Home

À nos amours

Contents

1. MAURICE PIALAT nos amours MODE D EMPLOI Ce livret se propose de partir des contextes de la cr ation du film pour aboutir la proposition d exercices ou de pistes de travail que l enseignant pourra prouver avec ses classes Il ne s agit donc pas tant d une tude que d un parcours qui doit permettre l appropriation de l uvre par l enseignant et son exploitation en cours Des pictogrammes indiqueront le renvoi a des rubriques compl mentaires pr sentes sur le site www transmettrelecinema com vid o gt Directrice de la publication Fr d rique Bredin Propri t Centre national du cin ma et de l image anim e 12 rue de L beck 75784 Paris Cedex 16 T l 01 44 34 34 40 R dacteur en chef Thierry M ranger R dacteur du livret Jean S bastien Chauvin Iconographe Carolina Lucibello et Lara Boso R vision Sophie Charlin Conception graphique Thierry C lestine Conception printemps 2015 Cahiers du cin ma 18 20 rue Claude Tillier 75012 Paris T l 01 53 44 75 75 www cahiersducinema com Avec nos chaleureux remerciements Sylvie Pialat Achev d imprimer par Plmprimerie Moderne de PEst juillet 2015 SOMMAIRE Synopsis et fiche technique R alisateur Une voie singuli re Gen se Une r invention permanente Acteurs Composer une famille Personnages L opacit des figures D coupage narratif R cit Mythologies Mis
2. rencontr r cemment l Am ricain tait le v ritable petit ami de Bonnaire au point que comme dans le film elle partait a San Diego avec lui a la fin du tournage Une autre fois encore lorsque son pere jou par Pialat lui dit dans le bus en partance pour Pa roport qu elle n est pas aimante un voile sombre passe sur le visage du personnage Ce voile semble bien habit par autre chose que le jeu comme si c tait Maurice Pialat lui m me qui lui disait cette phrase a Sandrine et non le p re de Suzanne sa fille Il en va de m me dans la sc ne de la fossette o la connivence et Paffection que Pialat et Bonnaire se portaient dans la vie se manifestent sur P cran avec la force de l vidence voir ci contre Pialat comme tous les cin astes utilise la ruse pour obtenir de ses acteurs une v ri t inalt rable Ici la ruse consiste faire en sorte que la biographie des acteurs et l tat dans lequel se trouvent les com diens rencontrent l histoire qu ils sont cens s jouer Sandrine Bonnaire raconte ce sujet que chez elle les gifles pleu vaient facilement et qu elle n tait donc pas d pays e par celles r elles qui se distribuaient sur le tournage Au del de Panecdote la dimension autobio graphique recouvre tous les pans de la cr ation Cette part vaut aussi pour l criture du sc nario Quand l origine du film cf p 3 Pialat demande Arlette Langmann d crire un r cit s inspirant de
3. R DACTEUR DU LIVRET Jean S bastien Chauvin est critique de cin ma Cahiers du cin ma Vogue enseignant en cin ma Esec Universit Paris 8 et cin aste Il a r alis cinq courts m trages dont Les Filles de feu 2008 Et ls gravirent la montagne 2011 et Les Enfants 2014 Avec le soutien du Conseil r gional Libert Egalit i TDN
4. os p dagogiques e Des entretiens avec des r alisateurs et des professionnels du cin ma Faire corps nos amours est l un des films embl matiques du cin ma fran ais des ann es 80 La modernit du portrait de la jeune Suzanne qui conquiert son autonomie tout en faisant l exp rience de la perte tient pr cis ment la v rit des sentiments qui y appara t dans toute sa nudit La prestation de Sandrine Bonnaire alors d butante sid re encore aujourd hui tant il est rare qu une com dienne fasse ce point corps avec son personnage Port par une puissante dimen sion documentaire nos amours est ainsi une sorte d aboutissement artistique de la premi re p riode de l uvre de Maurice Pialat marqu e par l inspiration qu il trouve dans sa vie et celle de ses proches l extraordinaire puissance du r el qui s exprime dans la fiction fait du cin aste un artiste d exception et une r f rence absolue pour nombre de metteurs en sc ne contemporains R DACTEUR EN CHEF Thierry M ranger est depuis 2004 critique et membre du comit de r daction des Cahiers du cin ma Agr g de lettres modernes et concepteur de documents p dagogiques il enseigne en sec tion cin ma audiovisuel au lyc e Rotrou de Dreux et dans le cadre du Master Pro sc nario r alisation et production de l universit Paris Panth on Sorbonne ll est galement d l gu g n ral du festival Regards d Ailleurs de Dreux
5. J ai t seul avec lui pendant un moment mais je ne me rappelle pas tous les d tails de ce psychodrame qui est cependant un bon souvenir Je me suis m me lev puis sagement rassis car j avais un fil la patte celui du Nagra qui partait de la poche int rieure de ma veste et me ligotait la table Enfin nous avons tourn le contrechamp sur lui Cette fois j tais off lui donnant la r plique Apr s cette alerte j ai eu la mesquine satis faction de voir Pialat avaler un verre de calvados sans doute pour dissiper son trac Je ne suis revenu dans le film que pour quelques images sur le bateau dans la presqu le de Giens Mais l je n avais pratiquement rien faire sinon go ter une belle journ e de vacances en mer L quipe se baignait Pialat lui m me a soudain plong L ambiance tait d tendue s installait dans cette dilution des tournages finis sants o le cin ma se berce d une illusion familiale Et m me si elle est pr caire elle comporte ses motions qui ne sont pas toutes nulles On a beaucoup rapport d anecdotes sur le terrible Pialat Certes il n est pas un saint Mais au c ur de sa violence m me de son talent formuler une certaine destruction il entre une constante humanit aupr s de laquelle tout autre cin aste devient un techni cien morne Dans le monde du cin ma Pialat est un artiste extra muros Par son refus du r cit classique du d coupage des s curit s du sc nario il cas
6. Janine dont le second r le tait tenu par Claude Berri le fr re d Arlette Langmann la sc nariste d A nos amours Quant au p re Pialat qui ne r ussissait pas arr ter son choix d cida de le jouer lui m me Difficile de savoir quelle couleur aurait t apport e au personnage si le r le avait t tenu par un autre Une chose est s re en tout cas la sc ne du repas o le p re d barque par surprise et r gle ses comptes m aurait pas exist cf p 11 et 18 La connivence cr e avec Sandrine Bonnaire Pattachement r ciproque qu ils avaient l un pour l autre ne sont sans doute pas trangers sa d cision d interpr ter le p re de Suzanne cf p 8 Lui qui n tait pas encore p re et s est pris d un amour filial pour cette jeune fille br lait sans doute d envie d endosser ce r le l devant la cam ra Et en cin aste malin il savait que cette complicit se verrait sur l cran Preuve qu un cin aste cherche d abord dans le r el dans la capacit des tres changer au contact des autres ce qui rendra le film vivant 1 Des images de ces essais figurent dans le documentaire de David Thompson Il tait une fois nos amours en bonus du DVD du film 2 Entretien avec Maurice Pialat Positif n 275 janvier 1984 vid o PERSONNAGES W L opacit des figures Jamais nous ne saurons vraiment pourquoi Suzanne n est pas aimante pour quoi elle a le c ur froid Si le sc nario pars m
7. Triet La Bataille de Solferino DVD Shellac Sud 2014 Bibliographie Ouvrages sur Maurice Pialat Pascal Merigeau Pialat Grasset 2002 Antoine de Baecque dir Le Dictionnaire Pialat Leo Scheer 2008 Jo l Magny Maurice Pialat ditions de P toile Cahiers du cin ma 1999 R mi Fontanel Formes de l insaisissable le cin ma de Maurice Pialat Al as 2004 Sylvie Pialat Maurice Pialat peintre Institut Lumiere 2004 Serge Toubiana Maurice Pialat peintre et cin aste Somogy amp la Cin math que fran aise 2013 Maurice Pialat histoire d un cin aste Cin ma tographe n 57 d cembre 1980 Dossier sp cial Pialat Cahiers du cin ma n 576 f vrier 2003 Maurice Pialat 1925 2003 Positif n 505 mars 2003 Ouvrages sur nos amours Alain Philippon A nos amours de Maurice Pialat YellowNow 1989 Maurice Pialat et Arlette Langmann Sc nario et dialogues du film de Maurice Pialat d apres un sc na rio original d Arlette Langmann Pierre Lherminier 1984 Ren Pr dal nos amours Armand Colin 2005 PAvant Scene Cin ma nos amours de Maurice Pialat n 621 mars 2015 Articles et entretiens Jean Claude Bonnet nos amours Cin ma tographe n 94 novembre 1983 Alain Menil Suzanne la perverse Cin ma tographe n 94 novembre 1983 Alain Bergala Maurice Pialat un marginal du centre Cahiers du cin ma n 354 d cembre 1983 Pas
8. ainsi l un des rares cin astes qui auront combl pour un temps le foss qui dans le cin ma fran ais s est progressivement creus entre ces deux bornes en quelques d cennies Dans son Van Gogh 1991 la cr ation loin des affres parfois d crites sera montr e comme un processus secret une recherche calme inspir e du vivant Son dernier film Le Gar u 1995 r alis huit ans avant sa mort sera un mouvant portrait de paternit Aujourd hui consid r comme la quintessence du cin ma fran ais son g nie irradie au point qu il est difficile d chapper l influence du naturalisme pialatien auquel aspirent de nombreux films GENESE Une r invention permanente D Les essais de Sandrine Bonnaire Gaumont mission toiles et toiles sur le tournage VA nos amours 1983 INA Au d part d nos amours se trouve un sc nario d Arlette Langmann ex femme de Pialat et collaboratrice au sc nario de Loulou film qui raconte leur histoire intitul Les Filles du faubourg et dont le parcours est tumultueux Ce sc nario avait t crit dix ans auparavant en 1974 et faisait le r cit pour partie de l adolescence d Arlette avec ses premi res amours et ses rapports difficiles avec ses parents et son fr re Pialat raconte que des l ments du sc nario se sont retrouv s dans Passe ton bac d abord son film de 1978 si bien que lorsqu il pr senta le projet des Filles du faubourg l a
9. appara t soudain comme relevant de la petite cuisine du making of du film La fiction et le montage prot gent le spectateur d une description de la violence brute et sans m diation C est la fois une question de morale du regard puisqu il s agit de faire en sorte que le spectateur ne se sente ni intrus ni voyeur et une question de croyance l autre grande sc ne de v rit d A nos amours est celle qui la fin voit le p re d barquer au milieu d un repas domi nical On sait que le p re dans le sc nario tait cens tre mort La surprise des com diens fut totale quand ils virent le cin aste d barquer dans le costume de son personnage inquiets du mauvais coup qu il leur pr parait La puissance de la s quence vient de ce que en des mots d guis s Pialat sen prend ad hominem aux acteurs eux m mes Notamment Jacques Fieschi qui Pialat reproche d avoir laiss publier dans la revue Cin matographe dont il s occupait un entretien d sobligeant sur son cin ma cf p 18 Si la m thode est cruelle tout le monde joue le jeu de fa on impeccable c est la raison pour laquelle le spectateur ne sort pas de la fiction m me lorsqu il conna t les ressorts de la cr ation Jusqu au moment o Evelyne Ker visiblement exc d e gifle Pialat v ritable effet boomerang de ce qu il avait lui m me provoqu Une fois encore le cin aste int grera videmment le geste son montage final 1 Entretien avec Yann
10. au moment du tournage des acteurs professionnels La plupart des seconds r les sont dans ce cas y compris Jacques Fieschi interpr te du beau fr re qui est critique et sc nariste Sil est vident qu un acteur professionnel ne vient pas seulement avec sa technique mais aussi avec son charme propre son v cu la texture de sa voix et ses obsessions la qu te de Pialat est celle de l vidence qu incarne un tre que le savoir faire et les tics d acteur n ont pas encore format Ce go t pour les amateurs est ce qui permet Pialat d organiser la rencontre parfaite entre Sandrine Bonnaire et son personnage cf p 4 La jeune fille n tait pas forc ment celle qui lors des essais jouait le mieux Mais elle tait Suzanne Le trouble qui appara t sur le visage de l actrice plusieurs reprises dans le film n est des lors pas recr mais bien r el Au del des sc nes spectaculaires nos amours regorge de moments fugitifs o dans le regard de Bonnaire passe une palette d motions ne pouvant na tre que dans un tel dispositif L universalit de l exp rience Il faut revoir Sandrine Bonnaire au d but du film avec l Am ricain accoud e au bar tandis que celui ci lui commande boire Lamour l admiration la crainte la joie la tristesse toutes ces motions contraires traversent son visage avec une fulgurance qu une jeune actrice plus r d e n aurait sans doute pas pu exprimer avec un tel naturel Et pour cause
11. bien pu lui faire Ah oui qu est ce que tu m as fait Tu me d go tes Cest ce que Suzanne lui jettera la figure avant de s chapper Personnages modernes Pour Pialat il n y a aucune raison que le spectateur ait une quelconque avance sur les personnages en sachant ce qu eux m mes ignorent Un spectateur qui a de l avance peut non seulement s ennuyer car alors il n a plus rien d cou vrir mais il risque surtout de dominer les personnages par un savoir omni potent Or Pialat filme sans cesse hauteur dhommes d couvrant ce qu ils vivent au pr sent en m me temps qu eux Cette opacit des figures est typique du cin ma moderne Dans le cin ma classique bien que certains poss dent des zones d ombre et que certaines choses restent informul es les personnages ont souvent des motivations explicites et m me rassurantes pour les spectateurs qui peuvent ainsi comprendre et s y reconna tre C est m me le modus operandi de la majeure partie des films hollywoodiens dont le syst me d identification repose sur des codifications pr cises Ils prennent ainsi le temps au d but du film de pr senter le contexte et ce que les professionnels appellent la back story c est dire les l ments de la vie du personnage qui pr c dent le moment o le film commence afin d clairer les actions et motivations des h ros Or jamais rien de cette back story ne nous parviendra au sujet de Suzanne L h ritag
12. exp rience Pialat filme longtemps mais il est tr s rare qu au montage une s quence s puise d elle m me dans la dur e Au contraire dans nos amours les sc nes sont Partie de campagne de Jean Renoir 1936 Coll CdC tr s courtes on ne voit presque jamais monter la violence elle semble d j l latente elle surgit brutalement et cesse parfois aussit t D une autre fa on La Bataille de Solferino est travaill par une sorte de rythme paroxystique qui ne s adoucira que rarement le film se situant dans une sorte de temps r el ou la tension d un jour historique l lection de Fran ois Hollande se superpose la tension intime d un couple s par Poppos du caract re parfois suffo quant du film de Justine Triet le rythme d A nos amours est fond sur une alter nance de moments de creux et de sc nes d exc s d instants de douceur et de violences physiques qui renforcent cette impression d tre face la vie m me comme balanc par des vagues un mouvement de flux et de reflux Hyst rie Le travers dans lequel tombent parfois les continuateurs de Pialat par del la qualit de leurs films c est une forme d hyst rie une complaisance dans P panchement des com diens Evelyne Ker dans nos amours repr sente ainsi un point limite dans le cin ma de Pialat qui r ussit moins transformer ses crises de nerfs en mati re fictionnelle que ne le fit Isabelle Huppert quelques ann es plus
13. fille du p re disparu qui Pa aim e Regard dur de Suzanne Elle retrouve Luc au caf Il tente sa chance une nouvelle fois mais Suzanne lui annonce qu elle va se marier Elle voque un pass lointain et heureux entre eux deux et termine par ces mots J ai plus quinze ans 16 Une r union qui tourne mal 01 16 10 01 29 32 DVD chapitres 26 27 et 28 Suzanne regarde dans le vague tandis qu on entend un bouchon de champagne sauter hors champ On observe les chass s crois s et les conversations entre tous les convives ainsi que l amour d vorant du fr re pour sa s ur Michel pose la main sur la cuisse de Suzanne qui ne dit rien Soudain le p re d barque sous les yeux ba his de tout le monde Il s assoit et commence sen prendre chacun La m re finit par le gifler et le pousse vers la sortie 17 Le d part de Suzanne 01 29 33 01 35 00 DVD chapitres 29 et 30 Suzanne attend son p re sous un porche Ensemble ils prennent le bus qui la m ne Pa ro port Suzanne sen va San Diego avec Michel Dans le bus son p re lui dit qu elle n est pas aimante Ils sembrassent et se quittent Dans l avion tandis que son p re s enfonce dans un tunnel Suzanne lance un dernier regard travers le hublot Son image se fige G n rique de fin RECIT Mythologies nos amours pourrait n tre qu une chronique adolescente comme on en voit souvent au cin ma juste un peu plus am re que d autres
14. re en particulier de Pirrepr sentable les ph nom nes atmosph riques les nuages le vent et du fugitif le temps dur e comme instant comme le note encore Jo l Magny Nul doute que les oscillations et variations imperceptibles que sa cam ra a r ussi saisir sur le visage de Sandrine Bonnaire rel vent quoi qu en dise Pialat d un g nie qui n appartient qu au cin ma 1 Maurice Pialat Paris ditions de l toile Cahiers du cin ma 1999 CONSULTER Filmographie nos amours Maurice Pialat nos amours 2 DVD Gaumont 2013 Suppl ments David Thompson Il tait une fois nos amours Xavier Giannoli l il humain une analyse d nos amours Autres films de Maurice Pialat Pialat l int grale Volume 1 Nous ne vieillirons pas ensemble nos amours Police Van Gogh Sous le soleil de Satan coffret 9 DVD Gaumont 2008 Pialat l Int grale Volume 2 l Enfance nue La Gueule ouverte Passe ton bac d abord Loulou Le Gar u La Maison des bois courts m trages coffret 11 DVD Gaumont 2008 Autour du film Patrick Grandperret Meurtri res DVD Studiocanal 2007 Catherine Breillat 36 fillette DVD ditions Montparnasse 2007 No mie Lvovsky Oublie moi La vie ne me fait pas peur DVD Why Not Productions 2010 Abdellatif Kechiche La Graine et le Mulet DVD Path 2008 Abdellatif Kechiche La Vie d Adele DVD Wild Side Vid o 2014 Justine
15. sa propre vie il esp re que les situations les mots et les affects qui vont transpa ra tre seront le fruit de la vie m me sans tricherie ni artifice De fait il s agit chez Pialat d une donn e essentielle de la mise en scene qui commence bien avant le tournage avec le choix d histoires proches du v cu de ceux qui les crivent Beaucoup de ses films fonctionnent sur le m me registre de Loulou au Garcu en passant par La Maison des bois ou Nous ne vieillirons pas ensemble La part autobiographique ne sert jamais un projet narcissique mais est le moteur d une n cessit et d une int grit artistique qui refuse ce qui est jou factice ou formel pour atteindre une piphanie de la r alit Ainsi quand certains cin astes cherchent le lointain Palt rit Pialat trouve dans le local la vie des gens qui l entourent ou la sienne propre une fa on d atteindre luni versalit de l exp rience Provoquer des situations Le deuxi me temps de Pexp rience a lieu sur le tournage La mise en sc ne chez Pialat est une sc nographie des corps dans l espace cf p 12 Ainsi il s agit de capter des motions dans le temps r el du plan plut t que de les construire au montage M me s il n a pas la religion du plan s quence et ne r pugne pas de temps autre faire un champ contrechamp ou couper dans le plan si celui ci pi tine Pialat choisit de laisser les acteurs s panouir dans le cadre plut t que de les c
16. t des autres du fait m me de ce professionnalisme Pialat un peu injuste avec elle comprend n anmoins le r le essentiel qui a t le sien pour tenir ensemble toutes les parties M me si Evelyne Ker ne joue pas bien ce n est pas le plus important car en revanche elle a apport au film un dynamisme qui donne ces sc nes un exc s qui n tait pas pr vu Cela a eu un effet sur le tournage partir de ces sc nes l on s est tous r veill et on a commenc mieux tourner Ca a t un excitant C est finalement positif 2 De la m me mani re qu un plan ne peut s envisager que par rapport celui qui pr c de et celui qui suit un com dien n est jamais seul mais entre en interaction avec les autres La grande intelligence de Pialat au del de son jugement sur l actrice elle m me est de comprendre combien P nergie de l actrice et son jeu th tralis l extr me au point qu il fr le Physt rie pure et simple va entra ner le film sur des pentes inattendues De fait par son registre diff rent des autres Evelyne Ker renforce la solitude de son personnage son inadaptation une situation qu elle ne contr le pas et les antagonismes avec les autres notamment Sandrine Bonnaire La vie du personnage part d autant plus en lambeaux que la com dienne qui Pincarne ne se sent pas tout fait sa place sur le plateau Evelyne Ker avait d ailleurs jou dans un court m trage de Pialat en 1962
17. 8 11 00 50 55 l aune de ces deux conceptions du cin ma Si la sc ne appara t globalement comme bazinienne deux plans impor tants celui de l employ e de latelier observant le pugilat et celui de Suzanne r pondant in fine son fr re montrent que Pialat ne renonce pas revendi quer les aspects fictionnels de son art il 12 SEQUENCE Une fleur qui clot Il y a parfois dans les grandes uvres des images qui r sument elles seules un film tout entier car elles contiennent Pessence d une mise en sc ne qui brille par sa simplicit et sa limpidit Dans nos amours C est une s quence quotidienne presque anodine dont la dur e assez courte est celle d un unique plan 00 41 07 00 41 42 qui condense les enjeux du film et r v le en creux les rapports de force entre Suzanne et sa m re C est le matin Suzanne est endormie quand la m re p n tre brutalement dans la chambre dit sa fille qu il est Pheure de se lever ouvre les rideaux lui reproche d avoir laiss la lumi re br ler toute la nuit puis s offusque de la voir dormir sans chemise de nuit Suzanne en se levant r v le sa nudit Le plan se termine quand la m re s loigne dans le couloir laissant sa fille assise sur son lit dans la lumi re blanche du matin Si cette discussion banale entre une m re et sa fille fonctionne d embl e sur un sentiment de reconnaissance qui n a pas v cu ces instants ensommeill s o une m
18. D o vient que la description de cette adolescence semble au contraire puiser dans quelque chose de plus d rangeant plus profond et essentiel Cela tient entre autres la mise en relation constante du r cit des mois adolescents avec le roman familial de Ph roine Ces deux histoires loin d avancer en parall le sont consubstantielles l une de l autre nos amours est une chronique adolescente qui se nourrit de trag die antique une trag die dont l appartement familial serait la sc ne Tout n est pas explicitement formul stylistiquement ou dans l criture du sc nario et pourtant chaque membre de la famille semble l acteur d une trag die des origines rejou e au d but des ann es 80 Paris au sein d une classe moyenne de commer ants Famille incestueuse De mani re sous jacente nous est pr sent le r cit d une famille aux relents incestueux une jeune fille amoureuse de son p re une m re fusionnelle avec son fils un fr re plein de d sirs enfouis pour sa s ur voil ce qu on per oit plus ou moins explicitement mesure que le film se d ploie Une s quence est tr s vocatrice Au d but du film alors que Suzanne est rentr e de vacances son p re entrouvre la porte de sa chambre et la surprend allong e avec une camarade de classe Suzanne lance son p re que sa copine le trouve sexy et il r pond Vous voulez que je vienne sur le ton de la blague Plus loin Suzanne dira Bernard q
19. Dedet Cin matographe n 94 novembre 1983 Bazin contre Koulechov Pour bien comprendre en quoi le montage en champ contrechamp serait du c t de la fiction et le plan unique davantage pr conis par le cin aste plut t du c t documentaire il faut remonter un peu en amont dans l his toire du cin ma Les r alisateurs russes des ann es 20 tels qu Eisenstein ou Vertov consid raient que l essence du cin ma tait le montage L effet Koulechov initi par le cin aste du m me nom fut exp riment en filmant un acteur arborant expression la plus neutre possible et en faisant alterner ce plan au montage avec d autres prises de vues comme l image d une assiette de nourriture ou celle d un cer cueil Koulechov se rendit compte que assemblage cr ait artificiellement un affect a chaque fois diff rent sur le visage de l acteur en l occurrence la faim ou la tristesse d montrant ainsi le pouvoir cr ateur du montage Une trentaine d ann es plus tard Andr Bazin au contraire postulait que la sp cificit du cin ma tait sa capacit a saisir l essence des choses travers la pellicule qui en portait la trace parti culi rement si le plan laissait ces choses le temps d exprimer leur v rit celle d un geste d une situation le montage au contraire tait propice tous les mensonges On pourra en classe analyser la s quence de la violente dispute entre la m re et ses enfants 00 4
20. Henry Purcell The Cold sa m re qui ne supporte pas que sa fille d couche et vive Song Chant Klaus Nomi pleinement sa sexualit vont se tendre jusqu au point de Producteur Daniel Toscan du Plantier rupture Elle est battue par son fr re qui prouve des sentiments Production Gaumont France 3 Cin ma complexes pour elle et cherche prot ger sa m re plusieurs reprises elle revoit Luc mais malgr Pacharnement du jeune homme vouloir renouer elle le rejette inexplicablement Les films du Livradois Dur e cin ma 1 h 42 salle 1 h 35 DVD Format 1 66 Fragilis e elle rencontre Jean Pierre un jeune homme qui Tournage octobre 1982 juin 1983 semble la calmer et avec qui elle va se marier C est lors d un Sortie 16 novembre 1983 d jeuner de fiancailles que sous les yeux m dus s des convives le pere d barque Tr s vite les choses d g n rent et sa Interpr tation m re finit par gifler ce p re qui a r gl ses comptes avec les ans ed Pomni gens pr sents autour de la table Mais Suzanne ne se mariera Robert Dominique Besnehard pas Elle d cide de partir aux Etats Unis avec Michel un ami Lares Evelyne Ker de son frere Dans le bus en partance pour Pa roport elle a une Con eps Maurice Pialat derni re conversation avec son p re comme un adieu Jean Pierre Cyril Collard Michel Christophe Odent Le beau fr re Jacques Fieschi Bernard Pierre Loup Rajot Luc Cyr Boit
21. Perdican en effet se livrent aux jeux de l amour avec une l g ret et un orgueil qui finiront par aboutir a une mort r elle celle de Rosette la domestique amoureuse de Perdican qui l a manipul e et une autre symbo lique celle de leurs sentiments On remarquera pourtant que la pi ce est vite oubli e et appara t surtout comme impulsion qui lance le film pour Pialat un trop grand appareillage symbolique risquerait de faire bascu ler dans le d monstratif La pi ce de Musset permet malgr tout au cin aste de passer en deux ou trois courtes s quences de la na vet de l enfance lorsque Suzanne dit son texte avec candeur dans le premier plan la perte de l innocence Au moment de la repr sentation Suzanne dira ses r pliques avec une sorte d accablement et de tristesse dans le regard Comme si l art lui avait ouvert les yeux avant m me sa d sillusion avec Luc ACTEURS Composer une famille La pr paration d un film et l tape du casting consistent non seule ment bien choisir ses com diens mais aussi faire en sorte que leurs jeux s accordent sans s exclure l un l autre Ce qui est d autant plus important lorsqu il s agit de composer une famille Pialat est de ces cin astes qui avaient un sens inn de la distribution des r les Le cas de Dominique Besnehard est exemplaire celui qui deviendra l un des directeurs de casting les plus renomm s du cin ma fran ais devait trouver d
22. a de soi que cette fa on de travailler ne va pas sans poser de s rieuses questions morales Jusqu o doit on aller pour capter une v rit La question est d autant plus insoluble quun tournage est par excellence le lieu et le moment o tout est plus intense attis par la promiscuit dans laquelle vivent techniciens acteurs et cin aste pendant plusieurs semaines Il est impossible par ailleurs que les passions prouv es par les personnages ne d bordent pas sur les com diens eux m mes surtout quand elles sont fortes et imp rieuses comme dans nos amours C est m me ce qu on attend d un acteur qu il ne fasse pas semblant mais qu il mette son me nu travers le personnage qu il interpr te Et il est vrai que la fronti re est incertaine entre un acteur qui accepte de repousser les limites de sa souffrance de la m me mani re qu un sportif souffre pour se d passer et la maltraitance envers un com dien pouss l extr me Croyance du spectateur La beaut trouble et puissante du cin ma de Pialat tient ce que de par sa nature m me il doive in vitablement se confronter ces zones incertaines Par del la morale entrent en jeu aussi des questions de croyance du spectateur Il n est pas tout fait exact en effet que toute la sc ne se d roule enti rement dans une continuit Elle donne ce sentiment car elle est construite sans ellipse en temps r el On peut alors parler d isochronie p
23. abilleuse du film Val rie Schlumberger est choisie Elle est aussi belle et rac e que l autre tait ingrate Sur le plateau je rencontre les com diens principaux qui tournent depuis des semaines et vivent quotidiennement avec leurs person nages Evelyne Ker la m re joue avec une intensit qui met ses nerfs en danger Pattestent quelques points de suture sur sa nuque dus une sc ne violente tourn e peu avant Dominique Besnehard le fr re et par ailleurs nouveau pape du casting cin matographique en France est une nature impressionnante il a des dr leries la Bourvil et pourrait aussi tenir les emplois d un Peter Lorre jeune Du film la vie ce vibrion dou a l nergie de tout transformer en spec tacle il est de plus un constant go between entre Pialat et les acteurs Christophe Odent Michel est un professionnel tr s s r Cyril Collard Jean Pierre le futur mari de Suzanne est galement assis tant Il a Poeil sur le cadre sur les mouvements de cam ra Enfin Sandrine Bonnaire En robe l opard elle arpente la pi ce et occupe l espace Elle a des na vet s et un sourire de fillette des patiences touchantes d enfant sage quand elle attend entre deux plans et en m me temps une assurance superbe et animale Toute la sensualit de Bardot ses d buts mais avec une violence et un pouvoir de concentration dramatique dont la paresseuse B B tait incapable Et aussi dans certains fr missements du visa
24. aies gifles 1 Il rest cependant nullement question ici de nier la part fictionnelle de son personnage et Pinventivit de l actrice si Sandrine Bonnaire est Suzanne Suzanne n est pas Sandrine Bonnaire La fossette disparue Le sentiment de v rit que d gagent les films de cin astes comme John Cassavetes ou Maurice Pialat peut laisser penser que l exp rience du tournage repose en majeure partie sur improvisation La r alit aux dires m mes de Pialat est autre l improvi sation ne constituerait qu entre 20 et 30 d A nos amours ll est des cas o improvisation construit le film au jour le jour dans un dialogue entre le r ali sateur et les com diens qui en sont litt ralement les co cr ateurs voire les sc naristes comme chez Jacques Rivette dont certains films comme C line et Julie vont en bateau 1974 cherchent les chapp es et la perdi tion Pialat au contraire est un cin aste chez qui tout est condens direct rapide loin de la dilution ou du pi ti nement des situations Revoir la s quence de la fossette 00 33 39 00 39 23 et analyser les pr requis de sa r ussite est de ce point de vue tr s clairant La sc ne part d une situation crite le p re annonce sa fille qu il va quitter le domicile familial Cet change pr vu avance va bifurquer soudain vers inattendu Pialat qui se m fie des choses trop fig es a eu l id e d vo quer en cours de sc ne sans pr venir la
25. alors qu on la voit de dos l avant du bateau telle la proue tandis que Klaus Nomi chante The Cold Song de Purcell 2 Une repr sentation 00 02 52 00 06 37 DVD chapitres 3 et 4 Suzanne se baigne avec les amis de son frere Michel corrige sa mani re de jouer alors qu elle prend le soleil sur le bateau Un peu plus tard au coucher du soleil elle semble songeuse Puis vient la nuit Suzanne joue la pi ce de Musset devant un auditoire invisible 3 Luc en cachette 00 06 38 00 10 27 DVD chapitre 5 Suzanne traverse une route ensoleill e et s enfonce sur le bas c t pour rejoindre Luc son amoureux qui campe l et qu elle voit en cachette Ils s em brassent mais Suzanne se refuse aux avances plus pressantes de Luc Au moment de partir quelque chose s est bris comme en atteste le regard triste de la jeune fille 4 La rencontre avec l Am ricain 00 10 28 00 13 45 DVD chapitre 6 Des jeunes gens dansent sur le port Suzanne fait la rencontre d un Am ricain qui lui offre boire Elle semble la fois volontaire et intimid e Ses copines rentrent la colonie Des marins discu tent avec Suzanne et Am ricain 5 Un d sir d u 00 13 46 00 19 16 DVD chapitres 7 et 8 Un peu plus tard ils sont tous les deux accoud s au bar On les retrouve au petit matin allong s dans lherbe Ils ont fait Pamour mais l change verbal est glacial Dans le dortoir elle pleure en racont
26. ant sa nuit puis raconte une amie combien tout cela est moche 6 Retour Paris 00 19 17 00 25 01 DVD chapitres 9 10et 11 Dans un appartement parisien Suzanne se rhabille Elle vient de coucher avec un autre gar on Ils parlent de leurs parents respectifs Plus tard une amie la rejoint dans son lit au matin Le p re d barque dans la chambre Suzanne le provoque un peu en lui disant que sa copine le trouve sexy Puis le p re rejoint le fr re qui travaille sur une fourrure et le complimente sur ses crits 7 La rupture avec Luc 00 25 02 00 26 50 DVD chapitre 12 Suzanne rejoint Luc dans un cours de dessin On les retrouve dans un couloir assis sur un banc puis Luc s en va en disant C est fini laissant la jeune fille seule et prostr e 8 Une sortie entre amis 00 26 51 00 33 38 DVD chapitres 13 et 14 Suzanne grimpe les escaliers Surprise par sa m re elle ment sur le lieu d o elle vient Elle demande son p re l autorisation d aller au cin ma avec des amis Le p re refuse d abord puis accepte contrecceur et gifle sa fille Puis les amis de Suzanne arrivent le p re demande sa ni ce quel film ils ont d cid de voir ce quoi elle ne sait quoi r pondre Dans une conversation fugace entre la m re et le p re se fait jour un v ritable d samour Suzanne est avec ses amis Puis elle termine la soir e seule avec Bernard qui lui dit qu il pense elle quand il
27. ard Marie France Adrien Val rie Schlumberger Pierre Novion FILMOGRAPAIE Maurice Pialat 1951 Isabelle aux Dombes cm 1958 LOmbre famili re cm 1960 L amour existe doc cm 1962 Janine cm 1966 Van Gogh doc 1968 L Enfance nue 1971 La Maison des bois s rie TV 1972 Nous ne vieillirons pas ensemble 1974 La Gueule ouverte 1978 Passe ton bac d abord 1979 Loulou 1983 nos amours 1985 Police 1987 Sous le soleil de Satan 1991 Van Gogh 1995 Le Garcu Sous le Soleil de Satan 1987 Gaumont R ALISATEUR Une voie singuli re Maurice Pialat est n le 31 ao t 1925 dans le Puy de D me Ses parents d m nagent en banlieue parisienne quand il a deux ans suite la ruine du commerce de son p re Cest adolescent qu il d couvre les films de Jean Renoir probablement son influence majeure Pourtant au d part il ne se destine pas au cin ma mais la peinture son premier amour Int grant L cole Nationale Sup rieure des Arts D coratifs il va m me au sortir de la Seconde Guerre mondiale exposer son uvre cf p 20 N anmoins apr s plusieurs ann es ne se consid rant pas suffisamment dou il abandonne brutalement cette voie pour se tourner vers le cin ma Cette d cision courageuse illustre un trait de caract re du futur r alisateur de nos amours une int grit artistique jamais d mentie une fa on de violenter le r el soi et les autres pour en e
28. as tricher les coups que se portent les personnages Il y a pourtant une sorte de paradoxe auquel est confront le cin aste Si la violence non simul e est le signe d une puissante v rit des corps et des passions exprim es Pinverse un trop plein de r alit ne risque t il pas de faire sortir le spectateur du film Autrement dit n y a t il pas risque que le spectateur voie sur l cran au lieu de personnages des acteurs qui se font mal nos amours est bel et bien une fiction dont tout l enjeu justement consiste ne jamais sortir sans quoi c est la place m me du spectateur qui vacille Plan de coupe Une s quence en particulier cristallise ces interrogations Dans la bataille au sujet des lettres 00 48 11 00 50 55 les acteurs se sont manifestement laiss s d border au point qu Evelyne Ker projet e violemment contre le mur s est cogn la t te contre la moulure Lorsque Dominique Besnehard l aide se relever un filet de sang appara t le long de son cou ce moment plus personne ne joue particuli rement Besnehard conscient que Pactrice visiblement secou e s est fait tr s mal Apr s avoir assis Pactrice lui avoir offert une cigarette et fait une blague pour d tendre l atmosph re C est mieux qu au Th tre de Poche hein il regarde de l autre c t de la cam ra d sempar ne sachant plus que faire Plut t que supprimer ce moment du plan Pialat et son monteur Yann Dedet on
29. ation de Suzanne le silence glacial qui suit le d part de Luc sans doute trop lourdement pour un cin aste comme Pialat La mise en sc ne en effet chez lui ne consiste jamais a surligner les intentions mais a faire entrer en jeu des forces con traires qui rendent le r el plus subtil et complexe Ainsi le filet de vent qui vient du dehors et caresse les cheveux de Suzanne apporte une dimension sensuelle a une scene plut t p trifiante La scene raconte quelque chose mais il est important pour Pialat de ne pas en rester aux intentions du sc nario et de continuer faire ce pourquoi le cin ma est si fort observation du vivant De la m me facon le son de la petite brise ou les sir nes de pompiers qu on entend au loin indiquent un au del du drame de l h ro ne C est dans le m me esprit que Pialat a conserv les bruits d une conversation hors champ dans le couloir sans aucun rapport avec la sc ne Et en toute logique au plan suivant Suzanne grimpe les escaliers guillerette La vie continue 15 16 p 1962 Potemkine LA Adieu Philippine de Jacques Rozier Films 36 fillette de Catherine Breillat 1988 CB Films Coll CdC Travolta et moi de Patricia Mazuy 1994 IMA Productions Coll CdC La Bataille de Solferino de Justine Triet 2013 Ecce Films Coll CdC La Vie d Adele d Abdellatif Kechiche 2013 Wild Bunch Quat sous films Y NFLUENCES La t
30. cal Bonitzer C est vous qui tes tristes Cahiers du cin ma n 354 d cembre 1983 Pascale Ferran et Philippe Le Guay Entretien avec Yann Dedet Cin matographe n 94 novembre 1983 Didier Goldschmidt et Jacques Fieschi Entretien avec Jacques Loiseleux Cin matographe n 94 novembre 1983 Alain Bergala Jean Narboni et Serge Toubiana Le chaudron de la cr ation entretien avec Maurice Pialat Cahiers du cin ma n 354 d cembre 1983 Alain Philippon La d butante Rencontre avec Sandrine Bonnaire Cahiers du cin ma n 354 d cembre 1983 Emmanuel Carr re et Michel Sineux Entretien avec Maurice Pialat Positif n 275 janvier 1984 Sitographie http www maurice pialat net Un site enti rement consacr Maurice Pialat r a lis sous la direction de R mi Fontanel et tr s riche en analyses sur son uvre https www canal u tv video cinematheque_ francaise table_ronde_a_nos_amours 11532 Une table ronde sur nos amours avec Jacques Loiseleux et Yann Dedet anim e par Serge Toubiana la Cin math que fran aise http www franceculture fr oeuvre a nos amours de maurice pialat Une mission de France Culture consacr e Maurice Pialat l occasion de l exposition Maurice Pialat peintre et cin aste la Cin math que fran aise avec Sylvie Pialat et Dominique Besnehard transmettre www transmettrelecinema com e Des extraits de films e Des vid
31. comme exemple puisque c est effectivement le peintre que je pr f re Une uvre de Poussin plus a va pour celui qui Paime et la regarde meilleure elle est donc il y a progr s Tandis que le cin ma h las c est exac tement le contraire Plus ca va moins on aime et moins c est bien Cest ce qui se passe avec les Pagnol ceux qu on adorait quand on voit Ang le quand on fait partie de ceux qui les ont le plus aim s en sachant comment un film se fait comment un film se joue h bien non On ne voit plus que ce qui ne va pas Il y a s rement des choses qui ne vont pas dans un tableau de Poussin mais on s en fout a passe Et puis c est de plus en plus admirable tandis qu un film il est de moins en moins bon Sauf La Sortie des usines Lumi re en copie originale c est de mieux en mieux Ainsi le cin ma ne saurait faire autre chose que de reve nir ses origines comme si comme il le dit plus loin le premier film tait le meilleur et que pass cette r v lation initiale qu a consti tu e Pinvention des fr res Lumi re il n y avait plus rien cf p 17 Maurice Pialat Sans titre O Sylvie et Antoine Pialat Coll S Pialat depos e la Cin math que fran aise Ayant arr t d finitivement de peindre la fin des ann es 40 il est logique cependant que Pialat se soit converti au cin ma lieu par excellence de la repr sentation de l impalpable la lumi
32. d va d une fille l autre puis revient vers Suzanne Dans le lit ils ont une conversation autour de Luc son seul amour Suzanne n a pas mis les pieds chez elle depuis plusieurs jours 12 Une nouvelle dispute 00 56 37 01 01 31 DVD chapitres 20 et 21 Quand Suzanne rentre enfin chez elle elle est attendue par son fr re et sa m re Une nouvelle dispute clate Plus tard elle fait une r flexion sur le laisser aller de la m re Puis elle annonce son fr re qu elle veut aller en pension 13 Solitude de Suzanne 01 01 32 01 06 30 DVD chapitres 22 et 23 Suzanne entre dans un magasin de v tements et surprend son amie avec Luc Il est exc d de la voir l Suzanne est bless e On la retrouve seule dans la rue sur la musique de Purcell Puis elle rentre chez elle attendue par son fr re qui la bat une nouvelle fois tandis que sa m re hyst rique pleure sur le lit 14 Jean Pierre 01 06 31 01 10 19 DVD chapitre 24 Suzanne est avec un nouvel amant Jean Pierre Il la rassure alors qu elle semble dans une grande fragilit compl tement perdue Jean Pierre reproche au fr re de Suzanne de la battre Puis Jean Pierre et Suzanne cherchent un h tel pour passer la nuit 15 Derni re entrevue avec Luc 01 10 20 01 16 09 DVD chapitre 25 Suzanne se regarde dans un miroir v tue de sa robe de fian ailles Jean Pierre joue du piano Elle re oit un appel de Luc Sa m re lui parle d elle petite
33. e de Suzanne Tout juste apprend on au d tour d une phrase dans la sc ne de la fossette avec son p re cf p 9 qu elle a chang et est moins rieuse Nous n aurons le r cit d un moment heureux de la jeune fille que dans le dernier quart du film quand celle ci voque un souvenir en luge avec Luc Ainsi dift r es ou juste omises cach es ces informations distill es au compte gouttes rendent difficile une appr hension franche et compl te du personnage Les motivations deviennent plus complexes sinon floues comme dans la vie o nous ne savons pas toujours pourquoi nous agissons de telle ou telle fa on Ce personnage moderne c est pr cis ment celui qui au sortir de la Seconde Guerre mondiale de la folie nazie et de la Shoah fut incapable de voir le monde comme avant clair entier mu par une id e de progr s On en trouve des exemples chez Rossellini avec le mutisme du petit gar on d Allemagne ann e z ro ou Antonioni avec le th me de P vaporation de l identit dans Profession Reporter mais aussi chez Godard Resnais Oshima et d autres encore pour qui les tres figures en creux sont imp n trables sinon inexplicables Suzanne en un sens est leur h riti re The Cold Song S il est une musique laquelle il est difficile de ne pas songer quand on voque nos amours c est le fameux extrait de l aria What Power Art Thou d Henry Purcell compositeur anglais du 17e si cle interpr t par le cha
34. e en sc ne Le c ur du r el Point de vue Jusqu ou le r alisme S quence Une fleur qui clot Montage La vie entre les lignes Motif Moments d arr t Influences La th tralit du vivant Document Tourner avec Pialat Parall le Pialat peintre consulter 10 12 14 15 16 18 20 A nos amours CNN SM France 1983 V Maurice Pialat Arlette Langmann Maurice Pialat R alisation et sc nario Sc nario et dialogues A MOS AMOURS Suzanne est une jeune fille de seize ans qui un t vit ses Image Jacques Loiseleux premi res d sillusions sentimentales Elle aime un gar on Luc Son Jean Umansky qu elle ne d sire pas et la place a une aventure avec un UN FILM DE MAURICE PIALAT Montage Yann Dedet Val rie Am ricain de passage De retour Paris elle multiplie les e E Condroyet Sophie rencontres mais sans jamais tomber amoureuse Comme elle le Coussein dit un de ses amants elle redoute d avoir le c ur sec Luc D cors Jean Paul Camail d cidera d ailleurs de rompre laissant Suzanne effondr e Surgit Arlette Langmann un drame familial Son p re qui est tout pour elle d cide de Costumes Martha de Villalonga quitter le domicile conjugal laissant seuls Suzanne son fr re Val rie Schlumberger et sa m re D s lors la vie de Suzanne vacille Les rapports avec Musique
35. e le film d indices et ouvre des pistes cf p 7 Suzanne ne cessera n anmoins de nous chapper et restera finalement un myst re Elle Pest d ailleurs tout la fois pour nous et pour elle m me comme en attestent les confidences qu elle fait Bernard sur son inca pacit aimer sans en comprendre les causes Contrairement une habitude de cin ma qui consiste faire disserter les personnages sur leur propres senti ments de Bergman Christophe Honor parfois jusqu s illusionner sur ce qu ils croient tre comme dans certains films d ric Rohmer les h ros pialatiens vivent le pr sent plus qu ils ne le contemplent ou Panalysent nos amours se tient ainsi bonne distance de la psychologie pour d crire la mani re d un naturaliste les affects prouv s par les personnages La psycho logie serait justement Pexplicitation de ces affects de joie de tristesse de col re ou de jalousie quand Pialat d cide presque exclusivement de les montrer sans que leurs causes originelles fassent l objet de sc nes explicatives C est la raison pour laquelle ici les questions restent souvent sans r ponse Ainsi quand la m re demande en hurlant sa fille pourquoi elle ne Paime pas Suzanne r pli quera par des phrases telles que Fallait pas me chier ou C est d gueulasse de faire des enfants Et c est le m me silence du sens qu elle opposera Luc quand il tentera de comprendre ce qu il a
36. e leur poque La sexualit pr coce de Suzanne n est peut tre pas autre chose qu un pont avec le monde ext rieur et son goisme une mani re de s manciper des passions destruc trices qui p sent au sein de la famille Fuite du temps La m re est au bout du compte celle qui aura presque tout perdu son mari sa fille l appartement o ils vivaient et plus encore une jeunesse et un amour jamais enfuis Si nos amours d crit le processus par lequel un tre na t lui m me Suzanne qui passe de l enfance l adolescence et de l adolescence l ge adulte Pexis tence des personnages est min e par la fuite du temps et le sentiment que les choses s effritent inexorablement La nostalgie d un paradis perdu est ainsi voqu e tour tour par Suzanne avec le souvenir d une journ e de luge avec Luc mais aussi par sa m re qui se rem more une Suzanne enfant dont le p re redoutait qu on l enl ve Son fr re de son c t s attriste que son p re ait chang et que Padmiration qu il avait pour lui se transforme en m pris Le p re lui m me raconte que sa femme et lui projetaient d aller habiter au Canada R ussir sa vie vivre la vie qu on a souhait e sans que les regrets ou le fl trissement des sentiments ne viennent ternir les choses voil peut tre le r ve secret des personnages d nos amours perdus quelque part entre la fatigue des ann es qui a abim les parents le plan de carri re o
37. elle regarde comme le sugg re et l amplifie le montage cinglant qui encha ne avec la s quence suivante On y voit en effet Suzanne accoud e la chemin e un verre de champagne la main compl tement perdue tandis qu on d bouche une bouteille hors champ Michel viendra la rejoindre dans le plan remarquant justement la capacit de la jeune fille dispara tre au milieu des autres Si Suzanne se lib re des entraves familiales pour voler de ses propres ailes ce n est pas sans douleur comme l indique ce regard plein de tristesse Le film se termine d ailleurs litt ralement sur un arr t sur image alors que la jeune fille en route pour San Diego jette un dernier regard travers le hublot L expression qui cl t le film est celle d une Suzanne au visage inquiet dont l enfance a d finitivement disparu et dont l avenir semble rempli d incertitudes La vie continue La s quence de rupture entre Luc et Suzanne dans le couloir du cours de dessin permet de saisir un aspect essentiel de l art de Pialat Quel est l ment de mise en sc ne en appa rence anodin qui donne une couleur singuli re a ce moment tendu Sans effet d clairage additionnel la scene est baign e par la lumi re du jour qui vient du dehors Derri re les person nages la fen tre est ouverte On pourra demander aux leves d imaginer la scene film e la fen tre ferm e Tout aurait t amplifi la pesanteur de la situation la prostr
38. emps pour t tonner filmer des scenes qu il ne gardera pas au montage changer ce que le sc nario avait pr vu au d part C est le cas par exemple de la mort du p re que Pialat ne gardera pas alors que la sc ne o Suzanne s inqui te du blanc de son il est cens e l annoncer puisqu il se permettra de revenir sous les yeux berlu s des com diens cf p 18 Ainsi de l criture au tournage puis au mon tage la m thode Pialat consiste r inventer constamment le film sa sortie en novembre 1983 le film est salu par la critique Il recevra le prix Louis Delluc et attirera pr s d un million de spectateurs en France Sandrine Bonnaire elle est lanc e Son inoubliable prestation dans Sans toit ni loi d Agnes Varda 1985 ne sera pas sans voquer sa performance dans le r le de Suzanne 1 Entretien avec Maurice Pialat Cahiers du cin ma n 354 d cembre 1983 On ne badine pas avec Musset Beaucoup de cin astes utilisent d autres uvres d art pour cr er un r seau de m taphores qui viennent clairer le r cit Au d but d A nos amours plusieurs courtes s quences sont reli es par le fil rouge qu est la pi ce de Musset On ne badine pas avec l amour On pr cisera l intrigue de la pi ce de 1834 pour montrer que Pialat relie le v cu d une jeune fille moderne des personnages intem porels cr ant un jeu d cho entre le pr sent et une mythologie tragique de l amour Les jeunes Camille et
39. es com diens pour le film Il avait m me propos un acteur pour jouer le r le du fr re de Suzanne avant que Pialat sur une intuition et apr s l avoir observ d cide que le r le lui serait d volu De fait l intuition de Pialat fut la bonne Besnehard ne ressemble aucun autre acteur joue avec son phras si particulier ses intonations qui peuvent para tre presque fausses et semblent parfois lui chapper Plus qu un acteur il est un personnage qui vient avec sa propre couleur Pialat qui a beaucoup d admiration pour Pagnol partage avec lui ce go t pour les natures on rap pellera combien le cin aste marseillais appr ciait Raimu Ce n est sans doute pas un hasard si G rard Depardieu l une des natures les plus imposantes du cin ma fran ais contemporain fut l un de ses acteurs f tiches En outre un des avantages faire tourner quelqu un qui ne pr tend pas une carri re de com dien est qu il fera corps avec son r le pour l ternit Si Pon pense Besnehard acteur c est le film de Pialat qui viendra imm diatement l esprit aucun autre r le ne viendra vampiriser sa prestation Le choix le plus crucial de Pialat tait celui de la com dienne qui interpr terait le r le de Suzanne car elle tait quasiment de tous les plans C est en r ponse une annonce que Sandrine Bonnaire accompagna lune de ses s urs au casting au d part pour un r le secondaire D embl e des les essais v
40. ette exorcisation de la mort 1 En quoi ce vol de existence est il proche de la d marche de Pialat lui m me On remarquera apr s projec tion d nos amours que le cin aste privil gie toujours la simplicit d un plan unique la mani re des Lumi re cf p 12 plut t que d en passer par le montage qui selon lui oblige refaire deux fois ce que par d finition on ne peut capter qu une fois Mais on rel vera aussi chez Pialat une fa on iden tique de jouer sur une profondeur de champ naturelle et une m me concep tion du cadre o la vie entre et sort en toute libert Ainsi se trouve trans form en v ritable m thode ce qui chez les Lumi re restait l tat intuitif car inh rent la jeunesse m me du medium 1 St phane L vy Klein et Olivier Eyquem Trois rencontres avec Maurice Pialat Positif n 159 mai 1974 114 18 DOCUMENT Tourner avec Pialat par Jacques Fieschi J ai jou un petit r le dans le film de Pialat en voici la chronique crit Jacques Fieschi en pr ambule d un beau texte paru dans la revue Cin matographe en novembre 1983 Critique de cin ma futur sc na riste et r alisateur La Californie 2006 Fieschi n est pourtant pas un acteur Son pr cieux t moignage rend compte d une personnalit qu on sent vibrer chaque plan comme si le film tait au travers de toutes les vies d crites un immense autoportrait du cin aste Particle pe
41. fossette disparue de Sandrine Bonnaire L actrice avec qui il a r ussi cr er une complicit embraye alors du tac au tac Elle en avait marre elle aussi elle est partie On remar quera que c est la pr sence du cadre pr alable la connivence entre Pialat et Bonnaire et de la direction qu in diquent les dialogues crits qui rend l improvisation f conde Elle fait s loi gner la scene du vouloir dire pour acheminer du c t de la vie 10 POINT DE VUE Jusqu o le r alisme Tout grand film de fiction est en m me temps un documentaire sur les acteurs disait Andr Bazin D une autre mani re Jean Louis Comolli soulignait combien tout film porte la trace de son tournage Une uvre au cin ma n est pas une forme qui effacerait les signes de sa fabrication Au contraire par sa capacit saisir des choses r elles en porter m caniquement l empreinte mat rielle la cam ra laisserait subsister presque malgr elle la r alit de quelque chose qui a eu lieu ce serait comme une sorte de t moignage consubstantiel l image de cin ma contrairement la peinture qui ne saurait constituer une preuve Chez Pialat cette dimension est d autant plus pr gnante que comme on vient de le voir cf p 8 la fronti re entre le jeu et le r el est poreuse incertaine en particulier dans les sc nes de violence physique Tout son amour de la v rit Pialat incite en effet ses acteurs ne p
42. ge certains mouvements de cheveux un peu de Jeanne Moreau une lucidit qui ne passe pas par l intelligence Nous tournons d abord la sc ne de l ap ritif debout On nous sert du champagne et j en vide deux ou trois coupes Il faut improviser Pialat ne donne que quelques bribes de dialogue Mon personnage est un cuistre peu sympathique qui provoque avec sa s ur Pintrusion d un autre milieu social dans la famille de fourreurs On me remet une page dactylographi e un dialogue avec Jean Pierre sur Picasso le gar on admirant le peintre et moi p dant le taxant de fausse valeur Je r p te dans un coin avec Cyril Collard Le chef op rateur Jacques Loiseleux aid par Pierre Novion a install un travelling sur rails pour d placer la cam ra Harriflex BL pendant la grande sc ne du repas Au son travaille un jeune homme rigoureux Umansky Nous voici table Va pour la sc ne et Picasso la prise je demeure raide d autant que j ai les seules r pliques crites et qu elles doivent s inscrire sur fond d improvisation la rumeur sonore qu exige Pialat pour tisser cette intime v rit des rapports qu il cherche La cam ra de Loiseleux constamment mobile capte les bribes les humeurs on sait peine quand on est film Puis Pialat surprend tout le monde en d cidant le retour du p re au milieu de la f te France Soir dans la poche il joue celui par qui le scandale arrive Evelyne Ker
43. h tralit du vivant Si Maurice Pialat tout au long de sa vie s est plaint de ne pas tre assez reconnu alors qu il tait la fois un auteur plut t populaire et appr ci de la critique il a laiss des traces profondes dans le cin ma francais Il est m me probablement devenu avec Fran ois Truffaut l une des figures les plus influentes du 7e Art au point qu il n en finit pas depuis pr s de quarante ans de g n rer des pigones On citera parmi les r alisateurs qui s inscrivent dans sa filiation des noms aussi c l bres que ceux de Catherine Breillat 36 fillette Abdellatif Kechiche La Vie d Adele No mie Lvovsky La vie ne me fait pas peur C dric Kahn Bar des rails ou Patricia Mazuy Travolta et moi Il convient aussi de mentionner Patrick Grandperret qui fut son assistant et r alisa Meurtri res d apr s un pro jet inachev de Pialat Dans la jeune g n ration des cin astes comme Justine Triet La Bataille de Solferino ou Arthur Harari La Main sur la gueule Si le cin ma de Pialat est partout cette influence s explique sans doute par la nature m me du naturalisme cin matographique qui a toujours t une marque de fabrique du cin ma fran ais Il est logique que dans ce bain commun qui fait partie de l inconscient esth tique d une cin matographie l un de ses repr sen tants les plus dou s prenne ainsi une valeur de mod le Pialat lui m me s inscrit dans une g n alogie qui co
44. id o elle s est r v l e une actrice poustouflante La pr sence de Sandrine me fut b n fique Comme du reste aux autres com diens Elle nous a litt ralement entra n s Qui aurait pu Pimaginer Et pourtant ce fut ainsi La d butante nous a inspir s Bien entendu je Pinitiais aux trucs tech niques mais ind niablement elle a jou un r le moteur d termi nant Elle a t notre locomotive raconte Pialat dans le dossier de presse du film Celle qui n avait fait que de la figuration dans une sc ne de f te de La Boum qui fut le premier r le d une autre star fran aise Sophie Marceau et deviendra l actrice qu on conna t avec ses prestations remarquables chez Varda Rivette ou Chabrol a eu un r le moteur dans la cr ation d nos amours Un film tant fait pour une bonne part de mati re humaine l nergie que d gage un tre peut changer ou infl chir l ensemble comme dans une exp rience de physique M re et p re Le tournage et le film lui m me ne peuvent s envisager que dans un rapport organique entre tous les gens qui le composent Puisque ce sont eux que l on voit ensuite sur l cran que leur nergie sera capt e par la cam ra et qu ils absorbent en m me temps l nergie qui les entoure les com diens sont les premiers acteurs de cette organicit Il en va ainsi d Evelyne Ker la seule com dienne professionnelle au long cours de l quipe dont le jeu est d ailleurs l g rement c
45. iquent la violence d lirante dont il fait preuve son gard et les mots qu il emploie Ma s ur elle a une peau si belle qu on a envie de la mordre ou l il mauvais qu il jette Jean Pierre en lui intimant l ordre de ne pas la toucher Egoismes La m re pour sa part para t ivre de jalousie envers sa fille qu elle dise avoir brul des lettres damour lui tant destin es ou qu elle ait jet une de ses robes la poubelle Elle se trouve renvoy e imman quablement au complexe de Jocaste La dimension fusionnelle du fr re avec sa s ur est quant elle exprim e par un jeu de couleurs alors que plusieurs reprises leurs v tements respectifs forment un damier rouge et gris Ce temps mythologique cohabite pourtant avec des probl matiques plus directement contemporaines nos amours dresse en effet le portrait d une famille qui clate cause de l individualisme et de P goisme de ses membres C est ainsi que le pere d cide de quitter le nid familial sans se retourner que Suzanne fera de m me un peu plus tard menant sa vie sans se soucier de ce qu en pensent ses parents ou que le fils s av re tre un monstre d arrivisme comme l indiquent les petites r flexions qu il fait Michel ou les attaques de son pere pendant la scene de repas Tu es devenu un tiroir caisse Au total tous apparaissent donc comme des sortes de figures arch typales un peu monstrueuses en m me temps que le fruit d
46. it par une sc ne explicative Les choses sont l dans leur pur pr sent comme cet tat de prostration dans lequel se trouve Suzanne dont on saisit intuitivement la logique Imm diatement apr s un plan nous montre d ailleurs Suzanne grimpant avec agilit des escaliers une expression l g re sur le visage si bien qu il est impossible de savoir combien de temps entre une heure et un mois s est coul apr s cette s pa ration Que Suzanne porte les m mes v tements un blouson de cuir un pull rose une jupe grise ne rend pas le d roul du temps moins incertain Peu importe au fond il sagit de montrer que la vie continue qu la tristesse et l abattement succ de Pall gresse que la profondeur d un sentiment est suivie par les m mes petits mensonges quotidiens Il s agit d pouser le rythme de la vie 1 Entretien avec Maurice Pialat Cahiers du cin ma n 354 novembre 1983 VOTE Moments d arr t Si on pouvait saisir un instantan de l impression laiss e par un film Pissue d une premi re vision celui d A nos amours fixerait sans doute l image d un cin ma vitaliste o les corps s entrechoquent un univers mu par des affects exprim s au grand jour plut t que travaill par une forme d introspection Il y a pourtant des moments fugitifs mais suffisamment r currents pour tre notables o soudain les choses se figent o les personnages semblent regar der en eux m mes plut t
47. lui d croche une gifle qui n tait pas pr vue Elle Pinjurie Pialat et son personnage sont indign s Quelle vulgarit dit il il est excellent en cet instant pr cis Puis il jette Ker sur la table Nous nous levons tous atterr s Loiseleux filmait toujours Vous avez vu cette sc ne dans le film Je croyais ma courte participation achev e Il n en est rien On me rappelle dix jours plus tard dans lappartement de l avenue Raymond Poincar Il faut refaire la scene du repas Le menu est sign Len tre Manque Evelyne Ker malade Une dame portant perruque rousse la remplace qu on ne filmera que de loin et de dos Me voici reparti sur Picasso ce vieillard priapique j ajoute le mot au passage ce qui amuse Pialat Je tourne sous plusieurs angles de prise de vues en contrechamp avec Cyril Collard que je trouve tres bon et aussi quelques apart s avec Val rie Schlumberger Je parle mezzo voce pour tenter de sauver un peu mon personnage de lui m me Peine perdue si jen juge par le succ s comique qu il remporte Le g nie de Pialat aid et parfois pr c d par Loiseleux tient impliquer profond ment le com dien dans l intensit d une situation tout en lui faisant oublier que la cam ra tourne Pas de Moteur Action mais un enclenchement discret subtil de l appareil qui att nue la terrible coupure de la repr sentation Pialat tourne beaucoup et longtemps souvent on va jusqu au bout des onze
48. mes que ne le font les h ros de Pialat Le paradoxe de cette influence est que de son vivant le cin aste s est toujours trouv en d calage notamment l gard d une Nouvelle Vague dont il est contemporain mais dont les auteurs ont commenc faire des films bien avant lui Le cin aste dont Pialat est peut tre le plus proche ce titre est Jacques Rozier Adieu Philippine Du c t d Orou t ou Maine Oc an qui partage avec lui une m me app tence pour le th tre de la vie une saisie brute de la r alit et une mani re de faire des films en envisageant le sc nario comme changeant organiquement au contact des al as du r el Des Lumi re Pialat S il est une origine ultime au cin ma de Pialat ce sont les vues des freres Lumi re dont Pialat a toujours fait sa source principale d inspiration Les vues Lumi re sont des films sans montage constitu s d un seul plan g n ralement fixe qui le temps d une bobine de moins de 30 secondes captent un instant de vie en une scene ins cable dans sa dur e propos de Louis Lumi re Pialat disait d ailleurs Lumi re filmait il la r alit Je ne le pense pas Dans ses films des hommes et des femmes capt s par un appareil dont ils ne connaissaient rien c daient un instant de leur vie et depuis lors tous les com diens ont fait de m me Ces gens sans le savoir regardent leur vie Tout le cin ma est l dans ce vol de lexistence dans c
49. minutes autoris es par le magasin Il ne donne pas d explications psychologiques Il exige au contraire une grande invention de la part de Pacteur qu il accepte ou rejette Il met ses collaborateurs en situa tion de le surprendre et il ne s agit pas de d cevoir la libert qu il vous accorde Neuf heures du soir Je suis puis d avoir accabl si longtemps Picasso ainsi le peintre se venge t il de mes injures La journ e de travail semble tous termin e Mais non Soudain Pialat d clare Mettez la cam ra sur Fieschi a va tre sa f te Jusque l il m avait m nag Mais quel est son projet Dans la vie une r elle complicit et une estime nous r unit je crois m me si elle a parfois espac ses visites On place la cam ra l autre bout de la table juste en face de moi Pialat est c t d elle off Il lance sa diatribe contre le fils contre moi conte largent Il est poustouflant Il s agit d improviser des r ponses Au montage plusieurs r pliques m ont paru manquer Mais sans doute suis je moi m me demeur plut t coi face l agres sion de ce p re aussi noble qu ignoble Ultime botte secr te Le voici voquant en le d pla ant sur Besnehard un vieux grief qu il m avait fait en priv avoir pass dans un num ro ancien de Cin matographe un entretien avec l op rateur Pierre William Glenn qui le notait 3 20 en tant qu artiste Peu peu la table se vide de ses convives
50. mmence aux fr res Lumi re voir ci contre et conti nue avec Jean Renoir Boudu sauv des eaux La B te humaine Partie de campagne et Marcel Pagnol Regain La Femme du boulanger dont il partage le go t pour les sc nes de repas Ce qui frappe l vocation de tous ces noms c est quel point le naturalisme y est indissociable d une sorte de th tralit d une logique de lexc s celle qu on retrouve galement outre atlantique chez un Cassavetes Du jeu surr el de Michel Simon chez Renoir la prestance th trale de Raimu dans les films de Pagnol ce naturalisme n a pas grand chose voir avec ce qu on pourrait appeler le petit r alisme qui postule plut t une temp rance des comporte ments et du r el en g n ral C est la raison pour laquelle les exc s d Evelyne Ker dans nos amours sont si peu un probl me pour Pialat et sont m me mn q e pi pur 4 de Barque sortant du port Lumi re 1896 O Association fr res Lumi re Coll CdC souhait s par le cin aste Ce que filment les grands r alisateurs c est la th tralit m me de la vie dont une observation quotidienne suffit montrer combien elle est charg e Tout se passe comme si la v rit d un tre reposait dans ce qui d passe la neutralit apparente des choses pour venir se nicher dans la pulsion l affect pur C est le m me exc s que Pon retrouve chez Pacteur Vincent Macaigne dans La Bataille de Solferino ou dans le d bo
51. n teur allemand Klaus Nomi et rebaptis par ce dernier The Cold Song Cette Aria la fois l giaque et triste est tir e du semi op ra King Arthur qui narre la qu te de ce roi pour retrouver sa fianc e L aria prend place dans la neige alors que les paroles voquent le froid qui engourdit l tre Comment interpr ter la pr sence de cette chan son sur les g n riques de d but et de fin ainsi que dans un des rares moments musicaux du film celui o Pialat observe son h ro ne sous la pluie La Cold Song en effet est celle du c ur froid de Suzanne qui chante ce que l h ro ne n exprimera verbalement qu de rares instants Au del de la beaut ent tante de cette m lodie glac e qui donne une motion intense aux moments de soli tude de l h ro ne la chanson dit aussi la fatigue de l me et la vieillesse pr matur e tapie derri re les traits juv niles dont seule la mort viendrait lib rer Let me freeze again to death Laisse moi mourir de froid une nou velle fois disent les derni res paroles de la chanson D COUPAGE NARRATIF 1 G n rique 00 00 00 00 02 51 DVD cha pitres 1 et 2 Une jeune fille Suzanne lit un extrait de la piece de Musset On ne badine pas avec l amour On la retrouve habill e d un costume r p tant la m me sc ne avec une camarade dans un camp de vacances Son fr re l emm ne pour passer une journ e en mer Le g n rique d bute
52. nner cette d cennie pour les ann es 80 Mais il est trop tard pour changer le d cor de l appartement Le film fera avec Il fera m me mieux en v rit car cet appartement fig dans le temps entre davantage D cor de l atelier Affiche portant le premier titre d A nos amours Gaumont DR en opposition avec la jeunesse de Suzanne le personnage principal et dit quelque chose de l puisement de la relation finissante de ses parents Cette jeunesse est incarn e par Sandrine Bonnaire une jeune fille pour laquelle Pialat a imm diatement un coup de c ur quand il la d couvre lors des essais vid o Le surgissement d un corps et d une personnalit comme Sandrine Bonnaire fait partie de ces v nements un peu magiques et tr s rares au cin ma qui rel vent d une v ritable r v lation R v lation au sens de la d couverte mais r v lation galement au sens d une actrice qui fait corps avec son r le comme Pascale Ogier le fera un an plus tard avec Les Nuits de la pleine lune d ric Rohmer Pialat nouera d ailleurs avec elle une relation paternelle et une complicit qui sera pour beaucoup dans la singularit de ce film La particularit d A nos amours est d ailleurs d tre le seul film du cin aste dont le personnage moteur est une jeune femme La m thode Pialat Le tournage du film s talera sur douze semaines ce qui est assez confortable pour un film de ce format et permettra au cin aste de prendre son t
53. nstitue sa chambre attend que l artiste ait termin son uvre On remarquera enfin qu un petit tableau ovale est accroch au mur de la chambre juste au dessus du lit Apparaissant sur le bord gauche du cadre c est un portrait d enfant qui vaut comme rappel lointain de Penfance disparue de Suzanne d une chambre qui a t celle d une autre vie Dans l espace d un plan assez bref Pialat aura vo qu ainsi la cruelle fuite du temps qui est l un des sujets majeurs du film et personnifi trois ges de la vie La beaut de la mise en sc ne son apparent paradoxe tient ce que la simplicit du dispositif ouvre sur une grande profondeur humaine existentielle artistique Pierre Bonnard Nu vu de dos 1913 O Pierre Bonnard ADAGP Paris 2015 13 14 MONTAGE La vie entre les lignes Au d but d A nos amours se succ dent plusieurs courtes s quences d crivant Suzanne diff rents moments de la journ e Suzanne se baignant dans l eau cristalline de la m diterran e entour e des amis de son fr re coutant un peu plus tard les conseils de Michel sur la fa on de jouer Alfred de Musset la m me r veuse et un peu inqui te assise l avant du bateau qui fend les flots au cr puscule et pour finir une jeune femme au visage plein de gravit au milieu d une nuit sans fond alors qu elle interpr te Camille dans On ne badine pas avec lamour On d rive ainsi lentement vers l inqui tude alors
54. ontraindre en les placant ici ou l Le plus souvent priorit est laiss e au plan unique sans contrechamp mu par la pure captation des choses Au premier plan du film Suzanne attabl e lit le texte de Musset en regardant hors champ de temps autre peu importe de savoir qui elle regarde qui s adressent ses mots ce qui compte ici est la fa on dont cette jeune fille r cite le texte et saisit la lumi re Si les sc nes les plus longues sont constitu es de plusieurs plans en nombre r duit le plus souvent il n est pas rare en effet qu un plan vaille pour une scene de mani re r duire au maximum les artifices du montage et laisser exister le r el dans la cam ra Une m me logique de mise en sc ne am ne aussi Pialat pour obtenir davan tage que de la technique ou du jeu pousser bout ses acteurs On sait que Sandrine Bonnaire et Evelyne Ker se d testaient Il est difficile de savoir dans quelles proportions Pialat lui m me attisait cette inimiti mais il est probable m me qu il Pappelait de ses v ux dans la mesure o elle servait le film De la m me mani re que dans Loulou pour faire en sorte qu une sc ne de repas soit la plus vraie possible il avait cr tout simplement les conditions d un vrai repas o les gens buvaient du vrai Ricard et parlaient les uns sur les autres il a su dans nos amours trouver les moyens pour que des pleurs soient des pleurs v ritables et des gifles de vr
55. que la joie enfantine des effets de l eau et du soleil sur sa peau est peu peu rong e par le sentiment de la fin des choses la m lan colie et bient t la nuit solitaire Cet enchainement dit imm diate ment quelque chose de l art de Pialat et Yann Dedet son monteur principal depuis Loulou cf p 10 Compte surtout ici l enregistrement de la variation des sentiments chez Suzanne Un montage senti mental en somme o l impression de saisie en prise directe sur la vie compte plus que l habilet tricoter une narration de cin ma Ces instants fugitifs semblent arrach s au flux de l existence comme si nous spectateurs arrivions l par hasard et que le film n tait pas un film mais constituait la vie m me Epouser le mouvement de la vie La hantise de Pialat est nous Pavons vu de faire cinoche le spectateur ne doit pas sentir la fabrication laborieuse d une sc ne crite pour raconter quelque chose avec son d but son d velop pement et sa fin Rien de tel ici Tout est fait pour donner au specta teur le sentiment d arriver sur une sc ne d j commenc e et d en repartir avant qu elle soit arriv e son terme Quand Michel com mence sa lecon de th tre sur la facon de dire le texte de Musset sa phrase est laiss e en suspens par le montage qui encha ne directement vid o gt sur la s quence suivante Le raccord est la fois implacable et logique Inutile de savoir ce que Michel a dit exactemen
56. que simplement tre dans le monde Ce sont les instantan s secrets de nos amours ceux qu on pourrait ne pas percevoir tant ils durent une poign e de secondes mais qui inscrivent le film dans un jeu de bascule dialectique On ne compte plus les plans o Suzanne les yeux dans le vague se retire soudain du monde et de la compagnie des autres avant d y retourner C est le cas de mani re explicite quand assise Pavant du bateau juste avant la repr sentation de la pi ce de Musset elle regarde l horizon Instants fugaces La premi re fois o ce regard dans le vague ouvre sur un ab me se situe apr s que Suzanne et Luc se sont quitt s sur les bords de la route Un peu avant elle s est refus e au d sir physique de celui qu elle aime Un plan voit Luc s loigner dans la lumi re douce du soleil d clinant Suzanne se retourne vers nous le visage mang par la d tresse et la conscience malheureuse d une fatalit amou reuse Ce moment fugace leste la jeunesse de Suzanne d un poids inattendu comme si ce corps adolescent au moment des premi res exp riences du d sir et des sentiments tait pr matur ment entach d une lucidit d adulte Il y en aura d autres tout au long du film Accoud e au bar avec l Am ricain elle aura sporadiquement ce regard triste qui contemple le vide elle plongera en elle m me un instant quand son fr re lui annoncera le d part de leur pere avec ce sublime d tail de la bulle de che
57. r alisateurs constituerait une s quence part enti re la sc ne de s paration ou la dispute entre deux amants est m me un genre en soi cf Nous ne vieillirons pas ensemble de Pialat lui m me est litt ralement vacu de la fiction De cette s paration nous n avons que quelques r sidus une queue de com te et il faut peine une poign e de secondes pour que Luc disparaisse compl tement de la sc ne laissant Suzanne seule et an antie Si on arrive trop tard ici quand le plan commence le mal est d j fait dit Jean Narboni du cin ma de Pialat c est aussi que le cin aste et son monteur font une grande confiance au spectateur pour combler ce vide de sa propre exp rience C est non seulement la vie des personnages qui existe dans ces b ances mais aussi la n tre qui est convoqu e Montage d affects Le film est cependant loin de pratiquer un montage violent qui aurait pour objet de laisser le spectateur dans un tat de sid ration permanent Les coupes sont souvent au contraire d une grande douceur les encha nements sont fluides le monteur choisissant un moment de silence ou de latence pour faire venir le plan Il s agit moins d une narration choc que d un montage de sentiments fond sur le refus de la psychologie Sont coll s les uns la suite des autres des affects de joie de tristesse ou de col re sans que jamais le cin aste se sente oblig de justifier leur pr sence au sein du r c
58. r aliser son premier long m trage L Enfance nue De l peut tre une m fiance voire m me un ressentiment vis vis de cin astes comme Truffaut Rivette ou son ami Chabrol Si les points de rencontre existent comme le d sir de sortir dans la rue pour filmer de vraies gens Pialat est loin des dandys et jeunes bourgeois qui peuplent leurs films La duret de L Enfance nue cadre mal avec l aspect sautillant bien que souvent m lancolique des films de la Nouvelle Vague son cin ma est dur non r concili habit par un sentiment d abandon qui puise sa source dans une texture autobiographique Il en va ainsi du gamin de Passistance publique de L Enfance nue de Suzanne dans nos amours h sitant entre d sir d manci pation et solitude terrassante Mais aussi du personnage de Guy Marchand dans Loulou qui prend des airs de chien perdu quand Isabelle Huppert le quitte Populaire et sans concessions De fait Pialat s est toujours senti solitaire dans le cin ma fran ais L tranget de son parcours de cin aste tient ce qu il est lentement pass de la marge au centre partir de Nous ne vieillirons pas ensemble 1972 et Loulou 1979 mais surtout avec nos amours 1983 Pialat va devenir le mod le m me de l auteur populaire et sans concessions qui ne l che rien de sa puissance formelle et de P pret de ses sujets tout en touchant un public de pr s de un deux millions d entr es selon les films Il est
59. rdement d lirant des humeurs et des sentiments dans La Vie d Adele Corps corps Pourtant ce qui est en jeu ici est moins la th tralit du jeu de Pacteur que celle de Pindividu non pas la composition de Raimu com dien mais ses exc s propres en tant que personne non pas le jeu th tral d Evelyne Ker mais la th tralit inh rente une hyst rie non simul e Sans doute Pialat a t il apport quelque chose de singulier dans cette g n alogie le corps corps des personnages entre eux qui provient d un d cha nement de la pulsion Chez Pialat comme chez Cassavetes les corps s entrechoquent comme preuve d un surcro t de vivant Il y a l comme une incandescence du caract re pulsionnel du naturalisme dont parle Gilles Deleuze Un corps corps est pris comme le signe que quelque chose de vrai se d roule l cran Dans La Vie d Adele les larmes ou la morve du personnage ponyme proc dent de la m me logique Le film d Abdellatif Kechiche claire d ailleurs l uvre de Pialat r trospective ment et permet d en comprendre le fonctionnement une sc ne ne se termine qu apr s avoir t puis e il faut qu elle rende gorge que les personnages se vident de ce qu ils ont en eux D o des s quences souvent tr s longues comme la course poursuite finale de La Graine et le Mulet jouant sur la fatigue physique tant des acteurs que des spectateurs qui l occasion de la projection vivent v ritablement une
60. re irradiant vers lequel convergent toutes les nergies tandis que la m re doit se contenter d une fine bande d espace o elle rapetisse Il reste alors achever le tableau Le montage laisse en effet le temps la jeune femme de se tourner l g rement de profil dans un geste finement rotique qui accentue encore sa beaut avant de passer la sc ne suivante Picturalit s Cette s quence peut tre vue comme une suite de trajectoires une chor graphie des corps et de leur v cu trangement m me si nos amours s inscrit dans une tradition naturaliste qui suppose un rapport r aliste et direct au r el certains plans ne sont pas d pourvus de dimension symbolique Ainsi on peut voir le mouvement de Suzanne comme un double veil non seulement P veil apr s le sommeil mais aussi P veil d un corps qui se r v le lui m me D abord allong couvert le corps de Suzanne semble se d ployer dans l espace comme une fleur qui clot apr s que la lumi re du jour est venue se poser sur elle C est d ailleurs tr s pr cis ment ce qui advient avec Suzanne Pialat qui a une sensibilit de peintre sait parfaitement le r le jou par la lumi re Imaginons un seul instant que la sc ne se soit d roul e sans que la m re ouvre les rideaux sim plement clair e par la lumi re ch tive de la lampe pos e sur la table de nuit D un coup la force de la sc ne s en serait trouv e amoindrie car la lumi re ici a
61. re sonne le r veil l enjeu de la s quence est de r v ler des failles tragiques entre deux tres Entre le d but et la fin du plan en effet le monde a chang Quand la m re entre dans la pi ce c est avec la force de l habitude En t moigne son arriv e sans frapper le ton de sa voix empreint de las situde louverture autoritaire des rideaux La m re est chez elle M me s il s agit de la chambre de sa fille ce lieu n est manifestement pas pour elle ce territoire priv que les adolescents se m nagent lorsqu ils ont conscience de ne plus tre des enfants Pour la m re Suzanne est encore sa petite fille C est d ailleurs la m re qui met en sc ne le plan s agite dans le cadre et dans le hors champ alors que la fille subit en protestant Je tai pas dit de me mettre la lumi re dans l il se plaint elle Ensuite lentement les choses basculent et le rapport de force s inverse D un ge l autre Suzanne sort de ses draps se rel ve assise sur le bord du lit le dos bien droit tandis que sa m re vient se placer juste en face delle La r flexion qu elle fait sur la nudit ne doit bien entendu pas tre comprise au sens litt ral Que la m re soit mue par des principes un peu vieillots nous le saisissons assez vite Mais derri re ce jugement se cache en r alit quelque chose de beaucoup plus cruel Ce que r v le Suzanne ce moment l ce sont ses formes son sexe ses seins que no
62. rmet aussi en clairant la m thode de tournage de Pialat d appro cher la cr ation de la sc ne d sormais mythique du retour du p re VA nos amours 01 15 20 01 30 00 cf p 11 Le tournage de Suzanne le premier titre d nos amours se d roule avenue Raymond Poincar dans un de ces vieux appartements bour geois du 16 me dont une partie est ici am nag e en atelier les parents de Ph roine y traitent la fourrure Dans le beau sc nario original d Arlette Langmann Les Filles du faubourg le r le qui m est chu tient en deux lignes Pas de dialogue crit Il s agit du futur beau fr re du fr re de Suzanne Mon cousinage avec l action principale est loign mais Pialat y tient ce roman familial est para t il clef On me pr sente la jeune fille qui doit interpr ter le r le de ma s ur Elle a une physionomie trange me semble t il Comme je lui avoue mon trac elle r pond par des protestations d enthousiasme On va s amuser comme des petits fous J en accepte Paugure Mais apr s qu on nous ait install s la table du repas de fian ailles Pialat d sapprouve en termes assez anodins le maquillage de ma s ur La voici haussant le ton imm diatement comme si son euphorie n avait cach jusque l qu une profonde anxi t Au sens propre elle casse une assiette Puis elle s enfuit plantant l l quipe stup faite Il faut lui trouver imm diatement une rempla ante et l h
63. se r fugie le fr re et la fuite en avant de Suzanne VISE _ EN SCENE Le c ur du r el Il est des cin astes chez qui l artifice est l expression d une v rit Il en va ainsi de la th tralit assum e des films de Fassbinder des fictions invraisemblables d Hitchcock ou du mani risme de Sergio Leone Chez un cin aste naturaliste comme Pialat au contraire la v rit se niche au c ur du r el Dans un film de fiction o les dialogues sont crits l avance o les acteurs jouent des person nages et o la lourdeur d un tournage avec son quipe et son organisation un peu rigide impose un cadre artificiel comment mettre en sc ne quelque chose qui ressemble la r alit documentaire de la vie Telle est la question qui obs de le cin aste Des tres habit s d eux m mes Si la mati re premi re de Pialat est l acteur ce n est pas toujours au sens o on l entend commun ment Ce n est pas l acteur de composition v ritable cam l on capable d endosser tous les r les qui int resse Pialat mais celui qui vient au film habit de lui m me en tant qu individu et non en tant que technicien Rappelons que dans nos amours il y a peu d acteurs professionnels Evelyne Ker dans le r le de la m re fait exception cf p 4 Pas davantage Sandrine Bonnaire dont c est le premier r le que Dominique Besnehard ni Maurice Pialat qui a tout de m me pris quelques cours dans sa jeunesse ne sont
64. se la routine professionnelle et trouve par coups et souvent le r gime d intensit unique de son uvre Cette oscillation entre le pire et un r el talent go ter les choses et les gens on la lit sur son visage parfois le sourcil fronc la barre sur le front arborant une blessure farouchement n vrotique il est aussi rapide au rire la plaisanterie d risoire il a de P humour et un sens intime du ridicule des gens Il aime la conversation gratuite b tons rompus sans rapport apparent avec le tournage mais qui pourtant le rejoint et P claire brusquement dans une acception plus humaine un geste cr ateur plus ample Da t on assez d crit complaisamment adonn la p rennit de sa propre perte On le voit aujourd hui d tendu disponible Sa carri re a encore beaucoup explorer Sans doute est elle toute proche d une seconde naissance 19 20 PARALLELE Pialat peintre C est une huile sur toile qui figure un enfant assis sur un tabouret devant une fen tre Il nous regarde fixement Ses yeux semblent comme deux orbites noires creuses insondables et pourtant il mane de ce regard absent une profonde tristesse Ce tableau est l une des quarante toiles que Maurice Pialat a peintes Impossible de ne pas songer au gamin de l Enfance nue ou au regard de d solation que Sandrine Bonnaire laisse parfois chapper dans nos amours cf p 15 Des quelques tableaux qui ont t exhum s on
65. si comme le remarque Jo l Magny Le refus du gros plan ou du champ restreint entra ne un rejet global du morcellement y compris le classique champ contrechamp au profit du plan s quence et souvent du plan fixe Toute manipula tion technique non indispensable risquerait d entra ner ce ph nom ne de sur signification Mais il y a une relation vidente entre ce go t du plan envisag dans sa dur e et du plan envisag dans son ouver ture spatiale Dans les deux cas il s agit de ne pas manquer la vie dans sa texture propre Le commentaire vaut pour Part du portrait dont t moigne nos amours o Sandrine Bonnaire jusque dans ses moments les plus solitaires est toujours film e en plan moyen de mani re que le monde autour d elle continue d exister Il en va de m me pour l enfant du tableau la fen tre derri re lui sugg re une continuation de Punivers et le place dans un contexte qui renforce ce sentiment de solitude Sup riorit de la peinture Maurice Pialat consid rait pourtant la peinture comme sup rieure au cin ma Dans des propos tenus dans Lib ration du 2 septembre 1987 il d clarait en effet Il ny a pas de progr s en art Giotto n est pas inf rieur Delacroix les styles changent mais il n y a pas de progr s et il n y en aura jamais Le seul progr s se situe sur un autre plan c est quand on aime une uvre qui est admirable quand elle vient d tre faite Je reprends toujours Poussin
66. t Suzanne le spectateur aura compris que la jeune femme doit davantage habiter une phrase terrible Elle est morte Et le moment de r flexion qui suit alors que Suzanne fixe l horizon dans la fin du jour sugg re avec beaucoup de gr ce qu elle s est dans l espace de cette ellipse enrichie de cette compr hension De Paveu m me de Yann Dedet il faut couper avec Pialat avant que les choses deviennent trop conclu sives Ne pas conclure revient alors laisser la sc ne en suspens donner l impression que la vie des personnages continue en dehors des bornes du film avant et apr s notre venue comme si on pouvait saisir quelque chose d existant d autonome par del le film lui m me B ances Le montage laisse ainsi des trous b ants d ordinaire combl s dans des narrations plus classiques Il en est ainsi de la s quence o Suzanne va voir Luc dans un cours de dessin Suzanne p n tre t tons dans la salle o s activent des artistes en herbe s assoit c t de son amou reux Cut La s quence suivante les montre prostr s tous les deux avant que Luc ne rompe le silence et d clare froidement Bon h bien je crois que c est fini M me si nous avions vu les deux amou reux emplis de tristesse et d amertume sur les bords d une route dans les premi res minutes du film rien dans le plan pr c dent ne nous avait pr par s l arriv e cinglante de cette s paration Ce qui chez d autres
67. t t dans certaines sc nes de Loulou La vitalit des Nuits fauves de Cyril Collard la fois assistant de Pialat et incarnation de Jean Pierre dans nos amours est parfois entrav e par des d bordements un peu souffreteux comme Oublie moi de No mie Lvovsky qui dans la description d une obses sion amoureuse se fait au risque de ne donner qu une couleur au personnage r duisant ainsi la part de complexit qui fonde le comportement humain Avec ce point limite de Physt rie Partifice n est jamais loin qui menace de faire se retourner comme un gant la qu te de v rit en une simple d monstration de force du cin aste et des com diens ce qu illustrent par exemple les sc nes de sexe de La Vie d Adele Arthur Harari avec son moyen m trage La Main sur la gueule au titre pialatien par excellence et Patricia Mazuy Travolta et moi chappent ce travers en r ussissant retrouver l alternance de douceur et La Femme du boulanger de Marcel Pagnol 1938 R Voinquel CMF Coll CAC de duret du cin ma de Pialat Quant Catherine Breillat qui a travaill sur un film du cin aste Police en tant que sc nariste elle tient de Pialat sur tout ce qui touche la cruaut l absence de sentimentalisme et une mani re de s approcher du r el en mettant nu les com diens Son approche se fait n an moins sous une forme plus explicitement litt raire avec des personnages qui dissertent davantage sur eux m
68. t d cid de tout garder jusqu au regard de l acteur le rattachant ing nieusement un contrechamp sur Sandrine Bonnaire qui conclut la sc ne en disant son fr re Tu dis que c est moi la malade mais regarde toi Je frappe personne moi Un moment de v rit du tournage est ainsi int gr la fiction la faveur d un contrechamp faisant oublier que la stupeur et P pui sement des com diens sont tout ce qu il y a de plus r el Yann Dedet le monteur VA nos amours et d autres grands films de Pialat raconte ainsi qu avait t film un plan o Besnehard allait chercher dans la salle de bain de quoi soigner la m re Ce plan ma finalement pas t mont afin de tout conserver dans la continuit Ici il fallait pr server la v rit du plan Avec un plan de coupe on retombait dans le cin ma classique avec accessoiriste h moglobine et tout La position de Maurice ce sujet est tr s tranch e il veut viter de faire cinoche c est sa grande obsession Questions morales Yann Dedet fait remarquer qu un plan de coupe aurait sugg r au spectateur l id e que le sang tait faux qu on Pavait pr vu en amont et sc naris pour la sc ne au contraire en gardant tout dans la continuit la puissance du r el reste intacte On a en quelque sorte la preuve que le sang a surgi dans le plan de mani re inattendue sans trucage la cam ra cet outil objectif l ayant enregistr Il v
69. trouve des paysages comme une maison entour e d un jardin dont Pam biance rappelle le feuilleton La Maison des bois mais ce sont surtout ses portraits d enfants qui marquent l esprit Il y a quelque chose qui arrache le c ur tant le sentiment d abandon et de solitude est intense et pr figure ce qu on retrouvera plus tard dans nos amours o Suzanne seule se prot ge de la pluie sous un arr t de bus On sait que cette sensibilit l abandon est li e des l ments biographiques Pialat tr s t t confi sa grand m re ne voyait ses parents que le dimanche Il y a quelque chose de beau et de troublant voir s expri mer une m me obsession par la peinture puis le cin ma Saisie de la r alit Cette parent s exprime au moyen des sp cificit s de chaque domaine un temps fig qui semble durer une ternit dans le tableau et un moment fugitif au cin ma Pourtant les deux arts ont la m me mani re de saisir un instant donn d une personne le surgissement d une int riorit o P tre est mis nu Le go t du cin aste pour la saisie de la r alit en plan unique sans les trucages du montage n est pas sans lien avec la peinture figurative o il s agit de repr senter un r el homog ne Le montage au contraire n est qu un collage de morceaux de r alit qui cr e une illusion de continuit Nous avons d j soulign combien Pialat visait toucher au plus pr s d une v rit documentaire Ain
70. u elle aime son p re comme on le dit d une personne qu on affectionne et qu on estime mais dans une conversation qui concerne Luc et sa difficult tomber amoureuse Plus tard encore alors qu elle jette un dernier regard par le hublot c est son p re qu elle semble quitter comme le sugg re le montage parall le entre elle et lui assis dans un bus tout se passe comme si c tait justement lui qu elle voyait s loigner Il n est pas impossible de voir alors la difficult de Suzanne d si rer celui qu elle aime Luc comme la cons quence de l interdit de l inceste tomber amoureuse revenant aimer son p re Suzanne ne peut logiquement d sirer que des gar ons dont elle n est pas amou reuse Cette piste qui relie pr cis ment la trag die familiale la chronique adolescente n est videmment qu une hypoth se qui n exclut pas les autres les l ments d explication sont diss min s dans le film sans jamais vraiment tre connect s les uns avec les autres et c est au spectateur de faire le lien ce qui conserve aux personnages une part d opacit cf p 5 Cette opacit est d autant plus pr gnante que le sc nario d origine tr s touffu a t amput au tournage et que plusieurs sc nes sont tomb es d elles m mes au montage cr ant des b ances des absences de liens entre les s quences Plus saillant peut tre est le d sir imp rieux et enfantin du fr re pour sa s ur comme l ind
71. uisque la dur e de la s quence projet e est cens e tre gale celle de l action fictionnelle Mais elle men est pas moins mont e On y trouve notamment un plan sur Pemploy e sa table de travail au moment de la bataille Ce plan o elle regarde la famille se d chirer est un pur effet de montage qui renvoie la sc ne la fiction car il brise justement un court instant la continuit documentaire Il est probable que Yann Dedet avait besoin de ce plan pour pouvoir monter un moment sans doute beaucoup plus long ou pour pouvoir lier deux prises diff rentes Nous pouvons remarquer surtout que ce plan nous sort de l immersion documen taire o nous sommes plong s pour prendre du recul sur la violence familiale en nous focalisant bri vement sur un regard ext rieur Ce plan c est la fiction qui observe la r alit De la m me fa on que le contrechamp sur Sandrine Bonnaire concluait la sc ne de la blessure de la m re en transformant le regard de Dominique Besnehard en pur jeu ce plan sur l employ e qui par homo th tie prend en charge notre propre regard de spectateur nous permet de lire la sc ne comme tant partie prenante de la fiction R gler ses comptes Il est n cessaire de souligner que dans l quilibre pr caire du film la dimen sion de documentaire sur un tournage ne doit pas supplanter la fiction Peut on en effet tout autant accepter ce qu on admet dans le cadre d une fiction si une sc ne
72. une fonction de r v lation La lumi re douce et blanche du dehors magnifie la peau laiteuse de Suzanne comme aucun autre clairage Elle est logique et naturelle mais participe pleinement du sens de la mise en sc ne Quelque chose dans ce plan rappelle certaines uvres de Pierre Bonnard d ailleurs voqu au d tour d une sc ne du film quand l artiste peignait des jeunes femmes nues au lever ou faisant leur toilette C est le m me rotisme discret la m me admiration pour la beaut simple jamais sophistiqu e d une jeune femme dans sa nudit celle d un corps honn te franc sans parure Ce corps comme on dit en photographie ou au cin ma prend la lumi re si bien qu on pourrait presque avoir le sentiment qu il irradie de l int rieur depuis la fine couche de la peau Inversement la m re endeuill e est v tue d un gilet au bleu glacial et d une robe noire qui absorbent la lumi re sans la r fl chir Dans ce duel lumineux qui les oppose la m re est n cessairement perdante La position m me de Sandrine Bonnaire dont on peut se demander si le patronyme n a pas voqu Pialat par homophonie celui du peintre lui m me son port de t te altier le dos bien droit conqu rant donnent le sentiment d une jeune femme qui prend la pose pour un peintre En l occurrence le peintre ici est Maurice Pialat et jusqu ce l ger mouvement de t te final c est bien Pactrice qui dans Patelier que co
73. us ne voyons pas mais que sa m re remarque alors qu elle la contemple de bas en haut Toutes les deux se font face la mani re d un duel Cest un affrontement de regards et de mots auquel on assiste De toute vidence la d couverte de ce corps est un choc pour la m re qui comprend ici que sa fille n est plus une fillette mais une femme La situation est d autant plus cruelle pour la m re que dans la sc ne pr c dente nous avons appris que le p re a quitt le foyer La m re est donc en pleine souffrance outre cette blessure narcissique elle doit faire face un second deuil la sortie d finitive de sa fille du monde de l enfance La tendresse que la m re prouve encore pour sa fille masque peine la jalousie qui passe un instant dans son regard Et pour cause abandonn e par son mari au mitan de sa vie elle a en face d elle l image invers e d elle m me une jeune femme dans la splendeur de son adolescence libre belle Paise avec son corps Ce moment o les deux femmes se font face se termine quand la m re rend les armes et perd le duel qui les oppose Son D p che toi tu vas tre en retard lui permet de reprendre son r le de m re pour viter de se confronter davantage quelque chose qui la blesse Qu est ce qui est d go tant lui demande sa fille sans qu elle trouve rien lui r pondre Elle se retourne et s loigne dans le fond du couloir Suzanne est alors ma tresse du plan cent
74. va voir des prostitu es On les retrouve puis s apr s avoir fait l amour 9 Un p re sur le d part 00 33 39 00 44 18 DVD chapitres 15 16 et 17 De retour chez ses parents le p re de Suzanne lui dit qu il va quitter le domicile familial Puis voque la fossette disparue de Suzanne sur l une des joues Plus tard elle croise Michel dans un caf qui la drague ostensiblement Une fois chez elle son frere lui annonce que leur pere est parti Le matin la m re la r veille et lui reproche de dormir toute nue Plus tard alors qu elle est au caf avec des amis Luc d barque et demande lui parler mais la conversation tourne court et elle Pagresse Une de ses amies en profite pour conso ler Luc On retrouve Suzanne avec Bernard apr s Pamour Elle lui raconte qu elle a le sentiment d avoir le c ur sec voque son pere 10 Rapports tendus avec la m re 00 44 19 00 51 35 DVD chapitre 18 Suzanne rentre chez elle tard Sa m re travaille encore sur une machine coudre et lui jette un regard trange Un autre jour Suzanne r clame les lettres que Bernard lui a crites sa m re laquelle avoue les avoir br l es La conversation d g n re et les gifles pleuvent entre Suzanne sa m re et son fr re Plus tard Suzanne ne supportant pas de rester seule avec sa m re sort de l appartement 11 Suzanne d couche 00 51 36 00 56 36 DVD chapitre 19 Suzanne passe la soir e avec des amis Bernar
75. vance sur recettes on lui reprocha de pr senter toujours le m me projet Si le sc nario d A nos amours qui s est d abord appel Suzanne s est construit partir de celui de Langmann il y serait rest selon Pialat suffisamment de mati re pour ventuellement en tirer un autre film Ce qui reste et qui est le plus important du sc nario des Filles du faubourg c est l adolescence d Arlette Langmann Il reste beaucoup plus la partie familiale que celle de ses rapports avec ses amis ses flirts Je crois que j aurais tr s bien pu faire un film tr s fid le ce qu elle a crit mais s rement en transposant beaucoup et en utilisant les jeunes tels qu ils sont aujourd hui Il y a des anachronismes mais ce sont presque des anachronismes voulus 1 Une jeune fille contemporaine L histoire se situait au d part dans les ann es 60 p riode de l adolescence d Arlette Langmann Jusqu au d but du tournage il est question de faire un film d poque C est la raison pour laquelle le mobilier la t l vision et m me les outils que Pon voit dans l atelier de fourrure sont dat s par rapport aux ann es 80 o se situe d sormais le film Un jour pourtant Pialat voit Sandrine Bonnaire d barquer sur le plateau habill e comme une jeune fille contempo raine et se demande brusquement pourquoi il faudrait absolument faire un film prenant place dans les ann es 60 Sur ce coup de t te ou cette illumina tion Pialat d cide d abando
76. wing gum qui lui donne un air faussement d tach elle restera prostr e quand Luc rompt avec elle son corps s immobi lisant dans Paccablement On peut en dire autant quand Suzanne seule attend que la pluie cesse assise sous un abribus dans un des plus beaux plans du film vol par Pialat Sandrine Bonnaire qui se prot geait en attendant de pouvoir tourner Douleur de la disparition Ces courts moments d arr t sertis dans un film par ailleurs d volu au mouve ment des corps et aux changes oraux construisent par touches impression nistes un r cit introspectif parall le tout ce d ploiement d nergie et d affron tements Ces retraits du monde sont comme le n gatif des gifles et des batailles auxquelles se livrent les personnages m me s ils sont parfois le calme avant la temp te C est ainsi que la m re attend immobile sa fille avant de la frapper Mais le plus souvent concentr s sur Suzanne ces moments sont la marque d une conscience qui na t et qui entra ne souterrainement la d cision du personnage de quitter d finitivement cette famille dysfonctionnelle Si le mon tage brusque les choses et nous met devant le fait accompli les d cisions de Suzanne ne sont pas si l g res qu il y para t Les arr ts les plus terribles viennent d ailleurs vers la fin quand Suzanne attabl e une derni re fois au caf avec Luc lui dit qu elle n a plus quinze ans Si elle d visage Luc c est surtout en elle m me qu
77. xtirper une v rit nue Chez Pialat de fait jamais de mensonges mais des personnages qui se crachent des v rit s la face Une dimension secr te C est donc au d but des ann es 50 que Pialat caresse l id e de faire du cin ma Il vit de petits boulots prend des cours de th tre et r alise plusieurs courts m trages en amateur dont l Ombre famili re en 1958 Ce film beau et trange semble d cal au regard de l uvre venir tant il fr le le fantastique et est port par une paisseur fantomatique qui cadre mal avec l image d un cin ma o la figure humaine est centrale Pourtant cette veine existe bien m me si elle reste minoritaire en t moignent le court m trage Isabelle aux Dombes Sous le soleil de Satan ou l adaptation du Tour d crou de Henry James que Pialat projetait de r aliser avant sa mort On peut m me certains gards souligner que de nombreux passages du sublime l amour existe 1960 d passent le r alisme pour atteindre une dimension secr te et invisible Dans ce film Pialat dresse pourtant un portrait sans fard de la banlieue o se m langent la m lancolie et la description d une certaine duret de la vie mais aussi un amour vibrant pour les milieux populaires qui ne se d mentira jamais film apr s film Maurice Pialat sur le tournage de Police 1985 Coll Cahiers du cin ma DR Un sentiment d abandon Contemporain de la Nouvelle Vague Pialat devra attendre 1968 pour

Download Pdf Manuals

Related Search

Related Contents

  i-limb ultra Clinician Manual  「軽快さ」を極めた在来釘専用機  DS-RX1 - DNP Imagingcomm America Corporation -  Samsung SGH-C520 Benutzerhandbuch    「読み」に困難を感じている人への読書に関するニーズ調査 特定非営利  

Copyright © All rights reserved. Failed to retrieve file