Regarder l`espace, mode d`emploi. L`intérêt d`une approche
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1. art la biographie de l historien reste sans int r t Pourtant lorsqu un observateur regarde et interpr te un objet d art sa provenance sociale et culturelle ses connaissances et ses go ts personnels jouent sans doute un r le important Une d marche qui rend explicite les valeurs de celui qui analyse serait donc bienvenue dans le domaine de l histoire de l art Quant La Vie mode d emploi le regard sur l immeuble est aussi marqu par son contexte social Trente ans apr s la fin de la Seconde Guerre mondiale la soci t fran aise tait devenue urbaine Marqu e par le boum conomique de l apr s guerre elle s adonnait la consommation et au spectacle Paris se manifestait la modernisation architecturale et avait finit par atteindre l immeuble d crit Un jour surtout c est la maison enti re qui dispara tra c est la rue et le quartier entiers qui mourront Au d but cela aura l air d une l gende pJuis les bruits se pr ciseront on apprendra le nom des promoteurs et la nature exacte de leurs ambitions que de luxueux d pliants en quadrichromie viendront illustrer HORIZON 84 vous propose sur trois millions de m tres carr s de surfaces de planchers les TROIS MILLE CINQ CENTS plus beaux bureaux de Paris 2 travers les int rieurs d crits le lecteur retrouve une soci t individualis e ses formes de vie et ses styles de vie pluralis s et nuanc s Comme les exem2. ordre 10 qui d finit des l ments li s N 28 des couples de crit res comme murs sols style meubles ou tissus couleurs M me si ce genre de proc d n est pas directement lisible dans le roman Perec en indique les buts Le personnage de James Sherwood par exemple fait comprendre au lecteur la signification d un jeu Sherwood conscient d avoir t mystifi dans une histoire d escroquerie immense est soup onn d avoir pay un million de dollars non pas pour un vase qui lui a t vol ensuite mais pour la mise en sc ne de cette tromperie trouvant ce jeu un d rivatif efficace sa m lancolie Il s agit donc de rendre explicite l attitude personnelle et les crit res d tude de celui qui analyse l histoire de l art de v rifier si ce genre d explicitations ne pourrait pas servir ses tudes Parmi les appartements d crits dans La Vie mode d emploi celui de Madame Moreau prend un r le cl il symbolise les changements sociaux et leurs influences sur les int rieurs comme ils ont t d velopp s trois ans apr s la parution du r cit perecquien Les Choses par le philosophe Jean Baudrillard dans Le syst me des objets Baudrillard compare l int rieur traditionnel et bourgeois avec l int rieur moderne des ann es soixante Il d montre que les objets modernes ont perdus leur fonction morale et toute valeur profonde qu ils sont lib
3. une analyse en histoire de l art un tel changement de contexte am nerait sans doute des conclusions int ressantes Normalement l historien de l art tudie les uvres artistiques comme elles ont t con ues par leurs auteurs Lorsqu il s agit par exemple d une uvre architecturale les transformations effectu es par les habitants sont n glig es la plupart du temps Perec par contre d crit les objets artistiques dans leurs conditions quotidiennes et inclut les gens qui habitent les int rieurs Son observation se fait un moment tr s pr cis qui reste pourtant sans signification particuli re pour l immeuble et ses int rieurs le lundi 23 juin 1975 pas loin de huit heures du soir De plus l crivain n tablit aucune hi rarchie entre les pi ces et il renonce une structure d analyse conventionnelle estimant qu il aurait t fastidieux de d crire l immeuble tage par tage et appartement par appartement En revanche il invente des r gles d analyse ind pendantes suivant le principe oulipien qui propose de soumettre les uvres litt raires des contraintes sp cifiques D un c t Perec d cide de d crire un immeuble dont la fa ade aurait t enlev e de l autre c t il applique le probl me math matique de la polygraphie du cavalier en faisant parcourir un cheval les 10 x 10 cases d un chiquier agrandi sans l arr ter plus d une fois sur la
4. face taient tous deux des architectes honn tes mais sans invention qui construisirent des immeubles peu pr s identiques fa ade en pierre de taille arri re tant en pans de bois balcons aux seconds et aux cinqui mes et deux tages de combles dont un en mansardes L int r t de Perec pour une uvre sans valeur artistique particuli re concerne non seulement le b timent mais aussi ses int rieurs Un chapitre entier est d di chaque pi ce situ e derri re la fa ade principale sans faire la diff rence qu il s agisse des salons des chambres des cuisines d escalier ou des caves Avec ce choix de d crire toutes les pi ces de l immeuble Perec vite ce qui est courant dans l histoire de l art une pr s lection implicite de ce qui vaut tre tudi c est dire la distinction entre un objet quelconque qui le chercheur ne s int resserait pas et une uvre de valeur esth tique En effet en s inspirant de cette attitude inconditionnelle de l crivain l histoire de l art arriverait largir et enrichir ses connaissances Dans La Vie mode d emploi l exemple de Madame Marcia illustre combien la valeur d un objet reste indiff rente son contexte de lieu La propri taire du magasin d antiquit s situ au rez de chauss e de l immeuble ne fait aucune diff rence entre les meubles qu elle vend dans sa boutique et ceux dans lesquels elle vit El
5. r s dans leurs fonctions symboliques et r duits des signes abstraits et associatifs combiner avec tout autre signe Les objets modernes au lieu d tre authentiques ne feraient qu allusion une authenticit disparue et au lieu de cr er une unit de l espace ils formeraient des ambiances libres organis es et contr l es 7 Ibid p 58 Voir Perec Quatre Figures pour La Vie mode d emploi op cit p 52 Voir galement le Tableau g n ral des listes dans Hans Hartje Bernard Magn Jacques Neefs Cahier des charges de La Vie mode d emploi Georges Perec Collection Manuscrits CNRS Editions Zulma Paris Cade lhan 1993 S 43 Perec La Vie mode d emploi op cit p 127 30 Voir Jean Baudrillard Le syst me des objets Gallimard Paris 2003 1968 Nous pouvons supposer que Georges Perec tait familier avec les pens es de Jean Baudrillard Dans Esp ces d espaces il cite sa liste des emplettes faire de toute urgence sur laquelle figure entre autre livre Baudrillard Georges Perec Esp ces d espaces Galil e Paris 2000 1974 p 24f Le Cabinet d amateur Revue d tudes perecquiennes 9 Dans La Vie mode d emploi Madame Moreau n e en 1892 la campagne se rend bien compte de ces changements constat s par Baudrillard Sa chambre dans laquelle elle s est retir e t moigne des temps pass s et regrett s S Joigneusement insonoris
6. ration sur son poque Les dispositifs ultramodernes furent habilement int gr s dans des bahuts de m res grands des fourneaux Second Empire en fonte maill e et des huches d antiquaires Derri res les portes de ch ne cir ferrures de cuivre se dissimul rent des tranchoirs lectriques des moulins lectroniques des friteuses ultrasons des grilloirs infrarouge on ne voyait pourtant en entrant que les murs couverts de carreaux de Delft l ancienne des essuie mains de coton cru des vielles balances de Roberval des brocs de toilette avec des petites fleures roses des bocaux de pharmacie des grosses nappes carreaux des tag res rustiques La cuisini re de Madame Moreau une robuste Bourguignonne ne se laissa pas prendre ces grossiers artifices et pr vint toute de suite sa ma tresse qu elle ne ferait jamais rien cuire dans une cuisine pareille o rien n tait sa place et o rien ne marchait comme elle savait Elle r clama une fen tre une pierre d vier une vraie cuisini re gaz avec des br leurs Madame Moreau donna raison sa cuisini re Fleury ulc r dut faire remporter ses appareils 45 4 ee 4 4 33 exp rimentaux casser le carrelage d monter les tuyauteries et les circuits lectriques d placer les cloisons Si l crivain narrateur expose dans ces passages avec un malin plaisir qu un chef d uvre artistique n a pas t a
7. regarder et tudier les espaces les objets et les uvres d art notamment dans l histoire de l art Ibid p 395 35 Ibid p 510
8. 2014 p 245 2509 L importance de l art dans l uvre de Georges Perec est trait e entre autre dans Centre National des Lettres Cahiers Georges Perec 6 L il d abord Georges Perec et la peinture Paris 1996 Priya Wadhera Copy Play the Discourse on Art in Georges Perec s Un cabinet d amateur and its Intertexts PhD Columbia University 2005 Jean Luc Joly d Perec et l art contemporain Cahiers Georges Perec 10 Le Castor astral Bordeaux 2010 Ari J Blatt Pictures into Words Images in Contemporary French Fiction University of Nebraska Press Lincoln 2012 Georges Perec La Vie mode d emploi Romans Hachette Paris 2009 1978 Le Cabinet d amateur Revue d tudes perecquiennes 2 L objet tudi et son contexte L objet tudi dans La Vie mode d emploi est un immeuble d habitation situ dans un contexte urbain social et culturel existant dans le 17 arrondissement de Paris dont l emplacement pr cis rue Simon Crubellier reste pourtant imaginaire L immeuble est pr sent comme un b timent achev en 1880 par un architecte nomm Lubin Auz re Le constat qu il s agissait d un Prix de Rome fait penser une architecture prestigieuse ce qui serait habituel pour une analyse de l histoire de l art Cependant dans le livre la valeur architecturale sugg r e est vite mise en question Lubin Auz re et son fils No l qui avait construit les immeubles en
9. Le Cabinet d amateur Revue d tudes perecquiennes 1 Regarder l espace mode d emploi L int r t d une approche perecquienne pour l histoire de l art Bernadette F lscher Zurich Suisse Dr sc techn arch dipl EPF mail bernadettefuelscher ch Introduction Les objets tudi s par la discipline universitaire de l histoire de l art les produits des beaux arts de m me que ceux des arts d coratifs et des arts appliqu s sont particuli rement pr sents dans l uvre de l crivain Georges Perec Par exemple la peinture est au d part de Le condotti re ou d Un cabinet d amateur l architecture et l am nagement de l int rieur marquent Les choses et La Vie mode d emploi l espace urbain repr sente le sujet d observation dans Tentative d puisement d un lieu parisien ou Perec rinations et les diff rentes cat gories d espaces sont trait es dans Esp ces d espaces Toutefois ces ouvrages litt raires analysent les produits artistiques d une mani re diff rente que l histoire de l art a l habitude de le faire Partant de ce fait l article suivant a comme but de d montrer la sp cificit de l approche perecquienne et de sugg rer des transferts possibles la m thodologie de l histoire de l art L analyse se concentrera sur un seul ouvrage romanesque de Perec La Vie mode d emploi 1978 dans lequel l crivain pr sente un grand nombre de prod
10. artisan ing nieux ou comme le faiseur de puzzle qui consid re le puzzle non pas comme une somme d l ments qu il faudrait d abord isoler et analyser mais comme un ensemble c est dire une forme une structure SJeules les pi ces rassembl es prendront un caract re lisible prendront un sens Avec cette explication en pr ambule et r p t e dans le chapitre 44 Perec fournit le code pour comprendre son attitude et proc d Et l histoire de l art pourrait en effet s en inspirer et mettre nu ses propres principes m thodologiques qui restent le plus souvent implicites 1 Thid p 164 18 Thid p 318 VIbid p 17 et p 239 Le Cabinet d amateur Revue d tudes perecquiennes 6 Regard personnel regard social Dans La Vie mode d emploi les descriptions sont la fois marqu es par un regard personnel et par un regard social tous deux plut t trangers l histoire de l art En effet le monde d crit de l immeuble parisien est le monde dans lequel vit Georges Perec c est Paris en 1975 D un c t l crivain int gre des personnages et sc nes litt raires qui ont marqu s ses ouvrages De l autre c t il ajoute des l ments autobiographiques par exemple le personnage de Clara Lichtenfeld qui rappelle la provenance polonaise juda que de ses parents m me s il n en dessine pas un portrait exact Curieusement dans les tudes de l histoire de l
11. ccept ni par son mandant ni par son utilisateur ce n est pas son propre jugement qui semble l int resser mais la r ception d une uvre par ceux qui y vivent En d autres termes tandis que l histoire de l art produit et reproduit des discours sp cialis s soumis des r gles sp cifiques Perec lui m me familier avec le discours de l histoire de l art favorise un discours quotidien Ce discours marqu par l exp rience quotidienne est habituellement n glig par les experts artistiques Pourtant ces experts pourraient en se tournant vers un public plus vaste justement enrichir leurs analyses et interpr tations et int grer les failles de leur regard si sp cifique 31 Perec La Vie mode d emploi op cit p 131 3 Ibid p 131 3 Ibid p 379f Le Cabinet d amateur Revue d tudes perecquiennes 10 Ouverture des perspectives Dans La Vie mode d emploi l approche de Perec est finalement marqu e par son int r t pour tout ce qui repr sente la vie la diff rence de la mort Par exemple il d crit galement des pi ces sans vie Le bureau ne sert pratiquement plus jamais Cyrille Altamont qui a transport dans l appartement de fonction qui lui est allou Gen ve tous les livres et tous les objets qui lui sont n cessaires ou qui lui tiennent c ur Il ne reste dans cette pi ce d sormais presque toujours vide que des choses fig es et mortes des meubles aux tir
12. e elle y fit venir de sa ferme un grand lit bateau haut et profond et le fauteuil oreilles de son p re Mais Madame Moreau h riti re d une petite fabrique de bois tourn qu elle avait d velopp en une entreprise prosp rant dans le domaine de la d coration m ne une double vie Pour tre la femme d affaires qu elle avait d cid d tre elle accepta sans efforts apparents de transformer radicalement ses mani res d tre sa garde robe son train de vie L am nagement de son appartement r pondit cette conception Elle le confia un d corateur auquel elle expliqua en quatre phrases ce qu il aurait r aliser la demeure parisienne d un chef d entreprise un int rieur spacieux cossu opulent distingu et m me fastueux Le d corateur Henry Fleury comprit qu il tenait l une occasion unique de r aliser son chef d uvre et donner une image directe et fid le de son talent illustrant exemplairement ses th ories en mati re d architecture int rieure remodelage de l espace redistribution th tralis e de la lumi re m lange des styles La description de la cuisine devient alors une illustration parfaite des propos de Jean Baudrillard Le d corateur Henry Fleury con ut une installation d avant garde dont il proclama bien haut qu elle serait le prototype des cuisines du XXI si cle un laboratoire culinaire en avance d une g n
13. hose qui voudrait donner l id e d une combinaison spatiale 16 A travers ces clins d il avec le je narrateur Perec nous rappelle son r le en tant qu crivain narrateur En revanche dans l histoire de l art une telle apparition explicite de l observateur est rare l historien de l art maintient la distance et ne manifeste n1 son regard ni son int r t ni ses valeurs N anmoins s il publiait son attitude personnelle de mani re explicite il favoriserait un d bat plus ouvert et labor Dans La Vie mode d emploi l attitude de l crivain narrateur se fait remarquer par une grande l g ret et un plaisir imminent Comme le sous titre romans au pluriel l voque le livre ne raconte pas un seul et grand r cit mais plusieurs petits r cits qui sans hi rarchies sont li s de fa on multiple les uns avec les autres En m me temps cet ouvrage postmoderne avec ses jeux litt raires est d termin par des questions de fond Comment l homme arrive t il saisir et comprendre le monde dans lequel il vit Comment il s en souvient et de quelle mani re il pourrait classer et archiver ses souvenirs afin de les opposer l oubli et la mort Le roman nous apprend trouver des r ponses dans la repr sentation et l criture la collection et le classement la d finition des r gles de jeu et dans le jeu lui m me Dans le livre ces activit s pr occupent une grande partie des pe
14. le les transporte entre son appartement son magasin son arri re boutique et sa cave comme Perec le montre en expliquant qu u ne des raisons des incessants d m nagements tient pr cis ment cette volont de mise en valeur qui lui fait changer ces d cors bien plus souvent que si elle tait talagiste dans un grand magasin N anmoins partout la qualit des meubles reste la m me que ce soit dans l arri re boutique qui est une pi ce troite et sombre au sol recouvert de linol um encombr e la limite de l inextricable d objets de toutes dimensions ou dans l appartement dont l ameublement pr sente un audacieux m lange d l ments Le nom de rue invent pour l flot parisien qui est d finit par les rues L on Jost M d ric R Fortuny Jadin et de Chazelles fait appel au r cit Les choses le ferry qui amenait de Marseille Tunis les deux personnages principaux Sylvie et J r me porte le nom de Commandant Crubellier Voir Georges Perec Les Choses une histoire des ann es soixante Paris 2008 1965 p 123 5 Perec La Vie mode d emploi op cit p 551 S Ibid p 136 et p 382 citation 7 Ibid p 137 Le Cabinet d amateur Revue d tudes perecquiennes 3 ultramodernes ou encore dans la boutique o relativement peu de meubles sont 2 Dr Se 9 expos s dans un cadre sp cifiquement con u pour eux Dans le cadre d
15. m me case Il adapte ensuite la coupe de l immeuble au carr de 10 x 10 unit s et organise les chapitres selon le dessin des 13 coups du cavalier Avec ce proc d le d but de l analyse devient insignifiant ce qui serait inimaginable pour une tude en histoire de l art Perec par contre commence sa description au c ur de l immeuble dans un espace sans particularit s dans l escalier entre le troisi me et le quatri me tage et il insiste sur le fait qu il y de nombreuses possibilit s pour commencer une description Oui cela pourrait commencer ainsi ici comme a d une mani re un peu lourde et lente dans cet endroit neutre qui est tous et personne o les gens se croisent 5 z P 2 DS 14 presque sans se voir o la vie de l immeuble se r percute lointaine et r guli re 8 Ibid p 194 Ibid p 382 10 Parmi les exceptions figure par exemple une tude des ann es soixante par l architecte Philippe Boudon qui analysait la transformation des immeubles des Quartiers Modernes Frug s de Pessac con us par Le Corbusier partir de 1924 par leurs propri taires et habitants Voir Philippe Boudon Pessac de Le Corbusier tude socio architecturale 1929 1985 Nouvelle dition Dunod Paris 1985 premi re dition 1969 Perec La Vie mode d emploi op cit p 576 1 Georges Perec Quatre Figures pour La Vie mode d emploi In L ARC R vue t
16. oirs nets et dans la biblioth que ferm e cl des livres jamais ouverts De plus la mort se manifeste dans le chapitre dernier dans le bureau de Percival Bartlebooth L Anglais fortun avait d di sa vie un seul grand projet soumis des r gles restreintes Pendant 20 ans de voyages Bartlebooth avait peint 500 aquarelles pour fabriquer 500 puzzles particuli rement complexes Pour les 20 ans suivants il avait pr vu de faire lui m me ces puzzles de recoller les pi ces de chacun de d tacher l aquarelle originale du support et de la tremper dans un dissolvant d o la feuille de papier ressortirait blanche En se soumettant des r gles si rigides on ne garde pourtant aucune marge de man uvre aucun espoir le projet de Bartlebooth choue lorsqu il d c de devant son 439 puzzle inachev L encore l histoire de l art peut apprendre si elle se contente d une perspective trop rigide ou trop unidimensionnelle elle se restreint elle m me et r duit le nombre de conclusions possibles Georges Perec en revanche montre qu il y a plusieurs possibilit s de regarder le monde Il nous apprend qu il vaut la peine de garder les yeux grands ouverts et de changer de temps en temps son point de vue Lorsqu il raconte des d tails et des anecdotes il ne perd pas de vue le grand contexte qui est celui de la vie Ce proc d perecquien pourrait alors servir de mode d emploi ceux qui aiment
17. ples suivants le d montrent dans l immeuble imagin par Perec toutes les classes sociales esquiss es par Pierre Bourdieu dans son concept de l espace social sont pr sentes et les capitaux conomique et culturel des habitants se voient dans le choix et l arrangement de leurs meubles tableaux et objets quotidiens parfois modernes parfois traditionnels Les Marquiseaux par exemple un jeune couple ambitieux tenant une agence de publicit florissante vivent dans un am nagement moderne comme d autres jeunes habitants de l immeuble d crit Le couple est particuli rement attentif l ameublement de leur appartement dans lequel le lecteur retrouve les principales caract ristiques de la soci t moderne des ann es soixante dix il y a une pi ce plut t grande dont ils ont fait une salle de r union pour leur agence ce n est absolument pas un bureau mais inspir e des plus r centes techniques en mati re de brain storming et de groupologie une pi ce que les 20 qh Ibid p 165f 2 Pierre Bourdieu La distinction Critique sociale du jugement Minuit Paris 1979 Du reste quelques r flexions sur les hi rarchies sociales de l immeuble apparaissent dans le chapitre 49 en relation avec une description des diff rences sociales selon les tages Perec La Vie mode d emploi op cit p 264 Le Cabinet d amateur Revue d tudes perecquiennes 7 Am ricains appellent une Informal C
18. reative Room Les murs et le plafond sont tendus de vinyle blanc le sol est couvert d un tapis de caoutchouc mousse rien sur les murs presque aucun meuble un buffet bas laqu de blanc sur lequel sont pos es des bo tes de jus de l gumes Seven Up Je Les Marquiseaux absorb s par leurs attouchements aquatiques ne sont pas encore arriv es dans cette pi ce o les attendent deux de leurs amis qui sont en m me temps deux de leurs clients un musicien su dois et la tr s c l bre Hortense une femme d une trentaine d ann es au visage dur aux yeux inquiets Jusqu en SR s 23 mille neuf cent soixante treize Hortense tait un homme nomm Sam Horton Moins prestigieux mais avec des ambitions semblables se pr sentent les appartements de quelques jeunes employ s de la classe moyenne comme celui des R ols dont le lecteur apprend l acquisition compliqu e de leur chambre coucher moderne Sur la moquette de nylon violet le lit au milieu du mur de fond est une coquille sur baiss e gain e d un tissu imitant le daim couleur ambre finition grand sellier avec ceinture et boucle de cuivre et un couvre lit en fourrure acrylique de couleur blanche Plus modeste encore mais toujours moderne la chambre de Jane Sutton la fille au pair des Rorschash Le lit est tr s troit c est en fait un matelas de mousse pos sur trois cube
19. rimestrielle 76 Georges Perec Aix en Provence 1979 p 50 53 ici p 51 5 Thid p 50 53 14 Perec La Vie mode d emploi op cit p 21 Le Cabinet d amateur Revue d tudes perecquiennes 4 L observateur et son int r t Mais qui est il alors ce narrateur qui observe et d crit les espaces et qui lui seul conna t les coins les plus intimes de l immeuble les d sirs secrets des habitants les souvenirs des personnages d m nag s voire d c d s Il est bien possible qu il s agisse de l auteur lui m me du cr ateur de l immeuble d crit Le narrateur du livre est aussi omniscient que l crivain mais uniquement en tant qu observateur du b timent pr sent Ainsi l crivain narrateur rappelle parfois son r le et ses connaissances au lecteur et met en vidence son pouvoir de tout savoir et de d finir la suite de l histoire Par exemple il sort de sa position de retrait et fait un petit commentaire comme le suivant Sans vouloir trop anticiper sur la suite des v nements il n est pas inutile de noter que l initiative de Rorschash eut pour Bartlebooth des cons quences graves Parfois l crivain narrateur se permet galement un jugement de go t par exemple lorsqu il d crit sur un cran de t l vision une speakerine mergeant d un d cor de science fiction hideux panneaux de m tal brillant agr ment s de paraphes cocardiers et moul e dans quelque c
20. rsonnages et l crivain lui m me Quelles pourraient tre alors les questions de fond derri re les analyses de l histoire de l art Qu est ce qui pr occupe r ellement les historiens de l art lorsqu ils d crivent et classent des uvres artistiques Le plus souvent le sens profond d une tude en histoire de l art reste implicite Quant l int r t de Perec il s affiche dans les liens tablis entre les v nements du livre et le monde r el L crivain se r f re des lieux connus des personnages c l bres des institutions 15 Thid p 95 16 Thid p 328 Le Cabinet d amateur Revue d tudes perecquiennes 5 existantes et des sujets litt raires et artistiques Il rappelle des v nements et des uvres plus ou moins importants de notre histoire et il les valorise et r anime en les reliant avec ses propres inventions romanesques Ainsi il proc de comme le personnage de Serge Val ne ce peintre g qui aimerait peindre un immeuble ventr montrant nu les fissures de son pass l croulement de son pr sent cet entassement sans suite d histoires grandioses ou d risoires frivoles ou pitoyables Tout comme l historien de l art Perec d crit les int rieurs leurs dimensions et proportions leur caract re leurs mat riaux Il mentionne les meubles dispos s et les tableaux suspendus dont il raconte la provenance l expression ou la signification artistiq
21. s de bois faisant office de tiroirs recouvert d un dredon en patchwork Fix e au mur au dessus du lit une plaque de li ge sur laquelle sont pingl s plusieurs papiers 7 Vis vis de ces trois classes sociales qui se distinguent conomiquement mais qui partagent le go t pour un am nagement moderne d autres vivent dans un am nagement plus traditionnel Quelques grands appartements des 2 et 3 tages rappellent la culture bourgeoise du 19 si cle Chez les Altamonts une famille ais e en train de pr parer la traditionnelle r ception annuelle on trouve des meubles et des objets types de l int rieur bourgeois Il y aura un buffet dans chacune des cinq pi ces en fa ade de l appartement Dans celle ci qui est d ordinaire un petit salon la premi re des pi ces sur lesquelles ouvre un grand vestibule et laquelle font suite un fumoir biblioth que un grand salon un boudoir et une salle manger les tapis ont t roul s mettant en vidence un pr cieux parquet cloisonn Presque tous les meubles ont t enlev s il ne reste que huit chaises en bois laqu au dossier d cor de sc nes voquant la guerre des Boxers Il n y a aucun tableau sur les murs car les murs et les portes sont eux m mes d cor ils sont rev tus d une toile peinte un panorama somptueux dont les quelques effets de trompe l il laissent penser qu il s agit d une copie ex cut e sp cialement pour cet
22. te pi ce partir de cartons vraisemblablement plus anciens Sur le mur de gauche au centre une vaste chemin e de marbre rose surmont e d un grand miroir sur la tablette un haut vase de cristal de section rectangulaire rempli d immortelles un tirelire mille neuf cent 1e De plus ces habitants ais s emploient des domestiques dont quelques uns habitent dans le m me immeuble une mansarde ou une chambre de bonne am nag e de mani re simple Par exemple celle de Joseph et Ethel qui est Ibid p 227 3 Ibid p 228f Ibid p 572f 3 Ibid p 60 2 Tbid p 96f Le Cabinet d amateur Revue d tudes perecquiennes 8 presque enti rement occup e par un grand lit style Empire Entre le lit et la porte il y a une petite commode en bois fruitier La chambre est peinte en vert clair Le sol est recouvert d un tapis carreaux jaunes er roses Une coiffeuse une unique chaise paill e compl tent le mobilier Le discours de l observateur Ces exemples d int rieurs si divers qu ils soient montrent des am nagements qui paraissent vidents par rapport leurs habitants Pourtant les descriptions incluent galement des contraintes oulipiennes invent es ind pendamment des espaces tudi s En effet Perec avait tablit un cahier de charge avec 42 th mes qui devraient figurer dans chaque chapitre Ces th mes se basent sur un bi carr latin orthogonal d
23. ue Certes il proc de moins syst matiquement qu un historien de l art mais en m me temps il pr te son attention aux objets de la quotidiennet bibelots appareils m nagers journal du soir ouvert sur un probl me g ant de mots crois s Il d signe ce qui est pr cieux et ouvr surprenant et moderne mais aussi ce qui est commun et d mod Il vite le jugement et tonne par son impartialit son ouverture d esprit et sa franchise vis vis des objets que l homme a produits ils peuvent tre merveilleux atroces dr les cruels vidents En les d crivant en d tail et en parlant des personnes qui ils appartiennent Perec cr e un portrait de notre soci t qui n est pas trop splendide mais riche et anim Les espaces tudi s s av rent des espaces de vie Une histoire de l art qui aimerait se r f rer ce proc d n est pourtant pas oblig e de remplacer son objet d tude mais elle est libre l encore de compl ter et d largir son champ de recherche Finalement les descriptions de l immeuble parisien partagent avec les analyses de l histoire de l art la recherche du vrai Tandis que l historien de l art essaie d ouvrir les yeux l aide d une interpr tation originale ou d un jugement critique Perec nous apprend par contre voir ce qui se trouve d j devant nos yeux Pour cela il arrange ses objets et ses histoires et leur pr te du sens en agissant comme un
24. uits artistiques un immeuble d habitation ses int rieurs et les produits artistiques divers qui appartiennent leurs habitants Ce faisant elle focalisera sur trois aspects sur le choix des objets pr sent s ou tudi s sur l attitude de l observateur soit sur sa perspective et sa d marche et sur la signification le sens et les buts d une tude Cet article est une version remani e de la conf rence Regarder l espace mode d emploi l int r t d une approche perecquienne pour l histoire de l art qui a t donn e la Journ e Georges Perec le 30 mai 2015 l Universit Paris Sorbonne Il reprend les id es d velopp es pour un colloque international organis en octobre 2012 l Universit de Zurich qui avait comme sujet les descriptions litt raires de l architecture d int rieur et des int rieurs Voir les articles de Bernadette F lscher Georges Perecs Blick auf den Innenraum eine Gebrauchsanweisung f r Kunsthistoriker In Barbara von Orelli Messerli d Ein Dialog der K nste Beschreibungen von Innenarchitektur und Interieurs in der Literatur von der Fr hen Neuzeit bis zur Gegenwart 2 Michael Imhof Petersberg 2014 p 146 158 et 99 mal Wohnen Eine literarische Raumkonstruktion von Georges Perec In Irene Nierhaus Andreas Nierhaus ds Wohnen Zeigen Modelle und Akteure des Wohnens in Architektur und visueller Kultur Transcript Bielefeld
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