Écrire, c`est former et transformer sa pensée
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1. fi d fi qui devrait tre plus stimulant que d courageant Ce livre fournit nombre d l ments pour le relever Jean Pierre ASTOLFI ma tre de conf rence l universit de Rouen en sciences de l ducation auteur de nombreux ouvrages dont ducation et formation nouvelles questions nouveaux m tiers Paris ESF collection P dagogie Recherches 20032. ne remonte en fait qu au xvr si cle le premier v ritable trait de ponctuation tant l uvre d tienne Dolet en 1540 On notera d ailleurs que cet ouvrage n tait pas des tin aux crivains mais aux imprimeurs Ce qui a fait dire au linguiste suisse Alain Berrendonner que la phrase n est pas une unit de linguiste mais de ty pographe 12 crire et r crire dans toutes les disciplines De nombreux r cits anciens y compris la Bible usent et abusent de connec teurs logiques assez polys miques alors mais et puis qui tiennent lieu de ponctuation On comparera ainsi la structure des textes d l ves et celles des chroniques anciennes comme le montrent ces deux exemples Alors c est un peintre qui dessine des dessins et que ces dessins deviennent r a lit un jour il dessine des animaux et il les attache et ces derniers deviennent r alit et il alla dans un ch teau et pi y avait des gardes tout autour et il rentrait et les gardes le prit et voulut lui br ler les yeux et lui couper les mains et la t te mais avant il fallait qu il finisse un dessin alors il alla vers la mer dessiner l oc an avec un bateau et la mer recommen a monter alors il se mit dans le bateau et il vut un homme dans le bateau et il partit Un rapprochement s impose avec ce texte Robert de Clari relatant dans La conqu te de Constantinople l assassinat de l empereur Alexis Comn ne par l usurpateur Murzuphle Adont ala Morcho
3. ECRIRE C EST FORMER 7 ET TRANSFORMER SA PENS E Non on ne peut pas apprendre sans crire Mais il faut s entendre sur ce qu on appelle crire Car l criture est trop souvent envisag e comme la simple transcription sur le papier de ce qu on avait d j dans la t te Or elle n est pas une simple gravure de l oral dont il faudrait seulement soigner la r alisation pour mettre le texte dans une bonne forme en respectant des codes r dac tionnels normatifs L criture n est pas le reflet d une pens e d j pr te Si elle suppose effectivement une certaine mise en forme il s agit d abord de celle de l esprit Autrement dit elle rel ve bien plus de l aventure intellectuelle que de la police de la page et des bonnes mani res On n en ressort jamais indemne au bon sens du mot car elle est un transformateur cognitif de premier ordre comme aime dire crire lisabeth Bautier 1 Car l criture rel ve d une diversit de fonctions souvent simultan es et en chev tr es Son r le n est pas seulement de conserver des traces ou de faciliter la communication avec autrui car elle op re d abord sur le scripteur lui m me Elle manifeste quelque chose qui n est pas d j virtuellement l elle s labore et m me se perlabore au cours du processus Il m arrive souvent d tre surpris par ce qui advient sur la feuille ou sur l cran Certes c est bien la cons quence directe de ma scription mot
4. L cole a fait advenir la connaissance comme un lieu s par de la vie sociale d terminant au passage l invention de l enfance D s lors la culture s est autonomis e et objectiv e avec une promotion nouvelle de l crit La stabilisation institutionnelle de l cole et sa stabilisation scripturale ne sont donc en fait qu une seule et m me chose Car l cole n est plus un lieu de pra tiques mais de th ories des pratiques celles ci passant par des grammaires dis ciplinaires avec leur langue propre On mesure la contrainte mais o est donc le b n fice Il r side sans doute dans le fait soulign par Bernard Lahire que l criture scolaire permet de mettre la langue face soi de la prendre comme un objet d tude ext rioris pour s en distancier gr ce une r flexivit de la pens ef La langue l cole n est pas d abord communicationnelle ni utilitariste m me si ce sont l des retom b es non n gligeables La mise en mots produite par chaque discipline sco laire est la condition pour rendre possible une appr hension et une conceptua lisation nouvelles et cela en r ception lecture comme en production criture Un travail men l INRP a ainsi permis d analyser les r ponses un banal exercice d valuation de d but de sixi me o les l ves sont invit s com menter un sch ma des tapes de la vie du cerisier Ces commentaires t moi gnent d une assez grande diversit dan
5. e ne tient plus d s lors que c est sur le papier d clenchant une autre organisation textuelle prouvent ils certains jours l cole au del des difficult s co teuses d une r daction la joie d une criture le plaisir d un texte produit Il faudrait arr ter de parler de brouillons pour nommer les textes premiers qui la v rit ne constituent qu un mat riau de base qui vivra ensuite sa vie Car brouillon renvoie erreur imperfection au c t t cheron d une criture mal adroite et besogneuse Les crivains eux feraient tout autre chose qui peut certes tre salu e comme une performance admir e de loin mais tellement distante qu elle est plus dissuasive que mobilisatrice M me le travail par ailleurs utile sur les manuscrits ratur s d crivains peut produire un tel effet Eux passent leur vie en jouant avec les mots quand les l ves n crivent souvent qu en rapport avec le monde quotidien Ils n entrent gu re dans le monde du texte dont parle Paul Ric ur Souvent m me ils le rejettent la fa on de ces l ves de lyc e professionnel qui Claude Leclerc avait fait travailler Adolphe une uvre de Benjamin Constant Marina Les textes l cole il n y a rien derri re Prof Tu peux pr ciser Marina a veut dire a veut dire qu on doit travailler dessus Karine C est a qu est chiant pas les textes Sandrine C est impos Sophie On
6. es L est sans doute la raison la plus fondamentale du fait que le travail sur l criture n est pas l apanage exclusif des sp cialistes de langue L exercice sur le cerisier a t pos dans le contexte des objectifs de ma trise de la langue et ceux qui l ont mis au point n ont probablement pas vu pas pu imaginer partir de cette perspective cette h t rog n it d interpr tations Cela montre aux enseignants des autres disciplines que le travail sur la langue n est pas un pr alable ni une charge suppl mentaire par rapport leurs objectifs propres puisqu il est au contraire la condition m me d un traitement didactique efficace de leurs conte nus sp cifiques travers ces exemples nous esp rons faire saisir pourquoi l analyse des dif ficult s d criture des l ves en termes d insuffisances ou de lacunes est beau coup trop courte et finalement st rile Elle s accroche l id e de pr requis in satisfaits sans autre r sultat qu une d mobilisation des l ves lass s par la r p tition d exercices de base C est bien le projet de cet ouvrage que d ouvrir d autres pistes pour donner corps un apprentissage continu de l crit La ri chesse et la vari t des activit s p dagogiques propos es devraient permettre de mieux saisir o r sident les difficult s objectives de la t che d apprentissage en les envisageant comme in vitables et finalement normales On peut parler de d
7. fles ne s evlia mie si prist serjans avec lui si s en entra per nuit en le cambre o ses sires li empereres qui le geta de prison se dormoit si li fist lachier une corde u col si le fisi estranler et sen pere Kyrsaac aussi Quand il eut chou fait si vint ariere a chiaus qui le devoient faire empereur si leur dist et chil al rent si le coronerent et s en fisent empereur Cette analogie de structure rappelle ce que la didactique des sciences a point de son c t savoir une certaine correspondance entre les repr sentations scolaires des concepts scientifiques et les explications de l histoire des sciences Ainsi la conception des forces chez les l ves voque t elle fortement l an cienne th orie de l impetus qui avait cours chez les physiciens jusqu Newton mais qui a perdur bien au del et dont usaient les militaires pour leurs calculs balistiques Ce n est videmment pas que les savants d hier taient de grands en fants La convergence entre les obstacles historiques et didactiques souligne seu lement que dans tous les cas la conqu te intellectuelle des concepts n a pas t une promenade de sant Aujourd hui encore tout travail d criture met aux prises les acteurs avec les m mes transformations n cessaires de l oral Avant de dire que le scripteur est d faillant il faut prendre la mesure du lourd travail co gnitif qu impose l acte d crire tous ceux qui l affrontent Si la structuratio
8. n a pas le choix Marina Y a tout de suite un froid dans la classe L Sophie Les textes qu on lit l cole euh j les lirais pas chez moi Sandrine Moi aussi moi non plus Val rie Je n relis jamais les textes de l cole M me les v tres s adressant au pro fesseur Pareil avec l Adolphe euh Je l ai mal pris cause de a Sophie Moi aussi rires et brouhaha C line C est peut tre dommage cause de l histoire 2 Claude Leclerc L incertitude textuelle entre r solution scolaire et constance populaire Rouen PUR 2003 crire c est former et transformer sa pens e 11 Nad ge J aime pas Adolphe Sandrine Le personnage Prof Oui j aime pas Ell onore est perdante sur toute la ligne approbation du groupe Sandrine Les phrases non plus C est trop bien dit Nad ge C est trop loin Val rie Sophie C est snob voil rires Euh y parlent pas comme dans la vie Sophie J les plains toujours chercher les mots C line Oh oui le dictionnaire rires Sabine Et nous r voil avec les mots rires Delphine Nad ge Adolphe a toujours son dictionnaire avec lui rires Faut il r p ter qu il n y a pas d criture sans r criture Elle n est pas un po lissage second du texte pour en gommer les asp rit s et en vacuer les scories sur un mode correctif C est l essence m me d un authentique travail textuel Il ne fa
9. n en phrases et la pratique de la ponctuation se sont aujourd hui impos es et pa raissent m me naturalis es elles sont le fruit d une conqu te culturelle qui n tait pas crite Et les m mes obstacles rejouent chaque nouvelle tentative scripturale 3 Marc Campana Une grammaire pour mieux crire Cr teil CRDP de l acad mie de Cr teil 2002 4 Traduction Alors Murzuphle s en alla il ne s oublia pas alors il prit des sergents avec lui alors il entra de nuit dans la chambre o son seigneur l empereur qui l avait tir de prison se dormait alors il lui fit lacer une corde au cou alors il le fit trangler et son p re Isaac aussi Quand il eut fait cela alors il revint vers ceux qui devaient le faire empereur alors il le leur dit il leur raconta l affaire et tous s en all rent alors ils le couron n rent empereur crire c est former et transformer sa pens e 13 Apprendre crire est l enjeu m me de l cole que l on peut nommer avec Jack Goody la raison graphique En effet la naissance de l cole sous la forme que nous lui connaissons remonte la seconde moiti du xvi si cle Jusque l l ac c s la connaissance tait incorpor l exp rience quotidienne et aux pra tiques sociales sur le mode de l imitation et du compagnonnage Ils appre naient davantage par corps que par c ur Le savoir tait ce que l on est et non ce que l on a
10. rice ou de ma saisie informatique et de rien d autre mais je ressens que quelque chose me d passe a crit comme dit si bien Italo Calvino dans Si par une nuit d hiver un voyageur une trouvaille qui me surprend un encha nement venu je ne sais d o un rebondissement qui s im pose moi C est bien le r sultat de mes actions mais c est en m me temps comme si les mots avaient le pouvoir d op rer par eux m mes en produisant leurs effets propres Il me semble que l informatique renforce ce genre de sen 1 Cf Ressources p 183 10 crire et r crire dans toutes les disciplines sation Je commence crire une phrase et puis en d pla ant un bloc en re tournant une formule s impose moi la n cessit de les combiner autrement Un terme en appelle un autre qui n tait pas l un cho entre deux mots m ins pire un d veloppement non programm Je coupe une phrase parce qu elle est trop longue et chacun des deux segments impose son propre remodelage Comme l crivait Vygotski voil soixante dix ans le langage modifie la pen s e qui ne s exprime pas mais se r alise dans le mot quel moment les l ves font ils ce genre de d couverte au fil des exercices scolaires Quelle exp rience vivent ils de l intime satisfaction procur e par le jeu des mots et des tournures Leur arrive t il de rencontrer ce fait trange qu une id e ou un argument qui semblait coh rent dans leur t t
11. s leur approche implicite du texte Cer tains renvoient un mode d emploi pour obtenir des cerises d autres une relation du travail du jardinier au fil des saisons d autres encore l expos d un processus biologique etc Ils rel vent soit du narratif soit de l injonctif soit encore de l explicatif et m me de l argumentatif si l on se met voquer les m canismes reproducteurs Le m me arbre fruitier peut tre envisag comme un individu v g tal qui na t vit et meurt le mot cerisier prend alors une minus cule il peut aussi l tre en tant qu esp ce le Cerisier avec une majuscule au quel cas l id e de cycle transcende l individu et peut expliquer la continuit des g n rations Il est clair que toutes ces probl matiques ne sont pas quivalentes en termes d entr e dans les concepts de la biologie que le type d criture en d pend et que les mots correspondants diff rent sensiblement 5 Guy Vincent dir L ducation prisonni re de la forme scolaire Lyon PUL 1994 6 Bernard Lahire L homme pluriel Paris Nathan 1998 7 lisabeth Bautier Danielle Manesse Brigitte Peterfalvi et Anne V rin Le cycle de vie du cerisier une narration scientifique in Rep res n 21 Paris INRP 2001 14 crire et r crire dans toutes les disciplines Les mots des disciplines sont donc bien plus que des mots puisqu ils sont la condition pour entrer dans des formes conceptuelles diff rent
12. ut d s lors pas s tonner que ce soit difficile Mais cette difficult n est pas le signe d insuffisances ou de lacunes chez des apprentis maladroits On la ren contre tout autant dans l histoire de l criture que dans les pratiques de l cole Pense t on assez au d calage temporel consid rable qui s pare l apparition du langage oral consubstantiel l mergence d Homo sapiens de celle beaucoup plus r cente de l crit R alise t on que l criture reste un ph nom ne assez ex ceptionnel au regard de la diversit des langues orales Prend on la mesure de l cart entre la relative facilit de l apprentissage familial de l oral et le lourd in vestissement scolaire n cessaire la ma trise de l crit Ce sont l des indices forts du fait que l acc s l criture est toujours com plexe co teux et al atoire Longtemps d ailleurs on a crit sous une forme restant proche de l oral Marc Campana rappelle que l Antiquit et le Moyen ge pratiquaient la scriptio continua sans ponctuations ni phrases La lecture si lencieuse tait impossible dans un tel contexte l absence d intervalles et de ponctuation rendant indispensable la m diation d un lecteur C est ainsi qu Rome le grammaticus devait pr parer sa lecture publique des textes l aide de surcharges et de signes sp ciaux dont la fonction tait beaucoup plus rh torique que logique Le d veloppement d une grammaire de la lisibilit
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