Mythes, allégories ? Des itinéraires archétypiques
Contents
1. Mythes all gories Des itin raires arch typiques e Michel Tournier l ve de L vi Strauss est marqu par le mythe auquel il veut donner sa place dans un roman qui r crit les grands r cits fondateurs de notre culture Les figures des origines la g mellit certaines obsessions sexuelles le sens aigu de l all gorie caract risent une uvre romanesque impr gn e de r f rences culturelles e Le Cl zio est lui aussi proche des l ments du cosmos son sentiment po tique le pousse vers la parabole sa vision de la modernit de la ville vers le d sert e Le jeu de l all gorie et de la parabole est galement le propre de Marguerite Yourcenar qui avec pr cision et rudition dans une forme classique et souvent oratoire explore l histoire de Rome et des alchimistes e Avec Georges Perec mort trop vite nous avons une uvre qui en chacun de ses livres s offre comme une vision symbolique narquoise et chaleureuse souvent de notre modernit imm diate Michel Tournier n en 1924 J entendais crire comme Paul Bourget Ren Bazin ou Delly d clare Michel Tournier dans un texte o il s explique sur ses principes d crivain Le vent Paraclet 1977 D claration fracassante de la part d un contemporain des nouveaux romanciers Mais elle est accompagn e d une revendication du droit la parodie la mani re de Ravel qui surexposait des mod les comme la valse viennoise c est une mani2. La nuit en voyant la ville pleine de signaux lumineux on imagine qu ils pourront vivre sans les hommes et peut tre m me les tuer Bien que la minutie de ses descriptions ait pu voquer l criture objectale du Nouveau roman Le Cl zio n est pas tributaire de celui ci Il consid re l crivain en effet comme un faiseur de paraboles qui aspire un infini D s les ann es 1970 il quitte l Europe pour de longs s jours chez les Indiens d Am rique centrale Il va donc contre courant comme il l indique en 1967 la fin de L extase mat rielle J ai commenc le long voyage de retour vers le gel et le silence vers la mati re multiple calme et terrible Ce n est pas par hasard qu il se r f re Michaux et Lautr amont Voyages de l autre c t 1975 voque la mani re de ces crivains Ils se d roulent entre la masse d eau primitive et sans ge o vit la pieuvre lumineuse aux dix tentacules flottants Watasenia et l tendue du d sert de pierres sous le ciel nocturne les hommes et leurs animaux sont morts les vip res s emm lent sur le sable comme un serpent dix t tes Pachacamac L un et l autre paysage sont faits de silence et de communion Ce message d avant ou d apr s la parole doit tre capt par les mots de l crivain dont l id al serait de rejoindre la pl nitude dans la lumi re Oc an de m thane jamais je ne comprendrai tout ce qu il dit Mais ce n est pas
3. Saint Christophe apr s avoir chapp la cour d assises gr ce la d claration de guerre Tiffauges comprend qu il est un pr destin Ce garagiste pervers devient un dignitaire du nazisme s lectionnant 1rs jeunes gar ons qui vont servir le Parti et chassant en revanche sur son cheval Barbe Bleue les enfants condamn s Il est ogre et mage J aime la viande j aime le sang j aime la chair c est le verbe aimer qui importe seul L Allemagne est pour lui la terre promise avec ses types achev s d hommes de faune et de paysages Il admire la beaut des f tes nazies Il est la proie d une mystique noire inspir e Tournier par le personnage historique de Goering Mais il se transforme la fin devenu lui m me la monture d un petit gar on juif qu il veut sauver il s enfonce avec lui dans les marais Vient ensuite Les m t ores 1974 la fois histoire cosmique et saga d une famille les Surin comportant des jumeaux Jean et Paul La g mellit a toujours paru sacr e en bien ou en mal aux peuples primitifs La vie va s parer Jean Paul et faire mourir Jean Paul survivant mutil se sauvera en apprenant l union avec le monde l mentaire des m t ores Aupr s d eux une figure importante est celle de l oncle Alexandre boueur aristocrate homosexuel qui se compla t dans les signes in puisables que lui offrent les d tritus des terrains vagues Ils sont une exaltation bavarde et en m me t
4. ce que produit l num ration acquiert une dimension lyrique par la recherche improvis e des rapprochements Je me souviens du contentement que j prouvais quand ayant faire une version latine je rencontrais dans le Gaffiot une phrase toute traduite Je me souviens de l poque o la mode tait aux chemises noires Je me souviens des postes gal ne Chacun de ces souvenirs n est qu une anecdote la r union improbable ressuscite une logique de l existence l coute de ce qui fut v cu dans le non sens du hasard et qui acquiert apr s coup une signification n cessaire Dans Les choses l num ration sert de forme privil gi e l entassement de tous les objets qui peuvent encombrer la vie d une soci t devenue riche Le roman sur le mode ironique cr par la r f rence Madame Bovary fait la chronique des ann es 60 ses go ts ses d sirs travers le regard d un jeune couple de psycho sociologues qui lisent L Express aiment le cin ma d sirent r ussir et r ussissent effectivement Ils ont trouv leur id al mat riel dans une riche ferme de l Est o ils faisaient une enqu te de marketing Dans la p nombre des greniers ils d couvraient d insoup onnables tr sors Dans les caves interminables les attendaient les foudres et les barriques les jarres pleines d huile et de miel les tonneaux de salaisons les jambons fum s au geni vre les tonnelets de marc Ils d ambulaient dans
5. s v tus de tabliers de cuir noir leur il unique prot g par un verre bleu serti dans du m tal martelant de leurs masses d airain des boucliers tincelants Il ne s agit plus alors de l immeuble balzacien mais bien plut t de celui de P trone dont l architecture a t repens e par Le Corbusier toutes les fonctions de la vie parpill es en surface sont alors empil es verticalement L espace l criture et la vision philosophique sont li s pour constituer un livre arch typique de la sensibilit contemporaine
6. Belaval avaient d j fait durant les d cennies pr c dentes Perec aimait dire son amour pour les dictionnaires dont il poss dait une soixantaine et le temps qu il passait les lire les scruter comme pour laisser en veil sa capacit d tonnement Comme bien des artistes modernes au sens o Baudelaire a marqu ce mot Perec ne cesse de doubler sa cr ation litt raire d une r flexion th orique sur sa propre pratique Ainsi est il assez lucide pour donner ce commentaire Les mots prescrits sont des mots lourds de sens et leur mission ne sera jamais que le pr texte de paraphrases et de m taphores obstin ment orient es De la m me fa on la forme qu il cultive par dessus tout l inventaire est une technique qu il r p te aussi bien dans un texte dramatique Je me souviens 1978 que dans des romans Les choses 1965 ou La vie mode d emploi 1978 Je me souviens est un long monologue constitu de 480 fragments num rot s syst matiquement crits en commen ant par je me souviens Les faits politiques culturels des souvenirs personnels graves ou loufoques d risoires ou tragiques tout est ainsi num r sans hi rarchie comme si la m moire se d livrait en vrac de tout ce qu elle contient et qui constitue le moi qui se souvient L num ration est une forme qui comme le collage semble renoncer l organisation de la mati re mentale esp ce de film sans queue ni t te
7. les buanderies sonores dans les soutes bois dans les soutes charbon dans les fruiteries o sur des claies superpos es s alignaient sans fin pommes et poires dans les laiteries aux odeurs sures o s amoncelaient les mottes de beurre frais glorieusement marqu es d une empreinte humide les bidons de lait les jattes de cr me fra che de fromage blanc de cancoillote Ils traversaient des tables des curies des ateliers des forges des hangars des fours o cuisaient d normes miches des silos gonfl s de sacs des garages De son livre Perec dit que cela raconte l histoire d un couple dans les ann es 60 C est l appel publicitaire pour des tas de choses qui emp chent de vivre d une mani re simple Moraliste narquois il termine son roman par une sc ne de bonheur moderne les deux h ros font un voyage luxueux en wagons lits les objets sont superbes la vaisselle lourde et riche mais le repas qu on leur servira sera franchement insipide Avec La vie mode d emploi Perec s affranchit de cette lecture critique de la modernit qui bovaryse Il entreprend une descente au c ur de l difice social et culturel et parvient une esp ce de r criture de Dante Un immeuble parisien est d crit en tous ses tages dans le d tail de sa construction et de ses habitants Un personnage central dont le nom fait signe la fois en direction de Val ry Larbaud et de Melville Bartlebooth a une activit qui est
8. lui qui demande des mots de moi c est moi qui arrache des mots de lui qui vole ses puissances Au centre de Voyages de l autre c t l adolescente marginale Naja Naja habite magiquement notre monde elle comprend qu on parle au mieux avec son corps surtout avec ses yeux et que les monuments des villes sont une condamnation du silence Elle est en rapport avec la mer et le soleil elle sait devenir invisible et entrer dans les sommeils des autres Pour l instant elle a disparu Pourtant on sent que Naja Naja n est pas loin et qu elle regarde Maintenant c est nous de raconter des histoires pas pour tuer le temps ni pour faire des bruits mais pour aller de l autre c t de tout Voyages de l autre c t utilise une criture focalisations multiples passant du je au il et au nous pour montrer la multiplicit et aussi la grande unit de l univers Ce livre est une cl de l volution ult rieure de Le Cl zio Lalla l h ro ne de D sert 1980 tient beaucoup de Naja Cette fillette descend des Hommes bleus du Rio de Oro dont la marche dans le d sert alterne dans le roman avec la marche de Lalla Apr s avoir d couvert l amour avec un berger muet Lalla va de la mis re de la ville marocaine la mis re plus grande de Marseille Elle y conna t toutes les conditions fille d h tel de passe ou cover girl c l bre Elle y demeure en exil C est pourquoi enceinte elle r
9. re de les d passer En style classique et facile Tournier reprend des mythes qu il modifie selon ses fantasmes personnels et l orientation de notre histoire Cet l ve de L vi Strauss a le sentiment qu il est n cessaire de nous r f rer aux origines pour ressourcer notre individu et notre civilisation N en 1924 Michel Tournier appartient une famille de catholiques de musiciens et de germanistes Il a t marqu par les traditions bibliques Il a constamment us de r f rences musicales fascin en particulier par L art de la fugue de J S Bach L vi Strauss dit que la structure musicale de la fugue a pris le relais de la litt rature quand celle ci a vacu le mythe en inventant le roman Tournier veut restituer cette structure dans le roman notamment dans Le roi des Aulnes avec ses inversions ses superpositions ses r p titions Et l image des crivains allemands il entend que le roman soit une mise en question la mani re du mythe Il se r clame de Thomas Mann et de Goethe Juste apr s la guerre il obtient d aller poursuivre ses tudes de philosophie Tubingen 1946 194 9 II choue l agr gation se d tourne de la carri re universitaire s oriente vers la radio jusqu en 1954 puis vers le journalisme et l dition enfin vers le roman aussit t salu par le succ s de Vendredi ou les limbes du Pacifique 1967 Tournier y renouvelle l image de Robinson con ue par Defoe comme une apologie m
10. e au nord En m me temps que l aversion il a ressenti une attirance pour la ville car elle est bond e de d tails microscopiques qu il se pla t observer et aussi imaginer travers le regard d un chien errant Il y a en effet chez Le Cl zio un don de rendre les moindres sensations comme les plus g n rales tant t celles du dedans du corps La fi vre 1965 tant t celles du galet ou du cosmos entier Le d luge 1966 Attir par les milliards de choses de la vie quotidienne l crivain l est forc ment par notre civilisation qui multiplie les signaux mais c est pour les rejeter Ses mots lui sont silence fourmi mouche araign e mer rocher criture Ses mots elle sont dict s par les Ma tres du langage publicit s lieux communs artifices Dans une lumi re aux rythmes angoissants ces mots attaquent l homme Le Cl zio les reproduit sur la page dans le d sordre dans lequel ils sont per us Ils peuvent provoquer la panique comme chez la jeune fille de La guerre 1970 La guerre a commenc Personne ne sait plus o ni comment mais elle a commenc Des photographies de roues d avions et de trains accompagnent ce livre Les mots peuvent aussi r ussir fermer le pi ge comme dans le supermarch Hyperpolis d crit dans Les g ants 1973 Les gens y sont comme l int rieur d un film ou d un livre ou d un estomac C est en vain qu on leur crie Lib rez vous Brisez les vitres
11. emps nulle puisqu ils sont rejet s de la toute puissance de la mati re prolif rante Retour aux origines avec les figures archa ques que Tournier met en sc ne r interpr tation mais en effet pas de conclusion cette mise en sc ne de fantasmes Pas de direction propos e sauf le retour l l mentaire qui semble en lui m me une thique Tournier montre l quivalence de figures apparemment inverses dans Gaspard Melchior et Balthasar 1980 et Gilles et Jeanne 1983 C est une reprise du personnage de Tiffauges du reste Tiffauges est le nom d un ch teau de Gilles de Rais scind entre ceux qui respectent l enfant les rois mages et celui qui les torture les sodomise et aussi les aime Ces uvres ont des caract res d ensemble Les voix y sont toujours diverses l auteur pr sentateur parle mais aussi directement les personnages comme H rode dans Gaspard Melchior et Balthasar ou bien des extraits de journaux sont donn s celui de Robinson celui de Tiffauges La fantaisie 1 humour blanc dont Tournier tire l exemple de Thomas Mann sont pr sents dans les passages m mes qui sembleraient le plus fix s par la tradition Ainsi un quatri me mage appara t dans Gaspard Melchior et Balthasar Son intention premi re tait loin de la mythique il voulait trouver la recette d un bon rahat loukoum Sa destin e le rejoint par ce dr le de biais Tournier choisit toujours des marginaux ou des perv
12. entre Regent s Street et le Belv d re etc La signification de ces jeux a priori formels enrichis par les techniques contemporaines et en g n ral la pens e math maticienne est li e une conception po tique et m taphysique du langage o l homme est en son essence Comme certaines civilisations qui bannissent les mots d signant les dieux ou les morts ou la sexualit et qui pratiquent la liponymie sans le savoir le po te s interdit certaines lettres ce qui l oblige une incessante recherche pour nommer par la paraphrase la m taphore le d tour et l allusion ce que la r gle a priori a banni le signe imm diat C est en ce sens que l on peut comprendre le paradoxe de Perec renouvelant les g nes exquises de Val ry Au fond je me donne des r gles pour tre enti rement libre La libert est conquise par une asc se rendue n cessaire par la r gle fix e qui interdisant une parole naturelle et imm diate oblige une r flexion critique sur ce qui veut tre nomm Comme l artiste peintre qui subit le support sur lequel il doit peindre et qui est d fini par les contraintes architecturales par exemple 1l faut alors inventer de nouvelles techniques pour composer les couleurs et appliquer la peinture Cet effort est l origine de l apparition d une beaut nouvelle due ces contraintes Les oulipiens ont retrouv cette le on ancienne ce que Jean Paulhan Francis Ponge et le philosophe
13. ers polymorphes comme personnages qui parviennent se confondre avec l univers Il montre son d sir d un monde androgyne avec des couples masculins il ne fait pas myst re de son homosexualit Robinson Vendredi Tiffauges Ephraim les jumeaux La seule h ro ne qui paraisse dans un titre est Jeanne d Arc elle m me vue comme une adolescente caract re viril Cet androgynat choue dans la vie Mais les fragments du monde multiple sont r difi s passag rement en une totalit par l imagination Les images fascinent et en m me temps elles ont un pouvoir d vastateur une nouvelle du recueil Le coq de bruy re 1978 Les suaires de V ronique les montre comme tuant ceux dont elles absorbent les traits Michel Tournier est un passionn de la photographie sur laquelle il a crit une sorte de trait g n ral Des clefs et des serrures 1979 Il a consacr des tudes deux photographes antinomiques le clair Boubat Vues de dos et l ambigu Tress R ves C est avec l image que le roman La Goutte d or 1985 entretient des rapports conflictuels Le jeune Berb re Idriss est photographi au Sahara par une blonde incendiaire et donc selon les croyances de son milieu vampiris par cette photographie qu il va tenter de retrouver jusqu Paris Barbes Il conna tra ainsi toutes les impostures de notre civilisation du para tre photos d identit cin ma t l vision et le sort mis rable de ses compatriotes mi
14. evient au d sert rejoignant la route de ses anc tres Elle accouche selon le rythme de la mer Ce roman est celui d un art de vivre que Le Cl zio avait affirm en traduisant en 1976 le livre sacr maya Les proph ties du Chilam Balam et en publiant en 1978 des contes Mondo et autres histoires Apr s D sert le Journal du chercheur d or 1985 est une sorte de roman d aventures la fa on de Jules Verne dans un paysage d sertique Elles se terminent par l chec de la qu te ext rieure et l arriv e la v rit une qu te de soi m me au grand soleil Avec les nouvelles Printemps et autres saisons 1989 Le Cl zio voque cinq femmes qui figurent la fragilit et la bizarrerie de l amour et le travail trange de la m moire qui tant t fait s arr ter la vie sur un moment br lant Le temps ne passe pas tant t fait se rejoindre des moments s par s par dix huit ans Fascination Tout int gr e qu elle soit la vie moderne l h ro ne de Printemps a des caract res de Naja Avec le ciel je sais m amuser Je joue dispara tre Je choisis quand je vais revenir Dix ans vingt ans apr s Je suis all e comme cela tr s loin de l autre c t de la mer Le roman Onitsha 1991 r sonance autobiographique dit l aventure du petit gar on Fintan qui douze ans s embarque avec sa m re pour aller rejoindre son p re dans un petit port sur le Niger Ni la m re ni le p re de Fintan ne r a
15. gr s C est un calligraphe qui le sauve de l addition confuse et discordante des significations de l image Qui sait d chiffrer les signes est sauv du chaos et de l rosion qui sont le propre de notre civilisation belle affirmation que l crivain est n cessaire aux hommes Jean Marie Gustave Le Cl zio n en 1940 Dans la premi re partie de l uvre de Le Cl zio n Nice qu il per oit comme une sorte de Paris mal fait c est la soci t qui est mise en question Le h ros de son premier livre Le proc s verbal est un marginal habitant une maison elle m me en marge de la ville Adam Pollo la fois homme et soleil A Pollo en vient ne plus reconna tre la terre que comme une esp ce de chaos menac par une catastrophe Pour se rassurer il dessine le soleil et il tablit avec lui une relation tr s fragile En fait la ville voisine est pr sente tout au long du roman comme une force r ductrice dont Adam cherche en vain se lib rer On tait en train de tresser un r seau inextricable autour de la plan te On la quadrillait m thodiquement en prolongeant les lignes xx yy zz Et on contr lait chaque carr Ainsi morcel le monde devenu g om trique perd tout caract re naturel La mer par exemple devient comme un mur de ciment Adam qui nous est d abord pr sent sur une terrasse au soleil est ensuite sous la pluie enfin on l interne dans une cellule d asile psychiatrique situ
16. interventions personnelles Hadrien une p riode de transition dans l histoire romaine repr sente encore la foi en la raison humaine et en l action Il conna t toutefois plusieurs preuves qui le rapprochent des mentalit s d j plus inqui tes de l poque les incertitudes de la succession de Trajan le suicide d Antinous la r volte de Palestine qui l am ne douter de l avenir de la civilisation laquelle il appartient la maladie et le doute devant l branlement de tout Mais la patience l emporte enfin Hadrien continue de croire la sagesse humaine avec un optimisme lucidement temp r par le d sespoir Apr s la parution des Carnets de notes de M moires d Hadrien en 1952 M Yourcenar crit Qui n a pas son Minotaure dit en 1963 Th s e est ici l oppos de l empereur vou la connaissance de soi et la lucidit D risoire et m diocre il est celui qui se trompe sur son identit et sur le sens de son destin La grande tape suivante est la composition de L Oeuvre au Noir en 1964 1965 partir d l ments r dig s depuis 1956 D s le projet de 1921 M Yourcenar s tait pench e sur des documents concernant sa famille Elle s est galement appuy e sur la r impression moderne d un ouvrage ancien sur les troubles des Pays Bas Z non n en 1510 est homme de mi XVIe si cle Il est comparable Hadrien pour l intelligence mais l h ritage chr tien le rend tranger au sentiment grec du bonhe
17. isme Les personnages de la Rome moderne y sont li s au mythe grec Marcella est Ph dre et N m sis Massimo Thanatos Marinuzzi Dionysos Cet aspect est att nu dans la seconde version mais le mythe reste consid r comme une approche de l universel Feux en 1935 pr sente divers aspects de la passion de la flamme charnelle l ardeur spirituelle Mythe et r alit continuent d tre m l s dans Nouvelles orientales 1938 o les r cits extr me orientaux ou hindous voisinent avec les nouvelles situ es en Gr ce ou dans les Balkans La m me ann e Les songes et les sorts commentent des r ves faits par l auteur mais sans r f rence la psychanalyse freudienne Pour M Yourcenar le r ve est un mode de communication avec l au del de la vie et il est li la destin e individuelle voqu e par le terme de sort au sens de lot chu quelqu un En 1937 M Yourcenar rencontre Grace Frick qui deviendra sa compagne Apr s un premier s jour aux Etats Unis elle crit Le coup de gr ce Capri en 1938 L histoire situ e en 1918 1919 est crite dans un style proche de celui d Alexis Eric von Lhomond ex commandant d un corps franc pendant la lutte anti bolchevique en Courlande figure une sorte de refus de la vie Face la dissolution de l ordre ancien qui le guidait il se forge un id al de camaraderie militaire l gard de son cousin Conrad Quant au personnage de Sophie il incarne selon l auteur
18. la fable de l artiste selon Perec durant une longue partie de sa vie il visite tous les ports du monde des ports baltes et des ports lettons des ports malgaches des ports chinois des ports texans des ports pirogue des ports gondoles les peint en de petites aquarelles fait transformer ses tableaux en puzzles qu il reconstruit et puis finalement d truit Bartlebooth l ve une dimension mons trueuse la culture du divertissement dont il est l inventeur et l organisateur Le miroir promen au bord de la route dont parlait Stendhal renvoie une image bris e que le lecteur doit reconstituer en un effort aussi subtil que vain L urbanisme vertical donne Perec l occasion d imaginer la vie souterraine sur laquelle est assise la vie visible de la cit les galeries les gaines d a ration les soutes les hangars des usines de gigantesques silos toute une vie conomique dont le dernier niveau le dernier cercle de l Enfer contient les esclaves les cloportes et la dimension plutonienne de l homme Et tout en bas un monde de cavernes aux parois couvertes de suie un monde de cloaques et de bourbiers un monde de larves et de b tes avec des tres sans yeux tra nant des carcasses d animaux et des monstres d moniaques corps d oiseau de porc ou de poisson et des cadavres s ch s squelettes rev tus d une peau jaun tre fig s dans une pose de vivants et des forges peupl es de Cyclopes h b t
19. liseront leur r ve Maou la m re ne trouvera pas la libert dans l amour Geffroy ne reconstituera pas le royaume mythique de la reine Arsino Mais Fintan travers des violences et des rejets fera la connaissante d une Afrique qu il n avait pas imagin e un pays o la l gende est encore vivante o le temps s coule lentement sur un rythme cosmique o les gens sont accord s un monde traditionnel Une femme sauvage et muette Oya est une figure typique de la terre m re Des Hommes bleus de D sert Arsino l horizon l gendaire est donn au lecteur comme une route vers la s r nit Marguerite Yourcenar 1903 1987 Pseudonyme de Marguerite de Crayencour L criture de Marguerite Yourcenar est une recherche permanente de l exactitude qui excelle faire entendre la voix propre des personnages voqu s Sa m re morte peu apr s sa naissance M Yourcenar est lev e par son p re et passe son enfance dans le Nord au Mont Noir avec des s jours Bruxelles et en Hollande puis Paris en 1912 1913 Au d but de la Premi re Guerre elle r side un an pr s de Londres avec son p re avant de rester dans le Midi de 1917 1922 Pendant ces ann es elle suit des tudes priv es visite les mus es et lit beaucoup souvent avec son p re Elle d couvre ainsi Chateaubriand le Maeterlinck du Tr sor des humbles qui lui donne le go t du mysticisme le Barr s de La colline inspir e qui m le r alit paysanne e
20. orale du courage et du travail Le titre m me le montre c est Vendredi qui est le personnage principal Sans lui dans l le de Speranza Robinson demeurerait dans les limbes pas mort mais cru mort par les autres c est dire aux confins de la vie Quand Robinson rescap se regarde au miroir qu il a sauv du vaisseau il se voit d figur Il comprit que notre visage est cette partie de notre chair que mod le et remod le r chauffe et anime sans cesse la pr sence de nos semblables Il s avise alors que son chien Tenn sourit et ce lui est longtemps un r confort ce sourire se refl tait de jour en jour plus distinctement sur le visage humain de son ma tre La venue de Vendredi instaure des rapports non de domination mais d galit Robinson rase sa barbe et se voit jeune comme un fr re de cet homme qui d truit tout ce qui avait pu tre sauv du navire et m me les provisions de Robinson Celui ci apprend du coup le peu d importance de la civilisation et de la gestion du temps C est le renversement du mythe habituel Un navire vient Vendredi s en va mais le mousse de douze ans s est r fugi sur l le et permet Robinson de rester dans une jeunesse inalt rable une extase solaire avec l enfant rebaptis Jeudi En 1970 Le roi des Aulnes reprend cette fois les mythes de l Ogre et de saint Christophe en les situant dans l histoire r cente Apr s avoir vu br ler son coll ge
21. stin e de l individu C est l poque o M Yourcenar est lue l Acad mie fran aise 1980 Apr s la mort de G Frick en 1979 elle recommence voyager publie de nouveaux essais et continue de lutter pour l environnement pour les droits des femmes contre le racisme Georges Perec 1936 1982 Georges Perec occupe une place particuli re dans la litt rature contemporaine son humour son sens du canular litt raire ne l enferment pas dans le jeu d adresse Il poss de une vision de la modernit et une sensibilit po tique qui lui permettent de voir derri re les accidents de la vie autant de signes donnant certains de ses textes une dimension fantastique Avec Raymond Queneau il est l origine du mouvement oulipien Ce mot est forg partir des premi res syllabes de l Ouvroir de Litt rature Potentielle Il s agissait de d finir de nouvelles formes capables de g n rer des textes litt raires au sens o la Grande Rh torique avait jadis propos les innombrables formes fixes de l criture po tique Ainsi le lipogramme est un ouvrage o il manque syst matiquement une lettre ou plusieurs Georges Perec crit avec La disparition 1969 roman d o est exclue la lettre e le plus long lipogramme de la litt rature l oppos le jeu peut imposer de n utiliser que le e comme unique voyelle Dans Les revenentes 1972 il remplit ce dernier contrat H l ne cr che chez Estelle pr s de New Helmstedt Street
22. t monde invisible Elle appr cie particuli rement les po tes de la Renaissance et du XVII si cle les po tes anglais m taphysiques les Italiens du Moyen Age Elle aime le m lange de lucidit et de l g ret de Nietzsche dans Le gai savoir et Humain trop humain Ce n est que plus tard qu elle s int resse Proust et la litt rature europ enne du XX si cle D s 1922 p riode o elle publie deux premiers livres plus ou moins d savou s depuis elle projette d crire l histoire de plusieurs familles dans un livre qui s intitulerait Remous e Il y a l des l ments repris dans La mort conduit l attelage 1934 le germe de L uvre au Noir et l annonce du Labyrinthe du monde En 1932 elle publie une biographie de Pindare qu elle juge un peu h tive Mais en 1927 1928 elle compose Alexis ou le trait du vain combat Si le titre et l intrigue l amour homosexuel d un jeune musicien qui abandonne sa femme et son jeune fils ont un son gidien c est au Rilke des Cahiers de Malte Laurids Brigge que M Yourcenar se r f re plus volontiers en parlant du livre En 1929 son p re meurt et elle tente alors de r cup rer une part de l h ritage maternel Apr s La Nouvelle Eurydice livre qu elle juge rat des po mes et un drame inspir du Purgatoire de Dante elle crit Denier du r ve en 1932 1933 Le livre est nourri par le s jour de l auteur en Italie en 1922 s jour au cours duquel elle d couvre les menaces r elles du fasc
23. une forme de g n rosit l mentaire au sens propre En 1939 Ath nes M Yourcenar traduit le po te grec moderne Constantin Cavafy puis en 1940 elle rejoint G Frick aux Etats Unis o elle enseigne jusqu en 1949 En 1950 elle ach te avec son amie la maison qu elle occupera d sormais dans l le des Monts D serts Maine Elle publie des articles donne des conf rences crit les po mes qui en 1956 constituent Les charit s d Alcippe et compose deux drames Electre ou la Chute des masques et Le myst re d Alcippe o l attitude du sage Hercule contre la mort annonce les m ditations d Hadrien et de Z non En 1943 La petite sir ne esp ce de libretto lyrique inspir du conte d Andersen marque selon M Yourcenar le passage d u vres centr es sur l humain des uvres o l homme se meut sur fond d universel C est aussi l poque o M Yourcenar commence traduire des negro spirituals travail qui aboutit Fleuve profond sombre rivi re en 1969 Elle entreprend galement des traductions grecques r unies en 1979 dans La couronne et la lyre Puis fin 1948 M Yourcenar retrouve des fragments d une troisi me version des M moires d Hadrien datant de 1937 1938 Le livre est alors repris et l auteur selon son habitude compl te sa documentation sur l empereur romain L oeuvre de Dion Cas sius est une de ses sources Ce souci de pr cision historique traduit l intention de laisser parler le personnage sans d inutiles
24. ur et de la vie Il juge lui la condition humaine trop vile et aspire la transcender Il n a pas non plus comme Hadrien conscience d avoir se forger un destin historique Habit par le d sir du d passement et de l asc se Z non a galement une voix plus tendue et tranchante que l empereur Enfin il choisit de rejeter les normes et les vidences de son temps et opte pour un scepticisme radical Pour M Yourcenar qui ne fait toutefois l qu essayer de deviner ce que son personnage vivant a pu prouver Z non conna t l uvre au Noir dans la dissolution des pr jug s Lorsqu il renonce ses ambitions et se fait m decin des pauvres il atteint l uvre au Blanc de purification et de service Enfin lors de son suicide en prison ses visions aboutissent une image all gorique de l uvre au Rouge Le Prieur des Cordeliers pour l auteur repr sente une voie oppos e puisque mystique et religieuse celle de Z non mais compl mentaire et finalement analogue Enfin Souvenirs pieux Archives du Nord Quoi l ternit de 1974 1988 sont les trois volets du Labyrinthe du monde Le dessein de l auteur n est pas autobiographique Il s agit plut t d avancer du pr sent vers le pass pour remonter l Homme La chronique familiale est donc consid r e sans affabulation romanesque avec une grande attention aux choix qui d apr s les documents consult s et le contexte historique connu ont pu pr sider la de
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