hypertexte : la troisième dimension du langage
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1. pour limprim Dans un avenir proche les ordinateurs portables extra plats nous permettront de poser sur nos genoux un substitut assez proche de nos s culaires codex Mais ce qui trouble le plus le lecteur d un hypertexte c est moins l environnement informatique supposons un instant pour les besoins de la d monstration qu il soit si perfectionn que l on ne puisse pas le distinguer d un livre dont les pages pourraient s ouvrir d elles m mes quand on souligne un mot que la d couverte d une nouvelle organisation textuelle L o la consultation d une encyclop die ou d un mode d emploi informatis trouve un utilisateur tol rant voire favorable parce que l outil papier mim par l ordinateur ne suscite d habitude que des lectures documentaires le texte litt raire lui veille aussit t la m fiance La 16 TEXTE plupart de nos cat gories litt raires celles travers lesquelles nous perce vons un texte comme litt raire se trouvent boulevers es La consommation int grale tout d abord nous est refus e Le Je veux lire en trois jours lI iade d Hom re de Ronsard sur lequel reposent nos valeurs de comp tence et de culture litt raires se trouve caduc Personne ne peut dire Pai lu Fragments d une histoire Cette impossi bilit en particulier rend p rilleux le discours critique qui suppose toujours l exhaustivit Chaque lecteur est face ses propres choix sa propre constructi2. cran d aide des logiciels sous Windows C est en effet le programme WINHELP qui est utilis pour afficher l hypertexte 14 TEXTE Certains des mots de ce texte Elle lui une photo de Doisneau sont des boutons et sont attach s d autres pages auxquelles ils permettent d acc der La lecture de ce texte suscite un certain nombre de surprises 1 La lecture n est pas s quentielle Le texte complet qui est constitu de plusieurs centaines de pages crans ne peut tre lu int gralement et surtout pas dans un ordre unique qui n existe pas Le nombre de parcours possibles dans le r seau des pages est si grand qu on le consid rera comme infini S il y a bien une premi re page la m me pour tous elle est suivie de la deuxi me page que l on voudra bien choisir jusqu une derni re page qui sera celle o le lecteur d cidera d arr ter son parcours 2 Il y a autant de lectures que de lecteurs Cette constatation banale pour les livres prend une nouvelle ampleur dans le cas d un hypertexte Chaque lecteur par ses choix les expressions sur lesquelles il clique construit un encha nement qui non seulement n avait peut tre jamais t suivi par un autre lecteur mais qui de plus n avait certainement pas pu tre pr vu par l auteur 3 On peut revenir en arri re Un bouton appel Pr c dent permet de revenir la derni re page consult e un autre Historique affiche la list
3. dimension est tout simplement inscrit dans la logique de l volution intellectuelle et technologique de notre temps nous d y entrer de plain pied sans pr cipitation iconoclaste ni vain retard 21 Paris ditions Gallimard NRF 1992 p 145 HYPERTEXTE 19 l ments d une bibliographie sur l hypertexte BALPE Jean Pierre Hyperdocuments hypertextes hyperm dias Paris Eyrolles 1990 CARRENO Orlando Le Texte le son et l image en interactivit dans les hyperm dias Communication et langages n 95 1 trimestre 1993 pp 96 105 CHAUMIER J et SUTTER E L Hypertexte une nouvelle approche de l information Documentaliste vol 26 n 2 1989 pp 71 5 COLLINOT Ren L Approche des textes par l hypertexte Bulletin de PEPI n 63 septembre 91 pp 101 9 DALLOZ X Votre Avenir passe par l hypertexte L Informatique profession nelle vol 20 n 73 pp 37 44 DANIEL VATONNE M C Hypertextes des principes communs et des va riations T S I Technique et science informatiques vol 9 n 6 1990 pp 475 92 DELANY Paul et LANDOW George P ds Hypermedia and Literary Studies Cambridge Mass MIT Press 1991 LAMBERT Alain L Hypertexte Un nouvel outil pour l ducation et la formation Bulletin de PEPI n 61 mars 91 pp 61 6 LAUFER Roger et SCAVETTA Domenico Texte hypertexte hyperm dia Paris PUF coll Que sais je 199
4. du clavier de renvoyer d autres pages qui s affichent leur tour et ce ad libitum Voici par exemple la premi re page du texte celle par laquelle commence n cessai rement toute lecture Fragecnis Funt Mstoire N i Eichier Edities SR 2 J Les deux boulevards croisaient leurs destins Elle lui ternelle chanson marchaient sous la pluie C te c te sans savoir Chacun son parspluke chacun sa vie Comme eur une photo de Doisnem immobiles et p trifi s ils sign finient leur poque leur ge leur sexe Il ne lenr manquait en somme que la parole Pas wimporte laquelle Cette parole attendue que Fon n esp re plus et que mime on me reconnait pas quand on fa trouve I y avait entre eux une parole qui peut tre ne serai jamais dite Ce qui les 1n ssait les s parait ce qui les loigrait les rapprochrait Une rue le pluie 13 On trouvera dans l article d Orlando Carre o cit en bibliographie un recensement de tentatives similaires Il s agit le plus souvent de romans t l matiques qui ont davantage exp riment dans le domaine de l criture collective que dans celui de la lecture 14 La disquette contenant l hypertexte format PC IBM sous WINDOWS 3 1 peut tre envoy e tous les lecteurs qui en feront la demande 15 En cliquant c est dire en amenant le curseur sur l cran l emplacement d sir puis en appuyant sur un bouton de la souris 16 Les doctes reconna tront l
5. progressions achroniques Daniel Pennac dans Comme un roman exprime sa fa on ce profond malaise devant l crit dont la forme b nigne mais hautement symptomatique est la d saffection des plus jeunes l gard de la lecture Il dicte ainsi es droits imprescriptibles du lecteur 1 Le droit de ne pas lire 2 Le droit de sauter des pages 3 Le droit de ne pas finir un livre 4 Le droit de relire 5 Le droit de lire n importe quoi 20 Voir par exemple D oreille trad fr Paris Deno l Gauthier 1977 p 51 18 TEXTE 6 Le droit au bovarysme maladie textuellement transmissible 7 Le droit de lire n importe o 8 Le droit de grappiller 9 Le droit de lire haute voix 10 Le droit de nous taire 2l Les droits 2 3 et 8 sont devenus des devoirs avec l hypertexte qui ne touche pas aux autres sauf peut tre momentan ment le septi me Mais l hypertexte n est pas on laura compris un simple habillage technologique pour plaire aux f rus de jeux vid o Il pouse en r alit notre mode actuel de pens e L apr s Gutenberg contrairement ce que croyait MacLuhan ce n est pas l audio visuel Le cin ma et la t l vision sont des supports s quentiels et ils devront eux aussi passer par la r volu tion de l hyper m dia Les pratiques actuelles du zapping auxquelles Fragments d une histoire fait plusieurs fois r f rence correspondent ce d sir de butinage infor
6. 2 LE CROSNIER H Une Introduction l hypertexte Bulletin des biblioth ques de France vol 36 n 4 1991 L VY Pierre Les Technologies de l intelligence l avenir de la pens e l re informa tique Paris La D couverte 1990 MELOT M Nous sommes tous des illettr s ou lavenir de la lecture Bulletin des Biblioth ques de France vol 34 n 2 3 pp 203 6 SAUSTIER Alain Hypertexte et p dagogie Bulletin de PEPI n 63 sept 1991 pp 91 9 SAVOY J Les Sources des hypertextes une bibliographie comment e TSI Technique et science informatiques vol 9 n 6 1990 pp 515 24 SCHMIDT Alain Hypertexte et hyperm dia Bulletin de PEPI n 61 mars 1991 pp 67 79 SEGURA J Hypertexte bateau ivre de l information Archimag n 21 1989 pp 25 7 WEIDENFELD G Quelques Exemples d utilisation d hypertextes Bulletin du Centre de hautes tudes internationales d informatique documentaire n 35 1989 pp 105 9 22 Cette esquisse bibliographique exclut les r f rences purement techniques 20 TEXTE YANKELOVITCH N et MEYROWITZ N Reading and Writing the Electronic book IEEE Computer vol 18 n 10 Oct 1985 pp 15 30 Universit de Paris II Sorbonne Nouvelle
7. ERTEXTE 7 devient sens dominant D s lors les l ments du langage se trouvent inscrits dans un rep re cart sien sur un plan deux dimensions 4 La quatri me tape celle de l hypertexte demande un d veloppe ment plus long et avant tout une d finition Qu appelle t on hyper texte pan vouloir rappeler ici tout Phistorique de ce terme et ce qu il recouvre disons qu il s agit d une organisation textuelle permise par lnforiatique et qui permet un acc s rapide l information gr ce des boutons que l on actionne sur le texte Imaginez que vous puissiez poser votre doigt sur un des mots de la phrase que vous tes en train de lire et que s ouvre alors automatiquement une autre page qui vous proposerait selon les cas une image un autre texte C est l chelle lectronique ce que nous faisons en feuilletant une encyclop die en visitant un mus e un guide la main en v rifiant dans un dictionnaire les mots inconnus d un texte tranger en collationnant plusieurs documents W On voit comment s impose l image d une troisi me dimension du texte derri re la page deux dimensions reproduite sur l cran s ouvre la perspective d un empilement infini d autres pages d une profondeur informationnelle dont seules des manipulations prouvantes et lentes pouvaient nous donner une id e Les r alisations les plus indiscutables dans le domaine de l hypertexte l heure actuell
8. HYPERTEXTE LA TROISI ME DIMENSION DU LANGAGE Michel BERNARD 1 les dimensions du langage S OIT l analogie suivante Discours Figure g om trique Dimensions cri borborygme point 0 discours oral droite 1 discours crit texte surface 2 hypertexte volume 3 Que dire de ce tableau Le classement ainsi obtenu dans la colonne de gauche est bien s r chronologique m me si l on ne peut dater convena blement dans l histoire de l humanit les deux premiers items Les deux colonnes de droite ne font que reprendre des d finitions g om triques Pour ce qui est des rapports entre les colonnes Discours et Figure dont il sera question ici disons d abord que l analogie se comprend comme il est de r gle de mani re proportionnelle le discours oral est au discours crit ce que la droite est la surface hypertexte a le m me rapport au volume que le texte la surface etc Ce que je projette ici c est de montrer laide de cette analogie que l hypertexte inaugure une re nouvelle du discours Ou g om triquement parlant un changement de dimension dont seul le passage de l oral l crit il y a cinq mill naires peut nous donner une id e Reprenons d abord les tapes r sum es dans la colonne de gauche 1 L homme comme les autres animaux produit des sons expressifs qui lui servent ventuellement communiquer Ce degr z ro du discou
9. cer l Encyclopaedia Universalis Soyons donc modestes dans nos essais de prospectives Les hypertextes actuels sont le plus souvent adapt s de documents con us pour tre imprim s Les grandes maisons d dition les plus 11 Ou vertical en Chine HYPERTEXTE 11 soucieuses de modernit peuvent ainsi proposer deux versions de leurs dictionnaires et encyclop dies C est que ces deux types d ouvrages sont d j dans la galaxie Gutenberg les pr figurations des documents hyper textuels De m me que l crit n a longtemps t qu une proth se de l oral l hypertexte ne peut tre pens et lu en ses balbutiements que comme un livre perfectionn Il n y a pas plus de coupure technologique que de coupure pist mologique Nos livres exp rimentent d j depuis quelques si cles les outils d une lecture tridimensionnelle Le feuilletage d un dictionnaire encyclop dique nous l avons vu en est une approche archa que D autres dispositifs sont consid rer dans ce sens les index les tables des mati res les renvois la pagination les bibliographies La lecture d un quotidien est sans doute aujourd hui la meilleure approche possible d une navigation dans l information avec son syst me complexe de renvois de tables de titres de sous titres de rubriques de r f rences aux num ros pr c dents Chacun sait qu on ne lit pas le journal comme on lit un roman du d but la fin On envisagera aussi
10. de Pascal de Nietzsche L auteur d un hypertexte est il le r dacteur des textes ou le navigateur qui a install des relations entre ces textes D autre part l invitation faite au lecteur d ins rer ses propres annotations indique une voie nouvelle l uvre collective r seau sans fin de lectures critures crois es Quoi qu il en soit il est impossible de reconna tre la marque de l auteur traditionnel d miurge et cr ateur dans une narration dont personne n a fix le d roulement Le fond du probl me c est qu il est impossible de raconter des histoires sur un tel support L ensemble de Fragments d une histoire n est d ailleurs qu une longue m ditation sur l impossibilit de vivre et donc de se raconter une histoire Rappelons nons le principe de MacLuhan Le message c est le m dium 20 Nous ne pourrons pas porter nos sch mas narratifs sur le support hypertextuel Ils y feraient aussi triste figure que les laborieuses transcriptions du folklore oral Ils ont t faits pour le papier et ils devront y rester A l oppos il est vident lire la production romanesque contemporaine que le livre s essouffle de plus en plus vouloir exprimer les visions pluridimensionnelles de la pens e moderne De plus en plus d auteurs se plaignent des limitations de ce support s quentiel dont le prestige ne compense plus les limites Les narrations se font elliptiques les points de vue cin matographiques les
11. des pratiques textuelles rudites comme celle des concordances L tude de la Bible a suscit d s le XIIT si cle le besoin de comparer tous les contextes d un m me mot Malgr l crasante difficult de cette t che le succ s des concordances chez les th ologiens puis chez les critiques litt raires a suscit un grand nombre de tentatives de ce genre L informatique dans les derni res ann es a simplement acc l r le travail sans inventer de nouvelles utilisations La mise en regard de plusieurs textes fondement de toute r flexion critique n a pu longtemps s op rer que dans la m moire n cessairement limit e et moyennement fiable de quelques sp cialistes Ceux ci ont d velopp peu peu des techniques de rep rage les sp cialistes de hypertexte parlent de navigation ou de butinage que l informatique a simplement syst ma tis es Il est important de comprendre que ce nouvel univers textuel ne sort pas du n ant ou des microprocesseurs ce qui reviendrait au m me Depuis le codex la superposition des pages contient en germe la concep tion d une transversalit de la lecture C est de la m me poque que datent les grandes biblioth ques antiques remarquons que le codex parall l pi p dique est aussi plus facile empiler et donc la possibilit de lectures crois es C est dire que les res du langage que je d coupe ici ne sont nullement about es mais qu elles se chevauchent la
12. e sont pr cis ment encyclop diques et dictionnairiques Voici pour ceux qui n auraient jamais approch ce type de produit comment pourrait se d rouler la consultation d un hypertexte documen taire typique voulant me renseigner sur Renan je tape son nom et j obtiens l cran une notice biographique classique Y lisant le nom de Tr guier que je ne connais pas je clique avec ma souris sur ce nom et s affiche alors l article correspondant ou m me une carte de Bretagne qui me montre la situation de cette ville Je peux bien videmment tout moment imprimer ou RS les informations obtenues ainsi que revenir une page d j lue D autres produits plus ambitieux sont dits 4 On lira une belle vocation de l espace de la page dans l article de Louis Hay L crit et l imprim in De La Lettre au livre s miotique des manuscrits litt raires Paris ditions du C N R S 1989 pp 18 9 5 Le plus exp dient pour moi sera de r f rer tout lecteur int ress par la question au pr cieux et pr cis volume de la collection Que sais je 2 Roger LAUFER et Domenico SCAVETTA Texte hypertexte hyperm dia Paris PUF 1992 6 Alain Lambert article cit en bibliographie p 62 parle ce propos de quatri me dimension du texte sans expliquer sa m taphore et surtout sans dire o il voyait 8 TEXTE multi m dias en ce sens qu ils marient le texte l image et la musique et permettent
13. e de toutes les pages ouvertes depuis le d but auxquelles on peut acc der nouveau Le bouton Index quant lui permet de revenir la page de titre Il est donc toujours possible au cas o un parcours finirait dans une impasse une page sans boutons une lecture d cevante de refaire le chemin en sens inverse La fonction Signer pour sa part permet de marquer certaines pages et d y revenir volont 4 Un index permet une lecture th matique Le bouton Rechercher donne acc s une liste de mots cl s qui leur tour aiguillent le lecteur vers les pages du texte correspondantes Voici un exemple Fragmests dune histo re leds Eschses Edition Signet Les deux boulevards croisuient leurs destins Elle Mi af Tapez en mm ve s lecbnenez en en dane ba fiche Chacun Si pa nemeez rostin Antiche Los mbane Une rue Eminin es echogue pair chumsicene Elle ne c der pas HYPERTEXTE 15 Le mot cl c der permet d atteindre deux pages intitul es De deux choses l une et Elle ne c derait pas Il s agit donc d un autre type de navigation fond e sur les mots d une liste et non sur les mots d une page particuli re Cependant ce cheminement ne permet pas non plus la lecture int grale 5 On peut prendre des notes Une fonction d annotation affiche une fen tre dans laquelle l utilisateur peut crire ses propres observations De m me il est possible de copier une page o
14. mationnel dont seul un conservatisme courte vue pourrait nous faire croire qu il ne s agit que d une tendance paresseuse l irr flexion C est en r alit de notre capacit survivre au milieu de l inflation des signes qu il s agit Les longues mastications cognitives du Moyen ge ont laiss place la Renaissance de rabelaisiennes fringales de savoir dont il faudra notre tour sous peine d indigestion nous loigner pour trouver le chemin de l information vitale quelque part au milieu du bruit et du silence Comme il a toujours t de r gle c est la litt rature qui nous ensei gnera lire et crire C est elle quest d volu le r le assum par le jeu dans tous les apprentissages Nous avons tous t form s fussions nous r dacteurs de notes de service de d pliants publicitaires ou de projets de lois la lecture de calembredaines r cr atives que nous appelons litt ra ture et o nous affectons de trouver le mod le de toute expression Stendhal relisait peut tre le Code civil avant d crire mais tout aussi s rement les auteurs du Code civil avaient appris crire en lisant d s leur plus jeune ge les Fables de La Fontaine ou les romans dont se repaissait le jeune Rousseau C est par la litt rature que nous entrerons vraiment hors des exp riences de laboratoire dans la troisi me dimension du langage Il n y a l ni id alisme ni vaticination Ce passage une autre
15. ne autre est plus difficile concevoir Elle suppose une rupture dans le cours de la lecture exige une m morisation et une pause De m me les supports sont eux aussi lin aires rappelant la structure de l oral On a beaucoup insist sur la r volution gutenbergienne mais on aurait pu tudier davantage le fantastique changement qu a repr sent dans la culture antique le passage du vo umen au codex du rouleau au cahier Le rouleau est encore une m taphore du discours oral On le d roule dans un sens ou dans lautre dans un parcours s quentiel qui ne favorise gu re la recherche rapide d une information Les bandelettes gyptiennes qui permettent d envelopper la momie de formules magiques sont un autre exemple de cette analogie Cette lin arit des supports g n re un type d utilisation particulier de l crit n oublions pas que les lecteurs jusqu au Moyen ge n ont su d chiffrer le texte qu haute voix10 Tant que l quivalence d chiffre ment phonation fut la r gle les possibilit s bi dimensionnelles de l crit ont t peu exploit es L il au service de la voix ne peut s affranchir de l axe horizontal l et ne peut que suivre le doigt y participe ventuelle 8 On lira ce propos les remarques du pr historien Leroi Gourhan dans Le Geste et la parole technique et langage Paris Albin Michel 1964 La conqu te de l criture a t pr cis ment de faire entrer par l usage du disp
16. on du sens On a bien s r pu dire la m me chose des lectures de livres mais le texte lui m me la cha ne de caract res parcourue par le lecteur ne variait pas Il n est pas impossible qu un pan entier de l hypertexte reste tel un hypog e pharaonien inviol pendant longtemps avant qu un lecteur s y introduise par hasard Mais il est vrai que de telles d couvertes sont possibles dans l univers du papier Nos rep res chronologiques et logiques sont eux aussi mis mal En r alit il ny a pas d histoire comme le sugg re le titre J M Lafaille fait parfois r f rence cette particularit Le jeu est si d sesp rant pour qui aime les d buts et les fins Er s il n y en avait pas Et si toute fin tait le d but d une autre histoire 18 Les personnages peuvent se quitter pour se rencontrer ensuite Du reste rien ne dit non plus qu il s agisse toujours des m mes personnages comme dans bien des romans modernes Il s agit plut t d un encha nement de situations de tableaux th mes voisins C est le lecteur qui produit du sens qui reconstitue une histoire que l auteur a laiss d river en tous sens Je prendrai un exemple Je suis arriv au cours de ma lecture une page m annon ant la mort dans un h pital du personnage d sign par le pronom masculin on me pardonnera ces in vitables p riphrases Au regard du m decin elle comprit qu il tait pass de l autre c t du miroi
17. ositif lin aire l expression graphique dans la subordination compl te l expression phon tique pp 271 2 Cette lin a risation des symboles a artificiellement introduit la distinction actuelle entre arts graphiques et criture 9 On trouvera des indications sur cette transition dans A G HAMMAN A G L pop e du livre du scribe l imprimerie Paris Librairie acad mique Perrin 1985 Guy ACHARD La Communication Rome Paris Les Belles Lettres 1991 et Roger CHARTIER Du livre au lire in Pratiques de lecture Paris Marseille Rivages 1985 10 Saint Augustin IV V si cle rapporte son tonnement et son admiration l gard de saint Ambroise qui lit sans bouger les l vres Cette performance ne deviendra une pratique courante qu l poque de l imprimerie et de la grande diffusion de l crit 10 TEXTE ment le texte ligne ligne Une forme comme le tableau double entr e m aurait pas t compr hensible un lecteur antique ou m di val Pensons que Barr me inventeur de tables de calcul est un math maticien du XVII si cle La lecture paradigmatique est donc une lente acquisition de l huma nit L non plus le passage d une dimension l autre ne s est pas fait en un jour L agilit intellectuelle et oculaire du lecteur ne s est affirm e que tr s progressivement ainsi que les dispositifs graphiques qui la pr suppo sent ou la stimulent La pr sen
18. par exemple d couter le chant des oiseaux sur le nom desquels on a cliqu ou de suivre la fois le livret et la partition de La Fl te enchant e Ce dispositif lectronique dans lequel on pourrait ne voir qu un des multiples perfectionnement apport s par informatique me para t porter en germe les principes d une nouvelle re du langage Il nous faudra pour mieux le comprendre le comparer avec le passage de l oral l crit 2 de l oral l crit Il n est pas d invention Ce concept invent la Renaissance et exalt par les Romantiques n a aucune valeur historique Chaque avanc e techno logique ou scientifique y regarder de pr s est un faisceau d efforts collectifs de changements progressifs de mentalit s et de conditions sociales Il ny a rien qui ressemble de pr s ou de loin une invention de l criture Ce n est que pour les commodit s de l tude que l on pratique des coupes chronologiques qui nous permettent de dire par exemple que l on ne trouve aucun document crit datant du cinqui me mill naire avant J C et que l on en trouve au deuxi me mill naire Que s est il pass dans cette tranche d Histoire L humanit ou du moins certains de ses repr sentants ont franchi l tape sugg r e plus haut qui les fait passer d un langage unidimensionnel un langage bidimensionnel Peu importent ici les dates exactes les lieux pr cis un tr s lent processus inconte
19. r Elle sortit sans rien dire sans aller le voir gt 19 Mais je wai pu savoir comment on en tait arriv l r flexe de lecteur de romans et par la suite j ai pu lire des pages qui mettaient nouveau en sc ne un Zui et un elle moi de supposer un retour en arri re un 17 Saufdans certains cas qu il serait int ressant d analyser ici comme pr curseurs d une perpective hypertextuelle o des fragments Pens es de Pascal des uvres inache v es Lucien Leuwen des correspondances ont donn lieu des ditions diverses et des r actions scandalis es qui montrent bien ce que cette d marche non lin aire peut avoir de choquant pour nous 18 Quelle r f rence pourrais je donner Disons qu il s agit d une page intitul e Que deviennent les histoires d amour Nostalgie universitaire des textes pagin s 19 Lasalle d attente HYPERTEXTE 17 changement de partenaire une mort r v e une histoire parall le toutes configurations traditionnelles du r cit qui somme toute n existent que dans mon esprit La notion m me d auteur un des piliers de notre mode de r ception du texte litt raire n a plus cours ici Il est impossible d une part de savoir si tous les textes sont de la m me main Le nom de J M Lafaille pourrait bien n tre qu un pseudonyme L hypertexte est particuli rement apte la polyphonie On trouve d ailleurs dans Fragments d une histoire des extraits de Proust
20. ralit ou la logique de retours en arri re de digressions ou d intertextualit le romancier cherche videm ment s affranchir de la s quentialit Il semble m me que la prose narrative ait eu plus de peine que la po sie se d couvrir une deuxi me dimension Sa typographie ne permet gu re la lecture tabulaire de haut en bas et sa structure tr s cod e rend difficile toute lecture qui ne m nerait pas d un d but une fin Si l on exclut des tentatives tr s r centes de r cits arborescents d roulement multiples la seule possibilit pour un romancier d ouvrir une deuxi me dimension dans son texte est th ma tique donc intertextuelle 12 Voir par exemple les livres de Ian Livingstone dit s par Folio Junior collection Des Livres dont vous tes le h ros pigones h ro co fantastiques de l in nar rable histoire de petits pois cont e par Queneau HYPERTEXTE 13 5 un roman hypertextuel Que serait donc un roman hypertextuel C est pour tenter de r pondre cette question que je me propose d tudier ici ce qui constitue ma connaissance le premier essai dans ce domaine Fragments d une histoire de J M Lafaillet Ce texte se pr sente comme un programme informatique qui affiche sur l cran d un ordinateur des pages de texte dont certains mots ont les caract ristiques d un bouton hypertextuel ce qui permet quand lutilisa teur les actionne au moyen d une souris ou
21. rgement comme il est de r gle dans l histoire de toutes les techniques De m me l oral existe toujours dans notre culture m me sil n en est plus la dimension domi 12 TEXTE nante et s il est d sormais pens travers le mod le bidimensionnel que Pon songe par exemple aux grilles des programmes de la radio 4 hypertexte et litt rature J ai parl jusqu maintenant du langage et du texte dans tous leurs usages Qu en est il sp cifiquement de la liff rature de l usage esth tique des outils langagiers Peu nous importe ici le caract re tr s relatif et relative ment r cent de ce concept Sans remonter aux origines constatons sim plement que le texte litt raire a suivi le mouvement g n ral Ainsi la po sie et ses rythmes lin aires originels r currences ont donn lieu d abord de simples transcriptions puis des jeux graphiques voquons en vrac les rimes orthographiques les calligrammes Un Coup de d s Jamais Le texte narratif a suivi un parcours du m me type Il mime d abord le r cit pique lin aire qu il transcrit Le roman contemporain dans sa soi disant d structuration nous montre un autre aspect de cette lente marche vers un langage tridimensionnel dont nous avons d j not quelques prodromes Qu il s agisse d un jeu sur les d roulements multiples depuis Jacques le Fataliste jusqu au Ch teau des destins crois s ou de ruptures syst matiques dans la tempo
22. rs ne s inscrit pas dans la dur e Il n est m me pas proprement parler de 6 TEXTE l ordre de la conscience et donc du social de l humain Si je crie A e gt l en me piquant le doigt c est qu un instinct me pousse bien malgr moi avertir mes semblables de la pr sence d un danger pour qu ils me secourent ou s enfuient Mais ces suites possibles de mon appel cri d orfraie ou rugissement je ne les envisage aucunement Je mai pas en poussant ce cri de projet ni m me de repr sentation C est d un langage inarticul qu il s agit au sens o inversement les linguistes parlent d articulation du langage Ce qui revient dire aussi bien qu il ne sagit d un langage qu au sens impropre de langage des animaux L analogie avec le point g om trique tient ceci que le cri n a pas de dimension pas d avant ou d apr s Il mentre dans aucun syntagme 2 Le discours oral dont on ne peut que supputer qu il est n du cri primitif est lui dot d une dimension Le f7 du discours suppose un d but et une fin un ordre syntaxique dans le d tail et un ordre logique dans l ensemble Les bandes magn tiques sur lesquelles nous enregistrons aujourd hui les paroles ou les phylact res qui sur les peintures m di vales portent les paroles prononc es par les personnages sont de bonnes images de cette lin arit de l oral MacLuhan a trop bien montr que cette caract ristiq
23. stable a amen une nouvelle repr sentation du langage Remarquons d abord qu il n y a aucun moment remarquable dans cette volution sauf le marquer artificiellement L apparition de l criture est indissociable d une nouvelle vision du monde caract ris e par exemple par la cr ation de grands empires la s dentarisation le stockage des produits agricoles la poterie etc Ces facteurs d ailleurs li s entre eux tracent un arri re plan qui rend la fois compr hensible techniquement possible et socialement souhaitable l innovation de l criture La deuxi me remarque porte sur l aspect de ce nouveau support La bidimensionnalit n a pas t acquise tout de suites Chaque forme 7 L exemple d crit ici se r f re au dictionnaire Zyzomys Paris ditions Hachette HYPERTEXTE 9 commence par imiter la pr c dente De ce fait l unit de base de l criture est la ligne qu elle soit horizontale ou verticale La superposition des lignes n est pas all e sans probl me Comment enrouler dans l espace ce qui l oral est d roul dans le temps On retrouve dans les plus vieilles inscriptions grecques un type d criture appel houstroph don la premi re ligne est crite de gauche droite celle qui suit de droite gauche et ainsi de suite sur le mod le des sillons trac s par la charrue La convention qui est devenue la n tre qui oblige le regard sauter d une fin de ligne au d but d u
24. tation des manuscrits a longtemps rendu impossible toute perception globale de la page pas de ponctuation texte compact sans titres ni sous titres mots s par s par des points ligatures abr viations C est un texte crit avec peine par des sp cialistes sur un support cher et de mauvaise qualit Seule la lecture haute voix peut lui donner un sens L arriv e du papier la fin du Moyen ge et l av nement de la typographie permirent de baliser le texte pour une lecture plus globale de la page alin as ponctuation justification titres et sous titres manchettes rubriques enrichissement romain ifalique ma igre gras mi nuscules CAPITALES 3 du texte l hypertexte Les consid rations pr c dentes peuvent mutatis mutandis nous laisser pr sager ce que pourrait tre le passage une troisi me dimension du langage N attendons pas surtout de changement massif et brutal de nos pratiques culturelles M me si la courbe du progr s et les facult s d adap tation humaines semblent s tre emball es il faudra sans doute encore bien des g n rations d apprentissage et bien des progr s techniques pour que l on ait une id e claire de ce que peut apporter une lecture tridimen sionnelle L hypertexte d aujourd hui est encore bien trop semblable au papier imprim pour donner une image r aliste de ce qu il pourrait tre Ou peu pr s autant qu une tablette d argile sum rienne pouvait annon
25. u un extrait pour l imprimer par la suite Les annotations sont conserv es par l ordinateur et restent attach es l hypertexte Elles sont mat rialis es sur l cran par un trombone vert qui devient un bouton sur lequel on peut cliquer pour lire les notes De cette mani re l hypertexte peut en circulant s enrichir des remarques des ajouts des r actions de tous ses lecteurs 6 Le texte est illustr Certains boutons permettent d afficher des images Le syst me n est donc pas seulement hypertextuel mais aussi hyperm dia On pourrait m me imaginer qu il permette d afficher des images anim es ou de reproduire des sons Les seules limites sont celles des capacit s des unit s de stockage et de l ordinateur utilis Ces dispositifs techniques conditionnent videmment une lecture totalement diff rente de celle laquelle nous avait habitu s le livre sur papier le pl onasme n est peut tre que provisoire Dans l imm diat la nouveaut engendre surtout des frustrations Il faut bien avouer tout d abord que la lecture sur cran est rapidement lassante La position de la t te la manipulation de la souris l clairage de l cran sont des con traintes Il faut cet gard se persuader que le perfectionnement des techniques et l adaptation de nos habitudes ce nouvel environnement aboutiront t t ou tard une meilleure ad quation entre l hypertexte et son lecteur C est d j ce qui s est pass
26. ue de l oral a t associ e une vision du monde pour que l on ait besoin d y revenir La m moire ce stade n est pas seulement un moyen de stockage de l information mais aussi l organe intellectuel qui permet les seules operation possibles sur ce type d information recher che r p tition montage ce stade le langage n est dot que d une seule dimension l instar de la droite en g om trie 3 Le passage l criture s il favorise le stockage a fait galement acc der l humanit une perception tabulaire ou paradigmatique du discours L avant apr s s enrichit d un plus haut plus bas qui faisait d faut l oral Les pratiques po tiques de la rime ou de l acrostiche sont peut tre les exemples les plus clairs et les plus anciens de cette inscription du discours dans la surface de la page L audition c de le pas la vue qui 1 Ou plut t quelque chose que cette graphie ne rend qu imparfaitement puisque nous allons le voir elle ne fait pas partie de la m me dimension 2 Marshal MACLUHAN La Galaxie Gutenberg trad fr Montr al Hurtubise 1967 3 Ilest curieux de constater que Turing l un des premiers th oriciens de l informati q 8 P ne AR Me s que n a d abord imagin l ordinateur que sous cette forme lin aire La machine de Turing mod le de nos ordinateurs est une t te de lecture dot e d une m moire 8 LA se d pla ant sur une bande HYP
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