La Revue COMMENTAIRE, n° 112, 2005
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1. dr et tat assailli L tat effondr est celui qui croule sous les difficult s d origine interne comme l ex Yougoslavie L tat assailli est celui qui est confront des infiltrations et d sordres provenant de ses voisins ainsi r cemment l ex Za re ou les risques que court la C te d Ivoire L encore la distinction est relative parce que les ph nom nes sont souvent enchev tr s Elle illustre toutefois cette donn e que la d faillance risque d tre contagieuse et qu un tat d faillant risque fort d exporter ses difficult s sur ses marges ainsi pour la Mac doine ou la RDC Les tats voyous Une autre distinction int ressante est celle des rogue States ou tats voyous et des tats d faillants premi re vue les deux cat go ries sont oppos es un rogue State encore une notion controvers e d origine am ricaine est un tat dont les politiques constituent une menace ouverte pour son environnement parce qu il viole des trait s internationaux le droit humanitaire exerce une dictature poli ci re voire entreprend de se doter d armes de destruction massive Mais d un autre point de vue un rogue State est un tat d faillant virtuel parce que les mesures prises contre lui de lext rieur peuvent conduire son effondrement le Cambodge des Khmers rouges l Afghanistan actuel l Irak On peut ainsi se demander ce que deviendraient la Syrie en cas d2. me si leur propre politique les contraint s y engager En revanche c est un domaine ouvert PUnion europ enne qui dispose la fois de ressources et de savoir faire savoir faire d une part en raison de l exp rience histo rique et notamment coloniale de plusieurs de ses membres d autre part du fait des strates successives d largissement de l Union qui ont pass par des r formes internes profon des des nouveaux adh rents Mais la faiblesse de PUE se situe sur le plan militaire Elle r side dans Pabsence de forces 898 collectives d intervention adapt es qui soient cr dibles comme peuvent l tre ou comme taient jusqu aux d boires de l intervention en Irak les forces am ricaines LUE a besoin de cette capacit non pour affirmer sa puissance ou d velopper une politique belli queuse mais pour contribuer plus efficace ment au r tablissement ou au maintien de la paix La contribution de PUE se situe donc pour l instant plut t sur le terrain civil En attendant la reconstruction de l tat ou lorsqu elle est retard e ce qui est le cas le plus fr quent le r sultat est une sorte de mise sous tutelle pratique de l espace consi d r Cette mise sous tutelle internationale ne correspond pas un statut d fini elle repose sur des r glementations particuli res chaque situation On a parfois sugg r une r nova tion du r gime de tutelle initialement pr v
3. parais saient sujettes caution Ils reposaient sur des fronti res artificielles sans unit nationale religieuse ou culturelle taient dirig s par des pouvoirs autoritaires mais fragiles et connais saient un sous d veloppement dramatique Leur situation na pas fondamentalement volu depuis lors et c est en leur sein que Pon trouve les cas les plus vidents de d faillances tatiques On peut galement opposer suivant Pori gine ou les sympt mes de la d faillance les Etats qui sont confront s des oppositions ethniques des conflits internes entre commu naut s qui se d chirent ce qui se traduit par Poppression r ciproque voire par des massa 3 Gunnar Myrdal Le D fi du monde pauvre Gallimard 1971 894 cres plus ou moins organis s et les tats dont les services publics ne fonctionnent plus qui ne peuvent plus remplir leurs fonctions r galiennes assurer la s curit la justice P ducation pour tous et qui connaissent des ph nom nes de corruption de criminalit une sorte de d composition de appareil d tat Mais la distinction est plus apparente que r elle c est dans la mesure o l tat par son autorit par ses services publics n appara t pas au service de l int r t g n ral que tensions communautaires ou ethniques apparaissent ou triomphent le cas de l ex Yougoslavie est tout fait clair cet gard On peut encore distinguer entre tat effon
4. fausser d un probl me sur une instance judiciaire tout fait incapable de le r gler SUR LES TATS D FAILLANTS humanitaire le soutien aux ONG qui signifie pour les tats faire semblant de faire quelque chose sans r ellement s engager Ensuite sur quel fondement agir d s lors que le point de d part de la crise est une situation interne qu il appartient chaque tat de r gler en son sein Peut on recourir la force arm e de fa on unilat rale inter venir militairement sur le territoire d un autre tat m me en se fondant sur des pr occupa tions humanitaires En principe la Charte des Nations unies l interdit en dehors de la l gitime d fense qui n est pas invocable en occurrence Si Pon peut obtenir une r solu tion du Conseil de s curit qui autorise la constitution d une force d intervention et de s curit tout va bien d s lors que l on trouve des Etats volontaires pour y participer Mais si le Conseil ne veut pas ou ne peut pas se prononcer Reste la possibilit d une intervention d humanit dite encore inter vention humanitaire conduite par un Etat ou un groupe d Etats agissant sous leur respon sabilit Elle est diff rente dans sa nature comme dans son ampleur de ling rence humanitaire mais sa r gularit juridique est contest e On aurait pu en proclamer la doctrine voici six ans au moment de l affaire du Kosovo mais on s en
5. la pr dation des voisins para t videmment aussi hypocrite qu anachronique encore que Mais la Pologne est bien pr sent e comme un tat d faillant sans que le terme soit employ Si l on revient la p rio de contemporaine les exemples cit s mont rent bien qu il n y a aucune raison de limiter le ph nom ne l Afrique et que l Europe elle m me n est pas l abri Allant toujours dans le sens de la g n rali sation ne peut on pas se demander si Pex pression m me d tat d faillant n est pas un pl onasme si l tat n est pas par nature d faillant c est dire incapable d assurer le maintien de relations internationales stables et paisibles si l tat si la forme d organisa tion politique des soci t s qu est l tat n est pas en elle m me un fauteur de troubles de violence de conflits qu il faut d passer pour d autres formes d organisation sociale C est l une conception maximaliste de l tat d faillant dont il faut dire un mot en raison de l influence qu elle a exerc e et continue exercer sur une partie importante de la pens e internationaliste sp cialement en France o l international s oppose souvent l tatique l tat est consid r comme struc turellement d faillant et le mieux qui puisse lui arriver serait d tre d pass par de nouvel les formes d organisation politique 1 Albert Sorel La Question d Orient au xv
6. pour ce qui nous int resse trois cons quences D abord on a d recon na tre que les soci t s civiles ne sont pas la panac e les soci t s civiles ce sont aussi les r seaux internationaux de la criminalit orga nis e du terrorisme de la prolif ration sau vage des ADM en d autres termes Al Qa da se superpose dans la perception dominante M decins sans fronti re ou Amnesty inter national Ensuite il est apparu que la r ponse aux formes d ins curit que cristallisait aussi spectaculairement que tragiquement le 11 sep tembre reposait sur les tats et sur eux seuls Enfin ce que certains ont appel le retour de l tat tort car il n tait jamais parti donnait au ph nom ne des tats d faillants une nouvelle port e ce n est plus seulement l int rieur des fronti res ou dans le voisi nage imm diat que se situe la menace qu ils repr sentent Elle devient menace virtuelle ment universelle par le terrain qu elle lib re pour les r seaux d immigration clandestine de mafieux de prolif rateurs de terroristes et autres criminels internationaux Conception r aliste La conception r aliste repose sur les d fail lances historiques des tats On ne consid re plus alors l tat comme structurellement infir me et intellectuellement condamn On le consid re comme une forme historique or ganisation sociale qui jusqu pr sent n a t remplac e par a
7. Mais la vigilance manque souvent parce que les autres tats sont requis par leurs propres priorit s ou sont galement retenus par le principe de non intervention dans les affaires int rieures de l tat Les plus impor tants d entre eux disposent certes de leurs outils d analyse et se tiennent soigneusement inform s des risques qui affectent les tats concern s Mais ils ne sont pas n cessairement pr ts rendre publiques leurs informations ou leurs analyses ou m me les partager Quant aux organisations internationales elles n ont pas toujours les moyens d infor mation n cessaires Elles sont le plus souvent 895 SERGE SUR tributaires des informations fournies discr tionnairement par leurs Etats membres Les secr taires g n raux successifs de PONU s en sont volontiers plaints Mais lorsque Pini tiative de M Perez de Cuellar avait t cr e aux Nations unies une cellule d analyse et de pr vision on a vite constat que ses moyens taient structurellement insuffisants Au surplus si ces organisations ont les informa tions utiles elles n en font pas toujours usage l exemple du Rwanda et du t l gramme Dallaire est bien connu Restent les ONG qui sont en principe d sint ress es mais dont les informations sont loin d tre toujours fiables D un c t elles sont a priori interventionnistes puis qu elles trouvent dans laction internationale l gitimit moyens v
8. Sur les tats d faillants SERGE SUR E terme d tats d faillants rencontre LL la litt rature internationale un grand succ s Comme beaucoup il est d origine am ricaine failed States et dem ploi assez r cent puisque sa popularit remonte une dizaine d ann es grosso modo l poque des grands massacres dans l Afri que des Grands Lacs au Rwanda sp ciale ment La r alit est beaucoup plus ancienne mais elle n avait pas jusqu alors fait l objet d une tiquette commune Empiriquement chacun voit bien ce dont il s agit un appa reil d tat ne peut plus remplir ses fonctions essentielles et sp cialement assurer la s cu rit physique de sa population Il en r sulte non seulement des troubles internes mais des prolongements ext rieurs intervention des voisins afflux massif de r fugi s contagion de l instabilit de sorte que la paix et la s cu rit internationales sont leur tour menac es Mais cela peut correspondre des situations tr s diverses peut on m langer par exemple les catastrophes naturelles et les troubles poli tiques est il fond est il utile de rassembler sous un terme unique peut on cr er une cat gorie intellectuelle commune pour des trou bles aussi vari s Cela conduit poser deux questions sim ples Premi re question le terme d tats d faillants est il une formule ou un concept et si c est un concept quel est s
9. aillance majeure mais peut aussi tre une r ponse cette d faillance dans la mesure o sur ses d combres se forment des tats plus restreints mais plus solides et l on peut mentionner l exemple de la Tch coslova quie Ce n est pas non plus toujours le cas et par exemple au moins quatre des six tats issus de l ex Yougoslavie ont des probl mes sinon d existence du moins de stabilit la Serbie le Mont n gro la Bosnie la Mac doine Ils sont sinon officiellement d faillants du moins sous troite surveillance ext rieure et pour certains sous assistance permanente Cela nous conduit cette constatation qu il faut distinguer plusieurs types ventuellement plusieurs degr s de d faillance C est l o lon peut se demander s il est fond de ras sembler sous un m me terme des situations en r alit diff rentes s il ne faudrait pas raisonner en termes de situations plut t qu en termes de cat gorie La cat gorie d tat d faillant ne serait pas alors homog ne elle ne correspondrait qu une vision superficielle et rapide et pour citer Jean Paul Sartre serait l illusion d un internationalisme abs trait pr tendant r aliser par l universalisme une aristocratie de survol 2 Jean Paul Sartre Qu est ce que la litt rature in Situations IT Gallimard 1948 p 226 227 893 SERGE SUR L tat failli On peut mettre part la notion d tat fail
10. ceptes strat giques En conclusion ou plus exactement pour ramasser ce qui pr c de on peut ramener les directives strat giques quelques pr ceptes qui sont videmment plus simples formuler qu appliquer Il convient de disposer au pr alable d indi cateurs permettant de rep rer les d faillances et d identifier les tats qui en sont menac s en mesurant leur gravit et les cons quences qui risquent d en r sulter sp cialement sur le plan de la s curit r gionale et internationale Il est souhaitable de pouvoir agir de fa on pr coce car plus l action est retard e plus elle est co teuse et al atoire Pour viter cependant la suspicion d intervention int res s e et pr datrice d un Etat d termin il est souhaitable qu une telle action fasse suite une constatation objective et ind pendante valid e par une instance internationale ou au minimum collective Dans le m me esprit il est pr f rable que action soit coordonn e par une ou plusieurs organisations internationales Coordonn e sans toutefois que les tats qui disposent seuls des moyens n cessaires financiers ven tuellement militaires ne se d faussent sur des organisations en leur confiant des responsabi lit s qu elles sont hors d tat d assumer Quant SUR LES TATS D FAILLANTS ces organisations il ny a pas de pr f rence automatique pour les Nations unies et le choix ou la convergence ent
11. e dispari tion du r gime ou l Iran voire la Cor e du Nord ou le Nigeria L interface entre rogue State et tat d faillant peut aussi d pendre de la perception que l on en a ainsi pour le Darfour on peut consid rer que le Soudan est incapable de ma triser des milices priv es mais aussi qu en r alit elles agissent avec sa complicit et qu il est ainsi responsable d un v ritable g nocide On peut conclure ce bref r pertoire par une donn e commune aux diverses situations elles ont toutes des implications internationa les C est m me un l ment de la d finition de la d faillance est tat d faillant celui qui ne peut r soudre seul ses probl mes qui a besoin m me s il n en est pas demandeur d une intervention ext rieure Les d faillances sont certes de nature diff rente Une dictature sanglante met en cause le droit humanitaire et par l des valeurs universelles ce qui peut entra ner une inter vention ext rieure le Cambodge le Rwanda le Kosovo dans une moindre mesure l Irak Mais Pafflux de r fugi s inqui te et perturbe les voisins de P tat ce qui soul ve plus direc tement une question de s curit r gionale De fa on plus g n rale existence d espaces qui chappent une autorit tatique et sont livr s la pr dation de bandes ainsi au Sierra Leone la comp tition pour le contr le des diamants nourrit la criminalit interna tionale le
12. es lections sont une proc dure d arbitrage entre groupes et th ses oppos s suivant une r gle commune le gouvernement de la majorit dans le respect des droits de la minorit que tous acceptent Ind pendamment de toute pr f rence de caract re id ologique la sup riorit des r gi mes d mocratiques r side dans leur capacit assurer l volution tranquille des soci t s et la solution pacifique des tensions internes C est ce que r sumait Tocqueville par une de ses formules p n trantes L lection est une r volution institutionnalis e Dans ces conditions la meilleure pr vention en Europe c est la participation l Union europ enne qui impose des crit res de nature assurer la solidit et la stabilit des Etats membres C est m me l un des paradoxes de l Union elle est tourn e vers la construction d un nouvel ensemble conomique et poli tique voire d un mod le d organisation poli tique qui d passe l tat Mais l un de ses r sultats les plus sensibles est de consolider ses Etats membres et c est bien ce qu en attendent par exemple les nouveaux membres Cela vaut aussi pour les anciens o en serait par exemple la Belgique sans l Union euro p enne qui lui permet de relativiser ses ten sions communautaires CLUE n est pas seule contribuer ce type de pr vention en Europe on peut souligner en la mati re la surveillance des lect
13. est abstenu peut tre tort Le rapport Evans Sahnoun sur La Responsabilit de prot ger 2001 reste cet gard dans une prudente trop prudente expectative Le r sultat de ces atermoiements juridiques est qu il est difficile face des situations d urgence de r agir au moment o il le faudrait Enfin comment agir quels moyens enga ger C est l un probl me qui concerne sp ci fiquement le secteur de la d fense puisqu il faut disposer des forces et des strat gies adap t es Il y a l tout un champ r cent pour Pac tion des forces arm es et par l la question des tats d faillants concerne largement lap pareil de d fense c t de l action propre ment militaire il y a aussi un volet civil huma nitaire et administratif de sorte que les militaires en action doivent galement tre en mesure de travailler de concert avec des missions civiles des fonctionnaires internatio naux des ONG 5 Serge Sur Le recours la force dans l affaire du Kosovo et le droit international Les Notes de PIFRI n 22 2000 897 SERGE SUR Les autorit s militaires peuvent aussi tre conduites mener sur place des n gociations avec des factions bellig rantes pour obtenir des cessez le feu le retrait des forces irr gu li res le d sarmement de milices tout ceci supposant pour les officiers une formation particuli re des missions qui d bordent largement l action
14. guerri re au sens troit Le maintien de la s curit suppose lui m me un type d action qui s loigne de la force guer ri re En outre m me du point de vue de Pemploi de la force arm e il faut souvent interpr ter des mandats internationaux qui peuvent tre r dig s en termes vagues Reconstruction des tats La reconstruction des tats est l objectif long terme Il n en est pas d autre puisque on l a dit on n a pas trouv de formule alter native l tat L exp rience r cente n est pas toujours encourageante et pas seulement en Afrique comme le montrent la Bosnie lAf ghanistan l Irak voire le Kosovo m me s il ne s agit pas proprement parler d un tat D autres situations sont en balance en Afri que pr cis ment la C te d Ivoire la RDC le Rwanda entre autres Le Cambodge est peut tre un des seuls cas de r ussite relative ou le Liban mais dans ce dernier cas au prix d une mise sous protectorat dont les volu tions r centes soulignent la pr carit Les Nations unies ont acquis une exp rience certaine en la mati re mais manquent largement de moyens Elles ont su d finir des strat gies int gr es de nation building et de State building avec le concours d organisa tions r gionales d institutions sp cialis es d tats concern s d ONG Les tats Unis ont souvent soulign qu ils n taient pas int res s s par le nation building m
15. hui davantage de la th orie que de la pratique Sont ainsi largement rest s th oriques cet gard l Agen da pour la paix de Boutros Boutros Ghali en 1992 ou le rapport Evans Sahnoun sur La Responsabilit de prot ger en 2001 L id e qui pr side cette approche est qu il faut pouvoir identifier temps les risques d at teinte l int grit des Etats soit par d com position de l appareil tatique soit par inten sification des tensions internes pouvant d boucher sur des affrontements arm s alors que PEtat en cause ne semble pas en mesure Qy r pondre On pourra alors parler de failing States d tats en voie de d faillance appelant une action pr ventive Leur identification suppose plusieurs conditions de nature diff rente sur le plan de lanalyse d abord sur celui de la strat gie ensuite Sur le plan de l analyse d abord il faut pou voir rep rer les signes annonciateurs et pour cela il faut la fois de l information et de la vigilance Pour les signes annonciateurs on pourrait s appuyer sur des crit res d finis du c t des gouvern s le degr de coh sion nationale pour les gouvernants leur qualit leur honn tet pour la relation gouvernants gouvern s le respect des droits de l homme lexistence d un syst me pluraliste et d lec tions libres C est ainsi que l on aurait pu rep rer en temps utile les ferments de dislo cation de la Yougoslavie
16. ions ou la protection des minorit s assur es par POSCE dans un cadre plus large que celui de l Union Gestion des crises De la gestion des crises on passe la reconstruction des Etats On se situe en Poc currence deux stades successifs Dans Pur gence il faut g rer les crises intervenir pour arr ter la violence plus long terme il faut entreprendre de reconstruire l tat d faillant La gestion des crises soul ve de multiples questions qui d bordent notre sujet On ne retient ici que celles qui nous concernent directement De fa on g n rale le probl me est la fois s curitaire et humanitaire il faut r tablir ou maintenir la s curit des person nes et des biens il faut porter assistance aux populations en d tresse ne serait ce que pour pr venir une aggravation de la situation D abord lorsqu on est en pr sence d une violence ouverte o se situe le seuil partir duquel une intervention est souhaitable C est l affaire d appr ciation mais aussi d in t r t l Australie sera par exemple plus vigi lante l gard du Timor Oriental que les pays europ ens la France l gard de la C te d Ivoire que l Allemagne ou le Royaume Uni l gard du Sierra Leone que la France Mais il faut qu un ou plusieurs tats aient la fois un int r t et une capacit d intervention pour qu une action soit possible d o comme au Darfour des situations qui pourrisse
17. isibilit D un autre c t leurs analyses peuvent tre id ologiquement biais es On peut cependant souligner la qua lit de l une d entre elles Crisis Watch ONG cr e par Gareth Evans ancien ministre des Affaires trang res australien qui s attache Pidentification des situations dangereuses et leurs solutions possibles par une sorte de diplomatie priv e ou de suggestions aux gou vernements Crisis Watch publie r guli rement sur Internet un bulletin qui fait le point sur les tensions et les risques aussi bien sur le plan international que sur le plan interne Sur le plan de la strat gie ensuite encore faut il s entendre sur les mesures appropri es Si l on reprend l exemple de la Yougoslavie on mesure r trospectivement que la meilleure voie aurait t pour l Europe d organiser le divorce pacifique des diff rentes r publiques avec comme perspective l adh sion terme de toutes l Union europ enne En r alit cer tains la France ont cherch maintenir Punit du pays et d autres l Allemagne ont pr cipit sa partition et cette contradic tion n a conduit qu acc l rer et amplifier la violence Seule la Mac doine a b n fici de mesures pr ventives avec l emploi d une force internationale de s curit dont la pr sence a permis de maintenir globalement la paix puis d assurer la cohabitation des communaut s Derni re remarque ce su
18. ivers aspects et peut provenir de l un ou de l autre de ces l ments ou des trois Partons d abord de quelques situations concr tes avant de dire quelques mots des conceptions g n rales des relations interna tionales qui peuvent s en nourrir et l on pourra ici sommairement en distinguer deux Quelques situations concr tes On a men tionn le Rwanda On aurait pu aussi rappe ler la dissolution de la Yougoslavie voici quinze ans voire les probl mes du Liban ou 891 SERGE SUR du Cambodge voici plus de vingt ans ou encore l Afghanistan apr s l intervention sovi tique en 1979 et en remontant le temps pourquoi pas la Pologne la fin du xvIn si cle lorsque trois tats europ ens la Prusse la Russie et l Autriche avaient d cid de se partager son territoire on lit en effet dans le pr ambule des trait s conclus entre ces trois puissances le 25 juillet 1772 Au nom de la tr s sainte Trinit l esprit de faction qui maintenait l anarchie en Pologne y Jaisant craindre la d composition totale de l tat qui pourrait troubler les int r ts des voisins de cette r publique alt rer la bonne harmonie qui existe entre eux et allumer une guerre g n rale l Autriche la Prusse et la Russie ont d cid de r tablir l ordre dans lin t rieur de la Pologne et de donner cet tat une existence politique plus conforme aux int r ts de leur voisinage La solution
19. jet on parle g n ralement de pr vention pour d signer ce type d approche Mais on peut se demander si le terme de pr emption ne serait pas plus juste En effet cette d marche suppose que les menaces de d faillance soient d j pr sen tes et la prise de conscience rel ve de l alerte 896 plus que de la pr vention vrai dire lorsque les signes annonciateurs sont perceptibles il est d j plus tard que l on ne pense La pr vention au sens propre du terme se situe plus en amont Elle consiste plut t faire en sorte que l tat soit suffisamment coh rent et stable pour ne pas conna tre ce genre de d rives par exemple en reposant sur un r gime d mocratique qui respecte les droits de l homme l galit entre les citoyens et les libert s individuelles et collectives Ce n est pas seulement sur le plan des prin cipes que la d mocratie est meilleure Elle assure aussi une plus grande solidit une plus grande stabilit des Etats parce qu elle per met l expression pacifique des divergences Elle permet galement leur solution pacifique sur la base d une r gle commune qui est le respect de la majorit Les droits de l homme quant eux assurent le respect des minorit s Au fond la conception minimale de la d mo cratie c est qu elle constitue une proc dure de r glement pacifique des diff rends sans elle il n est d autre solution que la violence civile et politique L
20. li qui est parfois utilis e pour d signer des pays dont la situation financi re est tellement d grad e qu ils ne peuvent plus assurer le paiement des int r ts de dettes publiques colossales r gler les traitements de leurs fonc tionnaires etc La notion d tat failli comporte en m me temps sa solution si Pon pouvait d clarer de tels tats en situation juridique de faillite on pourrait assurer l apurement par voie d intervention internationale par exem ple du FMI et de la BIRD de leur situation financi re au prix d une mise sous tutelle de Pensemble de l appareil financier de ces Etats On l a parfois voqu propos des difficult s r centes de l Argentine mais sans retenir l id e De fa on plus g n rale la d faillance financi re d un Etat est g n ratrice de ten sions sociales et politiques nombre de r bel lions militaires en Afrique sont ainsi li es au fait que l tat ne peut plus payer les fonc tionnaires et surtout les militaires ou les services de s curit Faible divis incapable effondr assailli On peut distinguer entre soft States et tats d faillants Pexpression de soft States on parle aussi de weak States ou Etats faibles incertains mous avait t utilis e d s les ann es 1960 par Gunnar Myrdal pour caract riser les pays africains d colonis s Etats nouveaux issus de la d colonisation Leur homog n it et leur stabilit
21. nt dans une certaine indiff rence ou la longue inertie propos du Liberia avant que les tats Unis ne se d cident assurer un service minimum Si l on ne fait rien reste l action 4 Ce n est qu en janvier 2005 qwa t labor le rapport d une commission d enqu te sur le Darfour remis au Secr taire g n ral sur la base de la r solution 1564 18 septembre 2004 du Conseil de s curit Encore ce rapport de plus de cent soixante pages se borne t il demander la saisine de la Cour p nale internationale cr e par la Convention de Rome en 1978 Comme les tats Unis refusent toute comp tence cette Cour cette proposition devient un moyen non de pr venir ou de r primer les massacres au Darfour mais d embarrasser les tats Unis devant le Conseil de s curit suivant un jeu diplomatique qui a d j connu d autres pisodes En d finitive ils ont d se rallier cette saisine Mais que penser de la strat gie qui consiste faire un proc s aux g no cidaires alors que la solution efficace serait l vidence de les emp cher de nuire ou de les arr ter aussi vite que possible par une intervention arm e On a le sentiment qu id alisme et cynisme se rejoignent dans une commune passion de l chec puisqu au fond les massacres ne semblent int resser personne mais seulement l utilisation m diatique et diplomatique qui peut en tre faite soit pour g ner un partenaire soit pour se d
22. on sens Deuxi me question quoi sert ce concept Sert il seulement d crire et comprendre une s rie de situations ou permet il de d ve lopper leur sujet des r ponses communes une strat gie d action permettant de rem dier la d faillance des Etats Dans le premier COMMENTAIRE N 112 HIVER 2005 2006 cas il s agit simplement d un concept analy tique il int resse universitaires et chercheurs dans le second c est un concept op rationnel il concerne aussi les politiques les organisa tions internationales les ONG le monde de la d fense tous ceux qui ont prendre posi tion et agir face de semblables situations Les remarques qui suivent s efforcent de pr ciser les termes et les options sans avoir la pr tention d apporter des r ponses compl tes et d finitives Une formule ou un concept Il faut d embl e pr ciser que lorsqu on parle d tat d faillant ce n est pas seulement ensemble des autorit s publiques ou en d autres termes l appareil d tat qui est en cause Conform ment la d finition interna tionale de l tat il s agit la fois des autori t s publiques gouvernement administration arm e et de la soci t civile Un tat c est la fois un espace d fini un groupe social donn et un pouvoir politique ind pendant qui assure et qui assure en principe seul la coh sion de l ensemble La d faillance concerne ces d
23. ondialistes sont le bras politique qui consid rent que m me dans des p riodes de paix les Etats sont inca pables de r pondre aux besoins universels de la soci t internationale par exemple en termes de r gulation conomique de d ve loppement d environnement de droits de Phomme et de droit humanitaire Il faut alors leur substituer une gouvernance mondiale ou global governance qui ne passe pas par des institutions mais par des r seaux spontan s des r gulations concert es entre experts groupes d int r ts militants bref par la primaut des soci t s civiles sur les institu tions publiques Les deux courants se rejoignent sur un th me simple l tat est trop grand pour le local et trop petit pour l international Il faut donc non pas le r former mais le d passer Une preuve en est que les tats sont incapa bles d assurer la reconstruction des tats d faillants qu ils peuvent s efforcer de limiter les cons quences de la d faillance fabriquer des proth ses mais qu ils ne peuvent pas r soudre leurs probl mes de fond Ainsi tous ces ph nom nes dispers s et intermittents seraient les signes annonciateurs d une crise finale de l tat appelant des changements radicaux Sans entrer ici dans une discussion de principe sur ces courants qui n est pas notre sujet il faut bien constater que le 11 septembre a port un coup tr s rude ce genre de th ories Il en est r sult
24. ph nom ne des enfants soldats le terrorisme voire la prolif ration des ADM ce qui pose un probl me de s curit internatio nale plus g n ral Mais c est l glisser du c t des r ponses la d faillance des tats Il s agit maintenant de se demander si la notion d tats d faillants peut tre op rationnelle si elle peut d bou cher sur des r ponses organis es sur une stra t gie de retour la normale et sur laquelle ou lesquelles Les r actions pr vention et pr emption De fa on g n rale les r flexions et les doc trines en la mati re s orientent dans deux voies compl mentaires la pr vention des d faillances les r actions en cas de d fail lance manifeste Ces voies sont aussi alterna tives c est dire que la seconde n a de sens que si la premi re n a pas t emprunt e ou ma men nulle part On y consacrera les remarques qui vont suivre remarques qui l encore comportent plus d interrogations que de solutions parce que si l on peut identifier SUR LES TATS D FAILLANTS les probl mes on ne sait pas pour autant les r soudre La pr vention Elle est apparemment la plus facile et la moins co teuse Elle est aussi lap proche haute puisqu elle vite toute violence et ne devrait exiger que des moyens limit s En r alit elle est la plus difficile mettre en uvre pour un ensemble de raisons de sorte qu elle rel ve encore aujourd
25. re organisations universelles et r gionales est affaire d oppor tunit Il faut raisonner en termes d avantage comparatif ou de valeur ajout e non en termes de hi rarchie institutionnelle Il faut enfin pouvoir mettre en uvre une gamme large et souple de moyens sur les plans diplomatique juridique militaire huma nitaire et politique Face des situations dont chacune est singuli re on ne peut disposer de r ponses rigides d un mode d emploi unique et automatique Cela ne signifie pas que lon ne doit pas avoir anticip les modes d action afin de mettre en uvre rapidement des moyens pr con us ou pr tablis C est ainsi que le rapport Brahimi 2000 consacr la r forme des op rations du maintien de la paix a justement sugg r que des formules juridiques soient pr vues afin de permettre l organisation des missions et une gestion provisoire rapide des espaces et populations concern es En d autres termes il convient de disposer d une s rie d options parmi lesquel les on choisit au moment opportun la combi naison la mieux adapt e SERGE SUR 899
26. u par la Charte des Nations unies en 1945 avec la r activation du Conseil de tutelle qui est Pun des organes principaux de PONU 6 Cette r activation permettrait en outre de compenser les retards dans la r forme du Conseil de s curit et de trouver une instance politico administrative internationale qui pourrait d finir un mode de gestion des crises et de reconstruction des Etats d faillants Mais cette id e se heurte beaucoup d ob jections notamment de la part des tats non align s Ils y voient une mani re de cr er implicitement une cat gorie g n rale d tats faibles plac s sous la surveillance et la domi nation des Etats puissants Le Conseil de s curit par les mesures de lutte contre le terrorisme et la prolif ration des armes de destruction massive qu il a impos es tous les tats notamment avec la r solution 1373 du 28 septembre 2001 ou 1540 du 28 avril 2004 les a d j plac s sous surveillance Il peut ainsi cr er de nouvelles cat gories d tats d faillants ceux qui ne veulent pas ou qui ne peuvent pas respecter ses injonctions prendre les mesures internes de police d administra tion de justice qu impliquent ces r solutions D o une certaine m fiance de la part des tats en d veloppement l gard d un inter ventionnisme pouss m me de celui des orga nisations internationales 6 Alain Dejammet Suppl ment au voyage en Onusie Fayard 003 Pr
27. ucune autre Certes s il y a un mod le unique d tat sur le plan juridique si tous sont souverains et gaux ils sont en r alit tr s divers et d autant plus divers qu ils sont plus nombreux Le xx si cle a en effet t caract ris par la multiplication du nombre des Etats par une v ritable prolif ration tatique Elle r sulte SUR LES TATS D FAILLANTS d abord et en g n ral de la d colonisation ensuite et plus sp cialement pour l Europe des fractures li es la disparition de l URSS et du camp socialiste Grosso modo le nombre des tats a t multipli par quatre depuis 1945 d une cinquantaine pr s de deux cents Au passage cela souligne que l tat comme forme d organisation politique et sociale n est nullement d pass mais tout au contraire qu il n a jamais eu autant de succ s La prolif ration des tats n est toutefois pas le seul ph nom ne int ressant de ce point de vue On a assist galement au xx si cle la disparition de certains tats et non des moin dres l Autriche Hongrie l URSS la Yougo slavie la Tch coslovaquie notamment sans parler d tats l existence intermittente les pays baltes par exemple ou des tribulations tatiques de l Allemagne En principe un Etat est form pour l ternit du moins il se con oit comme ternel En r alit il peut dispara tre La disparition de l tat est la fois sa d f
28. ur si cle Plon 1889 p 227 228 892 cette conception s oppose une vision plus r aliste ou empirique qui constate qu il y a des situations historiques des d faillances historiques de certains tats mais que la solu tion passe toujours non par le d passement mais par la reconstruction de l tat que l tat demeure une forme d organisation politique insurpassable qu il est en quelque sorte l ho rizon ind passable de la soci t internatio nale Sur cette base on peut alors distinguer plusieurs formes ou tapes des d faillances tatiques on peut tenter de rendre compte de la diversit des situations historiques par une typologie empirique des d faillances Conception maximaliste Dans la conception maximaliste l tat est structurellement d faillant Cette th se renvoie plusieurs courants de pens e qui exercent en France une grande influence Tradition nellement cela a par exemple t la position des courants f d ralistes qui constatent que la coexistence des tats souverains conduit n cessairement la pr dation et la guerre l exemple du partage de la Pologne est cet gard instructif D o la recherche de nouvel les formes d organisation dont l Union euro p enne est la fois le produit et l anticipa tion Jean Monnet par exemple en a t un ardent et efficace artisan Plus r cemment ce sont les courants trans nationalistes dont les alterm
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