Texte en PDF - Sens Public
Contents
1. Article publi en ligne 2012 03 http www sens public org article php3 id_article 919 Sens Public 13 YONA HANHART M ARMOR le Vent Tentative de restitution d un retable baroque ou un principe de transfigure Ce n est qu apr s avoir transcrit une partie des propos de la serveuse qu il situe la sc ne mais de nouveau de mani re abrupte et sans expliquer comment et quand Mont s est pass d un pisode l autre Elle se tut chercha voir son visage dans l ombre Il me raconta qu il tait maintenant assis c t de la serveuse A noter qu ici on n a pas le pronominal s tait assis mais le verbe d tat tait assis pas le r cit mais le panneau On peut relever galement l emploi de l hyperbate qui elle aussi insiste sur l absence de transition entre les v nements d crits par le narrateur Je me rappelle que brusquement sans transition il se mit faire chaud Alors que les arbres n avaient m me pas achev de verdir Et en m me temps que la chaleur les mouches tout coup l comme par l effet d une g n ration soudaine et spontan e D autres comparaisons de Simon mettent plus encore en vidence la similitude entre son criture et les panneaux baroques Ainsi il compare l histoire de l oncle de Mont s avec une pi ce de Calderon ou Lope de Vega caract ris e explicitement par l absence de successivit la discontinuit qui y r gne au point qu il devient imposs2. sans transition parler de Rose C est d ailleurs dans l un de ces passages o il emploie l expression sans transition que Simon tablit presque explicitement l quivalence entre son r cit et les panneaux d un retable comparant les diff rents pisodes des tableaux Et autour de lui ces silhouettes floues entr aper ues incompl tes se dessinant vaguement dans une dur e elle m me floue incertaine car il n y avait aucun lien dans son r cits entre les diff rents pisodes ou plut t tableaux qu il voquait comme dans ces r ves o l on passe subitement d un endroit l autre d une situation l autre sans transition harcel sans r pit par cette furieuse et impuissante sensation d urgence du temps qui s coule inexorable mena ant d sastreux M me l incise sert cr er cet effet de brusquerie de d concertante soudainet Ainsi le narrateur passe sans transition du r cit du retour de Mont s apr s le match de boxe au dialogue de celui ci avec Rose mais en projetant imm diatement au moyen de l incise le lecteur dans le dialogue sans m nager de passage d une sc ne l autre Et il me semblait le voir passer contemplant on ne savait trop quelle vision peut tre toujours celle du sous sol poussi reux de la sueur de la chair dure pitoyable tragique Cette esp ce de truqueur dit elle 1 p 67 2 p 73 3 p 75 pp 82 83 p 90
3. convenus d nu s de toute motion lorsque la beaut est recherch e non dans le travail mais dans le mod le ne peut na tre qu une uvre inexistante et absurde le contraire d une uvre d art De m me quand assis sur un banc il contemple la devanture d une boutique son regard ou plut t la transcription de son regard dans l uvre d art transforme le plus banal des spectacles des l gumes une femme avec un enfant dans les bras en image f erique Cela Comme dit il une boite une sorte de petit th tre lumineux au sein de la nuit avec ses personnages muets dessin s et colori s avec cette absurde et minutieuse pr cision des d tails qui contribuait les rendre irr els priv s d atmosph re cisel s Le narrateur insiste d ailleurs de mani re explicite sur le peu d importance qu a pour lui la compr hension de la r alit qu il a pourtant entrepris de nous raconter attribuant l inverse une importance fondamentale la pr sence du personnage Ce qui compte ce n est pas de 72 p 54 73 p 88 74 p 99 Article publi en ligne 2012 03 http www sens public org article php3 id_article 919 Sens Public 22 YONA HANHART M ARMOR le Vent Tentative de restitution d un retable baroque ou un principe de transfigure comprendre comment les choses se sont pass es sinon on aurait faire un simple compte rendu mais de les transposer dans l uvre d art et alors peut tre en fin
4. rature de musique ou de sculpture Et tant l intrigue que les personnages qui y figurent des gitans une serveuse un h ros que presque tous consid rent comme un idiot semblent apparenter le roman bien plus un courant r aliste qu des uvres qui comme celles de Proust ne peuvent tre lues que dans leur rapport avec d autres uvres d art avec l Art Or on sait notamment depuis Genette l importance du titre mode d emplo destin commander toute notre lecture Celui choisi par Simon semble tout le moins un mode d emploi paradoxal Est il tout entier th matique Mais quel rapport alors entre le vent et un retable baroque Et comment consid rer l un ou l autre comme sujet principal du roman Ou bien l un ou l autre ou les deux sont ils d chiffrer en fonction de leur valeur symbolique ou m taphorique Et dans ce cas quelle serait cette ou ces valeurs Ou encore s agirait il au moins en partie d une indication g n rique Le Vent serait dans ce cas une tentative de restitution d un retable baroque de m me que Le Rouge et le Noir est un roman Ou encore le sous titre serait un sous titre rn matique qui vise le texte lui m me non son objet Toutes ces hypoth ses peuvent et doivent tre envisag es tant le choix de Simon est nigmatique et premi re vue obscurcit plus qu il ne l claire la lecture du roman si l on ose encore d signer ainsi le livre en question 1 G rard Genette Seuils
5. brutale juxtaposition de panneaux dans un retable se retrouvent tout au long du r cit l aide d un certain nombre de proc d s Il est tout d abord int ressant de se pencher sur l emploi fait par Simon des temps verbaux En effet celui ci contribue renforcer le rythme saccad hach de son r cit des v nements Ainsi lorsqu il relate le voyage que Mont s entreprend pour se rendre dans la ville de son p re il ne nous d crit pas successivement le trajet puis l arriv e mais alors que le lecteur croit tre encore dans le r cit du trajet il s aper oit brusquement par l emploi du pass simple que l crivain l a sans crier gare projet et non pas conduit dans celui non de l arriv e mais du d j arriv derri re la vitre du wagon il avait regard filer horizontalement les tangs un paysage aigre brutal sous l hivernale et impitoyable lumi re qui faisait tinceler l horizon la barre m tallique de la mer le for ant cligner des yeux et dans laquelle il se tint un peu plus tard contemplant avec une sorte d h b tude le flanc verd tre du wagon le mur de briques de la gare 27 p 9 p 11 p 16 Article publi en ligne 2012 03 http www sens public org article php3 id_article 919 Sens Public 9 YONA HANHART M ARMOR le Vent Tentative de restitution d un retable baroque ou un principe de transfigure Le narrateur a donc saut l ar
6. d sol et paisible Et son attitude attitude si pleine de bont non seulement envers Rose ce qui pourrait s expliquer par l amour qu il lui porte mais aussi envers les orphelines C cile et m me le r gisseur attitude si exceptionnelle que le plus grand nombre de ceux qui le connaissent la prennent pour de l idiotie en fait l gal de celui qui s tait montr pr t porter pour la sauver toutes les souffrances de l humanit Ainsi Mont s est incapable de conduire une voiture parce pp 10 11 2p 101 8 p 105 Hp 172 5 Ibid Article publi en ligne 2012 03 http www sens public org article php3 id_article 919 Sens Public 5 YONA HANHART M ARMOR le Vent Tentative de restitution d un retable baroque ou un principe de transfigure qu il a un jour cras un chien et le narrateur nous dit qu il n aurait pas refus une caresse un chien m me galeux Mais sa ressemblance avec le Christ est plus vidente encore lorsque pour Rose il est pr t se faire battre et presque laisser pour mort par le gitan et ses acolytes dans l espoir de la sauver et qu en outre il interdit l enfant qui l a accompagn de raconter cette sc ne sa m re La petite fille d ailleurs met encore cette ressemblance en lumi re lorsque spontan ment avant de le quitter elle lui baise la main Les allusions sa profonde innocence ajoutent son caract re christique Ainsi lors de sa premi re ren
7. et d finissent ainsi l criture propre l uvre d art x x Ainsi le titre du Vent au del de son apparence paradoxale et arbitraire est la fois une indication g n rique et un titre rh matique Il se r f re bien davantage l criture et l esth tique simoniennes qu auxs l ments mat riels de l intrigue et permet au lecteur de d gager la conception qu a Simon de son roman et du r le de l criture litt raire en g n ral Un v ritable mode d emploi donc nous permettant d appr hender tout d abord un roman profond ment impr gn de motifs religieux et christiques qui en font une r criture une mitation de ces retables baroques si pleins la fois de douleur et de majest une construction ensuite tr s sp cifique o l histoire et le temps se donnent lire de fa on abrupte brutale la limite de l incoh rence recr ant ainsi dans le temps par des proc d s stylistiques ce que des techniques picturales avaient accompli dans l espace et surtout de d couvrir la valeur immense accord e 8 p 172 pp 41 42 s p 41 Article publi en ligne 2012 03 http www sens public org article php3 id_article 919 Sens Public 26 Yona HANHART M ARMOR le Vent Tentative de restitution d un retable baroque ou un principe de transfigure l criture son pouvoir sa capacit de transfigurer la r alit et de restituer le monde dans sa v rit et son authenticit Ce roman est l
8. mort il la compare l interruption d concertante d une pi ce de th tre Mais cette fois me dit il il y avait quelque chose qui ne collait pas Pas de fleurs un simple drap pas une fin un aboutissement une interruption Comme si dit il la lumi re avait brusquement manqu avant la fin d un acte au milieu d une r plique et puis le r gisseur paraissant sur le devant de la sc ne mais tenant de ses deux mains le rideau referm derri re disant C est fini Allez vous en C tait comme si aucune r gle n avait t respect e et m me pas le temps comme si celui ci avait t pris de vitesse par quelque chose de plus rapide que lui Cette temporalit si particuli re si paradoxale est d autant plus insolite et remarquable que Simon ne cesse de l opposer au flux continu ininterrompu que l on d signe ordinairement par ce mot Ses descriptions r currentes d une temporalit progressive d une continuit dans le temps qui permet de suivre pr cis ment l volution d un ph nom ne naturel font du temps du r cit du temps de Mont s quelque chose d irr ductiblement diff rent du temps de la nature qui continue d exister et de s couler en parall le Au temps naturel s oppose le temps de Mont s qui est aussi le temps de l art le temps des panneaux d un retable baroque Pour n en citer qu un seul exemple voquons la conversation entre Mont s et Maurice qui se d roule d
9. ne semble m me pas voir Juste apr s le passage de Mont s d crit exactement comme un personnage de retable baroque vo t son visage maci et douloureux encadre par les longs cheveux noirs d passant du b ret mis la diable travers la musique saxophonique les lumi res les groupes de jeunes gens agglutin s autour des tables magiques o les avions les ballons ou encore les soutien gorge et les slips couleur de berlingot des baigneuses elles m mes semblables des berlingots s illuminaient et s teignaient par rafales tandis que toujours insensible au monde qui l entourait semble minemment symbolique de son tre dans le monde ou plut t de son tre hors du monde hors de cette fausset et de ce d sert humain cr s par la modernit Et c est aussi en raison de cette puret de cette authenticit qui sont les siennes que Mont s vit dans une temporalit particuli re diff rente de celle des autres hommes Non ce n tait pas le fait de son r cit de l apparente incoh rence de sa m moire tout cela dut effectivement se d rouler pour lui d une fa on presque irr elle le temps se t lescopant s immobilisant ou se dilatant tour tour et cela non pas tellement cause de sa fatigue que de son inaptitude fondamentale prendre conscience de la vie des choses des v nements autrement que par l interm diaire des sens du c ur inaptitude que nous corrigeon
10. roman peut se lire comme une tentative de restitution d un retable baroque en opposition la philosophie rationaliste et au grammairien le baroque s int resse au d sordre et la violence qu il y a dans le monde et l harmonie de ses uvres vient de cette acceptation et m me de cet amour du d sordre contrairement au rationalisme ou au journalisme qui doivent le nier pour exister Le titre du Vent prend alors tout son sens Le Vent c est ce respect du d sordre propre l criture de Simon qui parvient restituer le monde de fa on authentique justement parce qu il ne tente pas de lui imposer un ordre artificiel Littr pour d finir le mot restitution voque l action de r tablir de remettre une chose en son premier tat et c est parce que l criture simonienne se veut tentative de restitution se veut repr sentation du monde en son premier tat qu elle se compare elle m me au vent Tout au long du roman en effet l vocation r currente du vent soufflant sur la ville se donne lire comme une description du travail d criture propre Simon Comme le vent le narrateur bouleverse et d sordonne les id es fausses et les pr jug s Ainsi alors que toute la ville dont le notaire se fait le porte parole consid re l aventure de Mont s et de Rose comme une simple arnaque 7 pp 174 175 Article publi en ligne 2012 03 http www sens public org article php3 id_article 919 Sens Public 24 YONA HANHAR
11. s in gaux dans le vent coupant de f vrier le soleil froid les quatre plumets chevel s oscillant au dessus du cort ge noir des voiles de cr pe et sous l un d eux le masque trop et maladroitement presque na vement peint De m me la description de la cour pr s de laquelle vivait Rose et qui dans la r alit devait tre sordide prend la magnificence d un tableau sous la plume du narrateur Et je peux voir cette cour pr s de l ancienne caserne l o Rose habitait le soleil immobile fig piquetant travers le feuillage transparent les arcades de briques et la brique violac e effrit s et les linges multicolores en train de s cher sur les cordes tendues d un pilier l autre des galeries et peut tre dans un des coins une femme en train de laver et les rigoles d eau noire croupie et quelque part dans une cage un canari lan ant de loin en loin ses trilles travers le temps mort opaque stagnant et les deux fillettes 7 A noter l intransivit du verbe laver accentuant encore l impression qu a le lecteur de contempler un tableau ainsi que l anaphore en et permettant l accumulation d une multitude de d tails pittoresques et color s Plus loin un autre proc d met encore en valeur cette transfiguration de l insignifiant du banal par l criture Le narrateur commence par d crire de fa on tr s po tique la floraison de la nature l approche du printemps abonda
12. sa gauche vaguement Cette obsession du d tail est d ailleurs perceptible d s les premi res pages du roman et sera r currente jusqu aux derni res En effet dans le r cit fait par le notaire de son premier entretien avec Mont s r cit qui ouvre le roman l homme de loi confie au narrateur et je me demande m me s il s tait donn la peine de m couter parce que d s que je le quittais des yeux je le retrouvais en relevant la t te occup regarder cette gravure ou le haut de la biblioth que ou le tapis ou cette lampe Cette attitude semble au notaire si surprenante si choquante qu il y insiste encore quelques pages plus loin attirant ainsi toute l attention du lecteur sur ce qui constitue en fait un aspect fondamental du personnage quand vous venez de vous esquinter toute une apr s midi lui parler de ses affaires vous vous apercevez tout coup que depuis d j un bon moment il ne vous coute plus ne fait plus que semblant par pure politesse alors que quelque chose le pr occupe beaucoup plus infiniment plus m me jusqu ce qu il n y tienne plus et se mette vous faire passer une interview en r gle sur l origine le sujet la date le comment et le pourquoi d une gravure que votre arri re grand p re peut tre a 5 p 231 5 p 14 Article publi en ligne 2012 03 http www sens public org article php3 id_article 919 Sens Public 17 YONA H
13. un des premiers de Claude Simon mais s y donnent d j lire certains enjeux majeurs de son uvre savoir l expression de son esth tique par la r f rence d autres uvres d art l absolue primaut de l criture et le travail la participation active demand s au lecteur qui est autant que l crivain l acteur de cette tentative et non le consommateur passif d une uvre d j achev e Article publi en ligne 2012 03 http www sens public org article php3 id_article 919 Sens Public 27
14. ANHART M ARMOR le Vent Tentative de restitution d un retable baroque ou un principe de transfigure suspendue l il y a cent cinquante ans et que vous m me depuis quarante ans que vous passez devant n avez seulement jamais eu l id e de regarder Ce qui int resse profond ment Mont s ce sont non pas les informations essentielles qu est en train de lui donner le notaire au sujet de ce pour quoi il s est rendu dans cette ville savoir l h ritage qu il vient de faire mais des objets parfaitement accessoires d nu s d utilit et qui semblent le fasciner Cette fascination pour le d tail trouve son pendant la fin du roman il s agit nouveau d un entretien avec le notaire et dans lequel il est question de la ruine totale de Mont s Or on retrouve exactement la fois le m me d sint r t de Mont s pour essentiel et sa fascination pour cette gravure symbolique du non utilitaire du gratuit Parce que me raconta t il il tait l toujours avec ce m me air de penser autre chose sans cesser de loucher sur ces vieilles gravures de la ville que j ai laiss es l parce que je les y ai toujours vues si bien qu la fin je lui ai dit Si elles vous passionnent tellement je vous en fais cadeau Cette construction tr s rigoureuse de Simon qui replace le m me motif au d but et la fin de son roman prouve l importance qu il accorde dans le cahier des charges du person
15. J sus Mont s semble avoir eu une vie pleine de souffrances et comme J sus ces souffrances ont eu pour cons quence de le d shumaniser ou si l on peut dire de le surhumaniser puisque son visage est devenu quelque chose de poli de lisse d imp n trable une surface sans rep res Et la fin du passage avec l allusion l nigme du bien et du mal le situe d une mani re plus vidente encore dans le domaine th ologique Les autres protagonistes d ailleurs lorsqu ils ne prennent pas Mont s pour un idiot ce qui est encore une fa on d en faire un tre d exception voire de l assimiler J sus car quiconque dans la vie courante se comporte comme J sus et supporte tous les coups sans les rendre est jug par le commun des mortels comme un idiot le consid rent comme un saint Ainsi tentant d analyser son comportement sa bont envers elle son refus de la juger Rose comme C cile demande Mont s s il se prend pour un saint Et d ailleurs toute l attitude de Mont s envers cette serveuse vivant en concubinage avec un voleur sa volont de lui venir en aide de la sauver font du roman comme une r criture de l histoire de Marie Madeleine donc v ritablement la restitution d un retable baroque Quant aux portraits de Mont s ils rappellent immanquablement ceux de J sus o des martyrs figurant sur les retables baroques Ainsi son visage maci et douloureux son lit presque mortuaire son visage
16. ONA HANHART M ARMOR le Vent Tentative de restitution d un retable baroque ou un principe de transfigure sang s coulant d une blessure par o le corps se vide la vie dans un lent d sespoir Es Et gr ce cela gr ce cette soumission au passage du temps au flux de la vie tel qu il se donne voir gr ce ce refus de ma trise de pouvoir sur le monde l criture simonienne comme le vent qui ne se souciant pas des diff rences ext rieures et superficielles s attaque toutes les cat gories de populations d gage l essence des choses et des tres sans se laisser arr ter par leur corce Mais surtout le vent est gratuit son action est d pourvue de sens et c est ce qui lui donne sa beaut et naturellement ce bon Dieu de vent les sarabandes affol es de papiers de feuilles et de d tritus tourbillonnant houspill s par les bourrasques de mars l infatigable permanente temp te se ruant sans tr ve sous le ciel diaphane s exasp rant s enivrant de sa propre col re de son inutile puissance Comme le vent l criture de Simon existe d abord pour elle m me elle est son propre but et ne vise rien d autre qu elle m me C est sans doute cela qui lui donne comme au vent sa puissance et sa n cessit Les derni res pages du roman mettant en sc ne l ordre immuable et ternel du monde posent le vent g n rateur de d sordre comme lui aussi faisant partie de cet ordre et contribuant le cr er
17. Revue internationale International Web Journal www sens public org Le Vent Tentative de restitution d un retable baroque ou un principe de transfigure Sur un roman de Claude Simon Yona HANHART M ARMOR R sum Cet article consacr au roman de Claude Simon intitul Le vent Tentative de restitution d un retable baroque s interroge sur ce titre nigmatique et tente de comprendre en quoi il refl te les enjeux la fois th matiques formels et esth tiques du roman En effet celui ci s apparente au genre du retable non seulement en raison des motifs christiques qui l impr gnent tout entier mais aussi parce que l criture par ses moyens propres reproduit la temporalit abrupte et discontinue propre ce type d uvres construites en panneaux qui font passer le spectateur sans transition d un moment l autre de l histoire figur e Mais surtout titre et sous titre mettent en lumi re les pouvoirs de l criture qui par sa restitution m me du d sordre et de l informe cr e uvre d art Cette r flexion permet donc galement de prendre la mesure de la dimension matricielle s minale de ce premier roman si l on exclut ceux que Simon a lui m me rejet s qui d j permet d appr hender la fois le faire simonien et sa po tique Abstract This article about Claude Simon s Le vent Tentative de restitution d un retable baroque examines the mysterious title of the novel in an attempt to understand how it reflects the latt
18. T M ARMOR le Vent Tentative de restitution d un retable baroque ou un principe de transfigure Comprenez si vous le pouvez qu une putain de serveuse comme cette Rose ait essay de l embobiner et de lui mettre le grappin dessus a devait arriver mais qu une jeune fille aille se compromettre comme f le narrateur lui pr sente les faits d une fa on totalement diff rente entre Rose et Mont s c est beaucoup plus compliqu cela se rapproche beaucoup plus d une histoire d amour Et si l on d chiffre ce que Simon nous dit du vent on comprend que c est de ce bouleversement de l ordre tabli de ce respect du d sordre que peut finir par na tre cet ordre authentique cr par l uvre d art A cet gard la description du vent soufflant sur la propri t dont Mont s a h rit est tr s loquente d abord une longue all e de pins non pas courb s sous le vent mais pour ainsi dire fa onn s par lui comme p trifi s aplatis cras s une fois pour toute presque l horizontale fig s dans une effr n e statique et d finitive convulsion comme on ne savait quoi de d finitif de mort semblait maner des b timents de la propri t rong s peu peu par un corrodant dans la composition duquel la dur e le soleil et le vent seraient entr s part gales pour en faire quelque chose de par del le temps au del aussi de la destruction sans ge ternel 5 Ce passage est crucial p
19. accessoire inutile la compr hension o la progression du r cit et qui pourtant occupe dans ce dernier une place norme de m me que dans les retables on trouve une profusion de d tails qui va parfois jusqu brouiller la perception de la sc ne Lorsque nous voquions plus haut les motifs religieux pr sents dans le roman nous parlions du tableau aper u par Mont s lorsqu il s tait rendu l orphelinat Or si ce tableau contribue cr er une quivalence entre le roman et un retable baroque ce n est pas uniquement cause de la sc ne qui y est d peinte mais aussi en raison de l esth tique mise en uvre pour la description du tableau elle m me Nous insistions plus haut sur l abondance de d tails pr sente dans le tableau et relev e par Mont s Mais le statut de ce tableau lui m me sa place dans l espace et dans la perception de Mont s en font comme un symbole du r le principal jou par le d tail Tout d abord parce que le fait m me de son vocation premi re vue gratuite dans le r cit d un v nement capital dans la vie de Mont s la visite aux petites tant d sormais le seul lien qui le rattache encore Rose tonne Et aussi cause de sa localisation qui alors m me qu il se trouve au c ur du r cit l en d centre lui conserve ce statut de d tail un grand tableau sombre l huile il n eut pas le loisir de le regarder il me dit que tout le temps qu il resta avec elles il le voyait sur
20. aire Puis il y fut un autre rep re dans ce temps flou un autre d cor Tout au long de cet entretien qui est comme un condens de la brusquerie propre tout le r cit l vocation de la tache de soleil et de son volution est r currente et tablit donc l existence de deux temporalit s absolument distinctes La progression du soleil symbole d une temporalit successive se retrouve d ailleurs comme un eitmotiv dans tout le roman Cette impossibilit pour Mont s de p n trer de s int grer dans le temps de la nature est d ailleurs vers la fin du r cit analys e ou plut t ressentie en tant que telle par le h ros et il s aper ut alors que le soleil avait tourn frappait ce moment le rebord de la fen tre atteignait le mur oppos d abord une simple raie plus claire aux contours flous puis une frange dor e puis un mince triangle s tirant s affirmant progressant insensiblement dans la lente et vide apr s midi pouvant sentir me dit il le temps l ternel recommencement l ternel cheminement de la mati re inerte insensible tournant dans l infini se d pla ant avec cette foudroyante et implacable lenteur promesse d un lent supplice d une lente agonie et quelque part dans la lumineuse dur e quelque chose comme une tache quelque chose d obscur de noir d irr m diable contre quoi son esprit se heurtait Ainsi si Le Vent se donne lire comme une tentative de re
21. ani re r currente Nous nous pencherons ensuite sur la construction m me de l uvre en tentant de d gager sa similitude avec celle du retable Enfin nous essaierons de d couvrir le sens profond de cette quivalence entre le Vent et le retable baroque Lors de toutes ces tapes dans la tentative d tablir une analogie entre l uvre de Simon et un retable baroque nous ferons en sorte de ne pas perdre de vue l importance des mots tentative de restitution Littr dans son dictionnaire donne entre autres du mot restitution la d finition suivante Terme d architecture Repr sentation d un monument en ruines Simon veut restituer par l criture les caract ristiques picturales d une uvre baroque il veut cr er non pas un retable baroque mais sa repr sentation litt raire autrement dit tablir une correspondance entre une certaine forme de peinture baroque et sa propre criture A cet gard il nous sera utile de garder en m moire l essai de Jean Rousset sur la litt rature de l art baroque puisque l un des premiers Rousset tablit la liaison entre l criture litt raire et les formes baroques telles qu elles apparaissent en architecture en sculpture et en peinture et qu il reconna t quatre crit res majeurs du baroque l instabilit la mobilit la m tamorphose et la pr pond rance du d cor Or on le verra ces quatre crit res peuvent aussi servir de d finition l criture de Simon dans le Vent 7Tam
22. ans la chambre de ce dernier Au caract re incoh rent discontinu fragment de la perception par Mont s des actions de Maurice s oppose sa vision de l volution du soleil c est dire de la dur e naturelle continue et progressive d ordinaire d sign e par le mot temps vision nouveau brutalement interrompue par un retour dans la temporalit de Mont s incompr hensible et sans cesse diff rente d elle m me Le soleil bas jaune fonc glissait presque horizontal dans la chambre projetait sur le mur la tache marbr e virant lentement du citron au chrome puis du chrome l orang tandis qu elle se d pla ait insensiblement et du dehors parvenaient les bruits du soir Comme une exhalaison du jour fan r volu Puis un fr missement un long cri de soie d chir e fendant lair et Mont s pensant D j Les hirondelles 5 p 149 5 p 179 Article publi en ligne 2012 03 http www sens public org article php3 id_article 919 Sens Public 15 YONA HANHART M ARMOR le Vent Tentative de restitution d un retable baroque ou un principe de transfigure Elles sont d j Et maintenant la barre du soleil comme du bronze en fusion glissant semblait il de plus en plus vite au point qu il pouvait presque suivre sa lente d rive la lente terrifient et irr m diable d rive du temps Et toujours cette chose qu il savait qu il devait faire ou qu il voulait faire ou qu il fallait f
23. ar Yacobi Pictorial Models and Narrative Ekphrasis in Poetics today 16 4 hiver 1995 Dans cet article T Yacobi montre notamment quel point la critique a limit la port e du terme d ekphrasis en postulant que les crivains d crivent toujours une uvre d art bien pr cise alors que selon elle l ekphrasis peut tout aussi bien d signer la r f rence un genre ou un ensemble d uvres d art 8 Jean Rousset La litt rature de l ge baroque en France d Jos Corti Paris 1954 pp 181 182 Article publi en ligne 2012 03 http www sens public org article php3 id_article 919 Sens Public 3 YONA HANHART M ARMOR le Vent Tentative de restitution d un retable baroque ou un principe de transfigure Les motifs du retable le caract re religieux et christique du roman La similitude la plus vidente de l uvre avec un retable baroque est tout d abord chercher dans les th mes et les images r currents du roman Et on s aper oit en effet que des motifs religieux voquant les principaux sujets des retables baroques se retrouvent sans cesse dans le r cit Ainsi lorsque le narrateur d crit la ville prise d assaut par le vent il ach ve l num ration de ses diff rents quartiers par une vision religieuse rappelant le monde des retables ses glises flottant la quille en l air ombreuses froides profondes emportant leur nuit trou e d or leur cre parfum de cierges clignotants leurs murmure
24. arce qu il d finit clairement l action du vent qui cr e un tel d sordre que cela finit par devenir un ordre quelque chose de durable de structur Simon met ici en vidence le paradoxe du vent c est dire de son criture le d sordre donne naissance l ordre le corrodant l intemporel l ternel De plus on a ici la mise en place essentielle et qui reviendra comme un eitmotiv tout au long du roman de l quivalence entre le vent principe d sordonnateur ordonnateur de la r alit de la lumi re m dium essentiel pour l appr hension de la r alit et origine m me de la photographie autre quivalent de l criture simonienne et le temps substance m me de l criture simonienne ph nom ne que cette criture est capable de rendre visible gr ce sa ressemblance fondamentale avec lui De m me que le vent semble tre le bruit m me du temps puis harass l criture de Simon reproduit par son rythme par ses proc d s cet coulement du temps qui dans un sens est le sujet du r cit Et seulement au dehors de nouveau le vent oubli tenace les sporadiques et soyeux bruissements fr lant les murs comme la course d un voleur chauss d espadrilles s enfuyant le long des murs comme le temps m me fuyant filant irr m diablement le 80 p 14 81 pp 26 27 82 p 35 Article publi en ligne 2012 03 http www sens public org article php3 id_article 919 Sens Public 25 Y
25. cle de journal le terne monotone et gris tre alignement de menus caract res quoi se r duit aboutit toute l agitation du monde lorsque le regard tombe par hasard sur la feuille d chir e qui a servi envelopper la botte de poireaux et qu alors par la magie de quelques lignes tronqu es incompl tes la vie reprend sa superbe et alti re ind pendance redevient ce foisonnement d sordonn sans commencement ni fin ni ordre les mots clatant d tre de nouveau s par s lib r s de la syntaxe de cette fade ordonnance ce ciment bouche trou indiff remment apte tous les usages et que le r dacteur de service verse comme une sauce une gluante b chamelle pour relier coller tant bien que mal ensemble de fa on les rendre comestibles les fragments ph m res et disparates de quelque chose d aussi indigeste qu une cartouche de dynamite ou une poign e de verre pil gr ce quoi au grammairien au r dacteur de service et la philosophie rationaliste chacun de nous peut avaler tous les matins en m me temps que les tartines de son petit d jeuner sa l nifiante ration de meurtres de violence et de folie ordonn s de cause effet quitte si cela ne le satisfait pas et apparemment et contrairement ce qu il pense cela ne le satisfait pas recourir en suppl ment aux bons offices des esprits du marc de caf des cierges b nis des hommes providentiels ou de la camisole de force C est aussi pour cela que le
26. contre avec le narrateur Mont s s absente un instant en lui demandant de l attendre sans qu une seconde l id e lui f t venue ne l e t m me effleur que j aurais pu profiter de l occasion pour m chapper le planter l Il est tellement incapable de faire du mal ou m me de causer la moindre d ception qu il ne peut imaginer qu autrui se comporte diff remment De m me il voque le plus naturellement du monde une relation sexuelle ou une histoire sal e 8 parce que son innocence l emp che de ressentir ce trouble malsain qu on ne peut d ordinaire s emp cher d prouver Cette attitude va donc de pair avec sa chastet tout aussi christique et qui reste constante tout au long du r cit puisque ses relations avec Rose resteront purement platoniques ce n est qu apr s sa mort qu il aura l impression de faire l amour avec elle et qu il refuse l amour de C cile Quant aux deux comparaisons de Mont s avec un rescap de Buchenwald elles sont encore une fa on d actualiser et de transposer la figure du martyr ch re au retable baroque M me l amour de Mont s pour la photographie ram ne une fois encore l absolue bont de J sus puisque ses sujets favoris ce sont des visages d enfants tous vierges purs sinon des barbares et primitifs instincts cruaut violence possession du moins de leur conscience et par cons quent du mal Ce caract re d exception de Mont s explique alo
27. d du Seuil Paris 1987 Ibid p 8 3 Ibid p 79 4 Ibid p 56 5 Ibid p 82 Ibid p 83 Article publi en ligne 2012 03 http www sens public org article php3 id_article 919 Sens Public 2 YONA HANHART M ARMOR le Vent Tentative de restitution d un retable baroque ou un principe de transfigure Il faut donc tenter de comprendre la signification de ce titre et la fa on dont celui ci doit infl chir et guider notre lecture de l uvre Comme hypoth se de lecture nous prendrons l analogie parce que c est la plus imm diate et parce qu elle permet de mettre en relief de nombreux l ments de l uvre Il existe bien videmment d autres possibilit s de lecture que nous n explorerons pas ici parce qu elles exc dent la port e d un travail de cette dimension Ce faisant nous n oublierons pas non plus que cette analogie peut tre plus ou moins pr cise plus ou moins g n rale Nous ne devons pas forc ment tablir la ressemblance du roman avec un retable pr cis mais plut t avec le retable en tant que genre en tant que cat gorie en effet nous sommes apparemment ici devant le type d ekphrasis ne se r f rant pas un tableau o une sculpture pr cis mais un mod le pictural un d nominateur commun une image visuelle g n rale Nous nous attacherons tout d abord la ressemblance la plus vidente du roman avec un retable baroque savoir les motifs religieux qu on peut y trouver de m
28. de compte tout cela n a t il t que la vulgaire et idiote aventure d un vulgaire idiot comme ils le dirent tous Peut tre Pourquoi pas Et quelle importance apr s tout Car ce n tait pas pour prouver quelque chose qu il tait l Il tait l Et c est par le pouvoir de l criture que cette aventure ou plut t cette non aventure sordide prend une dimension universelle et magnifique Malgr toute l ironie de la comparaison l identification du personnage grotesque et mesquin du notaire avec un ch ur antique met en lumi re la port e immense que prend n importe quel pisode ou n importe que personnage du moment que l criture s est empar e de lui A cet gard tr s r v latrice est la comparaison de l aventure racont e avec une pi ce de th tres imaginaire au conditionnel qui contient la fois des l ments espagnols glise baroque pr sence de don Eus bio et ressemble donc une pi ce de Cald ron et modernes les caf s clair s au n on de la ville qui montre qu au fond l histoire de Mont s un retable baroque ou une pi ce espagnole ont le m me statut que l criture est capable de donner aux m saventures d un innocent avec un gitan dans un monde d une accablante modernit la m me beaut que l uvre d un immense artiste Et de fa on r currente les comparaisons choisies par le narrateur transposent les v nements racont s du sordide du ridicule du grotesque dans l uni
29. e qui abolit en fait cette distinction et nous dit que l essentiel se trouve non dans la r alit de l v nement racont mais dans le fait de le raconter dans le roman non comme compte rendu mais comme uvre d art D s lors on peut consid rer que le sous titre tentative de restitution d un retable baroque se rapporte la transfiguration par l criture d une histoire la fois insignifiante sordide et incoh rente Il semble bien que Simon ait choisi d intituler ainsi justement celui de ses romans dont le sujet est le moins noble possible pour mettre en sc ne ce miracle nous nous permettons l emploi de ce terme en raison de la fa on dont il entre en cho avec le sous titre du roman de la transformation de la boue en or par le pouvoir de l criture Ainsi lorsque le narrateur nous d crit l enterrement du p re de Mont s une parenth se interrompt soudain le r cit et par une ekphrasis inattendue transforme ces lamentables obs ques d un rat coureur et ivrogne auxquelles assiste l insignifiante et grotesque jeune fille qu il a d bauch e en tableau plein de d pouillement et de m lancolie amp p 10 p 22 S p 231 7 p 22 68 p 24 Article publi en ligne 2012 03 http www sens public org article php3 id_article 919 Sens Public 20 YONA HANHART M ARMOR le Vent Tentative de restitution d un retable baroque ou un principe de transfigure char fun bre cahotant lentement sur les pav
30. ement passer ses fesses d une chaise l autre et tout coup Mont s le d couvrant assis c t de lui sans m me pouvoir dire ni quand ni comment cela s est produit d visageant un peu berlu le jeune homme d j renvers sur sa chaise 7 p 91 38 p 184 p 90 0 p 69 Article publi en ligne 2012 03 http www sens public org article php3 id_article 919 Sens Public 12 YONA HANHART M ARMOR le Vent Tentative de restitution d un retable baroque ou un principe de transfigure Simon emploie galement plusieurs reprises l expression sans transition ce qui est v ritablement une volont de recr er par son criture un fonctionnement en panneaux Ainsi dans l pisode de la conversation entre Mont s et C cile lorsque cette derni re vient le voir son h tel conversation qui est comme le r sum la manifestation la plus claire de ce fonctionnement par brusques coups tel qu on le trouve dans tout le roman puisque la jeune fille tant par ses gestes que par sa parole est si rapide si inattendue que Mont s ne prend conscience de ce qu elle a fait ou dit que lorsqu elle est pass e autre chose depuis longtemps puis de nouveau sans transition changeant brusquement de ton Ou encore lors de l vocation de Mont s transplant sans transition de son pays et la fa on de raconter de Mont s lui m me qui par exemple d crivant Th r sa au narrateur se met
31. er s thematic formal and esthetic aspects Indeed the novel presents altarpiece like characteristics it is replete with Christian motives and the writing itself reproduces the abrupt and broken temporality typical of these works made of several panels in which the reader moves straight on from one moment of the story to another Above all the novel s title and subtitle shed light on the power of writing which creates the work of art by rendering chaos and shapelessness This reflection thus also serves to assess the seminal dimension of this first novel if we leave aside those novels rejected by Claude Simon himself which enables us to comprehend Simon s craft and poetry Contact redaction sens public org Le Vent Tentative de restitution d un retable baroque ou un principe de transfigure Sur un roman de Claude Simon Yona Hanhart Marmor e lecteur du Vent plus encore celui qui conna t d autres uvres de Claude Simon ne peut que ressentir une certaine surprise tant devant le titre attribu par l crivain son roman Le Vent puisque celui ci ne semble absolument pas tre le h ros de l histoire racont e que devant ce que nous appellerons pour l instant son sous titre Tentative de restitution d un retable baroque En effet contrairement la majorit des crits simoniens Le Vent ne contient quelques exceptions pr s pas de r f rences d autres uvres d art qu il s agisse de peinture de litt
32. et la correction est encore mise en vidence par l emploi de l adverbe plut t par le pass simple qui le projette alors dans la brutalit de ce qu il appelle coup de th tre pour insister sur le caract re inattendu impr vu et ne pouvant en aucun cas tre interpr t comme la cons quence de ce qui avait pr c d Puis la ville qui avait suivi ces v nements ou plut t tant cela fut bref brutal le rideau referm aussit t qu ouvert appris le coup de th tre avec stupeur 3 p 50 p 50 3 p 50 3 p 18 Article publi en ligne 2012 03 http www sens public org article php3 id_article 919 Sens Public 11 YONA HANHART M ARMOR le Vent Tentative de restitution d un retable baroque ou un principe de transfigure Et la victime de ce refus de constance de dur e de continuit n est pas uniquement le lecteur mais le h ros lui m me Mont s d sireux d avoir une image stable et rassurante de Rose auquel l crivain employant l imparfait donne un instant cette illusion mais pour la faire cesser brutalement par le passage dont la soudainet est encore augment e par l emploi de l adverbe tout coup au pass simple Elle tait toujours v tue de la m me robe fleurs qu elle portait le matin avait simplement jet sur ses paules un tricot Et tout coup il entendit la voix brusquement chang e am re presque mauvaise Un autre proc d par leque
33. i re le fourneau une poign e de sarments qu elle casse rapidement enfournant le tout dans le foyer ajoutant deux b ches frottant une allumette puis se relevant empoignant un seau Il suffit d ailleurs de lire la fin de cette phrase et la suivante pour se rendre compte que c est pour une grande part le choix des temps verbaux qui contribue cr er cette impression d une temporalit saccad e et discontinue empoignant un seau et bient t on entend provenant de la souillarde le bruit des pellet es de boulets tombant dans le seau Et quand elle revint l a n e des deux fillettes se tenait maintenant debout Chaque verbe conjugu un autre temps vient briser la successivit que la phrase commen ait cr er le pr sent permettant pour une fois au lecteur de contempler l action au moment o elle est effectu e est brutalement interrompu par l irruption du pass simple Mais le lecteur qui croyait cette fois assister au retour de la fillette et non pas l apprendre une fois celle ci d j revenue voit d mentir cette id e par le passage l imparfait qui au contraire montre la fillette ayant d j pris une certaine attitude se trouvant d j dans l apr s de son arriv e De m me lorsque Simon relate l histoire ant rieure la naissance de Mont s il emploie d abord le plus que parfait ce qui donne au lecteur l impression d une progressivit pour le remplacer ensuite
34. ible d int grer dans le temps les v nements qui s y d roulent une de ces com dies drames multiples journ es r parties dans ou plut t exhum es mergeant sporadiquement hors d un temps vague d une incertaine dur e trou e d pisodes burlesques ou macaroniques Et lorsqu il parle de l arriv e inattendue du gitan il compare la sc ne ces films truqu s et fantasmagoriques o dans un d cor d sert appara t soudain un personnage mat rialis partir de rien tout coup nonchalamment appuy contre le mur Surtout comparaison loquente s il en est le narrateur compare le temps de Mont s 6 Ibid 7 p 118 8 p 112 pp 47 48 Article publi en ligne 2012 03 http www sens public org article php3 id_article 919 Sens Public 14 YONA HANHART M ARMOR le Vent Tentative de restitution d un retable baroque ou un principe de transfigure un mur gris sans commencement ni fin d cr pi avec ses vieilles affiches d chir es leurs fragments de textes sans commencement ni fin non plus sans suite se juxtaposant se contredisant 5 Enfin lorsqu il voque la mort brutale de Rose Mont s l oppose la conception qu il avait auparavant de la mort et qui lui faisait la consid rer comme quelque chose de progressif de pr par comme l aboutissement d une longue volution Pour souligner l oppos la soudainet la brutalit de l irruption de cette
35. l Simon cr e cette temporalit si particuli re si paradoxale est l emploi des adverbes ou des locutions adverbiales de temps soulignant la brusquerie la soudainet L adverbe le plus r current est l adverbe maintenant Il a pour effet de projeter le lecteur dans un pr sent auquel rien ne l a pr par de le mettre devant un fait accompli qu il n a justement pas vu s accomplir maintenant il tait assis sur une chaise et il devait y avoir un certain temps me dit il 38 Il me raconta qu il tait maintenant assis c t de la serveuse De m me l adverbe d j a pour effet de donner l impression au lecteur qu il a manqu l arriv e et la succession des v nements qu il arrive trop tard et n a plus de la r alit qu une vision en panneaux Ainsi lorsqu il d crit les man uvres de Maurice pour se rapprocher de Mont s on a une suite de mouvement saccad s comme d tach s les uns des autres ce qui fait que Mont s ne comprend leur signification parvenir s asseoir pr s de lui qu apr s coup lorsque Maurice a fini de s installer Cette dissimulation des pr paratifs est soulign e par l emploi de l adverbe d ja et encore renforc e par celui de tout coup ainsi que de vivement et prestement Mont s tournant sa cuill re dans son caf et l autre d j en train de lui parler depuis un moment se rapprochent prestement la soucoupe de sa tasse caf d une main faisant viv
36. nage de Mont s son obsession du d tail C est d ailleurs ainsi que le narrateur caract rise explicitement Mont s en voquant le r cit fait par ce dernier et qui une fois encore s attache et se cl t sur les l ments les moins utilitaires les moins li s l action Car ce fut en d finitive la derni re chose dont il me parla avec cette m ticulosit dans le d tail l insignifiant ou du moins ce qui pour tout autre paraissait insignifiant ce qui faisait hausser les paules aux gens s attachant me d crire le bruit cartonneux des feuilles froiss es par le souffle de la nuit les formes des feuilles semblables des toiles d coup es et le va et vient sporadique des branches rigides raides Comme toujours cette poque de l ann e me dit il quand elles ne sont encore presque pas charg es de feuilles quand le poids n est pas encore suffisant pour leur donner ce port lourd les mouvements lents majestueux et paisibles de l t Le miracle de l criture Mais peut tre au del des ressemblances pr cises du roman avec un retable baroque faut il s interroger sur cette volont exprim e par le sous titre d tablir une quivalence entre le r cit et 57 p 22 8 p 237 5 p 102 Article publi en ligne 2012 03 http www sens public org article php3 id_article 919 Sens Public 18 YONA HANHART M ARMOR le Vent Tentative de restitution d un retable baroque o
37. nce d adjectifs personnification rythme ternaire Et chaque jour mesure que le printemps approchait Mont s pouvait voir les jeunes pousses duveteuses se former un peu plus s extraire de leur gangue de bois fragiles imp tueuses triomphantes Tout de suite apr s il voque la vie de la place sur laquelle donne l h tel de Mont s s arr tant sur les diff rentes et immuables phases de la journ e d crivant les activit s quotidiennes des gitans loqueteux ou des m nag res d peign es pour les comparer nouveau tr s po tiquement de nouveau rythme ternaire chiasme adjectifs eux aussi emprunt s au domaine po tique f erique myst rieux la pousse des plantes elle aussi constitu e de phases immuables Et de sa fen tre Mont s pouvait assister chaque jour cette sorte de paisible d irr sistible recommencement de pulsation myst rieuse majestueuse f erique avec l immuable succession de ses phases immuables quelque chose de semblable ce qui p 19 7 p 118 m p 53 Article publi en ligne 2012 03 http www sens public org article php3 id_article 919 Sens Public 21 YONA HANHART M ARMOR le Vent Tentative de restitution d un retable baroque ou un principe de transfigure for ait les jeunes pousses sortir tendait balanc s sans tr ve dans le vent les fragiles turgescents et imp rieux bourgeons Cette comparaison cette quivalence ent
38. nous mettre sur la piste d un aspect essentiel de celui ci Dans la recherche de ce rapport entre le roman et la d finition qu en donne le sous titre particuli rement remarquable semble l accent mis par l crivain sur la brusquerie le caract re abrupt l absence de successivit de progressivit tout au long du r cit ce qui voque immanquablement la fa on dont sont couramment construits les retables savoir par panneaux d crivant chacun un moment de l histoire ce qui fait qu on passe de sc ne en sc ne abruptement sans transition Nous allons essayer d tudier par quels moyens stylistiques Simon r ussit cr er cette quivalence entre son criture et la construction d un retable baroque autrement dit transposer dans le temps ce que la peinture avait cr dans l espace ce qui a toujours t chez lui une pr occupation majeure comme en t moigne par exemple son article La fiction mot mot dans lequel il crit Comme le peintre et en d pit du fait qu il n a sa disposition au lieu d une surface qu une dur e l crivain peut cependant parvenir abstraire de diff rentes s ries des l ments qu il assemble en une sorte de syst me ou de m canisme non pas bien s r optique mais scriptural 5 5 In Nouveau Roman hier aujourd hui Union g n rale d ditions Paris 1972 Jbid p 86 Article publi en ligne 2012 03 http www sens public org article php3 id_ar
39. omment car il n avait pas entendu le moindre bruit un peu comme dans ces films truqu s et fantasmagoriques o dans un d cor d sert appara t soudain un personnage mat rialis partir de rien tout coup nonchalamment appuy contre le mur Simon proc de exactement de la m me fa on en ce qui concerne l imparfait temps de la dur e et de la permanence puis il s aper ut que ce n tait plus lui qu elle regardait maintenant quoique rien n e t modifi l expression de son visage En revanche il emploie abondamment le pass compos ce qui est un moyen de nous introduire non dans le temps de l action elle m me mais dans celui o elle a d j t effectu e et par cons quent une fois encore de placer son r cit sous le signe du refus de la successivit du caract re abrupt des panneaux d un retable 2 p 27 31 pp 47 48 32 p 47 Article publi en ligne 2012 03 http www sens public org article php3 id_article 919 Sens Public 10 YONA HANHART M ARMOR le Vent Tentative de restitution d un retable baroque ou un principe de transfigure elle a allum l lectricit et il se trouve maintenant seul tandis que le gitan qui les a suivies Et dans la m me sc ne l emploi r p t du participe pr sent contribue isoler chaque action d crite en faire chaque foi une sc ne isol e un panneau part enti re froissant un journal tirant de derr
40. on que son imagination lui permet de faire de l histoire du caract re ou des sentiments des personnages de sorte qu on a en fait beaucoup moins faire tel ou tel v nement qu la fa on dont le narrateur se figure qu il a d arriver qu la r invention de l v nement par la voix ou plut t par la plume du narrateur Pour ne citer que quelques unes de ces phrases essentielles je ne pouvais m emp cher d imaginer l autre il me semblait les voir l tous deux et entendre le dialogue Mais je navais pas besoin qu il me le racont t Je pouvais il me semblait voir a lui assis l 5 Cette derni re phrase surtout est particuli rement r v latrice A la limite la connaissance de la r alit est inutile Bien plus que les v nements le v ritable sujet du roman c est l imagination du narrateur A la limite peu importe ce que raconte le narrateur ce qui compte c est qu il raconte Autrement dit c est le travail de l artiste qui importe v ritablement Telle est sans doute la signification du perp tuel brouillage de fronti res mis en place par le narrateur Ainsi lorsqu il relate le dialogue entre Mont s et le notaire il commence par retranscrire celui qu il imagine pour passer soudain la version que lui en a donn le notaire Et tout coup j entendis de nouveau la voix du notaire pr sente r elle Donc une partie du r cit est r elle et l autre imaginaire c
41. ont s avec un saint voire avec J sus lui m me ce qui fait du Vent de m me qu un retable baroque une imitation Il suffit de lire la premi re description que donne le narrateur du personnage tout au d but du roman Claude Simon Le Vent d de minuit Paris 1975 pp 42 43 10p 231 Article publi en ligne 2012 03 http www sens public org article php3 id_article 919 Sens Public 4 YONA HANHART M ARMOR le Vent Tentative de restitution d un retable baroque ou un principe de transfigure il semblait appartenir cette sorte d tres qui se trouvent sans doute hors d atteinte sinon du mal de la souffrance du temps mais de leurs stigmates de sorte que tout ce qui venait de se passer semblaient avoir pass sur lui sans laisser de traces ni plus ni moins que n importe quelle temp te venue du fond des ges sur n importe quel galet roul lui aussi depuis le fond des ges seulement peut tre un peu plus lisse d avoir encore t tra n et brass un peu plus poli d barrass de ses derni res asp rit s pour pr senter la fin cette surface sans rep res l imp n trable visage de cette insoluble oiseuse nigme du bien et du mal Le mot stigmate renvoie videmment soit la crucifixion soit aux supplices inflig s aux martyrs soit encore l apparition miraculeuse chez les saints de plaies aux endroits du corps o le Christ a souffert De plus comme
42. peu quel besoin il avait de venir l sur cette route cette heure Parce que Et il d crivit la sc ne lorsqu il se fut enfin d cid t Et au chapitre d apr s on revient la voix du notaire que le narrateur cesse tout de suite d couter pour revenir au r cit de Mont s plus tard Mont s me raconta Ce jeu sur diff rentes voix et sur diff rents r cits qui ne cesse fonctionner tout au long du roman montre bien que ce qui importe Simon beaucoup plus que la r alit racont e c est le fait de la raconter La comparaison de son roman avec un retable baroque au del de la surprise caus e tout d abord par l association de deux objets de prime abord si diff rents met en relief cette primaut du travail de l artiste sur l histoire racont e puisque dans le retable il s agit toujours des m mes histoires travaill es diff remment par chaque artiste Mais c est surtout l insistance sur le r le fondamental de l imagination qui tablit cette hi rarchisation entre l v nement lui m me et son criture et explique la comparaison mise en place par le sous titre pp 34 35 St p 37 p 40 amp p 41 Article publi en ligne 2012 03 http www sens public org article php3 id_article 919 Sens Public 19 YONA HANHART M ARMOR le Vent Tentative de restitution d un retable baroque ou un principe de transfigure Le narrateur ne cesse de mettre en sc ne la recr ati
43. re le quotidien du peuple de la place et les merveilleuses m tamorphoses de la nature magnifie l insignifiant et le transforme en uvre d art Cette id e selon laquelle la valeur d une uvre d art r side non dans son sujet mais dans le travail de m tamorphose de transfiguration qui est le sien on peut peut tre la lire dans le contraste mis en place par Simon relatant apr s le match de boxe le retour du gitan et de deux autres personnages entre la description du ciel et celle des statues du tribunal tandis que le ciel au dessus d eux passait peu peu du vert au roux puis au mauve puis au bleu profond du cr puscule sur lequel se d coupa bient t en noir la statue de bronze du rond point et les lourdes palmes immobiles et dans l clairage jaune citron des deux r verb res sym triques le fronton du tribunal avec ses fausses et maigres colonnes corinthiennes et ses deux statues all goriques ou mythologiques aux yeux bovins sans prunelles comme des abstractions des entit s aveugles stupides et sereines dans la sereine conscience de leur inexistence de leur absurdit marmor enne monumentale et grecque La vraie beaut r side dans ce ciel sans pr tention si l artiste d cide de s y attacher et par son travail le transforme en sublime tableau En revanche lorsque ce travail de transfiguration n est pas effectu lorsque n est pr sente que la volont de faire de l art en s inspirant de mod les
44. riv e elle m me au lieu de nous raconter cet pisode dans sa successivit il nous le livre par panneaux d tach s ind pendants l un de l autre Toujours dans le domaine des temps verbaux il est remarquable que lorsque Simon emploie le plus que parfait qui est par excellence le temps de la successivit l tablissement de l ant riorit annon ant et expliquant ce qui va suivre c est dans une phrase n gative qui exprime donc le refus de faire entrer son r cit dans ce type d appr hension du temps et des v nements qui s y d roulent Et lui l descendu de son v lo essayant de reprendre son souffle puis sursautant se retournant b gayant vers le personnage qu il n avait pas entendu venir et qui se tenait maintenant devant lui 3 De m me en ce qui concerne non l arriv e mais la prise de conscience par Mont s de l arriv e d j effectu e du gitan nouveau la possibilit d une appr hension successive de la r alit o Mont s aurait pu voir le gitan arriver et donc tablir une continuit une unit entre la sc ne qu il vient de voir et celle qui va suivre ou m me ne pas les percevoir comme deux pisodes diff rents deux panneaux ind pendants mais comme un seul et m me moment est violemment cart e par l emploi du plus que parfait dans une phrase n gative et en se retournant il vit alors ce type qui se tenait debout arriv l me dit il sans qu on s t c
45. rs l ambivalence des sentiments que tous prouvent son gard le traitant carr ment comme le notaire d idiot ou de fou le v n rant comme Th r sa en tous cas ressentant pour lui 16 p 138 Yp 106 18p 133 1 pp 13 et 187 2p 147 Article publi en ligne 2012 03 http www sens public org article php3 id_article 919 Sens Public 6 YONA HANHART M ARMOR le Vent Tentative de restitution d un retable baroque ou un principe de transfigure cet incompr hensible attrait cet ahurissement cette exasp ration cette fascination par lesquelles on passait successivement ou que l on pouvait aussi bien prouver simultan ment d s l instant o il vous tait apparu Mais la parent de Mont s avec le Christ r side peut tre plus profond ment encore dans la parfaite authenticit qui est la sienne oppos e la facticit et au n ant du monde moderne et de la majeure partie de ses habitants Ainsi juste avant l vocation de leur premi re rencontre le narrateur mentionne les magasins en plexiglas dans lesquels on voit que la civilisation moderne n a plus rien d humain de vrai d authentique Tout de suite apr s il d crit Mont s dans la boutique du photographe en le faisant de nouveau imm diatement contraster comme le souligne le clin d il du photographe avec des pin up en maillot de bain des couchers de soleil rapport s de Venise et des b b s couch s sur les coussins qu il
46. s d ordinaire laquelle nous rem dions par un effort de l esprit 2 p 106 2 pp 104 105 3 pp 105 106 pp 146 147 Article publi en ligne 2012 03 http www sens public org article php3 id_article 919 Sens Public 7 YONA HANHART M ARMOR le Vent Tentative de restitution d un retable baroque ou un principe de transfigure Ainsi Mont s per oit le passage du temps de cette fa on parce qu il est gouvern non par son esprit mais par son c ur autrement dit parce qu il est un authentique personnage de retable baroque Et si l on prend un peu de recul par rapport l uvre cet entrem lement de motifs religieux et d une figure v ritablement christique avec une histoire sordide des personnages m diocres minables ou sc l rats ne rappelle t il pas l esth tique du retable o profane et sacr sont intrins quement m l s puisque bien souvent les saints du tableau ont le visage des commanditaires Du pictural au litt raire une transposition scripturale de l esth tique du retable baroque Mais pour comprendre vraiment la signification profonde de cette volont affich e par Simon de faire de son roman la restitution d un retable baroque peut tre serait il int ressant de nous pencher sur ce qui dans son roman au del des motifs christiques rel ve v ritablement de l esth tique du retable baroque Nous venons de parler de la temporalit particuli re du r cit Cet l ment peut
47. s psalmodi s leurs vierges poignard es debout dans leurs somptueuses robes de douleur tordant leurs doigts charg s de diamants levant leurs yeux aux pleurs de diamants vers leur fils supplici aux pieds polis par les l vres des amoureuses et des enfants les reins ceints de dentelle immacul e nu noir et juif Non seulement les l ments de cette description renvoient l univers des retables baroques les glises les vierges douloureuses le Christ mais l atmosph re qui se d gage de ce passage est comme ceux ci empreinte d obscurit de myst re et d une certaine fascination la fois pour la somptuosit et la douleur Plus loin lorsque le narrateur relate la visite de Mont s l orphelinat il voque un grand tableau sombre l huile il n eut pas le loisir de le regarder il me dit que tout le temps qu il resta avec elles il le voyait sur sa gauche vaguement quelque chose avec des femmes debout dans des voiles bleus et des clous et des gouttes de sans habilement peintes sur les pieds perc s et un ciel noir Il s agit l vidence d une crucifixion c est dire d une sc ne typique pour le panneau central d un retable Et la description insiste sur le traitement baroque la profusion des d tails typiquement baroques les draperies les pieds perc s le mani risme ciel noir brouillent la perception de la sc ne Mais plus loquente encore est l incontestable ressemblance de M
48. stitution d un retable baroque c est aussi parce qu on retrouve dans l criture le fonctionnement par panneaux propre ces tableaux dans la construction d une temporalit paradoxale fragment e discontinue et abrupte Et de la sorte le roman de Simon peut v ritablement tre caract ris comme une uvre baroque puisque de m me que dans un ballet de Jean Baptiste L Hermite dans un roman de D Urf ou dans des vers de Monl on l criture donne l uvre litt raires les m mes caract ristiques que l uvre peinte mettant en sc ne un univers instable mobile en perp tuelle m tamorphose M me la pr pond rance du d cor l un des quatre crit res de Rousset est pr sente puisque Simon d crit r guli rement la vie de la ville en particulier de la place o vient souvent Mont s et surtout que vers la fin du roman reprenant la comparaison de son r cit avec une pi ce de th tre il le compare une pi ce o il n y aurait que le d cor Mais il existe encore d autres points communs entre l esth tique du roman et celle d un retable baroque Il suffit de se pencher sur l importance accord e par Simon au d tail ce qui de prime 52 p 85 p 198 pp 216 217 Article publi en ligne 2012 03 http www sens public org article php3 id_article 919 Sens Public 16 YONA HANHART M ARMOR le Vent Tentative de restitution d un retable baroque ou un principe de transfigure abord semblerait
49. ticle 919 Sens Public 8 YONA HANHART M ARMOR le Vent Tentative de restitution d un retable baroque ou un principe de transfigure D s l incipit la volont de Simon de plonger abruptement son lecteur au c ur d une histoire sans l y avoir en rien pr par sans aucune explication pr alable est manifeste puisqu il choisit de nous faire entrer in medias res non pas m me au d but mais en plein milieu d un dialogue sans m me qu on sache qui sont les interlocuteurs et de qui ils parlent Un idiot Voil tout Et rien d autre 7 Brusquerie encore intensifi e par ces phrases elles m mes si abruptes la fois nominales et d une bri vet d concertante pour le lecteur projet dans cette conversation parfaitement incompr hensible Et d embl e Simon fait de cette brusquerie de ce caract re abrupt un l ment fondamental de son uvre puisque ne les cantonnant pas simplement son criture il en fait l essence m me du h ros Mont s car il semblait appartenir cette sorte d tres qui ont vieilli une fois pour toutes non pas m me au cours de leur adolescence mais de leur enfance Ainsi la diff rence des autres hommes celui ci n a pas t fa onn par le permanent coulement du temps qui masque les changements gr ce la sa successivit Comme les panneaux d un retable il s est constitu par paliers brusques sans transition Ce caract re abrupt cette similitude avec la
50. u un principe de transfigure une uvre d art pr cis ment lorsque le r cit en question ne comporte presque pas de r f rences au domaine artistique Peut tre la cl se trouve t elle justement dans cette absence de r f rence artistique peut tre que ce que Simon veut accomplir c est de m me que dans un retable les souffrances et les tortures les plus cruelles deviennent sublimes la transfiguration sinon du sordide du quotidien et du m diocre en uvre d art par le seul pouvoir de l criture Cette primaut de l criture sur le sujet sur le contenu de l histoire Simon ne cesse de l affirmer par son insistance sur le travail des voix qui montre que bien plus que du r cit d un v nement il s agit ici d un r cit de r cit D s l incipit en effet la narration est relay e d doubl e et le narrateur nous rapporte non pas l v nement que fut la conversation de Mont s avec le notaire mais le r cit que le notaire lui en fit De m me tout l pisode de l huissier se rendant chez le r gisseur est racont partir du r cit fait par l huissier c est nouveau un r cit de r cit Plus pr cis ment il s agit d une alternance entre le r cit du narrateur rapportant ce qu a racont l huissier et le r cit de l huissier lui m me exactement comme avec le notaire la route vide d serte au point qu il aurait presque pens avoir r v Mais raconta plus tard l huissier je vous demande un
51. versel et le solennel M me l pisode honteux de la d couverte par la femme enceinte demi nue du gitan dans la chambre de sa bonne prend une indicible majest par la comparaison des deux protagonistes avec deux de ces statuettes n gres la pr cise et sauvage obsc nit violents barbares elle comme une de ces d esse archa ques de la f condit Si l criture de Simon est capable de m tamorphoser de transfigurer de la sorte tout ce qu il choisit comme sujet de son uvre c est parce que son criture fonci rement diff rente de l criture journalistique compte rendu et mise en ordre est respect mise en valeur et recr ation de la diversit de l ind pendance et du d sordre propres la vie Le passage suivant est si fondamental que nous nous permettons de le citer in extenso 75 p 107 75 p 108 7 pp 112 113 78 p 116 Article publi en ligne 2012 03 http www sens public org article php3 id_article 919 Sens Public 23 YONA HANHART M ARMOR le Vent Tentative de restitution d un retable baroque ou un principe de transfigure Car me dit il ce fut ainsi que cela se passa en tout cas ce fut cela qu il v cut lui cette incoh rence cette juxtaposition brutale apparemment absurdes de sensations de visages de paroles d actes Comme un r cit des phrases dont l agencement ordonn substantif verbe compl ment seraient absents Comme ce que devient n importe quel arti
Download Pdf Manuals
Related Search