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Université de Montréal Anéantir l`Autre monstrueux

1. la chronologie et au v cu plus qu une difficult construire et habiter son pr sent demeurent avant tout les complications li es la construction de sa propre identit qu il faut aussi prot ger BRUITS CHANTS CONTE ET VOIX PERTURBATIONS SONORES ET COHABITATION NARRATIVE Aux strates temporelles voqu es ci dessus viennent s ajouter des strates que l on pourrait qualifier de sonores venant se cumuler tour tour sur et ou la voix narrative de Mouna Dot e d une ou e tr s d velopp e la narratrice accorde une importance particuli re aux bruits qui l environnent Le moindre bruit cri de souris gr sillements d insectes fr lements de corps en marche m interpelle Je l coute de tous mes sens ML 22 Le sable la pierre le vent dans les filaos un chant de noyade ML 33 Et puis j entendais les bruits de vie dans la maison et je replongeais dans ma d solation J ai entendu les rires et les chants quand les partis se sont pr sent s pour mes s urs ML 34 J entendais le crissement de leurs pattes minuscules dans la nuit C tait un bruit qui grignotait l air curieusement rassurant parce qu il cartait la solitude ML 41 Je ne sais pas quels rites avaient lieu l bas mais il me semblait entendre comme un chant qui tait la plus triste des m lop es fun bres ML 46 Une chauve souris s est mise crier l
2. 0 Gerald Prince Introduction l tude du narrataire loc cit p 183 l Thid p 185 Mary Ann Piwowarczyk loc cit p 182 187 26 related to the situation of enunciation as it is encoded in the text Ces signaux sont la cl de vo te de toute tude sur la relation entre narrateur et narrataire d autant plus s ils sont nombreux comme dans notre cas et par cons quent s il est n cessaire ou non de les situer les uns par rapport aux autres Dans son essai Le partenaire occult Carole Connolly propose une premi re distinction entre narrataires d un m me r cit en les s parant selon deux cat gories bien distinctes les narrataires intradi g tiques la fois destinataire et personnage dans le r cit et les narrataires extradi g tiques narrataire recevant l int gralit du r cit sans en faire partie Elle rappelle d ailleurs cet gard que Prince omet de faire cette distinction omission signal e l origine par Genette Dans un m me ordre d id es mais avec une terminologie diff rente Jean Rousset dans son article La question du narrataire propose de classer les narrataires selon qu ils soient des narrataires de l nonc ou des narrataires di g tiques Il serait donc primordial dans notre tude de faire cette distinction entre nos multiples narrataires car derri re cette s paration se cache un enjeu de taille En rappel aux
3. ML 93 Et puis j ai entendu cette voix qui chantait la m me vieille chanson d amour ML 103 Un soir il y a eu des cris du c t de la maison presque oubli e ML 116 Depuis son four a chaux devenu lieu de s pulture WL 85 ou la famille a tent de l assassiner de solitude ML 97 la narratrice est inhum e vivante par tous ces sons aux provenances diverses la nature les insectes la ville les f tes etc sombrant dans l indiff rence bruyante de la vie de famille qui poursuit sa routine Elle assiste impuissante cette musique quotidienne vacarme de tous les mondes press s de se d velopper ML 43 la renseignant subtilement sur les al as existentiels de ces proches et sur le temps qui passe Prenant soigneusement le temps de relever et de d crire chaque bruit comme si elle tait dot e d une sur ou e la narratrice est consciente de l irr versibilit de sa situation ainsi que de la surdit volontaire ou non des oreilles de son entourage et de son village labri des regards le corps de Mouna ainsi que ses plaintes et ses soupirs 48 sont masqu s par ces parasites sonores toujours plus forts et toujours plus foisonnants venant submerger le son de plus en plus t nu de l existence de la narratrice exil e des gens de plus en plus sourds la voix du c ur ML 43 Son entourage ainsi as sourd i continue de v
4. Psychopathologies dans l uvre d Ananda Devi en est l un des plus significatifs et des plus denses Les romans d Ananda Devi Kumari Issur les d crit comme un voyage dans la pure douleur constatant que les personnages dans leur quasi totalit pr sentent des signes vidents de dysfonctionnement psychique La r flexion de l auteure l am ne se poser des questions sur le fonctionnement de la soci t et sur la place de ces marginaux ces exclus de la soci t que sont Daya et ses s urs preuves humaines mis rables d un r el d traquement dans la soci t Ainsi le discours violent d Ananda Devi ayant pour substrat une r flexion soci tale autant que litt raire s inscrit dans une d marche r v latrice d une perdition de soi au profit malheureux du poids des traditions du collectif brimant l individu dans ses d sirs dans ses lans Kumari Issur recense la fois les causes et les aspects de ce trouble mental persistant caract ristique des h ro nes deviniennes Est particuli rement point e du doigt la cellule familiale qui ne remplit pas ses fonctions en tant que lieu d encadrement et d amour Lorsque l enfant est priv de l attention et de l amour de ses parents la structuration de sa personnalit en souffre La narratrice anonyme de Moi l interdite est rejet e d s la naissance par sa famille cause de son bec de l
5. Elle a lev une main fatigu e et a cach le mamelon vers lequel je tendais ma bouche Un long soupir de d go t s est chapp d elle Le sein s est r tr ci sans qu il en sorte la moindre goutte de lait ML 8 Se voyant interdire l acc s au sein Mouna se voit parall lement interdire l acc s une relation d amour m re fille rejet e par celle qui l a mise au monde Ainsi l arriv e de Mouna vient bouleverser l quilibre de sa famille ayant d j accueilli trois premiers enfants un fr re a n et deux s urs apportant avec elle le chaos de son bec de li vre auquel on conf re tous les malheurs possibles Plus qu un bouleversement c est litt ralement la d sint gration d un noyau familial puisque les r les sont rapidement renvers s La m re ne souhaitant pas nourrir sa derni re fille la t che est r cup r e par la grand m re devenue m re de substitution Et alors ma grand m re m a fait un don 157 Tbid p 15 158 Tbid p 20 71 supr me Elle m a fait t ter son sein elle o il lui est venu par un miracle que je ne me suis jamais expliqu quelques gouttes de lait J ai bu le lait de ma grand m re qui est devenue de ce fait ma vraie m re ML 38 La hi rarchie des fonctions familiales est ainsi repens e et cautionn e par le couple parental ayant abandonn tr s t t toutes les responsabilit s incomb es INEXISTENCE D UNE RELATION
6. Le pr dateur c est moi l criture de la terre et la violence f minine dans l uvre d Ananda Devi Violence in French and Francophone Literature and Film Volume XXXV 2008 p 71 82 FROMET DE ROSNAY Emile All gorie et letricide l h t rog ne dans Moi l interdite d Ananda Devi Ecritures mauriciennes au f minin penser l alt rit V ronique Bragard et Srilata Ravi dir Paris Harmattan 2011 p 111 132 ISSUR Kumari R Psychopathologies dans l uvre d Ananda Devi Les repr sentations de la d viance Corinne Duboin dir Paris Harmattan 2005 p 203 208 ITSIEKI PUTU BASEY Jean de Dieu Amour folie libert la dissidence f minine dans l criture d Ananda Devi Analyses langages textes et soci t s n 15 2012 p 57 67 JEAN FRANCOIS Emmanuel Bruno L exp rience de la violence dans le roman mauricien francophone de la nouvelle g n ration International Journal of Francophone Studies vol 12 n 3 4 2010 p 514 529 LIONNET Fran oise Evading the Subject Narration and the City in Ananda Devi s Rue la Poudri re Postcolonial Representations Women Literature Identity Ithaca Cornell University Press 1995 p 48 68 MAGDELAINE ANDRIANJAFITRIMO Val rie Le D sencrage et la d r alisation de l criture chez trois crivains mauriciens Ananda Devi Carl de Souza Barlen Pyamootoo L entre dire francophone Pes
7. ML 88 RESTES MEMORIELS D UNE HUMANIT La question de la permanence du Moi int resse aussi Filippo Gilardi qui propose un chapitre entier D un corps l autre dans son essai M tamorphose et identit d Ovide au transsexualisme sur justement cette conservation par le biais de la m moire de ce que lui pr f re nommer l identit num rique en d butant sa r flexion comme suit Le probl me de l identit personnelle est celui de l identit num rique d une seule et m me personne au fil du temps et selon les changements qui l affectent R soudre ce probl me revient d terminer ce qui constitue l essence individuelle de la personne ce qu elle ne peut pas cesser d tre sans perdre sa singularit Nous sommes essentiellement et singuli rement cette essence individuelle ou selon l expression de Johannes Duns Scotus notre haecceite Cette essence doit rester identique travers les changements que nous subissons afin que nous puissions rester la m me personne La question de l identit personnelle est ainsi double celle de la nature de la personne et celle de son identit dans le temps Filippo Gilardi M tamorphose et identit d Ovide au transsexualisme Nantes Odin 2008 130 Filippo Gilardi On parle d identit num rique d une chose elle m me au travers du temps et de l espace p 57 note de bas de page IS Thid p 5
8. Venant se greffer sur un r cit premier enracin dans un imm diat plus 119 Marie Pascale Huglo Le sens du r cit pour une approche esth tique de la narrativit contemporaine Le th tre du roman La compagnie des spectres de Lydie Salvayre Villeneuve d Ascq France Presses Universitaires du Septentrion 2007 p 127 39 contemplatif qu actif un hic et nunc circonscrit entre les quatre murs de la cellule de la narratrice o temps de la narration et temps de la fiction sont parfaitement synchrones ces multiples r miniscences forment une double temporalit complexe l int rieur de laquelle la narratrice d ambule Selon la terminologie genettienne ces derni res formant selon leur amplitude de plus ou moins denses segments narratifs anachroniques constituent des r cits subordonn s r trospectifs Complexit donc car la chronologie aidant les souvenirs de Mouna ciblent deux poques tr s pr cises de son existence la p riode ant rieure sa vie dans le four chaux et la p riode relatant ses aventures et ses rencontres l ext rieur du foyer La seconde p riode peut elle aussi tre d coup e en deux parties la premi re marqu e par l arriv e du compagnon canin et les longs mois de vagabondage la seconde marqu e par l arriv e du Prince Bahadour v tu de libert ML 104 suivi plus tard de l infanticide du nouveau n issu de la relation am
9. meilleur ami son amant Mon compagnon regardait ces transformations avec tristesse comme s il devinait que je lui chappais pr sent pour de bon Ses yeux taient humides je voyais dedans le fond de sa douleur mais il s est mis gronder lorsque je l ai regard Il ne voulait pas que je m apitoie sur lui il tait bien trop fier pour cela Je n avais t tout au plus qu un compagnon de passage dans son paysage hivernal et souterrain Il pouvait survivre Mais je savais n anmoins que je lui brisais le c ur ML 103 Toutefois elle finira par le nommer mon maitre ML 114 r v lant la d t rioration de leur relation trahie par le changement de statut et surtout mettant jour la situation de dominant domin de laquelle elle r ussit s chapper in 85 extremis Encore une fois la narratrice s est retrouv e emm l e dans une relation perverse et pour laquelle elle a temporairement fait acte de sacrifice de son propre corps en croyant entrevoir de l amour l o finalement il n y avait qu appropriation pernicieuse MOUNA ET SON VIOLEUR GLISSEMENT VERS LA BRUTALE DESINCARNATION La r it ration de l exp rience du viol c est le cas pour Eve viol e par son professeur de sciences pour No lla prise dans un guet apens tragique foment par son p re Patrice pour Daya viol e par son cousin et futur mari impatient de la poss der physiquement et enfin pour Mouna viol
10. t moignant d une passivit de la narratrice pr f rant s vader dans ses pens es Le r cit premier masqu par ce que l on pourrait consid rer comme des strates temporelles est litt ralement enseveli disparaissant sous la superposition chaotique des couches de souvenirs Ainsi contre sept chapitres uniquement r serv s aux souvenirs seulement quatre les chapitres quatorze et quinze ne repr sentant qu un seul chapitre du fait de leur concision se concentrent sur le maintenant de la narratrice un imm diat profond ment fragilis par l insertion incessante de r cits subordonn s Chaque chose inscrite dans ce hic et nunc aussi minime soit elle est susceptible de faire replonger Mouna dans les m andres de son pass Seule dans sa cellule se perdant dans ses pens es elle sombre petit petit dans un sommeil sal ML 66 Ajout la m taphore fil e pr c dente introduisant l image de la mer le tout rappelle la narratrice la seule fois o elle s y est rendue pour jeter les cendres de sa grand m re grenier Autant de micro d tails essaimant son fade pr sent occasionnent une piphanie lui permettant ainsi de se r fugier sa guise dans ses propres souvenirs tout comme sa grand m re grenier allait se r fugier dans ses contes Et alors elle se r fugiait dans ses contes ML 26 Refuge toutefois paradoxal il est important de le souligner puisqu ils ne reposent en
11. 17 L d bute l ali nation de la narratrice s garant dans des desseins qui n manent pas de son int riorit mais qui ne sont que les tristes relents d un malaise familial incapable de passer outre sa tare Se m tamorphosant au gr des remarques insultantes que son p re lui lance Mouna s loigne de plus en plus d une humanit dont il ne lui reste que quelques traces glissant dans un entre deux perdu entre inhumanit et animalit Le temps passant celle qui visait les toiles de la conformit n a finalement r ussi qu s enliser encore plus au sein d une hideuse diff rence Lorsque les ann es ont d pos sur moi une 74 couche de moisissure et us les courbes lisses de l enfance pour ne rendre que plus flagrants les signes de monstruosit ML 17 TYRANNIE MATERNELLE ET D POSSESSION DU R CIT Le paroxysme de cette ali nation et en parall le de cette destruction annonc e est atteint durant l pisode de l incendie Toujours dans l attente de pouvoir contenter sa m re la narratrice d cide de mettre le feu la paille de la cour pensant viter ainsi sa m re sa corv e quotidienne de balayage Le feu embrase alors l table l int rieur de laquelle se trouvait une vache morte calcin e Le feu a poursuivi son chemin Une de nos vaches est morte dans un embrasement qui a d vast l table Ses cris ont r sonn longtemps dans le ciel orange ML 58
12. 66 et le chapitre XI Sais tu qu il m a fait danser ML 106 celle de l enfant dans le chapitre XII Et leur p piement toujours me ram nera ta voix me rappellera que tu as t que tu as reconnu en ce moment ultime une m re aimante et d chir e ML 119 et celle de Lisa dans les chapitres VII Je pr f re avoir mal dans le secret de mon corps plut t que mal l ou tu me fais mal Lisa ML 65 IX Nous ne sommes pas malades ne comprends tu pas ML 78 et XII En ce lieu Lisa o tu me rejoins et m coutes ML 119 Ces quatre narrataires intradi g tiques en plus du vous extradi g tique de par leur nombre et surtout a travers les liens qui les relient a la narratrice viennent former deux groupes l un exprimant de la sympathie envers le r cit de la narratrice ici les narrataires intradi g tiques et l autre exprimant plut t de l hostilit ici le vous Agn s Whitfield 1983 La notion d hostilit est ici tr s importante puisqu elle vient apporter du sens au ton un peu autoritaire avec lequel la narratrice a rig son narrataire extradi g tique dans l incipit En fin de compte instaurer deux groupes dont l un serait en faveur de la narratrice et l autre serait en totale opposition suppose que la narratrice serait susceptible de s duire les opposants afin sei Agn s Whitfield Reading the Post 1960 Quebec Nove
13. Ainsi Rose Hill avait jadis t fleurie et ensoleill e pr sent il ne restait plus qu un lieu trouble et sale Les gens devaient r colter l eau de pluie pour boire parce que les tuyaux cass s laissaient partir l eau potable dans les caniveaux ML 91 Les chiens en ont pris possession et rodent la nuit tomb e se baladant dans les ruelles vides des bidonvilles Les pas de Mouna la m nent toujours plus loin dans cette exploration de la marge g ographique endroits cart s de toute vie sociale o les marginaux sont isol s S appuyant entre autres sur les travaux de Claire Caillaud et Michel Foucault Marie Caroline Meur confirme la relation causale entre le physique 204 Emmanuel B Jean Francois loc cit p 515 96 monstrueux de Mouna et cette d ambulation dans les espaces urbains et ruraux d laiss s et ensuite r cup r s par ceux que l on consid re comme des parias Selon l article sur l univers codifi des monstres ces derniers sont condamn s une solitude douloureuse l univers du monstre exclu de la soci t est souvent un lieu clos une cellule une crypte lieux obscurs 205 On trouve souterrains o ils vivent leur condition de cr atures de l ombre dans les nouvelles et les romans qui font ici l objet d une analyse de tels lieux cart s o le monstre se trouve isol Ces lieux correspondent aux deux types de rejet et de mise l cart des an
14. Introduction a l tude du narrataire Prince d finit la figure du narrataire en fonction du narrateur le premier est le destinataire du discours mis au pr alable par le second Cons quemment le narrataire est tabli par l metteur du discours narratif et le discours narratif lui m me F igure de papier r ductible la parole qui l invente et le fige voil ce qu il ne faut surtout pas perdre de vue lorsque l on aborde cette figure narrative comme le rappelle Jean r lt 86 Rousset dans son essai Le lecteur intime Je me donne du narrataire la d finition la plus restrictive tout destinataire inscrit dans le texte c est dire qu il fait partie du r cit il ne peut tre le r cepteur r el puisqu il y est int gr il est signal un r le dans la fiction au m me titre que le narrateur dont il est le pendant l un et l autre occupe des positions compl mentaires ils forment l int rieur de la structure narrative un couple instable l une des t ches de l auteur est d organiser leurs relations Le narrataire ne se confond donc pas avec un quelconque lecteur r el Toutefois il n est pas tout de savoir ce qu est un narrataire il faut pouvoir le rep rer dans le texte Dans son introduction Prince propose ainsi une sorte de grille de lecture permettant de d chiffrer les manifestations implicites et principalement indirectes du narrataire Il d bute a
15. elle a ch ris Ha e pour son hors normalit la narratrice de Moi l interdite paie de son corps les d rives et d viances qu elle incarne Son existence elle la livre sans censure exposant la vue de tous les tapes calcul es menant son annihilation r ussie La destruction se lit chaque page en laissant s ins rer dans chaque phrase et chaque mot la violence des gestes Ces gestes nombreux n tranglent pas ne poignardent Non ils enfoncent au plus profond de l obscurit et de la douleur enfouissant ce qu il ne faut pas voir car on ensevelit ce qui n est pas pareil soi ML 35 Et ainsi pour survivre Mouna doit suivre cette dynamique impos e par ses d tracteurs infatigables assoiff s non pas de sang mais de disparition R CIT D UN PASSE DOULOUREUX TEMPORALITES DIEGETIQUES COMPLEXES R cit analeptique par excellence Moi l interdite est un miroir devant lequel Mouna passe sont temps a mirer ce qu elle a t et ce qu elle a v cu travers d innombrables souvenirs Mais plus que cela Moi l interdite est aussi le r cit de 3 EXT g 119 linfernale proximit d un pass qui ne passe pas celui qui se confronte brutalement au pr sent et l avale pour mieux le dissoudre et mieux sur exister Ses souvenirs surgissant depuis son subconscient Mouna tente tant bien que mal de les dompter afin de tracer une chronologie qui s av rera informative pour le lecteur
16. elle trouve ses racines dans les premiers essais des formalistes russes Victor Chklovski Vladimir Propp Boris Eichenbaum etc ou encore des th oriciens allemands K te Hamburger Franz Karl Stanzel etc Cette science de la narration est d crite par Gerald Prince dans son article Narratologie classique et narratologie post classique comme une th orie du r cit d inspiration structuraliste aux ambitions scientifiques qui examine ce que tous les r cits et seulement les r cits ont en commun et ce qui leur permet de diff rer les uns des autres Ayant ainsi pour objet d tude le r cit dont il faudra faire la diff rence avec le terme histoire et narration la narratologie tente de r pondre aux questions suivantes qu est ce qu un r cit Qu est ce que la narrativit et en quoi consiste t elle Qu est ce qui fait qu un r cit est narratif Les travaux de G rard Genette en mati re de narratologie et d analyse du fonctionnement interne du r cit largement influenc s par le structuralisme marquent durablement l poque Avec Figures II publi en 1972 le th oricien propose une po tique narratologique fond e sur une typologie rigoureuse mettant en lumi re les m canismes et les proc d s narratifs Figures III sera par la suite republi avec Nouveau discours du r cit originellement publi en 1983 sous le titre Discours du r cit paru en 2007 essai sur lequel la pr sente tude se
17. uvres depuis l ge de quinze ans Indo Mauricienne n e Trois Boutiques Ananda Devi publie plusieurs nouvelles Le poids des tres Solstices avant de se consacrer son premier roman Rue la Poudri re dont l h ro ne est une prostitu e nomm e Paule Se suivent ainsi pendant plus de deux d cennies des romans h t rog nes se d roulant tant t sur l le Maurice Le Voile de Draupadi Pagli La vie de Jos phin le Fou etc tant t en Inde Indian Tango ou encore Rodrigues Soupir Implantant majoritairement ses intrigues sur son le natale Ananda Devi esquisse au fur et mesure une uvre po tique et quasi mystique qui la fois fascine et d route comme l explique la quatri me de couverture du r cit Moi l interdite inscrivant ainsi l auteure en t te de file d une nouvelle g n ration d auteurs mauriciens avec Nathacha Appanah Mouriquand Shenaz Patel Shakuntala Boolell Carl de Souza ou encore Amal Sewtohul Mus par une volont tenace de rompre d finitivement avec une tradition litt raire insulaire pr nant l exotisme l exc s au d triment d une r alit certes moins glorieuse mais plus contemporaine et surtout plus vraisemblable ces auteurs instaurent une mise en sc ne et une mise en mots particuli res de la violence au c ur m me de leur litt rature Dans un article consacr l exp rience de la violence dans le roman mauricien francophone Emmanuel B Jean Fran
18. Mouna le droit tre consid r e comme un tre humain en lui arrachant d embl e une humanit dont la reconqu te sera sem e d obstacles Lucide quant sa fatale situation Mouna tente alors de se r inventer ne stagnant pas dans sa monstruosit mais essayant de la r soudre dans un perp tuel d litement de 146 Eric Vautrin dans son texte Les anges du bizarre ou les corps ab m s dans le th tre de Romeo Castelluci des ann es 90 dans De l informe du Difforme du Conforme au th tre coll Liminaires Passages interculturels italo ib riques vol 15 Bern Peter Lang donne la d finition du terme difforme extraite du dictionnaire Tr sor de la Langue Fran aise p 69 147 Muriel Plana Des monstres des spectres des crans formes du mythe et mythe de la forme dans P O M P E I 2 fouille de Caterina Sagna De l informe du Difforme du Conforme au th tre coll Liminaires Passages interculturels italo ib riques vol 15 Bern Peter Lang p 15 148 Tbid p 16 67 ses propres formes De difforme elle devient alors informe c est a dire sans forme d termin e attendant de savoir quoi elle devrait ressembler Car c haque corps est dans le temps un d doublement une transformation une mutation soit une destruction du pr c dent Il est le m me et il est autre la narratrice d sint gre son pass de rejet et elle m me pour se donner une chance d appartenir
19. Ton coute la fois patiente et attentive ton humanit et ta disponibilit pour un caf m auront port e jusqu a ce mois d ao t que je n esp rais plus Nous aurons surv cu nos v nements A mon directeur Josias Semujanga de m avoir offert l espace suffisant pour m affirmer Merci de m avoir donn la perspective qui manquait ce m moire a travers votre relecture pertinente et constructive Karecha mon amie mon cho indispensable Audrey tu m auras ancr e au sol durant mes noyades Cynthia notre re rencontre inattendue m aura appris respirer Matthieu aux mille conseils Florebo Quocumque Ferar Marine sans toi la boucle n aurait pas t boucl e videmment et finalement ma m re qui aura cru pour moi en ce m moire lorsque je n avais plus la force de le faire mon p re passionn de folie rempli d espoirs et d id aux Dix huit mille kilom tres et pourtant si proches mon fr re Haja J r me d tre simplement l Vous me remplissez tant tant tant INTRODUCTION A ce lieu la d s que j ai les yeux ouverts je ne peux plus chapper Non pas que je sois par lui clou sur place puisque apr s tout je peux non seulement bouger et remuer mais je peux e bouger le remuer le changer de place seulement voila je ne peux pas me d placer sans lui je ne peux pas le laisser l o il est pour m en aller moi ailleurs
20. affection contre l amn sie Cette affection appara t d ailleurs comme le moteur principal des changements corporels de Mouna Loin de nous l id e de voir travers cette m tamorphose une quelconque interpr tation ou une quelconque m taphore d mancipation f minine achev e bien au contraire D pendante affectivement et toujours en qu te d amour Mouna trouve chez le chien toute la concentration de tendresse qu elle r clamait d sesp r ment Elle trouve dans son regard un sentiment de fiert lorsque son corps arbore les premiers signes de changement ML 73 preuve de sa valeur fra chement acquise S investissant corps et me dans cette relation amoureuse et charnelle ML 87 aux id aux extr mes de fusion romantique surann e et surtout dangereusement aveuglante Mouna s vertue ressembler toujours un peu plus son acolyte Ses flancs battaient doucement Ses c tes saillaient Les miennes aussi Finalement quatre pattes je lui ressemblais Je me suis mise sourire comme lui de ce sourire d chiquet des cr atures en perp tuelle souffrance L amour L amour seul pouvait op rer cette transformation ML 87 184 Magali Nirina Marson Carnalit et m tamorphoses chez Ananda Devi Notre Librairie n 163 2006 pp 64 69 185 Thid p 69 186 Thid p 69 84 Finalement pour Mouna appartenir signifie toujours ressembler Et encore une fois ob issant a sa n cessit
21. dans un jeu d obstacles de barri res et d emp chements entre les diff rents 133 Andrea Del Lungo L incipit romanesque Paris Seuil 2003 134 Thid p 14 135 Thid p 95 57 niveaux Le premier de ces niveaux a d j t voqu le deuxi me introduit au contraire le probl me du point de vue ou en termes plus strictement narratologiques de la focalisation c est dire de ce regard interne qui filtre la narration en exposant l univers romanesque au lecteur voire pour arriver ainsi e Ay a 136 au troisi me niveau en encadrant la vision de ce dernier Ainsi dans Moi l interdite on assiste une rencontre particuli re entre une narratrice dont le point de vue ou focalisation est intra homodi g tique et un narrataire extradi g tique r pondant au pronom ind finissable vous dont le portrait encore peu visible est esquisser Faisant don de son histoire la narratrice l institue comme principal destinataire du r cit qu elle s appr te livrer R cit devenu message selon Roman Jakobson celui ci est donc mis l adresse d un vous dont il faut d terminer si la r ception tout au long de la lecture est confirmative en accord avec l id ologie du r cit encadr infirmative contrastant avec l id ologie du r cit int rieur ouverte interrogative absente Les pr misses de cette relation peuvent se d chiffrer d
22. dire pour nous en tenir ici une Ibid p 19 6 Ibid p 19 Gunther M ller Erz hlzeit und erz hlte Zeit Festschrift fiir Kluckhorn 1948 repris dans Morphologische Poetik T bingen 1968 67 G rard Genette Discours du r cit op cit p 22 20 formule encore approximative relations entre les capacit s de r p tition de 68 l histoire et celles du r cit La premi re d termination savoir l ordre temporel est celle qui nous int resse principalement et requiert une observation assidue de l ordre de disposition des v nements ou segments temporels dans le discours narratif en confrontant celui ci l ordre de succession de ces m mes v nements ou segments temporels dans l histoire La constatation d une absence de suite logique temporelle ou de discordance entre l ordre de l histoire et celui du r cit donne alors lieu une tude des anachronies narratives divis es en deux groupes les prolepses projection dans le futur et les analepses r trospection dans le pass Ces deux types d anachronies se positionnent selon un rep re temporel celui du moment pr sent La distance s parant l anachronie de ce moment pr sent est alors nomm e port e tandis que sa dur e est nomm e amplitude Le roman Moi l interdite n tant compos que d analepses nous ferons une nouvelle fois l impasse sur le concept de prolepse To
23. est cependant pas originaire des campagnes et ne conna t pas les m urs de celles ci Il vous est difficile de croire tout cela Tant de col re tant de rancune Mais vous ne connaissez pas la mal diction des campagnes ML 34 35 c tait il y a longtemps on ne faisait plus cela ma naissance heureusement pour moi ML 37 Le sous estimant par m connaissance la narratrice va jusqu s interdire d taler certains de ses sentiments les plus intenses pr textant une incapacit chez son narrataire pouvoir les entendre et les supporter Je ne vous raconterai pas ce surcro t de peine Cela vous semblerait insupportable ML 114 Face un narrataire qu elle per oit comme fragile et profane la narratrice n h site pas adopter un ton instructif C est ma grand m re grenier qui en mal d une treizi me touff e au berceau c tait il y a longtemps on ne faisait plus cela ma naissance heureusement pour moi ML 37 pour clarifier certains secrets de Polichinelle ruraux aujourd hui d suets 14 Thid p 46 60 Toutefois le vous n est pas l unique narrataire dans Moi l interdite et avant de poursuivre il est n cessaire de pr senter les autres destinataires cette fois ci personnalis s du r cit savoir l amant la grand m re grenier l infirmi re Lisa et l enfant mort L amant est le second narrataire auquel s adresse la narrat
24. la fois le corps dans la forme et le monologue auto narrativis sur le fond lui accorde la possibilit de venir y d poser des germes de son d sir profond 55 d mancipation a l extr me celle qui emp che de s ancrer par refus de cautionner la possibilit d tre encha n e au c ur m me de ses pens es Bouleversant les convictions qui ont construit son parcours existentiel et sa psychologie l amant vient balayer d un revers de main tout cet espoir tenace d un jour pouvoir tre avec de pouvoir exp rimenter le vivre ensemble dont elle a toujours t priv e pour finalement appartenir puisque selon lui la solution ne s y trouve pas et qu y croire c est s engager soi m me dans une d sillusion annonc e Un jour m a t il dit l homme mourra de ses espoirs trahis ML 108 Plus qu un bouleversement c est une remise en cause profonde violente de par son int gration dans le discours narratif travers une nouvelle modulation je tu je plus didactique et plus d routante Contre toute attente la narratrice finit par d celer une justesse dans les propos mis en les acceptant Fid le ses pr ceptes et d rout par la lecture du sari relatant le pass de son amoureuse Et miracle ce sari portait l criture de toute notre histoire en petites lettres tr s fines Pendant longtemps il est rest lire le sari et soupirer comme si petit petit ma vie entrait en
25. ois dit par ailleurs de cette nouvelle g n ration d auteurs qu elle dessine les contours d une nouvelle po tique de l le une po tique qui se cherche dans la violence et dans la rupture et qui s oppose la repr sentation exotisante d auteurs pr c dents tels Malcolm de Chazal ou Edouard Maunick Au del d une simple rupture avec un h ritage litt raire surann Ananda Devi et ses compagnons de plume souhaitent oser dire l le vraie pour ainsi d construire l image de la th matique classique et donc bouleverser les formules de repr sentation insulaire par trop courantes dans la litt rature mauricienne Bouleverser sans cesse les repr sentations pour mieux les reconstruire et mieux les ancrer dans une r alit d abord vraie avant d tre id ale le but est fix Tandis que Nathacha Appanah Mouriquand s attaque f rocement l image carte postale v hicul e par et pour l le Maurice dans Blue Bay Palace Ananda Devi s int resse quant elle aux drames humains et plus particuli rement ceux ayant lieu dans l intimit du cocon familial et communautaire S vertuant re construire l identit de la femme mauricienne qu elle soit cr ole ou indo mauricienne depuis Le Voile de Draupadi jusqu au Sari Vert Ananda Devi crit la d tresse d h ro nes bless es musel es et prisonni res des carcans patriarcal et traditionnel Mutil es psychologiquement a
26. pouvoir se confier et inversement pouvoir tre cout e Les ali n s ne peuvent se plaindre il n y a personne pour les couter ML 20 Je fais silence en moi et je n coute pas les protestations de ma chair quoi cela servirait il Je n ai pas d auditoire ML 22 impossibilit entravant profond ment son besoin d vacuer par la parole Par cons quent la figure du narrataire sous toutes ses formes s apparenterait une solution contre le silence forc un moyen d exister par la parole en adressant son 61 v cu comme un message qui serait alors l gitim par le simple fait d avoir t dit Mouna se cr e ainsi son propre auditoire mais celui ci reste fictif uniquement compos de fant mes qu elle a aim s les morts le fils perdu la grand m re grenier ou les absents l amant l infirmi re Lisa lorsque celle ci n est pas avec elle dans la cellule La figure du narrataire de l amant pr figure l arriv e de tous les autres qui seront identifiables principalement par le contexte Tandis que la figure de l amant en tant que destinataire n appara t qu une seule et unique fois lors du chapitre III celle de la grand m re grenier survient dans le chapitre VII son corps devenu des particules de rien de n ant que je l chais sur l eau que le vent me ramenait au visage pour que j en avale un peu tu entres en moi tu poursuis ta route avec moi ML
27. s les premi res lignes l usage de l imp ratif ici valeur conative annule ou du moins freine la mise en place d une strat gie de s duction laquelle on serait en droit de s attendre en pr sence d un incipit Imposant de suite une distance la narratrice exige de son narrataire vous que celui ci ne cherche pas un quelconque sens au r cit qui va suivre allant jusqu discr diter clairement la r alit et l authenticit de ses propos avec un peut tre plein d ambiguit Ainsi au saisissement il est pr f rable d opter pour le d tachement avertissement pr conis par deux n gations cons cutives V ritable rapport de force qui se poursuivra tout au long du roman il est toutefois att nu par une premi re confidence de la narratrice un souvenir 136 Tbid p 96 137 Roman Jakobson Linguistique et po tique Essais de linguistique g n rale Paris ditions de Minuit 1963 p 209 248 138 Jaap Lintvelt La polyphonie de l encadrement Aspects de la narration Th matique id ologie et identit Qu bec ditions Nota Bene 2000 pp 49 53 58 d enfance malheureux le premier geste de la m re vers l enfant inaugurant le ratage d une autre rencontre je me suis souvenue du premier geste de ma m re envers moi Elle a lev une main fatigu e et a cach le mamelon vers lequel je tendais ma bouche Un long soupir de d go t s est chapp d elle Le
28. 19 de son bourreau Que ce soit dans son espace personnel savoir son troite cellule devenue son ultime refuge ou l int rieur m me du lieu que peut repr senter son corps Mouna assiste douloureusement et impuissamment au franchissement de ce qui tenait lieu de d marcations la fois symboliques et concr tes entre elle m me et l ext rieur Ainsi d s les premi res lignes du chapitre 2 travers cette premi re m taphore Le bruit de la serrure est une blessure au milieu de la nuit ML 19 l ouverture de la serrure ultime rempart face la transgression est forc e annon ant les v nements p nibles venir ainsi que l acc s ce qui lui sert de lieu d abri Mais peut on r ellement consid rer l troite cellule de Mouna comme tant un espace qu elle poss de et qu ainsi elle peut privatiser L asile en lui m me lieu intrins quement d fini comme tant en marge a pour particularit de ne pas appartenir celles et ceux qui y logent Les ali n s et autres locataires y sont intern s de force comme Mouna tandis que les infirmiers et autres petites mains venant y travailler quotidiennement ne traversent les couloirs de part en part que pour mieux les quitter la fin de leur horaire L asile est ainsi un lieu qui ne peut v ritablement conna tre la possession ni la propri t priv e cet tablissement n appartient personne si ce n est possiblement au gouvernement et
29. Basey Amour folie libert la dissidence f minine dans l criture d Ananda Devi Analyses langages textes et soci t s n 15 2012 p 57 Vicram Ramharai Probl matique de l Autre et du M me dans l uvre romanesque d Ananda Devi critures mauriciennes au f minin penser l alt rit V ronique Bragard et Srilata Ravi dir Paris Harmattan 2011 p 74 les maux de ses h ro nes d chues par avance Sa langue image comme la d finit Emmanuel B Jean Fran ois est avant tout subversive dans sa forme d construction syntaxique insertion du cr ole omission volontaire de la ponctuation manipulation de la transitivit etc d montrant par ailleurs une v ritable r flexion sur les enjeux d une d marche qui se voudrait aussi s mantique Cette criture de la violence cherche choquer provoquer par ses m taphores la fois crue s et sublime s autant que les motifs auxquels elle est ind niablement en ad quation pour atteindre une puissance du dire et de l exposer En fin de compte r fl chir sur la litt rature d Ananda Devi implique l impossibilit d esquiver une r flexion profonde ou concise soit elle sur la place de la violence manifestement intrins que l uvre de l auteure sur la mani re dont cet espace s est cr et dans quel but L ECRITURE DE LA VIOLENCE CHEZ ANANDA DEVI N A T ON PAS TOUT DIT Les multip
30. Centre d orientation permettant de comprendre l ampleur des v nements la narratrice partage la fois sa vision ainsi que son sentiment d plac de regret de ne pas avoir eu plus de flammes Mais ils ont teint le feu avant qu il ne se tourne vers la maison Dommage Cela aurait t un beau spectacle ML 58 Alors que la narratrice continue de fixer les cendres de ce qui fut l table sa m re s approche d elle et lui enfonce violemment la t te dans les braises fumantes lui br lant ainsi le visage dans un geste de d figuration ultime et irr vocable Elle a tendu la main vers mon visage puis avec une nergie tr s pure elle me l a fourr dans les cendres tout juste teintes J ai aim ce parfum de br lure ML 58 59 L isotopie de l ensevelissement figur e plus t t dans notre tude est ici encore mise en sc ne r v lant une nouvelle fois cet acharnement sans fin vouloir faire enterrer cet Autre qui d range le d formant comme pour lui rappeler son caract re immuable et irr cup rable d tre difforme Escomptant de la part de sa m re un geste de gratitude la narratrice n obtient qu un d sir renouvel de mort en cho la tentative de strangulation lorsqu elle avait cinq ans Inhum e litt ralement et m taphoriquement dans la douleur et dans l ardente haine Mouna met aussi sous terre cette relation m re fille avort e de laquelle ne peut advenir que plus de so
31. DEVI 34 CHAPITRE II DISPARITION PAR AMONCELLEMENT ET EXPLORATION D UNE SURABONDANCE TEXTUELLE 38 RECIT D UN PASSE DOULOUREUX TEMPORALITES DIEGETIQUES COMPLEXES 38 BRUITS CHANTS CONTE ET VOIX PERTURBATIONS SONORES ET COHABITATION NARRATIVE 46 NARRATAIRES FANTOMATIQUES L APPEL DE LA SOLITUDE 56 CHAPITRE III DU DIFFORME A L INFORME ALIENATION CORPORELLE ET PSYCHIQUE 66 MOUNA ET SA MERE UNE COURSE POUR L AMOUR 70 INEXISTENCE D UNE RELATION MERE FILLE 71 TYRANNIE MATERNELLE ET D POSSESSION DU R CIT 74 MOUNA ET SON COMPAGNON CANIN DOMINATION AFFECTIVE 77 M TAMORPHOSE CORPORELLE VS PERMANENCE DU MOI 78 RESTES M MORIELS D UNE HUMANIT 81 MOUNA ET SON VIOLEUR GLISSEMENT VERS LA BRUTALE D SINCARNATION 85 LE CORPS F MININ ET LA CELLULE DES ESPACES PUBLICS 86 SURVIVANCE DU CORPS SOUILL ET VENTRILOQUIE 89 ULTIME R FLEXION POUR CONCLURE ENTRE FOLIE ET LUCIDIT INTERROGATION SUR L INVESTISSEMENT DES ESPACES INTERM DIAIRES 94 BIBLIOGRAPHIE 102 iv En hommage a Ananda Devi l auteure qui aura su me d crire les champs de canne a sucre de mon adolescence Tous ces hommes qui me parlent Fils mari p re amis crivains morts et vivants Une litanie de mots d heures effac es et rev cues de bonheurs r volus de tendresses clop es Je suis offerte la parole des hommes Parce que je suis femme Ananda Devi Les hommes qui me parlent REMERCIEMENTS A Carola David plus que tout herzlichen Dank
32. Je peux bien aller au bout du monde je peux bien me tapir le matin sous mes couvertures me faire aussi petit que je pourrais je peux bien me laisser fondre au soleil sur la plage il sera toujours l ou je suis Il est ici irr parablement jamais ailleurs Mon corps c est le contraire d une utopie ce qui n est jamais sous un autre ciel il est le lieu absolu le petit fragment d espace avec lequel au sens strict je fais corps Mon corps c est le lieu sans recours auquel je suis condamn Ces mots de Michel Foucault extraits du Corps utopique la narratrice Mouna ne A gs HR k nee 5 eK du roman mauricien Moi l interdite aurait pu les crire prisonni re d un corps d faut dont on lui reprochera toute sa vie de l avoir comme fardeau Mouna comme J sus est celle qui tend volontairement la joue gauche apr s avoir t gifl e la joue droite non par modestie face l humiliation mais parce que le cycle infernal de la violence dans lequel elle grandit la conditionne ce geste devenu automatique plus que r fl chi Et pour celle dont les caresses sont presque r duites n ant une gifle est encore une main tendue Mouna est l h ro ne d chue de l optimisme celle qui court perdre haleine derri re l amour qu elle pense tre en mesure de recevoir mais dont seules quelques miettes lui arriveront dans le creux de sa paume Mais peut on r ellement apostropher Mouna comme une h ro ne D
33. L esprit cr ateur vol XXIII n 3 automne 1983 p 32 29 7 Ibid p 33 8 Thid p 33 28 character seem to be invoked argued with praised or confused on almost every page est un autre des facteurs notables pr sents dans la litt rature post 1960 le narrateur ne se trouve plus face a une seule personne avec qui il entrerait en dialogue mais face une myriade d ventuels allocutaires Il faut insister sur cette ventualit de l coute attentive de l allocutaire car dans cet article l coute allant pourtant de soi chez un narrataire canonique est profond ment remise en cause Les analyses d Agn s Whitfield sont des cl s de lecture pour notre tude et apparaissent plus que pertinentes dans notre cas puisque Moi l interdite est d une part un roman la premi re personne du singulier ce je est celui du narrateur personnage Mouna d autre part elle ne s adresse pas uniquement a un narrateur anonyme d sign par le pronom vous mais aussi au personnage de Lisa avec qui elle tablit une relation amicale dans son asile sa grand m re d c d e ou encore a son amant clochard qu elle surnomme homme de tous mes jours Ces narrataires intradi g tiques ne sont toutefois pas forc ment pr sents lorsque Mouna s adresse eux Sa grand m re fait figure de fant me tandis que l amoureux est la figure typique de l tre aim absent qui sont adress s remords et r
34. PRINCE Gerald Introduction l tude du narrataire Po tique n 14 1973 p 178 196 Narratologie classique et narratologie post classique Vox poetica http www vox poetica org t articles prince html consult le 21 ao t 2013 105 The Narratee Revisited Style vol 19 1985 p 299 303 RICARDOU Jean Probl mes du nouveau roman Paris Seuil 1967 206 pages RICHARD Natalie volution de la relation narrateur narrataire dans l univers romanesque de R jean Ducharme M moire de maitrise Universit de Laval Laval Canada 1997 ROUSSET Jean Le lecteur intime de Balzac au journal Paris J Corti 1986 220 pages La question du narrataire dans Probl mes actuels de la lecture Dallenbach et Jean Ricardou dir Paris Clancier Gu naud 1982 p 23 47 SCHUEREWEGEN Franc R flexions sur le narrataire Po tique n 70 1987 p 247 254 WHITFIELD Agn s Reading the Post 1960 Quebec Novel the Changing Role of the Narratee L esprit cr ateur vol XXIII n 3 automne 1983 p 32 29 B TUDES SUR LE VIOL LA VIOLENCE ET L ALI NATION BESSOLES Philippe Le viol du f minin trauma sexuel et figures de l emprise Nimes Champ social 2011 276 pages MATHET Marie Th r se Brutalit et repr sentation Paris Harmattan 2006 367 pages ROUART Marie France Les structures de l ali nation Paris Publibook 2008 313 pages YOTOVA Rennie cri
35. ajout un tout d une partie en plus mais quelconque comme le prolongement des ongles devenant des griffes l apparition d un duvet etc mais ne devient pas pour autant une personne diff rente Cette information qui pourrait s apparenter un d tail est plus que primordiale pour saisir les motivations de la m tamorphose mais aussi l tat d esprit de la narratrice Par cons quent il faut reprendre les quatre registres de Bordron et proc der un inventaire des transformations et des conservations d identit Passant d tre partiellement humain ou du moins de ce qu il lui reste apr s sa captivit dans le four chaux Mais en me lib rant de mon carcan de parasites j ai vu que je n tais plus humaine J tais autre chose un tre sauvage et repli ML 72 elle devient animal modifiant ainsi sa cat gorie et donc son identit sortale Concernant son identit qualitative ciblant la constance des qualit s ou propri t s sensibles et son identit m r ologique c est dire le fait d avoir les m mes parties elle est aussi profond ment chang e et pour cause elle devient une louve garou Mouna se d place progressivement quatre pattes adoptant une allure de reine une coordination nouvelle une gr ce ML 95 96 se voit pousser un duvet acquiert au niveau du ventre et de la nuque de d licieuses zones rog nes ML 87 ainsi que des gr
36. ardent d sir de quelqu un pour l couter Plus qu un simple d sir d tre entendue et de se sentir exister Mouna tente de troquer sa solitude en se cr ant une communaut des absents Mais ces fant mes qu elle continue aimer restent silencieux sauf Lisa tout comme le narrataire extradi g tique la plongeant encore plus dans un ab me o seul sa voix r sonne Chaque adresse directe formul e la renvoie vers sa triste r alit impossible tromper et nier l engloutissant encore plus dans un isolement et dans une solitude sans fond Se retournant finalement contre elle son auditoire ne la sauvera pas de son affligeante condition Toute cette polyphonie ou cohabitation narrative voix ind pendantes r cits m tadi g tiques surconscience des bruits en plus de mettre jour une solitude terrifiante d voile paradoxalement un effacement graduel de la narratrice victime d une annihilation physique mais aussi psychologique orchestr e par trois personnages centraux sa m re son compagnon canin et son violeur la fois t moin et complice de sa propre destruction la narratrice de Moi l interdite est engag e dans une relation probl matique voire mortif re avec autrui la d poss dant peu peu de son propre corps de ses propres d sirs et parfois m me de sa propre narration 144 Carole Connolly Les m tamorphoses du narrataire Le partenaire occult pp 133 152 145 Tbid
37. basera en priorit pour d finir tous les concepts narratologiques 5 David Herman Narratologies new perspectives on narrative analysis Colombus Ohio State University Press 1999 54 Gerald Prince Narratologie classique et narratologie post classique loc cit 5 Ibid G rard Genette Figures ITI Paris Seuil 1972 18 Avant toute chose Genette tient a d terminer et d finir le terme r cit terme qu il comprend dans un premier temps comme tant un nonc narratif un discours oral ou crit qui assume la relation d un v nement ou d une s rie d v nements dans un second temps comme la succession d v nements r els ou fictifs qui font l objet de ce discours et leurs diverses relations d enchainement d opposition de r p tition etc et enfin dans un troisi me temps comme l acte de narrer pris en lui m me Au r cit Genette oppose un premier terme celui d histoire qu il d signe comme le signifi ou le contenu narratif puis un second terme celui de narration qu il qualifie d acte narratif producteur et par extension d ensemble de la situation r elle ou fictive dans laquelle il le r cit prend place Le th oricien justifie finalement cette clarification des termes en tablissant les relations interd pendantes qu entretiennent chacune de ces notions Histoire et narration n existent donc pour nous que
38. bonheur et malheur l image de ces pr d cesseurs le Prince Bahadour de la narratrice de Moi l interdite amant clochard rencontr non loin du four chaux quelques jours apr s avoir recouvr une apparence humaine se pr sente comme cette figure salvatrice v tu e de libert ML 104 venant lui chuchoter des mots qu elle n esp rait plus d entendre Tu es belle ML 105 Les deux amants vivent ensemble des moments de partage autour de l alcool et de la nature traquant chaque jour l vasion et le bonheur de vivre BI Vicram Ramarai Probl matique de l Autre et du M me dans l uvre romanesque d Ananda Devi critures mauriciennes au f minin penser l alt rit V ronique Bragard et Srilata Ravi dir Paris Harmattan 2011 p 71 132 Tbid p 72 54 Le temps s est bloqu sur un gond et ne bouge plus Nous avons v cu v cu v cu sans plus nous arr ter pour reprendre notre souffle Il m a appris a reconna tre le parfum des plantes vuln raires et celui des plantes v n neuses et comment fabriquer le rhum avec la m lasse des cannes et comment attraper les petits animaux les d pecer en un seul geste et les faire cuire sous un tas de cailloux ardents jusqu ce que la chair fonde dans notre bouche Il connaissait tout Il n avait aucune peur Il tait parvenu l autre bout l o les cyclones sont borgnes et les nuages sont une criture de libert
39. cette fois ci le r cit du four chaux d but dans le chapitre cinq Le chapitre neuf se t lescope dans le pr sent Gloire et saisissement Lisa est revenue ML 75 mais ins re toutefois quelques souvenirs souvenirs en lien avec la souffrance et la mort de grand m re grenier la fin de ce chapitre Mouna confie Lisa le sort que lui r serve un des gardiens de l asile la nuit tomb e Les chapitres dix onze et douze sont analeptiques et prolongent le r cit du four chaux Mouna raconte alors sa transformation physique en louve garou les mois de vagabondage avec le chien qu elle a rencontr l incident de Rose Hill et l errance qui suit puis finalement le retour au four chaux Le chapitre onze introduit la romance entre Mouna et le clochard l abandon de ce dernier apr s tre rest lire le sari et soupirer comme si petit petit la vie de Mouna entrait en lui ML 110 Le chapitre douze relate la d couverte de la grossesse l accouchement et ensuite la noyade volontaire du nouveau n Cet ultime chapitre analeptique s ach ve sur les hurlements de Mouna inqui tant les gens des environs qui l am neront contre son gr l asile le plus proche Les trois derniers chapitres se d roulent de nouveau dans l asile avec la lib ration de Mouna le meurtre de Lisa et peu de temps apr s le suicide m taphorique de Mouna se r incarnant en ange Un grand parfum vert qui m all ge et
40. de la violence l o la haine et la malchance viennent apposer l empreinte de leur passage inoubliable A nsi Daya se fait marquer la peau au fer rouge par les mofines No lla nait sans jambes la narratrice de Moi l interdite est d figur e par un bec de li vre Kitty du Sari Vert re oit une marmite de riz chaud lui br lant la totalit du visage etc Le corps f minin balafr se fait ainsi le portevoix voire le porteregard d une esth tique extr me de la violence chappant de force sa socialis ation cr ation configur ation par l id ologie sociale culturelle qui en fait un objet manipul par l institution dominante savoir les m urs sociales pour renaitre et mourir dans la r volte et l mancipation escompt e Un second type d tude s est pench sur l exploration plus sociologique voire plus psychologique du personnage individu mettant en avant les failles d une 1 Ibid p 75 Mouhamadou Ciss Violence et r volte des femmes insulaires dans Morne C presse de Gis le Pineau et Pagli d Ananda Devi Les cahiers du GRELCEF Les crits contemporains de femmes de l Oc an Indien et des Cara bes n 3 mai 2012 pp 67 82 Ibid p 70 Ibid p 72 soci t et de ses composantes institutionnelles la famille le mariage la communaut etc a travers le mal tre difiant de ce m me personnage individu L article de Kumari R Issur
41. est pas l illusion communautaire d une diff rence galement partag e L tranger dans tous ses tats n est ce pas au contraire l affirmation d une violence psychique dont la y 109 facult de d liaison alt re durablement toute certitude identitaire Alors que le M me se voit profond ment boulevers par l arriv e de cet Autre venant l interroger sur sa propre h t rog n it interne il doit aussi accepter par ailleurs le fait qu il a engendr cette diff rence Malgr sa disparit d rangeante l Autre n a jamais t aussi proximal brouillant les distances symboliques permettant l identification et la protection s il le faut par le repli ou par l affrontement Ainsi cJelui qui tait autre parce qu exclu d u champ perceptif 108 Tbid p 10 10 Tbid p 10 33 110 Et cette et de l a m moire devient soudainement d une intimit affolante intimit plus qu une menace branle enti rement la fois la communaut et ses illusions les plus archa ques et les plus utopiques dans l existence de croyances d apparences et de filiations partag es permettant l harmonie La conservation d un ordre rassurant bas sur le principe de m met n cessitera donc l annihilation de celui ou de celle qui aura fait merger l h t rog n it interdite Mouna parce qu elle ne ressemble pas un nouveau n normal sera rapidement consid r e comme un mo
42. faut d tre enti rement corpor is e s adjoint un visage qui s av re difforme Je suis n e avec un bec de li vre Dans les villages ils n appellent pas cela une difformit ils l appellent une mal diction ML 9 Les derni res phrases annoncent un r cit de lutte Mais je ne suis pas une mal diction Vous le verrez en suivant mon histoire Je suis une mise en garde ML 9 celui contre l ali nation 13 Andrea Del Lungo op cit p 14 59 Ainsi la figure du narrataire permet une conception tout autre du r cit d abord comme un message mais aussi comme une proposition de dialogue potentiel Cette potentialit perdure par l insistance certes in gale des adresses directes faites par la narratrice elles se situent seulement dans trois chapitres sur quinze et en m me temps s br che par le silence in branlable de ce narrataire intradi g tique Myst rieux il se laisse cependant d finir travers quelques indices Par un renvoi explicite dans l incipit au hors texte discours du monde savoir commun partag par l auteur et par le lecteur mais aussi le narrataire celui ci permet de deviner que ce dernier n est pas un n ophyte de la culture indo mauricienne Ainsi le narrataire est invit baptiser la narratrice du nom rakshas Shehtan Satan ou autre ML 9 raksha tant un esprit diabolique dans la mythologie hindoue Non ignorant de la culture il n
43. filles femmes d crites par Ananda Devi dans la communaut indo mauricienne n ont pour unique objectif que de se marier et ensuite d enfanter une prog niture dont elles devront s occuper en plus des t ches m nag res Tout comme l pouse du Dokter Dieu Le sari vert Daya Pagli Anjali Le voile de Draupadi et toutes les autres consid r es d abord comme des mari es avant d tre des femmes les sceurs de Mouna partent en qu te d un futur parti La c l bration du mariage et le d part des filles du foyer familial pour la demeure de l poux sont des signes d une lib ration pour les parents Ma m re souriait de soulagement d avoir enfin cas mes s urs et d tre enfin libre de satisfaire les menus d sirs de mon fr re de diamant fin au teint d orgueil levant ML 86 Malgr tout les filles restent une charge aux yeux des parents et lorsque les s urs de Mouna reviendront aupr s de leurs parents suite des s vices conjugaux leur p re n h sitera pas les qualifier de mal diction ML 116 tout 160 Thid p 115 73 comme leur autre fille abandonn e dans le four chaux Finalement Mouna est frapp e par deux mal dictions celle de son bec de li vre et celle de son sexe faisant d elle la paria absolue de sa famille et particuli rement de sa m re Paria Mouna n est litt ralement pas consid r e comme un membre part enti re de la famille Hormis durant la sc
44. identit narrative c est la m me histoire quels que soient les processus r els de la transformation Dans le cas de Mouna l tablissement de l identit symbolique pose probl me puisqu elle n a jamais t r ellement baptis e Mouna n tant qu un surnom donn par son fr re signifiant guenon ML 12 Personne ne l ayant jamais r ellement apostroph en aucune mani re et pour aucune raison la narratrice reste ainsi vierge d un pr nom La circonscription de son identit symbolique devra tre tablie d une autre mani re gr ce aux indices parsem s par la narratrice tout au long de son r cit admettant intrins quement une continuit dans le processus de transformation souvenirs interrogations personnelles par le recours du monologue auto narrativis etc 18 Thid p 49 17 Thid p 53 17 Dans une note de bas de page il explicite l usage du terme objet Nous avons tendance appeler objets les entit s dou s d un contour apparent sans que pourtant il y ait la une v ritable n cesit p 50 La suite de l article propose des exemples tels que la chenille Dr Jekyll ou encore le bateau de Th s e les consid rant tous trois comme tant des objets 172 Jean Fran ois Bordron op cit p 52 17 Thid p 53 174 Thid p 61 175 Thid p 61 80 Ainsi la narratrice de Moi l interdite voit une volution de sa morphologie plus pr cis ment l
45. la renvoyant dans son pass privil gie une fois encore un mode de d placement une sorte de nomadisme psychique Egarement entre pass et pr sent dans un endroit qui la d poss de l instar du four chaux cette instabilit se r percute dans la rem moration lorsque petit petit les souvenirs ne r ussissent plus tre situ s temporellement Difficilement rep rables ils se confondent de plus en plus avec des r ves Ainsi la lecture rend compte maintes reprises d un retour au r veil de la part de la narratrice J ai d m endormir J ai eu des r ves tranges comme si je me transformais ML 42 Je suis r veill e ML 49 laissant sous entendre une sorte de flottement entre somnolence et conscience sans v ritable fronti re distincte Cela sugg re aussi l aspect potentiellement chim rique et par cons quent immat riel de certains souvenirs intra ables chronologiquement discr dit s justement par cette absence de d marcation entre illusion et r alit propos de cette confusion latente mile Fromet de Rosnay la per oit d j dans sa rapide lecture de l incipit lorsqu il se questionne sur la port e de la phrase Cette histoire couleur d eau croupie n a peut tre aucune r alit ML 7 208 i in bd Pascale Auraix Jonchi re Po tique des lieux Paris Presses Universitaires Blaise Pascal 2004 p 9 20 Joachim S bastien Entre lieu x de l c
46. leur communaut de leur quotidien de leur le mais plus largement aussi du cercle vicieux violent dont seule la mort semble tre le rem de Pers cut es et vuln rables chacune sa mani re tente de parer une certaine fatalit de la brutalit lourd h ritage dont il est difficile de se d barrasser allant jusqu la schizophr nie ultime fragmentation de soi Kumar Issur insiste lourdement en crivant ceci La d sint gration de la personnalit est l aboutissement de traumatismes r p t s rarement d un seul Finalement Ananda Devi explore les m canismes de la vie de la mort et de toutes les formes de d rives possibles de l tre plac dans des situations de souffrance intol rable Dans ses crits se profile une r flexion subversive sur les concepts de norme d viance conformisme transgression sant pathologie Cette r flexion a valeur de d nonciation car le lecteur est amen entrevoir un subtil revirement de ces cat gories Les normes de la soci t sont tellement rigides et inhumaines que les personnages trouvent refuge dans la d viance dans la transgression dans la folie qui se pr sentent comme des chappatoires 30 Jbid p 205 Thid p 205 3 Thid p 205 3 Ibid p 206 10 Le troisi me et dernier type d tude propose de creuser plus loin cette exploration de la th matique de la violence et de la transgression dans les r cits deviniens et plus larg
47. me soul ve et me donne des ailes Des ailes Me serais je tromp e tout ce temps ML 123 Le d voilement de la dynamique interne formelle confirme la complexit de la temporalit Ainsi en plus de la double temporalit vidente mettant en confrontation un pr sent immobile dans la cellule de l asile et un pass mobile dans le village et le four chaux on remarque que le r cit du pass op re par ailleurs des analepses internes Le d coupage en chapitres du roman permet de distinguer 42 clairement deux r cits pass istes une premi re trame que nous baptiserons pour les besoins de la compr hension r cit du four chaux et qui poss de une v ritable continuit non achronique est construit par chapitres entiers savoir les chapitres quatre cinq huit dix onze et douze une seconde trame que nous baptiserons r cit post four chaux ou r cit ant rieur s immiscant quant eux au c ur des chapitres d di s l asile c est dire dans le v cu imm diat de la narratrice Au d but du chapitre six Mouna dans sa cellule merge doucement de son sommeil r animant doucement chaque partie de son corps frapp e de l thargie Remontant jusqu son visage elle songe alors la laideur de celui ci Elle tablit alors une analogie avec la laideur g n rale de sa famille donnant quelques lignes plus loin lieu un souvenir en lien avec son p re Quant mon visa
48. mentaires issus des essais narratologiques de G rard Genette pour l tude du r cit Mais peut on aujourd hui encore ne s en tenir qu la narratologie pour venir bout d un roman comme celui d Ananda Devi Les limites de la narratologie n ont pas tard tre point es du doigt peine a t elle atteint son apog e dans les ann es soixante dix et notamment en lui reprochant son analyse purement syst matique et formaliste du r cit h rit es de la pens e structuraliste tendant plus vers la constatation la description de ph nom nes textuels d un m canisme qu une r elle exploration de la profondeur s mantique D ou l mergence d une narratologie Ansgar N nning Narratologie ou narratologies Un tat des lieux des d veloppements r cents propositions pour de futurs usages du terme Narratologies contemporaines approches nouvelles pour la th orie et l analyse du r cit John Pier et Francis Berthelot dir Paris Editions des archives contemporaines 2010 p 16 Ibid p 18 15 P 45 gt dite post classique les nouvelles narratologies bas es sur des approches Ses eae lO te j Rae i PAE 46 multidisciplinaires culturelles th matiques id ologiques transg n riques etc A 4 a x 4 qui selon Gerald Prince ne s inscrit non pas comme une n gation un rejet un refus de la narratologie classique mais bien
49. modeler r pondant aux d sirs d autrui emplis de violence et de haine Ainsi le violeur de la narratrice prend plaisir la d former selon ses attentes morbides se l appropriant en l corchant durablement de son passage comme une sorte de viol mutilation afin de marquer pour l ternit le corps de la victime des stigmates du violeur Une nouvelle fois alt r e physiquement par cette ni me agression uniquement motiv e par la haine le corps de Mouna est un r ceptacle d animosit sur lequel se gravent ind finiment les traces de sa chute vers le vide et l insignifiance Les cicatrices sur ce qu elle essaie encore de consid rer comme un corps amoch ne se comptent plus tant elles sont nombreuses Rejet e depuis toujours cause de son bec de li vre elle se pose la question si ce dernier ne l aurait Thid p 153 20 Thid p 151 203 Thid p 152 94 pas excis de toute humanit ML 102 Laide et qui plus est prise pour une folle Mouna est au plus bas de l chelle de l humanit aux yeux de la soci t sa monstruosit semblant encore plus inciter et justifier les pires m faits son endroit Estim e elle ne l a jamais t cause de son physique de malheur Survient en dernier lieu le paradoxe entre difformit et viol comment la monstruosit qui d shumanise peut elle encore faire surgir le viol agression sexuelle sous entendant in vitablement un rappro
50. nonciation particuli re de l alt rit que vient s inscrire la volont d Ananda Devi de donner la parole au monstre celui que l on ne 114 Tbid p 388 115 Pierre Ouellet op cit p 9 36 cesse de faire taire que l on cache et qui finalement entreprend le rapt de la narration pour pouvoir exprimer son ressenti son v cu son mal tre sa condition sa vision S int ressant justement au peuplement des r cits deviniens par ce qu elle nomme aussi les corps monstrueux Marie Caroline Meur propose une d finition particuli rement pertinente Le monstre est d fini comme une chose mal faite mal ordonn e Pour nous cette d finition simple peut tre d velopp e ainsi le corps monstrueux est un corps qui ne respecte pas la structure et l agencement pr visible qui aurait d tre le sien ou encore un corps constitu de cat gories h t rog nes n appartenant pas la structure et la composition programm es pr visibles de 117 ce corps Mouna victime monstrueuse et rig e comme figure de la diff rence raconte le calvaire de son existence ballot e entre indiff rence et maltraitance faisant ainsi voir une ni me version du monde que l on ne peut plus consid rer comme uniquement unilat ral et rationnel Permettre l coute l gitime de la voix de la narratrice de Moi l interdite c est cautionner l existence de la nature corr lative du monde qui est toujours
51. ou aux autorit s qui l ont d sir et construit Michel Foucault dans son court essai Le corps utopique les h t rotopies propose de r fl chir sur ce qu il nomme dans un premier temps des contre espaces lieux qui sont absolument diff rents des lieux qui s opposent tous les autres qui sont destin s en quelque sorte les effacer les neutraliser ou les purifier Plut t que contre espaces Foucault choisit de nommer ces lieux des h t ro topies les espaces absolument autres qui 18 Michel Foucault op cit p 24 87 s ins rent dans une dynamique de contestation mythique ou r elle de l espace ou 5 190 4 G ae 5 phe nous vivons L asile vient alors s identifier aux h t rotopies dites de d viance c est dire ces lieux que la soci t m nage dans ses marges dans les plages vides qui l entourent qui sont plut t r serv s aux individus dont le comportement est d viant par rapport la moyenne ou la norme exig e De l les maisons de repos de l les cliniques psychiatriques de l galement bien 191 s r les prisons Lieu de d viance l asile impose par ailleurs son propre d coupage du temps devenant ainsi un lieu h t rochronique suivant la terminologie foucaldienne Mouna survit dans une cellule priv e de fen tre l emp chant de distinguer la lumi re De l autre c t le jour point Mais ici la nu
52. par la voix de son ventriloque Mouna t moigne par son v cu et son dire du tragique qu est le lien indestructible que le viol cr e entre la victime et son ses 200 Thid p 98 93 agresseur s cette impossibilit pouvoir v ritablement se d faire de cette pr sence qui s est immisc e en elle physiquement et psychiquement D rob e de son je moteur qui la porte en m me temps qu il porte le r cit la narratrice dans l vocation de son viol fait entrevoir une vision significative du viol comme une v ritable d possession de soi le d pouillement de ce qui lui permet de parler en son propre nom Rennie Yotova ajoute par ailleurs Chosifi et d shumanis le corps viol devient le corps de personne d pourvu de propri taire car le je viol a du mal dire mon corps D poss d de cette propri t de son corps l tre qui a subi le viol d veloppe et cultive cette non appartenance mais sa trag die consiste dans l impossibilit de mourir au 202 corps Sorte de Galat e maudite subtilement voqu e par un champ lexical de la sculpture Mouna narre une fois encore les calvaires subis dont son corps affiche les s quelles incurables lourdement appuy es par un champ lexical omnipr sent de la souffrance L id e de se faire sculpter vient faire cho la notion d informe d velopp e dans toutes ses relations avec les autres confirmant ce corps pate
53. par le truchement du r cit Mais r ciproquement le r cit le discours narratif ne peut tre tel qu en tant qu il raconte une histoire faute de quoi il ne serait pas narratif et en tant qu il est prof r par quelqu un faute de quoi il ne serait pas en lui m me un x discours Comme narratif il vit de son rapport l histoire qu il raconte comme discours il vit de son rapport la narration qui le prof re Se pr occupant donc de l analyse du discours narratif Genette s inspire de la division de Tzvetan Todorov pour partager ce qu il nomme son champ d tude et ainsi organiser et formuler ses probl matiques Apparaissent ainsi les trois cat gories celle du temps qui tient compte des relations temporelles entre r cit et di g se celle du mode qui tient compte des modalit s formes et degr s de la 57 G rard Genette Discours du r cit Paris Seuil 2007 p 13 Jbid p 13 Thid p 14 Ibid p 15 6l Ibid p 15 Ibid p 17 6 Ibid p 19 19 repr sentation narrative et enfin celle de la voix qui tient compte de la mani re dont se trouve impliqu e dans le r cit la narration elle m me c est dire la situation ou instance narrative et avec elle ses deux protagonistes le narrateur et son destinataire r el ou virtuel Notre tude circonscrira son champ d analyse principalement autour des questions en lien
54. par ses pairs au gr de leur approbation ou de leur d saveu Il s affirme ainsi par rapport une source trang re alien ext rieure lui m me L criture introspective traduit alors une fragilisation du moi sous le regard direct ou m diatique d autrui qui joue le r le d une microstructure relayant l int rieur de l individu lui m me celle du groupe familial 5 Cette instance ext rieure devenue autorit elle est incarn e dans Moi l interdite la fois par la figure de la m re mais aussi par la figure myst rieuse du narrataire vous dont le r le particulier instaurant une narration fonction dialogique est difiant dans la perception de la personnalit ali n e de Mouna Les qu en dira t on des villageois viennent aussi s ajouter cette masse inclusive et non exhaustive que repr sente l autorit ext rieure mettant la lumi re sur l importance que rev t l image de soi celle que l on renvoie dans la communaut et qui doit absolument se conformer aux attentes conservatrices et dans notre cas misogynes Se calibrer sur les expectatives des Autres permettrait ainsi de vivre dans une illusion d harmonie et d homog n it sauvegard e Mais plus que tout cela Mouna r ve d appartenir tre la partie d un tout d une communaut d un groupe d une famille D sirant fortement se sentir incluse elle fomente par sa malencontreuse exp rience une analogie en
55. propre exp rience existentielle ponctu e par la haine et la violence qu il est pr f rable pour l tre qu elle aime et qu elle a enfant de le soulager de la vie en le tuant par amour Lisa me demande sans cesse pourquoi je l ai tu Je n ai qu une r ponse par amour ML 114 unique geste scellant une rencontre m re enfant encore une fois manqu e Le malaise latent face l acte inconcevable s accentue par ces trois 64 questions lanc es avec v h mence comme un affront la morale et la bien pensance incarn es par le narrataire Que pouvais je faire selon vous Lui donner de mon lait frelat qui fuyait par gouttes jaun tres de mes seins amaigris L envelopper dans un sari blanc qui raconterait tous ceux qui oseraient l aimer l histoire de sa peine et de sa d ch ance et les ferait fuir pour de bon p tris de culpabilit Non ML 118 119 Seule contre vous la narratrice impose son acte comme une vidence travers des arguments persuasifs dont les interrogations n obtiendront aucune v ritable r ponse si ce n est la sienne Malheureuse insurg e par son v cu et par son infanticide elle pose la douloureuse question de ce qu est vivre avec pour fardeau la fatalit et le mal l h r dit d une souffrance incurable qui apostrophera encore et encore l animosit de ceux qui ne s en tiennent qu aux apparences Concernant la question des apparences soul
56. quelqu un et quelque part dans un corps diff rent devenu p te modeler ML 83 Cette d sint gration corporelle volontaire n est que le fruit d une lente ali nation dont les graines d pos es la naissance dans l esprit de la narratrice par son entourage ont lentement fait pousser les arbres d une folie obombrant sa raison et surtout son discernement Non personne n a jamais compris Quels arbres magnifiques croissaient dans ma t te Des banyans des multipliants aux cent racines qui lan aient leur bras aux quatre coins de la terre pour mieux la poss der ML 57 Ces multipliants comme elle les nomme plus que de la poss der lui tent toute potentielle emprise sur ses propres d sirs de vie la contraignant se mutiler pour atteindre un id al d appartenance et surtout de ressemblance id alis et utopique Mais avant de d tailler cet id al et surtout de circonscrire ses origines par l identification des mains qui ont travaill son fa onnement il est essentiel de revenir sur l id e d ali nation en la d finissant Marie France Rouart propose un essai Les structures de ali nation dans lequel elle se penche sur le concept et ses manifestations ainsi que son inscription dans la modernit Ses premi res pages sont ainsi d di es un survol du terme ali nation utilis dans plusieurs domaines comme la philosophie la psychanalyse ou encore le droit dont elle condense
57. sein s est r tr ci sans qu il en sorte la moindre goutte de lait O est parti le lait de ma m re Je vous le demande ML 7 8 V ritable tentative de rapprochement par le biais de l motion et surtout du path tique ce souvenir sollicite contre toute attente l implication refoul e un peu plus t t du narrataire travers la formulation d une question indirecte N esp rant aucune v ritable r ponse cette question vacille entre affront impertinent et invitation masqu e r v lant l envers d un rapport de force l int rieur duquel le pouvoir ne se trouverait pas exclusivement du c t de l autorit de la parole narrative La suite de l incipit permet de confirmer d une part la focalisation intra homodi g tique Mon histoire commence un jour de terre gonfl e de sel et d estuaires couleur de sang ML 8 d autre part elle installe durablement un ton moralisateur par le retour de l usage de l imp ratif Regardez autour de vous ML 8 A nsi le narrataire doit prendre garde ne pas se faire avoir au jeu des apparences en se confrontant et en s impliquant dans une histoire celle de la narratrice d nu e de toute certitude concr te L incipit s ach ve par la r v lation celui d un visage entrevu par le narrataire pr sent il est temps de me voir ML 8 cristallisant l inaugurale rencontre Cette voix flottante et absente ML 8 d
58. selon sa focalisation dont elle est le porte tendard Enfin il fallait tre prudent et la diff rencier ostensiblement de l instance d criture dont les amalgames taient encore courants notamment avec l exercice autobiographique V ritable arch ologue litt raire Genette se lance donc sur les traces laiss es par le narrateur dans le discours narratif qu il est cens avoir produit La question du narrateur soul ve bien entendu des questions sur la personne ou plut t son statut en tablissant son niveau narratif extra ou intradi g tique et sa relation l histoire h t ro ou homodi g tique Mouna est ainsi consid r e comme tant une narratrice extradi g tique homodi g tique narrat rice au premier degr qui raconte sa propre histoire qui plus est focalisation interne puisqu elle s exprime majoritairement par le monologue int rieur la premi re personne du singulier Mais plus qu un statut le narrateur assume plusieurs responsabilit s ou fonctions Elles sont au nombre de cing la fonction proprement narrative en lien avec l histoire la fonction de r gie ou organisat rice du discours 7 Ibid p 221 7 Ibid p 259 260 74 Ibid p 259 260 75 Ibid p 197 198 7 Ibid p 267 271 22 comme le formule Roland Barthes dans Le discours de l histoire la fonction de communication en maintenant le li
59. son impuissance 12 Ainsi on accumule sans tout dire r sum s brusques sauts dans le temps s arr ter pour d crire toujours plus cette ambiance qui mac re dans le ressentiment dans l animosit Au d triment du pr sent le pass est renforc dans un acte hypermn sique qu Amaleena Daml d finit dans son article Phantasmatical Relics Psychoanalytical and Deconstructive Ghosts in Moi l interdite and Pagli by 123 pois Ananda Devi comme une anamnesie 12 Roland Bourneuf L univers du roman Paris Presses Universitaires de France 1975 p 130 123 Amaleena Daml Phantasmatical Relics Psychoanalytical and Deconstructive Ghosts in Moi l interdite and Pagli by Ananda Devi in Anamnesia private and public memory in 44 If amnesia is defined as the absence of memory the linguistic formation of anamnesia refuses this absence in an act of double negativity that recollects something that has always already been lost Anamnesia though commonly understood as remembrance in fact resists forgetting Memory is an instrument through which we define our identities anamnesia provides a kaleidoscopic lens through which to view the fragmented and fragmenting nature of remembering and of identity La structure temporelle du r cit permet aussi d attester d une omnipr sence de l acte de souvenance et de ses divers fruits au d triment d un pr sent compl tement ni
60. tre comprise Me comprenez vous enfin ML 106 Consid r e comme un monstre une mal diction une chose bien plus qu un tre humain Mouna a surtout souffert du manque d acceptation face des esprits obtus et effray s par sa diff rence travers son auditoire mont de toute pi ce par son imagination Mouna ne cherche qu tre consid r e pour ce qu elle est v ritablement c est dire selon sa propre d finition et non celle des autres emplis de pr jug s destructeurs Sa qu te d approbation choue face au silence et au retrait du narrataire vous exprim par ses adresses directes empreintes de d ception Non vous ne comprendrez pas C est un miracle Non vous ne comprendrez pas C est un myst re ML 105 Insensible sa strat gie s ductrice le narrataire reste visiblement insensible La fin du r cit est marqu e d une part par la naissance de son fils monstrueux mi homme mi b te ML 118 dont la narratrice s appr te arracher la vie en le noyant dans une mare et d autre part par le retour d un ton plus imp rieux d laissant le ton conciliant du chapitre VIII incarn par l usage r it r de l imp ratif Oubliez vos id es pr con ues d un autre paradis d un autre enfer ML 117 Face l horreur de l infanticide qu elle est sur le point de commettre la narratrice d fend bec et ongles sa conception du monde d montrant par sa
61. un endroit Sans cesse ballot e d un lieu un autre elle est plus Claire Caillaud Un univers codifi article du SC R N CNDP d cembre 1995 http www cndp fr revueTDC 705 40733 html consult le 12 ao t 2013 206 Michel Foucault Les Anormaux Cours au Coll ge de France 1974 1975 Paris Hautes Etudes Gallimard et Le Seuil 1999 p 41 44 207 Marie Caroline Meur Les corps monstrueux dans les romans et les nouvelles d Ananda Devi Corps en marge repr sentation st r otype et subversion dans la litt rature francophone contemporaine p 13 97 d localis e que localis e dans un perp tuel entre deux ou entrelieu ou encore un interm diaire tous deux d finis par l impossible s dentarit Pascale Auraix Jonchi re parle de l entre deux comme d une forme indiff renci e et pourtant d terminante de l espace qui peut bien r pondre dans ses diverses postulations la d nomination de lieu place minemment strat gique et expressive o se joue l ind cidable tandis que Joachim S bastien d signe l entrelieu comme tant sur le plan statique tout espace interm diaire entre deux p les voire une fronti re tandis que envisag sous un angle dynamique il accueille volontiers le sens de passage On pourrait croire pourtant que l asile et l enfermement inconditionnel ancrent la narratrice bon gr mal gr Pourtant son activit d introspection
62. une histoire houleuse marqu e par la coexistence impos e de diff rentes ethnies culturelles suite l av nement de l esclavage et de la d portation et l ind pendance d clar e en 1968 signant la fin de l h g monie britannique Sans pour autant justifier totalement cette violence initiale par l Histoire il semble indubitable pour Effertz que l cho historique informul vient se refl ter dans cette faune et cette flore tourment es agit es porteuses des traces d un pass dont les cendres fument peut tre encore cho historique sur lequel revient aussi Markus Arnold dans l article Litt rature violence ou d sillusion d mystification en parlant de la pratique auctoriale mauricienne Dans le roman contemporain mauricien le regard des auteurs va souvent du pass en tenant compte de ses s quelles vers le pr sent Tout comme l environnement imag in l h ro ne devinienne prise dans un cercle de violence ou d oppression tr s souvent depuis sa petite enfance est aussi capable de g n rer sa propre violence en une force int rieure et tranquille engendr e par son m pris Ce point commun rendu possible par la narration permet la femme victime subissant les fougues de son entourage proche et de sa communaut 14 Julia Effertz Le pr dateur c est moi l criture de la terre et la violence f minine dans l uvre d Ananda Devi Violence in Fren
63. 7 82 S appuyant principalement sur les r flexions philosophiques de John Locke dans L Essai sur l entendement humain a propos de l identit personnelle Filippo Gilardi cherche le vecteur pouvant relier chaque moment ou instant de notre vie vecteur qui ne s alt rerait en aucune mani re malgr le passage du temps et les modifications que ce dernier induirait Vecteur garant de l identit conserv e Gilardi met en avant le principe de m moire Selon Locke il n y a pas de continuit m taphysique entre le temps et l ternit Il faut par cons quent chercher l origine de l identit dans quelque chose qui puisse mettre en relation les moments de notre existence Pour Locke la m moire assure cette continuit Elle se d finit comme la capacit de l homme percevoir la continuit de sa conscience dans le temps et tout au long des fractures de l exp rience Cette conscience constitue l identit qui au moyen de la m moire se conserve dans le temps et nous permet de nous 183 reconna tre nous m mes comme tant les m mes L identit symbolique de Mouna avant et pendant sa m tamorphose est conserv e gr ce cette capacit de pouvoir se souvenir d avoir conscience d tre toujours rattach e un pass Malgr maints efforts et apprentissages pour faire taire ces r trospections la raccrochant la souffrance de son enfance Nous nous sommes loign s de toute vie humai
64. Autre cause de son physique monstrueux La pr sente tude se donne pour objectif d exposer les rouages la fois narratifs th matiques corporels et relationnels de cet an antissement de l Autre travers une approche essentiellement narratologique Dans un premier temps l entreprise de disparition est observ e travers plusieurs proc d s narratifs complexit chronologique ench ssement de plusieurs niveaux de r cit abondance de narrataires Dans un second temps le th me de la disparition est questionn dans les relations ali nantes nou es par la narratrice dont le corps difforme est le principal enjeu De cette volont de destruction re nait et re meurt une narratrice malade de folie dont les s quelles incurables l emp cheront de r aliser son d sir d appartenance un M me fantasm Mots cl s destruction violence ali nation alt rit monstrueux corps f minin litt rature mauricienne litt rature francophone ABSTRACT The novel Moi l interdite stands as an exception in Ananda Devi s works due to the fact that it does not directly or inherently address the topic of feminine dissidence usually displayed in the majority of the works from the Mauritian author The story on the contrary tries to set up a singular process a disappearance affecting the narrator and main protagonist forever condemned to be the Other because of her monstrous physical appearance This study ai
65. L 90 La bas ils fr quentent les d potoirs ou les cimeti res de voitures ML 91 avant de finalement continuer leur d ambulation Pour ne pas se faire remarquer ils empruntent des chemins de boue loin des habitations Leurs pas les ram nent au four chaux o Mouna y retrouve la mare dans laquelle elle prend le temps de se laver et d abandonner sa tunique de louve garou La rencontre avec le Prince Bahadour se fait non loin du four chaux et la naissance du fils quelques pas de la mare l o elle finira par le noyer Ses derniers jours la narratrice les passera dans un asile s rement situ dans une grande ville voire peut tre dans la capitale Port Louis Ces divers lieux ont pour point commun d tre des espaces marginaux qu Emmanuel B Jean Fran ois d crit comme tant surtout empreints de brutalit il n est plus question de descriptions paradisiaques et de la beaut de la nature avec ses attraits tropicaux pour touristes de passage mais plut t de mise en sc ne de lieux o se joue le quotidien de l le tel que per u et v cu de l int rieur de ces espaces qui portent 204 l empreinte de la douleur de la souffrance voire de la mort Lieux d abandon comme le d potoir le cimeti re de voitures ils sont aussi glauques hant s plus qu habit s par des habitants qui la lumi re de la bougie ressemblaient des fant mes sans but et sans espoirs ML 91
66. MERE FILLE Ce refus de l allaitement est la premi re manifestation d une relation m re fille qui n existera pas si ce n est dans l aspect mortif re qui les lie l une l autre La m re de la narratrice ne cache pas son d sir de mort envers sa fille qui elle accepte douloureusement la r alit de cette absence assum e d amour ou d attachement maternel Cette acceptation ne se fait toutefois pas sans mal et Mouna s aveugle volontairement de phantasmes pour ne pas avoir se confronter cette douloureuse seconde exp rience de rejet Elle raconte son second souvenir celui de lierres lui enserrant le cou ML 11 alors qu elle est accoud e pr s d une fen tre observant les va et vient des autres membres de la famille Elle r alise plus tard que ce qu elle percevait comme des lierres qui se resserraient sur sa gorge n taient en fait que les longs doigts flexibles de ma m re ML 12 Les contacts physiques entre m re et fille vin aient le choix de la vie la m re pr f rant donner la mort fr lant de peu l infanticide volontaire Ma m re proximale me donnait naissance une nouvelle fois dans un acte de mort ML 12 lisabeth Badinter dans son chapitre L indiff rence maternelle consacr e justement cette absence de t moignages d affection de la m re l enfant s interroge sur les raisons de cette insensibilit en trouvant notamment une pist
67. ML 107 Mi amoureux mi mod le le Prince Bahadour lui apprend revivre et lui enseigne sa vision de la vie entre lucidit et cynisme Pourtant cette fa on de percevoir le monde qui l entoure n entre pas en ad quation avec celle de la narratrice dont les fins ont toujours t motiv es par un besoin incessant et vital d tre aim e d tre en appartenance que ce soit avec quelqu un ou au sein d un groupe Ainsi ils dialoguent Il tait habitu cette existence du dehors en marge de tout sans arrimage et sans bagages Il ne comprenait pas pourquoi j avais tant voulu appartenir Pr f res tu que les murs t enferment m a t il demand quelques jours apr s son arriv e tre unie quelqu un qui ne voulait pas vraiment de toi et encha n e ses habitudes la routine d une heure suivant l autre d un jour suivant l autre et au bout de tout cela tu ne re ois que tes cendres entre tes paumes R veille toi il y a d autres passages C tait vrai ML 108 Suivant le m me principe explicit pr c demment avec la grand m re grenier la narration subit un glissement vers le discours indirect libre l atteignant pleinement la toute fin avec le virulent r veille toi offrant ainsi la parole l amant effa ant la voix de Mouna devenue une nouvelle fois un tu La narratrice en laissant la place cet amant au c ur m me de son espace priv doublement priv
68. SIMON HAREL ET PIERRE OUELLET Dans Moi l interdite qui cherche t on an antir de mani re irr vocable Qui et que cherche t on a d truire La narratrice et son existence Car elle est une figure qui d range celle de l Autre imp n trable qui cristallis e les attributs de la diff rence celle qui emp che le M me de se conforter dans sa familiarit identitaire tranquillisante L Autre ou l tranger comme l crit Simon Harel par le fait m me d exister am ne avec lui un lot de violence peine perceptible mais qui pourtant est l et qui au del d tre demeure Cette violence nait d une r v lation uniquement possible par l av nement de la diff rence L tranger tel que je le vois a une fonction de r v lateur Il est d une certaine mani re le destinataire miroir d une interrogation que je ne peux m adresser que projectivement L tranger me permet d tre moi aussi cet Autre d autant plus troublant qu il me s duit et me fascine tout la fois Ainsi chacun loge en lui m me une identit aux multiples facettes un potentiel Autre emp chant l homog n it d une identit intime trop longtemps per ue comme lisse uniforme r confort e par la pr sence d autres identit s miroirs reconnues comme telles Au sein de son village et plus intimement au sein de sa 106 Simon Harel L tranger dans tous ses tats enjeux culturels et litt raires Mon
69. Universit de Montr al An antir l Autre monstrueux entreprise narrative et corporelle de disparition dans Moi l interdite d Ananda Devi par Ir ne Raparison Randrianambahy D partement des litt ratures de langue frangaise Facult des arts et des sciences M moire pr sent la Facult des tudes sup rieures et postdoctorales en vue de l obtention du grade de M A en Litt ratures de langue fran aise Ao t 2013 Ir ne Raparison Randrianambahy 2013 Universit de Montr al Facult des tudes sup rieures et postdoctorales Ce m moire intitul An antir l Autre monstrueux entreprise narrative et corporelle de disparition dans Moi l interdite d Ananda Devi Pr sent par Ir ne Raparison Randrianambahy a t valu par un jury compos des personnes suivantes Christiane Ndiaye Pr sidente rapporteure Josias Semujanga Directeur de recherche Gilles Dupuis Membre du jury RESUME Le r cit Moi l interdite se pr sente comme une exception parmi les uvres d Ananda Devi en ce qu il n aborde pas de front ni implicitement le th me de la dissidence f minine comme nous pouvons l observer dans la plus grande majorit des uvres de l auteure mauricienne Au contraire le r cit s vertue mettre en place un processus singulier celui d une disparition perp tr contre la narratrice et protagoniste principale condamn e tre l ternel
70. a chaque r cit d pendant d un narrataire si le r cit se situe un second niveau son narrateur sera dit di g tique ou intradi g tique au choix Si par ailleurs il existe un troisi me niveau alors le narrateur sera d sign comme tant m tadi g tique Le r cit m tadi g tique est donc par essence un r cit plac un niveau second videmment subordonn et peut poss der plusieurs fonctions 77 Roland Barthes Le discours de l histoire Information sur les sciences sociales ao t 1967 p 66 78 G rard Genette Discours du r cit op cit p 267 271 Ibid p 236 80 Thid p 237 23 explicative th matique ou encore ce que Genette appelle fonction de distraction et ou d obstruction LA NOTION DE NARRATAIRE SELON GERALD PRINCE ET MARY ANN PIWOWARCZYK Le terme narrataire est th oris pour la premi re fois par G rard Genette dans ses travaux sur la narratologie Figures III dans le chapitre Voix et plus tard Nouveau discours du r cit Toutefois il est important de signaler que le terme apparait ant rieurement dans les crits de Roland Barthes Les tudes narratologiques se tournant vers cette figure silencieuse bien trop longtemps occult e viennent conforter l int r t latent port par certains th oriciens au milieu des ann es soixante dix Hans Robert Jauss et Wolfgang Iser issus de l cole de Constance en t te de peloton pour l analys
71. a fen tre Mon p re a referm le battant avec un claquement sec ML 51 Dans le gris des jours sans fin j entends quelques fois le bruit que font 127 Roland Bourneuf op cit p 132 134 128 Roland Bourneuf ibid p 133 47 les vrais ali n s ML 61 J entends les larmes qui coulent sur leur corps sale j entends la faim d amour dans le ventre amaigri J entends la solitude qui tombe en pluie et s tale en flaques sans reflets autour d eux ML 61 62 Remplis d hommes qui parlaient et riaient ML 69 Ils sont tous l dehors Avec leur lumi re et leur rire leurs nourritures et leur soif ML 76 Un soir j ai entendu les grondements des tambours et les plaintes des shehnais Des chansons d amour indienne ont tonitru tout autour de moi ML 85 La musique annon ait l v nement aussi loin qu elle le pouvait ML 86 Il mangeait grand bruit le curry piment de jalousie que sa femme servait sur les feuilles de bananier et le bruit commun de tous les invit s mangeant buvant avalant lapant le grisait ML 86 87 Il nous semblait entendre les gens qui taient morts dans les voitures accident es ML 91 On entendait les enfants pleurer l int rieur des maisons et les m res supplier de se taire ML 92 une mar e de violence et de cruaut des cris des supplications des grondements des jappements
72. apaisante se laissant ainsi port e et rass r n e Lorsque s ach vent les paroles de la grand m re grenier et que la narratrice reprend le contr le du r cit l homme est parti ayant termin sa besogne ML 22 Encore une fois la m moire se trouve tre le lieu de la rencontre le rempart et le refuge n cessaires la survie dans l asile A travers l exploitation de r cits m tadi g tiques permettant l existence d une voix alternative la fois narrataire et narrateur di g tiques se r v le un d sir de 52 rapprochement la recherche d un soutien qui fut et qui persiste l tre encore malgr la mort tu entres en moi tu poursuis ta route avec moi c est bien ainsi la mort est notre union d finitive et on n en parlera plus ML 66 La post existence vocale de la grand m re grenier travers les bribes de contes rapport s l aper u de sa vie d antan les quelques paroles de la chanson de Zindgi permet le dialogue inesp r qui soulage Ce dialogue entre un fant me et une voix d nu e de corporalit s treignant par les souvenirs et par les mots abolissent toutes les fronti res pour sonner le temps des retrouvailles Plus qu une porosit des temporalit s des lieux c est un v ritable d passement graphique qui se met en place l int rieur duquel les guillemets ne deviennent plus des obstacles cantonnant les voix dans des r gles insignifiantes Ain
73. arrateur di g tique feu la grand m re grenier de Mouna et d crit les p rip ties d acteurs m tadi g tiques 129 G rard Genette Figures III Paris ditions du Seuil 1972 p 238 241 Jaap Lintvelt Essai de typologie narrative le point de vue th orie et analyse Paris Corti 1981 p 209 214 Jean Rousset Le lecteur intime de Balzac au journal Paris Corti 1986 p 57 72 49 Il tait une fois le Prince Bahadour et la Princesse Housna Ainsi commen ait le conte unique de grand m re grenier celui d o naissaient tous ses contes et qui m a port e bien au del des chemins de l enfance ce qui m a fait croire aux bonheurs redoutables Ils re urent tous les dons de la terre la beaut la jeunesse l intelligence la richesse Ils taient pr ts danser sur l orage avec leurs pieds orn s de henn Mais ils ne savaient pas que leur plan te tait Shyani la mauvaise toile Bahadour devait son nom son courage et sa bravoure Quant Housna Bien s r elle s appelait ainsi pour sa beaut ma gazelle de kh l ma liane v n neuse ma danseuse de nuages mon Apsara Housna avait le parfum du cham li qui ne s ouvre que la nuit et qui meurt au matin Ainsi tait sa destin e Elle s panouirait la nuit et mourrait au matin le parfum puis Leur amour tait une rivi re qui d valait tout droit vers sa fin tragique ML 23 24 L nonc du c
74. au contraire elle n est qu un pisode de mes relations avec autrui et plus sp cialement de ce que nous avons nomm l objectivation de l autre ou si on veut autrui existe pour moi d abord et je le saisis dans son corps ensuite le corps d autrui est pour moi une structure secondaire Ainsi le corps d autrui est radicalement diff rent de mon corps pour moi il est outil que je ne suis pas et que j utilise ou qui me r siste ce qui revient au m me Il se pr sente moi originellement avec un certain coefficient objectif d utilit et d adversit Mais le monde et les id ologies se modifient d laissant le statut sartrien d outil dont il a t estampill l Autre acc de finalement la subjectivation la parole abandonnant du coup ce monde de repr sentations imaginaires auquel on l a bien trop longtemps restreint L alt rit n tant plus consid r e uniquement comme un ph nom ne elle est maintenant per ue comme une v ritable sensibilit un ensemble d attitudes d affects et de comportements qu on peut appeler une aisthesis et un ethos soit une forme d exp rience nonciative non seulement de sa propre identit et de celle d autrui mais de son propre rapport au monde qui ne peut plus se penser partir d une identit fondatrice et exige d embl e une prise en compte de son alt rit 115 constitutive C est sur la base de cette
75. avec la chronologie l instance narrative et plus particuli rement la fonction du narrateur plus tard sur les narrataires et enfin la pr sence de r cits subordonn s dits r cits m tadi g tiques Nous nous concentrerons donc sur les volets temps ainsi que voix en identifiant et d finissant les principaux concepts qui seront tour tour exploit s Genette rappelle la dualit temporelle irr vocable dont est empreint le r cit le temps de l histoire erz hlte Zeit et le temps du r cit Erz hlzeit dont il emprunte les termes allemands au th oricien Gunther M ller dans son article Erz hlzeit und erz hlte Zeit Ces deux temps sont tous deux inclus dans un temps plus large et plus concret celui de la lecture Comme le r cit oral ou filmique il le r cit litt raire ne peut tre consomm donc actualis que dans un temps qui est videmment celui de la lecture De la relation entre temps de l histoire et temps du r cit Genette labore ce qu il appelle trois d terminations essentielles savoir l ordre temporel de succession des v nements dans la di g se et l ordre pseudo temporel de leur disposition dans le r cit les rapports entre la dur e variable des v nements ou segments di g tiques et la pseudo dur e en fait longueur de texte de leur relation dans le r cit rapports donc de vitesse rapports enfin de fr quence c est
76. blent s allier dans Moi l interdite pour mettre en uvre la retranscription d un abus ne se d robant en aucune mani re face la d faillance du dire refusant le mutisme ou le refoulement comme unique position de d fense SURVIVANCE DU CORPS SOUILL ET VENTRILOQUIE Corps meurtri mon corps toil ce corps balbuti c est moi ML 20 anciennement priv devenu public pill de toute consid ration de tout respect et de toute sacralit et investi par la volont d un autre Le murmure de l homme m atteint MZ 20 Mouna est lentement d truite ni e dans sa qualit d tre humain uniquement r duite ce que Philippe Bessoles nomme un lieu d aisance 19 Rennie Votova crire le viol Paris Non Lieu 2007 p 14 194 bid p 52 90 toujours disponible et ouvert Dans son essai Le viol du f minin ce docteur en psychopathologie clinique accorde au viol trois fonctions primaires la fonction sacrificielle la fonction cannibalique et la fonction excr mentielle Cette derni re vise a souiller de mani re intentionnelle la femme mise en cause niant ainsi toute son humanit en tant qu individu la r duisant pour ainsi dire un objet sur lequel on se d leste sans remords Mouna d crit d ailleurs elle m me la mise en place r p t e de cette destruction dont elle est la victime victime ignor e et m pris e cause du lieu dans lequel elle survit Ce lieu ferm
77. cat gories de Piwowarczyk le discours du narrateur sera diff rent selon qu il s adresse un personnage ou un narrataire extradi g tique compte tenu de son r le et de son statut dans le r cit Une m me information ne sera visiblement pas formul e de la m me mani re d pendant des points de vue mais surtout des connaissances ou lacunes qu aura le narrataire Une question survient alors si le discours du narrateur peut se diff rencier selon le r le et le statut du narrataire qui se trouve en face de lui peut on remarquer une diff rence similaire du discours selon que le narrateur s exprime la premi re ou la troisi me personne du singulier 3 Ibid p 167 Carole Connolly Le partenaire occult manifestations du narrataire dans le roman qu b cois Ottawa ditions David 2003 Jean Rousset La question du narrataire dans Probl mes actuels de la lecture D llenbach et Jean Ricardou dir Paris Clancier Gu naud 1982 27 La est tout le propos d Agn s Whitfield dans son article sur la litt rature qu b coise apr s la R volution tranquille Dans Reading the Post 1960 Quebec Novel the Changing Role of the Narratee elle fait le constat d un branlement des rapports entre lecteurs r els et narrataires dans la litt rature qu b coise apr s les ann es 60 et le r le in dit confi au narrataire Whitfield se concentre sur deux facteurs particuliers de cet branleme
78. ch tique d crit lucidement dans ses multiples d tours un mal tre dont on ne peut se r tablir et qu on ne peut juste qu attester par la parole Bien plus que la parole ce pass se constate aussi visuellement par les marques qu il laisse m taphoriquement ou non sur la chair de la narratrice ainsi tatou e m me le corps de son pass dont elle ne peut se d barrasser avec lequel elle doit n gocier sans cesse pour survivre dans son pr sent touff Tu ne te souviens vraiment de rien Si bien s r Je me souviens de tout Tout est inscrit l au milieu de ma t te et sur les espaces vides de ma peau ML 82 travers cette composition temporelle boulevers e par les multiples t lescopages et l absence flagrante d une consid ration pour l instant pr sent 125 mile Fromet de Rosnay loc cit p 114 126 Marie Pascale Huglo op cit p 122 46 Ananda Devi nous livre a la fois une vision et une relation particuli re au temps et aux souvenirs la mise en criture de ce que Roland Bourneuf et R al Ouellet 1127 nomment un temps mosaical la textualisation d une substance romanesque temporelle unique saisir Les th oriciens ont longtemps r fl chi sur l utilit d une analyse fond e sur une investigation du temps capable d clairer la signification de l uvre La preuve est ici faite que dans cette expression particuli re au pass
79. ch and Francophone Literature and Film Volume XXXV 2008 pp 71 82 S Ibid p 73 1 Jbid p 73 17 Markus Arnold Litt rature violence ou d sillusion d mystification Le Mauricien http www lemauricien com article litterature C2 A0 C2 A0violence ou desillusion demystification consult le 21 ao t 2013 8 Julia Effertz loc cit p 73 d avoir le pouvoir d y r pondre La naissance de cette figure qu est la femme bourreau revisit e sous la plume d Ananda Devi accorde aux h ro nes la possibilit de renverser compl tement le statut qu elles n avaient pas choisi celui de victime transformant et rentabilisant la violence qui leur tait adress e en une arme d vastatrice Renversant les st r otypes qui semblent entourer la notion de violence au f minin Ananda Devi dresse le portrait de femmes im puissantes autant d truites que d truisantes Toutefois cette nouvelle conception de soi requiert un aboutissant imp ratif la mutilation mutation ou fragmentation du corps l int rieur de cette exigence Ananda Devi trouve une autre mani re de graver clairement les marques explicites de violence m me le corps jamais pargn jamais vierge de cicatrices Mouhamadou Ciss dans son article Violence et r volte des femmes insulaires dans Morne C presse de Gis le Pineau et Pagli d Ananda Devi le signale en parlant du corps f minin comme d un espace primaire
80. chement si ce n est motionnelle psychique ou morale en tout cas physique s opposant au rejet originel ULTIME R FLEXION POUR CONCLURE ENTRE FOLIE ET LUCIDITE INTERROGATION SUR L INVESTISSEMENT DES ESPACES INTERMEDIAIRES La tentative d investissement des lieux par le corps par la voix et par criture est une probl matique abord e dans Moi interdite que l on peut raccorder notre r flexion sur l expression de la violence par accumulation du fait de la multiplicit des espaces fictionnels symboliques et discursifs exploit s dans le r cit que nous allons expliciter pour conclure notre tude Cette nouvelle multiplicit vient ainsi se juxtaposer a celle des souvenirs des voix narratives des narrataires des relations en chec qui peuplent l univers de Mouna La vie de Mouna ponctu e par l exil forc et l errance propos e se construit selon un parcours topographique particulier Depuis son enfance la narratrice est rel gu e le plus loin possible de la vie de famille Condamn e vivre la p riph rie elle vit ses premi res ann es dans le grenier en compagnie de sa grand m re la mort de celle ci elle est oubli e dans le four chaux l arri re de la demeure familiale Lorsque le chien lui vient en aide ils s aventurent ensemble en dehors des limites du village pour aboutir pr s d une grande ville appel e Rose Hill la 95 colline aux roses M
81. cide l h t rog ne dans Moi Emmanuel B Jean Fran ois loc cit p 526 35 Ibid p 525 Val rie Magdelaine Andrianjafitrimo Le D sencrage et la d r alisation de criture chez trois crivains mauriciens Ananda Devi Carl de Souza Barlen Pyamootoo L entre dire francophone Pessac Presses Universitaires de Bordeaux 2004 pp 67 100 37 Fran oise Lionnet Evading the Subject Narration and the City in Ananda Devi s Rue la Poudri re in Postcolonial Representations Women Literature Identity Ithaca Cornell University Press 1995 pp 48 68 38 Emmanuel B Jean Fran ois loc cit p 525 11 l interdite d Ananda Devi l exposition d une voix singuli re travers une forte localisation culturelle narrant son v cu quotidien celle de l le Mauricien et de ses habitants Mais plus qu une simple monstration et illustration de se dire particulier Jean Fran ois voit en amont de cette r volution esth tique une volont de a 7 4i bo e produi re une nouvelle auto repr sentation Il crit ceci il faut souligner que la litt rature contemporaine exprime galement un d sir discursif d mancipation d un peuple opprim par le contexte socio conomique qui l crase et le pousse des formes de violences extr mes En sachant que la pens e postcoloniale explore et met nu les syst mes de pouvoir et la relation entre dominant et domin il d
82. comme s ils voulaient m enterrer avec elle J aurais d t avoir trangl e au berceau Qui a dit cela Qui a parl Ce n est pas ma m re je ne le crois pas elle aurait d me remercier et m embrasser pour la premi re fois de sa vie ML 58 Le sentiment de confusion et d instantan it qui surprend signal par l utilisation du pass compos venant rompre la dynamique du r cit instaur par l usage automatique de l imparfait et de plus renforc par la double formulation de la question d o provient cette parole viennent confirmer les perturbations internes ressenties par la narratrice coup e en plein lan narratif L acte de violation de cet espace priv sous tend l id e que les personnages di g tiques sont capables d avoir un acc s et une emprise sur le discours de la narratrice Bien plus qu une simple emprise d routante de la r gie narrative c est l expression d une incurable int riorisation du sentiment d animosit de l Autre qu est la m re qui est sugg r e par cette p n tration Ancr e en elle depuis le premier geste d aversion l antipathie de sa m re vient se cristalliser dans cette phrase peut tre d j entendue Le doute la narratrice le laisse planer dans la double formulation interrogation Qui a dit cela Qui a parl bien que l vidence est flagrante Ainsi le je initial celui de Mouna se transforme en un tu ag
83. d tre aim e la narratrice sacrifie son corps en le d formant d lib r ment au profit d un peu d estime Alors que son esprit tente d sesp r ment de s accrocher aux pans de sa vie r volue la narratrice poursuit l inhumation de son propre corps offert tel un don son compagnon le recouvrant d encore plus de bestialit et d animalit Quand par surprise sa m moire lui revient bri vement elle re oit les coups du chien l emp chant ainsi de revenir son tat d origine Parfois lorsque je retrouvais mon humaine duplicit il me frappait et me punissait Mais c tait sans col re Il ne cessa jamais de m aimer ML 95 Jamais rassasi e de sa famine d amour h rit e de l enfance elle s emprisonne de plus en plus dans cette relation d l t re alors bas e sur un chantage affectif refusant d affronter la r alit Mouna ne s loignera jamais v ritablement du cercle vicieux de la violence et des relations toxiques enfant e dans celles ci Ainsi l id al amoureux qu elle s est forg e avec le chien vire doucement au drame Lorsqu elle abandonne finalement ce que l on pourrait presque consid rer comme son cocon de chienne pour redevenir elle m me Qu tais je donc Quelle cr ature tais je devenue Ainsi il fallait que je reprenne mon apparence d avant ML 102 elle doit faire face la tristesse mais aussi la virulence de celui qui fut autrefois son
84. de du narrataire loc cit p 196 30 pourrait laisser transpara tre un manque de confiance en lui un besoin d approbation ou un sentiment de culpabilit latent Il est vident que ces rapports sont encod s dans les adresses directes et autres signaux explicit s plus haut avec Piwowarczyk De ce fait des signaux peu explicites rendant le narrataire invisible ne peuvent v ritablement caract riser le narrateur Cela devient int ressant si le narrateur est un narrateur personnage et si dans son r cit il prend le temps et la peine de construire la figure de narrataire a laquelle il s adresse C est ici le cas pour Mouna a travers l utilisation de pronoms associ s des noms ou des surnoms coute bien et n oublie rien homme de tous mes jours Toi dont la joie est un filin d espoir qui serpente entre les ruines de ton corps ML 23 permettant de cibler directement l allocutaire Prince rajoutera d ailleurs d habitude le caract re d un narrateur personnage est r v l par les rapports qu il institue avec son narrataire sinon plus que par tout autre l ment dans le r cit Cette phrase de Prince fait donc cho ce que Franc Schuerewegen crit dans son article R flexion 104 sur le narrataire Le sujet de l nonciation c est ce que nous ont appris les analyses de Benveniste ne se constitue pas en tant que tel qu en implantant l autre en face d
85. derni re Depuis l indiff rence elle vogue vers la solitude contre laquelle elle ne cesse jamais de lutter Mais cette bataille perdue d avance pour vaincre ou chapper la solitude transforme m tamorphose le h ros au point qu il ne se reconna t plus autrement qu en tre d poss d de lui m me Mouna prend la m tamorphose au pied de la lettre en se fourvoyant elle m me dans les m andres des poils qui lui pousseront un peu partout sur le corps apr s sa rencontre avec le chien L ali nation telle que nous la comprenons aujourd hui dans un contexte litt raire et sociologique contemporain concerne l homme moderne Bien que son corpus s int resse des uvres du XX me si cle et par cons quent impose sa r flexion d tre per ue travers un prisme particulier la d finition de l homme moderne propos e par Marie France Rouart n a jamais t aussi d actualit et s applique ais ment un ouvrage paru en 2006 Pour comprendre l homme moderne il faut d abord envisager l volution de la personnalit humaine qui s elon la 152 Tbid p 21 153 Tbid p 16 154 Tbid p 22 69 formulation de Riesman est pass e d une orientation vers la tradition une orientation vers l individu puis vers l ext rieur Ainsi l homme moderne tourn vers l ext rieur se comporte en fonction de r gles non dict es par un choix int rieur mais
86. dre il n y a personne pour les couter ML 20 Fous folles muet te s et les autres leurs balbutiements inaudibles vont de pair avec leur existence indicible qu il faut pourtant narrer Puissance de la focalisation interne qui s est impos e comme une strat gie narrative influente chez Ananda Devi celle ci permet de former des r cits empreints d une r alit douloureuse et perspicace adress s des vous et des tu volatiles travers des personnages marqu s m me leur chair et m me leur me par leur non conformisme Ananda Devi transcende les lois communautaires et sectaires en inventant une nouvelle communaut monstrueuse pleinement consciente la fois de sa pluralit et de sa singularit et surpassant toutes les autres par son existence et sa survivance d abord discursives Faire parler le monstre est ainsi donner la litt rature le pouvoir de lutter et de survivre contre le rejet le d ni l oubli la mort De sa lente mise mort dont elle est l actrice le t moin et la conteuse Mouna en ressurgit pour t moigner et surtout pour renouveler sa subsistance 38 CHAPITRE II DISPARITION PAR AMONCELLEMENT ET EXPLORATION D UNE SURABONDANCE TEXTUELLE Lire Moi l interdite c est affronter un r cit morcel qu il faut recomposer Par contradiction l ach vement de cette recomposition aboutit l miettement des corps celui de l h ro ne narratrice et des tres qu
87. e quels m rites exceptionnels peut elle s enorgueillir D avoir surv cu plus longtemps que pr vu aux actes abominables que les membres de sa famille ne se sont pas priv s de lui infliger est en soi un v ritable acte de bravoure Survivre Michel Foucault Le corps utopique les h t rotopies Paris Lignes 2009 p 9 10 Ananda Devi Moi l interdite Paris Dapper 2000 125 pages D sormais les r f rences ce roman seront donn es dans le corps du texte l aide du sigle ML suivi imm diatement du num ro de la page voila ce que Mouna n a cess de faire durant toute son existence rester vivante malgr le dessein de destruction qui lui tait d avance r serv rester vivante malgr sa condition de femme d figur e ou l inverse car parfois dans les romans d Ananda Devi la question se pose de savoir s il est pire d tre d abord une femme ou d tre d abord difforme Mouna est donc un personnage issu de l imaginaire d Ananda Devi auteure mauricienne dont la plume moult fois d crite comme po tique et violente narre la vie de femmes bafou es et humili es avant d tre fortes ou mortes une lettre pr s ployant sous les coups les injures finissant pour les plus chanceuses par se forger dans le sang et le sperme des hommes deviniens R fl chir sur la litt rature d Ananda Devi c est d abord restituer avec justesse le contexte dans lequel elle crit toutes ses
88. e corps utopique les h t rotopies Paris Lignes 2009 64 pages SEBASTIEN Joachim Entre lieu x de l criture migrante Po tique des lieux Paris Presses Universitaires Blaise Pascale 2004 p 332 344
89. e de Jos phin le Fou Paris Gallimard 2003 87 pages Eve de ses d combres Paris Gallimard 2006 154 pages Le sari vert Paris Gallimard 2009 224 pages Il ETUDES SUR L UVRE D ANANDA DEVI ET SUR LA LITTERATURE MAURICIENNE ARNOLD Markus Litt rature violence ou d sillusion d mystification Le Mauricien http www lemauricien com article litterature C2 A0 C2 A Oviolence ou desillusion demystification consult le 21 ao t 2013 CISSE Mouhamadou Violence et r volte des femmes insulaires dans Morne C presse de Gis le Pineau et Pagli d Ananda Devi Les cahiers du GRELCEF Les crits contemporains de femmes de l Oc an Indien et des Cara bes n 3 mai 2012 p 67 82 DAML Amaleena Phantasmatical Relics Psychoanalytical and Deconstructive Ghosts in Moi l interdite and Pagli by Ananda Devi Anamnesia private and public memory in modern French culture Peter Collier Anna Magdalena et Olga Smith dir Oxford Peter Lang 2009 p 229 239 DEVI Ananda Colloque Penser l alt rit autour de l uvre d Ananda Devi et des crivaines mauriciennes contemporaines Ananda Devi nous parle de ses romans de ses personnages de son criture de ses lecteurs 30 novembre 1 d cembre 2007 critures mauriciennes au f minin penser l alt rit V ronique Bragard et Srilata Ravi dir Paris Harmattan 2011 p 271 282 103 EFFERTZ Julia
90. e de la r ception du discours narratif Certes la paternit de la th orisation du terme narrataire revient Genette mais c est en 1973 sous la plume de Gerald Prince qu apparaissent les pr misses d une v ritable tude m thodologique sur la place particuli re qu occupe le narrataire au sein m me du r cit avec Introduction l tude du narrataire Cette tude sera plus tard suivie en 1976 par une critique de Mary Ann Piwowarczyk dans son article The Narratee and the Situation of Enunciation A Reconsideration of Prince s Theory proposant de repenser d une part le narrateur degr zero tel qu il a t formalis par Prince et d autre part cat gorisant et compl tant les signaux du narrataire Enfin en r ponse Mary Ann Piwowarczyk et Mary Pratt Gerald Prince compl te sa premi re tude avec The Narratee Revisited publi en 1985 81 G rard Genette Nouveau discours du r cit Paris Seuil 1983 82 Roland Barthes Introduction l analyse structurale du r cit Communications n 8 1966 83 Gerald Prince Introduction l tude du narrataire Po tique n 14 1973 Mary Ann Piwowarczyk The Narratee and the Situation of Enunciation A Reconsideration of Prince s Theory Genre Chicago ID vol 9 n 10 1976 pp 161 177 85 Gerald Prince The Narratee Revisited Style vol 19 1985 pp 299 303 24 D s les premi res lignes d
91. e de r flexion dans l id e de mort prochaine du nourrisson Pour viter tout chagrin li la perte d un b b dont les chances de mourir sont lev es 1l est 19 Elisabeth Badinter L indiff rence maternelle L amour en plus histoire de l amour maternel XVIIe XXe si cle Flammarion 1980 pp 107 183 72 pr f rable de s abstenir de tout lan d affection Cette raison expos e trouve un cho significatif dans un dialogue chang avec le p re et surpris par Mouna Quand elle est n e tu m as dit qu elle ne survivrait pas longtemps lui a t il reproch Il y eut un long silence Je le pensais Je ne l ai pas nourrie Elle n aurait pas d survivre Mais c est ta m re qui s est occup e d elle ML 52 La survie de Mouna n a pu aboutir un soulagement escompt par les parents frustr s d avoir encore sous leur toit celle qui est nomm e la Cause ML 17 des catastrophes v cues par sa famille et le village cannes br l es s cheresse cyclones etc cette survivance s ajoute le sexe de l enfant comme possible raison de cette animosit mortelle Non vraiment la fille n est pas une affaire pour les parents et nulle complicit ne semble la rapprocher de sa m re La m re garde ses tr sors de tendresse et de fiert pour son a n h ritier exclusif du patrimoine et du titre de ses parents nobles Consid r es comme des fardeaux les
92. e la folie que l on fait taire l image d un asile impossible localiser forgeant la force de son existence dans l ignorance de ceux qui ne le c toient pas les corps gar s faute d tre spatialis s ne sont plus pris en compte car habit s par des mes d chir es et bruyantes Dans le gris des jours sans fin j entends quelquefois le bruit que font les vrais ali n s ML 61 Pour revenir l exp rience du viol celle ci permet d tablir un lien implicite entre la conception de l asile et du corps f minin ici particulier car ali n comme espace public justement d nu de toutes fronti res encore une fois symboliques et ou concr tes assurant une protection contre d ventuels intrus Le corps ali n objet de tous les m pris on prend pour de la folie tout ce qu on ne comprend pas ML 61 en plus d tre prisonnier de l asile puisqu il ne peut s en chapper est d sincarn puisque coup du monde ext rieur et aussi de lui m me Mouna plong e dans l obscurit peine d terminer ce qui est cens lui tenir lieu de corps luttant contre un d membrement inconscient de sa part Je mets un long moment me comprendre mesurer mon tendue Et puis ici il fait tellement noir que tout s embrouille Je ne me vois m me pas Mes mains tentent de remplacer mes yeux et touchent encore ces textures parfois vivantes parfois inorganiques ici une cloison rug
93. e lui C est en se donnant un destinataire qu on s institue destinateur c est en 105 disant tu qu on devient je En conclusion le r cit personnel de Mouna narr la premi re personne du singulier nous offre videmment des pistes importantes et ind niables pour comprendre l tat d esprit mis rable dans lequel celle ci s enferme l aff t d allocutaires susceptibles de l couter Lisa l infirmi re tant v ritablement la seule avec Mouna elle m me et de prendre en consid ration son histoire Mouna cherche concevoir son public id al et cela travers des figures fantomatiques qui autrefois ont peupl son existence Ces multiples adresses toutes sans r ponse 103 Thid p 196 104 Franc Schuerewegen R flexions sur le narrataire Po tique n 70 1987 pp 247 254 105 Tbid p 251 252 31 lanc es dans le vide ne sont le reflet que d un silence lourdement habit par l absence l indiff rence et la violence de ses proches Victime malheureuse et balafr e Mouna cherche un public qui pourrait l couter et r v le ainsi une profonde solitude et une angoisse sans fond Croyant dialoguer alors qu elle soliloque son mal tre et sa pernicieuse folie apparaissent en filigrane de ces appels l coute C est au c ur m me de ces appels que se logent les r ponses concernant la v rit existentielle de Mouna ANEANTIR QUI L AUTRE MONSTRUEUX AVEC
94. e par un travailleur nocturne de l asile chez les h ro nes deviniennes doit absolument soulever une question celle de sa signifiance dans une litt rature o les th matiques de l oppression de la soumission silencieuse du communautarisme et de la misogynie ne sont jamais tr s loin Dans son article Amour folie libert la dissidence f minine dans l criture d Ananda Devi Jean de Dieu Itsieki Putu Basey d finit le viol qui survient 188 Toutefois contrairement Daya qui Daya comme une blessure existentielle saura refuser les secondes avances de son mari cousin lors de la nuit de noces et n entretiendra alors plus de rapport sexuel avec celui ci Mouna est r guli rement viol e dans le plus silencieux et le plus obscur des secrets au milieu de la nuit Oui silence En moi en lui dans les profondeurs du monde Silence jusqu au bout du silence ML 19 20 Jamais de mani re directe elle ne tentera de lutter contre son agresseur pr f rant se r fugier dans ses souvenirs port s par la voix de sa grand m re grenier 187 Jean de Dieu Itsieki Putu Basey loc cit p 58 88 Thid p 58 86 LE CORPS FEMININ ET LA CELLULE DES ESPACES PUBLICS R duite au silence l int rieur de sa cellule et aussi en elle m me Mouna subit cette invasion violente qu est le viol en voyant ses propres fronti res foul es par la masse de chair et de muscles ML
95. e regard de la fissure de ma bouche Un jour il te viendra un prince qui t aimera pour ce corps l et aussi pour la beaut de tes yeux et puis encore pour la beaut qu il verra en toi l int rieur de ton corps l L Elle pose la main plat sur ma poitrine juste l endroit du c ur Ce sera ton Prince Bahadour toi ML 21 Cette fois ci on remarque l absence totale de guillemets renfor ant l enchev trement narratif rep r plus t t ainsi que la pr sence d une incise certes pr sente mais tr s discr te passant presque inaper ue Mouna plong e enti rement dans un souvenir permettant de subir en silence l abus sexuel en cours fait ressurgir la voix de sa grand m re grenier dont les paroles contrastant avec le corps violent ont pour unique but de faire barrage d aider et de rassurer L abolition des distances spatiotemporelles par la suppression graphique des codes d nonciation autorise l union de r confort et la proximit psychique Au seuil du discours indirect libre et de la prosopop e les fonctions et les r les narratifs se substituent r alisant une permutation ph m re d un je initial en un tu laissant la place un nouveau je ph m re implicite l instar de l image du berceau voqu signifiant la qu te achev e de s curit l instance narrative premi re se d charge de sa fonction de narration en devenant narrataire d une parole nonc e
96. egrets Pour en revenir la multiplicit des narrataires celle ci induit in vitablement une diversit toute aussi grande des angles de vue et des perceptions d autant plus s ils sont extra ou intradi g tiques ou encore s ils sont proches ou non de le narrateur Prenons exemple sur Moi l interdite Mouna ne s adresse pas de la m me fa on Lisa qu elle s adresserait son amant ni lorsqu elle s adresse au narrataire anonyme extradi g tique Ce point est important dans l article de Whitfield car il permet de scinder les narrataires en deux groupes distincts selon qu ils soient sympathiques ou hostiles vis a vis du narrateur Cette distinction peut se faire en se concentrant sur les interactions verbales du narrateur Polarization is as likely to occur along class lines as along ethnic lines and usually develops in the course of the Ibid p 34 29 100 x x narrative rather than at the outest selon qu il cherche les convaincre les influencer les contredire les choquer ou les satisfaire Par la suite selon qu ils soient sympathiques ou non avec le narrateur les narrataires sont dot s d une fonction pr cise Obviously each group of anonymous narratees has its own function The friendly narratees serve as a support group for the narrator in his revolt against the system while the establishment group serves as a target for his frustration The presence
97. ement mauriciens en mettant en lumi re ce qu Emmanuel B Jean Fran ois appelle une sensibilit tout fait postcoloniale de leur d marche Son article L exp rience de la violence dans le roman mauricien francophone de la nouvelle g n ration se penche tr s longuement sur les modulations d une r volution esth tique explicit e plus t t qui est en train d avoir lieu chez la nouvelle g n ration d auteurs mauriciens Cette r volution dans sa d finition m me se veut en rupture avec les formes et les normes classiques du roman mauricien portant en elles une id ologie jug e exotisante et qu il faut d construire absolument Cette d construction exige de cr er de s formes nouvelles qui cassent les habitudes de lecture en bouleversant notamment les perceptions codifi es en lien avec le genre Magdelaine Andrianjafitrimo 2004 ou encore avec la narration Lionnet 19957 Suivant le principe des vases communicants fond et forme se voient contaminer par l expression d une violence r pond alnt au go t de la transgression du d s quilibre et du chaos Cette subversion la fois interne et externe du texte ne s en tient elle qu une seule volont de rupture donnant naissance une criture souvent qualifi e de postmoderne Emmanuel B Jean Fran ois dans sa conclusion ouvre quelques pistes d j parcourues par Emile Fromet de Rosnay dans son article All gorie et letri
98. en implicite avec le narrataire pr sent absent ou virtuel la fonction testimoniale ou d attestation et enfin la fonction id ologique Nous le verrons lors de notre tude que la fonction de r gie assum e par Mouna sera plusieurs reprises remise en cause lors d interruptions perp tr es par des voix parasites A la suite des fonctions du narrateur Genette aborde le sujet du narrataire de mani re bien trop concise pour notre tude sujet qu il approfondira un petit peu plus dans Nouveau discours du r cit mais jamais de mani re tr s exhaustive si bien que nous nous tournons plut t vers les articles th oriques plus complets de Gerald Prince et de Mary Ann Piwowarczyk Le volet voix de Genette se penche aussi sur les niveaux narratifs et notamment les r cits au second degr qu il nomme r cits m tadi g tiques plus que foisonnants dans Moi l interdite Ainsi il diff rencie certains segments di g tiques comme tant soit l int rieur du r cit soit a l ext rieur c e qui les s pare n tant moins une distance qu une sorte de seuil figur par la narration elle m me une diff rence de niveau Genette poursuit en explicitant cette diff rence de niveau au c ur de la narration en disant que fout v nement racont par un r cit est un niveau di g tique imm diatement sup rieur celui o se situe l acte narratif producteur de ce r cit Suite cel
99. es modes d enchainement la prosodie le rythme les genres du discours le discours rapport l intertextualit la topie la temporalit ou les lieux communs p 19 167 Jean Fran ois Bordron Le sens de la m tamorphose M tamorphoses et identit s Marion Colas Blaise et Anne Beyaert Geslin dir Limoges PULIM 2009 p 49 63 Ibid p 49 79 La m tamorphose sp cificit incluse dans un ensemble plus vaste des genres dele nso ae 170 de transformations participe ce que Bordron nomme un proc s volutif 7 durant lequel les quatre registres ayant une fonction identitaire pour d signer un 171 identit cat goriale ou sortale identit symbolique identit qualitative et objet identit m r ologique subissent des degr s divers des changements La pertinence de la r flexion de Bordron pour notre tude se trouve dans cette interrogation de la complexit de la m tamorphose qui con oit une modification des registres permettant l identification sans pour autant d naturer ce qu il appelle Videntit dite symbolique dont le nom propre offre l exemple le plus simple Cette derni re induit syst matiquement l existence d une identit syntagmatique signifiant la conservation d une identit narrative dans le temps Bordron illustre cette relation d interd pendance avec l exemple de la chenille de la chenille au papillon il existe une
100. et inconnu de tous le dernier retranchement des choses qui ont bascul de l autre c t de l oubli c est la troisi me tape de mon annihilation ML 20 Bris e et r duite n ant par les actes de son violeur et aussi par ses propres mots accablants de lucidit sa voix tente de reprendre vie apr s la mise mort r p t e de chaque nuit ML 22 car comme l explique Rennie Yotova Le viol est un meurtre souvent sans cadavre Ce meurtre ne conduit pas l extinction du corps mais son an antissement Ainsi la douleur d avoir t abus e vient s ajouter le d sespoir d y survivre La survivance fardeau amer se situe entre la vie et la mort entre l incapacit de revenir pleinement dans la premi re et l impossibilit de c der la seconde errant ainsi dans un entre deux dans l espace du n ant D pouill e de ces fronti res d chues de toute symbolique mais aussi d poss d e de son propre corps l tre viol a la conscience d habiter un corps d pourvu de vie mais aussi d pourvu de mort Cette position interm diaire entre la vie et la mort est celle du n ant Le corps viol erre dans l espace du n ant tout en tant un corps de chair il ne souhaite pas rester dans cette chair morbide maudite meurtrie mais PR ee x A e198 les possibilit s de fuir se r sument a une seule le suicide Philippe Bessoles Le viol du f minin tra
101. ev e dans l incipit et abord e de nouveau dans ce chapitre XII la narratrice accuse par ailleurs le vous d tre aveugle Vous pourriez voir un ange passer sans le savoir Et vous pourriez fr ler un tre de l enfer environn de cet air tumultueux et sans repos qu il respire en permanence et vous ne le sauriez m me pas ML 117 118 n ayant ainsi pas su pas pu ou pas voulu suivre les conseils prodigu s plus t t Quant aux narrataires intradi g tiques fid les leur narratrice ils ne semblent jouer de prime abord que le simple r le de soutien de docile auditoire imaginaire et r confortant Leur pr sence aide remplir le vide du silence et de l absence bien qu eux m mes ne soient que des objets de pure fiction production d une folie latente qui ne tardera pas merger spectres de souvenirs pass s aur ol s d un bonheur ph m re tudiant les significations de la pr sence du narrataire qu elle nomme partenaire occult Carole Connolly dans son chapitre 65 Les m tamorphoses du narrataire s est questionn e justement sur ce que pourrait r v ler en filigrane le surnombre ou la surpopulation de narrataires comme c est le cas avec Moi l interdite Ainsi l a r it ration de sa pr sence peut servir convaincre le narrateur qu il s adresse bel et bien quelqu un refl ter son besoin d affirmation verbale ou accuser sa profonde solitude et son
102. evient possible de lire cette litt rature comme une tentative de refus l gard non plus seulement de l h g monie coloniale mais aussi des syst mes de pouvoir et de domination qui sous tendent une autre forme d h g monie symbolique celle de la mondialisation f roce laquelle est ressentie de mani re beaucoup plus vive et amplifi e en situation insulaire En s engageant sur ce terrain de la violence les romans mauriciens font plus que simplement s int resser une th matique commune ils s interrogent sur les fondements m mes d une soci t qui volue tr s rapidement et ils s l vent contre les syst mes de pouvoir et de domination en adoptant un discours qui en d nonce la violence aussi bien sourde qu explicite Ce regard permet du coup a la fois une lecture sociale et anthropologique de l le Maurice vue de l int rieur indispensable une d marche de lib ration Ainsi pour se lib rer d une h g monie prot iforme dite symbolique il faudrait d abord se lib rer d une image prison cr e de toutes pi ces par cette m me h g monie C est donc un combat d images qui se livrerait travers la production litt raire mauricienne et une victoire qui ne se gagnerait qu la lueur d un d voilement de ce qui est authentiquement vrai Emile Fromet de Rosnay All gorie et letricide l h t rog ne dans Moi interdite d Ananda Devi critures maur
103. fille mari e l ge de treize ans Dans un premier temps pris en charge par Mouna sous la forme d un r sum la narration modifie peu peu son centre 50 d orientation en glissant vers une perspective narrative di g tique celle de la grand m re Cet homme l avait achet e a bas prix pour un trait rouge au milieu de la raie et des anneaux d argent au nez et aux orteils Mon destin a t de trottiner par les couloirs a briquer les planchers et a laver le linge sale dit elle en riant dans son sommeil jusqu a ce qu une barrique d eau tomb e sur moi me paralyse pour le reste de ma vie Une autre fois elle parle des enfants arriv s les uns apr s les autres sans arr t dix onze douze Jusqu a la treizi me une petite fille une sept moi toute noire n e une heure n faste un samedi Morte au moment de la naissance Enterr e sous le badamier touff e au berceau devant mes yeux prisonniers et mon corps d vast Pourquoi La malchance Elle ferme les yeux et croit dormir mais sa bouche continue de pleurer Elle ferme les yeux pour ne pas se souvenir mais la m moire la hante ML 26 27 Cette perspective narrative di g tique confin e l int rieur de guillemets vient s entrem ler au flux de l instance narrative premi re offrant un double regard sur cette malheureuse vie regard externe dans un premier temps avec l usage du r sum objectif et regard
104. folie et plus que cela le d lire d voile plus pr cis ment un trouble de d r alisation Ce trouble ne semble tre que la cons quence de ses multiples enfermements la d connectant chaque jour un peu plus du concret de l ext rieur dont elle finit par se m fier comme en t moigne ce passage interrogatif qui a lieu dans le four a chaux Y avait il jamais eu quelque chose la bas Une ile au vacarme de tous les mondes press s de se d velopper des gens de plus en plus sourds la voix du c ur des autobus et des voitures qui ressemblaient des b tes pondant des ufs graisseux sur la route Un conte un conte encore que tout cela ML 43 44 Qui dit passage dit aussi possibilit d aller et venir entre les divagations et la conscience de celles ci En remettant en cause la v racit de ses dires Mouna s autorise un retour vers un peu de clairvoyance Ainsi apr s avoir confi a Lisa qu elle avait elle m me tu sa propre grand m re elle revient sur ses pas Est ce moi qui l ai coup ce fil apr s tout Je ne sais plus ML 82 Toujours formul e sous forme de question et non sous forme d affirmation pure elle conteste en m me temps qu elle alimente l ind cision Pourtant dans l expectative de s duire son narrataire par la persuasion la narratrice ins re son doute dans un espace discursif par un marquage graphique les parenth ses Parfois pourtant un doute me vient A t il
105. ge je ne me souviens plus de son aspect si tant est que je l ai connu Il n a aucune importance bec de machin ou pas Ma famille n tait pas belle il faut le dire Mon p re avait les ongles noirs comme si accroupi seul au milieu des champs immobiles il labourait la terre de ses mains ML 50 La suite se poursuit naturellement sur un autre souvenir jusqu au chapitre suivant abandonnant par ailleurs l amorce du r veil Ces rem morations identifi es comme tant des analepses internes n interviennent donc que de mani re ponctuelle contrairement au r cit du four chaux qui constitue de v ritables blocs narratifs jamais interrompu par le surgissement du pr sent Le r cit four chaux dans sa continuit permet une compr hension avant tout horizontale du r cit r pondant la question implicite quel s v nement s explique nt l enfermement de Mouna V ritable fil rouge dans cette chronologie saccad e il s oppose l aspect plus pisodique des souvenirs du r cit post four chaux dont la compr hension est avant tout verticale L absence d indications pr cises sur la port e ne permettant pas de les classer ils ne font que se superposer les uns aux autres comme des v nements vierges de d but de fin de suite Ces souvenirs ne prennent pas sens dans une lin arit qui induirait l id e d une gradation voire d une surench re vers le 43 pire mais dans u
106. i vre en lequel elle voit une marque de mal diction Sa m re refuse m me de l allaiter L enfant est alors victime de graves troubles psychiques Kumari R Issur Psychopathologies dans l uvre d Ananda Devi Les repr sentations de la d viance Corinne Duboin dir Paris Harmattan 2005 pp 203 208 Thid p 203 5 Jbid p 203 Jbid p 204 7 Ibid p 204 8 Jbid p 204 Ibid p 204 Infirmes du sentiment et en manque d affection les h roines n es au sein de famille dont les p res sont violents et les m res sont complices ou absentes sombrent dans la douleur et la folie faute de n avoir pas t convenablement aim es S int ressant aussi la sacrosainte trinit des tabous sexuels viol inceste prostitution leitmotiv puissant de l criture d Ananda Devi Kumar Issur inventorie l affligeante liste des s vices sexuels perp tr s sur toutes les h ro nes deviniennes d montrant ainsi que soit ces pratiques sont exerc es par des personnages d viants soit elles fragilisent le psychisme des victimes et les poussent la d rive Au del du simple inventaire consternant c est litt ralement un monde que met en relief les observations de l article enfant es dans l humiliation et la soumission Daya et ses s urs sont les fruits m rs de la cruaut mi victime mi bourreau prisonni res la fois de leur famille de leur couple de
107. iciennes au f minin penser l alt rit V ronique Bragard et Srilata Ravi dir Paris Harmattan 2011 pp 111 132 4 Emmanuel B Jean Fran ois loc cit p 525 4l Thid p 527 Ibid p 526 527 12 Cela tant dit la question demeure peut on encore apporter du renouveau dans l analyse discursive de la violence chez Ananda Devi Le choix d tude de ce m moire postule que oui et rappelle par ailleurs que la production de l auteure offre certes une homog n it dans la th matique et dans la d marche mais elle conserve aussi une particularit dans l expression et le d veloppement de cette m me th matique qui se renouvelle dans chacun de ses romans LA NARRATRICE DE MOI L INTERDITE UNE ANTI HEROINE HORS DU COMMUN Publi en 2000 Moi l interdite raconte de mani re d cousue la vie de la narratrice baptis e Mouna La Guenon ML 12 par son fr re marqu e au visage par un bec de li vre Narrant son enfance malheureuse au sein d une famille qui aura pour motivation premi re de se d barrasser d elle Mouna t moigne du rejet dont elle souffre tr s t t de la violence parentale dont elle sera l unique r cipiendaire de l amour ind fectible que nourrit sa grand m re grenier son gard et finalement son abandon et son oubli dans un four chaux l arri re de la maison ML 31 R cit r trospectif narr la premi re personne du singulier et se d roula
108. ie de moi servait de nourriture ce petit peuple ML 44 Le chapitre six laisse ressurgir de nouveau l usage du pr sent de l indicatif Je suis r veill e ML 49 rompant de nouveau avec le ton m moriel lourdement instaur avec l usage plus automatique de l imparfait au d triment du pass compos De nouveaux souvenirs viennent s inviter dans la cellule et l esprit de Mouna mais ceux l ne poursuivent pas le r cit amorc du four chaux Ces souvenirs pisodiques relatent une fois encore son existence aupr s de sa famille et de sa grand m re grenier r cits par cons quent ant rieurs au four chaux Ils d crivent le d sir latent d abandon ressass durant de longues nuits et l incendie de l table Le chapitre sept se poursuit dans la cellule toujours au pr sent de l indicatif indice textuel devenu primordial et nous permettant de nous situer Mouna y fait part de ses impressions de ses sensations et de ses r flexions accentuant ainsi l aspect contemplatif et videmment passif de sa r clusion Le chapitre sept est marqu 41 d une part par l arriv e de Lisa qui jouera le r le de la confidente et plus tard transgressera les lois en lib rant Mouna d autre part par le d lire dont est victime Mouna confondant Lisa avec ses s urs Ce chapitre s ach ve de nouveau par une allusion son enfant perdu Le chapitre huit r alise de nouveau un retour dans le pass et poursuit
109. ie trac e en appliquant Jbid p 18 46 Jbid p 23 24 47 Gerald Prince Narratologie classique et narratologie post classique Vox poetica http www vox poetica org t articles prince html consult le 21 ao t 2013 8 Ibid Ansgar N nning loc cit p 22 5 Thid p 22 5l Tbid p 18 52 Gerald Prince Narratologie classique et narratologie post classique loc cit 16 les m mes interrogations au texte d Ananda Devi et plus particuli rement celle sur la signification Notre tude s articulera en deux volets une premi re partie met en avant le principe d amoncellement de divers proc d s narratifs duquel d coule une surabondance du d tail qui r v le en m me temps qu elle noie la protagoniste principale en plein exercice discursif La seconde partie de l analyse se concentre plus sur les relations ali nantes tablies par la protagoniste principale tout au long de son parcours toutes centr es autour de la probl matique de son corps monstrueux modifier et par cons quent d mat rialiser CHAPITRE I NARRATOLOGIE ET ALTERITE CONCEPTS NARRATOLOGIQUES CHEZ G RARD GENETTE La narratologie renomm e bien plus tard tudes narratives ou tude de la narration par des th oriciens comme David Herman dans l introduction de son essai Narratologies new perspectives on narrative analysis se d veloppe en France vers la fin des ann es soixante bien qu
110. iffes et des crocs ML 95 Quant ses sens ils se sont exacerb s la rapprochant plus de la nature et de ce qu Ananda Devi nomme la carnalit La transformation physique entraine aussi un changement de mode de vie poussant la narratrice consommer comme son compagnon canin J ai go t aux rats et aux mangoustes qu il tuait pour moi ML 94 Malgr un bouleversement physique notable et la sortie du four chaux Mouna d couvre avec stupeur qu il lui reste un semblant d humanit qui peine se 176 Tbid p 52 177 Jean Fran ois Bordron op cit p 52 vig Serge Meitinger Indianit f minit et universalit du f minin dans l uvre d Ananda Devi un rapport singulier au corps v cu dans son imm diatet et dans sa proximit a l ensemble du vivant naturel http www larevuedesressources org avatars de la deesse 921 html consult le 21 ao t 2013 81 dissoudre dans cette nouvelle existence Ainsi son identit symbolique au lieu de s affirmer par la conservation d un nom propre selon Bordron s ext riorise par l omnipr sence du pass dont jaillissent de multiples souvenirs Malgr mes transformations il restait en moi quelque chose d humain Je pouvais moi penser au pass me repr senter le visage de ma famille meurtri re entendre la voix de grand m re grenier et imaginer un futur qui n avait plus aucun sens ni aucune mesure
111. interne dans un second temps avec l usage du discours direct rapport explicitant l aide de m taphores un sentiment de chagrin profond Ces deux voix enchev tr es se retrouvent dans une situation dialogique particuli re sugg r e par le refus des traditionnels tirets cadratins refus qui met en avant exp rimentation incessante qui cherche ouvrir de nouveaux espaces d change Ces nouveaux espaces d change vis s par Marie Pascale Huglo sont ici repr sent s par celui de la m moire avec son temps m moriel anachronique et infini Alors que la mort les s pare les pouvoirs de la narration outrepassent les interdits en rendant possible la r union inesp r e de ces deux mes esseul es Paroxysme de cette transcendance durant la sc ne de viol o ce duo vocal inattendu vient faire front l agresseur dont la voix est elle aussi pr sente 130 Marie Pascale Huglo op cit p 120 51 Je suis partie dans un coin de ma m moire J coute le chant de grand m re grenier Je respire l odeur de son sari de coton blanc Je l entends qui me berce longuement longuement soja rajkumari soja je suis sa princesse recroquevill e dans le pan du sari tendu en berceau entre ses jambes inutiles elle me masse les jambes et les bras avec de l huile parfum e ton corps est parfait me r p te t elle sans cesse comme sentant mon d sarroi Elle me regarde droit dans les yeux elle ne d tourne pas l
112. ire occult manifestations du narrataire dans le roman qu b cois Ottawa Editions David 2003 195 pages DEL LUNGO Andrea L incipit romanesque Paris Seuil 2003 376 pages GENETTE G rard Figures III Paris Seuil 1972 285 pages Discours du r cit Paris Seuil 2007 435 pages HUGLO Marie Pascale Hu Le sens du r cit pour une approche esth tique de la narrativit contemporaine Le th tre du roman La compagnie des spectres de Lydie Salvayre Villeneuve d Ascq France Presses Universitaires du Septentrion 2007 p 115 127 JAKOBSON Roman Linguistique et po tique Essais de linguistique g n rale Paris ditions de Minuit 1963 p 209 248 LINTVELT Jaap Aspects de la narration th matique id ologie et identit Qu bec ditions Nota Bene 2000 306 pages N NNING Ansgar Narratologie ou narratologies Un tat des lieux des d veloppements r cents propositions pour de futurs usages du terme Narratologies contemporaines approches nouvelles pour la th orie et l analyse du r cit John Pier et Francis Berthelot dir Paris ditions des archives contemporaines 2010 p 15 41 PIWOWARCZYK Mary Ann The Narratee and the Situation of Enunciation A Reconsideration of Prince s Theory Genre Chicago IT vol 9 n 10 p 161 177 POP Liana Espaces discursifs pour une repr sentation des h t rog n it s discursives Louvain la Neuve Peeters 2000 258 pages
113. irs en attendant que les choses se fassent toujours dans le silence La dissidence n est pas la solution qu a choisie Mouna car se r volter pour elle l handicap e des sentiments et l investigatrice d affection c est possiblement perdre l amour de ceux qui par leurs coups ne la font pas sombrer dans le vide de l indiff rence Accrue angoissante et in vitable elle est toujours pr sente la violence Mais cette fois ci elle vient servir une narration aux fins diff rentes la monstration au seuil du narrable d une destruction Point de renaissance juste une annihilation dont on pourrait presque dire qu elle a t r alis e en bonne et due forme Mode d emploi effroyable et mortif re pour exterminer celle qui incarne l alt rit d rangeante et inacceptable Moi l interdite est semble t il le r cit d un altruicide presque r ussi EXPOSTION DU M CANISME TEXTUEL D UNE DESTRUCTION ANNONCEE Ananda Devi rompt avec ce qu il semble pourtant tre l un de ses leitmotive litt raires la dissidence f minine Dans Moi l interdite le son de la r volte ne se fera pas entendre par la voix de la narratrice mais celui de la lutte tr s probablement L int r t de notre tude est avant tout motiv par l absence de ce son de la r volte que doit on alors couter si ce n est pas le cri de la femme insurg e D une premi re lecture nous parviennent des cris des pleurs des soupir
114. it demeure ML 65 lui indiquant le passage du temps Sa cellule est d crite comme une pi ce troite dont les murs sont peints en vert sauf aupr s du plafond o la peinture s est caill e en fleurs de rouille ML 20 Hormis une simple ampoule pour l emp cher de sombrer dans l obscurit totale la narratrice ne peut juger du temps qui passe qu la fr quence des repas qu on lui sert de la venue de Lisa et malheureusement des viols r p t s Ballot e entre un temps qui ne passe pas tant il s allonge par la solitude J entends la solitude qui tombe en pluie et s tale en flaques sans reflets autour d eux Plic ploc une minute pass e Personne Et puis une autre Personne Et plus les minutes passent plus l absence s paissit et la flaque grandit la distance s accro t et tout doucement ils cessent d exister ils meurent d oubli noy s dans un oc an de solitude ML 61 62 1 Thid p 25 D Thid p 27 192 Michel Foucault crit ceci Il se trouve que les h t rotopies sont li es le plus souvent des d coupages singuliers du temps Elles sont parentes si vous voulez des h t rochronies p 30 88 Mais c est aussi un temps dont le passage toutefois in vitable vient se graver en lettres d ecchymoses sur son corps Mouna est doublement prisonni re d un temps meurtrier et d un espace qui l enduit d une couche paisse d anonymat l anonymat d
115. ivre dans ce capharnatim mont de toutes pi ces pour mieux oublier Cette noyade sonore s illustre tout particuli rement dans la narration avec l insertion de paroles de chansons populaires comme celles de la chanson d Heer et Ranjha directement ins r es dans le r cit sans guillemets sans tirets Dans chansons d amour indiennes ont tonitru tout autour de moi et ont fait revivre un instant les histoires de grand m re grenier La chanson de Heer et Ranjha ces deux autres h ros tragiques est venue cogner aux portes du souvenir deux c urs bris s vous qui habitez ce monde sans piti Mais j ai compris au tapage qui a suivi qu on mariait mes s urs ML 85 86 Ces voix anonymes venant de l ext rieur bien plus que de simples d tails esquissant le d cor socioculturel de l intrigue accentuent la porosit de la fronti re entre narration et description contribuant l apparition progressive d une polyphonie voire d une cohabitation vocale narrative Cette cohabitation se manifeste de mani re narrative et discursive travers l usage du r cit m tadi g tique et du discours indirect libre Le conte du Prince Bahadour et de la Princesse Housna r pond aux crit res du r cit m tadi g tique par excellence d finis par G rard Genette et plus tard repris 129 r autonome le conte est encadr et exploit s par Jaap Lintvelt et Jean Rousset par le r cit premier et est produit par un n
116. l the Changing Role of the Narratee loc cit p 34 62 de les rallier sa cause Comme l explique Gerald Prince il faut tudier le s narrataire s pour pouvoir d celer les prises de position fondamentales d un r cit En plus des prises de position r v l es travers une strat gie de s duction ou le contraire l int rieur du r cit qui est aussi message cette lecture et analyse affichent les rouages des types de rapport tablis entre narrateur narrataire et permettent en bout de ligne de caract riser le narrateur puisque le caract re d un narrateur personnage est r v l par les rapports qu il institue avec son narrataire autant sinon plus que par tout l ment dans le r cit La strat gie de s duction mise en place par la narratrice vis vis de son narrataire extradi g tique se laisse lentement deviner par son ind cision adopter une attitude loign e de toute contradiction Tandis qu elle pr nait le d tachement dans les premi res lignes et avisait le vous de ne pas trop chercher saisir ce qu elle allait lui confier le chapitre VIII manifeste un ton in dit Versatile la narratrice interpelle par un vous vous souvenez ML 70 son narrataire l incitant porter une attention et une vigilance toutes particuli res aux v nements cont s et leur chronologie Cet appel la vigilance est par ailleurs fortement appuy par deux sur justification
117. les l exclusion et la marginalit traumatique mais elles font preuve de d termination et de courage en op rant un v ritable acte de dissidence de r bellion de refus Car c est bien cela qu crit Ananda Devi avant tout l mergence tout prix d une insurrection f minine Acte jusqu au boutiste cette r volte revendicatrice exige comme unique monnaie d change la mort corporelle ou sociale et chacune d entre elles paiera de leur corps et de leur me cette libert inesp r e Aussi la fin de chaque roman le personnage f minin fait il les frais de sa r volte de son insoumission et de sa marginalit La fille ou la femme est marqu e soit par la mort soit par l impossibilit du bonheur Sur tous les plans les intrigues deviniennes sont en prise avec la question de la repr sentation de la violence et plus globalement sur l tablissement d une po tique de la violence Ainsi si du point de vue de la th matique l auteure exploite toutes les typologies de violence possibles et imaginables d faisant par la m me occasion certains tabous comme le viol ou encore l inceste d un point de vue linguistique la repr sentation de cette m me violence n est pas en reste Fid le un style qui se veut volontairement lyrique la langue d Ananda Devi est pleine d images pour toujours repr senter mieux repr senter vrai la souffrance la col re et Jean de Dieu Itsieki Putu
118. les lectures du corpus devinien ont abouti d une premi re constatation la violence est ind niablement omnipr sente Corollaire tous les autres th mes pr sents dans les romans que ce soit les relations familiales complexes l insularit la folie l amour impossible etc la violence s ins re partout de mani re subtile ou vidente De nombreux articles ont t r dig s sur cette th matique cl laissant penser que le terrain a d j t balay et cela de multiples reprises Un premier type d tude centr sur la question de l esth tique de la violence s int resse son inscription figurative au c ur du r cit devinien avec notamment l article de Julia Effertz et celui de Mouhamadou Ciss 1 Emmanuel B Jean Fran ois loc cit p 521 1 Thid p 521 S Tbid p 522 La textualisation de la violence selon Effertz dans Le pr dateur c est moi l criture de la terre et la violence f minine dans l uvre d Ananda Devi s inscrirait dans une peinture en mots d un environnement hostile et ambivalent qui s auto g n re et s autod truit travers et par la violence Les paysages lourdement alt r s par les drames naturels cyclones pluies torrentielles inondations d vastation des r coltes ou des champs de canne sucre etc refl teraient de mani re all gorique une violence rouge tre latente et mal supprim e celle d
119. les sp cifications pour en retirer ceci le concept d ali nation repose sur la notion de d possession par l autre l origine souvent d un sentiment de d perdition d un bien d une perte d un autre ou encore de soi comme autre A cela elle ajoute qu il serait galement pertinent de 149 yp Ibid p 26 150 Marie France Rouart Les structures de l ali nation Paris Publibook 2008 151 77 Ibid p 12 68 limiter le domaine de l ali nation l expression d un sentiment personnel de division avec soi m me d avec autrui et d avec le monde en g n ral Cette division qui dans notre cas trouve sa source dans la d sint gration de la famille entra ne l isolement social et cons quemment la solitude La narratrice de Moi l interdite prend rapidement conscience qu elle est diff rente du reste des membres de sa famille tous ligu s contre elle et pr ts se d faire ce qui a t manqu au sein de leur foyer Ma famille au complet dressait contre moi un rempart de refus cinq ans je venais de comprendre que je ne serais jamais pareille eux ML 12 Face cette n gation d int gration et le d sir familial quasi univoque et peine latent de r duire son existence la narratrice sombre dans un d sert d indiff rence dont l oasis messianique que repr sente sa grand m re deviendra rapidement un mirage lors du d c s de cette
120. lui ML 109 110 l amant finit par l abandonner au moment m me o elle d couvre sa grossesse Mouna se questionne sans vraiment s tonner sur les raisons de son d part Et puis le Prince Bahadour s est enfui Je n ai pas vraiment t surprise tait ce la peur tait ce l offense tait ce un songe ab m la violence de mes serments Ou tout simplement le refus de croire la beaut cach e dans un corps fait d absence ML 107 La r ponse semble se trouver dans cette ultime question et dans cette notion d un corps fait d absence la lecture du sari en retra ant la vie de la narratrice a mis au grand jour une chair mise nu ML 7 sur laquelle s est inscrite ind finiment les efforts d sesp r s de vouloir plaire de vouloir tre accept e de vouloir tre aim e de vouloir correspondre un mod le au d triment d un Moi ni et refoul qui a trop longtemps int rioris un discours du rejet presque banalis et un 56 id al plus que destructeur Finalement en se transformant au gr des volont s ext rieures d autrui en se conformant leurs r ves de carton pate ML 34 le Moi de la narratrice ressemblerait s y m prendre un Toi expression du reflet du d sir de l Autre NARRATAIRES FANTOMATIQUES L APPEL DE LA SOLITUDE Les premi res lignes de l incipit de Moi l interdite commencent comme suit Cette histoire coule
121. majorit que sur modern French culture Peter Collier Anna Magdalena et Olga Smith dir Oxford Peter Lang 2009 pp 229 239 124 Thid p 229 45 des v nements douloureux o la violence est ubiquiste et o les t moignages d amour et d affection se font rares disparaissant compl tement apr s la mort de la grand m re grenier Impr visible et imp rieux le pass vient craser litt ralement ce pr sent o la routine perd son sens premier pour laisser la place un n ant sans fond Mais comment s ancrer v ritablement dans un pr sent lorsque le pass duquel on vient duquel on est form est aussi br ch et instable Dans ce pass qu elle se reconstruit au rythme d une narration sinueuse qui la forme tout autant Fromet de Rosnay 20115 la narratrice de Moi l interdite d montre la difficult si ce n est l incapacit de s installer pleinement dans un pr sent h ritier malheureux d une fragilit d une friabilit ind fectibles offert par un pass malade Le contenu de ce pass absence d amour parental survivance face aux d sirs de mort etc se r percute sur sa propre reconstruction narrative probl matique constitu e de rebonds et manifestant des analogies inattendues qui se veulent parfois illogiques reflets fid les des mois impr visibles et chaotiques de la narratrice boulevers e Cle pass furibond qui d borde de son lit et qui bouscule le pr sent ca
122. ms at exposing the inner machinery of the narrative thematic corporal and relational aspects of the destruction of this Other mainly through a narratological approach Firstly the initiative of the disappearance can be observed through several narrative methods chronological complexity interlocking of several levels of discourses abundance of narratees Secondly the theme of disappearance is questioned in the alienating relationships developed by the main narrator for whom her deformed body is mainly what is at stake This will of destruction leads to the crazily sick narrator s re birth and death as the incurable after effects will prevent her from fulfilling her dream to belong to a fantasised Same Keywords destruction violence alienation otherness monstrous female body Mauritian literature francophone literature TABLE DES MATIERES iii R SUM I ABSTRACT II TABLE DES MATIERES II D DIDACE IV REMERCIEMENTS V INTRODUCTION 1 L CRITURE DE LA VIOLENCE CHEZ ANANDA DEVI N A T ON PAS TOUT DIT 5 LA NARRATRICE DE MOI L INTERDITE UNE ANTI HEROINE HORS DU COMMUN 12 EXPOSITION DU MECANISME TEXTUEL D UNE DESTRUCTION ANNONCEE 13 CHAPITRE I NARRATOLOGIE ET ALTERITE 17 CONCEPTS NARRATOLOGIQUES CHEZ GERARD GENETTE 17 LA NOTION DE NARRATAIRE SELON GERALD PRINCE ET MARY A PIWOWARCZYK 23 ANEANTIR QUI L AUTRE MONSTRUEUX AVEC SIMON HAREL ET PIERRE OUELLET 31 FAIRE PARLER LE MONSTRE CHEZ ANANDA
123. ne Cela me faisait trop mal Il le chien le savait et il m a appris progressivement interrompre ma m moire ML 94 et pour s immerger enti rement dans sa nouvelle enveloppe corporelle la narratrice prend de plus en plus conscience que son incursion dans le monde animal ne fait qu intensifier son humanit essentielle celle qu on lui a refus e et qui pourtant s affirmera puissamment Magali Marson dans son article Carnalit et 182 183 John Locke Essai philosophique concernant l entendement humain Paris Vrin 1972 Filippo Gilardi op cit p 58 59 83 184 4 m tamorphoses chez Ananda Devi voit d ailleurs cette animalisation comme un parcours initiatique Elle crit ceci La transmutation ontologique enfin d truit le vieux Moi et apporte l initi la conscience au sens de scientia savoir des lois sociales et de leurs limites de celles du monde et de la place qui est la sienne c est en atteignant les limites de leur soumission l instinct que les humanimaux retrouvent la leur humaine Mouna exp rimente tous les tats animaux avant ext nu e de 186 retourner dans le four chaux et de s y retrouver Ainsi Mouna se lance dans un long voyage tortueux voguant entre deux rives chancelant sans cesse entre la m moire d avant ML 97 et sa relation avec le chien qui lui offre ce dont elle a toujours r v de l
124. ne accumulation du d ja pire Mouna trangl e par sa m re Mouna coutant les fantasmes meurtriers de ses parents Mouna rejet e par ses s urs Mouna enterr e dans la braise encore fumante il n y a pas de hi rarchie de la douleur tout est d j souffrance tout est d j trop Alternant les r les la narratrice est la fois victime et t moin de cette injection de maux elle voit sa grand m re grenier impotente consid r e comme un fardeau et vou e elle aussi l isolement supporter avec difficult son envie d uriner Lorsqu elle voulait sortir mon fr re ou mon p re devait la porter Elle avait alors lair d un enfant le teint crayeux les yeux mornes et la bouche soupirante parce qu elle n aimait pas cette humiliation quotidienne ce voyage sans espoir jusqu aux latrines au fond de la cour Elle pr f rait se retenir pour retarder le plus possible l ch ance sa vessie se gonflait jusqu devenir douloureuse elle serrait les dents elle fermait les yeux et se r fugiait dans ses histoires ML 53 54 Ainsi l criture de la violence viendrait se loger dans ce refus d un chelonnement o tout irait crescendo dans cet amonc lement cet amassement sans fin d anecdotes sordides exposant finalement un immense tas de haine Cette infinitude d note l absence de pause l impossibilit de reprendre son souffle car l crivain doit user de proc d s multiples pour faire oublier
125. ne de l accouchement permettant d identifier le passage d une vie intra ut rine une vie extra ut rine les liens de parent ne sont reconnus nulle part dans le r cit aucun moment Mouna n est identifi e comme tant fille de ou s ur de Seule la narratrice permet de discerner la g n alogie et en corr lation son emplacement dans cette filiation qui r siste son inclusion et qui se complexifie par la contestation cat gorique des fonctions de certains et l attribution inattendue de celles ci d autres Face cette exclusion Mouna redouble d efforts pour satisfaire les d sirs de sa m re et faire clore les premiers mois d un amour maternel inexistant noyant toujours plus son corps dans l obscurit et l invisibilit L obscurit tait douce et s che elle soignait mes plaies gu rissait mes blessures lissait mes traits monstrueux me faisait telle que m avait voulue ma m re ML 13 Dans sa vaine tentative pour gagner le c ur de ses parents la narratrice modifie d lib r ment son aspect physique obstacle insurmontable entravant ses aspirations de normalit Alors que son fr re et ses s urs s panouissent sur tous les plans la narratrice poursuit sa lente descente vers l annihilation ankylos e dans sa d ception de ne pouvoir plaire se repliant encore plus sur elle m me J ai cess de grandir j e suis rest e maigre et froide comme un l zard ML
126. nfirmi re dans un acte de l gitime d fense D une main violette je l ai griff e Je sens l humidit du sang sous mes ongles et cela me d chire ML 65 La folie de Mouna ne semble se lire qu entre les lignes si l on omet volontairement son internement d sign e comme telle par son entourage que ce soit son violeur Cette folle va r veiller tout le monde ML 20 ou sa grand m re Les sa piti la li la kompran nayen enn fol sa Folle Elle disait que j tais folle ML 59 quant elle jamais elle n a us de ce terme pr f rant se nommer autre ou gar e contrairement aux vrais ali n s ML 61 710 mile Fromet de Rosnay loc cit p 115 21l Ananda Devi Colloque Penser l alt rit autour de l uvre d Ananda Devi et des crivaines mauriciennes contemporaines Ananda Devi nous parle de ses romans de ses personnages de son criture de ses lecteurs 30 novembre 1 d cembre 2007 p 275 99 L pisode hallucinatoire vient donc an antir toute la mission de re d finition dans laquelle s est lanc e Mouna en narrant son existence rappelant violemment que celle ci est bien d s quilibr e L emplacement de cet pisode est d autant plus strat gique et r v lateur qu il pr c de le r cit mettant en sc ne le chien Le court d lire de la narratrice permet d introduire un nouvel entrelieu un passage de la lucidit vers la
127. nous consume et la fois nous rassure L acte de juger et de jauger Autre correspond certes une mise distance qui fait de l tranger un personnage immat riel dont la configuration est soumise aux fantasmes projectifs du sujet autochtone L autre est donc par le regard d abord le fruit d une repr sentation ext rieure objectiv e que l on mod le notre guise propos duquel on s exprime et sur lequel on r fl chit Jean Paul Sartre dans le chapitre Le pour autrui extrait de son uvre phare L tre et le N ant s est longuement questionn sur la place d autrui ll Pierre Ouellet Quel autre L alt rit en question Le principe d alt rit Montr al VLB diteur 2007 p 8 112 Simon Harel op cit p 9 13 Jean Paul Sartre L Etre et le n ant Paris Gallimard 2004 35 tout au long de sa pratique philosophique Ce qui nous int resse particuli rement dans notre tude c est la description qu il donne de la rencontre premi re celle qui a lieu entre le corps d autrui et le regard de soi nous renseignant sur les teneurs de cette relation r ifiante Je dois saisir autrui d abord comme ce pour quoi j existe comme objet le ressaisissement de mon ips it fait appara tre autrui comme objet dans un second moment de l historialisation ant historique l apparition du corps d autrui n est donc pas la rencontre premi re mais
128. nstre dont il faudra se d barrasser Les croyances diverses la chargeront d un autre fardeau en plus de sa laideur celui d tre une mal diction Les cannes ont br l a t il dit enfin Kann inn brile Nu finn futi Nu finn futi Tout a c est de sa faute a t il cri soudain C est cette mal diction descendue sur nous ML 16 Elle se baptise elle m me la Cause endossant d finitivement la responsabilit des malheurs qui frapperont son village Son physique monstrueux ainsi que les interpr tations superstitieuses juxtapos es sa tare seront les principaux et les seuls crit res qui la d finiront la d terminant comme quelque chose avant tout de non humain C tait moi Le b b qui n en tait pas un ML 30 Amput e d s la naissance de son humanit Mouna ne fera qu inspirer du d gout et de la terreur aux gens qui l entourent hormis sa grand m re grenier assez pour que soient conspir s son endroit des projets de meurtre En r ponse la question qui cherche t on an antir de mani re irr vocable bien plus que simplement la narratrice de Moi l interdite c est tout le symbole de son existence que l on souhaite atteindre de mani re mortelle savoir l alt rit en mal de tol rance L Autre doit tre ainsi mis mort Le r cit de Moi l interdite est la fois une description m morielle presque hypermn sique de cette minutieuse destruction et en m me
129. nt savoir un d placement cons quent de la focalisation et une surpopulation de narrataires Dans les romans post 1960 la narration focalisation externe est d laiss e au profit d une narration focalisation interne Anxious to explore hitherto forbidden themes homosexuality incest social violence political and religious repression Quebec novelists rejected traditional third person novel genre in favor of highly experimental first person narrations Elle fait remarquer ainsi In the first person novel however the anonymous narrator is replaced by a character who tells his own story as he sees it The narrative act becomes part of the fiction and the narrator s relationship to this act as well as to his narratee is rendered explicit L usage de la premi re personne du singulier n alt re en rien l identit du narrataire qui reste tributaire du discours qu il re oit Cependant le narrateur en ce qu il d voile ce qu il a de plus intime que ce soit son pass ou ses pens es voit son rapport ce public fictif qu il construit se modifier sans cesse La surpopulation des narrataires All sorts of narratees from the anonymous narratee outside the story or a specific non fictional instance such as the Establishment or fellow revolutionaries to the narrator s alter ego or another E Agn s Whitfield Reading the Post 1960 Quebec Novel the Changing Role of the Narratee
130. nt sur plusieurs espaces g ographiques il est enti rement relat depuis l asile psychiatrique o la narratrice est claquemur e depuis l infanticide de son fils noy dans un lac durant un clair de folie lucide Analyser Moi l interdite et surtout s int resser sa narratrice c est s accorder et se questionner sur sa diff rence profonde ce r cit d Ananda Devi n offre pas un discours en filigrane sur une dissidence f minine en puissance comme tous les autres Certes bon nombre de points communs rapprochent Moi l interdite des autres romans d Ananda Devi comme Pagli ou Soupir une anti h ro ne qui est le sujet narrant du r cit le point de vue interne est un proc d tr s utilis chez l auteure mauricienne le conflit l int rieur de la cellule familiale montrant cette occasion les dysfonctions profondes et inh rentes la famille et le rejet qui d coule de ce conflit impossible r soudre la transformation physique en animal et en corr lation a cette m tamorphose corporelle la mutilation du corps f minin la violence quasi mortif re et l autodestruction Pourtant au del de ces similitudes d apparence Mouna n est pas une Daya ou une No lla comme les autres car elle ne se r volte pas ou alors trop peu en comparaison de ses s urs Face sa famille haineuse elle se fera toujours plus petite toujours plus discr te face son violeur elle s vadera dans ses souven
131. of both groups in the same book serves to 101 dramatize the tensions within the narrator Hormis cette fonction de soutien ou de bouc missaire que peuvent arborer les narrataires Whitfield ne s attardera pas sur d autres ventuelles fonctions port es par les narrataires Pour rem dier a ce manque il faut de nouveau faire appel a Prince et son Introduction l tude du narrataire Prince cible au total six fonctions qu il r sume ainsi Le narrataire peut donc exercer toute une s rie de fonctions dans un r cit il constitue un relais entre narrateur et lecteur il aide pr ciser le cadre de la narration il sert caract riser le narrateur il met certains th mes en relief il fait progresser l intrigue il devient le porte parole de la morale de l uvre Dans le cadre de notre tude sur la relation entre narrataires et narrateur et comment les adresses faites aux narrataires peuvent nous aider d terminer qui est le narrateur ce qui le concerne ce qui le pr occupe etc nous nous int resserons principalement au paragraphe d di la caract risation Prince tablit comme premier postulat que le narrateur con oit lui m me son narrataire travers des rapports qui au final le d finissent aussi Pour illustrer ce fait prenons pour exemple un narrateur qui justifierait sans cesse ses actions ce qui 100 Thid p 34 10 Thid p 34 102 Gerald Prince Introduction l tu
132. onte varie proposant diff rentes versions selon le temp rament de la conteuse elle fermait les yeux et se r fugiait dans ses histoires Peu a peu sans qu elle s en rende compte celles ci devenaient sauvages et tortur es Elle livrait alors la cruaut des hommes ses deux protagonistes ses deux mes pures elle les claboussait de toute la boue et la douleur ML 54 R cit ench ss et parall le la narration de Mouna ce conte produit une voix et un ton in dits v ritable alternative l instance narrative principale en plus d avoir une fonction th matique Cette voix secondaire est par ailleurs singuli re puisqu elle est avant tout fantomatique survenant g n ralement durant les pisodes de rem moration de l instance narrative Ainsi travers un discours tant t transpos tant t rapport la narratrice raconte les conversations chang es avec sa grand m re pendant son enfance devenant l unique narrataire di g tique de ces histoires Et alors elle se r fugiait dans ses contes moi ses pieds en auditoire fascin ou sceptique ML 26 Ces instants de conte donnent l occasion Mouna de relater la vie de son unique alli e lorsque p arfois dans un tat de somnolence elle passait du mensonge la v rit ML 26 juxtaposant une nouvelle strate de souvenirs son propre r cit m moriel Est alors retrac e en quelques mots une vie de souffrance celle d une jeune
133. ormaux que d crit Michel Foucault l exclusion du l preux chass hors des limites de la cit c est le cas des lieux d exclusion organis s par le village et les institutions politiques et l inclusion du pestif r dont les mouvements sont circonscrits et contr l s l int rieur de la cit qui s apparente dans notre corpus aux lieux improvis s de la mise l cart du monstre et qui restent li s au foyer et la maison Les lieux d exclusion peuvent tre organis s par la soci t afin de mettre le monstre l cart c est le cas de l asile pour Gungi ou pour l Interdite Son parcours d voile ainsi cette propension tendre vers ces lieux retir s et d tourn s parfois comme le four chaux devenu refuge de fortune Toutefois il d voile aussi la difficult de Mouna se fixer investir pleinement et durablement les lieux qu elle traverse Elle croit trouver enfin aupr s des insectes qui la d vorent un espace vivre Je me rendais compte que je n avais aucun lieu propre sauf ici o je m offrais o j tais re ue o j tais absorb e o j tais transform e ML 69 mais elle s illusionne ne se rendant pas compte de l aspect mortif re que rev t sa situation Un espace pour mourir plut t que pour vivre avant l arriv e salvatrice du chien La narratrice de Moi l interdite est donc en qu te aussi d appropriation et d appartenance
134. oureuse ph m re Cette fresque pass iste vient alors s ench sser l int rieur du r cit premier faisant presque dispara tre ce dernier Il faut d finir succinctement la structure du roman afin de rendre compte du degr d enfouissement du r cit premier clips sous les diff rents r cits subordonn s L incipit r dig principalement au pr sent de l indicatif et au pass compos ne s inscrit dans aucun espace temps d fini semblant presque m me si ger dans un futur flou un apr s depuis lequel la narratrice s adresse un narrataire fictif A celui ci elle lui livre en son absence des mots qui ne sont qu une ombre une illusion d envol et de rupture l infime cassure de ses r ves ML 8 finalement une sorte de r cit fant me d une voix qui fut ou en tout cas qui n est plus pas l Un premier souvenir est ensuite narr Un jour assise c t du corps de ma grand m re grenier morte d attente je me suis souvenue ML 7 suivi par un 120 Jean Ricardou Probl mes du nouveau roman Paris Seuil 1967 p 161 121 Genette Discours du r cit op cit Toute anachronie constitue par rapport au r cit dans lequel elle s ins re sur lequel elle se greffe un r cit temporellement second subordonn au premier dans cette sorte de syntaxe narrative Nous appellerons d sormais r cit premier le niveau temporel de r cit par rappor
135. p 142 143 66 CHAPITRE III DU DIFFORME A L INFORME ALIENATION CORPORELLE ET PSYCHIQUE La narratrice de Moi l interdite confronte son monde et elle m me son absence de conformit physique faisant d elle un tre avant tout difforme c est dire qui s carte de la norme qui pr sente un aspect d sagr able par des formes irr guli res et pour finir qui est monstrueux ou susceptible d accomplir des actes monstrueux Hors norme le difforme provoque tr s souvent un choc un branlement car il chappe l attendu l imaginable en accusant et ou r cusant nos formes de perception nos structures de pens e nos normes et nos habitudes nos attentes et nos pr jug s et donc notre conception de l humain signant sa non appartenance d finitive au fantasme de la normalit Tr s t t Mouna prend conscience de ce choc dont elle est l origine en m me temps qu elle r alise le poids de son physique disgracieux Les yeux qui s ouvrent sur un monde nouveau n ont aucun rep re Tous les visages sont les miroirs d une chose qui provoque l horreur Ils s esquivent d rapent Puis lorsqu enfin ils osent regarder c est avec m pris et envie de d truire ML 31 Cette synecdoque d signant les femmes assistant l accouchement par leur visage et donc par leurs regards inquisiteurs et jugeurs insiste sur cette fixation horrifiante qui refuse
136. pas moins une certaine continuit identitaire remarquable par l absence de modification de la focalisation interne et des aspects caract risant la tessiture de la voix narrative C est notamment sur cette permanence identitaire malgr les mutations formelles que Jean Fran ois Bordron dans son article M tamorphoses et identit s d finit le terme m tamorphose l int rieur d une r flexion s miotique Les m tamorphoses peuvent tre consid r es comme des cas particuliers de transformations dans lesquelles des entit s perdent plus ou moins leurs aspects premiers pour rev tir des formes nouvelles et g n ralement impr visibles Ces changements peuvent tre plus ou moins rapides et ob ir des motifs si divers qu il semble d abord improbable de pouvoir en extraire quelque r gle g n rale Un trait cependant para t caract riser les m tamorphoses parmi les autres esp ces de changements il faut simultan ment que la nature des tres paraisse A ar 168 radicalement boulevers e et que pourtant leur identit demeure 165 166 Vicram Ramharai Ananda Devi repenser l identit mauricienne art cit p 106 Dans Le sens du r cit Marie Pascale Huglo dresse une liste non exhaustive de ce qu elle d signe comme tant des outils d analyse et qui dans notre tude pourrait s apparenter aux aspects dits caract riels d une voix narrative Le lexique les figures l
137. plut t comme une continuation une prolongation un raffinement un largissement de cette derni re Ainsi contrairement l approche l mentariste ou analytique ou combinatoire ou 49 gi ee ascendante pr n e par la narratologie classique celle pratiqu e par Genette Todorov Greimas etc qui s av re cependant plus que fondamentale la narratologie post classique se veut plut t synth tique et int grative Elle s int resse au processus et pas seulement au produit de la recherche 51 narratologique se posant notamment des questions sur le rapport entre structure narrative et forme s miotique sur leur interaction avec l encyclop die la connaissance du monde sur la fonction et non pas seulement le fonctionnement du r cit sur ce que tel ou tel r cit signifie et non pas seulement sur la fa on dont tout r cit signifie sur la dynamique de la narration le r cit comme processus ou production et non pas simplement comme produit sur l influence du contexte et des moyens d expression sur le r le du r cepteur sur l histoire du r cit autant que son syst me les r cits dans leur diachronie autant que dans leur synchronie et ainsi de suite Mais pourquoi parler de narratologie post classique D une part pour souligner la modernit de sa r flexion sur les tudes narratives mais surtout pour t moigner du souhait de la pr sente tude de suivre cette vo
138. ponde Le narrataire existe donc travers le discours du narrateur et c est l int rieur de celui ci qu il faudra y d celer les signaux de pr sence le portrait du narrataire se d gage avant tout du r cit qui lui est fait Mary Ann Piwowarczyk rajoute que ces signaux plus que de simples indicateurs de pr sence sont aussi des indices pouvant r v ler certaines informations sur le narrateur Suivant cette id e ces informations pourraient par la m me occasion nous d voiler une certaine perception qu a le narrateur de son ou ses narrataires Mais avant de poursuivre rappelons quels sont les signaux list s cette tape il est plus judicieux compte tenu de ce qui a t dit plus haut savoir que Piwowarczyk propose de red finir les cat gories de Prince de se r f rer exclusivement son article Piwowarczyk liste donc les signaux de Prince direct references inclusive and indefinite pronouns questions and pseudoquestions negations demonstratives comparisons and analogies and surjustifications Par la suite elle rappelle que tous ces signaux entretiennent un lien troit avec la situation d nonciation incluse dans le r cit narratif All the signs of the narratee can be derived from and Natalie Richard Evolution de la relation narrateur narrataire dans lunivers romanesque de R jean Ducharme M moire de maitrise Universit de Laval Qu bec Canada 1997
139. r presque rien Que lire alors derri re l pisode de la rencontre avec le compagnon canin Plus un d lire qu un v ritable souvenir L expression brute et symptomatique d une n cessit celle de vouloir chapper aux quatre murs qui retiennent prisonni re la narratrice La folie et le d lire s expriment ainsi dans la travers e des espaces divers sur tous les niveaux possibles per ant les bordures entre fond et forme pour mieux les alt rer La folie de Mouna se nourrirait toujours plus de la confusion de la porosit des seuils entre illusion et r alit Conclure sur la folie latente de la narratrice la fois palpable tout en tant volatile 2127 p Ph ise Oph Pake ve Liana Pop Espaces discursifs pour une repr sentation des h t rog n it s discursives Louvain la Neuve Peeters 2000 213 Marie Pascale Huglo op cit p 115 127 214 Marie Pascale Huglo note de bas de page op cit p 117 101 Mais cette folie dont nous abordons le sujet pour la premi re fois qu travers cet investissement manqu des espaces ne s est elle pas d j trahie discr tement a travers l amoncellement de diff rents dispositifs la fois narratifs th matiques et discursifs explicit s tout au long de notre tude se laissant suivre la trace Les voix des personnages viennent recouvrir tout comme le corps lourd du violeur les bruits environnants d une le braillarde cherchant noyer ses pl
140. re le viol Paris Non Lieu 2007 163 pages C TUDES SUR LA M TAMORPHOSE ET L INFORME BORDRON Jean Fran ois Le sens de la m tamorphose M tamorphoses et identit s Marion Colas Blaise et Anne Beyaert Geslin dir Limoges PULIM 2009 p 49 63 GILARDI Filippo M tamorphose et identit d Ovide au transsexualisme Nantes Odin 2008 207 pages PLANA Muriel Des monstres des spectres des crans formes du mythe et mythe de la forme dans P O M P E I 2 fouille de Caterina Sagna De l informe du Difforme du Conforme au th tre Yannick Butel dir coll Liminaires Passages interculturels italo ib riques vol 15 Bern Peter Lang p 15 33 106 VAUTRIN Eric Les anges du bizarre ou les corps ab m s dans le th tre de Romeo Castelluci des ann es 90 dans De l informe du Difforme du Conforme au th tre Yannick Butel dir coll Liminaires Passages interculturels italo ib riques vol 15 Bern Peter Lang 2010 p 67 79 D ETUDES SUR L ALTERITE HAREL Simon L tranger dans tous ses tats enjeux culturels et litt raires Montr al Editions XYZ 190 pages OUELLET Pierre Quel autre L alt rit en question Montr al VLB Editeur 2007 378 pages E AUTRES TEXTES BADINTER Elisabeth L indiff rence maternelle L amour en plus histoire de l amour maternel XVIIe XXe si cle Paris Flammarion 1980 pp 107 183 FOUCAULT Michel L
141. ress par le jaillissement d un insolite je ph m re et implicite celui de la m re qui peine lu s est d j vapor Tyrannie d une voix maternelle qui parasite et qui se joue des r gles narratives et discursives celle ci s approprie de mani re machiav lique un discours en le prenant en otage et en l alt rant profond ment par la transcription en mots de son aversion Mais par dessus tout cette voix vient s implanter dans l intimit plus ferm e de la narratrice accentuant sa vuln rabilit et ses d faillances psychologiques 77 largement corrod es par des relations familiales motionnellement plus que pr caires Rendu instable de par sa perm abilit inqui tante ce monologue perdant peu peu de son autonomie est finalement rong depuis l int rieur s affaiblissant au fur et mesure que la narratrice poursuit sa lente descente dans les d dales de ses souvenirs MOUNA ET SON COMPAGNON CANIN DOMINATION AFFECTIVE La rencontre entre la narratrice et son futur compagnon canin est un pivot dans le r cit puisqu elle amorce le d but d une relation plac e la fois sous le signe de la tendresse et la compr hension mais h las aussi sous le signe de la violence insidieuse ayant pour levier une d pendance affective De plus cette rencontre pr c de la m tamorphose de la narratrice en louve garou basculant par s duction et n cessit dans le versant animal de son identit ver
142. rice apr s le vous de l incipit mais surtout il est le premier narrataire intradi g tique il survient au chapitre III coute bien et n oublie rien homme de tous mes jours ML 23 L identification rendue possible de l amant se fait d une part gr ce au surnom affectueux homme de tous mes jours ne pouvant correspondre ni au p re ni au fr re ni au fils mort les deux seuls autres protagonistes masculins d autre part gr ce la description anticip e entre les ruines de ton corps avec des clats d or et de suie ML 23 de l tre aim repris plus tard lors de la rencontre je l ai reconnu la tendresse de sa bouche tout encore emplie de faim l or qui habillait son regard lorsque le cr puscule venait s y blottir aux poussi res de suie sous ses ongles comme s il semait la nuit MZ 104 105 Le surgissement de cet autre destinataire di g tique n est en rien d au hasard et pour cause enferm e dans sa cellule la narratrice d plore sa condition d ali n e ou comme elle se d finit elle m me d autre Nous ne sommes pas malades ne comprends tu pas Seulement autres et n s pour nous accrocher d autres croyances et d autres espoirs Seulement autres ML 78 la condamnant au silence et l ignorance du moins jusqu l arriv e de Lisa Pendant et apr s son viol dans le chapitre II elle fait part de cette impossibilit
143. riture migrante Po tique des lieux Presses Universitaires Blaise Pascale 2004 p 333 98 Si l histoire n a peut tre aucune r alit est ce que la narratrice nous invite p n trer dans un monde fictionnel Le peut tre indique que rien n est moins s r Ici par cons quent la d marcation cr e entre la fiction le monde des apparences et l illusoire d une part et la v ritable histoire de la narratrice 210 d autre part serait difficile Entre songes et veil les souvenirs de la narratrice se perdent dans ce nouvel entre deux plus symbolique justifiant par ailleurs le caract re fantastique de sa rencontre avec les insectes ainsi que sa relation amoureuse avec le chien L arriv e de l infirmi re Lisa vient rompre ce balancement en faisant surgir la r alit du pr sent Cependant sa rencontre bouleverse profond ment la narratrice car comme l explique l auteure dans une entrevue Quand elle rencontre Lisa et qu elle rencontre enfin la compassion humaine elle ne peut pas le supporter Cela d clenche pour la premi re fois un pisode hallucinatoire de la narratrice durant lequel elle confond Lisa avec ses s urs C est ma s ur qui est revenue Non mes deux s urs Revenues me torturer de leur mollesse et me plonger la figure dans la cendre de mes d chets brasser mes r ves de vie ordinaire et de c urs tendus ML 65 Elle finit par agresser l i
144. ruption de la voix de la grand m re grenier interrompant le duo infernal le ton la fois descriptif et d tach de l h ro ne vient in vitablement accentuer l horreur de la sc ne Le d coupage du corps op r par le regard et l anaphore exprime par ailleurs la lente mutilation en puissance dont est victime Mouna Ne luttant certes pas contre les assauts de son agresseur Mouna d roge pourtant a la r gle tacite du silence qui recouvre d ordinaire le viol en se confiant a Lisa car comme l explique Rennie Yotova Parler du viol est d j un acte de transgression Le viol rel ve du secret de ce qui ne devrait pas tre dit car nommer la chose immonde c est lui donner une existence tandis qu on cherche a l oublier 1 Thid p 11 92 l enterrer La narratrice s oppose d s lors aux tous premiers mots de son violeur situ s au d but du chapitre II n obtemp rant pas ses ordres vindicatifs Tu vas te taire Cette folle va r veiller tout le monde Silence WL 19 Toutefois la simple rem moration de l v nement par l acte de la confidence prend une ampleur dramatique Au plus profond de la m moire de la narratrice vient ressurgir de mani re inattendue la voix de son violeur Quel travail Celui de m explorer Partout Ici et la touche tu sens les ecchymoses Tu aimes ce mot C est ainsi qu il appelle les bosses qu il me fait il murmure fais voir les ecch
145. s quelques 14 dialogues chuchot s dont le souci de la discr tion encourage redoubler d attention Sur ce corps ind sirable qu est celui de la narratrice il pleut toutes les offenses possibles et imaginables ce corps qui transpire la trop grande disparit et que tout le monde s vertuera faire changer pour mieux l clipser lui et sa monstruosit Nous ne parlerons jamais vraiment de meurtre mais plut t de destruction celle qui fait couler tr s peu de sang et dont la mort n est pas tant l issue fatale que juste l vaporation ou la soustraction du corps dans l oubli comme s il n avait jamais exist comme s il n avait jamais fendu les airs et les habitudes par sa simple pr sence Car Mouna personne ne veut vraiment la tuer uniquement l occulter Il nous faudra donc nous demander de quelle mani re vient s inscrire dans le texte et a travers le texte cette entreprise de destruction foment e contre celle qui d range Alliant forme et fond l auteure mauricienne ne s en tient pas juste a la simple exploitation de la th matique de la violence et implique la syntaxe dans ce qu elle peut contenir de plus graphique et de plus narratif pour exprimer a son paroxysme les impitoyables d sirs r alis s de ces multiples protagonistes Il sera alors n cessaire de pouvoir d chiffrer ce que les th oriciens de la litt rature d signent comme la grammaire narrative en s appuyant sur les concepts l
146. s pr sentes dans le m me chapitre inscrites entre parenth ses pour mieux souligner leur atypie dans le r cit Il a fini par entrer Il avait l air de sourire mais douloureusement Il s est approch et m a l ch e Sans h te car il s est bien rendu compte que j tais prisonni re Il m a l ch e un peu partout sans vraiment d ranger les b tes lesquelles s cartaient passag rement pour revenir en plus grand nombre car elles s taient incroyablement multipli es J ai eu du mal me resservir de mes bras et de mes jambes Mais petit petit la circulation est revenue la coordination aussi et j ai pu me red couvrir presque enti re puisqu il me manquait les orteils MZ 71 72 142 Gerald Prince Introduction l tude du narrataire loc cit p 195 196 18 Thid p 193 63 Concernant ces sur justifications toutes deux introduites par des conjonctions car puisque elles ne sont certes pas directement adress es au narrataire vous mais les d tails qu elles apportent d ja connus de la narratrice sont indirectement dirig s aupr s d un destinataire Un destinataire dont il faut s assurer de sa bonne coute et surtout de sa m moire Attitude paradoxale de la part de la narratrice puisque se souvenir requiert par cons quent de comprendre et surtout de s impliquer motionnellement L influence qu elle tente d exercer n a pour seul et unique but que d
147. sac Presses Universitaires de Bordeaux 2004 p 47 63 MARSON Magali Nirina Carnalit et m tamorphoses chez Ananda Devi Notre Librairie n 163 2006 Paris France p 64 69 MEITINGER Serge Indianit f minit et universalit du f minin dans l uvre d Ananda Devi http www larevuedesressources org avatars de la deesse 921 html consult le 21 aout 2013 MEUR Marie Caroline Les corps monstrueux dans les romans et les nouvelles d Ananda Devi Corps en marge repr sentation st r otype et subversion dans la litt rature francophone contemporaine Daniel Castillo Durante Julie Delorme et Claudia Labrosse dir Ottawa Editions l Interligne 2009 p 131 144 RAMHARAI Vicram Probl matique de l Autre et du M me dans l uvre romanesque d Ananda Devi Ecritures mauriciennes au f minin penser l alt rit V ronique Bragard et Srilata Ravi dir Paris Harmattan 2011 p 61 76 Ananda Devi repenser l identit de la femme mauricienne Notre Librairie Revue des litt ratures du Sud n 146 octobre d cembre 2001 p 105 108 104 Ill R FLEXIONS TH ORIQUES A TUDES SUR LA NARRATOLOGIE ET LE ROMANESQUE BOURNEUF Roland L univers du roman Paris Presses Universitaires de France 1972 257 pages COHN Dorrit La transparence int rieure modes de repr sentation de la vie psychique dans le roman Paris Seuil 1981 315 pages CONNOLLY Carole Le partena
148. sant notamment aiguis par la d n gation pr matur e de son humanit Prisonni re du cocon form par l amas d insectes venus en grand nombre sur elle pour tancher leur soif de sang car elles s taient incroyablement multipli es pr sent elles taient repues et dodues souhait ayant sans doute d couvert les d lices de l amour le ventre plein ML 71 et rapidement lib r e la narratrice go te pour la seconde fois aux joies de la gentillesse Devenue le centre d attention de cet acolyte quatre pattes aux allures de salvateur fortuit ils communiquent par le regard Ses yeux avaient l air de parler aux miens ML 71 Se sentant rena tre et port e par ces yeux noisettes ML 73 la narratrice y trouve de quoi se nourrir motionnellement une conversation faite de silences et de sourires Une conversation d amour ML 73 entrant en contact avec quelque chose d inoui la compassion ML 73 C est sous ces m mes yeux que s accomplit la v ritable 78 transformation de la narratrice ce que Vicram Ramharai nomme ion 5 A A th riomorphisme l aidant renouer avec le sentiment de vie M TAMORPHOSE CORPORELLE VS PERMANENCE DU MOI D construire une enveloppe corporelle originelle certes d j ravag e par les s vices familiaux mais aussi par la d voration des petites b tes la privant vie de ses orteils il n en demeure
149. si elles peuvent converser Remplissant le vide angoissant du silence et de la n gligence cette cohabitation vocale l int rieur de la narration semble combler la solitude Illusions cependant puisque dans ce sursaut d espoir o la grand m re morte semble encore palpable persiste une r alit violemment irr ductible Mouna depuis sa cellule ne fait que discourir avec des fant mes qui lui r pondent dans sa t te et qui ne font qu accentuer son sentiment incommensurable de solitude Cette voix qui la hante et qui hante son r cit l engloutit plus qu elle ne la sauve r ellement la laissant captive de son pass Tandis que se dessine travers la voix spectrale de la grand m re la figure d une entraide positive dont les contes aux illusions dangereuses Ainsi commen ait le conte unique de grand m re grenier celui d o naissaient tous ces contes et qui m a port e bien au del des chemins de l enfance ce qui m a fait croire aux bonheurs redoutables ML 23 s intercalent au c ur de la narration du r cit premier d autres voix s gr nent et se font entendre par le biais du discours indirect libre celui qui se joue des r gles discursives et qui pose la question du qui a dit quoi Polyphonie renouvel e elle est cette fois ci synonyme de perturbation et de brutalit Attach es la m re et lamant ces voix parasites s ins rant volontairement dans le flux de l instance narrati
150. t Est il vraiment venu A t il dans avec moi en ce matin des tendresses Ma m moire est si fausse Cette incertitude est terrible Je ne sais pas si je m appelle Housna n e sur un tapis d orient ML 107 100 En s appuyant sur l essai de Liana Pop Espaces discursifs pour une repr sentation des h t rog n it s discursives Marie Pascale Huglo voit dans l ouverture de parenth ses une incise c est dire le passage d un plan discursif a un autre De fa on int ressante le marquage graphique de l h t rog n it est mis en parall le avec le changement d intonation que la lecture haute voix permet d actualiser Le changement d intonation stipul plus haut vient donc accentuer la fois la perplexit de l h ro ne de Moi interdite mais aussi son h sitation faire inscrire son doute au m me plan narratif que son r cit premier L usage r current et particulier des parenth ses dans Moi interdite vient donc rompre une certaine homog n it narrative d j alt r e dans son contenu par les pisodes chim riques et hallucinatoires Ins rer le doute l int rieur d une incise manifesterait alors un d sir celui de vouloir pr server tout prix le r cit premier d j vacillant et instable d une contamination irr versible et pernicieuse par le doute Pourtant la formulation du doute vient d j abimer la v racit des faits expos s reposant su
151. t auquel une anachronie se d finit comme telle p 39 40 deuxi me dans le premier chapitre Mon second souvenir est ML 11 Le premier chapitre alternant l usage du pass compos du pr sent et de l imparfait dresse le portrait peu positif de chaque membre de la famille de Mouna travers des anecdotes courtes esquissant un quotidien solitaire empli de m pris et de froideur Le retour brutal au pr sent de l indicatif la toute fin du chapitre rompt avec le ton m moriel et introduit un nouveau lieu l asile mettant d finitivement fin la rem moration Mais maintenant je suis loin de chez moi Je suis dans un lieu de tourmente o on me fait payer les dettes accumul es ML 18 Le deuxi me chapitre est le tout premier se d roulant enti rement dans la cellule Mouna y raconte son viol Avec la fin de l agression survient un nouveau souvenir tr s court le pleur de l enfant de Mouna avant qu il ne se fasse noyer dans la mare cl turant le deuxi me chapitre Le troisi me chapitre rassemble de nouveau des souvenirs en lien avec sa grand m re grenier et la naissance de Mouna Les souvenirs se poursuivent sans aucune interruption jusqu au chapitre cinq racontant son abandon dans le four chaux Ils me laissaient dans ce four chaux quand il fallait me dispara tre ML 33 la rencontre avec les b tes et la lente d voration du corps de Mouna Chaque jour une part
152. t pourvu d une focalisation interne textualise la psych imaginaire de la narratrice Pourtant un v nement vient d s quilibrer cette psych d j affaiblie par les m tamorphoses physiques entrainant nous le verrons un effritement du Moi le surgissement durant l pisode de l incendie d une voix non identifi e extraite d une toute autre subjectivit sous la forme d un discours indirect libre Perplexe sur cette ingression au c ur m me de 161 Dorrit Cohn La Transparence int rieure Paris Seuil 1981 16 Selon Dorrit Cohn le monologue int rieur se divise en deux types le monologue auto narrativis et le monologue rapport Ils se distinguent principalement par le temps grammatical par la personne et par le recours ou non la citation De plus le monologue auto narrativis se situe la lisi re entre le psycho r cit et le monologue rapport la lisi re entre le niveau d inconscient et de conscient entre l infra verbal et le verbalis au seuil d un discours qui sera plus tard logiquement organis pp 125 130 16 Thid p 29 164 Thid p 192 76 son espace narratif et corollairement de son espace mental la narratrice s interroge sur les origines de cette voix au point d interrompre son r cit Apr s hagards fous de suie et de fum e empestant la chair br l e de la vache qu ils avaient d enterrer dans un champ ils se sont tourn s vers moi comme des fant mes
153. temps les restes de cette derni re qui aura abouti au suicide de la narratrice dont seule la voix nous est offerte comme en t moigne l incipit Cette br lure qui me consume de l int rieur c est elle que je vous livre 1 Thid p 12 34 en mon absence des mots qui ne sont qu une ombre une illusion d envol et de rupture l infime cassure de mes r ves ML 8 Cette voix narrative spectrale coinc e dans un espace temps ind finissable elle est la parole d un monstre qui d faut d avoir pu d cemment exercer une emprise sur sa vie la reconstruit par le biais de la narration et de l nonciation pour mieux la poss der et la d construire de son propre chef FAIRE PARLER LE MONSTRE CHEZ ANANDA DEVI Le conflit avec autrui ne date pas d hier et n est pas encore sur le point de se r soudre Tout autant ind niable qu indispensable l Autre s est impos comme une donn e avec laquelle il faut sans cesse n gocier et qui vient modifier ce que Pierre Ouellet dans son introduction l essai Quel autre L alt rit en question appelle nos mani res de vivre ensemble L aspect avant tout factuel de I Autre insiste d abord sur l id e qu autrui existe avant tout par le regard qu on lui porte ainsi njous pouvons juger l Autre laune de notre propre diff rence Ou encore nous identifier spontan ment l tranger pour mieux id aliser cette diff rence qui
154. tr al ditions XYZ 1992 p 10 107 Tbid p 10 32 famille incarnant tous deux ce M me fondateur et intol rant Mouna y trouble la chronologie de la quotidiennet en venant au monde avec sa diff rence L outre se d gonfle se vide se dess che tout de suite Et puis Il en sort Une sorte de monstre Grise cheveux h riss s mains griffues une mouna s crie t on ML 30 Elle l affiche contre son gr par la marque de son bec de li vre l imposant tristement comme une fatalit qui ne peut chapper ni la vue ni aux jugements Tous les visages sont des miroirs d une chose qui provoque l horreur Ils s esquivent d rapent Puis lorsqu enfin ils osent regarder c est avec m pris et envie de d truire ML 31 Par son visage balafr la narratrice alt re petit petit son univers incarnant une br che l int rieur de laquelle tous les impossibles sont d s lors permis Le sentiment de m met qui unissait une famille un village une communaut ici indo mauricienne se retrouve profond ment remis en question soulevant un ensemble de questionnements sur l effritement potentiel d une identit nagu re solide Mais l tranger dans tous ses tats n est ce pas l affirmation d une violence beaucoup plus radicale qui chappe toute saisie r demptrice de la diff rence L tranger ce n est pas simplement l alt rit accept e Ce n
155. tre appartenance et ressemblance une appartenance qui serait intol rante l alt rit qu elle incarne et qui exigerait de sa part un changement d tat explicit plus haut de difforme informe R ceptacle d animosit la narratrice devient aussi le r ceptacle de d sirs de chacun omettant intentionnellement les siens pour mieux atteindre son ambition d appartenir Ce hiatus entre les attentes ext rieures et l irr ductible r alit de son physique 155 Tbid p 20 156 Tbid p 23 70 engendre le besoin de satisfactions compensatoires substituts d o la recherche d une communaut existentielle et id ologique manifestation de l ali nation La narratrice se ber ant de fantasmes se r ifie elle m me puisqu elle ne devient que la projection d un ext rieur qui ne se pr occupe in fine que de son annihilation d finitive L analyse de cette objectivation de soi ou atomisation du moi passe par l tude des diff rentes relations tablies entre Mouna et les protagonistes ali nants en mettant en avant l impact de celles ci sur son psychisme et sa perception d elle m me MOUNA ET SA MERE UNE COURSE POUR L AMOUR Le premier souvenir de Mouna concerne sa m re le premier geste adress a sa fille nouveau n e Ce contact inaugural n a paradoxalement pas lieu la m re ne pouvant allaiter entre impossibilit et refus il ne semble n y avoir qu un pas
156. ueuse qui gratigne ma paume 1a une cuisse osseuse dont les poils se h rissent d effroi sous ce fr lement inconnu Les morceaux de mon corps ne se reconnaissent pas entre eux ML 49 Corps qui ne semble plus tre v ritablement un corps mais un amas organique recomposer chaque nouveau r veil il devient la proie facile d un tranger capable de faire sauter toutes les serrures La mise en image de l entr e du bourreau dans l espace individuel de Mouna signe ainsi la perc e d une intimit 89 autre que spatiale et la p n tration litt rale comme imag e de cette intimit d flor e de son aspect le plus priv et le plus sacr De ce fait Quelqu un a franchi la fronti re du corps de l autre l a viol et il est entr de cette fa on dans son existence d finitivement Le corps viol a incorpor de 193 fa on ind l bile la souillure et ne peut plus s en d faire Alors m me que l acte n a pas encore eu lieu l atmosph re d crite par Ananda Devi est pleine de tensions annon ant de mani re concise l imminence d une violence qui se voudrait indicible car La parole s av re d faillante pour dire et exprimer la violence Elle sombre dans le silence du remords ou le cri de la folie Dans la plupart des parties le discours est chaotique incoh rent comme si l criture elle m me portait la 194 blessure les cicatrices du crime Pourtant mots et images sem
157. uffrance 75 A cette mutilation inattendue vient se superposer une forme in dite de d possession dans le r cit cette fois ci d ordre psychique Pour mieux comprendre l enjeu de cette d possession il faut tout d abord revenir sur l acception du terme monologue auto narrativis parfaitement explicit dans l essai de Dorrit Cohn La transparence int rieure Suivant les modalit s d un monologue auto narrativis discours mental d un personnage pris en charge par le discours du narrateur et plus particuli rement d un narrateur qui s identifie momentan ment avec son moi jadis renon ant l avantage que lui donne la distanciation temporelle et ses privil ges dans l ordre de la connaissance pour retrouver les perplexit s et les h sitations qui taient siennes dans le feu de l action la focalisation intra homodi g tique n admet qu une seule subjectivit s exprimant travers le pronom je et repr sentant ce que Dorrit Cohn qualifie de vie int rieure Technique narrative ayant pour but premier et ultime d explorer et d exposer les profondeurs psychiques des personnages ou des narrateurs personnages le monologue auto narrativis est une mim sis de l inconscient et ou du conscient de leur intimit psychique pens es secr tes assum es ou refoul es de r ves ou d motions narrativis s Moi l interdite en tant que r cit principalemen
158. uma sexuel et figures de l emprise Nimes Champ social 2011 p 50 1 Rennie Yotova op cit p 14 197 Tbid p 15 198 Thid p 15 91 Seules les douleurs lancinantes de l abus semblent correspondre des signaux de vie signaux morbides pouvant convaincre Mouna qu elle n a pas encore c d l appel du tr pas Je peux redescendre et habiter mon corps retrouver la floraison de br lures qui me rattachent la vie ML 22 Mais vivre est d j loin derri re elle Terr e dans sa cellule son quotidien sera encore lourdement peupl de ces visites nocturnes d p rissantes Face ce qu elle ne peut emp cher d arriver d faut de r pondre par le refus Mouna cherche s en prot ger au maximum Adoptant l attitude passive de Cun gonde illustrant le d tachement du v cu la narratrice se laisse emporter par les chants rassurants de son anc tre et flotte au dessus de son corps s observant Je vois la stridence de mes yeux carquill s je vois mes mains qui offrent leur paume perc e je vois ma bouche qui s ouvre pour avaler une goul e d espoir mais n avale qu une salive am re ML 20 L anaphore je vois vient d une part appuyer la position contemplative adopt e par Mouna D autre part elle accentue le contraste entre la contemplation et l atrocit de ce qui est contempl Malgr cette volont tenace de se d faire de l v nement et l ir
159. un monde v cu senti per u et prouv rem mor ou imagin dit ou montr bref nonc pour et par quelqu un jamais en soi jamais en lui m me ou par lui m me et du fait que l acte de conscience sous l angle duquel le monde se donne chaque fois diff remment constitue une dimension essentielle de l v nement ou de l appara tre multiforme qu est le monde comme monde c est dire comme jeu variationnel ou flexionnel on pourrait dire casuel non pas comme ensemble 118 d objets ou domaine de sens 116 Article Monstre du Dictionnaire historique de la langue fran aise Paris Le Robert 1992 117 Marie Caroline Meur Les corps monstrueux dans les romans et les nouvelles d Ananda Devi Corps en marge repr sentation st r otype et subversion dans la litt rature francophone contemporaine Daniel Castillo Durante Julie Delorme et Claudia Labrosse dir Ottawa ditions l Interligne 2009 p 133 8 Pierre Ouellet op cit p 15 37 et par cons quent parrainer d une certaine mani re cette m me voix marginale avant tout soumise l exclusion sociale en lui donnant le pouvoir de formuler par l acte du r cit La litt rature d Ananda Devi porte depuis toujours son int r t et son regard sur les silencieux mis sur le c t ces subalternes modernes qui sont dans l incapacit d atteindre la reconnaissance par l coute Les ali n s ne peuvent se plain
160. ur d eau croupie n a peut tre aucune r alit Laissez la s couler a travers la bonde de l oubli N essayez pas de la saisir Elle parle de r ves d chus et aurait un bruit de d chirure si l on pouvait entendre le bruit secret des c urs Ne prenez pas mal ce songe d pines que je vous offre Je suis celle dont on a chiffonn la voix et marqu le visage des griffures du regret ML 7 la fois lieu d ouverture et lieu de passage vers le monde de la fiction 7 oe 133 12 rA l incipit selon Andrea Del Lungo est un seuil double sens tourn la fois vers 134 T est aussi le lieu de la rencontre la parole du monde et vers la parole du texte organis e presque r guli rement travers la vue impliquant une vaste probl matique li e au regard celle entre l auteur et le lecteur entre le lecteur et le narrateur entre le narrateur et le narrataire Ces trois types de rencontre d ploy s dans l incipit sont identifi s et d taill s par Andrea Del Lungo comme tant des niveaux visuels le premier interne correspond au passage des regards entre les personnages le deuxi me toujours interne co ncide avec le regard du personnage ou du narrateur dont le point de vue organise la narration m me le troisi me regard provenant de l ext rieur est celui du lecteur Ainsi le commencement romanesque se caract rise t il comme le lieu d ouverture d un champ visuel
161. us sombres secrets les infanticides ruraux les violences conjugales Ces m mes bruits qui viennent enterrer l existence d une jeune fille monstrueuse et esseul e oubli e de force dans un caveau de circonstance Tout concourt la dissimulation cacher la fois le pr sent et la v rit d une souffrance trop lourde par une superposition de souvenirs et de fantasmes dispers s au c ur d un r cit puzzle l image d un corps dont les morceaux ne se reconnaissent pas entre eux ML 49 Mouna recompose ainsi son existence par l exercice narratif manipulant les temporalit s la chronologie et grave l int rieur de celui ci un ostensible et indissociable mal tre qui ne se r soudra pas Paradoxalement l amoncellement permet le d voilement le surgissement de la folie qui r git enti rement la narration une folie de moins en moins tue divulguant ses origines et pointant du doigt ses ultimes s quelles Mouna est la s quelle elle est ce qu elle se dit une mise en garde ML 9 contre les silences hypocrites cruels ravageurs complices et rugissants qui font mourir 102 BIBLIOGRAPHIE I CORPUS D ETUDE CORPUS PRIMAIRE DEVI Ananda Moi l interdite Paris Dapper 2000 125 pages CORPUS SECONDAIRE DEVI Ananda Rue la Poudri re Abidjan Nouvelles Editions Africaines 1988 Pagli Paris Gallimard 2001 157 pages Soupir Paris Gallimard 2002 225 pages La vi
162. utant que physiquement par une violence prot iforme inflig e par l autorit masculine bien souvent aid e par la complicit des vieilles femmes gardiennes farouches du syst me phallocratique obsol te dans lequel elles ont volu plus jeunes les h ro nes Paule Anjali Eve No lla Daya et toutes les autres doivent se confronter a leur d sir d mancipation et aux cons quences impitoyables gt Emmanuel B Jean Fran ois L exp rience de la violence dans le roman mauricien francophone de la nouvelle g n ration International Journal of Francophone Studies vol 12 n 3 4 2010 pp 514 529 Ibid p 514 gt Ibid p 514 Ibid p 514 7 Nathacha Appanah Mouriquand Blue Bay Palace Paris Gallimard 2004 104 pages 8 Vicram Ramharai Ananda Devi repenser l identit de la femme mauricienne Notre Librairie Revue des litt ratures du Sud n 146 octobre d cembre 2001 que ce dernier implique C est la confrontation de figures f minines en qu te de leur affirmation avec un ordre social castrateur v ritable fil rouge th matique devinien qui s illustre avec toujours plus de brutalit et toujours plus de cruaut puisant les images st r otyp es d une femme docile et silencieuse Affrontant ainsi avec terreur mais conviction les hautes sph res de la domination le p re l poux les mofines etc qui les oppriment ces jeunes femmes se condamnent certes seu
163. ute analepse est jug e comme tant un r cit subordonn puisqu elle vient s ins rer dans un r cit premier par rapport auquel elle se d termine comme tant anachronique Dans notre tude les analepses en question sont identifi es selon la typologie genetienne comme tant des analepses internes c est dire que leur temporalit est comprise dans celle du r cit premier Elles sont par contre h t rodi g tiques puisque leur contenu di g tique est diff rent de celui du r cit premier Nous le verrons dans la seconde partie en lien avec la complexit des temporalit s di g tiques de Moi l interdite que les diff rentes analepses font cho diff rents moments de la vie de la narratrice pr c dant sa survie dans l asile 68 Thid p 23 Ibid p 23 Thid p 24 7l Thid p 40 21 Par opposition les instants consacr s la vie dans l asile font figure de hic et nunc s dans le temps de l histoire La seconde d termination la voix se concentre sur le positionnement de l instance narrative en tablissant dans un premier temps le statut et les fonctions du narrateur sans qui le discours narratif serait inexistant Genette rappelle juste titre les difficult s prouv es l poque par la po tique appr hender cette instance narrative dont l autonomie n tait pas encore pleinement accept e De plus cette instance narrative n tait consid r e que
164. ve viennent bouleverser forme et 53 fond des souvenirs narr s de Mouna la d stabilisant motionnellement La relation m re fille sera abord e plus exhaustivement dans la seconde partie de notre tude ici nous nous attacherons surtout l analyse de la voix parasite de l amant L amant apparait dans le roman comme une figure incontournable car il assiste la narratrice de mani re indirecte se venger de son p re et de sa m re Il l aide aussi s accomplir et s assumer en tant que femme En g n ral dans les romans d Ananda Devi la figure de l amant Zi dans Pagli J r me dans L Arbre fouet et Mallacre dans Rue la Poudri re s rige comme une figure d opposition face a la famille et aux valeurs que celle ci repr sente adoptant une attitude solidaire et emplie d amour La narratrice qui se sent Autre au sein de sa propre famille privil gie la figure de l amant pour retrouver ce qu elle a perdu son Moi L amant est celui qui comprend la femme celui qui a beaucoup d humanit La narratrice trouve en lui un interlocuteur attentif et parfois compr hensif et rempli de compassion son gard Elle en fait un portrait extr mement positif dans la mesure o c est lui qui l am ne se sentir bien dans sa peau L Autre devient une sorte de guide initiateur la r alisation d r alisation du M me Dans cette aventure elle 132 conna t la fois
165. vec le portrait du narrataire z ro ou narrataire neutre En outre il est d pourvu de personnalit de toute caract ristique sociale Il n est ni bon ni m chant ni pessimiste ni optimiste rig en mod le autour duquel viendront se construire plus tard des narrataires plus sp cifiques et plus substantiels Mais notre roman excluant d avance ce type de narrataire notre tude fera l impasse sur cette description pour nous int resser directement aux narrataires caract ris s Toutefois il est n cessaire de signaler le fait que les narrataires dits sp cifiques se 6 Jean Rousset Le lecteur intime de Balzac au journal Paris J Corti 1986 37 Jbid p 24 88 Gerald Prince Introduction l tude du narrataire loc cit p 181 25 construisent en opposition un narrataire z ro qu il faut plut t consid rer comme tant un concept de r f rence qui ne poss de rait aucune existence r elle dans les faits comme le rappelle judicieusement Natalie Richard dans son m moire sur f 8 89 l volution de la relation narration narrataire dans les uvres de R jean Ducharme Il est important de rappeler qu l int rieur de l acte nonciatif le locuteur s institue travers son locutaire Son discours et donc corollairement lui ne peuvent exister s il n y a pas quelqu un en face qui re oive ce qui est en train de se dire et optionnellement qui y r
166. ymoses et les h matomes que je t ai faits la derni re fois laisse moi sentir la nuit et la douleur sur ton corps laisse moi toucher les marques que j ai laiss es tu es ma p te modeler et je te d forme je te fais autre tu es un paysage que je sculpte chaque nuit laisse moi sentir les bleus les violets mes couleurs de souffrance c est si beau si beau Et apr s il cherche des endroits o il n y a pas de marques o la page est vide et il m en fait ces endroits la et je ne peux pas crier Je dois le laisser me ciseler me marteler la main est souveraine la nuit ML 85 86 Dans ce dialogue avec une Lisa effray e par les r v lations de sa prot g e Mouna se laisse doucement d poss der par la voix de son violeur disparaissant vocalement et narrativement par un acte de ventriloquie exprim la fois par l usage du discours indirect libre et aussi par le changement de sujet D un je r gisseur de la narration la narratrice se transforme d lib r ment en un tu victime revivant son propre viol le r actualisant sans cesse par la pr cision des termes employ s par celui qui venait la visiter Apparait alors de mani re flagrante ce que Rennie Yotova identifie comme le statut paradoxal du viol savoir que sa repr sentation est une tentative de d passement mais qu elle prolonge aussi son existence Litt ralement habit e voire hant e par la voix de son violeur comme un pantin

Université de Montréal Anéantir l`Autre monstrueux

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