COMPARER LES GÉNOCIDES
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1. ce titre la conf rence de Wannsee du 20 janvier 1942 se situe apr s les prises de d cision mais elle constitue une tape d terminante de la planification puisqu elle largit le cercle des initi s jusque l limit aux dirigeants de la SS ou des proches comme G ring Goebbels et Rosenberg Les difficult s rencontr es par l historien pour situer tous les moments de cette tape d cisive ne remettent pas en cause l vidence du g nocide Par contre elles soulignent la complexit du ph nom ne et montrent les limites de la reconstitution historique par le document et le t moignage et l incapacit d clairer totalement un processus con u dans le secret et am nag de telle sorte qu il demeure dissimul maquill et falsifi VI Ex cution du crime de g nocide Le crime de g nocide commence avec le passage l acte le premier moment de l application d un plan de destruction tabli au terme de la prise de d cision Dans les deux cas arm nien et juif il se situe dans un temps long avril 1914 d cembre 1916 juillet 1941 d cembre 1944 Le moment o il s ach ve est d ailleurs difficile situer car tant que l tat criminel conserve son pouvoir de destruction les meurtres continuent La seconde date correspond donc au moment o la destruction presque achev e perd son caract re planifi En d cembre 1916 la plupart des Arm niens que le Comit a d cid de tuer ont2. fabriqu par les Juifs que ce fut le plus norme mensonge du xx si cle ce degr extr me d abjection tout dialogue est interdit quelque niveau que ce soit universitaire ou autre Priv e de diffusion univer sitaire et de m diatisation l araign e n gationniste tisse sa toile sur le r seau Internet o elle est libre de poursuivre ses objectifs criminels et d empoi sonner les esprits En esprit ce n gationnisme est une r surgence du nazisme Mais il n en poss de pas les moyens d action et frappe l o il peut faire mal en ravivant les souffrances par des mots Cette situation particu li re et sans quivalent est li e aux circonstances de la fin du II Reich L abondance de la documentation saisie les aveux des coupables leur syst me de d fense fond sur un renvoi de responsabilit leurs sup rieurs hi rarchiques les contre interrogatoires des proc s constitu rent un ensemble de preuves irr futables qui ne laissait de place ni au doute ni au d ni Pourtant le projet nazi avait t con u et ex cut dans le secret Tous les temps du meurtre avaient t cach s Les informations qui avaient filtr dans la presse trang re avaient t d nonc es comme mensong res par les services de propagande nazie et les traces avaient t soigneusement effac es les charniers avaient t rouverts et les cadavres incin r s les chambres gaz avaient t d truites La n gation avait bi
3. si cle toujours pr sente mais s exprime 56 Revue d histoire de la Shoah selon des modalit s variables La n gation perp tue l v nement En main tenant la plaie vive elle en interdit la cicatrisation Non qu un g nocide puisse tre oubli mais la demande d un pardon transforme les relations entre les enfants des bourreaux et ceux des victimes Tous sont alors attach s comprendre ce qui s est pass afin d en interdire le retour C est ainsi qu Allemands et Juifs cherchent penser la Shoah et en rendre compte Le r gime national socialiste fut cras l Allemagne de l Ouest a reconnu le g nocide des Juifs et les historiens allemands ont largement particip la reconstitution de cette trag die qui reste une tache ind l bile de leur histoire Mais la passion antis mite est la fois permanente et mobile dans ses expres sions Comme la monstruosit du crime nazi interdit d afficher l antis mi tisme il utilise pour se manifester des voies d tourn es L ignominie s infiltre aux extr mit s de l ventail politique droite comme gauche La n gation s exprime par un rejet total de l v nement il n a pas eu lieu Le projet nazi tait tellement inconcevable que les antis mites press s par leur besoin d vacuer ouvertement leur haine con urent la forme la plus extr me de la n gation dire que cette horreur n a jamais exist que le r cit de la Shoah a t
4. Arm niens travers l empire En revanche le comit Union et Progr s premier parti nationaliste turc collabore en Occident avec les r volutionnaires arm niens pour lutter contre le sultan Apr s le putsch de juillet 1908 qui r tablit la Constitution ottomane les commu naut s chr tiennes sont pour la premi re fois dans l histoire de l Empire ottoman int gr es dans la vie politique du pays elles ont le droit de voter d lire des d put s de participer la conscription Mais le r ve d une union harmonieuse de tous les peuples dans un vaste ensemble multiethnique et multiconfessionnel se dissipe en quelques ann es sous la double pression des v nements et de la transformation des id es Le d membrement de l empire s acc l re avec la d sint gration de ses possessions europ ennes surtout apr s les guerres des Balkans de 1912 et 1913 L id al d union et de progr s des Jeunes Turcs n tait en fait qu une utopie et le projet initial du Comit tait bien de donner la Turquie aux Turcs Certains id ologues r vent m me de r unir les Turcs d Asie C est ainsi que le turquisme s enfle en un panturquisme puis au del en un mythe pantouraniste Cette ferveur nationaliste ne gagne pas tous les membres du comit Union et Progr s mais elle inspire aux plus fanatiques des programmes de nettoyage ethnique Les massacres de Cilicie en 1909 inqui tent les dirigeants des partis politiques
5. On savait en Allemagne que la destruction de la commu naut arm nienne avait t intentionnelle et programm e Hitler mentionna plusieurs reprises ces massacres et 1l en tira la le on qui s imposait au cours d une guerre totale on pouvait impun ment massacrer une popula tion civile C est ce que signifie le discours fleuve qu il tint le 22 ao t 1939 devant ses g n raux la veille de l invasion de la Pologne lors duquel il leur ordonna de tuer en masse les civils polonais pour agrandir l espace vital allemand Il fit alors r f rence aux hordes de Gengis Khan et l annihilation des Arm niens Qui parle encore aujourd hui de l exter mination des Arm niens et ajouta Le monde ne croit qu au succ s En ao t 1939 Hitler n avait pas encore pris la d cision de d truire le juda sme europ en et cette phrase lourde de sens n a pas celui qu on lui pr te habituellement Si elle se limitait cette petite phrase la relation entre les deux meurtres serait indirecte D autre part rien ne permet d affirmer que le ch timent de ce crime aurait eu une valeur pr ven tive et e t pu emp cher Hitler de faire mettre mort les Juifs d Europe On sait seulement que la destruction des Arm niens ottomans avait t connue tr s rapidement que l information avait t transmise aux chancelleries et relay e par la presse neutre et celle de l Entente qu apr s la Premi re Guer
6. appropri d examiner la nature du crime que de consi d rer des syst mes politiques et d enfermer le nazisme dans le carcan du totalitarisme En effet si le totalitarisme facilite la perp tration d un g no cide tous les r gimes totalitaires ne perp trent pas des g nocides Ill Raphael Lemkin et le crime de g nocide Jusqu en 1944 crime sans nom puisque le mot est invent par Lemkin cette date le g nocide est depuis la convention du 9 d cembre 1948 une infraction inscrite dans le vocabulaire juridique international Quelles que soient les controverses ouvertes chez les historiens et les philosophes par l impr cision du libell des articles II et III de cette convention le concept de g nocide est bien pr cis il s applique la destruction inten tionnelle d un groupe humain en totalit ou en partie dont les membres sont tu s en raison de leur appartenance ce groupe Cette d finition ne permet cependant pas d isoler dans le seul cadre historique du xx si cle le crime de g nocide et de d terminer si tel ou tel meurtre de masse peut tre qualifi de g nocide Le comparatisme a pour seul but d aider comprendre et il serait impu dique de sp culer sur l impact m diatique du mot g nocide pour en tendre l usage Le g nocide est une cat gorie de meurtre collectif et tous les meurtres de masse ne sont pas des g nocides l inverse la Shoah ne 1 E Nolt
7. arm niens La d grada tion progressive de la situation conomique et l ins curit croissante dans les provinces orientales de l empire habit es en forte proportion par des Arm niens conduit ces dirigeants formuler de nouvelles demandes de r formes aupr s des puissances europ ennes r formes que le comit Union et Progr s accorde de mauvaise gr ce en 1914 Lorsque la guerre clate en ao t et que l Empire ottoman se range en novembre aux c t s des Puissances centrales le sort des Arm niens n est pas encore scell mais Comparer les g nocides 45 les nuages se sont amoncel s Depuis l inclusion en 1878 de la Question arm nienne dans la Question d Orient les Arm niens sont per us par le pouvoir comme des ingrats qui ont cess d tre la nation fid le c tait le terme jadis employ par les sultans pour voquer leur respect du pacte de dhimmitude la diff rence des insurg s grecs et depuis la formation de partis arm niens comme des r volutionnaires et des terroristes une image qui ne se modifia plus Pour la population turque ils restent des infi d les et il est ais avant chaque massacre de la convaincre qu ils sont des tra tres des agents de l tranger La guerre mondiale par le climat de violence qu elle cr e une brutalisation de la soci t civile autorise le gouvernement prendre des mesures extr mes de protection En outre les Jeunes Turcs so
8. ces deux modes sont disjoints alors le souvenir est menac du silence de l esprit L interpr tation de l histoire n offense le deuil que lorsqu elle blesse la raison en tirant des conclusions h tives de pr misses insuffisantes L historien ne saurait tre mis en accu sation lorsqu il tente de comprendre et d expliquer L explication de la Shoah requiert une tude comparative avec d autres v nements mais pas n importe lequel Une mise en relation expose des d rives qui en brouillent le sens Toutes les victimes d un meurtre collectif sont respectables mais tous les meurtres de masse ne rel vent pas des m mes causes ils ne se situent pas tous dans une m me cat gorie juridique ne sont pas tous des crimes de guerre ou des crimes contre l humanit encore moins des g nocides Placer sur un m me plan les victimes des bombardements de Dresde ou d Hiroshima du Goulag des massacres arm niens de la Shoah ou de trag dies plus proches au pr texte que toutes moururent ou remonter les si cles en apposant une tiquette de g nocide des massacres d autre nature nuit une approche du crime de g nocide Or c est bien l que se situe le d bat sur le bien fond du comparatisme La comparaison impose une m thodologie rigoureuse Comparer c est examiner des faits l aide des sources disponibles d finir des cat gories inclure ces faits dans une cat gorie ou les en exclure d tacher
9. g nocide Il tait vident que les massacres de 1915 1916 taient constitutifs du crime de g nocide et les communaut s arm niennes travers le monde r clam rent que leur catastrophe f t reconnue sous ce terme Celui ci le G Word fut une bou e de sauvetage pour une m moire asphyxi e par une n gation permanente Dans ces trag dies o la reconnaissance mutuelle peut seule faire aboutir le travail de deuil o le d ni p rennise le crime la pertinence des mots est essentielle De m me que les communaut s juives d signent le g nocide perp tr par les nazis par le mot h breu Shoah catastrophe improprement traduit Holocaust en anglais mais cette impropri t est aujourd hui consacr e par l usage chez les historiens de langue anglaise les communaut s arm niennes s attachent au mot g nocide Nier que ce meurtre de masse fut un g nocide est une attitude n gationniste car le n gationnisme peut tre d fini de fa on plus largie comme un syst me de d ni appliqu au crime de g nocide Les historiens qui conduisent des recherches sur les g nocides sont l gitimement indign s de constater que dans le cas arm nien ce d ni est pris en charge par un tat qui p se de tout son poids diplomatique et conomique pour maintenir une version mensong re des faits La v rit du g nocide arm nien est un socle coul dans l vidence avec des mat riaux r sistant aux contraintes un fondement su
10. jamais franchi auparavant Lorsqu elle fut r v l e dans toute son horreur la Shoah parut impensable Sa mise en Yves Ternon historien habilit diriger des recherches l universit de Montpellier HI vient de publier L Empire ottoman Le d clin la chute l effacement Paris ditions du F lin 2002 36 Revue d histoire de la Shoah histoire ne r duisait elle pas son caract re inconcevable L historien tait il autoris commenter cet v nement qui paralysait ceux tentant de le cerner Cette catastrophe n en demeure pas moins explicable Si elle ne l tait pas elle rel verait du sacr Il est donc essentiel et c est le travail de l historien de prendre sa mesure de la rendre intelligible d en analyser les m canismes et de l interpr ter L historisation de la Shoah consiste la consid rer comme tout autre ph nom ne historique l ins rer dans un contexte ce qui met en vidence sa complexit et fait surgir des questions qui sont autant d amorces de d bat Une telle d marche fut d abord per ue comme une offense la m moire des victimes Cependant il fallut bien admettre que le deuil et la raison la m moire et l histoire ne sont pas antagonistes mais compl mentaires La m moire est la mati re de l histoire Comme l nonce Alain Finkielkraut Penser un v nement c est consulter deux devoirs celui de la m moire et celui de la connaissance Si
11. racisme biologique Cette d rive de la raison qui avance comme certitudes des hypoth ses non v rifi es ou transplante des lois biologiques dans les sciences sociales avait t amorc e en Angleterre et en France et avait gagn l Allemagne bien avant la naissance du parti nazi Par un encha nement en spirale quatre courants qui proc daient d un m me positi visme r ducteur avaient conflu Deux de ces courants v hiculaient des 1 Y Ternon Empire ottoman Le d clin la chute l effacement Paris d du F lin et Michel de Maule 2002 46 Revue d histoire de la Shoah v rit s scientifiques l une biologique le principe darwinien de la survie du plus apte l autre g n tique l h r dit des caract res physiques Deux taient des sp culations hasardeuses que l on pouvait d j supposer erron es l in galit des races humaines expliquant la dominance travers l histoire du principe ethnique l existence de donn es anthropo logiques permettant d identifier la race Darwinisme social eug nisme hygi ne raciale ces pseudo sciences furent l gu es par l Europe des doctrinaires p dants qui les transform rent en profession de foi et en programme politique Les deux mots qui r sument ces doctrines sont porteurs de mort s lection limination C tait une conception du monde Weltanschauung conduisant perp trer des g nocides Le racisme biologique annon ait donc en Al
12. tranches d ge et ne durent pas leur salut aux m mes circonstances Tous les Juifs taient destin s tre tu s Ne surv curent que ceux qui chapp rent aux rafles et parvinrent sortir de l espace nazi ou se cacher le plus souvent avec l aide de civils non juifs ceux que leur gouvernement refusa de livrer ou ceux qui dissimul rent leur identit Les rescap s des centres de mise mort quant eux furent tr s rares Seuls quelques survivants d Auschwitz ou de Ma danek purent dire leur cauchemar et parmi eux il n y eut pas ou presque pas d enfants l inverse les survivants du g nocide arm nien furent avant tout des enfants enlev s et lev s dans des orphelinats turcs ou pr serv s dans des orphelinats chr tiens et m me arm niens des enfants en bas ge qui ne risquaient gu re de se souvenir et d enclencher un cycle de vengeance Ils furent aussi des dizaines de milliers femmes et enfants demeurer pour toujours dans les familles musulmanes qui les avaient s questr s et qui apr s la guerre cherch rent dissimuler leur rapt aux enqu teurs des organisations de secours de la SDN Enfin des commu naut s enti res d Arm niens furent pargn es soit sur l ordre du gouver nement comme les r sidents arm niens de Constantinople soit sur la demande expresse d un g n ral allemand comme les Arm niens de Smyrne sauv s par Liman von Sanders soit l ini
13. COMPARER LES G NOCIDES par Yves TERNON C onsacrer un num ro de la Revue d histoire de la Shoah au g nocide arm nien un v nement qui s est produit en dehors de l espace et du temps national socialiste revient accr diter le comparatisme comme m thode d approche du g nocide juif une d marche qui r clame quelques explications Il me semble donc utile pour introduire cet ensemble d arti cles traitant de la connaissance et de la reconnaissance du g nocide arm nien aujourd hui en 2003 d examiner successivement le bien fond de cette pratique dans la recherche historique les exigences requises de rigueur et d honn tet intellectuelle se placer en dehors des deux situa tions pour mieux les appr hender sans arri re pens e perverse la relation directe tablie par l homme qui a consacr sa vie isoler le concept de g nocide et l introduire dans le droit international Raphael Lemkin puis dans ses tapes successives le d roulement de ce crime absolu Au lecteur d appr cier au terme de cette tude l utilit de cette mise en relation et de dire si Juif Arm nien ou autre elle l a aid mieux comprendre ces terri bles d chirures du xx si cle I Du bien fond du comparatisme La destruction des Juifs d Europe par les nazis fut un v nement sans pr c dent dans l histoire de l humanit Par sa d mesure elle repr sentait le d passement d un seuil
14. Nolte La Guerre civile europ enne 1917 1945 Paris d des Syrtes 2000 2 Devant l Histoire Les documents de la controverse sur la singularit de l extermina tion des Juifs par le r gime nazi Paris Cerf 1988 38 Revue d histoire de la Shoah Comme l a montr Hannah Arendt les totalitarismes pr sentent des carac t res structurels communs domination du parti et de l tat hypertrophie de la bureaucratie contr le de tous les appareils de la police et l arm e l information et l ducation Ces syst mes politiques sont m me de liquider des criminels sans crime et de perp trer des meurtres collectifs sans m me que la raison d tat l exige Le totalitarisme est distinct de la tyrannie du despotisme et de la dictature Il substitue au tout est permis le tout est possible et accomplit dans ses camps qui sont le laboratoire o se v rifie ce principe l ge messianique de l humanit Si le cadre totalitaire explique la facilit de la mise mort massive il n en livre pas les causes Tout en observant les points communs entre nazisme et commu nisme Hannah Arendt conduit une analyse de ces deux r gimes sans cher cher comparer les camps de travail sovi tiques et le syst me concentrationnaire nazi Une telle analyse mettrait en vidence la dimen sion fantasmatique de l id ologie nazie la diff rence d espace chronolo gique dans un cas douze ans en u
15. ait seulement aux cas o les auteurs des crimes avaient l intention d exterminer les membres d un groupe ethnique national ou religieux Le 3 d cembre 1944 le r dacteur en chef du Washington Post Eug ne Meyer saluait genocide comme le seul mot convenable pour d signer le gazage et la cr mation Auschwitz Birkenau de 1 765 000 Juifs entre avril 1942 et avril 1944 le point commun de ces meurtres est qu ils furent syst matiques et pr m dit s Les cham bres gaz et les cr mations n taient pas des improvisations Ils taient des instruments scientifiquement con us pour l extermination d un groupe ethnique entier IV Le mobile Il serait simpliste de consid rer le nationalisme turc comme l unique cause du g nocide arm nien et l antis mitisme nazi comme l unique cause de la Shoah Les circonstances jouent un r le tout aussi d terminant et elles sont aussi changeantes que l id ologie Le poids des individus sur les id es et les v nements infl chit aussi le mouvement Si l on consid re la mise en p ril des Arm niens et des Juifs dans la p riode pr c dant le g no cide on observe des volutions contraires le danger na t pour les Arm niens de leur inclusion dans la vie politique ottomane pour les Juifs de leur exclusion de la soci t civile allemande 1 Cette liste de d crets occupe la moiti du livre qui fait plus de 700 pages 2 S Power A Problem fro
16. aux tinrent rarement leur promesse Comparer les g nocides 55 rentes l une h riti re d une culture europ enne alt r e par le racisme l autre d une culture orientale remani e par des emprunts l Europe des Lumi res D un point de vue utilitariste assassiner tous les Juifs d Europe tait une entreprise d mente et stupide o la cupidit tait un motif contingent D ra ciner les Arm niens les extirper des lieux o ils formaient depuis tant de si cles une communaut apportait aux Turcs des b n fices durables La folie des nazis s oppose l intelligence criminelle des Jeunes Turcs et ce contraste tant dans les mobiles que dans les modalit s d ex cutions contribue entretenir l apparence de deux crimes diff rents Pourtant ils sont de m me nature il s agit de g nocides Mais ils ne rel vent pas des m mes causes et furent perp tr s dans des conditions plus dissemblables qu identiques Les deux syst mes criminels qui pens rent planifi rent et ex cut rent ces meur tres de masse taient porteurs d une id ologie qui imposait ici une purifica tion raciale l un nettoyage ethnique ici la disparition totale d un peuple sans terre l l viction d un peuple de sa terre et sa destruction en masse mais non en totalit Une mise en parall le des g nocides du xx si cle peut en s en tenant rigoureusement l examen des faits tre tendue au g nocide des Tutsi au Rwa
17. cialisme Les premi res mesures vis rent exclure les Juifs de la soci t allemande et les pousser quitter l Allemagne Mais les nazis devaient parall lement gagner la population allemande ce nouvel antis mitisme par le double matraquage de l ducation et de la propagande Rejet par la loi de la communaut du peuple allemand le Juif fut progressivement per u comme diff rent par nature des autres hommes puis comme non humain et d sign par des termes l identifiant un animal nuisible un parasite un bacille une maladie combattre et radiquer C tait avant que la d cision de destruction f t m me con ue une mise en situation sans pr c dent diff rant en tous points de celle des Comparer les g nocides 47 Arm niens ottomans Si les Juifs d Allemagne d Autriche et de Tch co slovaquie avaient pu migrer en masse avant 1939 et tre accueillis comme des r fugi s politiques par les autres nations ils auraient t sauv s l oppos les Arm niens ne cherch rent pas migrer apr s 1908 alors qu ils taient partis en nombre apr s les massacres de 1895 1896 Au contraire de nombreux exil s politiques revinrent alors dans l Empire ottoman Pour les Juifs d Europe comme pour les Arm niens ce fut une guerre mondiale qui cr a l opportunit d un g nocide L invasion de la Pologne faisait entrer dans la sph re nazie des millions de Juifs D j en partie exc
18. d un Reich mill naire et mondial alors que le comit Union et Progr s limitait ses ambi tions au monde turc Leur parano a les poussait tuer chaque Juif parce qu il tait n juif une identit tablie sur des crit res qu ils eurent toujours du mal d finir et interdire toute relation sexuelle entre un Allemand et une Juive pour viter la souillure de race Cette obsession raciale conduite comme une qu te de r demption par les plus fanatiques introduisit de nouveaux crit res dans l ex cution du crime une radicalit le passage du d lit d apparte nance sp cifique du g nocide la faute d tre n singuli re au nazisme l absence de pratiques courantes dans les massacres collectifs observ es en 1915 travers tout l Empire ottoman viols enl vements de femmes et d enfants C est sur ce point que diff rent les deux g nocides Les Jeunes Turcs avaient lanc un appel g n ral Tous les musulmans savaient qu ils pouvaient tuer tous les Arm niens et ils ne se priv rent pas de le faire lorsqu un objectif pr cis leur fut d sign ou que l occasion se pr senta La saisie ou l acquisition bas prix de biens mobiliers ou immobiliers le vol d argent ou d objets personnels taient des motifs suffisants Ils y ajout rent le plaisir du viol et le b n fice du rapt Des milliers de foyers musulmans se virent agrandis par l arriv e d une femme ou d un enfant ar
19. des singula rit s affirmer des sp cificit s Les historiens de la Shoah furent longtemps hostiles toute d marche comparatiste parce qu ils constat rent que les comparaisons entreprises avaient pour fonction de r duire et de d former 1 Commentaire lors du symposium Histoire et m moire tenu le 13 d cembre 1987 pour cl turer les journ es d tude sur La politique nazie d extermination Comparer les g nocides 37 le sens de l v nement et son caract re exceptionnel Certains nonc rent le principe de l unicit de la Shoah ou de sa singularit alors qu il tait vident que tout v nement est unique c est dire singulier Dans cette approche l adjectif sp cifique serait plus convenable il replace le caract re unique l int rieur d une cat gorie criminelle et en l occur rence cette cat gorie est le g nocide Penser la Shoah en comparaison avec un autre v nement de m me nature revient la penser dans l espace historique d autres crimes de g nocide perp tr s soit dans le m me temps et le meurtre de masse le plus proche est la mise mort des Tsiganes soit dans un temps diff rent et chaque extr mit du si cle les deux v nements qui viennent l esprit sont la destruction des Arm niens de l Empire ottoman et la suppression des Tutsi au Rwanda Les trois crimes furent l vidence des g nocides La fixation sur l un
20. diff rente selon le statut du pays occup mais partout le crime est organis Si les civils sont invit s d noncer les Juifs ce sont des policiers des militaires ou des paramilitaires qui op rent les arrestations les emprison nements en camps et les d portations avec l aide des administrations impli qu es par le processus notamment les employ s des chemins de fer L ordre et le permis de tuer sont accompagn s du mode d emploi transmis par les services charg s de l ex cution Organisation Sp ciale organisation SS Dans la r alisation du g nocide des Arm niens l action est divis e en deux temps chacun correspondant un territoire diff rent Les Jeunes Turcs frappent d abord les provinces orientales o vivent les deux tiers des Arm niens de l Empire puis dans un second temps le reste de l Anatolie la Cilicie et la Turquie d Europe Comme la solution de la Question arm nienne exige l radication d finitive des Arm niens du terri toire o ils sont pr sents depuis vingt sept si cles dans ces provinces orientales la destruction doit tre totale La m thode employ e combine les techniques traditionnelles des guerres depuis l Antiquit meurtre des hommes d portation des femmes et des enfants On observe cependant des innovations Pour justifier ce transfert de population le gouvernement tente en vain de d couvrir un complot arm nien afin d expliquer cette d portation comme une mesu
21. disparu En d cembre 1944 les nazis ne disposent plus de l appareil de destruction massive qu ils ont construit puis d truit pour effacer les traces Les marches de la mort et les meurtres sporadiques t moignent certes de leur acharnement faire dispara tre les rares Juifs survivants mais la phase active du g nocide est achev e la volont d an antir les Juifs jusqu au dernier n anime m me 1 Christopher R Browning Fateful Months Essays on the Emergence of the Final Solu tion New York Holmes amp Meier 1985 p 33 34 Cf galement Mark Rosenman Ordre du jour g nocide Le 20 janvier 1942 Paris Audibert 2002 Comparer les g nocides 51 plus les dirigeants SS puisque Himmler lui m me tente en 1945 de n go cier avec les Alli s le sauvetage de quelques rescap s Lorsqu elles ouvrent la chasse ici aux Arm niens l aux Juifs les auto rit s de l tat criminel lancent un ordre de tuer et d livrent un permis qui garantit l impunit Dans l Empire ottoman tous les citoyens musulmans sont autoris s et incit s mettre mort leurs compatriotes arm niens l appel au djihad en fait un devoir religieux ce qui provoque d embl e une situation anarchique De m me les premiers massacres de masse perp tr s l Est en 1941 convainquent les SS qu il faut tout moment contr ler la destruction Dans l Europe occup e l Ouest par les nazis en 1942 la situa tion est
22. e R volution et contre r volution en Europe in Quand tombe la nuit sous la dir de St phane Courtois Lausanne L ge d homme 2001 p 101 112 40 Revue d histoire de la Shoah fut pas le seul g nocide perp tr au xx si cle Avant l av nement du national socialisme un g nocide fut perp tr celui des Arm niens de l Empire ottoman et l interpr tation de ces deux catastrophes avant l invention du mot g nocide la formule arm nienne pour d signer les massacres de 1915 tait la grande catastrophe permet de conduire une analyse comparative de leurs causes de leurs ant c dents de leur contenu et de leurs cons quences Existe t il un lien entre ces deux v nements Il est tabli que Hitler avait eu connaissance du massacre des Arm niens ottomans mais il serait erron de conclure une relation de cause effet Le meurtre de centaines de milliers d Arm niens avait t observ par les militaires les diplomates et les civils allemands pr sents par milliers au cours de la Premi re Guerre mondiale dans la plupart des grandes villes ottomanes Il tait donc normal que quelques ann es plus tard Hitler comme les autres chefs nazis en ait t inform Au d but de sa carri re politique l un de ses plus proches compagnons fut Max Erwin von Scheubner Richter qui avait t vice consul Erzeroum et avait d nonc ces crimes aupr s de son ambassadeur Wangenheim
23. e meilleure connaissance historique et d une reconnaissance Le d bat tant perverti par la permanence de la n gation les chercheurs et il est inutile de souligner qu ils ne sont pas tous arm niens stimul s par l aiguillon du doute mis par les sp cialistes de l Empire ottoman et de la Turquie moderne sont incit s poursuivre inlassablement leurs travaux Ce n est pas l l un des moindres paradoxes de la n gation que d aider la construction d un difice plus solide plus r sistant aux s ismes Nul aujourd hui moins de refuser de s informer ou de trouver int r t douter et nier ne remet plus en cause la v rit du g nocide arm nien ce qui est arriv en 1915 et 1916 fut bien un g no cide Mais la n gation ouvre un autre volet elle rend n cessaire la reconnaissance par tous du g nocide arm nien afin de pr server la m moire et de permettre au deuil de se poursuivre travers les g n ra tions Dans cette d marche Juifs et Arm niens sont li s par l histoire de leurs pers cutions respectives Les arm nophiles sont n s en m me temps que les dreyfusards le Yishouv fut t moin du g nocide arm nien le th me du g nocide traverse les litt ratures juive et arm nienne l enseignement tend se d velopper dans la comparaison la comm moration de ces morts sans s pulture se r fugie dans des c notaphes mus es ou monuments Internet compte m me ses sites n gat
24. e verdict qu en 1926 Schlomo Schwartzbart fut acquitt par un tribunal fran ais apr s avoir tu Simon Petlioura En fait la question de la culpabilit de Tehlirian fut tranch e par les jur s qui rendirent leur sentence sans expliquer leur d cision la question l accus Soghomon Tehlirian est il coupable d avoir tu avec pr m ditation un homme Talaat Pacha la sentence des jur s est non Justicier du g nocide arm nien Le proc s de Tehlirian Paris d Diasporas 1981 p 204 42 Revue d histoire de la Shoah rait des projets de r daction d une loi internationale qui sanctionnerait la destruction de groupes ethniques nationaux et religieux L int r t de Lemkin pour cette question tait ant rieur au proc s Tehlirian ce jeune Juif avait t boulevers dans son enfance par les pogroms en Russie et la lecture de Quo vadis Il expliqua plus tard dans son autobiographie qu il voyait une ligne sanglante entre le massacre de chr tiens Rome et celui tout proche des Juifs de Russie L id e centrale de Lemkin qu il comptait exposer lors de la cinqui me conf rence pour l unification du droit p nal international Madrid en 1933 tait d tablir un lien entre deux pratiques qu il se proposait d introduire dans le droit international celle de barbarie qu il d finissait comme la destruction pr m dit e des indi vidus membres d un groupe national racial rel
25. en t un des temps de la Shoah et ce furent les circonstances qui amen rent sa r apparition sous cette forme d lirante d un rejet total de la v rit tablie 1 Allusion au titre du livre d Arthur Butz The Hoax of the Twentieth Century publi en 1977 Comparer les g nocides 57 La n gation du g nocide arm nien s inscrit au contraire dans une conti nuit Pr par e avant le crime par la mise en accusation de la future victime confort e dans le crime par la l gende de la trahison et l artifice de la d portation justifi e comme simple transfert de population elle se poursuit apr s le crime par le d ni d innocence des victimes M me au cours des proc s tenus Constantinople en 1920 par le gouvernement ottoman apr s la chute du r gime jeune turc la r v lation de la planifica tion du g nocide ne supprima pas l accusation port e contre les Arm niens d avoir par leur r volte pouss le comit Union et Progr s au meurtre Mais c est avec l av nement de la R publique turque que le n gationnisme trouve un contexte favorable Tout pousse le k malisme nier la nature intentionnelle du crime Il r duit l v nement un piph nom ne de la guerre mondiale et les morts arm niens sont confondus avec les autres Turcs d c d s durant le conflit La Turquie croyait s tre d barrass e du cadavre lorsqu il r apparut apr s la Seconde Guerre mondiale avec la formulation du concept de
26. eront les fureurs assassines Mais elles ne sauraient tre retenues comme preuves d un g nocide car l inten tion n est r ellement constitutive de ce crime que lorsque celui ci a commenc Elle se mat rialise alors dans la planification du meurtre Entre ces deux temps se situe la prise de d cision Les individus qui prennent la d cision d an antir un groupe humain sont les d tenteurs du pouvoir d un Etat et ou d un parti Ma tres penseurs et ma tres menteurs virtuoses du faux et de la manipulation ils sont la 48 Revue d histoire de la Shoah fois pleinement responsables de leurs actes et prompts les dissimuler C est pourquoi dans les deux cas les plus vidents de g nocide perp tr s au xx si cle le moment et les circonstances de la prise de d cision restent en partie ignor s sans que cette part d ombre affecte l administration de la preuve Il serait vain d esp rer trouver des documents tablissant avec la pr cision des minutes d un proc s ou des comptes rendus des s ances d un parlement la date de la r union o cette d cision aurait t prise l identit des participants et les propos chang s Il est d ailleurs probable qu une telle r union n eut pas lieu et qu une d cision de cette importance ne fut pas prise en une fois au cours d un seul entretien Les n gateurs du g nocide arm nien ont beau jeu d exiger la pr senta tion d un tel document faute de q
27. icit de la Shoah et la crainte de r duction et de bana lisation de cette trag die sans pr c dent furent renforc es par ce que l on a appel la querelle des historiens une controverse qui dans sa forme extr me conduisit un d tournement de sens de la comparaison en rappro chant deux syst mes totalitaires le communisme et le nazisme Par une manipulation perverse des historiens ne se limit rent pas mettre en paral l le ces deux syst mes ils tablirent une relation entre les crimes qu ils produisirent ce qui revenait confondre des actes de nature diff rente et ce qui est plus grave encore utiliser l argument chronologique pour faire de la Shoah une cons quence des crimes staliniens Il y a pourtant loin d Hannah Arendt Ernst Nolte Aussi ne peut on justifier le recours au comparatisme qu apr s avoir analys cet aspect particuli rement nocif de la Querelle des historiens Il Bonnes et mauvaises relations Le comparatisme est un instrument de la recherche historique dans la mesure o celui qui le manie ne cherche ni aplanir les diff rences ni souligner les similitudes pour renforcer la th se qu il soutient Ainsi l analyse du ph nom ne totalitaire permet d isoler un cadre dans lequel s exerce le pouvoir et se d veloppent les m canismes de pers cution 1 Cf Hannah Arendt Le Syst me totalitaire Paris d du Seuil coll Points politique 1972 Ernst
28. igieux ou social et celle de vandalisme qui tait la destruction des uvres d art et de culture expri mant le g nie particulier de ces groupes et constituant leur patrimoine Son texte fut lu Madrid en son absence mais il ne retint gu re l atten tion des juristes repr sentants de trente sept pays Bien qu alors les pers cutions antis mites aient commenc en Allemagne les d l gu s pr sents la conf rence rest rent sceptiques quant l opportunit d voquer des crimes commis une g n ration plus t t dans l Empire ottoman Ils n taient pas pr ts accepter l id e d intervenir m me diplomatiquement au del des fronti res la lecture du texte de Lemkin le pr sident de la Cour supr me allemande et le pr sident de l universit de Berlin quitt rent la salle en signe de protestation Le gouvernement polonais fut saisi et Lemkin sanctionn Celui ci n interrompit cependant pas son travail et participa des conf rences de droit international Budapest Copenhague Paris Amsterdam et Le Caire En 1939 il se r fugia dans la zone polonaise occup e par les Sovi tiques puis Vilnius en Lituanie d o il gagna la Su de Il se rendit ensuite aux tats Unis En juin 1942 la Commission de protection et d administration conomique pour l tranger Washington le nomma consultant chef et en 1944 le minist re de la Guerre le d signa expert en droit internatio
29. ionnistes antis mites et anti arm niens En revanche les communaut s arm niennes face la n gation d un tat r clament une reconnaissance qui ne fait pas d faut aux communaut s juives Elles m nent un combat 1 Ainsi en 1998 un livre publi en association avec le United States Holocaust Memo rial Museum de Washington fait le point sur ces recherches Michael Berenbaum et Abram J Peck sous la dir de The Holocaust and History The Known the Unknown the Disputed and the Reexamined sous la dir de Michael Berenbaum et Abram J Peck Bloomington and Indianapolis Indiana University Press Comparer les g nocides 59 permanent pour obtenir des nations des organisations internationales ou d autres instances r gionales ou locales des provinces des tats dans des syst mes f d raux des villes la reconnaissance officielle du g nocide Elles ont combattre une vigilance sans faille de la Turquie qui ne recule devant rien pour rejeter les all gations arm niennes de l indignation hypocrite d un ambassadeur turc soulignant la n ces sit de pr server l unicit de la m moire de la Shoah et d non ant le risque de diluer la force morale que le souvenir du g nocide des Juifs devrait engendrer chez nous tous l rection de monuments comm morant le g nocide des Turcs par les Arm niens au cours de la Premi re Guerre mondiale 2 Devant la multiplicit des reconnaissances officie
30. ions multiples qui ouvrent autant de d bats et de controverses 1 H Arendt op cit 2 Nazisme et communisme Stalinisme et nazisme Histoire et m moire compar es de Henry Rousso sous la dir de Bruxelles Complexe 1999 3 Arno J Mayer Les Furies Violence vengeance terreur aux temps de la R volution fran aise et de la R volution russe Paris Fayard 2002 Comparer les g nocides 39 Au contraire la Querelle des historiens lanc e au printemps 1986 par un article d Ernst Nolte pose la question de la sp cificit de la Shoah et annonce un glissement de sens vers la banalisation du g nocide des Juifs Pour Nolte sp cialiste du fascisme italien le bolchevisme est le fondement de la politique d annihilation nazie Les crimes staliniens auraient t la cause premi re de la criminalit hitl rienne ce qui revient relativiser celle ci sinon la justifier L erreur d analyse est manifestement inten tionnelle Nolte transforme un plaidoyer pour l historisation en un discours r visionniste qui r duit la Shoah sa dimension technologique Sa th orie est d ailleurs rejet e par la plupart des historiens comme d pourvue de tout fondement scientifique Une tude compar e des g nocides est la fois l gitime et n cessaire dans la mesure o elle porte sur des crimes tiquet s comme tels et n est pas instrumentalis e des fins politiques Pour saisir la sp cificit de la Shoah il est plus
31. lemagne d s la fin du xix si cle de multiples processus d exclusion au sein de la race alle mande par limination de sa partie mauvaise ce sera la mise mort des pensionnaires des asiles d ali n s hors de la race par destruction des asociaux ce sera le g nocide des Tsiganes enfin et en priorit le combat contre la race jug e antagoniste qui constitue pour la race allemande une menace vitale la race juive L antis mitisme s tait transform au cours du XIX si cle il tait pass d un contenu religieux une expression nationaliste puis avait t remani par la biologie et tait devenu racial Ce concept nouveau tait totalement imaginaire Il proc dait d un choix d lib r et irrationnel d une image antagoniste l Aryen Le diff rent traditionnel le Juif avait t remodel en une figure n gative responsable de tous les maux de la communaut allemande Une donn e enti rement nouvelle tait introduite qui justifiait leur limination comme le seul moyen de sauver le peuple allemand La mise mort ne constituait plus la solution d un conflit r el Les Juifs n taient pas r el lement dangereux mais ils taient imagin s comme tels par les doctri naires de cet antis mitisme r dempteur pour reprendre la formule de Saul Friedl nder Cette parano a se d veloppa lentement pendant les six premi res ann es du national so
32. lles du g nocide arm nien la Turquie souffle le chaud et le froid Elle fait pression sur les gouvernements trangers pour qu ils ne prononcent pas le G Word ou les menace de repr sailles conomiques s ils reconnaissent le g nocide Mais d un autre c t elle feint de tendre la main aux Arm niens en ouvrant une commission de r conciliation arm no turque dont les exigences du c t turc sont inac ceptables par la partie arm nienne Ce sont autant de man uvres d sesp r es pour reculer l ch ance in luctable d une reconnaissance par la Turquie du g nocide arm nien l une des conditions n cessaires l tablissement d une d mocratie dans ce pays 1 Peter Novick L Holocauste dans la vie am ricaine Paris Gallimard 1999 p 275 note 1 Lettre au Washington Post 26 avril 1983 p A18 de l ambassadeur de Turquie Washington 2 Igdir pr s de la fronti re arm no turque le gouvernement turc rige en 1999 un monument et construit un mus e pour comm morer le g nocide des Turcs par les Arm niens 3 Cf infra mon article La commission de r conciliation arm no turque
33. lus de la soci t polonaise par l antis mitisme ordinaire ils furent tr s vite regroup s dans des ghettos o fut amorc par la mis re et la maladie le processus de leur destruction partir du moment o la guerre devint totale o trois millions de soldats allemands se lanc rent sur l Union sovi tique partir de cette date du 22 juin 1941 un m ca nisme irr versible de destruction fut enclench ce n taient plus les Juifs du Grand Reich de la Pologne et de l Union sovi tique qui taient en danger de mort mais tous ceux qui travers le monde tomberaient d sormais entre les mains des nazis Pourtant alors en janvier 1915 comme en juin 1941 les documents le prouvent dans les deux cas aucune destruction de masse ici des Arm niens l des Juifs n avait encore t planifi e V D cision et planification Les futures victimes sont avant que d bute leur mise mort plac es sur un baril de poudre Mais l tincelle qui allumera la m che n a pas encore jailli On confond trop souvent l intention avec le passage l acte Les d clarations vindicatives publiques ou priv es de responsables politiques brandissant la menace d une extermination en r plique un complot ou une trahison plus souvent fictifs que r els d ailleurs contribuent d ve lopper la haine et la peur qui fourniront le consensus social n cessaire la perp tration d un g nocide et qui aliment
34. m nien Qu ils soient int gr s dans la famille ou maintenus dans une condition servile tous furent convertis l islam souvent de force Dans plusieurs r gions en pays kurde en particulier ces pratiques s tendirent aux autres communaut s chr tiennes en particulier aux Syriens catholiques et aux Chald ens et il arriva que le gouver nement rappelle l ordre des citoyens musulmans en leur pr cisant que cette autorisation de tuer ne concernait que les Arm niens Souvent assassins et voleurs se heurtaient aux fonctionnaires civils ou aux soldats qui pillaient pour leur propre compte ou celui du gouvernement Les nazis au contraire privil gi rent l ordre id ologique et l tat SS contr la la spoliation et le racket de la m me mani re qu il disposa seul des moyens de mise mort C est l initia tive de l administration SS des camps de concentration que Auschwitz une d rogation fut accept e au lieu de faire dispara tre tous les arrivants des convois on les s lectionna et l on utilisa des fins mercantiles la force de travail des plus aptes en retardant leur mort de quelques semaines 1 Y Ternon Mardin 1915 Anatomie pathologique d une destruction Revue d histoire arm nienne contemporaine Tome IV 2002 p 135 54 Revue d histoire de la Shoah Ces imp ratifs diff rents expliquent pourquoi les survivants de la Shoah et du g nocide arm nien n appartenaient pas aux m mes
35. m Hell op cit p 44 Ce chiffre bien entendu erron donne la mesure du degr de connaissance par l opinion publique am ricaine de la destruction des Juifs d Europe 3 Genocide Washington Post du 3 d cembre 1944 p B4 cit par S Power op cit p 45 44 Revue d histoire de la Shoah En effet lorsqu en 1878 au congr s de Berlin ils s adressent aux puis sances europ ennes pour obtenir des r formes que la Sublime Porte promet mais ne r alise pas les repr sentants de la communaut arm nienne rompent le contrat de protection dhimmitude qui depuis la fondation du patriarcat arm nien la fin du xv si cle les lie au sultan Ce contrat leur garantissait une autonomie religieuse et communautaire en change de contraintes conomiques et sociales devenues avec le d clin de l Empire ottoman et la corruption croissante de l administration de plus en plus intol rables Apr s 1878 le sultan ne tient pas les engagements pris au congr s de Berlin ce qui conduit l mergence d un mouvement r volu tionnaire arm nien l tranger nourri par l esprit du temps Ce mouve ment tarde s implanter dans les communaut s arm niennes ottomanes qui ne sont pas pr tes le recevoir et surtout en craignent les cons quences Ces craintes sont justifi es puisque le sultan Abdul Hamid trouve l le pr texte pour initier en 1895 et 1896 une politique de massacres perp tr s envers les
36. n temps clos dans un autre une p riode plus longue et plus difficile d limiter les diff rences en nature et en nombre des sources permettant de les tudier Dans le m me souci d objec tivit une tude parall le du nazisme et du communisme a t conduite r cemment par des auteurs diff rents chacun traitant son sujet sans cher cher tablir ni priorit ni filiation 2 Un autre exemple de comparaison bien conduite entre deux violences de masse est donn par le livre d Arno Mayer Les Furies 1789 1919 qui met en parall le les r volutions fran aise de 1789 et russe de 1917 L auteur d montre que le cycle infernal violence terreur vengeance est engendr par le couple r volution contre r volution que les causes de ces deux v nements rel vent la fois des circonstances de l id ologie et des pulsions des principaux acteurs Il a le m rite de p n trer la complexit de ces situations et de refuser l argument de la cause unique qui conduirait des interpr tations erron es et tendan cieuses On pourrait cependant lui reprocher de tellement bien expliquer les m canismes du meurtre qu il finit par r duire les responsabilit s des criminels et par presque les justifier N anmoins ce qui est valable pour la violence r volutionnaire l est aussi pour la violence g nocidaire ce sont des ph nom nes d une complexit infinie dont l tude r clame des appro ches progressives et des r flex
37. nal En novembre la fondation Carnegie pour la paix internationale publia le volumineux livre de Raphael Lemkin Axis Rule in Occupied Europe Laws of Occupation Analysis of Government Proposals for Redress regroupant les lois et d crets 1 Il ne put s y rendre Le gouvernement polonais le lui interdit 2 Cf Y Ternon L tat criminel Les g nocides au Xx si cle Paris d du Seuil 1995 p 26 3 En traversant l URSS jusqu Vladivostok De l il gagna Yokohama puis Vancouver et Seattle o il arriva le 18 avril 1941 4 Washington DC Carnegie Endowment for International Peace Division of Interna tional Law 1944 Comparer les g nocides 43 promulgu s par les puissances de l Axe et les tats qui les soutenaient dans dix neuf pays occup s d Europe Lemkin avait entendu Winston Chur chill d clarer au sujet des crimes nazis la BBC en ao t 1941 Nous sommes en pr sence d un crime sans nom Il s effor ait de trouver un mot qui englob t les concepts de barbarie et de vandalisme un mot qui ne pourrait tre utilis hors de ce contexte un mot fort comme celui qu avait invent dans un tout autre domaine George Eastmann avec Kodak un mot court qu on prononce facilement et qui ne ressemble aucun autre Ce fut g nocide un hybride du grec et du latin D s le d but le sens de g nocide fut controvers Mais il devint vite vident que ce terme s appliqu
38. nda L examen de ce troisi me v nement situ l autre extr mit du si cle confirme l int r t de l approche compar e des g nocides Il r v le la priorit du facteur racial et le caract re radical de la destruction mais aussi l int r t politique du crime son b n fice imm diat et sa perp tration au grand jour Ainsi le g nocide des Tutsi au Rwanda se situe tant par le mobile que par les modalit s d ex cution entre le g nocide des Juifs et celui des Arm niens tout en se caract risant par des rythmes temporels des lieux et des mentalit s diff rents Si l on tend la comparaison d autres trag dies dont la nature g nocidaire est plus discutable dans la mesure o toutes les composantes n cessaires l identification du meurtre comme g nocide ne sont pas r unies l on constate que les points de contact sont plus rares les similitudes moins appr ciables Seuls demeurent pr sents dans tous ces crimes l horreur la cruaut le cynisme le mensonge le retournement de l innocence des victimes en culpabilit mais d abord et toujours l in puisable f condit du mal qui conduit des hommes disposant d un pouvoir illimit sur d autres hommes mettre fin leur vie VII N gation Bien que la n gation ne soit pas une composante n cessaire du g nocide on peut concevoir la perp tration revendiqu e d une destruction massive et programm e elle est au xx
39. nt en droit de craindre qu en cas de d faite les Arm niens obtiennent des Alli s une autonomie voire une ind pendance Il en r sulterait une amputation territoriale l est de l Anatolie Or cette r gion est devenue depuis la perte de la Turquie d Europe la fois le c ur de la patrie turque et la base de la reconqu te de la Turquie d Asie Les Arm niens sont donc per us comme une menace vitale pour les Turcs et cela suffit pour que le Comit d cide de les supprimer Conjoncture et id ologie se conjuguent donc pour que d s son entr e en guerre les Arm niens de l Empire ottoman soient en danger de mort d autant plus que l incorporation des hommes valides dans l arm e otto mane prive la population arm nienne de tout moyen de d fense Telle est la logique des faits et des id es qui pr pare les esprits des futurs d cideurs cette solution extr me que repr sente l radication d un groupe humain ce titre le g nocide arm nien constitue la fois un pr c dent premier crime labor par un r gime politique protototalitaire et un exemple car ce sch ma d une mise en p ril se reproduira de fa on assez proche en particulier la fin du xx si cle Le national socialisme se situe dans un espace radicalement diff rent en un lieu de la pens e o l id e obs dante est formul e comme une v rit scientifique et s enracine dans une r alit institutionnelle le
40. osant de pleins pouvoirs et charg s de coordonner les tapes du g no cide les secr taires responsables de l OS la formation de milices recrut es sur place et l envoi de bandes de tueurs les fch t des prison niers de droit commun lib r s entra n s et arm s la volont de prouver le complot et la fabrication de preuves lors de perquisitions aux domiciles de notables arm niens Durant ces trois mois fatals de f vrier mars et avril 1915 tous les t moins pressentent que le drame est proche le climat 1 Cf l article de Raymond K vorkian 2 Cf Y Ternon Les Arm niens Histoire d un g nocide Paris d du Seuil coll Points Histoire 1996 p 209 232 Comparer les g nocides 49 politique s est transform dans l ombre et le secret le comit Union et Progr s a pris sa d cision et tisse sa toile Les historiens de la Shoah admettent qu aujourd hui encore le processus de prise de d cision du meurtre n est pas parfaitement connu On est loin du d bat entre intentionnalistes et fonctionnalistes et l on sait bien qu avant 1941 d autres solutions furent mises en place ou propos es pour r gler la question juive l expulsion le regroupement en ghettos ou en camps la d portation de masse sur un autre continent La question de la Solution finale devient plus pressante apr s l invasion de la Russie et il est probable que la lettre de G ring Heyd
41. qui d truisaient toute une communaut humaine Il se pencha alors sur le proc s Tehlirian et observa comme on put le lire dans le New York Times que les documents pr sent s au proc s tablissaient une fois pour toutes le fait que le but des autorit s turques n tait pas la d portation mais l extermination Ce qui troublait Lemkin tait le fait que Tehlirian avait t acquitt sur la base de ce qu on l on pouvait qualifier de folie temporaire alors qu il avait agi en s auto d signant comme responsable de la conscience de l huma nit Lemkin consid rait que l impunit pour un crime de masse comme celui qu avait perp tr Talaat devait cesser et ce crime ainsi que son ch timent tre inscrit dans le droit international C est ainsi que la destruction des Arm niens de l Empire ottoman initia une r flexion et un travail qui aboutirent par la volont de Lemkin la Convention de 1948 Ce lien est certes indirect mais il est fondateur et m rite d tre d velopp Lemkin interrompit ses tudes de linguistique pour commencer des tudes de droit Il se pencha particuli rement sur les codes p naux qui dans l histoire r primaient les massacres Il devint procureur D s 1929 il pr pa 1 Le parcours de Raphael Lemkin est retrac dans le livre de Samantha Power Problem from Hell America and the Age of Genocide New York Basic Books 2002 p 17 46 2 C est sur le m m
42. r lequel devrait se construire l difice d une analyse plus fine des v nements Les recherches sur la Shoah se d veloppent d une fa on conforme aux imp ratifs de la recherche historique parce que les historiens travaillent sur les archives sans tenir compte de leur appartenance nationale ou de leur pass familial et qu ils acceptent les conclusions qui rel vent de l vidence tout en discutant certains points qu ils soumettent un 58 Revue d histoire de la Shoah r examen Ce travail sur un ph nom ne si complexe est impossible s il ne s effectue pas sans un consensus minimum qui porte sur la quali fication de l infraction Tant que les historiens turcs contraints par leur gouvernement et les historiens sp cialistes de l Empire ottoman et de la Turquie moderne qui d pendent pour leurs recherches de la bien veillance de l administration turque continuent nier la r alit du g nocide arm nien et refusent de le reconna tre comme tel tant qu ils parlent de deux versions de l v nement l une turque l autre arm nienne sans prendre en consid ration le fait que la pr tendue version arm nienne est la v rit tablie par l ensemble des historiens libres de s exprimer et que cette v rit repose sur une certitude obtenue par l examen des faits aucun dialogue ne sera possible C est pourquoi les travaux sur le g nocide arm nien sont men s dans la double perspective d un
43. re mondiale des imp ratifs politiques conduisirent au silence et 1 Cf Y Ternon La qualit de la preuve propos des documents Andonian et de la petite phrase d Hitler in CDCA L Actualit du g nocide des Arm niens Paris dipol 1999 p 135 142 Comparer les g nocides 41 l oubli et que le droit international ne disposa pas des moyens d identifier et de sanctionner ce crime singulier En revanche la relation entre ces deux v nements devient plus troite lorsqu on examine la d marche du grand juriste qui nomma ce crime Raphael Lemkin Lorsqu en 1921 l assassin de Talaat principal respon sable du meurtre des Arm niens Soghomon Tehlirian fut jug devant une cour de Berlin un jeune Juif polonais de vingt et un ans qui tudiait la linguistique l universit de Lvov Raphael Lemkin lut un bref compte rendu de ce proc s dans un journal local Intrigu il porta le cas l atten tion d un de ses professeurs Il lui demanda pourquoi les Arm niens n avaient pas fait arr ter Talaat Pacha le ministre ottoman de l Int rieur qui avait massacr leur peuple Le professeur r pondit qu il n y avait pas de loi qui perm t de proc der cette arrestation Lemkin releva une contradiction Tehlirian aurait commis un crime et non Talaat qui avait pourtant fait tuer plus d un million de personnes Il constata que la souve rainet de l tat permettait de prot ger des hommes
44. re n cessit e par la guerre et le risque de collaboration avec l ennemi L imposture est d autant plus habile qu elle pr pare un syst me de d fense contre une accusation de crime de guerre ou de crime contre l humanit formul e d s mai 1915 Dans les provinces orientales le d roulement des s quences est identique villages pill s et incendi s habitants massacr s dans les villes perquisition arrestation torture et mise mort des notables arrestation et mise mort des hommes 1 Le 24 mai 1915 les trois ministres des Affaires trang res de l Entente qui venaient d tre inform s du d but d ex cution d un programme d extermination des Arm niens de l Empire ottoman signaient une d claration commune mentionnant une nouvelle infraction le crime de l se humanit une formule d j utilis e par Zola dans son J accuse 52 Revue d histoire de la Shoah apr s regroupement en convoi d portation des femmes et des enfants La d portation est pour cette premi re phase qui se d roule en trois mois de mai juillet 1915 l instrument d une extermination compl mentaire une partie infime des d port s parvient aux lieux pr vus officiellement pour leur regroupement Syrie et M sopotamie La seconde phase succ de imm diatement mais elle diff re La destruction imm diate est plus rare et la d portation syst matique par chemin de fer jusqu Alep centre de reg
45. rich le 31 juillet 1941 doit plut t tre comprise comme un transfert de pouvoir la SS pour r gler cette question que comme une prise de d cision L examen des faits et des documents permet d avancer l hypoth se de plusieurs d cisions selon les lieux o les populations juives devaient tre extermin es 2 L extr me brutalit des meurtres de masse perp tr s sans distinction d ge ni de sexe partir de la fin juillet 1941 sur toute la ligne du front russe par les commandos des Einsatzgruppen et les milices lituaniennes ou ukrai niennes provoque des troubles psychiques chez les assassins Les diri geants SS reconnaissent que les ex cutions et les charniers ne sont pas la m thode id ale et privil gient la destruction par le gaz des camions puis au moyen des chambres gaz Hitler est convaincu de la n cessit de recourir cette solution extr me Il a d j donn son accord en juillet pour la mise mort des Juifs de l Union sovi tique et il est sans nul doute seul donner l autorisation de supprimer tous les Juifs d Europe Mais Himmler et Heydrich le pressent de prendre cette d cision et lui d mon trent probablement lors de plusieurs entretiens que les agendas des deux hommes permettent de dater que cette action est faisable Christopher Browning explique preuves l appui que la direction de la SS a proc d des tudes de faisabilit avant de monter l op ra
46. roupement La masse des d port s est alors r partie selon deux axes l Est le long de l Euphrate au Sud vers la Syrie et la Palestine L axe oriental conduit la mort et les d port s sont pouss s de camp en camp jusqu De r es Zor o les survivants sont extermin s de juillet d cembre 1916 La majorit des rescap s des camps du sud de la Syrie du Liban et de la Palestine survivront parce que Djemal Pacha qui contr le ces provinces tient garder les Arm niens comme instrument de n gocia tion avec les alli s de l Entente et qu il fait de la lutte contre les Arabes une priorit Il ne semble pas que les sch mas utilis s par les Jeunes Turcs aient en quelque mani re inspir les nazis qui improvis rent dans l urgence les temps successifs de la Shoah avec comme seule exp rience ant rieure celle de l action T4 De m me le territoire vider de la part de population civile d finie comme juive tait plus vaste et ses diff rentes parties ne rele vaient pas des m mes syst mes d autorit Les deux m thodes utilis es furent radicalement diff rentes meurtres collectifs sur place ex cut s par des groupes mobiles au fur et mesure de la p n tration des arm es alle mandes en URSS destruction par le gaz dans des centres de mise mort construits pour cette seule fonction une technique qui visait pr server le secret Dans l Europe occup e la plupart des victimes juives furen
47. t assas sin es l et non au cours de l arrestation ou de la d portation par chemin de fer Il serait la fois inutile et irrespectueux de mettre en parall le des souf frances ou des cruaut s Dans ces deux g nocides qui repr sentent deux cas exemplaires la furie meurtri re fut sans limite l inhumanit la r gle Toutes les barri res thiques qui en d autres circonstances auraient pu retenir les meurtriers disparurent et les tueurs b n fici rent d une garantie d impunit Des dizaines de milliers d individus particip rent en toute connaissance de cause ce processus criminel Apr s avoir analys des milliers de comportements individuels historiens et psychiatres s interro gent encore sur les parts respectives de l ordinaire et du monstrueux Ils s efforcent de comprendre par quels m canismes des hommes ordinaires acqui rent la capacit de tuer quotidiennement pendant des mois Quelle que soit l explication avanc e il est certain que dans une atmosph re de Comparer les g nocides 53 d shumanisation des bourreaux et des victimes tout devient possible puisque tout est permis Cependant et c est en cela que la Shoah fut un crime sans pr c dent les nazis all rent plus loin encore que les Jeunes Turcs Ils programm rent une extermination qui devait s tendre toute la plan te Aucun Juif ne serait auto ris vivre l o les nazis seraient pr sents et ceux ci r vaient
48. tiative d un dirigeant jeune turc comme les Arm niens des camps du sud de la Syrie et de Palestine pargn s par Djemal Pacha En pla ant en miroir ces deux catastrophes on d finit une r gle qui suppose de nombreuses exceptions mais permet d identifier dans les moda lit s d ex cution la diff rence de mobiles Les nazis voulaient an antir une race les Jeunes Turcs d raciner un peuple Pour les plus fanatiques des SS quelques Juifs survivants en Europe repr sentaient encore une menace Pour les Jeunes Turcs des groupes pars d Arm niens incapables de s organiser en une communaut ne constituaient plus un danger Ils taient au contraire la preuve que les Turcs n avaient pas eu l intention d an antir le peuple arm nien puisqu il en restait des repr sentants dans l Empire ottoman Deux id ologies diff rentes programm rent la solution finale de questions respec tives diff rentes ici solution radicale d une obsession irrationnelle m lange confus de haine et de peur l solution plus souple permettant des accom modements d une question r elle et partant plus facile n gocier Les deux entreprises d extermination furent approch es avec des mentalit s diff 1 Je ne soul ve pas ici la question des conversions l islam offertes des Arm niens comme moyen de survie car ces propositions furent rarement accept es par les victimes et lorsque celles ci se convertirent les bourre
49. tion Reinhard et de commencer les gazages dans des camions Chelmno Le personnel charg de la suppression des malades mentaux action T4 est transf r en Pologne apr s l arr t de l action en ao t 1941 et utilis avec profit dans la recherche du meilleur syst me de destruction Il est galement probable que le montage des usines d Auschwitz et de Ma danek correspond 1 Document NG 2586 du Tribunal militaire international 2 Cf Christopher R Browning Politique nazie travailleurs juifs bourreaux allemands Paris Les Belles Lettres 2002 p 45 80 3 Cf Richard Rhodes Masters of Death The Einsatzgruppen and the Invention of Holo caust New York A Knopf 2002 4 C Browning op cit p 52 50 Revue d histoire de la Shoah un troisi me temps de la d cision un temps final de perfectionnement tech nique puisqu il combine l exploitation d une main d uvre servile la mise mort imm diate des inaptes apr s s lection de ceux ci Enfin les personnes enr l es pour participer cette colossale entreprise planifi e l chelle d un continent furent seulement inform es lorsque cela devint imp ratif Les prises de d cision et les programmations furent en outre infl chies par les circonstances de la guerre mondiale par le ralentissement puis l arr t de la progression des arm es allemandes au cours de l automne 1941 et par l entr e en guerre des tats Unis apr s Pearl Harbor
50. uoi ils qualifient les preuves avanc es d all gations Si ce document a jamais exist il n a pas t pr sent quand il aurait pu l tre lors des proc s de Constantinople en 1919 1920 et on con oit mal qu il n ait pas t subtilis ou d truit depuis L enqu te histo rique conduit reconstituer le d roulement probable de la prise de d cision et de la planification de l extermination des Arm niens ottomans Compa rativement au g nocide des Juifs la d cision fut sans doute prise en une fois et concerna l ensemble des Arm niens La planification du g nocide fut globale et les temps successifs d finis d embl e Le moment de la d ci sion se situe en f vrier 1915 apr s le d sastre de Sarikamish o la IIS arm e ottomane fut an antie alors que les flottes anglaise et fran aise mena aient la capitale donc dans des circonstances o l Empire tait menac et o les Jeunes Turcs cherchaient tablir la preuve de l existence d un complot arm nien dirig de l tranger assignant ainsi aux Arm niens le r le de boucs missaires Des faits post rieurs cette date r v lent la mise en place d un appareil permettant de coordonner l extermination la transformation sur le front oriental d une organisation militaire subversive l Organisation Sp ciale OS en une machine de destruction dont les rouages s articulent entre la capitale et les provinces l apparition de civils disp
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