Vivre passionnément avec Kierkegaard
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1. Groupe Eyrolles Groupe Eyrolles MALADES DE D SESPOIR 27 Questions vitales l Il vous est sans doute arriv de ressentir parfois un tat de d prime Vous vous sentiez d humeur maussade peut tre fatigu e prompt e au ras le bol Mais un tel tat vous a t il jamais incit e d sesp rer de vous m me Trouviez vous dans cette tristesse de quoi nourrir le sentiment que votre existence n avait aucun sens Peut tre avez vous aussi connu des tats d pressifs pour lesquels vous avez t suivi e et pris e en charge m dica lement Vous rappelez vous ce qui a d clench cette d pression Sans doute tait ce un v nement marquant qui vous a particuli rement affect e Mais pourquoi et surtout en quoi vous a t il affect e Qu a t il provoqu en vous qui vous a mis e sur la voie de la d pression VIVRE PASSIONN MENT AVEC KIERKEGAARD Y auriez vous t conduit e si cet v nement n avait entam singuli rement la confiance que vous avez en vous m me Au fond par del ce qui a pu la provoquer votre d pression n tait elle pas due une profonde m sestime c est dire un d sespoir qui l a pr c d e dans le temps Si votre fille de 16 ans d sesp re pour un chagrin d amour vous aurez peut tre tendance prendre les choses la l g re Pour vous cette bagatelle n est pas suffisamment grave pour justifier une r action si v h men2. Le d sespoir un d lire premi re vue on comprend ais ment les raisons qui imposent une perspective th rapeutique Il y a toujours quelque chose de d routant dans cette souffrance qui prend l allure d un jugement d finitif port contre soi Je ne vaux rien Je suis un rat un looser un homme sans int r t Le praticien voit fort bien le danger norme d un pareil discours Mais il a tendance y voir un ph nom ne d amplification sans rapport direct avec le probl me qu il s agit de traiter Autre ment dit cette autod valorisation serait un sympt me dont les cons quences peuvent tre terriblement funestes mais qui ne peut cependant avoir sa raison en nous Cette rage d auto d pr ciation est trop radicale pour tre autre chose que le d lire d un esprit souffrant Groupe Eyrolles Groupe Eyrolles MALADES DE D SESPOIR 19 Tout cela incite ne voir dans cette rage que le sympt me le plus manifeste d un pisode d pressif L individu d ses p re parce qu il est d prim On s en tient alors chercher les causes et facteurs physiques et ou psychiques Autrement dit l objet du d sespoir c est bien moi mais sa cause en revanche ne saurait tre moi Mani re de poser que travers mon d ses poir je souffrirais en r alit d autre chose dont je n ai pas n ces sairement conscience par exemple de probl mes d enfance non r solus Ma ha
3. autres suivent des cours de th tre pour apprendre vaincre leur timidit etc Mais tout cela n est pas encore du d sespoir Tant que c est seulement ceci ou cela en nous qui nous navre nous n avons aucune raison de remettre en cause la validit de notre existence personnelle Nous pouvons avoir un d faut vouloir le perdre sans pour autant avoir le sentiment de partir en guerre contre nous m mes En revanche si nous nous identi fions ce d faut au point d tre ce d faut si nous pesons toute notre personne l aune de cette faiblesse que se passe t il Soudain la critique de notre d faut devient une remise en cause personnelle de nous m mes Je sis un l che Je suis une brute Je suis faible et ainsi de suite Le d faut d un seul coup pouse les contours exacts de notre personne il devient notre identit et litt ralement nous colle la peau Non pas un simple d faut en moi mais rien de moins que ce moi pris en d faut Aussi on ne d sesp re pas d un d faut en soi mais bien d un moi que l on juge d faillant Un moi obs dant devenu ha ssable C est donc avec le moi et uniquement avec lui que le d ses poir a maille partir Lorsque nous sommes d sesp r s le moi 12 VIVRE PASSIONN MENT AVEC KIERKEGAARD d faillant est ce point envahissant qu il prend une place d mesur e Vous avez s rement un jour ou l autre vu un proche s
4. faire preuve d initiative affirmer qui nous sommes d finir ce que nous sommes qualit s et d fauts m l s etc De m me c est la libert des individus plus qu celle des peuples que nous sommes d sor mais attach s Nos droits imprescriptibles comme les droits de l homme sont devenus avant tout des droits individuels c est dire attach s aux individus en leur minente qualit d individus Jusqu au regard que nous portons sur nos enfants consid r s depuis pas si longtemps que cela comme des per sonnes part enti re ayant des droits propres Politiquement socialement culturellement dans les institutions et dans les m urs dans les parloirs minist riels et le huis clos des cham bres coucher l individu est ainsi devenu le centre de gravit autour duquel tout un univers mental s organise Du m me coup comme sous une lumi re trop crue tous les probl mes li s l individualit ont pris un relief saisissant Car une fois t tout ce qui faisait obstacle au droit des indi vidus une fois chacun rendu lui m me quoi fallait il donc s attendre Pensait on qu il serait si facile d tre soi m me pour peu qu on nous laisse enfin toute latitude de l tre Suffit il d avoir la permission d tre soi cet individu pour devenir sans plus d embarras ce que nous sommes Au lieu de cela nous voici abonn s d incessantes souffrances qui r gu li rement nous pr cip
5. terminerons d abord le probl me r soudre de quoi souffrons nous et qu est ce qui d termine la condition humaine Comment comprendre avec pr cision nos errances et nos illusions Bien rep rer nos probl mes est d j un premier pas vers leur solution Il Les cl s pour comprendre Qu est ce que la philosophie apporte de nouveau pour clairer cette compr hension En quoi devons nous radicale ment changer notre mani re de voir pour prendre en main notre vie Ici le lecteur sera introduit aux th ses les plus novatrices du philosophe qui l aideront porter sur lui m me un regard neuf Il Les moyens d agir Comment cette nouvelle conception de l homme change t elle notre mani re d agir et de vivre Comment appliquer au quotidien notre nouvelle philosophie Comment notre pens e transforme t elle notre action qui elle m me transforme ce que nous sommes Le lecteur trouvera ici des recettes appliquer au quotidien IV Une vision du sens de l existence Nous pr senterons enfin les th ses plus m taphysiques plus sp culatives du philosophe Si le lecteur a maintenant appris mieux g rer sa vie au quotidien il lui reste d couvrir Groupe Eyrolles Groupe Eyrolles MODE D EMPLOI 3 un sens plus global pour encadrer son exp rience Alors que les chapitres pr c dents lui enseignaient des m thodes des moyens pour mieux vivre il se verra confront dans cette derni re partie l
6. d sespoir o l on veut tre soi m me et le d sespoir o l on ne veut plus tre soi m me l vidence le premier pr sente moins de danger puisqu il se fonde sur une image id ale de soi que l on ne peut atteindre mais qui n en demeure pas moins l identit v ritable que le d sesp r revendique Certes il d sesp re de lui m me mais il Le fait au nom d un moi id al avec lequel il se sent plus d affinit Par exemple un croyant Groupe Eyrolles Groupe Eyrolles MALADES DE D SESPOIR 13 peut d sesp rer de lui m me lorsqu il se sent p cheur Mais ce d sespoir reste li un id al de saintet qui l habite et auquel il se sent intimement appartenir Aussi la validit m me de son existence personnelle trouve t elle un refuge dans ce moi qu il veut tre et qu au fond il se sent vou tre Rien de tel ne se joue dans la seconde forme de d sespoir L l individu entretient un rapport purement n gatif avec lui m me Il ne pr tend pas se d livrer de lui m me pour devenir celui qu il aurait vocation tre il ne se propose pas d assumer une autre identit mais seulement de prendre cong de lui m me pour se noyer dans les eaux perp tuelles d un sommeil oublieux Mourir dormir r ver peut tre Puisque c est sa propre personne qui pose probl me c est donc avec elle que le d ses p r veut en finir La tentation du suicide Se pose alors la question de savoir co
7. des condi tions particuli rement favorables Le d sespoir est en effet une maladie qui affecte sp cifiquement le sentiment que l indi vidu a de lui m me C est pourrait on dire la pathologie du moi Dans un contexte de vive promotion des ego il trouve donc naturellement un terrain o s panouir libre ment Autant d individus autant de proies saisir Mais quoi reconna t on la pr sence de ce mal qui nous d sesp re ceci particuli rement quand nous sommes d sesp r s au lieu de faire de nous m mes notre plus fid le alli nous deve nons pour nous m mes un ennemi d clar Somm s de glori fier notre moi nous d veloppons soudain pour lui une haine inextinguible Situations d sesp rantes Une jeune femme abandonn e par l homme qu elle aimait pour une autre un parent qui d plore l loignement de son enfant un malade qui retombe dans une maladie qu il pensait avoir vaincue dix fois un patron confront l in vitable ch ance d un d p t de bilan apr s avoir bataill durant des mois pour sauver son entreprise tous ces exemples et bien d autres encore illustrent ce que nous nommons des situa tions d sesp rantes Leur point commun Elles constituent des preuves qui quand nous les subissons semblent n avoir aucune solution aucune issue salutaire C est sans espoir 10 VIVRE PASSIONN MENT AVEC KIERKEGAARD se dit la jeune femme qui n attend plus le re
8. un amour perdu la cible r elle de notre d sespoir c est nous m mes D sesp rer d une chose n est donc pas encore du v ritable d ses poir c en est le d but il couve comme disent d un mal les m decins Puis le d sespoir se d clare on d sesp re de soi Regardez une jeune fille d sesp r e d amour c est dire de la perte de son ami mort ou volage Cette perte n est pas du d sespoir d clar mais c est d elle m me qu elle d sesp re Ce moi dont elle se f t d fait qu elle e t perdu sur le mode le plus d licieux s il tait devenu le bien de l autre maintenant ce moi fait son ennui puisqu il doit tre un moi sans l autre Trait du d sespoir p 358 359 Groupe Eyrolles Groupe Eyrolles MALADES DE D SESPOIR 11 et d fauts d sesp rants En dehors de ces v nements ponctuels notre d sespoir peut tre cibl sur des objets plus familiers nos d fauts Nous pouvons d sesp rer de notre physique de notre maladresse de notre absence de talent de notre manque d ambition etc Je me trouve grosse J en ai assez de me laisser faire Je voudrais tellement tre plus courageux Ainsi passons nous beaucoup de temps tenter de rem dier ce que nous estimons tort ou raison tre nos d fauts Certains entreprennent de perdre du poids pour retrouver une silhouette d athl te d autres se cultivent pour pallier les carences de leur instruction d
9. 738 ISBN 978 2 212 55738 1 www editions eyrolles com Vivre passionn ment avec Kierkegaard Groupe Eyrolles 61 bd Saint Germain 75240 Paris Cedex 05 www editions eyrolles com Avec la collaboration d Anne Jouve Dans la m me collection Fr d ric Allouche tre libre avec Sartre Fr d ric Allouche Grandir avec Pascal C line Belloq zre soi avec Heidegger C line Belloq L cher prise avec Schopenhauer Damien Clerget Gurnaud Agir avec Aristote Ang lique Gaillon Jacquel Cueillir l instant avec les picuriens Balthasar Thomass tre heureux avec Spinoza Balthasar Thomass S affirmer avec Nietzsche En application de la loi du 11 mars 1957 il est interdit de reproduire int grale ment ou partiellement le pr sent ouvrage sur quelque support que ce soit sans autorisation de l diteur ou du Centre fran ais d exploitation du droit de copie 20 rue des Grands Augustins 75006 Paris Groupe Eyrolles 2015 ISBN 978 2 212 55738 1 Damien Clerget Gurnaud Vivre passionn ment avec Kierkegaard Collection Vivre en philosophie dirig e par Balthasar Thomass EYROLLES _ _ Q la Vouivre Lasse de la mort moderne je sus que je trouverais l une pens e de viande rouge Lydie Dattas La Foudre Groupe Eyrolles Sommaire MODE D EMPLOI Mn enr nr Les sympt mes et le diagnostic Malades de d sespoir Bo rredu d Soi MEM Citrane Quand la m decine se saisit du
10. DAMIEN CLERGET GURNAUD Vivre Pacsionn mernt ANEC Kierkegaard EYROLLES o mettez du Kierkegaard dans Votre Vie Kierkegaard d nonce la vie abstraite dans laquelle nous vivons passant ainsi notre existence c t de nous m mes Nous nous r fugions bien malgr nous dans le monde des repr sentations des opinions et des id es sans que celles ci nous atteignent vraiment Que fuyons nous en agissant ainsi Nous fuyons notre v ritable nature par essence contradictoire Nous sommes en effet anim s d un d sir d absolu incompatible avec la r alit de notre quotidien C est cette contradiction interne que nous nous confrontons notamment lors des moments lucides de crise de souffrance et de d sespoir crise amoureuse pertes de rep res d pression Comment sortir de l impasse Nous pouvons selon Kierkegaard r soudre le paradoxe en vivant passionn ment Il ne s agit pas d radiquer la souffrance ou le d sespoir mais de le d passer en lPassumant La seule issue est de vivre en faisant des choix thiques en suivant nos convictions profondes et personnelles qui ne se justifient pas intellectuellement mais motionnellement DAMIEN CLERGET GURNAUD est professeur agr g de philosophie Colection Vivre en philosophie Des modes d emploi pour appliquer concr tement les le ons des grands philosophes dans nos vies quotidiennes intimes et sociales Code diteur G55
11. a question du but de la finalit de l existence qui ne saurait se d terminer sans une vision globale et m taphysique du monde et de la place qu il y occupe Ce livre n est pas seulement un livre lire c est aussi un livre faire Des questions pr cises sur votre vie suivent les th ses pr sent es dans chaque chapitre Ne soyez pas passif mais retroussez vos manches pour interroger votre v cu et y puiser des r ponses honn tes et pertinentes Des exercices concrets vous inciteront mettre en uvre les enseignements du philosophe dans votre vie De la m me fa on efforcez vous de vous les approprier et de trouver des situations opportunes pour les pratiquer avec s rieux tes vous pr t pour le voyage Il risque de se r v ler sur prenant parfois aride parfois choquant tes vous pr t vous sentir d stabilis projet dans une nouvelle mani re de penser et donc de vivre Ce voyage travers les id es d un philosophe du XIX si cle vous transportera aussi au plus profond de vous m me Alors laissez vous guider au fil des pages au fil des questions et des id es pour d couvrir comment la pens e de Kierkegaard peut changer votre vie I LES SYMPT MES ET LE DIAGNOSTIC Malades de d sespoir 6 VIVRE PASSIONN MENT AVEC KIERKEGAARD L individu tient aujourd hui une place centrale dans les soci t s occidentales Il n est gu re de lieu au travail ou ailleurs o nous ne soyons incit s
12. arfois ce n est rien ou presque une occasion ridicule une broutille Et il peut m me nous arriver de d sesp rer sans pour autant pouvoir identifier de d clencheur Voyons pr sent pourquoi ils d sesp rent parce qu ils d couvri rent que la base de leur vie est ph m re Mais est ce bien une raison de d sesp rer Est ce que la base de leur vie a subi une modification essentielle Est ce une modification essentielle de ce qui est ph m re ou bien n est ce pas plut t quelque chose de fortuit et de non essentiel s il ne se montre pas ainsi Il n est arriv rien de nouveau qui puisse justifier une modification Par cons quent s ils d sesp rent cela doit venir d un d sespoir ant rieur Toute la diff rence est qu ils ne le savaient pas mais c est une diff rence tout fait for tuite Ou bien Ou bien p 490 Le 17 novembre 1958 alors qu il venait de se fiancer le math maticien japonais Yutaka Taniyama mettait brutalement fin ses jours Sur son bureau il avait d pos une lettre qui n expliquait rien et laissait ses proches dans un tat de stup faction Quant la cause de mon suicide je ne la comprends pas moi m me tout fait mais elle ne r sulte pas d un incident ou d un probl me particulier Je puis simplement dire que j ai 24 VIVRE PASSIONN MENT AVEC KIERKEGAARD perdu confiance en mon avenir Comment est il possible de se suicider ainsi sans cause appa
13. aux applications pratiques Nous au contraire allons nous int resser ce que nous pouvons tirer d une grande philosophie pour changer notre vie le menu d tail de notre quotidien comme le regard que nous portons sur notre existence et le sens que nous lui donnons Cependant on ne peut pas infl chir sa pratique sans r viser sa th orie Le bonheur et l panouissement se m ritent et ne vont pas sans un effort de r flexion Nous chercherons viter la complaisance et les recettes faciles de certains manuels de d ve loppement personnel Une nouvelle mani re d agir et de vivre implique toujours aussi une nouvelle mani re de penser et de se concevoir Nous d couvrirons ainsi le plaisir parfois vertigi neux de la pens e qui en tant que tel d j change notre vie C est pourquoi nous inviterons le lecteur r fl chir des concepts avant de lui proposer de s interroger sur lui m me Il nous faut d abord cerner nos probl mes puis les interpr ter l aide de nouvelles th ories pour enfin pouvoir y rem dier par des actions concr tes Ce n est qu apr s avoir d j chang 2 VIVRE PASSIONN MENT AVEC KIERKEGAARD notre mani re de penser de sentir et d agir que nous pourrons nous interroger sur le cadre plus large de notre vie et sur son sens C est pourquoi chaque livre de cette collection divis en quatre grandes parties suivra une progression similaire I Les sympt mes et le diagnostic Nous d
14. d s que vous le pouvez l espace silencieux de votre domicile ou si vous ne pouvez passer un quart d heure de solitude pleine sans ressentir un malaise qui vous force allumer compulsivement votre poste de t l vision n est ce pas que vous cherchez obscur ment vous fuir Vous para t il possible de passer beau coup de temps en t te t te avec vous m me sans tre amen e presque natu rellement broyer du noir Groupe Eyrolles Groupe Eyrolles MALADES DE D SESPOIR 4 l issue de ce chapitre comprenez vous que c est bien toujours de vous m me que vous d sesp rez Cherchez com prendre pourquoi le d sespoir fragilise ce point l image que vous avez de vous m me Qu est ce qui selon vous expli que ce d samour quoi est il d 17 Quand la m decine se saisit du d sespoir En affectant sp cifiquement le sentiment que nous avons de nous m mes le d sespoir est devenu le v ritable mal des temps modernes et de fait un enjeu sanitaire dont la m decine s est assez naturellement saisie Combien de nos d sespoirs finissent dans les salles d attente de cabinets secourables Quels que soient les m rites incontestables d une approche th rapeutique il est permis de s interroger sur la validit du pr suppos sur lequel elle se fonde a t on vraiment le droit de r duire le d sespoir une simple pathologie au risque d en m conna tre la dimension existentielle
15. d sespoir L illusion du bonheur Sous le signe de la contradiction IT Les cl s pour comprendre L oubli de la passion Le mythe du sujet pensant L illusion d une connaissance objective La renonciation la b atitude Notre orgueilleuse pr somption d individus SOUV TAINS ain sn dents serbes Isere dans lene tes tene net ton iine ee VI VIVRE PASSIONN MENT AVEC KIERKEGAARD II Les moyens d agir Retrouver la noblesse d une vie thique Ne pas faire de notre vie une fiction seeeeeceereeeee Se choisir VIAIM NE sorrera annaa ia eos Servit ideal D cn Suivre la mortale 25232 5er scsi ss seins IV Une vision du sens de l existence Reconna tre l authentique pr sence du divin Le sentiment d tre fautif eeeeeeeieeeeeeeeesseserrrrereseeecs La pr sence du divin La bonne nouvelle sssssssisisseeeeesesssrrrrrereesesrrrrrereeeesn L MENTS D UNE VIE srsrrerrrereneeneeneeneeneeneeneneneenee GUIDE DE LECTURE rrrrrrreeerenreneeneeneeneenennenenennennes Groupe Eyrolles Groupe Eyrolles Mode d emploi Ce livre est un Livre de philosophie pas comme les autres La philosophie a toujours eu pour ambition d am liorer nos vies en nous faisant comprendre ce que nous sommes Mais la plupart des livres de philosophie se sont surtout int ress s la question de la v rit et se sont puis s d gager des fonde ments th oriques sans s int resser
16. de plus en plus manifeste C est l l acide la gangr ne du d sespoir ce supplice dont la pointe tourn e vers l int rieur nous enfonce toujours plus dans une auto destruction impuissante Loin de consoler le d sesp r tout au contraire l chec de son d sespoir le d truire est une torture qui ravive sa rancune sa dent c est en accumulant sans cesse dans le pr sent du d sespoir pass qu il d sesp re de ne pouvoir se d vorer ni se d faire de son moi ni s an antir Telle est la formule d accumu lation du d sespoir la pouss e de la fi vre dans cette maladie du moi Trait du d sespoir p 35 En France selon les donn es fournies par l Inserm pour l ann e 2011 le suicide repr sentait la premi re cause de mortalit des 25 34 ans et la deuxi me chez les 15 24 ans Il ne s agit l que des manifestations les plus criantes du d sespoir Qui oserait pr tendre dans ces conditions que le d samour de soi demeure un ph nom ne marginal une douloureuse excep tion la norme g n rale d un amour ordinaire de soi Pour quoi en ce cas avons nous tant besoin parfois jusqu la supplication de l amour des autres Et pourquoi d ployons nous tant d efforts pour nous tourdir et nous distraire sans cesse de nous m mes 1 Charles Baudelaire L H autontimoroum nos Les Fleurs du mal 2 C piDc Inserm tat des lieux du suicide en France 2011 www sante gouv fr Gr
17. e li une personne aussi indigne que lui Le tableau de ce d lire de petitesse prin cipalement sur le plan moral se compl te par une insomnie par un refus de nourriture et fait psychologiquement tr s remarquable par la d faite de la pulsion qui oblige tout vivant tenir bon la vie Freud Deuil et m lancolie M tapsychologie Gallimard 1968 1 Repris in M ancolies de l Antiquit au XX si cle sous la direction d Yves Hersant Robert Laffont 2005 p 762 Groupe Eyrolles Groupe Eyrolles MALADES DE D SESPOIR 25 Cette fa on de traiter le d sespoir comme un sympt me est elle bien l gitime Observons d j que du point de vue de leur tonalit affective d sespoir et d pression se distin guent nettement la v h mence du d sesp r contraste vive ment avec la fatigue et l abattement g n ral du d pressif Le d sesp r a comme on le dit justement l nergie du d ses poir Or d nergie le d pressif n en a plus il se sent un peu comme un pneu d gonfi En outre la d pression rel ve de facteurs parfaitement objectifs physiques ou psychiques qui ne requi rent pas de faire intervenir la vie subjective de l esprit c est dire cette propri t que nous avons de nous rapporter nous m mes de mani re consciente Bien s r un psychanalyste saura aussi couter les dol ances de son patient il sera tr s attentif la fa on subjective don
18. i col re contre soi Puis force de nous demander pourquoi nous n arrivons pas gu rir notre pr occupation change insensiblement d objet Du pro bl me local que nous affrontons nous faisons un probl me beau coup plus g n ral Pourquoi suis je donc tellement faible Qu est ce qui ne va pas chez moi D s lors la douleur de la rupture amoureuse se retrouve litt ralement incorpor e une m ditation morbide sur notre propre incapacit faire face aux douleurs de la vie ce temps qui passe et qui casse et qui impla cablement s pare les amants d un moment Ainsi lev e vie une chelle philosophique notre souffrance acquiert de telles dimensions que toute volont de la ramener une cause circonstanci e s en trouve irr m diablement emp ch e Groupe Eyrolles Groupe Eyrolles MALADES DE D SESPOIR 21 La cause r elle du d sespoir n est pas ce qui le provoque Assur ment cette g n ralisation para tra toujours abusive et d lirante si nous consid rons que la cause r elle du d ses poir est ce qui le suscite une rupture une maladie un deuil un chec professionnel une fatigue une fragilit motion nelle etc Dans ce cas il faudrait imp rativement trouver une raison ce d lire sous la forme de m canismes psychiques inconscients qui produisent le d sespoir sans que l individu y soit pour rien Loin d tre responsable de son d sespoir celui ci n e
19. ine de moi m me ne serait ainsi pas la cause v ritable de ma souffrance c en serait uniquement le r sultat celui qui d sesp re nous dirons Tu ne souffres pas parce que tu d sesp res de toi m me tu d sesp res de toi m me parce que tu souffres Ne reste plus alors qu identifier cette souffrance secr te la mettre au jour et la vaincre pour triompher du m me coup de la m sestime de soi La dimension existentielle du d sespoir Pourquoi cette volont de ramener le d sespoir des causes enfouies Parce que la mani re dont le d sesp r tire parti d un probl me particulier pour l lever aux vastes dimensions d une faillite personnelle para t excessive pour ne pas dire d lirante Un chec singulier quel qu il soit peut tre d de multiples causes Nous subissons tous dans notre vie des checs person nels Une d convenue amoureuse une difficult profession nelle sont des choses assez communes Mais nous n en faisons pas pour autant les t moins d une faillite g n ralis e Avoir t conduit une fois ne suffit pas en principe l gitimer le constat que nous serions tout jamais incapables de plaire Le d sesp r pourtant se montre assez prompt une telle g n ralisation Dans le fond pense t il le probl me est que je n arriverai jamais rien je serai toujours vou l chec Ce n est donc pas cause de ceci ou bien de cela que les choses se pas
20. itent dans les cabinets des psychoth ra peutes D une poque radieuse o la vie individuelle tait par e de tous les charmes d une terre promise nous sommes pass s abruptement ce temps d senchant o l identit personnelle est devenue la source de tous nos tourments Personne ne pouvait suspecter que les choses tourneraient aussi mal l exception de S ren Kierkegaard Ce philosophe danois ce petit provincial de la pens e ce chr tien enrag qui remplit Groupe Eyrolles Groupe Eyrolles MALADES DE D SESPOIR 7 ses feuillets de sermons difiants contre toute une poque semble tre pass compl tement c est peu de le dire c t du grand vent de l histoire Homme d pass s il en est qui ne semble avoir t ni vraiment de son temps la premi re moiti du XIX si cle ni moins encore du n tre Et pourtant ce sombre penseur de Copenhague est aussi par une sorte d ironie du destin le philosophe le plus actuel qui soit car nul ne s est montr d fenseur plus obstin de l individu Et pour tant nul n a mieux anticip quelles menaces nos soci t s individualistes se trouveraient in vitablement expos es Il faudrait presque croire que la g n ration laquelle j ai moi aussi l honneur d appartenir doit tre un royaume de dieux Et pourtant il n en est vraiment rien cette pl nitude de force ce courage qui d sire ainsi tre le cr ateur de son propre bonheur
21. mment un homme d sesp r en vient vouloir se suicider Qu est ce qui explique un passage lacte qui demeure pour tous les proches une d cision inexplicable On pourra invoquer autant que l on veut des causes affectives des facteurs physiologiques des fragilit s de tous ordres Mais plus important que tout cela est le fait que le d sesp r s attaque un objet qui ne lui laisse aucune chappatoire lui m me D un c t en effet le d sesp r d sesp re de lui m me d un soi dont il voudrait pouvoir tre quitte Mais d un autre c t plus il d sesp re plus il est pr sent ce moi qu il voudrait pourtant fuir Le d sesp r ne se supporte plus mais il ne peut se quitter et sa pr sence se renforce m me par ce d sespoir qui voudrait l abolir plus il songe se quitter moins il parvient s oublier Il a besoin de lui m me pour d sesp rer de lui m me L accus ne peut figurer la barre si le juge ne l y convoque Et ce juge c est le moi qui perp tuellement 14 VIVRE PASSIONN MENT AVEC KIERKEGAARD triomphe de sa haine C est tout mon sang ce poison noir Je suis le sinistre miroir o la m g re se regarde Ce qui explique donc que le suicide n est pas comme on le pense la volont de se d truire Plut t c est parce qu on n arrive jamais quoi que l on fasse tre quitte de soi que l on finit par se suicider pour faire dispara tre une contradiction
22. n serait alors tout au plus que la victime involontaire Or c est cette fa on habituelle de traiter le d sespoir que Kierkegaard critique Selon lui rien ne nous autorise juger la m sestime de soi comme une pens e d lirante qui aurait besoin d tre expliqu e par des processus occultes Il se pourrait parfaitement en effet que toutes les circonstances qui pro duisent notre d sespoir soient moins des raisons de d sesp rer que des occasions de d sesp rer Sans doute font elles clater le d sespoir mais rien n indique qu elles en soient l origine Si nous consultons pour une douleur au ventre il arrive parfois que le m decin diagnostique une appendicite Sans cette douleur nous n aurions videmment jamais consult Mais il n en demeure pas moins que l inflammation avait commenc en amont bien avant qu elle ne se signale notre attention Un mal qui se d clare peut donc tre d j l depuis long temps bien avant qu on ne lui donne l occasion de se mani fester Ainsi du d sespoir Si quelqu un en effet dont il a v rifi un moment donn la bonne sant tombe ensuite malade le m decin a le droit de dire de lui qu il tait alors bien portant et qu il est maintenant malade Il en va autrement du d sespoir Son apparition montre d j sa pr existence Trait du d sespoir p 365 22 VIVRE PASSIONN MENT AVEC KIERKEGAARD Imaginons un homme qui d sesp re parce qu il n a pa
23. ombrer dans le d sespoir Ne vous est il jamais arriv d avoir lutter contre un sentiment d agacement Car derri re ce qui semble tre une manie syst matique d autoflagellation nous serions presque tent s de d celer une manifestation sournoise d go sme qui nous donne envie de lui dire Arr te de te regarder le nombril cesse donc de ne penser qu toi De fait le d sesp r est tout occup de lui m me Ses propres d fauts qu il n en finit pas d exhiber comme autant de plaies saignantes semblent lui fournir d incessantes occasions de penser lui m me Lui encore lui toujours lui Il n y en a donc que pour lui Oui d une certaine mani re Mais ce n est pas de l go sme Les apparences sont parfois trompeuses On peut tre obs d par quelqu un et penser lui jour et nuit parce que nous l aimons de fa on d mesur e Mais ne faisons nous pas la m me chose lorsque nous pensons jour apr s nuit ceux que nous d testons et que nous voudrions voir dispara tre Ainsi il y a une fa on de s occuper haineusement de soi qui prend toute l apparence d un amour immod r Le d sespoir est une maladie extr mement dangereuse car il porte toujours en lui la tentation du suicide Par chance tous nos d sespoirs ne nous conduisent pas syst matiquement une telle extr mit Kierkegaard distingue ainsi clairement deux formes de d sespoir dont la gravit n est pas gale le
24. oui son cr ateur m me est une illusion et en perdant le tragique le pr sent gagne le d sespoir Ou bien Ou bien p 113 Abonn s au d sespoir nous le sommes comme jamais Selon le dernier rapport de l OMS 25 de la population europ enne souffrent chaque ann e de d pression ou d anxi t et 50 des cong s de maladie chroniques leur sont imputa bles Plus encore 50 des d pressions majeures ne sont pas trait es le reste l tant pour une facture globale de 170 mil liards d euros On ne s tonnera pas que dans un tel contexte les individus aient plus que jamais besoin d assistance pour porter le fardeau d une identit qui pour n en tre plus cras e n en est pas moins devenue crasante Sommes nous r ellement arm s pour faire face ce ph no m ne Certes des m decins comp tents des psychologues honorables des laboratoires pharmaceutiques pourvoyeurs de mol cules consolantes travaillent d arrache pied combattre le d sespoir Mais l ampleur du ph nom ne et sa permanence 1 OMS La d pression en Europe faits et chiffres www euro who int 8 VIVRE PASSIONN MENT AVEC KIERKEGAARD nous montrent bien que nous n avons toujours pas trouv la solution miracle Loin de faire refluer le d sespoir les avan c es de la th rapie moderne en ont fait plut t un march tr s rentable et des vendeurs de solutions conseillers coachs experts en gestion de soi pros
25. oupe Eyrolles Groupe Eyrolles MALADES DE D SESPOIR 15 Questions vitales l Y a t il un d faut qui vous d sesp re Pourquoi celui l plut t qu un autre Sil un de vos proches tente de vous consoler en vous disant que vous vous trompez cela vous aide il aller mieux Si ce n est pas le cas est ce vrai ment de ce d faut que vous d sesp rez ou n est ce pas plut t parce que vous d sesp rez de vous m me que vous avez naturellement tendance vous octroyer mille d fauts un nez pas assez droit des yeux trop rapproch s des sourcils trop convexes une bouche trop fine etc Vous arrive t il de ne plus vous suppor ter de ne plus vouloir tre vous m me et d avoir envie de dispara tre Peut tre m me avez vous d j eu des pens es suicidaires Pourquoi ce jugement d fini tif cette condamnation sans appel VIVRE PASSIONN MENT AVEC KIERKEGAARD Votre d sespoir n est il pas li une aspi ration g n reuse un lan vers un id al que vous ne parvenez pas atteindre mais qui n en demeure pas moins le garant de votre v rit existentielle Quel rapport entretenez vous avec les divertissements En usez vous mod r ment pour vous d lasser apr s une dure journ e de labeur ou y trouvez vous un refuge pour vous tourdir et vous dis traire de vous m me Si vous avez par exemple tendance boire plus que de rai son courir les soir es bruyantes en d sertant
26. p rent l ombre du mal tre existentiel Pour quel b n fice exactement N y a t il pas en tout cela une flagrante erreur de perspective qui malgr les m rites appr ciables de toutes ces approches les voue in vi tablement au m me chec savoir l id e tenace suivant laquelle le d sespoir serait en nous la marque d un dysfonction nement une anomalie qu il s agirait de rectifier pour reprendre sa vie normale Mais sur quoi se fonde pareille croyance Qu est ce qui l autorise Assimiler le d sespoir un incident demeure encore notre meilleure protection une mani re de lui faire barrage psycho logiquement faute de pouvoir affronter autrement La l gende raconte que les citoyens d Abd re adopt rent la m me strat gie face au d sespoir de leur plus illustre citoyen D mocrite Inqui t s par le rire inexplicable et d mentiel du philosophe ils firent venir le plus grand des m decins Hippocrate pour le d livrer de sa folie De son entretien Hippocrate ressortit convaincu qu il n avait jamais vu homme plus sain bien plus sain dans son d sespoir que les heureux Abd ritains qui le croyaient malade Changeons donc de perspective et posons nous la question devons nous r ellement traiter le d sespoir comme une maladie Groupe Eyrolles Groupe Eyrolles Bourreau de soi m me Le sentiment de d sespoir si humain ne date pas d hier Mais il a trouv dans notre temps individualiste
27. rente N est ce pas la preuve qu aucune des raisons circonstanci es que nous donnons au d sespoir ne suffit en rendre compte pleinement Quelle que soit la cause avanc e elle semble toujours beaucoup trop locale pour expliquer un effondrement si total D pression ou d sespoir Kierkegaard nous invite donc une inversion de perspective qui nous force changer radicalement nos habitudes de pens e supposer que notre d sespoir serait n cessairement la marque d un tat d pressif revient cautionner implicitement l id e que seul un tat pathologique pourrait justifier qu un individu en vienne se ha r lui m me Est ce dire qu un individu sain en serait donc rigoureusement incapable Freud en son temps avait d j adopt cette vision r ductrice en faisant de la m sestime de soi l un des sympt mes les plus mani festes de la m lancolie cet ancien nom de la d pression Le m lancolique pr sente un trait qui est absent dans le deuil savoir une diminution extraordinaire de son sentiment d estime du moi un immense appauvrissement du moi Dans le deuil le monde est devenu pauvre et vide dans la m lancolie c est le moi lui m me Le malade nous d peint son moi comme sans valeur incapable de quoi que ce soit et moralement condamnable il se fait des repro ches s injurie et s attend tre jet dehors et puni Il se rabaisse devant chacun plaint chacun des siens d tr
28. s obtenu la promotion qu il d sirait par dessus tout Contraire ment ce qu il pourrait penser son d sespoir n est pas d cet chec professionnel Sa d ception ne prend en r alit l allure d un d sespoir que parce qu il assignait cette ambition un r le qu elle n a pas chez la plupart des gens celui de le r concilier avec lui m me C est dire qu elle justifiait ses yeux sa propre existence en lui prouvant qu il n aurait pas rat sa vie s il avait trouv le moyen de faire carri re En somme au lieu de vouloir expliquer son d sespoir par cet chec il vaudrait bien mieux se demander pourquoi il se laisse si violemment branler par lui N est ce pas qu il d sesp rait d j de lui m me et qu il attendait donc de ses succ s la permission de s aimer un peu mieux Mais il n y est pas parvenu et son chec le ram ne son insatisfaction premi re Ce n est donc pas sa d ception qui explique son d sespoir mais l inverse il n est aussi d u que parce qu il d sesp rait auparavant Ainsi quand l ambitieux qui dit tre C sar ou rien n arrive pas tre C sar il en d sesp re Mais cela a un autre sens c est de n tre point devenu C sar qu il ne supporte plus d tre lui m me Ce n est donc pas de n tre point devenu C sar qu au fond il d sesp re mais de ce moi qui ne l est point devenu Ce m me moi autrement qui e t fait toute sa joie le lui voil main
29. sent ainsi c est cause de moi Jamais toujours ce 20 VIVRE PASSIONN MENT AVEC KIERKEGAARD sont l des concepts que le d sesp r utilise facilement et qui expliquent l obs dant sentiment d impasse dans lequel il se trouve Le probl me localis qu il rencontre rev t chez lui l allure d un probl me global qui n appelle rien de moins que l id e de totalit Le temporel comme tel est pr cis ment ce qui s croule dans le fait particulier Il est impossible dans la r alit de perdre tout le temporel ou d en tre priv car la totalit est un concept Le moi d veloppe donc d abord la perte r elle jusqu l infini et d sesp re ensuite du temporel in toto Trait du d sespoir p 408 La totalit est un concept en effet Cela ne signifie pas qu elle ne d signe aucune r alit Mais dans notre vie quotidienne nous ne sommes jamais confront s directement elle Une rupture amoureuse est une preuve suffisamment p nible en soi Il faut un certain temps pour en gu rir Mais ce qui rend le processus encore plus difficile est notre fa on naturelle d accentuer la perte en lui donnant les dimensions d une totalit La col re d avoir t abandonn laisse bient t place en nous la col re de ne pas savoir nous d livrer de la douleur Pourquoi est ce que j prouve encore de la peine Elle ne le m rite pas vraiment La col re contre l autre devient ains
30. ssion Nous avons des acc s de d sespoir mais le d sespoir peut difficilement devenir un r el tat Il est trop intense pour s offrir le luxe de durer bien longtemps Un d sespoir qui dure tend in vitablement se modifier en quel que chose d autre un tat d pressif o la haine de soi laisse progressivement place ce que nous pourrions nommer en reprenant le titre d un ouvrage du sociologue Alain Ehrenberg la fatigue d tre soi Je n ai le c ur rien Je n ai pas le c ur de monter cheval le mouvement est trop violent je n ai pas le c ur de marcher c est trop fatigant ni de me coucher car ou je dois rester couch et je n en ai pas le c ur ou je dois me lever nouveau et je n ai pas davantage le c ur de le faire Summa summarum je n ai le c ur rien Ou bien Ou bien p 17 18 Aucun d sespoir n est donc tr s durable Mais travers lui se r v le une disposition d sesp rer qui est en d finitive la seule cause v ritable de son apparition Une disposition en l occurrence bien plus durable que ces rares passages d intense souffrance qui en trahissent de mani re spectaculaire et de loin en loin la pr sence Or de quoi s entretient cette disposition sinon d une impuissance chronique tre pleinement nous m mes L au fond r side le noyau autour duquel gravite tout d sespoir et vers lequel immanquablement obstin ment il nous ram ne
31. t ce dernier vit et dit sa d pression Mais il n a besoin de ce discours que pour mettre au jour des processus psychiques qui expliquent sa souffrance et qui affectent l indi vidu son corps d fendant Autrement dit ce discours n est pas une cause mais seulement un sympt me qu il s agit de d chiffrer avec m thode et doigt Mais si vous appliquez pareille m thode au d sespoir vous risquez de faire dispara tre ce qu il y a de singulier en lui Contrairement la d pression le d sespoir r side tout entier dans la fa on dont l individu se rapporte lui m me Il n y a pas d autre cause du d sespoir que ce mouvement conscient par lequel un individu se saisit de lui m me en portant contre soi un jugement d finitif Quand nous sommes d sesp r s nous ne souffrons pas de d pression mais nous souffrons bel et bien de ce que nous sommes nous souffrons de ce regard impi toyable que nous portons sur nous m mes Cette pr cision videmment ne nous autorise pas affir mer qu il n y aurait aucun lien entre le d sespoir et la d pres sion Si la d pression n est pas la cause de notre d sespoir il 26 VIVRE PASSIONN MENT AVEC KIERKEGAARD est certainement vrai qu un acc s de d sespoir est propice l apparition d une d pression En ce sens la d pression se situe au del de notre d sespoir Un d sespoir qui se prolonge d pose in vitablement sur son passage l cume organique de la d pre
32. te qui par cons quent ne peut tre un r el d sespoir On ne peut pas d sesp rer pour des choses aussi b tes pensez vous Mais ne seriez Vous pas gravement dans l erreur de penser cela La cause peut tre b nigne et le d sespoir tout fait r el Groupe Eyrolles Groupe Eyrolles MALADES DE D SESPOIR La tendance d sesp rer peut se saisir de n importe quelle cause m me de la plus triviale Cela ne change rien la r elle gravit de l tat m me s il semble partir de rien A l issue d une rupture avez vous remar qu comment la col re l gitime ou non vous avait emp ch e de som brer psychologiquement En l absence de cette col re que se serait il pass selon vous Incapable de diriger contre l autre vos reproches n auriez vous pas t tent e alors de vous en prendre vous m me C est de ma faute dans le fond Comment aurait il elle pu m aimer Je ne suis rien ne vaux rien Si les divorces donnent toujours lieu de percutants r glements de comptes n est ce pas parce que chacun cherche fr n tiquement d tourner sur l autre un ressentiment qu il est naturellement tent de s appliquer lui m me en tout premier lieu 29
33. tenant plus insupportable que tout Trait du d sespoir p 358 Par cons quent lorsque nous d sesp rons nous ne nous fondons pas comme nous l avions d abord cru sur un cas sin gulier dont nous tirerions abusivement une loi g n rale Si c tait le cas nos proches auraient raison de vouloir nous ramener plus de mesure en nous disant Mais non mais non Tu exag res En r alit lorsque nous affirmons p remptoirement Je n y arriverai jamais nous exprimons un sentiment d im puissance devant une identit dont nous ne pouvons disposer notre gr Si nous chouons lamentablement s duire une Groupe Eyrolles Groupe Eyrolles MALADES DE D SESPOIR 23 personne un soir de f te et que nous d sesp rons de jamais y arriver c est que cet chec est devenu le symbole d une iden tit insupportable dont nous ne pouvons nous d faire et sur laquelle notre libert est vou e perp tuellement buter Nous y voyons un t moignage de plus de notre insuffisance cong nitale et c est alors seulement qu il devient quelque chose de d sesp rant L chec qui sert de point de d part notre d ses poir n en est donc pas la cause Il n est pas en r alit ce sur quoi nous b tissons le constat de notre irrattrapable nullit Le d sespoir n a pas toujours besoin d une cause D ailleurs nous ne pouvons jamais d cider l avance ce qui causera notre d sespoir P
34. tour de l homme qu elle aime Sans espoir pense le malade fatigu d avoir lutter jour apr s jour Sans espoir se r p te le p re qui pense au fils tout jamais perdu Il y a de quoi d sesp rer en effet Mais de quoi d sesp rons nous exactement Ou plut t quelle est la sp cificit du senti ment de d sespoir La jeune femme d laiss e pourrait se contenter comme beaucoup d autres d prouver son chagrin amoureux sans pour autant le transformer en d sespoir Elle pourrait aussi se mettre d tester celui qui l a abandonn e trouvant dans cette haine un moyen de soulager sa douleur Alors pourquoi le d sespoir Parce qu au lieu de condamner son amant volage elle pr f re braquer sur elle m me le fais ceau oblique du soup on Qu est ce qui ne va pas chez moi Pourquoi est ce que je n ai pas r ussi le retenir Est ce que j en demandais trop Suis je donc laide idiote quelconque Qu a t elle de plus que moi Du coup son probl me r side dans sa propre incapacit avoir su retenir aupr s d elle celui qu elle aimait De la m me fa on le parent s accusera lui m me plut t que son fils J ai t un mauvais p re sans doute C est de ma faute Et le malade ne d sesp rera pas tant de sa maladie que de son impuissance la vaincre Il ne faut donc pas s y tromper si en apparence nous pouvons d ses p rer de beaucoup de choses d une situation d
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