Le travail en maison de retraite : du contrôle des
Contents
1. vocation Fille d un policier et d une secr taire de direction qui lui ont toujours dit qu il n y avait pas de sots m tiers petite fille d une grand m re particuli rement pr sente et bienveillante Chantal est femme de service la maison de retraite Elle a pour habitude d invectiver aussi bien les r sidents que ses coll gues mais toujours avec le sourire cr ant autour d elle un espace de bonne humeur et d nergie Ne tra nant pas des pieds pour travailler au sens propre comme au sens figur elle clame haut et fort le plaisir que lui procure son travail Moi c est ici que je me ressource que je me sors un peu de tout ce qui passe la maison dira t elle un jour une coll gue Ce discours est assez atypique du moins quand on le rapporte la population subalterne de la maison de retraite par opposition aux agents d encadrement et de gestion administrative Elle passe parfois le week end pour dire bonjour Entr e dans l tablissement en d but d ann e 2002 elle est bien la seule qui affiche un sourire radieux l id e d y travailler jusqu la retraite ici ou dans un autre tablissement mais en tout cas toujours aupr s des personnes g es Son t moignage est donc primordial car il souligne la fois la sp cificit et la raret des conditions de f licit dans le travail de manipulation d individus vieillissants parfois malades Elle conjugue le plaisir de fair2. Cette nature est au contraire au c ur de l activit des employ es dont la t che place au plus pr s des corps toilette d s habillage aide l alimentation etc En contact tactile olfactif visuel et auditif avec l intimit des corps vieillissants les auxiliaires de vie et les aides soignantes les moins tablies dans la maison ne b n ficient pas de la m diation et du prestige d un objet m dical ni m me d une manipulation corporelle codifi e Cela dit dans la logique m me de la maison de retraite qui se doit de produire l image d un collectif solidaire Face face Regards sur la sant n 9 2006 et coh rent et de d nier le caract re souillant d une partie du travail les in galit s en mati re de possibilit de refoulement sont elles m mes refoul es par le personnel qualifi La directrice n en parle pas insistant plut t sur les qualit s morales attendues de la part de l ensemble du personnel gentillesse disponibilit attention etc Dans ces conditions il incombe directement au petit personnel de se construire une forme de respectabilit pour tre autre chose qu un regroupement de torcheuses de cul comme il se dit parfois ironiquement parmi le personnel En effet du point de vue lointain et abstrait de la direction et plus lointain encore des th oriciens de la g rontologie le dialogue motionnel est pr sent comme d cisif les personnes g es ont besoin
3. investissement dans les attitudes les plus bourgeoises et les moins tol rantes vis vis des manifestations physiques et mentales de la d pendance des plus d grad s Par exemple une r sidente du Vieux ch ne a rassembl autour d elles des ann es durant un cercle de r sidentes bien dans leur t te et ayant de la culture exigeant du personnel d avoir leur table sp cifique dans la salle manger afin d viter tout contact avec des personnes qui font du bruit en mangeant qui sont toujours couverts de miettes de pain qui ne peuvent suivre une conversation etc Ces repositionnements prennent parfois la forme d un rappel l ordre Taisez vous vieille folle dira un jour une magistrate la retraite irrit e par le soliloque interminable de sa voisine de canap Cela dit ce genre d avertissement est d j par lui m me un d but de perte de contr le motionnel de la part de celle qui le donne En v rit les r sidentes qui pensent ainsi mais qui savent se tenir refuseront l altercation primaire et opteront pour une confidence par exemple aupr s de l enqu teur Vous savez il y a ici des gens qui n ont plus toute leur t te les malheureux La production raisonn e de bonnes motions Bourdieu d finit le sens du jeu dans un univers donn comme la capacit socialement acquise jouer le bon coup au bon moment Analyser la distribution de ce sens Fa
4. d tre rassur es Le report sur une sorte de cela va de soi est donc source de malentendus entre la direction et le petit personnel Ce qui se joue ce niveau est le produit d une opposition entre individus adeptes de th ories g rontologiques et d id al d humanit et individus d origine plus populaire moins r ceptifs aux discours abstraits et de surcro t plus aux prises avec les d mentis pratiques apport s quotidiennement cette vision enchant e par la manipulation des corps ab m s et r calcitrants Les auxiliaires de vie n ont donc gu re d autre choix que d osciller entre une distance qui peut donner l impression qu elles manquent de compassion et de bienveillance et un engagement qui expose alors au jugement d amateurisme tout cela aux yeux des coll gues mais aussi leurs propres yeux a fortiori quand elles ont suivi des formations qui professent la recherche de cet quilibre A l inverse des infirmi res et dans une moindre mesure des aides soignantes elles ne peuvent pas vraiment b n ficier d un repli sur la mat rialit de leurs t ches le m nage notamment tant celles ci sont situ es bas dans la hi rarchie de l accompagnement selon une polarit qui va de l entretien la r paration des crises biographiques que traversent les individus reclus en maison de retraite Pour certains r sidents s exprimer autrement que rationnellement demeure un moyen efficace et pas seul
5. du champ des gagas M me si certaines personnes ont videmment encore la voix bien assur e et le propos intelligible il y a tout un inqui tant continuum vers la d gradation progressive qui m ne au timbre chevrotant et au discours d cousu Et surtout seule une validation ext rieure garantit le maintien symbolique du c t des gens sains car la Comme le rappelle Weber ce n est pas la doctrine thique d une religion mais le comportement thique qu elle r compense par des primes en accordant des biens de salut d termin s qui constitue au sens sociologique du terme son ethos sp cifique Weber 2000 340 Face face Regards sur la sant n 9 2006 situation de d tresse dans laquelle plongent l entr e en institution et la disparition des rep res familiers r clame pr cis ment que le personnel rassure les r sidents Ainsi qu il s agisse d exprimer une plainte ou un d sir de manifester son chagrin ou encore de chercher nouer des contacts avec le personnel par exemple en changeant des informations sur sa famille respective le contr le de soi agit comme un proc d de distinction un signal adress soi m me et autrui L expression mal contr l e des motions Le contr le des motions ob it certaines r gles et les ressources n cessaires pour les respecter sont in galement distribu es en amont par l appartenance sociale et plus pr cis ment par le
6. du gardiennage des corps en portant le travail relationnel a priori non qualifi plus haut dans la hi rarchie des t ches d accompagnement Elle occupe une place anormalement lev e sur l axe opposant le p le de la r paration celui de l entretien qui a cours dans l ensemble du secteur de la sant et plus largement pour l ensemble des m tiers visant l accompagnement des crises biographiques Les ingr dients sociaux que sont la croyance et la proximit avec les individus tant habituellement s par s dans l institution tudi e il est logique que l ordre des choses soit un peu boulevers partir du moment o ils se trouvent exceptionnellement r unis en un individu Par exemple elle a d cid d elle m me d aider les kin sith rapeutes dans leurs s ances de r ducation la marche or la kin sith rapie est la pratique la plus r paratrice parmi celles propos es en maison de retraite Chantal a t licenci e en d cembre 2004 Au del du conflit personnel avec une autre employ e qui a servi de d tonateur comment expliquer le d part d une des rares personnes cherchant faire plus que son travail C tait la seule personne dont les relations avec le personnel comme avec les r sidents n ob issait pas la division commune entre bons et mauvais vieux opposition d ailleurs organis e de fa on territoriale dans la maison de retraite que Chantal tait l une des rare
7. es par des affinit s socialement d termin es En effet certains r sidents offrent plus d int r t que d autres pour converser C est ainsi que le personnel de direction pr f re cr er un lien quasi amical avec les r sidents les plus dignes ceux qui n ont pas les stigmates du grabataire manque de retenue dans l usage du toucher propos incoh rents etc Inversement les membres du personnel subalterne plus populaire tendent fuir ces changes mondains se trouvant au bout du compte plus l aise avec les grabataires qu elles peuvent materner sans avoir subir des relations sous tendues par une domination culturelle qui se manifeste dans le langage et les sujets de conversation Contre l interpr tation des observations et des entretiens qui peut d boucher sur l id e d une petite possibilit d un surgissement de l irrationnel on peut recourir Weber et la notion de prime Malgr l apparence de rel chement dans le contr le des motions et au del de l accent de sinc rit du personnel impossible ici remettre en cause force est de constater le maintien de la rationalit des pratiques ou plus exactement le maintien des pratiques dans un syst me rationnel Si la manifestation des motions reste choisie occasionnelle et mesur e bref si le professionnalisme n est pas souill par une sensiblerie d amateur alors le salari reste un bon professionnel qui montre simpleme
8. n 9 2006 pour d crire le fonctionnement d un espace comme celui d une maison de retraite aussi bien du c t des r sidents que de celui des salari es Bien pr senter la retenue comme strat gie de distinction La maison de retraite est un univers d riv des postes subalternes de l h pital et de la logique domestique Il est donc travers par une double d pr ciation en tant qu institution d l gataire du sale boulot de l h pital entretenir et nettoyer les corps plut t que de les r parer et du sale boulot de la famille h berger les membres du groupe familial devenus trop encombrants et ou trop d pourvus en ressources pour participer aux changes mat riels symboliques et affectifs du groupe Dans ces conditions afficher son professionnalisme est une t che qui ne peut pas seulement reposer sur l histoire d une profession ni m me sur des qualifications reconnues et standardis es L une des ressources symboliques dont disposent les salari es revient donc entrer dans le r le pour parler comme Goffman mettre en avant la dimension technique du travail r aliser Dans le discours courant des salari es comme dans les manuels et dans les formations g riatriques l id e que s occuper des personnes g es a ne s improvise pas revient sans cesse Plus pr cis ment ce discours est d autant plus mis en avant que la situation d enqu te est officielle En effe
9. pr sentation de l institution peut tre mise sur pied l intention de tous les visiteurs pour leur donner une image appropri e de l tablissement image con ue pour apaiser la crainte vague qu ils prouvent malgr eux l gard des tablissements de tutelle Les visiteurs ne voient naturellement que les reclus les plus avenants et les plus coop ratifs ainsi que les parties les plus attrayantes de l tablissement Goffman 1968 153 Bibliographie Bonvin F Une seconde famille Un coll ge d enseignement priv Actes de la recherche en sciences sociales n 30 1979 47 64 Bourdieu P Un acte d sint ress est il possible dans Raisons pratiques Sur la th orie de l action Paris Seuil coll Points essais 1994 Elias N La dynamique de l occident Paris Calmann L vy Coll Pocket 1975 Goffman E Asiles Etudes sur la condition sociale des malades mentaux Paris Minuit 1968 Mallon I Vivre en maison de retraite Le dernier chez soi Rennes PUR 2004 Thomas H Scodellaro C Dupr L v que D Perceptions et r actions des personnes g es aux comportements maltraitants une enqu te qualitative Drees Etudes et r sultats n 370 2005 Weber M Les sectes protestantes et l esprit du capitalisme 2 dition 1920 dans L thique protestante et l esprit du capitalisme Paris Flammarion coll Champs 2000 12
10. 6 auxiliaires de vie charg es du m nage de la distribution des repas etc les aides soignantes occupant sur cet axe une position interm diaire Du c t des r sidents sans m me chercher forcer le trait l h bergement des personnes g es d pendantes en institution si confortable soit elle constitue un recul selon ce qui fait la norme sociale en mati re de vie quotidienne avoir les cl s de chez soi d cider de laisser entrer ou non les trangers manger l heure qui nous arrange sortir etc De plus le placement en institution correspond une cohabitation forc e avec des personnes g es non conformes l image du senior encore dynamique joyeux et avide de consommation La notion de civilisation des m urs emprunt e Elias permet d interpr ter sociologiquement la configuration impos e ceux qui vivent en maison de retraite Les r sidents sans alt ration mentale se trouvent reclus dans une sorte d ancienne civilisation qu on mette simplement en parall le les exemples d Elias sur la pudeur et le sentiment de g ne Elias 1975 263 273 et l impudeur de certains r sidents mais avec un habitus adapt la civilisation du monde ext rieur Ce d calage met alors leur disposition une ressource pour retrouver une dignit La distinction vis vis de leurs compagnons les plus d grad s est assur e par le contr le ostentatoire des affects Celui ci prend parfois la forme d un sur
11. Face face Regards sur la sant n 9 2006 Taisez vous vieille folle L auto contr le des motions en maison de retraite Publi dans Face face Regards sur la sant n 9 2006 en ligne http www ssd u bordeaux2 fr faf derniere_ed articles rimbert htm G rard Rimbert Doctorant de EHESS Centre de Sociologie Europ enne ATER l Universit de Limoges R sum L entr e en maison de retraite le passage d un chez soi intime un univers collectif de fin de vie signe le plus souvent une forme de d ch ance en tout cas de rupture dans la trajectoire biographique Les enjeux sociaux et motionnels traversent la fois la vie hors de chez soi des vieilles personnes et la vie des professionnelles dans un univers de travail qui pr sente les caract ristiques en partie du moins de l univers domestique et des r gions d valoris es de l univers hospitalier Les repr sentations n gatives de la vieillesse qui reposent notamment sur un processus d homog n isation par le bas et d effacement des diff rences marquent la fois les attitudes des personnes g es elles m mes qui se les approprient ou cherchent s en distinguer mais aussi les attitudes des professionnelles dont le travail aupr s des vieux peut contaminer la valeur sociale Mots cl Maisons de retraite Personnes g es Emotions Auto contr le Distinction kkk Les motions dans une instituti
12. aintenir un degr mod r d affects dans l ensemble des pratiques et interactions Pour se distinguer des mauvais exemples de la vieillesse d j voqu s savoir les personnes g es non conformes l image du senior il ne s agit pas de refuser les motions mais de les canaliser D peintes n gativement par les r sidentes les plus snob comme tant vulgaires notamment quand certaines r sidentes ont perdu leur inhibition dans le domaine du toucher comme n ayant plus toute leur t te ces vieilles folles offrent une sorte d identit repoussoir Localement celle ci efface d ailleurs l identit sociale plus statutaire li e notamment aux origines sociales et la profession constituant une sorte de rattrapage biologique du statut social Pour que ce ph nom ne se r alise la distinction entre gagas et gens normaux ne doit pas tre trop sommaire trop abstraite C est dans l expression m me des motions donc un niveau plus fin que peut et doit s op rer la diff renciation Cela dit il faut une sorte de m diateur pour authentifier ces diff rences Si on prend l exemple de la plainte qu il s agisse de douleurs de solitude ou d angoisse Thomas Scodellaro Dupr L v que 2005 c est autant la mani re d exprimer celle ci que la mani re dont elle sera re ue par une employ e qui actualisera dans l interaction le classement rassurant hors
13. ce face Regards sur la sant n 9 2006 du jeu au sein du personnel et des r sidents est le compl ment indispensable qui permet de ne pas verser dans une description caricaturale de ceux qui pr sentent bien Avoir le sens du jeu c est savoir aussi ne pas devenir aux yeux de tous un monstre froid c est savoir faire un usage contr l de ses affects Si la preuve du professionnalisme passe notamment par une certaine distance vis vis de la dimension motionnelle du travail l auto contr le n exclut pas totalement certaines manifestations des affects Ce qui compte pr cis ment c est que le rel chement reste contr l Ainsi le sourire plus franc que ce qu exige les r gles habituelles de la politesse dans les relations de service la construction d un change verbal r gulier avec tel ou tel r sident l coute patiente des souvenirs de famille inintelligibles etc tout cela peut en quelque sorte tre offert par dessus le march C est dire comme quelque chose qu on sait ne pas faire partie de la d finition centrale de son travail officiel et qu on accomplit alors tout en restant suffisamment distant pour bien montrer que c est dans le cadre du travail qu on agit ainsi La manifestation des motions doit rester accessoire au travail Mais bien que les amiti s qui peuvent na tre entre personnels et r sidents ne fonctionnent en fait que dans le cadre du travail elles sont orient
14. e ce travail avec une connaissance pratique et non euph mis e du sort r serv aux r sidents Cette satisfaction personnelle se conjugue selon elle avec la reconnaissance dont familles et r sidents font preuve son gard On lui propose des cadeaux qu elle refuse la plupart du temps estimant qu elle ne fait l que son travail Ce faisant en soulignant son d sint ressement elle s attire encore plus de g n reux donateurs Ces changes de dons sont d ni s en tant que simple conomie non mon taire Ils sont plut t v cus sur un mode motionnel chappant la logique de cette prime par dessus le Le terme renvoie ici la th orie de Bourdieu selon lequel il peut y avoir des habitus d sint ress s et le rapport habitus champ est tel que sur le mode de la spontan it ou de la passion sur le mode du c est plus fort que moi on accomplit des actes d sint ress s Bourdieu 1994 163 Autrement dit le d sint ressement ne d signe pas ici l indiff rence mais plut t l absence de strat gie consciente 10 Face face Regards sur la sant n 9 2006 march r serv e aux employ es d tentrices d un vrai travail composante technique mais chappant aussi au retrait vers le maternage sans grande conviction du petit personnel charg des basses uvres Bien qu elle ne soit que femme de service Chantal est en fait parvenue cumuler le principe de la prime et
15. ement parce qu il devient le seul pour r sister toutes les situations o le dispositif d aide est per u comme une agression notamment au moment de la toilette Les personnes g es les plus d grad es manquent terriblement de finesse au sens des manuels de civilit qui circulent l tat implicite dans tous les univers sociaux ou presque y compris en maison de retraite Mais ce manque de finesse est aussi le signe d un maintien de la socialisation ant rieure qui a pu notamment inculquer l attachement son intimit Autrement dit le fait de passer pour un vieux fou est parfois autant le signe d une certaine d ch ance c r brale que le maintien d un habitus assez classique mais rigide inadaptable Face face Regards sur la sant n 9 2006 devenant trop rebelle pour une institution d h bergement Car au bout du compte quoi de plus normal que de refuser qu un tranger vous d v tisse et vous lave Il est frappant de remarquer que le contr le des affects n est pas une simple affaire d absence de gesticulation et de voix mod r e et intelligible En effet un mutisme forcen ou une indiff rence du regard face aux v nements de la vie quotidienne ont pour r sultat quasi syst matique la mise en place d un cercle vicieux le r sident s enferme dans sa bulle et les efforts du personnel pour l en faire sortir vont en d croissant De m me et ce sont parfois les m mes
16. et salari s sont volontairement m lang s dans l analyse qui suit afin de rompre avec cette division officielle selon le statut diff rence s appuyant galement sur la diff rence d ge D autres divisions existent comme celles fond es sur le degr de contr le de soi qui concernent tout autant le personnel que les r sidents Dans l tablissement tudi ce continuum la Norbert Elias est d autant plus pertinent qu il prend la forme d une division binaire en raison de l architecture et de l organisation du travail au rez de chauss e se trouvent les vieux les plus pr sentables avec le personnel qualifi et ses mani res convenables aux tages se trouvent les r sidents les plus d grad s physiquement et ou mentalement avec le personnel peu ou pas qualifi aux origines populaires marqu es Le contr le des motions Dans sa th orie du proc s de civilisation parue en 1939 Norbert Elias donne une grande place une sociologie de l auto contr le des affects Selon l auteur cette probl matique permet la fois d expliquer les transformations de l Etat monopole de la violence physique et du pouvoir fiscal et des individus la tendance passant de la violence la ma trise des tensions Concept g om trie variable offrant des perspectives aussi bien sociog n tiques que psychog n tiques la notion de contr le des motions peut tre employ e Face face Regards sur la sant
17. nt sa facette humaniste Ces primes l ont certainement plus de valeur m me si elles ne sont pas officielles que celles vers es sous forme mon taire dans le cadre salarial La doctrine officielle en mati re salariale ne fait pas forc ment le tour du syst me des r tributions Face face Regards sur la sant n 9 2006 symboliques Comment ces primes symboliques sont elles vers es Il s agit de la valeur sociale que prennent les diff rentes salari es par le regard crois direct ou indirect des r sidents des familles des coll gues et de la direction Cette valeur sociale a un versant mat riel reconduction de CDD par exemple mais aussi symbolique notamment la reconnaissance des familles qui sont tour d ailleurs peut d boucher sur des avantages mat riels notamment au moment des trennes Ce sont bien des primes psychologiques comme Weber les d finit puisqu elles sont attribu es individuellement mais les conditions de leur r ception ne sont pas le simple reflet d un caract re Quant aux r sidents l aussi l opposition entre pratiques civilis es rationnelles et motions animales irrationnelles ne r siste pas l analyse Comme pour les salari s le contr le des affects ne signifie pas leur absence Pr cis ment la r ussite dans la constitution d un nouveau chez soi et dans l adoption par une seconde famille se mesure par la possibilit de m
18. on d h bergement pour personnes g es constituent la fois un support pour la communication et une source d informations L enjeu est ici d envisager les deux perspectives conjointement pour faire appara tre une seule et m me tension entre contr le et expression des motions La manifestation des motions dans le cadre d une maison de retraite pr sente en effet une ambivalence comme mode de relation professionnel profane et comme mode de connaissance de l tat psychique des r sidents 1 Bien que l tablissement soit priv but lucratif il pr sente la sp cificit de pr tendre accueillir durablement et confortablement une population fragile cens e id alement pouvoir faire de ce lieu son dernier chez soi Mallon 2004 et d y trouver une seconde famille Bonvin 1979 En cela la fa on dont s tablissent les relations avec les personnes g es est r v latrice d une partition au sein du personnel selon que les relations s appuyant sur les Ce propos s appuie empiriquement sur une enqu te de terrain men e de novembre 2001 d cembre 2004 Le parti fut pris de concentrer l observation sur un seul tablissement le Vieux ch ne une maison de retraite priv e de la R gion Parisienne proposant environ 80 lits Le personnel 48 personnes la plupart du temps exclusivement f minin est majoritairement moins qualifi que le niveau aide soignant Face face Rega
19. r sidents qui sont concern s des acc s de col re pas toujours tr s explicables produisent le m me ph nom ne repoussoir A partir du moment o l oscillation entre calme et dynamisme n ob it pas une logique de biens ance mais constitue une forme de r sistance la sociabilit avec le personnel les autres r sidents et occasionnellement avec la famille est compromise Les variations sont alors plut t interpr t es comme une forme de s nilit cyclothymique Le calme et la s r nit deviennent de l apathie le dynamisme et la bonne humeur se transforment en nergie inqui tante qu il s agit de canaliser voire de dissimuler Alors que les r sidents excellant dans l auto contr le peuvent tr s bien tre fortement d pendants physiquement ne rien pouvoir faire seuls pour la toilette ils ne font gu re obstacle au travail de manipulation du mat riau humain Goffman 1968 121 130 La facilit accomplir ce travail rend bien s r les r sidents sympathiques et inversement Dans la m me optique goffmanienne le fait de faciliter ce travail de manipulation semble souvent avoir pour effet une certaine bienveillance vis vis des adaptations secondaires Goffman 1968 245 262 Au contraire les r leurs auront plus de mal par exemple faire accepter au personnel la constitution de petites r serves alimentaires dans les tiroirs de la table de nuit Le m me ph nom ne s observe avec la po
20. rds sur la sant n 9 2006 changes motionnels soient per ues comme un travail suppl mentaire ou au contraire comme une r mun ration symbolique une prime au sens de Max Weber 2 L tat psychique et physiologique de la plupart des r sidents a fortiori dans une maison de retraite m dicalis e rend pr cieuses les indications exprim es par le biais des motions regards phrases incoh rentes pressions des mains Mais la fonction informative des affects s accompagne souvent d une perturbation le fait que les r sidents ne soient pas des corps compl tement inertes et passifs qu ils expriment des refus des plaintes qu ils commettent parfois des gestes violents constitue un obstacle au travail sur le mat riau humain Goffman 1968 121 130 Pour saisir les m canismes et enjeux sociaux l origine de cette tension il convient de ne pas durcir la distinction spontan e entre personnel et population r sidente Au del de l homog n it que conf re par d cret l assignation statutaire on appartient sans aucune contestation possible l une ou l autre des deux populations ces deux groupes sont en fait travers s par des logiques sociales oppos es peut tre moins visibles mais dont les effets sont eux tout fait perceptibles Les modalit s selon lesquelles se trouve r gul e la tension entre retenue et manifestation des motions explique en partie ces contrastes R sidents
21. s parcourir dans son int gralit Une hypoth se serait alors de consid rer que sa position en porte faux d voilait avec trop d vidence les motions int ress es et s lectives de la majeure partie du personnel Conclusion Au bout du compte la d finition des groupes sociaux en fonction du degr de contr le des motions concurrence celle plus spontan e qui s pare r sidents et employ s Bien que cette d finition semble construite d un point de vue th orique depuis une position de surplomb il appara t que l organisation de l espace comme les relations entre les populations des deux groupes ainsi d finis viennent la confirmer R sidents et salari s des tages descendent peu au rez de chauss e Les salari s du bas ignorent une partie de ce qui se passe aux tages les r sidents qui tiennent salon au rez de chauss e maintiennent leurs distances avec les ceux des tages qui ne savent pas se tenir Un tel ordre des choses n est pas seulement le produit de la m canique sociale de la distinction Il y va aussi de l image de 11 Face face Regards sur la sant n 9 2006 l tablissement institution totale Goffman 1968 particuli re qui n est l ni pour punir ni pour former donc ni pour dresser ni pour redresser et doit donc pr senter une fa ade humaniste pour pr server les croyances et la bonne conscience des familles Ainsi que le rappelle Erving Goffman la
22. s mani res la posture du corps le capital culturel etc et en aval par l tat biologique des personnes Qu advient il alors des individus appartenant la population des sans contr le La question a d autant plus d importance qu il s agit de la majorit des r sidents et du personnel Qu advient il donc des salari es qui n ont pas la possibilit de valoriser leur engagement motionnel par contraste avec la distanciation technique d finissant leur t che centrale Et comment les r sidents les plus d grad s psychiquement et ou physiquement s y prennent ils pour ne pas tre totalement cras s par l institution Une civilisation inaccessible La tr s faible qualification de la majeure partie du personnel c est dire la faible technicit apparente des t ches place les qualit s naturelles f minines et maternantes au c ur des comp tences attendues par la direction Dans une logique finalement pas totalement trang re celle des manuels de civilit si importants chez Elias les membres civilis s de l institution qui sont aussi ceux qui la dirigent ont tendance renvoyer les employ es les moins qualifi es une sorte d tat naturel primitif des relations entre individus Celui ci dans le cadre de l accompagnement institutionnel donc hi rarchis des personnes g es d pendantes a pu tre refoul par les membres les plus dipl m s du personnel
23. ssibilit de se procurer des cigarettes dans le cadre du b n volat En s attachant certaines immixtions du personnel dans l espace intime des r sidents comme la toilette on peut tablir deux conomies parall les celle qui valorise le sacrifice de l intimit en change du maintien d une sociabilit civilis e celle qui consiste d fendre par la force et les cris les fronti res de l espace intime fut ce au prix d un effondrement des chances de maintenir des relations sympathiques avec le personnel La vocation une dimension inhabituelle Le mod le pr sent jusqu ici opposant des formes id al typiques de gestion des affects n est pas universel Il repose implicitement sur un constat dans l immense majorit Face face Regards sur la sant n 9 2006 des cas ni les salari s ni les r sidents n ont vraiment choisi d tre l le choix ne s est fait que par d faut Si une employ e affichait clairement son sentiment de vocation et ce titre recherchait volontairement les changes affectifs et les moments d motion avec les personnes g es alors il serait possible de prendre en compte les effets produits par des motions pures c est dire a priori d sint ress es sur une configuration o elles sont globalement le produit de strat gies ou en tout cas de n cessit s Au cours de ces ann es d enqu te une seule employ e a explicitement affirm sa
24. t plus la relation l enqu t devient personnelle et d tendue plus l id e que l enqu teur est un inspecteur s av re fausse et moins ce discours est virulent pour laisser place le plus souvent une d nonciation de l puisement physique et mental occasionn par ce travail et un r quisitoire contre les familles trop critiques Prouver son professionnalisme s articule ainsi autour de deux id es forces compl tement impr gn es de la vulgate manag riale sur la logique comp tence il y a des savoirs et des savoir faire qu il faut acqu rir pour traiter convenablement les corps des personnes g es d pendantes et un savoir tre qui consiste ne pas confondre gentillesse et amabilit avec un engagement trop personnel envers les personnes g es La compassion est la limite ne pas franchir d une part il faut se prot ger soi les r sidents sont appel s mourir et d autre part il faut viter que la personne g e en attende trop affectivement de la part du personnel Suivre la lettre ce mode d emploi est bien s r impossible Mais hormis les inclinations individuelles des uns et des autres il appara t que plus les postes rel vent d une technique particuli re et ou correspondent une t che bien d finie plus il est facile de suivre cette injonction au contr le des motions C est ainsi que les infirmi res s opposent aux Face face Regards sur la sant n 9 200
Download Pdf Manuals
Related Search