Dispositifs textuels et persuasion clandestine
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1. une poque donn e A propos de l aphorisme Nietzsche crit dans La g n alogie de la morale Dans d autres cas la forme aphoristique de mes crits offre une certaine difficult mais elle vient de ce qu aujourd hui l on ne prend pas cette forme assez au s rieux Un aphorisme dont la fonte et la frappe sont ce qu elles doivent tre n est pas encore d chiffr parce qu on l a lu il s en faut de beaucoup car l interpr tation ne fait que commencer et il y a un art de l interpr tation p 20 coll Id es 1964 Le texte philosophique pose la question de l effet recherch s agit il de d montrer d instruire de communique un savoir d emporter la conviction Que peut faire un philosophe qui voudrait s adresser un lecteur moyen peu habitu la fr quentation de la rh torique philosophique Si on consid re que tout texte philosophique transporte avec lui camoufl e une voix qui veut convaincre le lecteur de le suivre dans sa recherche de v rit des ruses sont possibles Citons celles qu Eco expose propos de Wittgenstein se servant du pronom je mais qui n est pas l tre empirique et tutoyant son lecteur Consid re par exemple le processus que nous appelons jeux Je veux dire jeux d chec jeux de cartes jeux de ballons courses sportives et ainsi de suite Qu y a t il de commun tous ces jeux Ne dis pas il doit y avoir quelque chose de commun tous sinon2. r ver la lecture de textes d information ou travailler ardemment sur des textes vis e esth tique Textes et tension interne externe 6 Publicit parue dans le journal e Monde du 27 novembre 1996 Par gard pour notre lecteur nous ne reproduisons pas d autres d tails qui risquent de choquer sa sensibilit Etudes de linguistique appliqu e 119 coord par F Cicurel juil sept 2000 Le concept de tension permet R Bouchard 1985 de distinguer deux grandes cat gories de discours la premi re dite tension externe est fortement d termin e par une n cessit ext rieure au texte Le lecteur doit lire en raison d une activit communicationnelle d j amorc e lire pour prendre un train v rifier une date se servir d un appareil etc La lecture est motiv e par le d sir de voir aboutir la r solution d un tat de tension Les discours tension externe apparaissant au lecteur au moment d un v nement de communication dans lequel il se trouve engag il n est nul besoin de motiver la lecture Le lecteur est s rieusement pouss par la n cessit de s orienter dans l espace d acheter de vendre d entrer en contact avec quelqu un L usage du texte est ici une cartographie pour l usage du monde C est le lecteur qui est sous tension la lecture est alors suppos e r duire cette tension puisqu elle lui permet d accomplir l action projet e ou d acqu rir un savoir dont il estime avoir le b
3. De quelle mani re le lecteur apprenant qui lit dans une langue autre que sa langue maternelle se reconna t 1l dans le lecteur mod le construit par les textes lire en situation p dagogique re oit 1l ces textes comme des textes qui lui sont adress s ou bien l espace p dagogique a t il pour effet de le tenir distance en raison du d calage dans les modes de r ception le temps de la lecture la mani re de les lire En classe de langue on accompagne in vitablement la lecture de consignes on est tent d assigner un sens au texte il faut mesurer la compr hension Sans doute ces op rations qui ne sont pas celles qui accompagnent une lecture ordinaire sont elles n cessaires pour apprendre lire mais 1l importe de ne pas perdre de vue que la lecture impos e n est qu une tape pour devenir un vrai lecteur Une didactique des textes peut aussi mettre en place une probl matique qui prend en compte la fa on dont les dispositifs textuels sont per us l effet perlocutoire des discours les attitudes du lecteur que peut encourager l interaction didactique Pour d cloisonner la lecture en classe et l articuler avec des situations de lecture plus authentiques on sugg re de Prendre le dispositif paratextuel comme ce qui est susceptible d aider la compr hension les m thodologies de l enseignement de la lecture ont mis en place un appareillage p dagogique tr s riche depuis le milieu des an
4. lecteur de litt rature nous nous trouvons devant des formes multiples d imposition lire Un promeneur sait qu un jardin public comporte un r glement affich son entr e personne ne l oblige le lire mais en cas de non respect des r gles le contrevenant sera renvoy ces r gles qu il est suppos conna tre Dans le pr sent article seront recherch s les points d quilibre entre des traces d imposition un dire comment lire transmis par le texte et des pratiques de lecture effectu es par un lecteur toujours susceptible d inventer son propre mode de lecture Le texte contient implicitement ou explicitement son mode d emploi mais le hors texte la situation de lecture l identit du lecteur peuvent imprimer au texte un sens autre ne serait ce que dans ces situations bien connues de lecture en classe pendant lesquelles les textes sont arrach s leur contexte leur pratique originaire et sont livr s aux l ves pour en faire un usage autre apprendre un code tranger par exemple C est du r le du lecteur dans la r ception du texte qu il sera ici question REMARQUES LIMINAIRES 1 Les tudes sur la r ception du texte qui se sont d velopp es abondamment ces derni res ann es dans le champ de la philosophie celui de l esth tique de l histoire ou de la psychologie cognitive consid rent la lecture comme un acte part enti re Les variations des modes de lecture lecture voix haute
5. lecteur peut choisir de ne pas interrompre le fil de sa lecture et les lire toutes en m me temps apr s ou avant la lecture du texte lui m me Remarquons que le mode d organisation des notes est mettre en relation avec le genre d un texte Ce sont les textes d rudition qui en sont le plus pourvus l auteur y donne des informations sur ses sources pr cise le sens d un terme apporte une nuance etc La fonction du p ritexte Il assure comme le dit Genette la pr sence au monde du texte il oriente le lecteur lui permettant d avoir un acc s facilit ou au contraire plus savant du texte Mais l usage qui est fait de ces l ments transitionnels reste tudier en fonction du lecteur ou du type de textes Le titre d un article de journal est ce qui saute aux yeux mais c est aussi ce qui est tout de suite oubli Le contenu g n ral sera peut tre engrang en m moire mais certainement pas les termes du titre De m me pour le lecteur occasionnel d un hebdomadaire la signature d un article ne signifie rien ou presque alors que pour le lecteur plus sp cialiste elle constitue un crit re qui permet d tayer le jugement Ainsi si tel critique musical est le plus souvent enclin juger n gativement les oeuvres le lecteur qui le sait ne sera pas tent de dire le spectacle est mauvais mais X juge que le spectacle est mauvais Distinction qui risque d tre n glig e par un lecteur de journal qui oublier
6. LIRE Les signalisations paratextuelles semblent ne pas faire partie du contenu du texte mais tre plut t son habillage ornements peut tre facultatifs et auxquels le lecteur croit qu il ne pr te pas attention Or ces marques inscrivent le lecteur l int rieur du texte dans la mesure o elles sont une instruction de lecture qui lui est destin e de telle sorte que l on peut parler d une voix textuelle sourde voix qui dirait son lecteur voici comment je me nomme voici l ordre des mes parties voici ce qui est important Ces mots d ordre constituent une incitation lire d une certaine mani re D abord tout simplement dans l ordre lin aire o le texte est donn ensuite selon une hi rarchie introduite par le jeu de la machinerie typographique selon l expression de Chartier Un mot imprim en caract res gras ou en italique attire l attention que le lecteur le veuille ou non l usage d une parenth se ou d un tiret introduise une hi rarchie entre les s quences et des effets de lecture concomitants Pour capter son lectorat la presse populaire use abondamment de stratag mes tels les gros titres l abondance des photos la simplicit du texte Tout l oppos est le texte d rudition avec ses caract res serr s ses notes et ses r f rences abondantes son index ses indications bibliographiques Titres notes pr faces sommaire illustrations etc constituent un ensemble de fragments verbaux ou ico
7. on ne les appellerait pas jeux mais regarde s il y a quelque chose de commun tous L Wittgenstein Investigations philosophiques cit par Eco p 76 10 Un honn te homme crit Descartes au d but de son Dialogue de la recherche de la v rit par la lumi re naturelle n est pas oblig d avoir lu tous les livres ni d avoir appris soigneusement tout ce qui s enseigne dans les coles dans Oeuvres philosophiques II Classiques Garnier Etudes de linguistique appliqu e 119 coord par F Cicurel juil sept 2000 Moyens que Eco qualifie de pures strat gies textuelles le lecteur n est convoqu que par sa capacit accomplir des op rations conceptuelles C est ce que Eco appelle aussi le style philosophique de Wittgenstein Le choix du genre philosophique s tablit 1l en fonction d un lecteur mod le comme le sugg reraient les propositions de Eco ou est ce pour d autres motifs que le texte philosophique s incarne dans une forme donn e Certains genres seraient ils plus faciles ou plus adapt s un type de lecteur comme le dialogue par exemple qui met en sc ne une pol mique permettant au lecteur de suivre l argumentation ou le d bat d id es travers des personnages fictifs Mais rien ne prouve que la structure d change ait un effet facilitateur sur la lecture voir sur ces questions l entretien avec Cossutta dans ce num ro On est tent de penser que tout texte phi
8. Etudes de linguistique appliqu e 119 coord par F Cicurel juil sept 2000 DISPOSITIFS TEXTUELS ET PERSUASION CLANDESTINE R sum Si l on consid re notre pratique quotidienne de lecture force est de constater que les textes rencontr s ont pour vis e essentielle de nous faire faire On se demande si derri re chaque type de texte il n existe pas de fa on plus ou moins implicite une machinerie textuelle destin e conqu rir le lecteur Dans l ordre de la pragmatique faire faire faire savoir faire ressentir apparaissent comme tant les trois grands ressorts qui articulent la relation entre le texte et le lecteur On envisage dans cet article la fa on dont un texte cherche faire effet sur un lecteur qui peut aussi inventer des strat gies pour lire autrement d jouant l ordre du texte Tout texte arrive devant le lecteur contemporain muni d une pr sentation de soi Par la disposition sur le support par la division en parties par la hi rarchie entre les l ments caract res typographiques paragraphes par le lieu de rencontre avec le lecteur un comptoir ou une biblioth que l auteur ou l diteur indique quel usage il convient de faire du texte De la naissance la mort inscription obligatoire l tat civil l cole d une sph re d activit l autre domaine professionnel sph re des loisirs etc d un r le l autre voyageur consommateur l ve professionnel
9. ait qu entre les v nements et le r el il y a la m diation langagi re et axiologique d un scripteur jugeant selon une chelle de valeurs qui lui est propre voir Dufays 1994 Les marques paratextuelles sont fortement pr sentes dans un contexte p dagogique d enseignement apprentissage de la lecture en langue trang re depuis le milieu des ann es 70 la didactique de la lecture en fran ais langue trang re notamment donne des indications sur ce que peuvent apporter ces l ments visuels porteurs de nombreuses informations int gr es par le lecteur dit entra n au moment de la d couverte du texte et tout au long de la lecture puisqu elles permettent la fabrication d hypoth ses sur le sens 2 VARI T S DES USAGES D UN TEXTE Il suffit d observer notre propre pratique de lecture pour constater que nous mettons en place des usages diversifi s d un texte l tudier le parcourir des yeux en relire des passages n en lire qu une partie La situation l objectif poursuivi le type de textes la 3 Un domaine de recherches explorer est celui de la diversification du paratexte selon les cultures ou les traditions ditoriales On pourrait voir ensuite de quelle mani re une p dagogie de la lecture peut s appuyer sur ces tudes 4 Voir les travaux de S Moirand sur l image du texte C est bien de paratexte qu il s agit lorsqu on demande aux apprentis lecteurs de s appuyer sur le titre le chapeau la dispo
10. cilite le lien entre le texte et le lecteur Les diverses mentions paratextuelles donnent des indications sur l origine du texte et la mani re dont il doit se donner lire Les parties du texte sont hi rarchis es essentiellement par le biais de la typographie Hauteur des lettres capitales gras italique permettent d introduire des variations qui ont un effet sur la r ception du texte Le texte est un ordre ordre spatio temporel des phrases et des paragraphes il est aussi ordre de lire selon des instructions contenues dans et autour du texte 3 A l int rieur du paratexte G Genette distingue le p ritexte qui est sur le m me support que le texte et l pitexte imprim da fa on s par e Le p ritexte rel ve en partie de la fonction ditoriale page de titres pr faces d diteur date d dition quatri me de couverture Pour un m me texte l appareil ditorial peut changer avec l poque La machinerie paratextuelle produit des effets qui conduisent le lecteur suivre un protocole de lecteur Il convient de distinguer ce qui rel ve de l diteur et ce qui revient l auteur Mise en texte et mise en livre usent de moyens diff rents Un ensemble de dispositifs textuels rel vent plus sp cifiquement de l criture de l auteur fa on de s adresser au lecteur et parfois de le mentionner explicitement volont de le convaincre de lui faire croire de garder son attention etc 1 LE PARATEXTE UN DIRE COMMENT
11. e artistique philosophique scientifique suscitent cette lecture d sint ress e Peut on dire que l on chappe alors l attitude incitative et injonctive des textes vocation fonctionnelle et qu ainsi est trac e la ligne de partage entre une lecture savante ou esth tique et une lecture pratique 3 LES RUSES DU TEXTE Les textes tension interne seraient ils v ritablement l abri de tout mot d ordre donn au lecteur Tout texte ne cherche t 1l pas sous une forme ou une autre avoir une action un effet comment disent certains th oriciens du texte sur le lecteur Et ceci de mani re plus implicite plus subtile que les textes du premier genre Bourdieu dans un entretien avec Chartier nonce qu il existe une symbolique du graphique Chartier 1993 tout texte imprim a la possibilit d indiquer au lecteur par un ensemble de signaux ce qu il juge important Capitales italiques guillemets chaque signe de ponctuation agissant sa mani re constituent un dispositif destin e manipuler la r ception du texte Le protocole de lecture peut tre inscrit dans le texte ainsi la division en chapitres en sc nes l existence d un prologue sont des instructions quant la mani re de lire mais les ruses du texte peuvent tre bien plus vari es Nous en voyons quelques exemples 7 Susciter la lecture partir de la mise en v nement d un fait est un des stratag mes de la presse
12. er le faire ressentir 11 lui dit lis moi jusqu la fin aime moi souffre ris La communication esth tique vise entre autres faire na tre des motions Le texte litt raire existe parce que le lecteur l prouve Voyons un exemple d un effet obtenu ou recherch dans un contexte particuli rement poignant Varsovie le 28 avril 1943 Moi Yossel fils de David Rakover disciple du Rabbi de Ger et descendant des justes sages et vertueux des familles Rakover et Meisls j cris ces lignes dan le ghetto de Varsovie en flammes La maison o je me trouve est l une des derni res qui ne br lent pas encore Depuis quelques heures d j nous sommes sous le feu roulant d artillerie Autour de moi les murs clatent et s croulent avec fracas sous la gr le d obus Dans peu de temps cette maison elle aussi deviendra comme presque toutes celles du ghetto le tombeau de ses d fenseurs et de ses habitants Zvi Kolitz Yossel Rakover s adresse Dieu Maren Sell Calmann L vy 1999 Il s agit du d but d un r cit intitul Yossel Rakover s adresse Dieu ultime confession d un homme mur dans le ghetto de Varsovie et qui n a plus que quelques heures vivre Tant fut grande la force de conviction de cet incipit et du r cit que le texte crit Buenos Aires par un journaliste dans les ann es 50 fut pris pendant plusieurs ann es pour un t moignage Or il s agissait d une fiction Peut on parler de manipulatio
13. esoin Les textes n ont pas besoin d tre construits autrement que de mani re faciliter la recherche d informations n cessaires au lecteur Ils comportent g n ralement un important paratexte destin faciliter la lecture Les discours documentaires dictionnaires ouvrages de r f rence manuels font partie de cette cat gorie de discours Les discours dits tension interne largement repr sent s par les textes narratifs doivent susciter l int r t du lecteur de l int rieur Tension entre attente et surprise tel est le plaisir du texte d crit par Barthes Le texte qui r ussit son effet est celui qui parvient garder l int r t d un lecteur voulant savoir ce qui va se passer Les textes tension interne surtout constitu s par les r cits litt raires ou journalistiques doivent trouver le moyen d int resser le lecteur qui n a pas de besoin fonctionnel le poussant lire ce texte plut t qu un autre Nulle action n est conditionn e par cette lecture La narration n est pas une chronologie d v nements juxtapos s mais elle met le discours en tension jusqu la r solution correspondante Bouchard 1985 p 308 C est la transformation inscrite dans le texte qui constitue un facteur de tension lui tout seul La lecture devient son propre but On dira que enfin voil une vraie lecture une lecture noble Les textes fondateurs ceux qui appartiennent au patrimoin
14. ffaire du sang contamin etc parce que ne sont pas connus les fondements scientifiques qui ont provoqu ces effets nocifs pour la sant du citoyen on constate que le journaliste y compris dans la presse dite s rieuse modifie son objet de discours et traite alors comme le montre S Moirand 1999 de ce qui dans l v nement est plus accessible comme la question du risque celle de la transparence ou de la culpabilit des agents impliqu s Les effets recherch s selon le type de presse sont divers indigner le lecteur dans une presse populaire le pr venir l informer dans la presse d lite Les textes vis e didactique qui paraissent dans la presse ont ils pour vis e principale d instruire le lecteur de lui apprendre des faits nouveaux de l habituer des modes de raisonnements propres la recherche scientifique Il semble plut t comme l ont montr Mouillaud et T tu 1989 et Moirand que le texte didacto journalistique serve l gitimer la parole du journaliste contribuant donner au lecteur des garanties quant la fid lit de l information ou au s rieux du journal Ils n ont pas pour vis e le seul d sir d informer 11 Voir les Carnets du CEDISCOR 1 et 2 Presses de la Sorbonne nouvelle 12 Les travaux du CEDISCOR dans le cadre du programme M dias et soci t ont port sur cette question Etudes de linguistique appliqu e 119 coord par F Cicurel juil sept 2000
15. herche autant plaire capter son lecteur qu l informer Cette classification des crits ordinaires est certes approximative et incompl te mais elle fait appara tre n anmoins qu une collecte de textes constitu e de fa on empirique dans la sph re de l activit quotidienne d un usager le met face une quantit de textes qui cherche manipuler la r ception la plupart des textes que nous rencontrons quotidiennement veulent avoir sur nous un effet persuasif On peut m me dire qu ils n ont souvent pas d autre raison d tre que de pousser un usager lecteur l action Outre le faire faire qui r git l action et le faire savoir qui se situe dans l ordre du cognitif une troisi me vis e dans l ordre du passionnel constitue un important ressort pragmatique Faire ressentir qui pr tend agir sur nos affects d clencher le plaisir permettre l vasion est entre autres l effet recherch par les textes vis e esth tique mais cette intention est galement manifeste dans d autres textes par exemple dans le texte publicitaire qui se sert de la capacit s mouvoir du lecteur pour le convaincre Telle cette r clame faite par la soci t nationale pour la d fense des animaux Le titre en est Les oies et les canards sont victimes d un atroce gavage pour la production du foie gras le slogan Joie gras NON merci et dans le texte on lit Pendant la p riode de gavage les oies et les cana
16. ils ditions du Seuil ISER W 1985 trad fr L acte de lecture th orie de l effet esth tique Mardaga MOIRAND S S 1979 Situations d crit CLE international MOIRAND 5 1999 Les indices dialogiques de contextualisation dans les discours sur la science de la presse ordinaire Cahiers de prax matique S mantique de l intertexte MOUILLAUD M et T TU J F 1989 Le journal quotidien Lyon Presses universitaires de Lyon RICOEUR P 1985 Temps et r cit 3 Coll Points Consulter Les Carnets du CEDISCOR 1 1993 Un lieu d inscription de la didacticit les tremblements de terre Presses de la Sorbonne nouvelle Les Carnets du CEDISCOR 2 1994 coord par Cicurel Lebre Petiot Discours d enseignement et discours m diatique Pour une recherche de la didacticit Presses de la Sorbonne nouvelle 13 Jos Saramago dans son roman Histoire du si ge de Lisbonne raconte comment un correcteur d dition s avise de remplacer un oui par un non introduit dans un texte historique qui a vocation relater ce qui s est pass l al atoire et la fantaisie parabole de ce qu est un texte fiction entre vrai et imaginaire 11 Etudes de linguistique appliqu e 119 coord par F Cicurel juil sept 2000 12
17. iste de renomm e internationale ses oeuvres sont traduites en dix sept langues Shulamith Hareven vit J rusalem Premi re femme avoir t re ue L Acad mie h bra que en 1979 Shulamith Hareven a t choisie par le magazine L Express en 1995 comme l une des cent femmes qui font avancer le monde A la diff rence des textes mode d emploi qui accompagnent l objet dans les mains du lecteur les textes incitatifs poussent acqu rir biens culturels ou mat riels Il s agit de rendre attrayante l action accomplir d en donner le d sir Le troisi me ensemble est constitu par une cat gorie de textes dont la vis e est un faire savoir Ces textes informatifs comprennent les ouvrages d rudition et les manuels mais aussi les articles de journaux les prospectus d informations brochures de mus es par exemple les horaires d ouverture d un tablissement Leur but est de transmettre une information de quelque nature que ce soit pour un lecteur qui en aurait le besoin L effet recherch est d avoir une action sur la comp tence encyclop dique du 5 DESS Formation de formateurs Universit Paris II Sorbonne nouvelle 4 Etudes de linguistique appliqu e 119 coord par F Cicurel juil sept 2000 lecteur Notons toutefois que bien des textes n ont pas seulement une vis e informative les tudes sur la presse largement d velopp es par Charaudeau 1997 ont montr que le texte journalistique c
18. lecture silencieuse la popularisation de la lecture dans ses rapports avec la diffusion de l imprim voir les travaux de l historien R Chartier les conditions d une lecture artistique sont au coeur de recherches dans lesquelles l activit de lecture est envisag e comme un acte cr atif qui contribue fortement donner sens au texte Mais de l aveu m me de sp cialistes des pratiques de lecture cf Certeau Chartier un usage autre que celui qui est con u peut tre fait du textuel l Cherchant entrer au Whitney Mus um de New York un vendredi jour de fermeture je suis admonest e par le garde qui j ai demand o se trouve l entr e vous ne savez pas lire me dit il en m indiquant une pancarte assez peu visible plut t que de me dire que le mus e est ferm Etudes de linguistique appliqu e 119 coord par F Cicurel juil sept 2000 Reconstituer la lecture implicite vis e ou permise par l imprim n est donc pas dire la lecture effectu e et encore moins sugg rer que tous les lecteurs ont lu comme on voulait qu ils lisent De ces pratiques plurielles la connaissance est sans doute jamais inaccessible puisque nulle archive n en garde la trace Chartier 1993 p 111 2 Un texte se pr sente dans sa version imprim e avec un paratexte auquel Genette a consacr en 1987 un ouvrage Seuils Le paratexte constitu s de fragments de textes titres pr faces notes etc qui accompagnent le texte fa
19. losophique cherche avoir effet sur le lecteur s emparer le capter le convaincre paut tre par le biais d une figure de lecteur trac e dans la textualit philosophique Le discours scientifico journalistique Dans un usage scientifique de la lecture le lecteur a pour intention de s instruire de prendre connaissance des savoirs sp cialis s d un domaine d tudier Les d couvertes scientifiques ou les avanc es de la recherche sont mises la port e du public par des instances m diatiques vari es presse sp cialis presse g n raliste presse populaire Lorsque les recherches scientifiques donnent lieu diffusion dans des instances didactiques manuels par exemple on trouve des traces de simplification pour mettre la port e du lecteur les savoirs c est ce qu on appelle la vulgarisation Les textes m diatiques contiennent eux aussi des traces parfois effac es de cette intention de transmettre du savoir au lecteur Les recherches men es au Cediscor depuis plusieurs ann es ont montr de quelle mani re s inscrit discursivement dans le texte l intention de changer le lecteur le rendre plus savant par exemple Traces de didacticit manifest es par des segments m talinguistiques et explicatifs quivalences m talinguistiques exhibent une intention de faire savoir Cependant dans le cas de textes journalistiques relatant des v nements de type scientifico politiques la vache folle l a
20. n Certainement pas car d une part l auteur n avait pas fait autre chose que poser un contrat de fiction comme tout texte qui commencerait par les mots je vais vous conter une historie vraie selon un proc d classique dont un crivain a le droit d user et Eco a expos ses th ses bien connues aujourd hui en montrant partir d une nouvelle d onse Allais que 8 U E pos th b jourd h trant partir d lle d Alph Allais q la construction imaginaire s appuie sur l univers de r f rence sur le r el du lecteur Ce qui n est pas sans faire penser aux th ories de la cr ation artistique du philosophe Nelson Goodman rien ne peut tre totalement invent 9 L effet perlocutoire de la fiction revient souligne Bange envisager le jeu des comptabilit s et des modalit s contradictoire du croire et du ne pas croire Le texte litt raire permet le questionnement du mod le Etudes de linguistique appliqu e 119 coord par F Cicurel juil sept 2000 d autre part parce que dans ce cas m me les d mentis de l auteur furent impuissants renverser la situation Les lecteurs continu rent croire le texte vrai Lecteur mod le et discours philosophique Selon U Eco 1979 l auteur postule la coop ration d un lecteur dit lecteur mod le comme condition d actualisation d un texte Sont distingu s les textes ferm s qui posent un lecteur sociologiquement d termin par exemple le lecteur d une pre
21. n es 70 mais aussi comme ce qui poss de un pouvoir de persuasion de s duction Inclure dans les approches des textes l identification du lecteur mod le tel qu il est configur par le texte et poser ainsi la question du destinataire du texte comment concilier que le texte soit adresse un lecteur donn et un apprenant lecteur Repositionner le texte dans un circuit scripteur genre des textes effet recherch obtenu et encourager les verbalisations les commentaires les jugements spontan s ou argument s des lecteurs Entrer dans les textes en suivant la ligne de coop ration qui y est sugg r e voir quels sont les traces d un pacte de lecture apprendre d nouer parfois les ruses du texte Diff rencier les trois intentions pragmatiques majeures La demande de faire qui ne peut pas s effectuer en classe le faire savoir et l intention vis e esth tique ne peuvent tre trait s de la m me mani re Que nous a montr la diversit des effets qu un texte peut rechercher ou obtenir de son lecteur Peut tre le paradoxe suivant auquel n chappe pas la lecture dans l espace p dagogique toute lecture se construit entre un espace ferm celui de l ordre du lire et une ouverture possible celui de l acte effectif de lecture Le texte rend la fois prisonnier son lecteur en lui ordonnant de lire conform ment l intention du scripteur souvenons nous du grand nombre de dis
22. niques qui accompagnent le texte et constituent comme un 2 Dans une communication au colloque Formes d ajouts dans l crit organis par le SYLED en juin 1999 le texte et ses ornementations j ai propos d envisager les nonc s entre tirets et entre parenth ses comme ce qui permet l auteur la digression comme un chemin qu il prend et auquel il renonce parfois voir Charles 1995 ou encore comme une fa on de s adresser en apart au lecteur Etudes de linguistique appliqu e 119 coord par F Cicurel juil sept 2000 m sas entre le lecteur et le texte Ils contribuent la caract risation du texte et permettent dans certains cas au lecteur d identifier l ethos de l nonciateur du texte voir ici m me Maingueneau L usage que le lecteur fait des l ments paratextuels varie le titre s adresse celui qui n est pas encore lecteur ou ne le sera peut tre jamais il permet de parler de l objet texte et est indispensable la circulation du texte avez vous lu Histoire du si ge de Lisbonne je voudrais Les Fleurs du mal la quatri me de couverture est souvent lue par celui qui debout devant un pr sentoir de librairie se demande s il va ou non acheter l ouvrage L usage du sommaire est multiple conna tre l avance le contenu global d un livre ou chercher une information pr cise L illustration est con ue pour attirer l attention du lecteur Les notes de bas page sont facultativement consult es le
23. par l usage de ces textes qui servent agir dans le concret de la vie quotidienne En cette p riode d clipse solaire voici un exemple d un texte mode d emploi assorti d un ordre de faire tel qu on le trouve imprim sur les lunettes de protection Vous devez porter ces lunettes pour vous prot ger les yeux des radiations dangereuses d s que vous regardez le Soleil Lors d une clipse vous devez les porter tout moment sauf si l astre est totalement masqu par la Lune Les textes dits incitatifs sugg rent ou poussent le lecteur accomplir une action Le scripteur cherche nous faire agir dans une certaine direction l o nous n avions peut tre pas l intention d aller Il peut s agir aussi bien de prospectus publicitaires un d pliant pour un pi ce de th tre de proposition de service d pannage de petites annonces voyance d abonnements des journaux ou de textes de quatri me de couverture Ce qui frappe dans ces textes qui proposent et incitent accomplir un acte c est leur parent avec le message publicitaire Chercher obtenir que le lecteur ach te consomme ou choisisse un bien plut t qu un autre est le but de ces textes incitation qui peut se faire de mani re indirecte comme dans cette quatri me de couverture d un roman traduit de l h breu o l on veut informer le lecteur de la biographie de l auteur et de sa notori t pour lui rendre l oeuvre d sirable Romanci re essay
24. populaire Etudes de linguistique appliqu e 119 coord par F Cicurel juil sept 2000 Texte litt raire et pacte de lecture Les textes de fiction se donnent lire avec implicitement pass avec le lecteur un pacte de fiction voir les travaux de Searle Iser Ricoeur Une histoire est racont e au lecteur il ne s agit pas d valuer sa v racit tout au plus le crit re de vraisemblance peut il tre actionn mais 1l s agit davantage comme l crit Ricoeur de tester sa capacit configurer la r alit autrement et de telle mani re que le monde propos permette au lecteur de penser le monde d essayer des possibles Par la composante descriptive ou narrative est construite une morale implicite qui n est pas sans vouloir avoir un effet de persuasion sur le lecteur Les formes d actions imaginaires largissent le champ des possibilit s et permettent comme le dit Bange 1981 d autres possibilit s de mod lisation l ouverture de mondes nouveaux p 101 On peut alors chercher quels sont ces moyens ou strat gies par lesquels un crivain donnent des l ments pour figurer ce qui n existe pas et permettre au lecteur de se repr senter ce mondef La contribution d Iser 1985 montre de quelle mani re le texte litt raire cherche faire effet sur le lecteur Le texte de fiction se soucie de donner au lecteur les sch mas qui lui permettent de construire ce monde imaginaire Il veut lui faire croire le faire imagin
25. positifs textuels clandestins ou inscrits qu il poss de pour mettre le lecteur au pas mais il lui laisse aussi la libert de s approprier ou de faire usage du texte sa guise Avancer son rythme sauter des passages r ver et s interrompre entendre des voix des personnages les imaginer m diter ou s ennuyer abandonner ou reprendre la lecture se souvenir ou oublier constituent des postures de lecture d une grande vari t Au terme d un court parcours parmi des textes qui constituent le fond de la culture savante ou de la culture ordinaire il appara t que le lecteur se soustrait difficilement l autorit du texte Certes les effets recherch s et ceux qui sont obtenus ne sont pas identiques le lecteur peut choisir de subvertir la lecture du texte faire une lecture savante sociologique par exemple des crits quotidiens une lecture ludique des textes fonctionnels une lecture s miotique des articles de presse sensation La libert 10 Etudes de linguistique appliqu e 119 coord par F Cicurel juil sept 2000 du lecteur r side dans sa capacit d tourner l effet que le texte recherche ne pas s enfermer dans un sens que le scripteur ou peut tre l diteur aurait voulu donner tel crit Ne peut on dire que tout compte fait ce qui importe c est la sanction personnelle que donne le lecteur au texte rire souffrir agir ou conna tre Cela aucun texte ne peut l imposer au lecte
26. rds terroris s l approche du gaveur sont enferm s dans de petite r duits ou dans des batteries de cages individuelles de contention sortes de carcans d o les volailles prisonni res ne peuvent plus jamais bouger Nul doute que cette r clame qui demande au lecteur de signer une p tition et d adh rer au sens propre payer la cotisation veut d clencher la compassion du lecteur Indigner provoquer la curiosit jouer sur la dramatisation d un v nement font partie comme on le sait du dispositif propre une presse populaire qui veut attirer des lecteurs Tout texte peut tre travers par plusieurs vis es et de toute mani re avoir recours la ruse fut elle grossi re Ainsi une facture qui demande au lecteur de faire payer quand elle exhibe en caract res gras bien d tach s sur la page Troisi me et dernier rappel a aussi pour intention de provoquer la peur afin de pousser le lecteur agir sans tarder Le roman dont on pourrait consid rer que la vis e essentielle est un faire ressentir faire r ver n est pas que cela il n est qu rappeler les longues pages de Balzac consacr es la fa on dont une imprimerie archa que d Angoul me fonctionne ou la g n alogie de ses h ros ou encore aux d tails de leurs op rations financi res pour se convaincre qu il y a l du faire savoir Les choses se brouillent encore si on pense que le lecteur peut subvertir ces cat gories pragmatique
27. sition etc pour facilier la compr hension du texte voir aussi Gaonac h 1987 et Cicurel 1989 Etudes de linguistique appliqu e 119 coord par F Cicurel juil sept 2000 curiosit le temps dont on dispose d terminent des trajectoires diff rentes d un lecteur l autre Nous avions demand des tudiants de DESSS de collecter sur une dur e courte les crits ordinaires qu ils rencontraient afin d en constituer un corpus commun et de pouvoir r fl chir des crit res de classification Trois cat gories pragmatiques furent propos es partir de ce que les textes cherchaient avoir comme effet le texte litt raire ne fut pas pris en compte La cat gorie du dire comment faire des textes mode d emploi qui mettent en oeuvre la s quencialit injonctive instructionnelle d gag e par J M Adam dans une classification propos e en 1987 Les modes d emploi se trouvent partout dans les notices d utilisation d un t l phone sur une pastille collante sur un sachet dans une notice de m dicament etc Ils ont pour but de mettre le lecteur en relation avec un objet ou une action accomplir Ils contiennent un dire comment faire sans lequel il serait difficile ou impossible de se mouvoir dans l univers des objets Pratiques de lecture certes mais pratiques du geste puisque le texte commande le geste appropri pour tre dans la sph re de l action L acc s au monde pratique est dans le monde actuel conditionn
28. sse sp cialis e magazine de sport automobile informatique etc et les textes dits ouverts construisant une figure de lecteur moins pr visible L auteur met en place des strat gies pour que la rencontre avec le lecteur puisse se faire choix d un r pertoire verbal d un style de r f rences connues du lecteur etc il peut aussi faire appel des signaux de s lection explicite du lectorat au lecteur qui voudra bien me suivre Prenons le cas du philosophe quel lecteur s adresse t il Question apparemment na ve mais laquelle il n est gu re facile de donner une r ponse Le texte philosophique par les concepts les r f rences le jeu de l intertextualit semble construire un lecteur mod le qui correspondrait un philosophe un tudiant ou un professeur de philosophie ou du moins un lecteur cultiv Des strat gies de s lection semblent tre mises en place pour que seul un certain type de lectorat puisse acc der ou avoir le go t de lire la philosophie Certes il n existe pas un texte philosophique le discours philosophique peut s incarner dans des formes vari es dialogue aphorismes cours trait etc ce qui pose la question de la r ception de ces formes g n riques Quand le philosophe choisit de s exprimer travers telle ou telle forme du discours quels imp ratifs r pond il Se pr occupe t il de son lecteur on non Choisit il cette forme parce qu elle correspond un usage
29. ur il lui faut son consentement Francine Cicurel Universit Paris II Sorbonne nouvelle SYLED Bibliographie ADAM JM 1987 Type de s quences l mentaires Pratiques 56 ADAM J M BONHOMME M 1997 L argumentation publicitaire rh torique de l loge et de la persuasion Nathan universit BANGE P 1981 Argumentation et fiction dans l Argumentation P U Lyon BEACCO J CL 1999 L astronomie dans les m dias Analyse linguistique du discours de vulgarisation Paris Presses de la Sorbonne nouvelle BOUCHARD R 1985 Interaction discours et tension dans D V ronique et R Vion eds Mod les de l interaction verbale Publications de l universit de Provence CAVALLO G CHARTIER R Histoire de la lecture dans le monde occidental Seuil 1997 CHARTIER R 1993 dir Pratiques de la lecture ed Payot et Rivages CHARAUDEAU P 1997 Le discours d information m diatique Nathan CHARLES M 1995 Introduction l tude des textes Seuil CERTEAU de M 1990 L invention du quotidien les arts de faire Gallimard coll folio essais CICUREL F 1989 Lectures interactives Hachette coll F DUFAYS J L 1994 Sr r otype et lecture Mardaga ECO U 1985 trad fr Lector in fabula ou la coop ration interpr tative dans les textes narratifs Grasset GAONAC H 1987 Th ories d apprentissage et acquisition d une langue trang re Hatier Cr dif coll LAL GENETTE G 1987 Seu
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