VAREILLE, Arnaud, " Mirbeau l`obscène ", Cahiers Octave Mirbeau
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1. thique c est la simplicit celle du d sir aussi c est la naturalit L esth tique c est le jeu des signes c est l artifice c est la s duction Mais dans cette tension entre r el et illusion quel cr dit accorder au r gne de l artifice Le combat pour la justice peut il se satisfaire de ces d tours de ces atours La r ponse est double D une part le recours aux stratag mes est un exp dient on ne peut plus commun pour parvenir ses fins Machiavel l a dit pour le domaine politique et Graci n renouant avec la pens e sophiste l a tendu la pratique mondaine D autre part le combat de Mirbeau pour la v rit refuse le r le de mod le et exige une prise de conscience et une autonomie de pens e du lecteur difficilement compatibles avec l vidence des v rit s ass n es dans les romans th se clar la plupart des choses h las ont un sens et une profondeur seules quelques unes acc dent l apparence et celles l seules sont absolument s duisantes La s duction est dans le mouvement de transfiguration des choses dans l apparence pure C est pourquoi Mirbeau r sout la contradiction entre v rit et artifice engagement et litt rarit en unifiant les contraires le jeu sur les apparences sera garant de la r v lation du r el et de la libert du lecteur L apparition d artifices au seuil des uvres apporterait la confirmation de ce d sir de l g ret Ainsi de la2. s et le terme peut d une mani re anachronique r sonner des connotations les plus tragiques pour nous tant le pastiche en grossissant les traits des th matiques habituelles de Mirbeau ne r ussit que trop bien rendre compte de l horreur de certaines situations conomiques par une mise en sc ne qui pour tre caricaturale n en est pas moins pr monitoire les pauvres qui travaillent jusqu ce que mort s ensuive Leurs cadavres sont recycl s chaque partie du corps servant la fabrication d un objet usuel L industriel d cline la liste des transformations que subissent les organes des parties les plus nobles jusqu aux excr ments point d aboutissement de l activit physiologique et point d orgue de l num ration obsc ne du corps exhib L normit des propos touche au Grand Guignol et le pastiche est tout fait r ussi Il soul ve cependant le probl me id ologique du jugement port sur l uvre car il est sous tendu par l id e de l obsc nit consubstantielle toute criture gui tendrait voquer les r alit s conomiques et sociales les moins avouables de la soci t En ce sens l uvre mirbellienne est r duite une esth tique naturaliste laquelle il fut reproch d s ses premi res productions l obsc nit de ses th mes Attardons nous simplement sur un exemple de critique celle formul e par Jules Cases dans un article intitul La D b cle du r alisme La
3. Panique paru dans L v nement du 21 septembre 1891 Bien qu un peu tardif par rapport au d but du d bat sur le Naturalisme qui remonte 1870 avec la publication de Th r se Raquin le point de vue est int ressant maints gards par le fait qu il tudie d une part l volution du R alisme et sa d g n rescence si l on peut dire ici qui l amenait au Naturalisme et d autre part par la mauvaise conscience qui s exprime dans ces lignes Cases r sumait ainsi l esth tique r aliste Pendant bien des ann es et cela dure encore le roman de d but d un jeune r aliste devait se signaler par la peinture de quelque vice monstrueux et banal transcrire les m urs sans int r t des maisons mal fam es contenir entre ses pages de ces cartes transparentes que recherche les gamins effront s et les vieillards exsangues Dans ce catalogue nombre de formules et de paradoxes sont commenter En premier lieu la caract risation du vice monstrueux et banal Par son appartenance hors norme le monstre tant issu de l alliance d l ments h t rog nes le vice est remarquable Pourtant l adjectif banal qui suit vient en relativiser l exception ce qui revient dire que l horreur d nonc e reste un fait non seulement r pandu mais ce titre connu de la soci t gui se contente d une cohabitation distante sans jamais rien tenter pour y rem dier Les m urs sans int r t rel ven
4. commente le glose sans jamais le nommer proc dant par m taphores ou paraboles Sa r alit m me est douteuse figure toute diaphane sortie de l imagination du narrateur ou bien br lante image de la femme dominatrice Elle est tout cela la fois incarnant la r versibilit propre la s duction et venant au devant du lecteur pour le conduire 38 Voir Nicole Leroux Les exp riences de Tir sias Le f minin et l homme grec Paris 1989 p 16 H Damisch commente cette page en voquant la fa on dont elle montre comment le discours qui sera celui du politique de la Polis en tant que fond e sur l exclusion des femmes aura en fait pour corollaire que le corps autant que le sexe semble tre tout entier du c t des femmes comme s il n y avait qu un sexe le sexe f minin Comme si la femme tait tout du sexe et l homme tout du genre H Damisch op cit pp 294 295 39 J Baudrillard op cit p 37 49 Idem p 157 4 Idem pp 160 161 C est l auteur qui souligne 42 M F Montaubin op cit p 53 8 Existe t elle r ellement s interroge le narrateur Mirbeau Le Jardin des supplices Folio 1997 pp 246 247 41 J Baudrillard op cit p 98 l cart le faire d vier ce gui est aussi le sens de s duire de la brusque r v lation des r alit s du monde avant de mieux l y replonger Ce principe de mise distance du r el ne se limite pas l emploi
5. de Goldmann Pourtant la mont e en puissance de la photographie par le biais de son d veloppement dans la presse et la vie quotidienne la charni re des XIX et XX si cles pourrait autoriser le recours une nouvelle image motiv e par les enjeux id ologiques de son r f rent la narration st r oscopique Le proc d r current dont use Mirbeau n est pas sans voquer celui que met en uvre dans le domaine de l optique l appareil st r oscopique Les images de ce type se caract risent par une double prise de vue d un m me sujet l appareil ayant t l g rement d plac de l une l autre La cons quence de ce d calage est l obtention d une image poss dant une profondeur une perspective Cependant pour que l preuve st r oscopique d voile cette troisi me dimension elle n cessite la participation active du spectateur oblig de se pencher sur les lunettes de l appareil permettant la co ncidence des images lorsque le regard s y applique C est d ailleurs ce dernier qui en d finitive fait na tre l illusion Il en va de m me pour la litt rature d une mani re g n rale le texte requiert la participation du lecteur pour vivre en tant que tel la d couverte de l univers de l uvre se faisant via le regard du narrateur ou l observation des aventures d un personnage Ainsi d couvririons nous volontiers dans les romans et r cits de Mirbeau l usage d une structure bi
6. de Paul Reboux et Charles Muller publi en 1907 chez Grasset Outre le fait qu un tel ouvrage t moigne de la place que Mirbeau occupait dans le champ litt raire de l poque il appara t sur la couverture du volume aux c t s d autres pastich s non moins c l bres Tolsto Lamartine Baudelaire Loti Mistral les Goncourt Dickens Zola Daudet son int r t r side dans la concentration et la simplification des th mes de l uvre originale que commande le genre et dans la volont de mimer au plus pr s le style de l auteur par l emploi de ses tics et de ses travers les plus vidents En l espace d une dizaine de pages nous d couvrons un difiant raccourci du regard que les contemporains de Mirbeau portent Cl ment Rosset Le R el et son double Folio Essais 1999 p 7 Boris Vian crits pornographiques Livre de Poche 1998 p 63 3 Idem pr face p 9 4 Plusieurs volumes intitul s la mani re de regroupent plusieurs s ries de pastiches Celui de Mirbeau se trouve dans le tome premier sur son uvre Ou en ressort il L inspiration mirbellienne y est montr e sous deux aspects la lutte sociale et l obsc nit Dans ce texte intitul Pour les pauvres le narrateur se rend dans une usine o l attend un ami directeur de l tablissement r cemment acquis par le ministre et po te Georges Leygues qui lui fait les honneurs d une visite comment e L sont concentr
7. de cette synth se le motif de la femme guide La figure f minine des premiers textes tait d une mani re convenue la femme fatale confirmant l inspiration d cadente qui alimente une partie de l uvre de Mirbeau celle des derniers tout en conservant ce trait devient de surcro t la r v latrice du degr z ro de cette rotique Car elle se mue en principe de s duction c est dire de ruse et de r versibilit Elle donne la le on qui explique la d cadence du monde et propose non une alternative mais le refuge dans l ambivalence de son sexe Elle est la voix qui porte la lumi re les contradictions du monde Elle nomme la r alit plus qu elle n en indique le mode d emploi son r le est celui de Cassandre annoncer le pire Relay e par un syst me plus complexe de double nonciation Cassandre c de la place la r v lation individuelle de la v rit Le lecteur d abord sollicit par le corps puis par la voix f minine l est ensuite par le jeu de miroirs des regards avant que ne lui choie enfin la responsabilit de l interpr tation du monde Le livre est le vecteur d un d voilement qui arrache progressivement aux peintures de la r alit le vernis conventionnel qui les recouvre Il projette de surcro t le lecteur au c ur du principe de r v lation Or quoi de plus obsc ne en d finitive que l acc s la lucidit dans l insouciance du pr sent Ainsi prendre le qualificatif a
8. de la figure f minine mais appara t d s les textes autobiographiques et se prolonge lorsque la femme aura t remplac e par la machine ou l animal La dialectique du regard obsc ne et de la m diation s ductrice de la parole trouverait son point d orgue dans l usage particulier de l instance narrative dont use Mirbeau En refusant le discours monologique et le point de vue unique f t il subjectif il tend complexifier l expression de la r alit arrivant ainsi la pr senter dans son enti re horreur tout en permettant au lecteur d en accepter la r v lation III UNE NARRATION STEREOSCOPIOUE A Le principe st r oscopique Le principe de s duction dont est investi le personnage f minin d une mani re ostentatoire dans certains textes est en fait pr sent dans l ensemble de l uvre moyennant quelques variations ou raffinements En d tournant l attention du lecteur sur le personnage narrateur premier ou secondaire on risque une identification partielle du lecteur qui peut nuire la volont de Mirbeau d manciper ce dernier c est pourquoi l une des caract ristiques de son dispositif actantiel est de fournir une double focalisation Il y a une grande richesse des m taphores optiques pour rendre compte du travail litt raire depuis le miroir promen le long d une route de Stendhal jusqu au prisme de Jacques Viala en passant par la th orie du reflet de Luck s puis
9. f rence aux cartes transparentes est l allusion la plus claire au reproche de pornographie que l on n a pas manqu de faire Flaubert puis Zola pour certaines mises en sc ne jug es scabreuses La critique implicite adress e Mirbeau par les pasticheurs rel ve donc pour partie d un sentiment commun l poque le monde ouvrier la maladie la mis re sont autant de faits qui ne peuvent fournir mati re la chose litt raire sauf tomber dans la trivialit D voiler la r alit dans sa v ritable nature est cependant l essence m me du projet de Mirbeau qui bien que choisissant d autres voies que l observation scientifique se voit r duit aux principes du Naturalisme et tax des m mes d fauts puisque certains de ses motifs appartiennent en propre aux constantes th matiques du mouvement Le Calvaire participerait la fois du roman de collage et du roman militaire Dans le ciel bien que paru en volume de mani re posthume et donc tardive prend son essor dans les ann es 1890 et pourrait bien tre class dans la s rie des romans de l artiste Tr s t t Mirbeau en butte cette accusation d obsc nit pour cause de r alisme s en d fend se justifiant l aide de cela m me qui lui est reproch Une courte missive d couverte en 2001 dans une vente aux ench res l H tel des Ventes d Alen on est on ne peut plus explicite sur le retournement de la char
10. focalisation interne dans le cas pr sent impliquant l acc s une pens e le d tail de traits de caract re propres toute chose renvoyant au dialogisme mais se limitent la re pr sentation du monde L analogie entre la narration et le principe photographique se justifierait dans l id e que Ja Photographie n est jamais qu un chant altern de Voyez Vois Voici gu elle pointe du doigt un certain vis vis et ne peut sortir de ce pur langage deictigue injonctions que reproduit fr quemment la femme guide vis vis gui n est jamais que la traduction de l esp ce de huis clos qui place les personnages et le lecteur en face des v rit s du monde Autre argument relatif la photographie pornographique son caract re homog ne Barthes la nomme unaire qui pr sente cette prise de vue comme fout enti re constitu e par la pr sentation d une seule chose le sexe jamais d objet second intempestif gui vienne cacher moiti retarder ou distraire C est l le principe du regard de chaque personnage pris individuellement dans les r cits La notion de st r oscopie a alors l avantage de traduire l essence m me du dispositif actantiel mirbellien en introduisant au c ur de cette transparence ind cente du regard le croisement des points de vue entendu comme principe photographique le lieu o est plac l objectif de cr er ce d calage qu
11. l tre s duit gui est seduisant Cette relance de l int r t du texte par le d tournement du but premier d sign et obsc ne dans son vidence ressortit la s duction dont l a strat gie est celle du leurre y B Mourir comme image l av nement de la parole Destin e capter le regard du lecteur la figure f minine n en laisse pas moins cristalliser sur elle la th matique rotique mais va user de cette pr rogative pour fasciner le lecteur avant d en revenir au r el Dans Le Jardin des supplices comme dans Le Journal d une femme de chambre le personnage s extrait de la gangue de son tre f minin renvoyant l obsc nit du corps sexu pour acc der la parole Euph misation du r el la figure f minine n en oublie pas pour autant sa t che r v latrice et instaure apr s la connivence premi re du d sir un v ritable dialogue avec le lecteur change dont le but est bien la lutte pour imposer sa propre repr sentation de la r alit sociale contre celle de l interlocuteur Les diagonales ou les transversales de la s duction peuvent bien briser les oppositions de termes elles ne m nent pas une relation fusionnelle ou confusionnelle mais une relation duelle non pas une fusion mystique du sujet et de l objet ou du signifiant et du signifi ou du masculin et du f minin etc mais une s duction c est dire une relation duelle et agonistique Le Jardin d
12. pr face du Journal d une femme de chambre voquant le manuscrit livr par son auteur M F Montaubin rapproche ce proc d de l esth tique du Rien puisque la publication d un texte anonyme f t ce fictivement est une tape vers le processus d abolition du texte Cette tendance appara t sous une autre forme dans Le Jardin des supplices roman dans lequel la partie intitul e Frontispice a la charge de nous pr senter le narrateur La parole semble ne pouvoir chapper la pesanteur du statut social du locuteur n taient l apparition de Clara et son r le dans la suite de l uvre C est bien elle qui assume le texte mais elle est aussi le personnage le plus improbable puisque le narrateur ne sait si elle a r ellement exist ou si elle est le fruit de son imagination Or rien de plus ici dans cette alt ration de la femme narratrice que la mise en pratique d un principe propre la s duction puisque sl duire c est mourir comme r alit et se produire comme leurre Si la pr sence de C lestine devant garantir les v nements rapport s est estomp e d s l avertissement du roman Clara appara t comme la meilleure illustration de cette l g ret du personnage par qui arrive pourtant la r v lation Le sens qu elle propose est un sens polys mique enfoui sous le miroitement kal idoscopique des corps et des plantes du jardin D signant le r el au regard d autrui elle le
13. renvoie Jacques Dubois Romanciers fran ais de l instantan au XIX si cle Bruxelles Palais des Acad mies 1963 12 Emmanuelle Lambert L criture du corps dans les romans autobiographigues d Octave Mirbeau C O M n 2 1995 pp 39 46 5 Idem p 45 4 Mirbeau Contes cruels Les Belles Lettres Archimbaud II 2000 p 213 15 Idem p 326 16 Idem p 416 fendus des estomacs qu il a vides Ne se contente pas de pourfendre de tailler de scier d couper laminer mettre en aiguillettes comme poitrines de canard la chair humaine Il perfectionne encore l acharnement ll y a la pince Doyen le bistouri Doyen la scie Doyen le thermo caut re Doyen le drain Doyen Ici l antonomase se met au service de l num ration compulsive qui mime l parpillement des membres du corps d coup Est il d s lors obsc ne de s attarder sur l image du corps mutil lorsque la mutilation est l essence m me de la pratique sociale Ce traitement du corps trouve galement sa source dans l exp rience personnelle de l auteur et dans les concessions qu il a d faire au parti de la r action lorsqu il officiait comme secr taire particulier de Dugu ou comme journaliste L Ordre de Paris La dualit de son tre les compromissions auxquelles il lui a fallu se soumettre l ont rendu d chir l univers des Lettres le jour o il a pu vivre de sa plume Les nombreuses images de corps d pec s sont a
14. voile l indicible de la soci t il finit branl dans ses certitudes sans rep re stable C est donc un renversement de la vision st r oscopique que proc de Mirbeau Le lecteur spectateur en position de dominant devient par un jeu de basculement des r les le domin et passe de la position d observateur celle 51 Le dialogue forme qu il affectionne permettra souvent Mirbeau comme Jadis Diderot de confronter les deux faces de lui m me en m me temps que de souligner l universelle contradiction des tres et des choses Pierre Michel Les Combats d Octave Mirbeau Annales Litt raires de l Universit de Besan on Les Belles Lettres 1995 p 29 Notamment dans le cadre justificateur de la colonisation Les vues st r oscopiques prises dans les zoos humains reconstitutions artificielles dans le cadre d expositions temporaires ou d une mani re permanente comme au Jardin d acclimatation entraient de fa on doublement efficace au service de la cause colonialiste d abord en donnant le frisson au spectateur qui est projet au milieu des enclos de ces sauvages au m me titre que le processus de lecture analys en termes de plaisir litt raire consiste pour l essentiel vivre des aventures extraordinaires et p rilleuses en toute s curit ensuite en lui donnant la place dominante dans l change visuel celle de celui qui d cide ou non de la rencontre celle du rega
15. Jardin des supplices qui illustre au mieux ce principe par la multiplication des s quences descriptives consacr es aux supplices mais aussi par la mise en avant d un autre principe mirbellien la sensation visuelle D l cole du regard L accusation d obsc nit faite Mirbeau pour le choix de ses th mes s aggrave de la place pr pond rante accord e la vue dans ses uvres L ceil appara t effectivement comme un organe de nature hautement suspecte pour la morale le texte biblique en ayant d j stigmatis le penchant intrins que au p ch puisque J sus 7 M F Montaubin Les romans d Octave Mirbeau Des livres ou il n y aurait rien oui mais est ce possible C O M n 2 1995 p 55 enseigne que regarder c est agir Hubert Damisch affirme pour sa part que l mergence de la civilisation serait all e de pair sans pour autant qu elle y trouv t sa cause avec l affirmation aux c t s de la pulsion proprement sexuelle de la pulsion scopigue Schautrieb dirig e l origine vers les parties g nitales ajoutant en citant Freud que l l impression optique reste la voie par laquelle l excitation libidinale est le plus fr quemment veill e Cette pulsion scopique alimente bien des romans de Mirbeau qui rendent notamment compte des splendeurs et mis res du corps de la femme Corps panouis de l innocente ou de la tentatrice corps rui
16. MIRBEAU L OBSCENE Rien de plus fragile que la facult humaine d admettre la r alit d accepter sans r serves l imp rieuse pr rogative du r el Cette facult se trouve si souvent prise en d faut qu il semble raisonnable d imaginer qu elle n implique pas la reconnaissance d un droit imprescriptible celui du r el tre per u mais figure plut t une sorte de tol rance conditionnelle et provisoire L accusation d obsc nit dont ont fait l objet les productions de Mirbeau et laquelle elles peuvent aujourd hui encore tre soumises invite revenir d une mani re d taill e la fois sur l accusation elle m me et sur ses pr suppos s Nous d couvririons alors leur poids dans le destin de l uvre complet au sein de l histoire litt raire et pourrions concurremment cette part obsc ne mettre en vidence le recours un principe de s duction qui appara trait tout autant comme un des fondements de l criture mirbellienne Enfin red finir l obsc nit dont il est question dans certains textes nous permettrait de retrouver sa valeur tymologique qui s accorde si bien avec le projet de Mirbeau le mauvais pr sage I L OBSCENITE A Th mes et variations sur la sexualit La longue litanie des pudeurs offens es des critiques et du public a t trop souvent relev e pour gu il soit utile d en renouveler la liste exhaustive Contentons nous de rappeler les chefs d accusat
17. ant lui la dimension soumise docile Pourtant le d nouement r v le l autre face de Joseph Janus versant obscur cach pervers et peut tre bien plus efficace par son passage l acte que le babillage de la narratrice Carmen Boustani a de plus pu d chiffrer en C lestine une certaine androgynie qui ne peut que confirmer notre hypoth se du d doublement du personnage 16 Pierre Masson Le Disciple et l insurg Presses Universitaires de Lyon 1987 47 Roland Barthes La Chambre claire Gallimard Le Seuil 1980 p 16 C est l auteur qui souligne Idem p 69 La Photographie est unaire lorsqu elle transforme emphatiguement la r alit sans la dedoubler la faire vaciller aucun duel aucun indirect aucune disturbance Idem p 71 Carmen Boustani L Entre deux dans Le Journal d une femme de chambre C O M n 8 2001 pp 74 85 Pierre Michel voit dans Les Vingt et un jours d un neurasthenigue un usage particuli rement insistant de cette dualit et de la distanciation ch res Mirbeau La 628E 8 offre pour sa part une place pr pond rante l automobile elle m me devenue non plus simplement support du carnet de route que tient le narrateur mais acteur part enti re des choix faits et de la perception des l ments Dingo enfin par sa structure proche de l historiographie le r cit est peu ou prou une chronique hagiographique de la vie de Dingo suppose la
18. certaines de ses tentations n en sont ressenties que plus vivement par le lectorat 3 H Damisch op cit p 135 ce sont ces m mes connotations gui consubstantielles au Journal d une femme de chambre puis par le jeu de la rumeur et du succ s aux parutions mirbelliennes gui provoguent le d sir du lecteur Cette captation de l attention du narrateur personnage et du lecteur par la figure f minine est d autant plus nette que la femme prend en charge la conduite de l action Clara ou de la narration C lestine la premi re personne du singulier Imposant sa silhouette elle impose de surcro t l change direct avec ses interlocuteurs par la forte puissance de sollicitation que poss de le Je dans l change communicationnel Mirbeau semble avoir retenu la le on du D jeuner sur l herbe de Manet dont Meyer Schapiro souligne l une des causes du scandale qu il suscita en voquant le regard de la femme qui s adresse au spectateur et sollicite en retour le sien comme si la nudit parmi ces Parisiens en train de converser repr sentait son moi social normal Chez Mirbeau nous retrouvons le principe du tableau l ind cente apostrophe du lecteur par le personnage f minin L illade verbale du texte fonctionne donc comme d tournement tant il est vrai que c e qui s duit n est pas tel ou tel tour f minin mais bien que c est pour vous Il est s duisant d tre s duit par cons quent c est
19. crire l instance narrative en lieu et place de la figure centrale renvoyant l influence des d couvertes de Kepler dans l pist m de la Renaissance et au d centrement au mouvement qu elles induisent dans les repr sentations picturales les r alisations architecturales ou dans les formes litt raires de l poque privil gi au regard et que l affrontement pour la ma trise du sens opposait des points de vue au sens propre du terme Dans le face face des deux personnages s engage un combat gui ne passe pas forc ment par les mots Joseph ne prend pratiquement jamais la parole la 628 E8 est une m canique muette Dingo ne communique que par le corps et l affrontement des protagonistes voit la victoire de l un sur l autre contre la logique non unifiante du dialogisme Pour le second point nous pouvons voquer le travail de Pierre Masson qui a pu illustrer ce m me d sir de perturber une lecture monovalente du texte dans les uvres de nombreux crivains de la fin du si cle par le seul recours un personnage d ceptif et une structure ouverte La notion de st r oscopie transpos e au domaine litt raire et l criture mirbellienne permettrait d insister sur la responsabilit du regard dans la perception obsc ne des uvres de Mirbeau La narration st r oscopique met en tension deux voix mais galement deux regards qui ne sont plus l quivalent d un point de vue au sens narratologique la
20. d livrant ses aphorismes sur le monde tel qu il va La beaut de Clara est un app t consid rable mais ce sont bien ses promesses plus explicites de sensualit qui font du narrateur du Jardin des Supplices un converti sa r gle et 26 Citons par exemple Tu vas voir J apercus p 10 allons voir p 11 Viens voir ca Tu n as pas vu le plus beau p 14 Paul Reboux Charles Muller op cit 27 Jean Baudrillard De la s duction Folio 1990 p 20 28 J Baudrillard op cit p 58 29 Le bateau sur lequel le narrateur a rencontr Clara arrivant au terme de son voyage se pose la question de l avenir du premier Clara lui annonce qu il n y a ici p as d autres limites la libert que soi m me l amour que la vari t triomphante de son d sir p 133 S ab mant dans ses r flexions et ses calculs le narrateur ne peut que constater que Clara lui offre une vie extraordinaire des jouissances foison des sensations uniques des aventures libertines Mirbeau Le Jardin des supplices Folio 1998 p 135 3 C est avant tout la nature m me du texte dont elle est l auteur suppos un journal intime qui fonctionne comme aiguillon de l imaginaire libidinal Ses coquetteries propres l ternel f minin tel que le d peint l imaginaire fin de si cle sont cependant exacerb es par le fait qu elle est le commentateur de son propre jeu et que
21. e convertit la r gle qu elle impose Le second personnage est en effet d positaire d une autorit d ontique ainsi qu en t moigne sa capacit faire agir selon ses vues le narrateur premier Le Jardin des Supplices voit le narrateur suivre aveugl ment Clara et assouvir ses caprices les plus morbides Le r cit s ach ve dans la triple invocation du nom de la femme C lestine en d pit de ses r ves d mancipation et de r volte c de la m diocrit du destin que lui impose Joseph Robert Fresselou provoque le r veil du narrateur des Vingt et un jours d un neurasthenigue observateur hypnotis de la micro soci t de X et son d part salutaire de la ville de cure L automobile suscitera le voyage sera l l ment propre la dynamique de La 628 E8 de la m me fa on que Dingo est le pr texte de l criture du r cit qui retrace sa vie La voiture et l animal auront entre temps converti leur propri taire respectif leur vision du monde Mais dans ce choc des valeurs la subordination du premier personnage au second n apporte pas de solution p renne tant 1l est vrai que ce dernier a une r alit fragile et un comportement improbable La seconde en est la cons quence face un univers ouvert dans lequel des forces centrifuges sont l uvre le lecteur se retrouve in fine seul artisan d un des sens possibles livr par le biais de l illusion romanesque une fable qui trahit ses m canismes d
22. e du r cit et le degr z ro du d sir et de l imagination merge dans le recours au gros plan Ainsi proc de Mirbeau dans les textes o il d crit le viol la torture les perversions et les d viances sexuelles C La manie synecdochique En voyant dans Le Journal d une femme de chambre un exemple de naturalisme hyst rique forcen d voy Ernest Charles confirme l opinion g n rale de ses contemporains sur la famille litt raire laquelle est cens appartenir Mirbeau tout en soulignant ce qui l en distingue Le corps biologique ou soci tal autopsi situe l auteur dans la veine d un courant se livrant la fragmentation de la description sous l influence conjointe des pr ceptes zoliens et de l Impressionnisme La volont documentaire et le dogme de l instantan it y commandent le morcellement pour rompre la monotonie de s quences descriptives s ab mant dans la classification du r el Cependant chez Mirbeau la synecdoque est rig e en principe de monstration Cette manie synecdochique correspondrait alors une vision du monde et de la soci t qui propre Mirbeau trouverait cependant ses sources chez Hobbes notre auteur aurait pu faire sienne la formule du philosophe utilis e dans le L viathan et source de son projet d anthropologie politique la soci t c est le combat de chacun contre chacun chap XIID ou d une mani re plus contemporaine dans le darwinisme Elle s
23. e ses peintres pr f r s lui ont r v l e dans toute sa libert et son pouvoir subversif C est aussi parce que le sens de la vue est au c ur de sa pratique litt raire qui ne souhaite rien moins que dessiller les regards Il faut r apprendre voir c est ce que r alise le recours au r el Mais s il faut passer par l il c est aussi parce que la vue est le sens par lequel on duque le plus facilement l il n tant pas seulement comme le voulait d j Aristote l organe le plus th orique de tous les sens la perception visuelle l emporte sur toute autre dans la construction de l image du monde qui est celui de l homme On pourrait ajouter que c omme le signifie sans quivoque la langue grecque savoir c est voir idein Le regard est donc l outil privil gi de la r v lation des v rit s du monde mais il est aussi le plus sensible l horreur de cette v rit Philippe Hamon a pu rep rer en dressant la typologie des personnages organisateurs de la logique narrative dans le roman naturaliste la figure du regardeur voyeur et force est de constater que nous le retrouvons chez Mirbeau Ce qui de prime abord peut appara tre nouveau comme l expression d une logique naturaliste devient cependant rapidement symptomatique d un projet personnel du fait des nombreux carts qui existent avec la vulgate zolienne au premier rang desquels se trouve la nature de l n
24. e veut donc le reflet de la cruaut que l crivain ne cesse de rep rer dans les pratiques sociales et dont le corps humain est le premier t moigner dans ses affections ou ses stigmates Ce surinvestissement critique du corps dans le texte a t soulign par Emmanuelle Lambert dans son article consacr aux romans autobiographigues Z On peut y noter que la putr faction et l parpillement sont surtout le fait des corps constitu s des organes sociaux tandis que les h ros con goivent le r el en termes sensibilistes ou philosophiques pour mieux se sauver des avanies corporelles et de l h r dit Dans les Contes cruels que Mirbeau r dige parall lement aux textes romanesques apparaissent de nombreuses sc nes de corps mutil s et avec eux l outrance avec laquelle l auteur rapporte la description des corps meurtris loin de l objectivit scientiste affich e par Zola Le chapitre 4 du volume II intitul L crasement de l individu r unit quantit de ces sc nes o le corps n est pr sent que par fragments On trouve cette description d une foule dans Conte De tous les tres r unis en cet espace et dans cette lumi re de torche vomie par les sombres idoles il n y en avait pas un seul qui il ne manqu t quelque membre important Les uns se promenaient sans t te et ne paraissaient pas g n s par cette d capitation les autres n avaient pas de bras ceux ci marchaient priv s de ja
25. eorges Leygues l autre le narrateur est plus ind termin socialement mais entretient avec le premier des rapports de connivence ils sont anciens condisciples et des rapports plus ambigus sa visite et l entretien qui en ressort ne laissent pas de desservir le premier Cette sc nographie est bien celle de plusieurs contes et appartient en propre l engagement de l criture mirbellienne Il fut notamment ministre de l Instruction publique et des Beaux Arts dans le cabinet Waldeck Rousseau et cible r guli re des chroniques de Mirbeau 7 R sumant avant l heure le principe concentrationnaire les pasticheurs font dire l industriel D un c t a cr e un commerce patant Et de l autre a supprime les pauvres la mani re de Premi re s rie Grasset 1950 p 9 de la v ritable crise de schizophr nie gui s empare du lectorat et de la critique r action symptomatique du d sir de fuir l expression de la r alit qu on lui met sous les yeux L argumentaire des critiques se limite d ailleurs la n gation pure et simple de l existence m me de cette derni re au nom de crit res moraux ou esth tiques alors que des r actions seraient attendues certes dans le champ litt raire mais de surcro t dans le champ social et politique Attitude que Cl ment Rosset r sume par la formule Oui la chose per ue non aux cons quences qui devraient normalement s ensuivre Enfin la r
26. es supplices propose un mod le complexe puisque Clara ne prendra la parole et n orientera le texte qu apr s que le narrateur premier l aura pr sent e sous l apparence de la femme fatale C est dans le renversement des places qui s instaure dans la seconde partie de l uvre dans laquelle Clara devient le mentor le guide tout autant fascinante par ses attributs que par les terribles myst res qu elle r v le que le lecteur passe sous la domination de la voix f minine Rien de plus propre cette volont de capter l attention de l interlocuteur que cette fusion du regard du corps f minin et de la parole comme en t moigne la r plique du narrateur litt ralement sous le charme de Clara Rien ne nous presse ma ch re Clara Nous verrons toujours assez d horreurs Parle moi encore comme tu me parlais il y a une seconde o j aimais tant ta voix o j aimais tant tes yeux C lestine pour sa part assume d embl e la responsabilit de l nonciation et de la teneur des propos de son journal Sa dimension charnelle appara t au d tour des pages mais peu peu c est son regard sur le monde qui pr vaut entra nant sa suite celui scrutateur que le lecteur invit en cela par le titre portait sur elle seule 32 On a d j fait remarquer la puissance vocatrice du mot journal lorsqu il pr supposait l irruption du lecteur dans Pintimit de son auteur et combien la fonction de C lesti
27. ette structure visuelle gui commande aux textes Mirbeau ajoute au principe informationnel affirmant que n existe que ce gui est dit le concept cognitif qui fait de la vue un l ment pr pond rant de la construction du sujet et de son environnement L obligation doublement faite au lecteur de voir le r el ne pouvait que conduire certaines r actions vives de la part du public et l accusation d obsc nit H LA STRAT GIE DES APPARENCES OU LE PRINCIPE DE S DUCTION Face ce caract re immonde des corps morcel s ou exhib s face l obsc nit d une sexualit d voil e cr ment surgit la n cessit de d tourner les regards afin de m nager un temps avant la d couverte des r alit s Ce chemin oblique cet cart pour r sister l obsc nit ici entendu non plus dans son sens moral mais dans son sens plus philosophique d e xacerbation r alistique appara t dans l av nement de la femme guide A Le charme de la f minit puissance du d sir Puisque l obsc ne proc de d une saturation du r el puisqu il constitue l extinction de toute attente les romans Le Jardin des supplices et Le Journal d une femme de chambre vont biaiser avec la repr sentation de la r alit en introduisant entre le lecteur et elle l cran paradoxal de la f minit Clara et C lestine pour appartenir aux figures pornographiques d cri es par la critique ne pr sentent pas moins
28. frons poss dant une double orientation Elle supposerait que soit d doubl le foyer central traditionnel incarn par le personnage principal gr ce la pr sence d un second personnage qui soit directement soit indirectement viendrait relativiser la port e des analyses du premier Mus l un par l autre les regards se retrouvent sans cesse en comp tition le narrateur premier est aux prises avec une autre entit active ou passive gui en est le repoussoir le double sp culaire Ce d doublement emp cherait une lecture fluide de l univers pr sent et en perturberait le syst me axiologique Puisgu il s agit de retarder la r v lation du r el le lecteur est amen voir double Nous retrouvons ici d une mani re sous jacente le principe dialogique dont l uvre de Mirbeau serait aussi il est vrai un bon exemple Le m lange des voix le discours polyphonique rel vent bien de cette probl matique de la multiplication du sens et de sa diffraction entre plusieurs personnages ou au sein du m me Cependant concernant notre sujet et relativement au caract re engag du travail mirbellien il conviendrait de justifier ce qui en d marque notre proposition Pour le premier point nous avons not que l obsc nit tait accentu e dans les textes par le recours 15 Peut tre est ce ici l un des indices de la nature baroque de certains textes de Mirbeau la figure de l ellipse et de son double centre pour d
29. ge de la preuve laquelle parvient Mirbeau Il crit Charles Lalou directeur de La France Mon cher directeur Voici ma chronique Elle est un peu leste mais vous remarquerez qu elle est seulement gauloise et sans intentions obsc nes Cette sc ne s est pass e identique Sainte Gauburge village deux lieues de Laigle et les journaux du pays la racontent D ailleurs cela d peint admirablement le paysan c est un document champ tre Les variations s mantiques autour de la notion d obsc nit tendent poser les limites de ce qui est acceptable et de ce gui ne l est pas On reconna t l deux adjectifs leste et gaulois familiers des chroniqueurs mondains et qui dans leurs articles comme en t moigne assez le dernier apparaissent comme deux qualificatifs propres d finir l esprit fran ais En revanche obsc ne s y oppose et se retranche par l m me des bornes de la biens ance Plus int ressante encore l expression document champ tre qui fait tomber l accusation d obsc nit au nom du r el reproduit En arguant du caract re testimonial de l anecdote Mirbeau se d douane de toute intention obsc ne Mais n est ce pas justement la reproduction du r el sans chappatoire dans son idiotie qui constitue le fond de l obsc nit aux yeux de la bourgeoisie Nul ne peut supporter la r v lation sans fard des v rit s du monde surtout lorsque celles ci suppose
30. i laisse le sens vacant en d sh rence L Abb Jules ne pr sente que l esquisse de cette m thode en offrant au lecteur le portrait du personnage ponyme en deux temps la vision de l abb partir des rumeurs des discours parentaux qui tissent pour l enfant une v ritable l gende autour de l oncle le portrait de visu cette fois lorsque l abb revenu de Paris est nouveau install Viantais Le d coupage du texte respecte cette partition puisque compos de deux parties il consacre la premi re la construction fantasmatique de l image de l abb Jules qui s ach ve avec son retour et sa rupture fracassante avec les parents du narrateur tandis que la seconde partie reprend la narration apr s une ellipse de deux ans qui a donn le temps l abb de prendre ses habitudes sur place Le point de vue est unique celui de l enfant mais la pr sentation en diptyque offre ce d doublement de la figure permettant tout un jeu de contrastes de paradoxes et de miroitements contradictoires Le narrateur du Jardin des supplices ne peut quant lui que raconter ce qu il d couvre donner lire le point de vue de Clara sans jamais pouvoir lucider le myst re de cet aruspice moderne qui m ne le jeu C lestine conte et d nonce dans son journal la vie de domestique mais elle n est pas la seule repr sentante de la condition ancillaire Si elle en incarne le versant frondeur lumineux Joseph repr sente qu
31. insi au del de la simple vocation de la cruaut du monde la mani re la plus marquante dont se traduit la psychologie des profondeurs qu il lui tient c ur de d velopper chez ses personnages La complexit de l me humaine les postulations contraires qui l animent sont la cause d un v ritable cart lement moral que Mirbeau choisit de mettre en sc ne selon deux principes les d veloppements psychologiques de certains personnages dans les premiers textes les images de corps supplici s dans les suivants Les deux m thodes ne se r partissent pas strictement d une mani re chronologique elles ne sont pas exclusives l une de l autre mais la seconde semble alimenter de pr f rence les uvres qui d butent avec Le Jardin des supplices o corps humains et corps textuels subissent le d pecage Le Journal d une femme de chambre suivra C lestine a un comportement complexe et la fin du roman dit assez ses contradictions tandis qu elle subit quotidiennement la tyrannie des ordres de Mme Lanlaire qui l oblige se plier litt ralement en quatre Les pages r dig es par la femme de chambre exposent la souffrance du corps Le texte lui m me porte la marque des pliures de l tre et les consid rations s encha nent par contamination des sensations et des souvenirs ne respectant qu peine le seul principe d organisation la chronologie du journal La fiabilit de cet ultime principe logique se voit en effe
32. ion principaux sous le coup desguels tombent guelgues textes onanisme dans Le Calvaire lubricit obsessionnelle de l abb Jules viol d une me d enfant et peine voil par l ellipse de son corps dans S bastien Roch luxuriante luxure dans Le Jardin des supplices sexualit d viante de C lestine et de ses ma tres dans Le Journal d une femme de chambre Notons encore que ce dernier roman est cit dans la conf rence de Boris Vian Utilit d une litt rature rotique recueillie dans ses crits pornographiques dans laquelle l auteur voque la sc ne f tichiste de la bottine de C lestine No l Arnaud dans sa pr face de l ouvrage indique que Vian ne connaissait de la litt rature rotique ou pornographique ou de manuels traitant de ce sujet que les plus classiques et r pandus comme pour mieux confirmer que dans l inconscient collectif le roman ne rel ve que du crit re libertin Mirbeau c est entendu est donc en premier lieu obsc ne cause de la teneur licencieuse de ses uvres qui frayent avec la pornographie Cependant un second crit re sert soutenir l accusation plus diffus dans ses a priori id ologiques il est tout autant r ducteur pour l esth tique de Mirbeau qu il enferme dans la logique naturaliste en d non ant l attachement de l auteur d crire le r el B La v rit sans voile Le mod le de cette lecture nous est fourni par un pastiche
33. lecteur La duplication ici fonctionne l inverse de ce qu elle promettait elle est retour sur soi repli vers le regard premier celui du lecteur Loin de diffuser l information elle la concentre par les prismes successifs des points de vue dont la focale a t invers e le personnage guide d crypte le monde le narrateur premier le per oit travers ce regard le lecteur enfin le d couvre une fois pass au crible des deux autres points de vue et par transitivit se retrouve le seul garant et interpr te de la r alit lorsque s vanouissent les figures et les certitudes des personnages Telle est la mal diction de l esquive de renvoyer par le d tour d une duplication fantasmatigue l indesirable point de d part le r el Ce qu affirment avec force les textes c est que l obsc nit se trouve dans l il de celui qui regarde chacun d s lors de s interroger sur son sentiment une fois la lecture achev e L obsc nit mirbellienne serait li e deux facteurs le caract re licencieux des textes et la repr sentation crue de la soci t qu on y trouve Principe cardinal de la po tique de l auteur la r v lation de la v rit sans fard ne s accommode d aucun compromis Cependant le double objectif qui l anime l oblige une r flexion sur le moyen de tisser entre elles les n cessit s de l engagement et celles de la litt rature Appara t alors comme le symbole
34. mbes ceux l se dandinaient sur des torses absents et je remarguais une qualit prodigieuse de ventres ignobles qui s talaient s panouissaient se gonflaient rebondissaient comme des ballons de caoutchouc Maroquinerie qui est sans conteste le texte que d marque le pastiche de Reboux et Muller a pour th me central la peau des colonis s africains Le Tronc voque la guerre et un bless gui n avait plus ni bras ni jambes c tait un tronc un tronc vivant et geignant motif que l on retrouve dans Ils taient tous fous Ils virent un bless les deux cuisses coup es qui se tordaient mes pieds sorte de grosse larve humaine Comme pour mieux confirmer le r gne du d pe age Mirbeau dans L 4ssiette au beurre du 31 mai 1902 num ro enti rement r dig par ses soins dresse le portrait du docteur Doyen chirurgien rig en parangon de la pratique m dicale et de la vanit contemporaine C est m me le plus grands des chefs en juger par le nombre des t tes qu il a scalp es des bras et des jambes qu il a coup s des ventres qu il a d cousus des doigts qu il a 1 Ernest Charles La Litt rature fran aise d aujourd hui Perrin 1902 p 279 cit par Pierre Michel in uvre romanesque Buchet Chastel Soci t Octave Mirbeau 2001 vol 2 p 339 Pour un panorama complet des influences du primat de l instantan et de ses cons quences dans les textes je
35. n s par l ge ou le labeur les descriptions physiques abondent servies par une mise en sc ne qui fait du regard l l ment principal de la r v lation L abb Jules est troubl par les odeurs de la jeune paysanne qu il rencontre au d tour d une promenade dans la campagne mais l excitation essentielle vient de ce qu il se place dans la position du contemplateur et qu il se livre un examen de ses charmes il examina la paysanne dit le texte Les visions de luxure qui l accablent sont les pires tentations qu il doit combattre tant elles lui chauffent le sang et ce sont les images qui s chappent de sa malle incendi e la fin du roman qui ont la charge de d livrer aux personnages pr sents la le on qu ils n ont pas encore comprise la pulsion sexuelle est la raison d tre et la limite de l homme C lestine pour sa part acc de aux cabinets de ses ma tresses et peut dresser un tat des lieux de la physiologie bourgeoise en 19007 Le narrateur du Jardin des supplices quant lui ne cesse de scruter le corps de Clara corps marmor en au repos corps soumis aux spasmes du d sir ou aux convulsions pileptiques Par l vidente insistance qu il met livrer les corps au voyeurisme de ses personnages Mirbeau s exposait l accusation d obsc nit Pourquoi d s lors cette r f rence insistante la vue D abord parce qu il n chappe pas cette surestimation du regard qu
36. ne tait un facteur fantasmatigue important On peut ajouter que le succ s de la publication partielle du Journal des Goncourt partir de 1887 avec son lot de r v lations av r es ou hasardeuses accentue la dimension scandaleuse du genre 33 Cit par H Damisch op cit p 70 Vincent Descombes L nconscient malgr lui cit par J Baudrillard op cit p 96 C est l auteur gui souligne 35 J Baudrillard op cif p 99 36 J Baudrillard op cit p 145 C est l auteur qui souligne 37 Mirbeau Le Jardin des Supplices Folio 1997 p 193 La femme passe du statut de corps celui de voix ce gui ne constitue pas une mince r volution des mentalit s sociales et litt raires Or dans le m me temps que la femme fait sa m tamorphose elle volue de la nature l artifice de l obsc ne la s duction cette derni re tant de l ordre du rituel tandis que le sexe et le d sir sont de l ordre du naturel Cette volution de la figure f minine est un indice des modifications que conna t la structure des textes mirbelliens qui pour tre engag s revendiquent une dimension esth tique Ce basculement des h ro nes de la nature l artifice semble illustrer les exigences litt raires de l auteur dont le projet de d voilement ressortit au domaine de l thique tandis que ses pr occupations litt raires le m nent sur la voie d une r flexion d ordre esth tique l
37. nt d admettre ses propres errements L obsc nit mirbellienne telle qu elle est mise en sc ne par le pastiche rel verait donc moins du caract re graveleux de certaines sc nes que de la volont de toujours mettre en avant repr senter ce qui est irrepr sentable nommer ce qui est innommable et de l ordre du refoul ou de la bonne conscience Ici l obsc ne est ce qui d voile d balle joue cartes sur table l o la mi vrerie de l rotique bourgeoise use des atours et des voiles Plus de parade du corps et des m urs mais la vie des organes et de la soci t exhib e au grand jour le r el rendu lui m me la nudit des corps et des instincts Dans ce d voilement qui supprime le myst re et ne m nage aucune chappatoire le projet Mirbeau ce que souligne d ailleurs fortement les choix d criture des pasticheurs pr sente une caract ristique qui suit encore une logique naturaliste tout en la pervertissant d j pour se l approprier le recours la description fragment e L origine du monde de Courbet est 8 Cl ment Rosset op cit p 10 Collection de Mme C Guimont Le document ne pr sentant ni destinataire ni r f rence explicite a t identifi par Pierre Michel et dat du mois de juillet 1885 Il serait relatif la publication de Justice de Paix qui para tra le 24 juillet 1885 rig en principe de repr sentation le tron on le fragment sont institu s en plac
38. onciation dans les textes Mirbeau adjoint son personnage observateur la responsabilit de la narration et s oriente vers une subjectivit ignor e du naturalisme Le regard est d sormais incarn et le r el appara t sans m diation Le pastiche voqu 18 Quiconque regarde une femme pour la d sirer a d j commis dans son c ur l adult re avec elle Evangile selon Mathieu 5 27 29 J sus ajoute Si ton il droit est pour toi une occasion de p ch arrache le et jette le loin de toi 9 Hubert Damisch Le Jugement de P ris Paris Champs Flammarion 1997 p 30 29 Idem p 20 7 Mirbeau L Abb Jules 10 18 1977 p 85 C est nous gui soulignons Nous nous permettons de renvoyer sur ce point la notion de complexe d Asmod e que nous avons esquiss e dans notre article Un mode d expression de l anticolonialisme mirbellien la logique du lieu dans Les vingt et un jours d un neurasthenigue C O M n 9 2002 pp 147 169 23 Hubert Damisch op cit 1997 p 32 Ibidem 25 Philippe Hamon Introduction l analyse du descriptif Hachette 1981 et Le Personnel du roman Le syst me des personnages dans Les Rougon Macguart d Emile Zola Gen ve Droz 1983 use et abuse de cette caract ristique Les invitations voir regarder les gestes de monstration gui orientent le regard sont nombreux La volont r v latrice de l criture mirbellienne est redoubl e par c
39. quelques diff rences majeures avec leurs semblables du gyn c e mirbellien Avant que d afficher leurs instincts et leurs corps elles se d finissent en termes de promesses faites soit explicitement comme Clara soit plus indirectement comme C lestine Le trouble oblig du lecteur devant les figures nouvelles des femmes narratrices revient celui prouv par P ris devant Aphrodite lui promettant la conqu te d H l ne en change du plus haut prix du concours dont il est le juge Car ce n est pas tant la beaut qui importait P ris que la prime de plaisir dont elle s accompagnait la promesse d un plus jouir La notion m me de promesse et celle gui en est le corr lat d une attente impliquant un d lai et avec lui la possibilit d une diversion voire d une tromperie quelque chose comme un leurre P ris d cernait le prix de la beaut Aphrodite dans l attente fallacieuse de plaisirs car de leur assouvissement na tront la guerre et la destruction de Troie Le narrateur du Jardin des Supplices succombe lui aussi aux promesses dilatoires de Clara qui il remet et son corps et sa volont De cette d mission de l esprit critique du narrateur surgira galement la catastrophe l entr e au jardin avec son flot de r v lations Mirbeau pr sente Clara travers le trouble du narrateur premier avant gu elle m me ne m ne le jeu des r v lations guidant les regards et
40. rdant confirmant par l sa nature sup rieure et civilis e d observ Principe ph nom nologique je cr e le monde en le regardant n existe que ce que je d clare utile de regarder et suis moi m me une partie du monde regard par les autres Dans ce tourbillon des regards le lecteur est tour tour observateur et observ dominant et domin savant et ignorant Il s agit bien de vouloir redonner sa place ce tiers exclu qu est le lecteur du texte monologique dans lequel se d ploie une logique exclusivement bivalente Face un tel mode de pens e la coexistence de points de vue contraires s affrontant et ne s invalidant pas ram ne la libert de ce nouvel interm diaire interpr tatif le lecteur Confront la b ance du sens et donc la n cessit de penser et d agir dont il tait priv dans les uvres monologiques qui postulaient le tertium non datur il est le troisi me terme enfin r habilit L objectif du texte mirbellien est d imposer au lecteur un travail de lecture du r el qui lui sera propre et qui ne peut reposer ni sur l interpr tation d un personnage ni sur le renversement que lui fait subir le surgissement du second La m diatisation le d doublement de l instance actantielle servent d cran entre le lecteur et le texte entre ses principes et la r alit d voil e Ce qui se pr sente cependant comme une mise distance se r v le tre finalement un m canisme fatal au
41. subordination du narrateur aux faits et gestes de l animal La pr gnance de cette vision bipolaire jouerait donc en faveur d un rapprochement formel avec le proc d st r oscopique Deux points de vue serviraient donner une vision plus enti re du th me permettraient la mise en perspective du probl me abord Le lecteur adjuvant de ces deux regards viendrait y ajouter le sien pour une lecture d finitive B Un dispositif ironique Les nombreux romans mirbelliens qui pr sentent l observation scrutatrice d un milieu les rituels chinois l intimit bourgeoise la vie d une station thermale supposent la complicit du lecteur et cette m me sensation de distance s curisante vis vis de l univers d crit que celle procur e au spectateur par le clich st r oscopique n taient deux diff rences majeures La premi re tient au fonctionnement global de la double instance narrative Loin d tre compl mentaires l un de l autre loin de favoriser l explication du monde les deux points de vue le complexifient outrance y apportent des probl matiques neuves et surtout se gardent de rien r soudre d une mani re d finitive Au del d un simple face face dialogique la structure bipolaire vient rompre brutalement les certitudes que le texte imposait au lecteur par le truchement du narrateur premier Ce dernier ne voit pas seulement surgir un discours adverse mais il se soumet cette parole et s
42. t mise mal plusieurs reprises par le biais d analepses fr quentes et peu motiv es par le contexte Par le recours l l ment isol Mirbeau coupe court la narration et l illusion romanesque pour ne laisser en vidence que le fragment au nom de ce que M F Montaubin nomme une esth tique du tronqu Loin d en arriver au caract re fig de la description pathologique du naturalisme qui perd en vivacit ce qu elle gagne en scientificit le fragment selon une d finition qu en donne Roland Barthes dans sa Le on inaugurale au Coll ge de France permet la multiplicit des vocations auxquelles il donne lieu une lecture polysemigue moins on en montre plus on en dit Valeur plurielle mais non pas g n rale du fragment car pr cis ment le fragment refuse toute confrontation une id e d sincarn e Il veut le bouillonnement et le morcellement de l existence Le paradoxe du fragment chez Mirbeau est celui ci il semble confiner aux limites de l acceptable dans la restriction du champ visuel qu il impose au profit de la minutie ou de l horreur de la description de l objet tandis que dans le m me temps il est l l ment qui fait le mieux saisir l ensemble des enjeux que cache la description en se pr sentant comme une travers e des apparences Le d tail n est pas fig il n puise pas le contenu de son r f rent mais en multiplie les effets de sens C est bien entendu Le
43. t du jugement de valeur et de l affirmation gratuite qui est d mentie par la quantit des tirages des uvres r alistes ou naturalistes et tout particuli rement de celles de Zola si l on accepte d tendre le jugement port sur les m urs des maisons closes l ensemble des textes analysant d une mani re explicite les affres de la sexualit dans cette perspective Nana 1880 le roman du cycle des Rougont Macquart le plus marqu par cette probl matique a atteint le plus gros tirage dans la collection Biblioth que Charpentier 166 000 en 1893 loin devant les autres titres zoliens Il y a l expression d une mauvaise conscience av r e d un critique qui r agit en suivant les dogmes de l poque pour laquelle la litt rature est encore coup e de la r alit et o cette derni re si elle est repr sent e doit l tre en des termes acceptables pour les convenances Il y a donc dans ce texte de Cases la preuve 5 Au del du caract re r ducteur du pastiche il faudrait dire combien celui de Reboux et Muller est pertinent lorsgu il met en sc ne deux personnages en situation de conversation d marquant ainsi d une mani re fid le les interviews imaginaires propres Mirbeau et mises en vidence par Pierre Michel Il faudrait galement insister sur l analogie th matique l un des personnages est un homme symboliquement important m me si ici il n est que le repr sentant du ministre et industriel G
44. u pied de la lettre Mirbeau serait un oiseau de mauvais augure Voil qui lui sied sans doute assez bien pour que ses censeurs en soient remerci s 5 Notons propos de ce renversement que parmi la masse de clich s pris par les sectateurs de la logique colonialiste dans les villages de sauvages rares sont ceux qui pr sentent les indig nes photographi s contre champ c est dire depuis l int rieur de la zone o ils voluent Dans ces prises de vue en effet ils sont repr sent s de dos et ce sont les badauds occidentaux qui se trouvent de face distribution nouvelle des places qui brouille la d marcation entre observateurs et observ s C Rosset op cit p 125 Arnaud VAREILLE NOTES
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