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Autour du Luxembourg Romain Rolland à Paris

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1. cart de la rive droite trop brillante de l agita tion des boulevards superficielle et cruelle qu il fustige dans La Foire sur la place J ai t tout fait seul ces der niers temps crit il son amie Sofia peine si je sortais J avais la soci t de Beethoven dont le masque me regarde bien que les paupi res closes suspendu en face de moi au dessus de mon piano Et j avais aussi les beaux arbres des jar dins des couvents o le soleil se joue en face de ma fen tre gt Ch re Sofia 1 p 34 15 octobre 1901 76 rue Notre Dame des Champs Musicien il dialogue comme Messiaen avec les Jean Lacoste Jean Lacoste Jean Lacoste Jean Lacoste Cahiers de Br ves n 16 septembre 2005 Jean Lacoste Jean Lacoste 16 oiseaux Heureusement que j ai toujours mes beaux arbres en face de ma fen tre et mes petits oiseaux qui viennent deux fois par jours partager mon pain avec moi et le reste du temps faire la causette Ch re Sofia I p 261 Pentec te 1906 Pour le reste non Paris ne gagne point tre vu quand on vient de prendre pendant trois mois un bain de nature et d huma nit 20 avril 1907 En 1910 le promeneur est victime d un grave accident pris au flanc gauche par une automobile toute vitesse Bless ne pouvant plus vivre seul il trouve refuge chez sa m re 29 rue de l Observatoire Je commence faire quelques pas
2. dans le Luxembourg c est un grand avantage d avoir ce beau jardin sous ses fen tres On peut viter ainsi la cohue de Paris et presque s isoler parmi les vieux arbres qu a peints Watteau Ch re Sofia II p 89 23 d cembre 1910 Tous les matins confiera t il plus 13 rue Michelet tard je me prom ne une heure dans le beau jardin qui est mon voisin Ch re Sofia II p 169 12 f vrier 1913 Le havre illusoire de la rue Boissonnade Le 6 octobre 1913 de retour de voyage il manifeste toutefois le d sir de changer d appartement J touffe dans le mien qui est trop exigu je viens d en louer un autre plus grand plus a r En mars 1914 il emm nage au 3 rue Boissonnade au 5e tage J y ai de l espace de l air et de jolies pi ces un peu plus confortables Songez ch re Sofia que pendant plus de douze ans je n ai jamais eu un fauteuil ni une chaise longue pour m tendre Et j tais souvent bien fatigu gt Ch re Sofia II p 199 7 mars 1914 Il d couvre avec joie qu il a pour voisin rue Campagne Premi re Rainer Maria Rilke le premier po te autrichien d aujourd hui et un homme d une personnalit artistique et morale tout fait d licate L auteur des Cahiers de Malte Laurids Brigge vit Paris depuis une dizaine d ann es isol ne se m lant pas la vie parisienne ni celle de la colonie trang re Correspondance entre Louis Gillet et Romain Rolland p 2
3. les trompes et les cloches des tramways faisaient un vacarme assourdissant Ce bruit ce grouillement cette odeur saisirent FTP 16 rue de Tourno Christophe Le jeune homme est frapp du nombre de figures vicieuses Cahiers de Br ves n 16 septembre 2005 de louches r deurs de gueux avilis de filles pl tr es aux odeurs coeu rantes Il se sentait glac Bienvenue Babylone Un jeune homme de province Paris Apr s la rue de Tournon la famille occupe un appartement au 31 rue Monge 5e tage alors que le jeune homme suit les cours de terminale Saint Louis 1880 1882 et de kh gne Louis le Grand C est l dit il qu en proie une vraie crise d adolescence il a respir les vapeurs de l ab me Sans doute est ce un souvenir de cette p riode de crise quand Marc le fils d Annette dans L Ame enchant e s enfuit vers le Jardin des plantes tout proche comme ces pigeons de Paris qui vont chaque matin par dessus les amas de maisons poussi reuses chercher les grands jardins et les vieux arbres frais Il d vala tout droit de la montagne Sainte Genevi ve et se trouva au sortir des antiques rues populeuses dans les espaces clairs du calme Jardin des plantes En 1885 nouveau d m nagement de la famille Rolland cette fois pour le 13 rue Michelet non loin du fun bre jardin de l E cole de pharmacie o les rares visiteurs 31 rue Monge semblent prier devant les tombes de
4. un malentendu et d bouche sur une m sentente que consacre le divorce de 1901 Romain Rolland abattu par cet chec Je suis bien seul dans la vie gt crit il Malwida von Meysenbug en f vrier 1901 cherche un temps refu ge chez ses parents qui habitent d sormais 29 avenue de l Observatoire et il loue ensuite au 162 boulevard Montparnasse au 3e tage au dessus de l entresol un petit appartement qu il d crit en ces termes d une grande franchise dans Le P riple Quand je me trouvai seul dans ma cage poulets du 162 boulevard Montparnasse si troite que debout devant ma table je pouvais toucher le plafond et les murs si poreuse et si grasse de vies humaines entass es comme une ponge dans l huile que je devais me boucher les oreilles pour ne pas entendre le jour les deux pianos acharn s l un au dessus de ma t te l autre au dessous de mes pieds la nuit les rires des filles que mon voisin ramenait dans son lit plac contre mon lit de l autre c t de la paroi de carton et leurs propos orduriers quand je me trouvai seul le monde vint me trouver Le P riple p 62 et suiv C est l en effet dans ce lieu solitaire qui ne le met pas l abri de la promiscuit sexuelle et du bruit de la grande ville dans cette petite chambre solitaire du boulevard Montparnasse qu il va commencer crire son grand roman qu il va accueillir son monde imaginaire menant une vie recluse l
5. 67 Mes grands jardins de couvents sont comme un lac autour duquel sont camp s tout un peuple d esprits Dans la multitude des grandes villes quelques mes d lite cherchent en commun la solitude dans la nostalgie d une nature id alis e comme si Rousseau avait conduit ses r veries de promeneur solitaire dans le jardin des Chartreux du Luxembourg Mais Romain Rolland ne profitera gu re de son nouveau logis car il part en juin pour la Suisse o la guerre va le surprendre et o il restera jusqu en 1919 En mai de cette ann e il revient Paris pour voir sa m re malade et retrouve l appartement abandonn depuis des ans la poussi re Je ne peux envisager de vivre encore Paris crit il Sofia ou m me dans quelque grande ville que ce 162 boulevard Montparnasse soit cela m est devenu trop antipathique je trouve absurde et malsain de s enfermer dans ces vilains murs et ces fi vreuses fourmili res humaines quand on n y est pas forc J ai besoin de natu re toute proche Ch re Sofia II p 28 13 mai 1919 La rupture est consomm e Je ne pense pas conserver mon appartement Paris Je n aime Paris qu en passant je ne voudrais pas y vivre j y touffe moralement et physiquement Ch re Sofia II p 283 28 mai 1919 Il quitte donc Paris pour s installer en Suisse villa Olga J ai d finitivement quitt l apparte ment de la rue Boissonnade et j ai tout transport ici Vil
6. Jean Lacoste 14 Autour du Luxembourg Romain Rolland Paris par Jean Lacoste Car Seigneur les grandes villes Sont perdues et d compos es la plus grande est fuite devant les flammes il n y a pas d esp rance en leur d sesp rance et leur dur e ch tive passe R M Rilke Le Livre d heures III 1903 Les grandes villes sont des organismes monstrueux cette formule de Romain Rolland dans Le Voyage int rieur frappe par sa brutalit l vidence l auteur de Jean CA Christophe s il a cherch lui aussi conqu rir Paris n appartient pas ces crivains que l on pourrait qualifier de balzaciens et qui sont fascin s par le spectacle social de la grande ville par la com die humaine qui s y joue par cette nergie qui fait que se c toient en un m me lieu des tres de conditions tr s diverses et pourtant anim s des m mes passions et des m mes besoins des m mes r ves et des m mes vices Romain Rolland prouve pour la four millante cit gt de Baudelaire pour la grande ville pour Paris il l avoue dans Le Voyage int rieur une r pulsion qui plonge ses racines dans ses exp riences d adolescent 14 ans en octobre 1880 il doit en effet quitter Clamecy la ratoire gt de son enfance son nid de province pour la capi tale Est ce afin que l colier s rieux poursuive ses tudes dans les meilleurs lyc es ou en raison de quelque revers de fo
7. acoste F sf ELU LE des Champs et sur ce boulevard o j ai habit si long temps Mais il m est toujours rest tranger Je lui tournais le dos le regard fix sur les beaux jardins des couvents o pb ii D NE mon r ve de plus de dix ans errait sur les traces je l ai su depuis de M de Chateaubriand TrA FA Li He li Dans ses meubles E LEH HH aa nE aA 3 rue Boissonade d tail Romain Rolland qui a su si bien d crire dans L me enchant e certains aspects du Paris populaire autour de l atelier de couture de la s ur d Annette demeure sensible aux qualit s du peuple parisien lequel est apr s tout l ac teur principal du 14 juillet Au lendemain d un dimanche Belleville il crit son amie italienne le 12 octobre 1903 C est vraiment le peuple intelligent trop intelligent trop aiguis presque d cadent des grandes villes Il a un bien grand charme surtout quand il s y joint comme si souvent ici une gr ce physique et le don naturel de savoir s ha biller avec rien et des mouvements harmonieux Ajoutez que l on n a point cette r pugnance physique que l on prouve ordinairement dans d autres villes se trouver au milieu du b tail humain Ch re Sofia I p 141 Mais il prouve on ne sait quelle Schadenfreude voir cet univers urbain contre nature en apparence si solide si massif et si dur aux petites gens paralys par le froid ou quelque autre cat
8. astrophe naturelle Hiver 1908 Je suis bloqu chez moi par le froid et je ne sors que pour mettre cette lettre la poste et d ner chez ma m re qui par bonheur habite quelques pas Les voitures ne cir culent point ce soir les chevaux ne peuvent tenir sur la neige et j ai peine moi m me ne pas tomber Ch re Sofia I p 385 29 d cembre 1908 Rolland semble m me tent de voir dans les c l bres inondations de 1910 le ch timent d une civilisation urbaine arro gante La civilisation a sans le savoir travaill d avance l uvre de destruction Ch re Sofia II p 58 25 janvier 1910 Le pass r volutionnaire de Paris quelque qu ad mirable qu il soit semble lui m me engendrer un climat lourd de menaces Il est curieux de vivre dans une ville aussi tourment e On peut dire que depuis 120 ans la r volution est son tat normal Ch re Sofia I p 206 12 d cembre 1904 L intellectuel qui c l bre la R volution fran aise prouve une certaine r pugnance vivre au contact des masses popu laires L agitation ternelle de ces millions d tres est coeu rante Ch re Sofia I p 320 12 octobre 1907 Reste pour accro tre l ambi gu t de l exp rience rollandien ne de la ville l vocation r p t e dans Jean Christophe et dans L Ame enchant e au d but de M re et fils du charme de la vie dans un petit appartement l abri des tenta tions de la ville et de
9. l agitation des rues mais au milieu tout de m me de la fourmili re Le logis devient un havre de paix un lieu privil gi de communica tion discr te d une chambre l autre chacun vaquant ses occupations Et c t au des sus et au dessous d autres appartements d autres destins dans un immeuble qui est l instar de celui imagin par Georges Perec dans La Vie mode d emploi repr sente un monde en raccourci et ajoute Rolland l image d une petite France honn te et laborieu se Christophe et Olivier connaissent ainsi une p riode de bonheur absolu quand ils prennent ensemble un appartement Ils avaient trouv dans le quartier Montparnasse pr s de la place Denfert au cinqui me d une vieille maison un logement de trois pi ces et une cuisine fort petites qui donnaient sur un jardin minuscule enclos de quatre murs Comme l appartement de Rolland lui m me boulevard Montparnasse le logement des deux amis donne sur des jardins de couvent Les vieux arbres plus hauts et plus touffus que ceux du Luxembourg frissonnaient au soleil des bandes d oiseaux chantaient d s l aube c taient les fl tes des merles puis le choral tumultueux et rythm des moineaux et le soir les cris d lirants des martinets qui fendaient l air lumineux et patinaient dans le ciel gt Ce bonheur domestique qui nie la ville au c ur de la ville comme un jardin est pour tant bien illusoire comme es
10. leneuve crit il le 27 juillet 1922 Ch re Sofia II p 286 m me si ses parents conservent leur appartement de la rue de l Observatoire Ce n est qu en 1940 qu il ach tera un pied terre 89 boulevard Montparnasse l entresol mais cette fois dans la partie plus anim e de l art re non loin de l glise Notre Dame des Champs Cette nouvelle installation dans le quartier de sa jeunesse ne va pas sans un retour m lancolique sur sa vie Il crit dans son Journal cette poque mars 1940 J ai en revenant de la rue Huyghens chez Albin Michel son diteur mon h tel p lerin autour de mes anciennes maisons Rien n est chang au 76 rue Notre Dame des Champs j aurais pu entrer j y aurais retrouv ma premi re pouse mes jeunes r ves Jeanne de Pienne A rt et mes espoirs et mes d boires et nos deux fi vres Non gr ce Dieu je ne recommence plus et l acacia devant ma fen tre Un demi si cle a dormi l en mon absence Je ne tiens pas le r veiller Il se rendra plusieurs reprises dans ce nouvel appartement dans les ann es noires et c est l que Marie Rolland fera long temps vivre apr s sa mort son souvenir C est l qu il crit ces ultima verba significatifs son ami Louis Gillet le 12 juin 1943 Jean Lacoste Le Jardin du Luxembourg Je vous cris ma fen tre qui donne sur l glise Notre Dame Cahiers de Br ves n 16 septembre 2005 Jean L
11. ourrait on dire que Romain Rolland rejette avec une violence proche de Rousseau m me si l ami de P guy sait ce que Paris ce monu ment unique au monde selon le responsable des Cahiers de la Quinzaine apporte aux lettres Tout ensemble me fascine le merveilleux spectacle de la ruche aux rayons d or et j en recrache la puanteur S adressant aux villes elles m mes ces Babylone fard es il s exclame encore dans Le Voyage int rieur Non je ne m connais pas votre grandeur blouissante villes flambeaux dans vos art res passe le courant cr ateur Mais chez vous rien n est pur au sens brut Tout est m l Toutes les valeurs s engluent en une p te subtile qui produit distance un effet iris mais tourne et pourrit si on l expose l air Vous tes les laboratoires gigantesques o l Esprit manipule par millions les ferments de mort et de vie Romain Rolland se souviendra de ce brutal contact avec Paris pour d cri re dans les premi res pages de La foire sur la place l arriv e de Christophe sur le pav gluant de Paris et l errance du musicien allemand qui des cend de la gare de l Est vers la Seine en des termes qui pourraient annon cer le Voyage au bout de la nuit Le brouillard d octobre avait cette odeur fade de Paris o se m lent les exhalaisons des usines de banlieue et la lour de haleine des villes Les chevaux glissaient sur la boue glac e Les injures des cochers
12. rtune comme le sugg re la faillite de la famille d Olivier dans Jean Christophe Son p re en tout cas abandonne son tude de notaire la plus prosp re de l arrondissement pour occuper un poste subordonn au Cr dit foncier et la famille se loge tant bien que mal avec le grand p re Edme Courot dans un petit premier au 16 de la rue de Tournon pr s de l entr e du S nat et donc proximit imm diate du Luxembourg le jardin autour duquel symboliquement et spatialement va d sormais s organiser la vie de Romain Rolland Paris Le traumatisme de la rue de Tournon Peut on aller jusqu dire que cette installation Paris fut un traumatisme l branlement de l exode loin des paysages nivernais s ajoutaient le choc de la pubert l angoisse de n tre pas la hauteur des crasantes esp rances de sa m re et le sentiment d primant de n tre plus que la cellule d un corps anonyme et informe En outre le bon l ve de province souffre de la rivalit permanente des esprits et de la lutte des talents Paris c tait un bouillon de culture fourmillant de corpuscules de vermiculets sic d intelligence se tordant se m lant tou jours en mouvement Son langage pour d crire la vie urbaine est celui de la biologie de son temps des Pasteur des Claude Bernard J ai le d go t de cette fermentation malsaine C est la ville elle m me comme bouillon de culture p
13. s plantes et proximit du cher Luxembourg retrouv C est l rue Michelet qu un jour d octobre 1897 il re oit la r ponse de L on Tolsto la lettre que tudiant inconnu il lui avait envoy en Russie Mais en int grant l cole normale sup rieure Romain Rolland peut devenir interne et occuper une thurne une chambre dans le clo tre de la rue d Ulm avec cette fois la vue sur les vieux arbres de la cour des Ernest Apr s la lumineuse parenth se romaine au Palais Farn se qui lui offrit une lib ration impr vue Romain Rolland inaugure une p riode nouvelle de sa vie parisienne lorsqu il pouse Clotilde Br al en octobre 1892 la mairie du 6e arrondissement place Saint Sulpice et s installe avec elle au 76 rue Notre Dame des Champs au 3e tage d un immeuble l gant de cette rue tranquille Il est singulier de penser que dans cette p riode Romain Rolland et son pouse aient pu c toyer l crivain Strindberg qui en 1896 a ii ses habitudes la terrasse de la Brasserie des lilas gt l absinthe 5 de six heures et qui confesse dans Inferno Ma promenade mati nale me conduit l avenue de l Observatoire o j admire souvent les 1 quatre parties du monde pour la raison secr te que la plus d licieu se des femmes de Carpeaux ressemble ma femme 45 rue d Ulm Boulevard Montparnasse Tr s vite cependant l union avec Clotilde se r v le fond e sur
14. t fragile la s r nit d Annette la veille de la grande guerre dans L Ame enchant e On e t oubli que Paris tait l si la vieille maison n e t constam ment trembl du grondement des lourdes voitures comme si la terre avait t remu e par un frisson de fi vre Jean Lacoste x eS S T 89 boulevard Montparnasse NDLR Cet article de Jean Lacoste sera le pr texte une promenade conf rence anim e par l auteur en partenariat avec l association Mille Patttes Randonneurs de Neuilly Plaisance Date pr vue fin mars 2006 Cahiers de Br ves n 16 septembre 2005 17

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