur promotion Notons que le nombre de victimes de la promotion de 1914 est artificiel lement lev du fait de la d cision prise d admettre r troactivement tous 13 Lettre de Lavisse au vice recteur de l Acad mie de Paris 30 avril 1916 Archives nationales AJ 16 2895 14 Je me suis servi de la transcription par Bernard Tisserant des 866 noms figurant sur le monument de la rue Descartes que l on peut retrouver sur le site M morial Gen Web http www memorial genweb org Remarquons que le nombre de victimes diff re significativement des 883 habituellement cit es dans la litt rature secondaire Vil lermet 1993 ou Huber 1931 Un certain nombre de suicid s figurent sur le monument aux morts mais non parmi la liste officielle des Morts pour la France Les rensei gnements trouv s sur le site M morial GenWeb sont parfois erron s mais ils ont t syst matiquement compar s ceux trouv s sur les sites M moire des hommes d j mentionn et Famille polytechnicienne de la Biblioth que de l cole polytechnique http bibli polytechnique fr 693 D AUBIN les candidats ayant pass l examen crit m me s il n ont jamais fr quent lP P En comparant ce graphique avec celui quivalent pour les normaliens fig 1 on constate que les polytechniciens d ge m
40. yres de 1910 1911 et 1912 parmi lesquelles plus de la moiti des tudiants sont morts la guerre Bien que l on n en soit pas tr s loign notons cependant que contrairement ce qu affirme Dieudonn 1969 la proportion n atteint jamais les deux tiers Notons enfin que Julia s v rement bless en 1915 comme on l a vu appartenait la promotion de 1911 dont 9 tudiants sur 18 ne sont pas revenus vivants du front 70 60 50 40 30 20 10 4 ji ox M E 1891 1894 1897 1900 1903 1906 1909 1912 1915 promotion FIGURE 2 Proportion des promotions scientifiques de normaliens morts pendant la premi re guerre mondiale Dans la m moire contemporaine on compare souvent le sort des nor maliens celui des polytechniciens Il est vrai que les laur ats des concours avaient souvent choisir entre l une ou l autre des coles et que les poly 12 Dans cette promotion deux agr g s de math matiques sont morts la guerre voir tableau 27 1 Un autre Georges Barbier r form cause d une sant fragile finira ses jours en h pital psychiatrique o il est intern partir de 1935 Desforges 1980 692 L lite sous la mitraille techniciens servaient dans des armes a priori moins expos es comme l ar tillerie ou le g nie En 1913 l NS doit aller jusqu au candidat class 52 au concours pour en recruter 22 dans la section scientifique
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