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1. Ottawa Carpentier Andr dir publ 2004 Huit remarques sur l crivain en d ambulateur urbain In Les crivains d ambulateurs Po tes et d ambulateurs de l espace urbain sous la dir d Andr Carpentier et Alexis L Allier p 45 68 Coll Figura no 10 Montr al Universit du Qu bec Montr al Dillard Annie 1996 En vivant en crivant Paris Christian Bourgois 143 p Donner Christophe 1998 Contre l imagination Paris Fayard 120 p Dorion H l ne 2003 Sous l arche du temps Coll critoire Montr al Lem ac 86 p Fondane Benjamin 1998 Faux trait d esth tique Paris Paris M diterran e 149 p Gagnon Madeleine 1989 Toute criture est amour Montr al VLB 193 p Gardner John C 1998 Morale et fiction Coll Espace litt raire tudes Montr al Presses de l Universit de Montr al 203 p 114 Huston Nancy 2004a mes et corps Textes choisis 1981 2003 Montr al Lem ac 250 p Huston Nancy 2004b Professeurs de d sespoir Arles Actes Sud 381 p Jacob Suzanne 2001 La bulle d encre Coll Bor al Compact Montr al Bor al 147 p Jacob Suzanne 2002 crire comment pourquoi Coll crire Trois Pistoles Qu Editions Trois Pistoles 84 p Lacan Jacques 1966 Le stade du miroir In crits p 93 100 Coll Le champ freudien Paris Seuil Lachapelle Louise 1992 Chercher une pratique d
2. Tu ften veux de lui avoir crit cette carte dix ans Cette fois l encore tu lui avais t nuisible 39 15 Tu arrives devant l glise Sacr C ur Tu te demandes si c est toujours le m me cur de paroisse Celui qui donnait des cours de Bible ta m re Celui qui t accueillait dans le confessionnal en te disant Salut J Tous les dimanches on va messe Pas tout nous autres parce que Papa y vient pas Juste les quatre enfants pis Maman C est long la messe Tr s long Mais y a un boufte le fun quand c est la communion juste apr s le terriblement long sermon du cur On kick sur le petit pouf en avant on sait pus comment se placer Maman arr te pas de nous checker mais manger l ostie apr s c est comme une r compense C est bon une ostie Pis on sa t que la messe est bient t finie J ai dit que Papa vient jamais la messe ma s j ai menti Des fois y vient Pas souvent mais des fois Dans des occasions sp ciales comme la fois o sa m re est morte Mais y va jamais communier Depuis trois mois je pratique presque tous les jours avec la chorale apr s l cole Je connais les paroles de toutes les chansons par c ur J aime surtout la chanson en latin Adeste fideles J ai h te de chanter la messe de minuit devant ma famille Papa a m me dit qu il viendrait 40 Il faisait temp te de neige ce soir l Ta m re tait seule avec vous et ton fr re nouveau n qui ta
3. criture salissante M moire de ma trise Montr al Universit du Qu bec Montr al 160 p Lachapelle Louise 2001 La cl ture et la faille Th se de doctorat en tudes litt raires Montr al Universit du Qu bec Montr al 290 p Lahougue Jean 1999 Une strat gie des contraintes In tats du roman contemporain Actes du colloque de Calaceite Fondation Noesis 6 13 juillet 1996 p 221 240 Coll La revue des lettres modernes critures contemporaines 2 Paris Minard Lapierre Ren 1995 crire l Am rique Coll Essais Montr al Les Herbes rouges 160 p Lapierre Ren 2003 L atelier vide Coll Essais Montr al Les Herbes rouges 149 p Le groupe Interligne 2004 L atelier de l crivain 1 Coll Figura no 11 Montr al Universit du Qu bec Montr al 196 p Maulpoix Jean Michel 1996 La quatri me personne du singulier esquisse de portrait du sujet lyrique moderne In Figures du sujet lyrique p 147 160 Coll Perspectives litt raires Paris Presses universitaires de France Nizon Paul 1991 Marcher l criture Arles Actes sud 178 p Picoche Jacqueline 1994 Dictionnaire tymologique du fran ais Coll Les usuels Paris Dictionnaires Le Robert 739 p 115 Pingaud Bernard 1991 Les anneaux du man ge criture et litt rature Coll Folio Paris Gallimard 250 p Pontalis Jean Bertrand Fen tres Coll
4. Ariane c est le souvenir que j ai de cette voix que j ai entendue le souvenir de cette disponibilit cette voix suivre qui me fera sortir du labyrinthe Voix entendre aussi dans le sens de voie d issue Pour sortir de la difficult d crire Quartier de solitudes jai finalement d crire Ton p re et autres d bris Il m a fallu effacer les traces de l exp rience racont e aller plus loin Et cela malgr le fait qu il y avait de beaux moments que j ai d supprimer Mais il est parfois n cessaire de renoncer des moments de ce genre Peut tre simplement parce qu en cours d criture le texte finit par nous fournir certaines indications sur ses exigences Pour terminer je m en voudrais de ne pas te poser la question du Pourquoi crire Plusieurs crivains semblent poss der leurs petits mythes fondateurs d clencheurs du d sir d crire Annie Ernaux aime se rappeler la petite fille coinc e sur les marches d un escalier qui crivait des lettres une amie invent e Paul Auster le petit gar on d sempar de n avoir aucun crayon pour obtenir l autographe de son idole Willie Mays et il y en a d autres bien s r Quel serait ton petit mythe fondateur 109 Tu fais r f rence ce que j avais d clar dans ce lointain cours d approche du travail cr ateur au sujet du refuge du fait que lorsque j tais petit je me cachais la biblioth que pour oublier les malheurs qu
5. La chambre noire dont le travail d criture m a amen ailleurs ce qui a fait d faut dans Dossier tait l absence de voix Un d saccord presque total entre ce que j essayais de d montrer et les mots les phrases que j employais Avec ce Dossier tais absent du texte c est dire que je ne suis pas arriv pas trouver une fa on correcte d crire Mon texte tait difficile lire crire constamment dans l argumentation grand renfort de longues citations D sincarn Contrefait Ennuyeux quoi l Bruno Roy a crit que lJe v ritable essayiste n est pas dans l argumentation il est dans la r flexion voire la m ditation 2003 p 124 Si je comprends bien tu ne crois pas tre un bon essayiste Non Pas plus que po te Bien que j aimerais tre les deux Et c est peut tre ce d sir qui m en emp che Un trop grand d sir d tre une sorte d homme orchestre de P criture L id e d tre po te romancier essayiste Mon criture m indique alors le contraire elle se rebelle sombre dans la logorrh e les scories les phrases bancales et autres tics plus ou moins d testables Puis est venue l id e de l entretien Pour faire une histoire courte oui Il y a eu aussi une s rie de fragments sur l criture constitu e d affligeants aphorismes indignes de mention mais l entretien est l exercice du je qui me para t finalement le plus ad quat parce q
6. Papa Qu est ce qu y aurait fait Non mais c est vrai Papa aurait peut tre pas entendu l ange qui l appelle Y a des probl mes d oui e C est vrai m me si y veut pas y comique Des fois on lui parle et il r pond n importe quoi As tu gagn aux courses hier Ben non je l ai pas trouv On rit Mais en cachette faut pas que a paraisse trop Maman dit qu il a besoin d un appareil Mais lui y dit qu il est d j assez handicap de m me Lorsque tu parles ton p re tu te dois de gueuler D aussi loin que tu te rappelles a a toujours t ainsi Si tu lui parles sur un ton doux il te regarde avec un air d animal menac Il ne comprend rien Tu dois alors hausser le ton prononcer des paroles brusques s ches hach es comme si tu martelais chacune des syllabes Alors il comprend 92 Et maintenant Maintenant si tu lui hurles qu il devrait monter le son de son appareil il te r pond que a lui donne mal la t te 53 19 Tu marches et tu constates que tout a chang deux coles sont des CLSC le poste de pompiers est devenu un centre d entraide la jeunesse le quadrilat re qu occupait cette grande picerie que ta m re nommait la Salaison Montr al est maintenant une station service la caisse populaire vend des sous marins M me ton p re a d d m nager Pas tr s loin mais tout de m me un peu Tu tais all le voir seul avec ton fils son appartement un tr
7. M moire et filiation chez Perec Roubaud et B nabou M moire de ma trise Montr al Universit du Qu bec Montr al 108 p 112 Ollier Claude 2001 Corps et temps Entretien avec Dominique Viart Revue des sciences humaines Paradoxes du biographique sous la dir de Dominique Viart Lille Universit de Lille no 263 no 3 p 111 114 Poirier Maryse 1998 L art de l esquive Quelques astuces du personnage en qu te de soi Voix ef images vol XXIII no 3 printemps p 515 525 Robbe Grillet Alain Je nai jamais parl d autre chose que de moi In L auteur et le manuscrit sous la dir de Michel Contat p 37 50 Coll Perspectives critiques Paris Presses universitaires de France Roy Bruno 2003 Consigner ma naissance Coll crire Trois Pistoles Qu Editions Trois Pistoles 176 p Roy Marie Jos e 1997 Temporalit et autofiction au f minin dans Passion simple d Annie Ernaux M moire de ma trise Montr al Universit du Qu bec Montr al 121 p Sallenave Dani le 1991a Fiction et autobiographie In L auteur ef le manuscrit sous la dir de Michel Contat p 71 75 Coll Perspectives critiques Paris Presses universitaires de France Sav an Marie France 1994 La place et Une femme d Annie Ernaux Coll Folioth que Paris Gallimard 226 p Tondeur Claire Lise 1995 Entretien avec Annie Ernaux The French Review vol 6
8. a tu le sais car tu aurais jou l au lieu de jouer dans la salet de ta cour o comme avant dans la rue au risque de revenir tout crott la maison Mais c tait mieux d tre sale que de se faire frapper par un char On a un nouveau logement C est tr s grand et sur deux tages Les chambres et la toilette sont en haut au troisi me Au deuxi me il y a le salon la cuisine la salle diner et la fournaise On a d m nag parce que c tait rendu trop petit Y fallait que ce soit plus grand pour faire de la place pour mon petit fr re P Comme Maman a dit que mon petit fr re tait un mauvais calcul j imagine que c est la derni re fois qu on va d m nager Ce qui est le fun c est que quand on d m nage on va jamais ben loin Deux ou trois rues On reste toujours dans le boutte Maman elle est ben dans le boutte Elle conna t pas tellement le reste de la ville Une fois on est all s au cin ma Berri et Maman s est perdue Y a fallu qu elle t l phone au cin ma pour savoir c tait o Y mouillait Vous n tes pas toujours demeur s dans ce quartier Il y a eu une escapade toute petite une ann e Celle de ta maternelle Un endroit presque la campagne sur la Rive Sud Ville Lafl che Une petite maison blanche avec une grande cour gazonn e l arri re Ta brave m re grimpait sur un chafaudage en bois pour y tendre votre linge sur la corde c t des haies tout pr s d immen
9. je vais partir Tu as longtemps pleur couch sur le lit de tes parents en regardant la photo de leur mariage Ta m re un brin grassette souriante malgr ses dents pourrites au bras de ton p re tout maigre du cou dans son col de chemise trop grand sur le pav mouill de l glise Sacr C ur Un mariage un jour de pluie Les intestins allaient te s cher dans le corps tellement tu pleurais Il fallait faire quelque chose Tu as confectionn une carte sur laquelle tu as inscris en rouge UN P RE QUE NOUS AIMONS TOUS Dedans Tu ne sais plus ce que tu as crit dedans Il n est pas parti Il n est jamais parti Beaucoup plus tard tu avais quitt la maison ta m re ta annonc qu elle n en pouvait plus Ecris lui a t ta seule r ponse a marcherait Tu le savais ou du moins a avait d j march une fois C est d j fait Depuis un mois d j Pas un mot Rien On se parle plus Ta m re a d le mettre la porte l aide d une lettre d avocat En plein hiver la date limite tu es all l aider transporter ses quelques sacs de vidange Tu las install dans une chambre que tu avais d nich e dans un sous sol C tait pas grand c tait en attendant 38 Il ne disait rien Quelques mois apr s une connaissance de Blue Bonnet le relogeait dans un de ses appartements C est pas mal mieux que l ostie de taudis dans lequel tu m avais plac
10. lui que tu ressembles plus qu ton p re On t affirmait cela dans ta Jeunesse Tu te rappelles la premi re fois o tu as pris ton fils entre tes mains Minuscule les yeux coll s la peau toute pliss e son petit cr ne tout allong Tu tais bloui par sa beaut laide Tu avais reconnu quelqu un Toi Bien s r toi un peu Mais qui d autre Tu t tais souvenu d une mission de Tarzan o il y avait une tribu de Noirs qui comme terrible coutume rapetissait les t tes des morts C est mon p re en plus vieux et en plus petit t tais tu dit Vient il un temps o la rancune n est plus n cessaire O le laid doit laisser la place au beau Comment ton p re a t 1l pu oublier ces soir es o sous l ordre de sa m re il 43 avait comme mission de ramener son p re de la taverne avant qu il boive l argent de la famille Et ces coups qu alors il recevait Et ces autres coups qu au retour seul il recevait de sa m re Coucher dehors Fumer sous les toiles et attendre le matin Grandir vieillir et attendre tre assez vieux pour travailler Donner ses paies sa m re Attendre encore Se marier Donner ses paies sa femme Comment a t il pu oublier Assis sur les marches de l glise tu ressens nouveau ce petit malaise qui t incommode depuis quelques jours Des h morro des Rien de grave bien s r et pourtant t introduire le petit applicateur dans l anus te fait
11. moins question pour moi de me poser comme personnage d une fiction que de profiter de l espace de l criture pour questionner la possibilit ou l impossibilit de raconter pleinement une histoire r elle Ma propre histoire celle de mon p re 00 Tu pr f res donc l autofiction la mention de nouvelle autobiographie qui comme l crit Robbe Grillet fixerait en somme son attention sur le travail m me op r partir de fragments et de manques 1991 p 50 Oui Je ne crois pas avoir essay de combler les trous de ma propre histoire en en inventant d autres Jai plut t essay de les repr senter de les questionner de les int grer au texte de composer avec Labr che fait une comparaison entre l autobiographie et l autofiction en crivant Ecrire une autobiographie c est dire Je avec un nez de clown tandis qu crire une autofiction serait dire Je non seulement avec un nez de clown mais avec tout le d guisement 1999 p 123 Es tu d accord avec cette distinction Elle ajoute en finale sous un immense chapiteau o se d roule le cirque de la vie intime Labr che p 123 Je souligne Il faut comprendre que le costume de clown de l autofiction lui a permis de d lier l criture c est dire d explorer dans l criture les obsessions folies rapport la m re sexualit qui l habitent dans son cirque intime sa vie ses origines son questi
12. ce qu crire devienne un verbe d action plut t qu un lointain objet d attraction M me si tu dis avoir renonc cette fa on disons plus programmatique d crire tu n cris pas dans un total abandon Tu suis tout de m me une trame narrative comme ce fut le cas pour Ton p re et autres d bris 102 Oui Je n a pas le courage de me lancer dans le vide sans parachute Il faut tout de m me que j aie une vague id e de l endroit o je risque d atterrir Bernard Pingaud trace une distinction entre l criveur qui n a pas de but pr cis et qui se contente de dire J cris et l crivain qui dit J cris ceci ou cela 1991 p 16 Dirais tu que maintenant tu fais une place chez toi l criveur Ce qui a chang c est qu l int rieur de cette direction vers quelque part je privil gie le mouvement de l criture qui doit passer dans un premier temps par la voix le ton le rythme Puis j observe les l ments r currents du texte et J essaie d explorer les avenues qui m apparaissent les plus f condes les plus riches Verticalement bien entendu Autrement dit j accepte la possibilit que ce que j cris aille la poubelle Tu conviendras que Ton p re et autres d bris par son souci d interroger l h ritage la transmission familiale s inscrit dans ce que Dominique Viart qualifie de r cit de filiation Voir Viart 1999 Mais n y aurait il pas aussi dans
13. d exp rience serait li e la subjectivit de l auteur ce qu il a travers corporellement et mentalement Bon 2000 p 59 Est ce cela que tu fais allusion Pr cis ment L criture avec de soi plus que l criture de soi Ainsi on peut modifier le r el Viser la v rit d un rapport entre un sujet et une chose plut t que la v rit d un sujet et d une chose Travail de jonction donc pour ne pas dire d harmonisation L criture comme travail d accord avec l motion suscit e par le r el et non pas simple soumission au r el dans le travail de l criture Envisag es sous cet angle de l exp rience ou de l tonnement les notions de r f rent r el ou fictif perdent de leur importance Oui l crivain crit mais il ne parle plus de lui il parle avec ce qui l habite 85 Tu parles de la notion d exp rience Est ce dire que pour crire on doit avoir beaucoup v cu C est ce J ai longtemps cru Et c est aussi cela que Je faisais r f rence lorsque J ai mentionn qu avant de me questionner sur la subjectivit dans l criture j crivais dans une certaine na vet Comme si accumuler des exp riences allait faire de moi un meilleur crivain En effet et peut tre au contraire de ce qu on laisse souvent entendre les exp riences personnelles ne repr sentent pas toutes de la mati re criture Elles peuvent bien s r constituer une mati re de base tr s ri
14. et c est l sa grande libert n h site pas m langer les genres c est dire se servir des conventions d un genre pour les retravailler dans un autre Je me demande aussi en quoi cette obstination du classement g n rique ou ce souci de cat gorisation ne laisse pas de c t un questionnement plus int ressant et plus fructueux Effectivement Dominique Viart crit Sans doute faudrait il substituer la critique des genres au moins pour la litt rature contemporaine une critique des enjeux et des moyens mis en uvre pour les atteindre 2001 p 29 C est donc sur cet aspect que nous orienterons notre discussion Tu tiens ce que Ton p re et autres d bris soit consid r sous le genre de l autobiographie plut t que de l autofiction ou encore du r cit qui par sa narration la premi re personne son criture fragmentaire sa qu te introspective et la dimension autobiographique qu on y retrouve Voir Mercier 1998 lui conviendrait peut tre mieux Pourquoi ce d sir Tu as raison de mentionner que Ton p re et autres d bris se rapproche beaucoup plus du r cit que de l autobiographie Par contre c est la dimension autobiographique du r cit qui me fait d sirer que le texte soit consid r davantage comme une autobiographie Je ne peux en effet prendre le risque que le personnage du p re et que le contexte sociohistorique du quartier de mon enfance soient r cup r s sous un
15. il y avait chez moi et que peut tre J avais gard cette m me attitude face l criture une n cessit de construire un refuge pour quelqu un d autre Plus tard je suis tomb sur ce passage d H l ne Dorion sur le fait d aller la biblioth que et j ai alors cru m tre tromp Au del du tumulte un monde de mots et de silence Un monde o me r fugier 2002 p 75 Qu il s agissait simplement d un lieu presque magique pour quiconque n avait pas beaucoup de livres chez lui Mais plus j y pense plus je reviens ce que j ai dit et plus cela m appara t juste Qu est ce qu un refuge Qu est ce qu un refuge sinon un lieu en soi o le v ritable repos est impossible mais o il continue pour un temps d tre esp r BIBLIOGRAPHIE a Entretiens et ouvrages sur le r cit de soi Auster Paul 1993 Conversations avec Paul Auster In Le carnet rouge suivi de L art de la faim p 359 433 Coll Babel Arles Actes Sud Auster Paul et G rard De Cortanze 1997 La solitude du labyrinthe Essai et entretiens Arles Actes Sud 173 p Barthes Roland 1981 Le grain de la voix Entretiens 1962 1980 Paris Seuil 342 p Bon Fran ois 2001 On crit avec de soi Entretien avec Dominique Viart Revue des sciences humaines Paradoxes du biographique sous la dir de Dominique Viart p 59 67 Lille Universit de Lille no 263 no 3 Chiantaretto Jean Fran ois dir pub
16. De sa situation de transfuge de parvenue Ernaux 2003 p 62 63 Il y aurait certes chez moi une part de culpabilit mais je crois surtout une part d tonnement Cela m tonne parfois de ne pas voir couler de mes souliers cette terre meurtrie de mes racines lorsque je me d chausse Cela m tonne presque toujours de la retrouver Ceci dit j aime croire que l criture autobiographique n aura repr sent pour moi qu un cas qu une parenth se dans ma trajectoire d criture comme crit 82 Philippe Lejeune 1991 p 55 M me si je ne peux pas tre garant du futur et affirmer que je n crirai plus de texte autobiographique je peux par contre dire que si au d but de la ma trise j ai choisi d crire un texte autobiographique c tait pour travailler plus en profondeur la subjectivit de mon criture que cette question de la subjectivit dans l criture a toujours t une pr occupation au sens o son importance me semblait capitale voire n cessaire Mais je dois bien avouer tenir aujourd hui sur la question un discours bien diff rent de celui que je tenais ce moment l Pourrais tu tre plus pr cis Il y a une dizaine d ann es je me souviens avoir crit une nouvelle intitul e L attrait de l ambre Un passage de cette nouvelle m avait valu quelques loges Le professeur avait t plut t touch par la description d une jeune Dominicaine qui tendait du ling
17. Folio Paris Gallimard 2000 174 p Quignard Pascal 1986 Une g ne technique l gard des fragments Montpellier Fontana Morgana 70 p Ricoeur Paul 1990 Soi m me comme un autre Coll Points Paris Seuil 425 p Sallenave Dani le 1991b Le don des morts Sur la litt rature Paris Gallimard 187 p Sontag Susan 2000 Sur la photographie Coll Choix essais Paris Christian Bourgois 241 p Siganos Andr 1999 Mythe et criture La nostalgie de l archa que Paris Presses universitaires de France 239 p Tsvetaeva Marina 1989 Le po te et la critique Cognac Le temps qu il fait 86 p Virilio Paul 1994 Esth tique de la disparition Coll Le livre de poche Biblio essais Paris Librairie g n rale fran aise 123 p Woolf Virginia 1963 L art du roman Coll Pierres vives Paris Seuil 203 p c uvres de fiction et autres Alonzo Anne Marie 1997 Geste Laval Qu Trois 159 p Auster Paul 1988 L invention de la solitude Coll Babel Arles Actes Sud 296p Barthes Roland 1975 Roland Barthes par Roland Barthes Coll Ecrivains de toujours Paris Seuil 192 p Carver Raymond 1991 Les feux Essais po mes nouvelles Coll Points Paris L Olivier 267 p Daviau Diane Monique 1999 Ma m re et Gainsbourg Qu bec L Instant m me 183 p 116 Delisle Michael 1987 Fontainebleau Montr al Les Herbes rouges 125
18. L comme l crirait ton p re Hernie testiculaire due un coup de pied dans les gosses de son vieil ivrogne de p re six ans double fracture du cr ne d avoir t frapp par un truck huit ans amputation de quatre doigts la main gauche la suite d un accident de travail quatorze ans d c s de son premier n un gar on de vingt quatre mois dans un accident de voiture vingt sept ans Ces accidents dans la vie de ton p re des incidents du quartier o tu es n Tu coutes ton beau p re raconter son enfance chez son p re agronome Au prix de bien des sacrifices il a r ussi lui payer des tudes en m decine Tu cherches du regard ton p re qui se tient l derri re la main gauche camoufl e au fond de sa poche avec son sourire niais faire semblant Car c est toujours ce qu il fait non Semblant de ne pas tre l semblant de ne pas entendre semblant de ne pas tre 57 affect par la pr sence de quelqu un qu il consid re meilleur que lui Tu cherches ton p re afin qu il ne se f che pas Qu il ne cherche pas ensuite te c licer en bas du deuxi me tage Tu cherches lui dire Non papa ne me frappe pas Tu tentes de lui dire Je suis bien assez capable tout seul Ton nom de famille est B ton nom de famille est D L R Combien de fois ton p re t a t il regard en changeant ton nom de famille chaque fois que tu d montrais de l affection e
19. Tu n as rien fait Sous la pluie pr s d une tombe anonyme tu as ramass un caillou 63 Il y a de ces choses qui ne parleront jamais personne d autre qu toi Des choses intransmissibles Muettes parce que trop intimes Secr tes Qui vont mourir en m me temps que toi 64 23 L ang lus du soir sonne au loin D j Pas tout de suite te dis tu Tu traverses la rue Sherbrooke Tu te diriges vers l tang sinueux Dans une des courbes il y a un banc Tu ne sais pas pourquoi mais ce banc a toujours attir ton regard Comme s il s tait pass l un v nement Mais quoi au juste Tu ne sais pas Le banc est libre Ton pas s acc l re Une photo rectangulaire au rebord dentel Des gerbes de fleurs entourent un tout petit visage coiff d une casquette de marin Le regard de l enfant est port vers la gauche au loin Ce visage est entour d un nuage de brume l endos les paroles d usage la douce m moire de M G fils de M G et ML d c d le 10 septembre 1961 Combien de gens taient all s voir ton fr re M au salon mortuaire Des tas Des personnes que ta m re ne connaissait m me pas Pour elle c est facile expliquer Ton fr re parlait tout le monde Et tr s bien d ailleurs D ailleurs ton fr re chantait 65 aussi tr s bien Et en anglais part de a Ta m re qui de toute sa vie n a jamais parl un tra tre mot d anglats Le soir
20. ai fait en classe Y fallait que je dessine mon p re et ce qu il fait dans la vie Papa m a d j dit qu il travaillait dans le shipping Comme je comprenais pas il m avait expliqu Je prom ne des bo tes LE Alors je l ai dessin en train de porter une grosse bo te Mais c est pas pour a que la ma tresse a t l phon Elle voulait savoir pourquoi j ai fait plein de marques sur le corps de papa des plasters en croix sur le front sur la main sur le genou de son pantalon d chir sur le coude Des plasters pis des grosses cicatrices Je sais pas Au d but je l ai juste dessin de c t en train de marcher les bras droits avec une bo te dans les mains Pis apr s j ai ajout les cicatrices pour faire plus vrai Tu as longtemps fait le m me cauchemar Tu te r veillais une vieille dame drap e de blanc valsait vers toi un couteau la main Elle tait loin dans le corridor qui menait ta chambre Tu avais le temps de bien ouvrir les yeux et de te pincer la peau pour la faire dispara tre Elle continuait d avancer Tu tentais de crier mais aucun son ne sortait de ta bouche Rien qu un petit manque de souffle touff inutile Lorsqu elle arrivait dans l encadrement de la porte de ta chambre tu r ussissais enfin hurler Ta m re te donnait des bains l alcoo pour te calmer Te ramener la r alit 18 Tu faisais des cauchemars quand j tais enceinte d
21. ailleurs Je ne veux pas dire que j crirais alors une histoire horrible J aime d ailleurs beaucoup cette invitation de lecture d pouill e d adjectifs Mon p re a voulu tuer ma m re un dimanche de juin au d but de l apr s midi Je sais que cette mani re de dire en peu de mots toute la gravit d une situation est ce que je pr f re crire crire ce qui arrive dans toute sa nudit est plus efficace que de le qualifier Une situation une sc ne simplement parce qu elle se passe parle d elle m me exprime ce qu elle a dire Je n ai pas y ajouter quoi que ce soit Sauf la transcrire Le plus clairement possible Dans un minimum de mots 94 Dans une entrevue l crivain Louis Gauthier fait r f rence Rodin qui disait que sculpter c est prendre un bloc de marbre et enlever ce qu il y a de trop crire dit Gauthier c est aussi et peut tre surtout enlever ce qu il y a de trop Desmeules 2005 D4 Partages tu cette opinion L entreprise autobiographique peut se pr senter comme un bloc en face de Rodin une vie pleine une vie en bloc Dans un premier temps vouloir tout dire tout raconter Puis vient le temps des choix On ne peut pas tout dire On doit s lectionner On doit d cider sous quel angle quelle approche En cela oui crire c est enlever ce qu il y a de trop Mais n en est il pas ainsi de toute histoire qu on se met vouloir crire Pas seulement lorsqu il
22. au pourquoi de mon texte Dans mes et corps Nancy Huston crit ne pas vouloir comprendre ou expliquer comment et pourquoi elle fait ce qu elle fait par peur de ne plus pouvoir le faire 2004a p 27 Est ce de ce genre de peur qu il est ici question Non je ne dis pas cela par peur de ne plus pouvoir ensuite crire Je n adh re pas ce type de pens e qui me semble tenir de la superstition Suzanne Jacob crit dans crire Comment Pourquoi J e suis du c t de l uvre Je crois que le pourquoi et le comment de l uvre si futiles inutiles et impuissants soient ils sont dans l uvre o ils sont enti rement montr s 2002 p 14 Je souscris sinc rement cette pens e qu un texte une fois termin devrait se passer de son auteur Je crois aussi qu on insiste toujours beaucoup trop sur l auteur crivain personnage plut t que sur le texte crit Mais comme je sens que tu ne l cheras pas si facilement le morceau je vais faire comme Gould et abdiquer Alors Allons y Commen ons par une parenth se La forme de l entretien n a pas t la premi re forme que tu as envisag e pour ce dossier d accompagnement En effet Il y en a eu plusieurs Mais si vous tenez absolument revenir sur le sujet allons y Gould 1983 p 30 74 La premi re tait intitul e La chambre noire C est la suite d une affirmation d Annie Ernaux que m en tait venue l in
23. aurait jamais t crit sans la grande g n rosit de ma directrice Louise Dupr Son regard la fois exigeant et bienveillant m a constamment amen repousser mes remparts creuser plus en profondeur Merci Merci mes fils Maurice et Joseph pour leur influence plus que d terminante sur mon criture Merci leur m re Marie Annick B liveau pour son amour et la musique de sa voix plus que magnifique Enfin soldat Lambert tu comprendras ma concision Merci Simon TABLE DES MATI RES TON P RE ET AUTRES D BRIS recrue l BIBLIOGRAPHIE 110 R SUM Ce m moire en cr ation litt raire est constitu de deux parties La premi re Ton p re et autres d bris est un r cit compos de vingt quatre tableaux divis s en fragments On y suit le parcours de la pens e d un narrateur qui d ambule dans les rues du quartier de son enfance pour retarder sa rencontre avec son p re mourant Ce r cit se scinde entre deux narrations celle d un narrateur adulte la deuxi me personne du singulier qui se rappelle certains v nements de son enfance et celle du m me narrateur enfant la premi re personne coll l action aux v nements pass s l motion qui s en d gage Par une utilisation de diff rentes tonalit s dans l nonciation cette narration d doubl e questionne la dialectique de l identit et de l alt rit elle refuse ainsi de repr senter le sujet comme unifi
24. c tel parmi ton quipe qui avait gagn le championnat Ta m re s en souvient elle avait assist la f te Elle avait assist presque tous les matchs d ailleurs tra nant avec elle la poussette et ton fr re P qui est aussi sur la photo Il tait en quelque sorte la mascotte de l quipe C est ton p re qui avait eu l id e de t inscrire Mais il n est jamais all te voir jouer Sauf une fois Mais tu ne l as pas vu Tu l as entendu Lors d une conversation avec ta m re Ben oui chu all Je m tais cach derri re un arbre Y pourri Tu n avais presque pas jou de cet t l Tu passais ton temps sur le banc ou glisser dans le sable pour faire rire ton fr re de deux ans D s les premiers jours tu l avais su T tais pas bon La balle te pin ait horriblement la paume lorsqu elle heurtait ton gant en plastique Puis tu avais eu un deuxi me gant Vous aviez toi et ton p re fait tremper le gant dans l eau du bain afin qu il puisse s ajuster ta main Un achat de ton p re un gant d un gars de la shop Le gant du fils d un gars de la shop qui tait mort Il n avait jamais jou avec Encore la mort pour te permettre d avoir une vie 37 Tu lui as crit une fois Tu revenais de l cole Ta m re pleurait Elle t a montr une lettre une lettre de ton p re Tu ne te rappelles plus trop des mots sauf de quelques uns si a change pas et
25. conserver le message Tout bonnement de sa voix d sint ress e comme si c tait la seule chose raisonnable faire L vidence m me Tu l as effac 49 17 Adoss une voiture cet homme l a tout de l homme fier pantalon noir sans pli chemise blanche impeccable les cheveux s par s sur le c t le menton relev le bras droit pli quarante cinq degr s la main appuy e sur le ceinturon de son pantalon les yeux qui bravent le soleil qui devrait pourtant l blouir Oui cet homme a de l allure Un homme fier et lanc tout comme la voiture sur laquelle il s appuie une Cadillac Eldorado 1958 noire ailes relev es l arri re Un char de Batman La photo serait parfaite si ce n tait de cette main difforme appuy e sans complexe sur le toit de la voiture Rien ne serait trange si ce n est que cet homme somme toute heureux et satisfait est ton p re Tu regardes la photo de ton p re Tu te dis que cet homme l tu ne l as jamais connu que si cet homme l avait un Jour exist tu ne peux plus maintenant lui parler 50 18 Ton fr re M est d c d dans un accident de voiture le 10 septembre 1961 C est une v rit v rifiable crite dans votre Bible de la main de ta m re sous la rubrique D c s dans le chapitre compl mentaire La Vie de Notre Famille qui vient juste apr s celui intitul Apocalypse Je n a pas pu pleurer la mor
26. crire l intime ne signifie pas pour moi cette sorte de d voilement Ce n est pas ce que j ai donner lire Si je comprends bien tu verrais donc une diff rence entre l intime et le personnel L intime est ce lieu o l on puise toute l agitation n cessaire la construction et la naissance d un texte donc de l criture Le personnel c est tout ce qu on peut d voiler de soi de l ext rieur Ce qu on peut raconter de s r de certain L criture en tant que qu te doit tendre d passer cela Comment sans liminer tout ce qui Tout dire c est d abord dire n importe quoi Pingaud 1991 p 97 97 provient de l histoire personnelle favoriser ce qui est de l ordre de l intime L histoire personnelle s attarde sur les v nements de notre vie tandis que l intime nous d voilerait ceux de l me et du c ur je sais ce sont de bien grands mots c est dire ce qui se cache sous la surface tout en la contenant Comment concilier les deux Comment d voiler le moins possible en termes de faits et le plus en termes de densit Comment crire malgr la fragilit des sentiments en cause et dont le texte est issu Peut tre faut il exiger de soi m me une certaine pudeur Pudeur non dans le sens de censure mais de d passement aller au del du sentiment apparent premier par exemple la col re ou la douleur Polir ses images renoncer par le fait m me
27. du 10 septembre 1961 P la s ur de ta m re la petite pas fine celle qui n tait pas tr s tr s fut e f tait ses fian ailles De retour la maison familiale elle s est aper ue qu elle avait oubli son bouquet de fleurs la salle de r ception Elle y est retourn e avec son fianc qui conduisait et ton fr re M assis sur ses genoux Lors de l impact ton fr re a eu la t te tranch e Cette histoire ni ton p re ni ta m re ne te l ont racont e Tu la tiens d une s ur de ta m re Tante H qui vous l a racont e autour d un feu de camp comme on chuchote une histoire pour faire peur aux enfants Un p re rattrape son fils juste temps juste avant que celui ci ne tombe dans l tang Tu souris Tu souris car peut tre tu comprends Tu comprends que sur ce banc de parc il ne s est jamais rien pass Il fait partie de tes souvenirs simplement parce qu il lui manque quelque chose justement parce qu il ne s y est jamais rien pass Il lui manque toi et ton p re Ton p re qui t explique l ordre invers des choses qu un fils dans le cours normal d une vie devrait enterrer son p re et non l inverse 66 24 chacun de tes pas l h pital grandit Tes pens es s affolent Tu le sais tu n y peux rien Tes doigts serrent une photo que tu as sorti de l album Tu avances quand m me Une photo rectangulaire en noir et blanc Toi entre ta grande s ur M et ta peti
28. hoch la t te et l a d pos ses c t s Tu ne te souviens pas Ville La fl che la chasse les bibittes Il a fronc les sourcils en te disant Hein comme si tu parlais d une autre plan te comme si tu avais rapport cet insecte d un autre monde Ily a ce champ plein de mauvaises herbes o je me prom ne Des tas de sauterelles bondissent chacun de mes pas On dirait qu elles m accompagnent Je tombe par hasard sur un tr sor Une grosse canisse jaune o je peux mettre des cailloux du sable des bibittes Je la prends je l observe Mes doigts se collent tout autour En dedans c est tout noir et quand je la repose mes doigts aussi sont tout noirs Une p te paisse est coll e dessus J entends d j maman raconter a papa Je frotte mes doigts ensemble a reste coll Je frotte mes doigts dans le sable a reste coll Je frotte plus fort a fait mal et a reste coll IT fait chaud Je me mets courir J avais pas d affaire dans le champ j avais pas d affaire dans le champ Pourquoi j ai t l Pourquoi j ai jou l Je vas salir mon beau chandail Je cours Pourquoi Ostie pourquoi Je fonce dans la maison en entrant par en arri re Je kick le chien Dans la toilette j enl ve mon t shirt Si y tach je le jette Je mets mes doigts sous l eau chaude du robinet et je frotte La tache part pas Je frotte encore a va partir Loin de ses dix fr res et s urs votre
29. la solitude Qui cherche la v rit doit tre pr t l inattendu car elle est difficile trouver et quand on la rencontre d concertante Auster 1988 Philippe Gasparini crit qu en tant que romancier plus qu autobiographe l auteur cherche inscrire son uvre dans une tradition et inciter le lecteur chercher sous la surface de l anecdote une signification universelle Gasparini 2004 p 76 Est ce pour cette raison que tu as plac les exergues d Auster et Mandelstam Pai l impression que cette question cache quelques pi ges Comme si J avais voulu par les exergues contr ler la r ception de mon texte Alors que je vois les exergues plut t comme des phares d criture Des phares de brume que je place en vidence sur mon mur et qui me guident lorsque je ne sais plus o aller Afin de ne pas oublier le rapport que j entretiens avec le sujet de mon criture lorsque mon 104 criture s emp tre Des phares que je partage ensuite avec le lecteur Qui deviennent en quelque sorte des lanternes de lecture Les photographies semblent jouer un r le dans ton criture On en retrouve dans Ton p re et d autres d bris La chambre noire ef dans Disparition ce projet d criture que tu avais labor o un homme crit des textes partir de photographies de gens absents avant d opter pour un texte plus autobiographique Quelle importance leur accordes tu Je dois mentionner que j
30. mal Lorsque tu remarques au hasard quelque chose ayant l apparence d un applicateur la queue dress e d un chien le bout d une baguette de billard un crayon le trou du cul t lance et tu te rappelles le d sagr ment h morro dal Mais tu sais que dans quelques jours cela aura pass La queue du chien redeviendra une queue de chien la queue de billard servira nouveau enfoncer des boules dans les trous le crayon crire Tu penses la main de ton p re ses doigts manquants broy s cras s aplatis par un rouleau p te biscuits pesant une tonne La machine faire des Feuilles d rable qu un jour il ta dit Au d but la m decine avait tent de lui sauver l index La gangr ne s tait mise dedans on avait ensuite tranch jusqu au pouce Pendant combien de temps a t il ressenti nouveau cette douleur lorsqu il voyait les roues d une auto tourner un m got cras sous un pied sa m re faire des tartes et des tourti res Combien de temps a lui a pris pour oublier son fils mort dans une auto d capit 44 15 Tu croises une fille qu il te semble conna tre Mais d o Tu cherches Tu songes un instant regarder dans l album photo bien que ce soit improbable Puis tu souris Oui ce visage aurait pu s y trouver si ta s ur et non ta m re l avait confectionn Ta grande s ur M qui avait cette curieuse manie d int grer parmi des photos de
31. p Dorion H l ne 2002 Jours de sable Coll Ici l ailleurs Montr al Lem ac 137 p Dupr Louise 1996 La memoria Coll Romanichels poche Montr al XYZ 211p Ernaux Annie 1983 La place Coll Folio Paris Gallimard 114 p Ernaux Annie 1997 La honte Paris Gallimard 133 p Garcia Marquez Gabriel 2002 Vivre pour la raconter Paris Grasset 603 p Gauthier Louis 2002 Voyage au Portugal avec un Allemand Montr al Fides 181 p Gould Glenn 1983 Le dernier puritain crits Tome 1 Paris Fayard 286 p Handke Peter 1975 Le malheur indiff rent Coll Folio Paris Gallimard 122 p Mallarm St phane 1990 Pour un tombeau d Anatole Coll Le Don des langues P ris Seuil 315 p Mandelstam Ossip 1992 Po mes Paris Librairie du globe 197 p Michon Pierre 1984 Vies minuscules Coll Folio Paris Gallimard 249 p Pontalis Jean Bertrand 1996 Un homme dispara t Paris Gallimard 150 p Perec Georges 1975 W ou le souvenir d enfance Coll Les lettres nouvelles Paris Deno l 220 p Puech Jean Beno t 2004 Jordane revisit Mayenne Champ Vallon 168 p Semprun Jorge 1994 L criture ou la vie Paris Gallimard 319 p Sarraute Nathalie 1983 Enfance Coll Folio Paris Gallimard 277 p Yourcenar Marguerite 1971 Qui n a pas son Minotaure In Th tre II Paris Gallimard p 179 231
32. p re Et toi Sur cette soir e tu ne poss des rien Que quelques vagues r miniscences qui surgissent par bribes un souffle froid puis plus rien Quelques images quelques objets une table une p nombre des cris des yeux brun sombre un marteau tenu dans tes petites mains Une phrase dite Oui une phrase Un ordre qui s adressait toi Va porter a le fou Tu te demandes comment a pu se sentir ce petit gar on qui demandait son p re de le tuer de les tuer tous en lui tendant un marteau Qu est ce qu il se disait Qu est ce qu il Lui disait 69 Ta gueule Agis Tiens parole Va plus loin que la parole cher papa Tue nous Et puis la honte cette honte que depuis ce temps tu portes d avoir tu ton p re toi en le confrontant son incapacit Rappelle toi tes s urs te l ont racont ton p re disait qu il allait vous tuer avec un marteau Tu es all chercher le marteau tu le lui as tendu il ta dit d aller le remettre sa place Il n y rien d autre ajouter Rien sauf peut tre une question Une question qui t inqui te Serait 1l possible que la pire chose que t ait transmise ton p re soit cette m moire Cette m moire d ficiente qui ne retiendrait entre ses mailles que le charbon de la vie et qui laisserait filer toute la poussi re d or Tel un tamis inutile 70 24 Plus que quelques pas franchir Pr s des portes un homme vomit d
33. petit b ret viss de travers sur le c t droit de la t te La photo est magnifique et de circonstance 1940 en pleine guerre ton p re six ans 14 La photo est d chir e en six endroits C est ton petit fr re qui un bon matin a fait cela Pas parce qu il jouait et que par inadvertance 1l aurait d chir la photo comme le feraient tous les petits enfants C tait voulu Ton p re a d tre f ch de voir sa photo dans cet tat La seule photo de lui enfant Sa seule preuve concr te Ce n est pas ce qui t inqui te Ce que tu te demandes c est ce que ton p re a pu lui dire lui ton fr re pour que ce matin l comme seule r ponse il ait fouill dans la bo te cach e au fond de la garde robe et d cid de d truire cette photo Tu te rappelles ces nombreux jours de l an Vous partiez ensemble le voir toi ton fr re et tes deux s urs dans son troit logement de c libataire Lui qui faisait tellement piti depuis que votre m re l avait laiss Dix ans plus t t Cinq ans plus t t Quinze ans plus t t Peu importe C tait toujours le m me temps arr t la m me rengaine la m me peine La m me corv e Vous anticipiez toujours le pire comment allait 1l tre Il y avait ces deux mots qui vous faisaient tant plaisir toi et ton fr re P Ce voeu prononc juste avant d entrer chez lui Vos regards complices qui r pondent la question d occasion Qu est ce
34. pr sentait comme tant la plus vieille Celle qui d habitude s occupe de lui Ce n est pas toi qu il d sire voir T imaginer que ce serait toi t est inconcevable A moins qu il ne soit pas en train de mourir moins que ce ne soit encore une de ses plaisanteries pour faire piti Tu poses le vieil album photo sur le banc et allumes une cigarette Il ne va pas mourir Il n est pas en train de mourir En fait il ne mourra jamais Tu avais pris l autobus pour te rendre l h pital Au coin de Sherbrooke en haut de la c te tu n es pas descendu Quelque chose t a tenu cal au fond de ton banc Une chose t a pouss descendre plus bas l arr t final la station de m tro Tu n avais pas eu le temps de souffler Tu voulais respirer Tu ne sais pas Tu as alors d cid de remonter jusqu l h pital pied d emprunter le chemin que tu avais si souvent parcouru enfant Pr s d une ruelle tu tes arr t C tait l La o tu avais le plus longtemps v cu Tu es entr dans cette ruelle qui conduisait la cour arri re de votre logement cette cour pleine de petites garnottes et de trous de bouette les Jours de pluie La cour est maintenant en asphalte tout comme la ruelle qui en permet l acc s Une serre vitr e clatante de plantes vertes a remplac le hangar d labr o s entassaient p le m le les jouets d suets les v tements moisis et les meubles d cr
35. qu un moment donn pour passer le temps je joue 34 avec des affaires avec de la neige dedans Je les vire l envers les vire l endroit l envers l endroit vers droit vite vite vite shak jusqu ce que Maman me dise de faire attention pour pas les briser Alors j attends de souper en me promenant dans la maison Je regarde les crucifix les cadres de Marie et de Joseph pis celui de J sus avec son gros c ur entour de barbel s Glauque est le premier mot qui te vient l esprit lorsque tu penses chez M m re Un vieux logement tapiss de brun et d cor d images pieuses Une vieille femme laide qui cuisinait cigarette au bec Du jambon ta grand m re faisait toujours du jambon parce que t aimais a qu elle disait M me ses rares sourires n arrivaient pas enrayer sa laideur rid e Pas de musique pas de bonheur une absence criante de libert Tu te demandes comment ton p re a pu tre un enfant l dedans 35 12 Tu arrives devant la cour d cole de tes ann es de primaire Aucun enfant n y joue Comme c est l t l acc s en est cadenass Cela t tonne Combien de parties de baseball as tu regard jouer dans cette cour les mains appuy es sur le grillage Par des enfants des adolescents des adultes qui parfois fracassaient une fen tre la suite d un lan deux mains tout puissant Papa m a montr un jeu Papa m a montr un jeu C est facile fa
36. souligne l cart lement du narrateur entre son pass et le pr sent L emploi pr dominant de la deuxi me personne du singulier montre la distanciation que prend le narrateur face la douleur de l enfance tout en prenant le lecteur t moin de la r flexion du narrateur La seconde partie Entretien est pr sent e sous la forme de l entretien S inspirant d une entrevue de Glenn Gould par lui m me ce dialogue entre soi et soi aborde les enjeux l uvre lorsque l auteur privil gie le mat riau autobiographique comme base d un projet de cr ation Cette conversation sur l acte d crire comme moyen de transmission d une exp rience met l accent non seulement sur la subjectivit dans l criture envisag e dans une perspective autant esth tique que g n rique mais aussi sur le processus cr ateur La r flexion de th oriciens et d auteurs qui se sont pench s sur la th orie litt raire plus particuli rement sur l autobiographie ou sur la pratique de l criture est mise profit dans cet exercice de d doublement dont le questionnement tourne autour des notions de v rit et de mensonge d intime et de personnel de voilement et de d voilement de l exp rience subjective Mots cl s criture Autobiographie Processus cr ateur Subjectivit Entretien TON P RE ET AUTRES D BRIS M me adulte on ne cesse pas d tre affam d amour paternel Paul Auster L invention de la sol
37. un auteur le passage l autobiographie peut tre v cu comme une d faite voire m me repr senter pour certains la mort de l criture Lejeune 1991 p 55 56 I mentionne aussi des exemples d crivains qui prennent 75 toutes sortes de pr cautions pour se parer contre une lecture pr judiciable de leurs uvres et de leurs intentions dans le paratexte dans l avant texte ou m me l int rieur du texte Comme Nathalie Sarraute qui crit propos d Enfance Alors tu vas vraiment faire a 1983 p 7 accompagner Ton p re et autres d bris de La chambre noire sorte d apr s texte n cessaire au texte relevait il de ce genre de pr cautions Je me suis pos la question mais non je ne crois pas Alors pourquoi l as tu abandonn Curieusement le texte s est mis trop prendre de place Cette voix s est mise ne plus r pondre aux enjeux demand s pour l essai r flexif La trame narrative de l enqu te m amenait de plus en plus ailleurs vers d autres questions certes en rapport avec les th mes qu on retrouve dans Ton p re et autres d bris mais d une mani re diff rente Ce n tait plus une m tafiction mais une autre fiction Aussi j ai d renoncer Tu as ensuite crit Dossier un essai sur l autobiographie o tu tentais de d montrer que l criture autobiographique pouvait repr senter un d fi litt raire Pourquoi vouloir faire une telle d mon
38. vingt marches de ch ne dur et entra nait le corps de ton fils avec lui 60 Tu l as attrap juste temps Il a cri et ensuite pleur Tu lui as fait mal Tu lui as presque disloqu l paule Qu aurait fait son petit corps de six mois en d boulant les marches Son cou fr le Sa grosse t te Son dos maigre Apr s tu as ressenti un soulagement trange coupable Pourquoi tais tu arriv temps Sa mort ne t aurait elle pas permis enfin de vivre D tre enfin l gal de ton p re et d tre mieux que lui Sa mort comme possibilit de prouver ton p re qu on peut survivre au d c s de son fils Ton p re va mourir avant que ton fils nait deux ans Comme s ils taient tous deux engag s dans une course contre la mort 61 22 Sur la rue Amherst tu passes devant un mus e Celui qu on a nomm l Ecomus e du fier monde l ancien bain G n reux o tu allais te baigner et te faire piquer tes choses dans ton casier Tu y es all un jour apr s une visite de ton p re Tu tais revenu avec plein de chiffres que tu avais crits sur le tableau dans ton bureau 1963 Radio Canada 678 logements d molis 1963 Dupuis amp Fr res 150 logements 1964 TVA Canal 10 100 logements 1972 UQAM 100 logements 1974 Week end rouge 185 logements br l s Tu t assoyais devant ton tableau et tu les regardais en tentant d y d chiffrer une solution Une r pons
39. 9 no 1 octobre p 37 43 Viart Dominique dir publ 1999 Filiations litt raires In tats du roman contemporain Actes du colloque de Calaceite Fondation Noesis 6 13 juillet 1996 p 115 139 Coll La revue des lettres modernes critures contemporaines 2 Paris Minard Viart Dominique dir publ 2001 Dis moi qui te hante Revue des sciences humaines Paradoxes du biographique Lille Universit de Lille no 263 no 3 p 7 33 113 b Ouvrages de r f rence th oriques ou critiques Agamben Giorgio 2003 Ce qui reste d Auschwitz Coll Rivages poche Petite Biblioth que Paris Payot amp Rivages 193 p Bakhtine Mikha l 1978 Esth tique et th orie du roman Coll Tel Paris Gallimard 488 p Bakhtine Mikha l 1984 Esth tique de la cr ation verbale Paris Gallimard 400 p Barthes Roland 1980 La chambre claire Note sur la photographie Paris Cahiers du cin ma 192 p Benveniste mile 1966 Probl mes de linguistique g n rale Coll Biblioth que des sciences humaines Paris Gallimard 351 p Calvino Italo 1989 Le ons am ricaines Aide m moire pour le prochain mill naire Coll Du monde entier Paris Gallimard 197 p Carpentier Andr 1992 Le tourment de l influence In Le plagiat Actes du colloque tenu l universit d Ottawa 26 28 septembre 1991 sous la dir de Christian Vandendorpe p 31 46 Ottawa Presses de l Universit
40. Pontalis dans Fen tres 2000 p 13 Qui tient ce mot plut t qu un autre doit on se demander lorsqu on r crit Si Je est un Autre alors mondeur de l uvre c est l Autre crit Benjamin Fondane au sujet du po me ce qu il retouche qu il limine c est encore et toujours le Je 1998 p 121 Comme il est souvent difficile d tre clair ou de s entendre sur des concepts tels le je et l Autre pourrais lu pr ciser ta pens e ou encore mentionner ce que dans Ton p re et autres d bris fu aurais enlev La plupart des fragments qui aidaient tracer le profil sociologique de mon p re ont t retir s du texte Ils taient ce qui m avait conduit jusqu l criture du projet Son laboration Ils taient l pour blanchir mon p re de tout bl me De petites permissions Des petits morceaux de pain qui joncha ient le sentier m ayant conduit l criture du texte Mais j ai d les abandonner Annie Dillard crit que mlJalheureusement c est souvent un mur porteur qui doit dispara tre On n y peut rien Il n y a qu une solution qui te consterne mais c est comme a Flanque le par terre Gare Dillard 1996 p 12 Ce dernier mot crit par Dillard Gare Un avertissement L avertissement concerne la suite de l criture Lorsqu on renonce un mur porteur toute la structure du texte ne tient plus on tombe en terrain inconnu Ou pire
41. Tu avais rencontr ta s ur M quelques jours apr s sa sortie de l h pital Mal l aise avec un petit rire nerveux qui faisait tressauter son il croche elle t avait d abord pr venu Tu sais Papa est comme son p re il aime pas a se faire toucher les cheveux Puis elle t avait r p t les mots de ton p re tu lui avais fait peur en humectant son visage d eau Il avait peur que tu sois vir fif Ton p re va mourir avant que ton fils ait deux ans Et toi tu perds ton temps errer dans cet ostie de quartier de merde devenu un ostie de quartier de fifs 46 16 Sur une chaise ber ante en m tal une vieille dame aux jambes maigres en pantoufles et bas de laine Est ce une robe fatigu e qu elle porte Peut tre une Jaquette ou encore un peignoir us Une chose est certaine elle sourit Un grand sourire Sans doute Assis sur elle un petit gar on en t shirt lign qui se taponne les mains Lui aussi sourit gaiement m me avec les yeux grands ouverts Pas de doute ces deux visages ne sourient pas pour la cam ra Ils rayonnent parce qu ils sont heureux Ces visages contrastent avec les autres objets sur la photo un vieux po le une table de cuisine rod e une poubelle rouill e une t te de cheval en pl tre sur le mur un calendrier religieux du pr lart plancher craquel En arri re plan deux pi ces dans la p nombre La noirceur opaque de l une te laisse croire que ce d
42. UNIVERSIT DU QU BEC MONTREAL TON P RE ET AUTRES D BRIS SUIVI DE ENTRETIEN M MOIRE PR SENTE COMME EXIGENCE PARTIELLE DE LA MA TRISE EN TUDES LITT RAIRES PAR JACQUES GRENIER JUIN 2006 UNIVERSIT DU QU BEC MONTR AL Service des biblioth ques Avertissement La diffusion de ce m moire se fait dans le respect des droits de son auteur qui a sign le formulaire Autorisation de reproduire et de diffuser un travail de recherche de cycles sup rieurs SDU 522 R v 01 2006 Cette autorisation stipule que conform ment l article 11 du R glement n 8 des tudes de cycles sup rieurs l auteur conc de l Universit du Qu bec Montr al une licence non exclusive d utilisation et de publication de la totalit ou d une partie importante de son travail de recherche pour des fins p dagogiques et non commerciales Plus pr cis ment l auteur autorise l Universit du Qu bec Montr al reproduire diffuser pr ter distribuer ou vendre des copies de son travail de recherche des fins non commerciales sur quelque support que ce soit y compris l Internet Cette licence et cette autorisation n entrainent pas une renonciation de la part de l auteur ses droits moraux ni ses droits de propri t intellectuelle Sauf entente contraire l auteur conserve la libert de diffuser et de commercialiser ou non ce travail dont il poss de un exemplaire REMERCIEMENTS Ce m moire n
43. a fa on de marcher de celui ci dans le ton brusque d une parole dite par celui l Il s est incarn dans la peau de tous ces gens Dans ceux qui restent tout le moins ces rescap s que tu rencontres au hasard du regard C est le p re de tous ces gens de tous ces gestes Ils sont tous ses enfants Des b tards Mais toi seul es le l gataire l gitime de sa couronne Le prince au sang pur L enfant de chienne Tu viens d o Tu ne l avais pas vu arriver Il t avait accost en te poussant l paule Il surgissait souvent ainsi de nulle part apr s plusieurs mois d absence si tu avais le malheur d avoir eu faire une course dans le Centre Sud 27 Il s est mis rire lorsque en lui montrant tes livres tu lui as r torqu que tu sortais de la biblioth que Lui il sortait de l Hippo Club des Atriums la Place Dupuis Moins loin qu Blue Bonnet Moins loin pour sa vieille carcasse Il riait encore lorsqu il t a dit Tu vas encore l Blue Bonnet Il y a plein de monde mais la plupart sont vieux Y a pas vraiment d autres enfants lls ont presque tous un programme la main un cahier bleu p le avec des feuilles minces pis des noms de chevaux bizarres et un tas de chiffres crits en dessous Papa regarde a avec attention J tire mon cou pour comprendre Je suis cal en math matiques mais l je comprends rien a ressemble des statistiques de baseball on voit le temps
44. amille La premi re photo de ton enfance Trois ans Tes fr res et s urs ont des photos d eux bien avant plus jeunes M me ton fr re mort a plusieurs photos de tout naissant deux ans Toi a commence trois Comme si tu avais pris le relais de l autre Qu avant tu tais l autre tu tais lui et qu trois ans tu t tais enfin d marqu Comme si tu tais enfin n 59 Sur la photo tu as l air d tre le seul le savoir Tu vites un homme qui marche en lisant son journal Tu penses ces drames qui en font parfois la page couverture Ces tout petits enfants morts oubli s n glig s par accident faute de mieux faute de preuves Il y a deux de ces drames dont tu connais un peu l histoire Une tante un cousin une chute en bas du berceau une noyade au fond d un bain Et il y a ceux que tu ignores Ceux de tes anc tres Ces gens qui portent le m me nom que toi Tu te demandes jusqu o remonte la source Combien de fois en regardant ton fils dormir t es tu demand si la source tait tarie Tu las attrap juste temps La petite cl ture avait bascul vers l arri re ton fils s y tait appuy elle n tait pas barr e Tu avais n glig la veille de mettre le verrou Tu l as attrap juste temps Un adon une chance un hasard Tu passais par l juste ce moment l instant o l accord on de bois s tirait dans le vide au dessus des
45. ans un coin il bave tait ce ce soir l ou un autre Tu n en est plus s r La musique tait forte Ton p re t as ordonn quelque chose en pointant du doigt quelque part Tu n as rien compris Il ta montr quelque chose impatiemment comme le ferait un petit enfant qui ne ma trise pas le langage Tu n as pas compris Il ta empoign par la nuque et ta point du pouce la penderie Qu est ce qu il veut dans la penderie Tu ne savais pas mais tu y es all D une pouss e dans le dos il t a fait passer au travers de la porte 48 Tu es ressorti ab m corch en tenant un soulier de ta m re dans ta main Tu le lui as tendu Il a regard ton petit air imb cile en riant Tu as brandi le soulier tel un marteau Quelqu un est descendu des toilettes et a entra n ton p re sa suite Tu n as jamais su ce qu il voulait dans cette penderie Ton fils est n Peu de temps apr s c tait ton anniversaire Quarante ans Sur le r pondeur une voix d outre tombe tremblante et maladroite J C est ton p re Bonne f te Combien de temps as tu conserv ce message Une semaine Deux Chaque fois que tu avais de nouveaux messages la voix lectronique du r pondeur te rappelait qu il y en avait un d archiv Tu l coutais Tu le r coutais Sans trop savoir ce que tu cherchais y d couvrir y d celer Au bout de combien de temps ta copine t a t elle demand si vous deviez
46. ans une poubelle Comme s il attendait que son malaise passe avant d aller se faire soigner Devant l entr e tu regardes une derni re fois l album photo Tu vas maintenant le lui remettre Cet album est pour lui C est pour a que tu l as apport Tu n en as plus besoin Il n y a plus rien y trouver Que retiendras tu de cette journ e Lorsque tes fils grandiront de quoi auras tu sans cesse peur Ce jour l o toi aussi tu seras seul quoi penseras tu Quelle aide r clameras tu Par derri re on te bouscule Une vieille dame en chaise roulante pouss e par son fils empress de la conduire l int rieur L homme ta dit des mots en espagnol S rement des insultes Les portes automatiques sont l ouvertes devant toi Il ne te reste plus qu entrer Il est grand temps pour toi et ton p re de vous reposer ENTRETIEN 72 Si tu le veux bien d butons par la question du choix de l entretien Pourquoi avoir choisi cette forme pour ton dossier d accompagnement L id e m est venue la suite d une lecture Celle d un texte intitul Glenn Gould interviewe Glenn Gould au sujet de Glenn Gould 1983 p 28 46 Tout au d but de l entretien qu il s accorde Gould r pond qu il n y a aucun sujet ne pas aborder sauf la musique bien entendu p 29 Pai souri puis cette r ponse en apparence farfelue s est mise trouver sens Pourquoi n aborderais je pas ce doss
47. che du point de vue personnel mais du point de vue de l criture elles ne repr sentent qu un potentiel Je sais maintenant que si ces exp riences ne sont pas de l ordre du sensible elles ne tiendront pas le coup lors de l criture Laisse moi te donner un exemple Lors de l criture de Ton p re et autres d bris dans mes brouillons je restais beaucoup la surface de l histoire pr s du r el de ce qui a t v cu des motions l tat brut du souvenir tel qu il se pr sentait Je me suis aper u bien vite que certaines phrases ne passaient pas Qu elles visaient une cible trop pr cise l objet de leur vocation tait trop facilement rep rable Or dans le travail de r criture j ai d r orienter cela d une mani re tout autre Et c est l que la v rit de l criture a d l emporter sur la v rit du r el du fait r el du v rifiable Autrement dit pour des raisons internes au texte j ai d modifier certaines images 86 crire un texte autobiographique impliquerait donc l id e de mentir ou encore cette id e d Aragon d un mentir vrai Quel vilain verbe mentir Comme il sous entend l id e de culpabilit ou de faute Ce mot d enfant comme l crit Danielle Sallenave au sujet de mensonge 1991a p 74 Je pr f re parler de v rit de l criture Mais une des clauses importantes du contrat de lecture de l autobiographie est que le lecteur
48. cile J ai juste besoin du journal d un crayon et d un jeu de cartes Je prends les alignements des matchs de baseball de la veille et ensuite je brasse les cartes Les as sont des simples les deux des doubles les trois des triples les quatre des circuits les valets des buts sur balle et toutes les autres cartes des retraits C est TRES le fun Mais au bout d un temps a donne des r sultats qui ont pas vraiment de bon sens trop de triples trop de doubles trop de circuits frapp s par des gars qui d habitude frappent pas de Circuits J am liore le jeu Je change des cartes j introduis de nouveaux r glements je choisis des quipes je construis une schedule et je compile des statistiques C est a qui est le fun dans le baseball les statistiques Je montre tout a Papa IT va tre impressionn Il ne dit rien Il EST impressionn 36 Je joue presque tout le temps d s que j ai du temps libre Tout seul Je crie Troi si me prise quand je sors une dame pour faire gagner les Expos Papa aimerait mieux que je joue dehors je pense Il a dit Christ de fou en passant c t de moi sans me regarder Ta m re a sorti d un vieux cartable la page centrale du Journal de Montr al Quand t as jou au baseball je l ai encore a t elle dit en sautillant 20 ao t 1973 des images de Toto Gingras la f te des loisirs du Centre Sud Dans le coin gauche toi en petit complet de velours
49. crire pour en finir avec une histoire la mienne et celle des autres en remboursant cette dette par des mots Donner la parole faire entendre la parole des marginalis s des exclus des domin s de ceux qui ne font pas ou plus partie de l Histoire l Histoire avec une grande 81 hache comme disait si justement Georges Perec Donc oui au d but j avais l intention d en finir avec ma petite histoire et celle des autres ce quartier d enfance d o je viens et ces gens qui y ont habit Tromper la mort devait donc passer par l criture c est dire sauver ce qui a eu lieu le faire exister par l criture Faire conna tre ce qui dans l histoire est non su pour que le discours officiel ne s arr te pas o il s est arr t crire pour arriver mettre un point final sa propre histoire Arrive t on vraiment mettre un point final sa propre histoire En finit on avec une histoire seulement en la racontant Tu n as donc rien r gl en crivant ce texte Si on entend par r gler l id e de r soudre jamais de terminer de se d barrasser afin de pouvoir ensuite passer autre chose alors je ne crois pas non Est ce dire que tu criras d autres textes dimension autobiographique comme Annie Ernaux dont l uvre a chang partir de l criture de La place Je n en sais rien Le moteur d criture d Ernaux est li au sentiment de culpabilit d avoir trahi ses origines
50. du cheval au quart de mille au demi au mille en final et sa position ses passages comme si un joueur de baseball tait chronom tr quand il contourne le premier but le deuxi me le troisi me et le marbre Me semble que c est un peu niaiseux mais Papa a l air de tout comprendre C est impressionnant Moi j aime mieux les noms des chevaux La plupart sont en anglais Poor Little Princess Girlfriend Does She Talk Divine Intervention D autres portent des noms de femmes a doit tre des juments Winona Evangeline Mathilda Et il y a aussi la famille des Hanover Preston Hanover Sly Hanover Jim Hanover De temps en temps il y a un cheval fran ais Marche Rapide C est dr le C est dr le mais pas aussi int ressant que les chiffres sur le long tableau indicateur au centre de la piste de course Des chiffres qui te disent combien tu vas faire d argent si ton cheval gagne 28 Papa me donne deux piastres pour gager sur le cheval que je veux J attends le bon moment la bonne course le bon cheval celui qui me rapportera gros celui dont la cote sera quatre vingt dix neuf pour un Je vas pouvoir acheter plein de choses Plein de cadeaux pour Maman pis de la bouffe Je vas devenir riche Et Papa sera fier de moi Mon cheval finit franc dernier Papa m explique que a marche pas de m me Qu il Jjaut miser sur les favoris du genre cinq pour deux ou trois contre un Les chevaux qui peuvent te rapporter gros s
51. e 80 appellation de fiction c est dire de pure invention trop souvent commun ment sous entendue par la mention r cit Peut on rapprocher ce d sir de celui d Annie Ernaux qui pour La place a dit que toute affabulation des v nements aurait repr sent une trahison envers son p re et le milieu d o elle vient Oui on peut dire que ce d sir s apparente celui d Ernaux Peut tre avais je comme Ernaux en tant que parvenu intellectuel c est son expression le sentiment d avoir une dette payer envers mon milieu d origine la question Pourquoi crire Madeleine Gagnon r pond Pour ne pas en finir avec une histoire la mienne et celle des autres Seule fa on de d jouer la mort Toute la mort c est dire toutes les sortes de morts quotidiennes exploitations dominations exclusions 1989 p 124 As tu l impression d avoir crit ce texte pour en finir avec ton histoire Lors de son laboration Ton p re et autres d bris devait s intituler Quartier de solitudes On comprend par le titre que ce qui habitait le d sir de d part du texte tait fait d engagement c est dire un texte politique soucieux de raconter l histoire de ce quartier pauvre et ouvrier duquel je suis issu Peut tre que l crivain issu de milieu populaire se sent habit par une sorte de devoir envers son lieu d origine cette sorte de dette payer dont j ai parl J ai donc cru
52. e l nigme qu est ton p re Un genre de cabale pour illettr s Qu est ce que c est t avait demand ta copine Des chiffres rien que des chiffres lui as tu r pondu en les effa ant Tu souhaitais aller au cimeti re te recueillir devant la tombe de ton fr re y faire une pri re y lire un message y d poser une pierre 62 Tu peux pas t a dit ta m re elle n est plus l Fallait payer Depuis combien de temps elle n existe plus Elle ne sait pas Fallait payer C tait un voisin habile de ses mains qui avait goss une petite croix en bois Vous aviez des assurances pour M Oui on a re u sept cents piastres Et les fun railles en ont co t six cents C tait la station Montparnasse Tu allais au cimeti re Tu sortais du wagon de m tro Tu cherchais o aller Tu as re u cette pouss e brusque dans ton dos Un homme press s enfuyait arm d un parapluie Tu ne sais pas ce qui t as pris Tu tes mis le suivre Sur le grand tapis de fer tu traquais le derri re de sa t te qui s enfuyait Ton pas tait rapide la gare tu allais le rattraper Il est entr dans les W C Tu as attendu Quelques instants puis tu es entr Quelle chance il n y avait personne sauf une porte ferm e Tu allais enfin pouvoir te venger Dans ce pays lointain ni vu ni connu Tu n avais qu d foncer la porte et cogner cogner cogner puis dispara tre
53. e P T as arr t quand il est n Tu veux dire Maman que j ai cess d avoir des cauchemars quand la couchette d enfant vide qui tait dans ma chambre s est remplie C est a que tu veux dire Maman C est bien a que tu dis C est lui C est lui il nous aime pas lui as tu dit une nuit Tu d lirais dans ton bain d alcool et pointait du doigt ton p re debout dans le cadrage de porte de la salle de bains Il disait n en avoir aim qu un seul Ton fr re M son premier enfant d c d deux ans avant ta naissance Un accident de voiture Il disait aussi que son d c s tait de sa faute Il ne l avait pas assez aim Il n en avait donc aim qu un seul mais si mal qu il en tait mort Mais vous vous avez surv cu Si son manque d amour pouvait causer la mort pourquoi aviez vous surv cu Par votre survie quel crime aviez vous commis Vous voir grandir l a t 1l confin sa place de nul D inutile Vous voir vous panouir l a t 1l confront chaque jour sa propre insignifiance Tout a chang Tu ne reconnais rien Les rues ont maintenant des arbres Les fonds de cour sont grillag s inaccessibles Les ruelles sont d pouill es de leurs d bris M me les trottoirs sont d serts C est peut tre ce qui te semble le plus trange Ce silence en plein mois d ao t sur ces trottoirs d sert s Plus que la diff rence dans les maisons plus que la beaut propre le
54. e ne me pose pas comme un photographe Tout comme Je ne me consid re ni comme un connaisseur ni comme un amateur de photographies Ce qui m int resse c est la photo en tant que preuve av r e du r el Dans mes textes la position du narrateur est celle du simple observateur qui se sert de photographies pour questionner ce qui fait qu une chose a t et qu elle n est plus L crivain Claude Ollier crit d ailleurs que les photographies peuvent tre une aide dans l invention des sc nes et des r les tout comme elles peuvent raviver une motion qui suscite des mots qu ensuite on crit pour transmettre une motion de m me nature ou de m me force Ollier 2001 p 114 Les photographies toute seules ne parlent pas Et si elles parlent c est souvent pour exprimer quelque chose sur quoi presque tout le monde s entend Quoi de plus ennuyeux que de regarder les photos d un autre s il n est pas l pour nous en parler Comment int resser l autre ses photos ce qu on a retenu du monde cette motion qui fait que pour soi une photo a de l importance Le d fi de l criture est 105 l Mettre des mots sur ces images Trouver dans cette photo qui me parle un d tail qui parlerait celui qui ne la voit pas Roland Barthes trace une distinction entre le studium et le punctum de la photographie Le studium c est ce qu on sait ce qu on reconna t ce qui existe dans sa beaut dans
55. e sacrifier P oppos qu est ce qu crire sinon d sirer laisser un peu sa trace dans le monde soit refuser que le monde un jour se passera de nous De quel deuil n est on pas capable de faire le sacrifice par ce d sir d crire Mais j ai l impression ici de ne faire que supposer en quoi la naissance de mes deux fils est venue travailler mon criture Ne pas avoir vraiment de r ponse mais surtout des questions Des questions qui ne trouveraient leurs v ritables r ponses que dans une r flexion qui passerait par l criture Aussi je reviens ce que j ai dit tant t c est surtout sur ma mani re de travailler que mes fils ont eu une v ritable importance Dans un entretien qu elle accorde Louise Dupr l crivaine Anne Marie Alonzo affirme ce qui suit Une adolescente de quatorze ans est dans la voiture de ses parents elle se fait frapper se retrouve un an l h pital et sera paralys e vie N est ce pas tr s simple r sumer Mais je navais pas envie de le raconter de cette mani re Pendant des ann es je me suis interdit de raconter cette histoire Jusqu au Jour o tr s timidement J ai jet des mots sur le papier comme on fait des taches d encre Dupr 1994 p 242 C est peut tre ce que mes fils m ont appris faire crire timidement faire des taches d encre 101 la mani re de Raymond Carver qui scotche sur son mur des phrases lors de l criture tu as m
56. e sur une tag re du salon Des choses donn es re ues achet es et ensuite oubli es puisque sans signification Avant de partir tu as fait de nouveau pleurer ton fils Un bref instant juste le temps de baisser le volume son minimum Tu as dans ta main une montre Sa montre bien qu il ne l ait jamais port e Une montre en or avec l endos grav s son nom celui de la seule compagnie pour laquelle il a travaill et une date Cette montre ne fonctionne plus comme si elle tait morte de ne jamais avoir t remont e au fond d un tiroir oubli e parmi les bas M G 1948 1975 David et Fr res Tu voulais seulement la regarder Il te l a offerte Je mets pas a Je lai jamais mis Tu as voulu lui montrer que tu tais impressionn Tu lui as dit qu il avait commenc travailler l quelques ann es apr s la guerre Il n a rien dit Et rien encore 55 Tu tes alors rabattu vers ce qu il conna t lui demandant l ann e o la compagnie a ferm 1985 C est tout ce que tu as pu en tirer 56 20 C tait au bapt me de ton fils Tu tais pass pr s de ton beau p re qui t avait interpell Tu partais le lendemain pour Paris Ton beau p re m decin qui a fait le tour du monde et v cu une ann e Paris te demande de lui rapporter une r plique miniature de la grande tour en fer dont il ne se souvient plus du nom Il rit Il blague Eiffel bien s r F
57. e sur une corde Dans ses remarques il appr ciait surtout mon observation de la jeune femme preuve que j avais bien voyag dans ce pays Je m tais bien enorgueilli de ces remarques et pour cause le professeur tait lui m me mari une Dominicaine Et pourtant Pourtant cette jeune femme la toison noire aux seins lourds presque aussi lourds que le linge mouill qu elle peinait pendre sur la corde je cite de m moire je l avais puis e ailleurs qu en R publicaine Dominicaine Dans mon enfance Dans le souvenir de ma m re blonde qui escaladait un chafaud de bois pour y tendre d immenses tas de linge L attrait de lambre n tait pas un texte autobiographique mais une fiction o j avais ins r un l ment de ma biographie une image de ma m re dans d autres l ments des souvenirs de voyage Trop bloui par la remarque du professeur j ai cru alors mes facult s d observation ma capacit d attention incapable de voir 83 que c tait un souvenir de ma m re plus qu une observation de voyage qui avait valu mon texte un commentaire favorable Aussi si je dis qu partir de Ton p re et autres d bris mes r ponses la question de l criture de soi seront moins na ves qu mes d buts c est que je consid re qu il ne s agit plus de simplement ins rer des l ments de mon v cu dans un texte Que la question de la subjectivit est peut tre plus t
58. emeure vrai ma m moire je rappelle qu Ernaux a crit que sauf erreur de m moire tout est v ridique Et qu ensuite je me suis retrouv devant une photo diff rente Quels taient les choix qui s offraient moi Changer le contenu du texte pour respecter ce que le r el de la photo alors me disait c est dire respecter la v rit de ce que la photo affirmait Ou encore garder le texte tel quel ce qui quivalait mentir Si on envisage l criture autobiographique simplement en termes de v rit et de mensonge c tait ce que le contenu de la photo me proposait comme alternative Mais il y en avait d autres On ne le sait pas tout de suite on s installe on attend on laisse travailler l obsession Changer le rapport que j entretenais envers la v rit de la photo c tait changer mon rapport avec tout le projet d criture du texte L a photo est un t moin mais un t moin de ce qui n est plus fait remarquer Barthes 1981 p 331 En crivant sur mon p re je t moigne de ce qui n est plus Mais qui est ce je Celui qui tient crire la v rit toute la v rit rien que la v rit Oui le pacte autobiographique entre l auteur et le lecteur sous entend que je dira la v rit Mais qu en est il du contrat 89 entre l auteur et l criture L criture a t elle se soumettre des v rit s g n riques ou religieuses Et la v rit esth tique elle C est tout
59. encore on sait que le texte peut tre ne s crira jamais 96 Je reviens sur la notion de tout dire De ce qui d une exp rience du priv qui acc de au domaine du public par l criture doit demeurer dans le domaine du priv Que penses tu de cette phrase crite par Christine Angot dans son livre L onore toujours au sujet de l attirance sexuelle qu elle ressent pour sa fille de huit mois L onore je me la ferais bien d s maintenant Je ne dis pas a par provocation Je le dis J ai le droit de le dire puisque je l prouve cit dans Huston 2004b p 317 Je pense qu Angot se donne le droit d crire tout ce qui lui passe par la t te parce qu elle l prouve Mais prouver n est ce pas mettre l preuve Et quelle preuve subit le dire si on se donne le droit de fouf dire c est dire de dire n importe quoi comme l crit Bernard Pingaud Comme si parce que je pense telle chose ou je ressens telle chose cette chose c est moi et je dois l crire J en ai le droit J invente un exemple Je coupe des l gumes Mon fils s amuse dans son parc J ai soudain envie de le tuer me demandant m me quel effet aurait sur moi son cri son sang chaud sur mes doigts etc Dois je crire cela Pai l impression qu on touche ici au c t exhibitionniste de l criture de soi Et cet aspect ne m int resse pas Je ne vois aucun int r t partager avec le lecteur des fantasmes
60. ersonnes aux m mes genres de lieux 106 Dans Le don des morts Dani le Sallenave crit Q ue sais je de lui 1991b p 58 au sujet de cet homme qu on conna t m me si on ne le conna t pas sur lequel on peut crire gr ce notre facult d empathie Es tu d accord Oui et non Ce n est pas si simple Sallenave crit que la t che de l crivain est d Jaccorder chacun une sollicitude muette complice afin de le saisir dans son tre 1991b p 58 Mon d saccord concerne le chacun Je ne crois pas qu on peut crire sur tout sur n importe quoi sur n importe qui Pour parler de cet homme il ne me suffit pas de le conna tre c est dire d en faire une construction partir de mes observations et de ce que je sais du monde de prendre quelqu un et de lui inventer une vie Il faut aussi que quelque chose en lui me ponctue Alors je sais qu il y a mati re criture Mais quoi au juste Je te donne un exemple Pr s de chez moi avant qu on y construise un condo il y avait une maison de chambres dans laquelle habitaient des psychiatris s d sinstitutionalis s un Noir unijambiste presque toujours fou furieux un Vietnamien la petite voix inaudible un petit barbu coiff d un chapeau de sorcier rouge bref tous des personnages plus color s les uns que les autres Tous des personnages roman dr le sauf un Un bossu Un bossu sur lequel je n aurais rien crit de dr le Sur qu
61. est question de l criture autobiographique qui au fond utilise le mat riel biographique comme moteur d criture un simple mat riau sur lequel une uvre s labore se construit se transmet partir d une subjectivit d une exp rience du monde qui veut s ouvrir au monde mais de toute forme d criture L esth tique de Gauthier me rappelle ces mots de Duras crire ce n est pas raconter des histoires C est raconter une histoire et l absence de cette histoire C est raconter une histoire qui en passe par son absence 1987 p 31 Et r crire La r criture elle effectuerait son travail de coupe sur un autre de trop L il n est plus question du scripteur qui a faire des choix quant aux d tails narr s Le travail de r criture tient plus du travail d mondage Un travail qui peut sembler d chirant puisqu il s attaque couper ce qui de l uvre ne rel ve pas de la n cessit Ces choix de coupe sont parfois douloureux faire puisqu il y a des choses qui nous ont amen l criture du projet Des bouts d histoire qui nous tiennent coeur Dont on 95 h site se d barrasser Des paroles entendues bien vivantes bien r elles qui doivent tre modifi es Des mots aussi Ces mots qu on ch rit avec lesquels sans trop qu on sache pourquoi on entretient une relation particuli re D o vient que nous lisions certains mots demande Jean Bertrand
62. et a pousse comme si a voulait sortir Comme si a faisait des exercices Comme si a se pr parait faire un spectacle et que a pratiquait des ta dam d entr e en sc ne C est comme un petit fant me sous un immense drap blanc Un b b fant me perdu dans un corps trop grand Ton p re t entend rire La t te de c t il ouvre son gros il semblable celui d une baleine 25 Tu prends un bain avec ton fils Il montre ton p nis et dit papa Tu lui montres le sien et prononce son nom Il sourit Te rem morer des instants et ne pas comprendre Ne pas non plus te souvenir de la suite Agir avec ton fils d une mani re contraire aux restes de souvenirs que tu as conserv s Comme si tu allais traduire en langage sens un manuel d instructions crit l envers ou un guide de ce qu il ne faut pas faire Comme si a pouvait tre un gage de r ussite En t accrochant l id e vague et incertaine quainsi tu lui fournirais un talisman contre le malheur 26 Tu marches Tu t loignes de ta destination Il y d autres endroits qui t attirent qui t appellent Qui cherchent te parler Tu arrives la rue Ontario Il y a plusieurs passants Tu crains de le voir surgir tout instant M me si tu sais que c est impossible Il est l bas l h pital bien align entre les rails de la mort Et pourtant pourtant tu le vois Dans le geste d untel dans la chemise d un autre dans l
63. i je n aurais rien crit Rien crit sauf si J tais arriv trouver ce qui en lui me ponctuait me meurtrissait Tu as parl plus t t du fait d avoir err dans le quartier de ton enfance pour faire ressurgir des images Tu parles maintenant de mouvement pour faire advenir le punctum C est donc que la d ambulation occupe une place dans ton criture 107 Pai remarqu au fil du temps une r currence c est lorsque je marche lorsque mon corps est conduit ailleurs autobus avion m tro etc que peut parfois s installer un d sir de raconter qu une voix autre que la mienne se met parler Ainsi la marche est davantage un outil pour faire na tre un d sir d crire qu une attitude Mon corps s il est en mouvement provoque un mouvement dans la pens e et cette pens e elle d rive s attarde aux objets aux tres aux gens Mais je ne traque pas une piste cela doit se produire spontan ment sans que je force presque mon insu Aussi si Je n erre pas puisque je me d place toujours d un lieu connu vers un autre lieu connu c est ma pens e qui erre ce qui aussi peut arriver Nietzsche a crit L homme labyrinthique ne cherche pas la v rit mais seulement son Ariane Cit dans Barthes 1980 p 114 Comment comprends tu cette phrase Ce que j ai essay de faire dans ce projet a t de positionner le personnage dans le lieu de son enfance comme s il tait pris dans
64. ier de la m me fa on Un entretien de moi m me par moi m me sur l autobiographie sans restriction sauf parler de moi m me bien entendu Lorsqu un crivain est appel se questionner sur sa propre criture c est la forme de l entretien qu il adopte la ma trise nous sommes appel s d finir notre posture face l criture et pour la d finir il faut bien s interroger se r pondre enfin bref dialoguer avec soi m me Mais pourquoi refuserais tu de parler de toi m me Choisir le genre autobiographique et ensuite refuser de parler de soi n est ce pas contradictoire voire paradoxal Si je souhaite viter quelque chose ce n est pas tant parler du texte que j ai crit que de l aborder sous un angle trop fechnique ou encore trop personnel Technique dans le sens o je porterais a posteriori un regard savant sur mon texte sans tenir compte de tout ce qui de la vie a pu advenir durant sa r daction sorte d autocritique ou encore d autoanalyse o j essaierais d expliquer le comment a marche l aide de phrases telles j ai employ la seconde personne du singulier parce que comme si j avais prouver le bon fonctionnement du texte ou encore que le choix narratif du fu ne relevait pas du hasard Personnel dans le sens o je me sentirais oblig de T3 passer par la confidence l explication de certains d tails de mon existence de celle de mon p re pour r pondre
65. is entre autres celle ci de Robbe Grillet sur le tien Je ne me sentais pas du tout comme le penseur qui crit pour exprimer la science qu il poss de mais au contraire comme l crivain qui se lance dans une aventure pour tenter de cerner la science qui lui manque 1991 p 40 Pourquoi J ai longtemps cru que pour crire un texte je devais d abord le construire en entier en conna tre presque tous les tenants et les aboutissants Mais j ai d y renoncer J ai d renoncer parce que cette position cette attitude face l criture soit celle d exprimer la Science que je poss de m tait inconfortable Cela se r sumait transposer sur papier du contenu des connaissances Pour employer une m taphore architecturale je dessinais sur papier de belles maisons qu ensuite la construction donc l criture J tais incapable d habiter Certains auteurs y r ussissent d une mani re remarquable Moi pas Mais je ne crois pas qu il n y ait qu une seule fa on de faire Chaque auteur doit trouver une fa on d crire qui lui soit le plus confortable le moins astreignante le plus fructueuse possible pour l criture soit celle d branler les murs de l critoire de les faire parler Aussi pour arriver me lancer dans criture j ai d je dois changer d attitude de posture Je dois laisser la place aux manques aux trous aux incertitudes C est seulement ainsi que j arrive
66. itude Mais j aime cette terre meurtrie Car je n en connais pas d autre qu elle Ossip Mandelstam Po mes Tu attends Sur ce banc c est ce que tu fais attendre Tout te dit pourtant de bouger D abord la chaleur accablante ensuite l urgence de la mort imminente cette mort qui enfin arrivera Si tu ne bouges pas Tu ne souhaites pas bouger Malgr l appel par dessus les plaintes au del des remords quelque chose t en emp che Probablement l urgence L obligation d tre pr sent pour les derniers instants la n cessit d tre enfin un bon enfant Autant crever te dis tu en t essuyant le front Tu n es plus un bon enfant tu es maintenant un p re Toi aussi Tu souhaiterais pouvoir dire Qu il cr vel comme avant Revenir au temps d avant Etre simplement l attendre et r clamer sa mort lui seul dans sa souffrance Tu oses peine murmurer ce vieux souhait auquel tu t es si longtemps accroch Jusqu ce que ton fils naisse Jusqu ce que ton p re r apparaisse Dans ta bouche Cr ve vieux christ est maintenant une phrase morte Un message officiel sur ton r pondeur La voix d sincarn e d une r ceptionniste Ici l urgence de l h pital Notre Dame Votre p re est ici Il a demand vous voir Ce ne sont peut tre pas les mots exacts Tu les as rapidement effac s Pourquoi toi Pourquoi pas M ta grande s ur Celle que ton p re
67. l 1996 criture de soi et psychanalyse Coll Psychanalyse et civilisations Paris L Harmattan 283 p Colonna Vincent 2004 Autofiction amp autres mythomanies litt raires Paris Editions Tristam 250 p Contat Michel dir publ 1991 La question de l auteur In L auteur et le manuscrit p 7 34 Coll Perspectives critiques Paris Presses universitaires de France Christian Desmeules Entretien Louis Gauthier bon port Le Devoir 9 avril 2005 p DS De Cortanze G rard 2004 Paul Auster s New York Coll Le livre de poche Paris Librairie g n rale fran aise 250 p Doubrovsky Serge 1980 Autobiographie V rit Psychanalyse L Esprit cr ateur vol 20 no 3 p 87 97 Duras Marguerite 1994 La vie mat rielle Coll Folio Paris Gallimard 179 p Dupr Louise 1994 crire comme vivre dans l hybridit Entretien avec Anne Marie Alonzo Voix et images vol 19 no 2 hiver p 238 249 Ernaux Annie 2003 L criture comme un couteau Paris ditions Stock 155 p 111 Gagnon Madeleine 2001 M moires d enfance Coll crire Trois Pistoles Qu Editions Trois Pistoles 104 p Gasparini Philippe 2004 Est il Je Roman autobiographique et autofiction Coll Po tique Paris Seuil 394 p Goulet Alain dir publ 1998 L criture de soi comme dialogue Actes du colloque de Caen 24 25 janvier 1997 Coll Elseneur
68. l Auster affirme Je consid re moins ce livre comme une autobiographie que comme une m ditation sur certaines questions dans laquelle je me sers de moi m me comme personnage central 1992 p 368 Dans Ton p re et autres d bris j ai moins l impression d avoir racont ma vie que de m tre servi de l autobiographie pour explorer certaines obsessions qui sont l uvre dans mon criture Autrement dit j ai moins l impression d avoir cherch dans l criture circonscrire d finir qui je suis qu crire sur ce qui me hante pour reprendre en les travestissant un peu les propos que tient Dominique Viart dans Filiations litt raires Je crois en effet que mes obsessions tourneront toujours autour de la figure du p re d un questionnement la fois de l tre ef du ne pas tre de la connaissance imparfaite de soi passant par la compr hension de l autre qui est et n est pas soi de l impossibilit de comprendre de pouvoir donner un sens d finitif le sens en appelant toujours un autre Incertitudes tourbillons effet de remous danger de se perdre d tre englouti aspir vers le fond autant d images r currentes communes presque tous mes textes la base m me de La question de l identit Qui suis je devient quelque chose comme Que ne sais je pas avoir t Viart 1999 p 123 92 mon criture Je pense que ces obsessions ne changeront pas Elle
69. la d molition pure et simple la vengeance au r glement de compte qui est souvent la voie la plus rapide et la plus facile Lorsque tu parlais du je en trop ce serait ce je trop personnel qu il faudrait traquer dans le texte et l amener aller plus loin Pr cis ment J ajouterais que si je m impose l criture de ne pas jeter un regard complaisant sur les tres les choses ou moi m me je n ai pas plus le droit de donner lire n importe quoi ni n importe comment Je dois crire au risque de moi m me en tentant de d masquer mes propres failles mes propres mensonges au c ur m me de cette tonalit qui serait la mienne En s appuyant sur la th orie des genres Evelyne Ledoux Beaugrand crit que le choix du genre litt raire avec tout ce qu il comporte de lois et de r gles n impose pas seulement une forme mais aussi un discours qu il d termine non seulement comment il faut dire mais aussi ce que le sujet peut ef doit dire 2003 p 129 As tu eu l impression d enfermer ton discours d avoir t port ton insu par les lois 98 du genre autobiographique comme cela semble le cas d Angot qui en optant pour la confession comme forme d criture est alors susceptible de succomber la logorrh e de ce je qui se permet de tout dire Peut tre que si mon criture s tait limit e l criture de la v rit j aurais fini par crire une sorte d apologie populi
70. le elle me regarde attendre en face de l oiseau qui se c lisse de mo Mais y se passe rien 22 Pourquoi remonterais tu jusque l Le zoo tu le sais est maintenant un parc pour enfants Cela non plus n existe plus Comme si tout tait irr el tout avait t englouti aval Tu mod les des animaux dans de la plasticine Les yeux de ton fils d bordent d admiration lorsqu il prend les potame an ourou ion eval anda que tu lui tends Tu lui proposes d essayer Il n ose m me pas C est toi l artisan c est toi le cr ateur c est toi Dieu Lui il se contente de nommer Tu te demandes quand ce regard amoureux se couvrira de honte 23 Un qu teux te demande une cigarette Tu lui en tends une Il te dit Thanks man C tait ta derni re Tu en rach teras Tu sais o d ailleurs la tabagie P amp R qui est au m me endroit Tu le sais tu y tais all en sortant de l chographie t acheter une bo te de cigares Des cigares bon march utiles surtout pour faire de la boucane de satisfaction apr s avoir lu l inscription sur le papier plastique transparent It s a boy Tu tais si content d avoir un gar on Tu avais m me brav l id e d y rencontrer ton p re Lui qui achetait l son tabac depuis tant d ann es Tu ne peux imaginer ton p re en petit gar on Riant pour rien chantant des chansons jouant dans la cour s inventant des histoires des dialogues s amu
71. le rapport au t moignage qui devait tre modifi Dans la fa on d cnire la v rit de ce que la photo me disait et non dans la fa on de respecter fid lement ce que la v rit de la photo affirmait Michel Contat crit que le m tissage entre fiction et r cit r f rentiel peut entra ner la fois des innovations formelles et viser l authenticit cat gorie morale et esth tique plut t qu la v rit cat gorie religieuse et juridique 1991 p 25 C est tu en conviendras ce dont tu parles Je reviens donc sur la question du genre Tu as esquiv la question de l autofiction Maintenant que tu parles de v rit s fictives et exp rientielles pourquoi n acceptes tu pas l autofiction comme genre pour ton texte Marie Sissi Labr che crit que l autofiction est un jeu un jeu compliqu qui consiste travestir son existence et porter une attention toute particuli re aux faits tout en laissant croire qu il s agit d aveux de pseudo v rit s pleinement tronqu es Labr che 1999 p 123 Ce jeu exige la participation du lecteur qui doit se demander Et si tout cela tait vrai Je rejette l id e de l appellation d autofiction simplement parce que l enjeu de Ton p re ef autres d bris n a jamais t de jouer avec le lecteur Il n a jamais t question d entourer les faits racont s d une aura d ambigu t afin que celui ci se demande si c est vrai Il a t
72. le temps file vive allure Comme p re on devient responsable d un autre Comme crivain on 99 manque de temps Un projet long tel un roman qui exige une assiduit quotidienne avec des pratiques quasi rituelles devient projet presque impossible Lorsqu il m arrivait de m asseoir et d crire j avais toujours peur d tre d rang Ce manque de temps a pr cipit ma fa on d crire L a modifi e J ai d m habituer crire sans crire c est dire entendre en moi l criture l entendre le plus souvent possible afin que lorsqu un petit moment se pr sentait je puisse l inscrire sur papier Plus de temps pour laisser venir les mots essayer recommencer crire l dans l instant Plus de temps pour m attarder ce que je voulais dire a ne venait pas Il fallait trouver un rythme et le suivre Ensuite on verrait C est de cette fa on que mes fils ont m tamorphos ma langue Mais je n invente rien en crivant ceci Dans un texte intitul Les feux Raymond Carver crit que ce sont ses enfants qui ont motiv l emploi de la forme br ve de la nouvelle 1991 p 37 56 Dans un entretien qu il accorde G rard de Cortanze Paul Auster dit qu partir du moment o on est parent on est confront notre propre mort et qu ainsi on ne peut plus savoir de la m me fa on Il ajoute que cette confrontation une autre vision du temps a rendu possible l criture de textes en pr
73. m re s ennuyait Vous tes retourn s au Centre Sud De toute fa on ton p re devait repasser son permis de conduire On voulait s assurer qu il tait bien apte conduire malgr sa main handicap e C tait apr s l Expo 67 Il n est jamais all De toute fa on en retournant dans le boutte il n avait plus besoin d auto J ai d j t en auto avec toi Tu n as aucun souvenir d tre avec ton p re dans une auto lui au volant Ben oui J avais un camion Tu aimerais bien t en rappeler comme lui semble si bien le faire Partager avec lui cette toute petite lueur que tu as cru apercevoir un instant au fond de ses yeux Mais peine perdue Tu ne t en souviens pas Pas plus que tu ne te souviens pourquoi un soir peu avant de revenir dans le boutte il a lanc Princesse la chienne dans la cave et lui a bris une patte En ville vous ne deviez plus en avoir besoin 10 Pr s du parc une auto s arr te et une femme en sort Elle referme la porti re d un mouvement de la hanche L auto repart Lorsqu elle te voit assis la femme t adresse un petit signe de la main et t envoie un baiser Puis elle remonte le derri re de sa jupe replace un brin sa perruque et s en va vers le nord Tu te dis Des putes qui faisaient le trottoir On ne voyait pas a Il y avait bien quelques femmes de mauvaise vie disait on mais bon elles devaient faire a la maison Comme vot
74. magnifique Pleine d images Il ne fallait pas lire longtemps la Bible Pas plus de cinq minutes sinon a rendait fou C est ton p re qui t en avait averti l cole aujourd hui on a fait une sortie merveilleuse On est all s la biblioth que municipale Wow Y a plein de paquets de livres Y en a avec seulement des images d autres avec des images pis du texte pis d autres avec juste du texte C est rendre fou M me qu on peut en emprunter Trois a veut dire qu on choisit des livres ensuite on va voir la vieille madame au comptoir pis avec une carte on a le droit de les ramener la maison Pour trois semaines D bi le Mais je pense que ce que j aime le mieux c est tre ici dans la biblioth que cause de la consigne crite en gros sur un criteau SILENCE Te demander si la vieille dame au comptoir est la m me que jadis Te demander si elle te reconna t Impossible voyons elle tait d j vieille 31 Lui dire que tu attends ton fils et ensuite t asseoir dans un coin sur une toute petite chaise en bois Poser devant toi l album photo Menteur c est ton p re qui t attend Le soleil t blouit quelques instants Tu n as fait qu entrer dans la biblioth que Tu ne tes m me pas assis Tu es demeur l dans l entr e entre deux portes dans la p nombre et tu es ressorti Pourquoi Tu ne sais pas Peureux Tu en avais le droit non Tant qu passer devant ta
75. ndis qu elle existe encore Chicken Un ch ssis de cave bris attire ton attention 32 11 Au souper Qu est ce qui se passe Ta m re est tomb e dans la porte de la shed Son coude a bris une des fen tres Qu est ce qui se passe Un plat en vitre clate sur la t te de ton p re Le gros plat lourd en porcelaine bleu p le En silence votre m re vous met vos manteaux vos tuques et vos mitaines Et vous partez Chez sa m re lui M m re Tu n as rien entendu de la discussion entre ta m re et ta grand m re Tu ne te souviens pas de ce que M m re a ensuite dit au t l phone Au retour tout tait rang tout tait propre Comme si rien ne s tait pass C est une tr s tr s vieille photo Presque en brun d lav et jaune Sur un banc trois femmes Deux tiennent un enfant leurs pieds cinq autres enfants vach s dans le gazon dont deux qui se cachent les yeux du soleil Une photo de famille la campagne Non les buissons derri re et le petit chemin en garnotte t indiquent un 33 autre lieu le parc Sohmer peut tre Une photo de trois s urs et de leurs enfants dans un parc C est la femme de gauche qui t int resse Elle tient bien en place sur ses jambes un b b presque chauve la cuisse maigre Le petit pleure d tre ainsi maintenu La m re force un sourire l air de dire Enw ye prends l ta christie de photo Tu t aper ois alors qu a
76. no 14 Caen Presses universitaires de Caen 207 p Havercroft Barbara 1995 Le discours autobiographique Enjeux et carts In La discursivit sous la dir de Lucie Bourassa p 155 184 Qu bec Nuit blanche Labr che Marie Sissi 1999 Borderline suivi de Le livre cach M moire de ma trise Montr al Universit du Qu bec Montr al p 122 178 Ledoux Beaugrand Evelyne 2003 De l criture de soi au don de soi Les pratiques confessionnelles dans La honte et L v nement d Annie Ernaux M moire de ma trise Montr al Universit du Qu bec Montr al 139 p Leiris Michel 1973 De la litt rature consid r e comme tauromachie In L ge d homme pr c d de De la litt rature consid r e comme tauromachie p 7 22 Coll Folio Paris Gallimard Lejeune Philippe 1975 Le pacte autobiographique Paris Seuil 357 p Lejeune Philippe 1991 Nouveau roman et autobiographie In L auteur et le manuscrit sous la dir de Michel Contat p 51 70 Coll Perspectives critiques Paris Presses universitaires de France L H rault Pierre 1998 Le je incertain Fragmentations et d doublements Voix et images Vol 23 no 3 printemps p 501 514 Mercier Andr e 1998 Po tique du r cit contemporain N gation du genre ou mergence d un sous genre Voix et images vol 23 no 3 printemps p 461 480 Myre Josiane 2004 Autobiographie et Oulipo
77. nt te flatter les cheveux Sa pr sence l pr s de toi rassurante Elle te sourit un peu tonn e de ta question Ben oui chus l Tu comprends pas Maman Je veux dire Tu vis encore Toute cette haine que tu as nourrie envers ta m re gav par les insultes de ton p re Sa col re te l ordonnait c est elle la coupable Lorsqu elle est l il est normal Qu est ce que tu attends assis dans ce parc en face de cette ruelle L envie te prend de sonner la porte et de demander au locataire le droit d entrer quelques instants juste pour voir v rifier V rifier quoi Scram D c licel Il t attend Tu te l ves pour partir Tu oublies presque le vieil album photo sur le banc Un album fleuri et laid que ta m re t a remis un jour en te disant C est pour ton p re Tu n avais pas compris pourquoi elle avait fait cela mais comme ce jour l elle vous remettait tous des photos de votre enfance tu n y as pas port attention De toute fa on ton p re elle ne le voyait plus Elle ta remis cet album il y a presque quatre ans Tu ne las jamais ouvert Tu as toujours oubli de le remettre ton p re Pourquoi aujourd hui es tu parti avec Tu reprends l album Un morceau de photo tombe par terre C est une photo splendide grande comme une feuille mobile Une photo datant de 1940 Un gar on aux oreilles d coll es sourit la cam ra en uniforme des cadets un
78. nvers quelqu un d autre que lui Ton fr re se pr nomme P ta petite s ur C toi J Ton fr re mort s appelait M de m me que ta grande s ur ton p re et ta m re Tout tait d cid d avance ton pr nom allait d buter par M et celui de ton autre s ur aussi Ainsi de suite tous des M Mais ton fr re est mort Ton p re en a alors d cid autrement a porte malheur Ta copine se pr nomme M Ton fils aussi Qu est ce que tu as d cid de lui prouver 58 21 Ton fils n a pas encore deux ans Tout se Joue avant six ans selon le dicton de psycho pop Mais qu est ce qui se joue deux ans La vie la survie M est l pr s de toi te colle et te dit Pa pa Un pa pa interrogatif Tu lui demandes Quoi Il te donne un bisou et en s adossant toi pour continuer d couter la t l murmure Pa pa Que ferais tu si tu perdais jamais ces mots prononc s par lui Tu ferais d autres enfants bien s r comme ta m re t a d j conseill Vaut mieux en faire plusieurs comme a si tu en perds un Mais est ce plus grave de perdre le deuxi me ou le troisi me que le premier Le premier perdu les autres voix ne sont plus alors que des chos Sans cesse tu entendrais dans la voix des autres le Pa pa d origine Sans cesse ces voix te rameneraient ta douleur En noir et blanc Tout blond tu es face un petit g teau orn de trois bougies entour des membres de ta f
79. ois et demi d une impeccable propret Ton fils avait peur de lui tape normale dans son d veloppement avoir peur des trangers que tu lui as r pondu non sans un peu de g ne comme si a pouvait l aider comprendre Au bout d un moment M s est risqu explorer les pi ces les choses Puis un bruit tonitruant une explosion d alerte une cacophonie de fin du monde norme M en reste fig les yeux en panique il te cherche du regard Tu accours et il se met hurler C est la radio du syst me de son le son dans le tapis Tu regardes ton p re qui te dit quelque chose que tu n entends pas mais tu comprends qu il ne sait pas quoi faire Tu cherches le volume M hurle tu ne le trouves pas M hurle toujours en s agrippant toi Tu trouves le bouton power et tu l teins M hurle encore en grimpant sur toi travers les hurlements de ton fils tu parviens enfin entendre les explications de ton p re J ai jamais su comment a marche 54 C tait cela ton p re rencontrer quelqu un qui lui propose quelque chose un bon deal l acheter le faire installer par un autre probablement son fr re tout aussi nul que lui mais capable de ploguer des fils et ne jamais s en servir ne jamais savoir comment s en servir Un objet inutile qui deviendra une d coration sans valeur sans couleur transparente Comme ce cadre qui d core sa salle de bains ou ces bibelots en porcelain
80. oit tre la chambre coucher Le divan en vinyle coinc dans le cadrage de porte pour la maintenir ouverte te sugg re que l autre est probablement le salon Bien s r que c est le salon M m re heureuse et ton fr re M vivant Ton anniversaire Tu parles au t l phone avec ta m re En septembre elle est toujours triste surtout le dix anniversaire du d c s de ton fr re Quarante ans d j 47 Plus tard elle te rappelle C est quarante deux ans qu elle voulait dire C est toi qui en septembre as eu quarante ans C est le quaranti me anniversaire de Papa Maman a organis une f te un sur prise avec plein de monde Chu tout nerv d attendre en haut des marches Je veux tre le premier voir son visage quand il va rentrer Chhhhhhut IT arrive Attention Go on ouvre la porte amp BON NE F TE Il a la bouche qui shake les yeux rouges Il recule et il passe proche de tomber par en arri re pis de d bouler en bas du deuxi me Une chance que son fr re R l a retenu Son fr re qui l avait amen ailleurs en finissant de travailler pour qu on puisse pr parer la f te et laisser le temps au monde d arriver Papa s est ressaisi et il entre dans la maison Il baragouine quelque chose J ai pas entendu Je donne des coups de coude pour me rapprocher et l entendre Il gueule Y compl tement saoul On rit on joue on tourne on danse on rit Papa est assis sur une chaise d
81. onnement identitaire Et c est cela je crois qu il faut retenir Non pas juger si on est pour ou contre l autofiction comme cela semble tre la tendance mais comprendre que pour elle l autofiction aura permis l criture Ceci dit autant dans l autofiction que dans la nouvelle autobiographie il y a l uvre une conscience des strat gies de l criture l auteur est conscient que toute r alit rapport e est sujet caution puisque ces r alit s sont d abord subjectives Ce n est donc pas l que r side la diff rence Elle r siderait peut tre dans la relation avec le lecteur L auteur d autofiction cultiverait une strat gie de l ambigu t envers 91 lui m me et les faits rapport s tandis que s il y a une strat gie de l ambigu t dans la nouvelle autobiographie c est m me l criture que le lecteur doit la percevoir et la ressentir dans les trous du texte dans les h sitations dans l instance m me de narration qui h site affirmer que ce qu il raconte est la v rit rien que la v rit Quelque chose qui serait davantage de l ordre de l invitation que de la s duction Madeleine Gagnon a crit qu il arrive souvent que le m me souvenir revienne d un livre l autre chez les crivains qui donnent dans l autofiction 2001 p 83 N en serait il pas de m me chez les autobiographes Dans un entretien propos de L invention de la solitude Pau
82. ont des pas bons quoi a sert d tre icitte d abord si on fera pas d argent Une bonne heure de transport autobus et m tro l autre bout du monde en ce temps l Loin de tout loin de nous Il aimait tant aller Blue Bonnet Quand j tais jeune je m assoyais dans les paniers des livreurs de pain A la fin de leurs chiffres ils me donnaient des rides Outre le fait de fumer c est le seul autre plaisir que tu sais sur son enfance Il t avait dit cela une fois la h te avec un rire nerveux entre deux bouch es de hot dog C est une image qui te convient mieux que celle de fumer Tu ne peux pas l imaginer assis s rieux tenter de contenir sa Joie essayer d tre un dur masquer la perte de contr le Tu le vois souriant et volubile les yeux ronds merveill tandis que le chariot pain prend de la vitesse au rythme des pas des chevaux qui le tra nent Blue Bonnet n tait peut tre pas seulement une fa on de tenter d chapper son destin de p re de famille oblig condamn Peut tre que l bas il ne recherchait pas le mirage de la fortune mais une image de son enfance 29 Court on sans cesse apr s ce qui nous fuit Est ce qu on erre toujours au m me endroit pour le trouver 30 10 Chez toi jeune il y avait peu de livres Un vieux dictionnaire d avant la mort de Kennedy donc d avant ta naissance une vieille Bible immense dor e colossale
83. ose satisfaisants d clench en lui une nouvelle fa on de raconter De Cortanze 2004 p 172 Qu en penses tu J adh re aux propos d Auster dans le sens o avoir un enfant branle nos certitudes Et il est bien certain qu avoir eu deux fils pendant que J crivais sur mon p re est venu travailler l criture la nourrir de questions auxquelles je n aurais probablement pas port autant d int r t auparavant Quoi de plus trange que de s apercevoir qu on a re u un legs qu on ne s est pas fait tout seul Observer comment je fonctionne comme p re c est me questionner sur comment mon p re a fonctionn 100 La responsabilit qu on a dor navant envers un tre vivant vient aussi questionner notre criture Ce que je donne mon fils vient cohabiter avec ce que je donne lire l autre le lecteur Par le fait d tre p re c est dire d tre dor navant confront ma propre finitude qu est ce que je souhaite maintenant transmettre En tant qu individu p re on ne peut plus faire dire n importe quoi On est dor navant responsable de ses actes et de ses paroles Alors peut tre que cette responsabilit vient se r percuter sur notre criture la responsabiliser Qu est ce qu tre parent sinon accompagner une vie en lui apprenant un peu tous les jours se passer de nous Un long ouvrage fait de petits deuils quotidiens Un travail auquel non sans peine on arrive s
84. p re s occupait beaucoup de vous autres lorsque vous tiez b b s Il m aidait beaucoup Il changeait vos couches sans avoir honte Malgr sa main Ta m re te raconte cela avec des yeux tendres pour s assurer que tu distingues bien le vrai du faux Mais bon Dieu qu est ce qui cloche dans cette histoire 2 Il y avait ce petit zoo minuscule o tu allais avec ton p re Au parc Lafontaine non loin des mares aux canards Et cette immense bouche de baleine dans laquelle tu entrais pour voir au fond des petits poissons color s nager derri re une vitre Tu pouvais rester l de longs moments labri dans cette bouche Tu souhaitais qu il pleuve verse afin que ton p re vienne avec toi s abriter J aime les paons ces gros oiseaux sur pattes qui volent pas Ils te regardent comme s ils se c lissaient de to dit Papa Quand y en a un qui nous regarde trop longtemps Papa lui crie coco couak et toutes sortes de sons aigus Si j tais pas c t de lui je pense ben que je croirais pas que c est mon p re qui les fait Mais c est lui Et alors a se produit le miracle chaque fois Chaque fois le paon ouvre sa grande queue et nous montre ses plumes pleines de couleurs On dirait des ronds de peinture comme sur les chevaux des Indiens dans les films de cow boys C est beau Papa parle avec les oiseaux Quand je vas au Jardin des Merveilles avec Maman c est pas pareil Maman parle pas aux oiseaux El
85. pait le cent quatre degr s de fi vre Ton p re est arriv tard Tard et saoul Trop saoul pour s occuper de ton fr re Trop paquet pour vous emmener l glise Comme il n arr tait pas de gueuler ta m re lui a dit d aller se coucher Tu n es pas all la messe de minuit Cette id e fofolle aussi que tu avais eu de vouloir chanter dans une chorale Au retour l cole tu as dis que tu tais malade Toi qui tais d j le moins bon des chanteurs Tu as eu lair de celui qui a eu peur Ta conjointe est chanteuse Les dimanches elle chante des cantiques des hymnes des chants gr goriens Dans une langue qu on ne comprend m me pas au jub d une toute petite glise anglicane Ton fils M est anglican Pour la beaut des chansons Et de la musique 41 14 Une forte odeur te prend le nez Une odeur typique de ta famille Celle du goudron Le p re et le fr re de ton p re le p re et les cinq fr res de ta m re tous des couvreurs Toi m me pendant six semaines tu as rapport chez toi cette puanteur Tu montais sur le toit et tu passais tes journ es tirer du vide des rouleaux de papier et des chaudi res de gravier Toi qui as le vertige Ton p re t avait dit avec d pit amp T aurais faite plus d argent l que J en ai faite dans toute dans ma vie Debout entre deux autres ouvriers un homme appuy sur une moppe Dans la hi rarchie des couvreurs on trouve mi
86. phique ce qui revient au m me souvent se r v lerait exact 2003 p 21 87 ne souhaitait nullement que quelqu un entreprenne des v rifications Dans cette opposition entre l affirmation d une v rit les v nements sont v ridiques dans tous leurs d tails et l inqui tude face au fait qu on enfreprenne une v rification des faits racont s on peut lire plusieurs choses Qu Ernaux craint d tre prise sur le fait de mentir mentir dans le sens de mensonge au sens religieux du terme reproche qu on adresserait une gamine coupable d avoir manqu au commandement du D calogue qui dit Tu ne mentiras point On peut aussi lire dans le souhait que personne n entreprenne des v rifications une crainte de voir son uvre r duite la seule dimension de dire la v rit rien que la v rit en omettant le souci esth tique qu elle tente d instituer par son criture blanche r aliste sans artifice Dans ce cas ci tre prise sur le fait de mentir aurait pu entra ner un jugement d favorable de ses pairs institutions litt raires auteurs lecteurs savants ou ordinaires et la condamnation qui s en serait suivie aurait relev du litt raire Bien s r ce n est qu une observation que je rel ve ici J essaie d interpr ter ce qui me para t tre une contradiction Quoi qu il en soi cette inqui tude qu affiche Ernaux concerne des uvres publi es la crainte d un jugemen
87. pits pr s de la tank d huile chauffage Papa est en gr ve J ai toujours peur de le regarder quand il revient du hangar avec la grosse cruche pleine d huile chauffage pour la faire couler dans le petit trou en arri re de la fournaise allum e Sa main qui shake son pouce qui va glisser pis le feu qui va pogner dans toute la maison Mais l j ai pas peur Il y va pus ou bien moins souvent ou juste quand on n est pas la Le soir on coute la t l avec nos tuques et nos mitaines La nuit des fois Maman nous r veille et nous emm ne dormir dans la cuisine sur des couvertes devant la porte ouverte du fourneau Au matin on mange des c r ales souffl es d gueulasses pas de sucre pas de go t Au souper on met plein de ketchup sur le p t aux patates pil es Pis les maudites salades de carottes r p es pour d ner Une chance qu l cole ils nous donnent deux collations parce qu ils savent Maman dit que a va durer juste un petit bout de temps Papa dit rien comme d habitude mais y me semble qu il parle encore moins qu avant x Tu es rapidement reparti Au coin de la rue en ressortant de la ruelle tu as vu un petit parc Il n y avait pas de parc ici Tu h sites entre un comptoir alimentaire pour les pauvres C tait l expression de ta m re et un p t de maisons abandonn es placard es Une chose est certaine il n y avait pas ce petit endroit propret pav de briques et cern de gazon
88. qu on lui souhaite pour cette ann e L vidence m me De mourir T as mis ton chandail rouge et blanc pour aller avec tes boutons Tu manges comme un b b Attention tu vas toute renverser J te l avais dis c lice T es le plus ostie de malhabile que la terre a jamais port Chaque fois que ton fr re a l air triste tu entends ton p re l insulter Chaque fois que ton fr re s enrage gueule ou pogne les nerfs tu te demandes pourquoi alors qu il tait encore si petit tu las laiss se d brouiller avec lui 16 Tu parcours les rues tu ne reconnais rien Presque toutes les maisons ont t r nov es Toutes Tu en vois une Une sur laquelle tu pourrais lire quelques signes sous la vieille brique maintes fois repeinte Si tu avais du courage tu approcherais tes doigts et les poserais sur le mur Pour t arr ter bien te souvenir lire ressentir Mais tu as peur Il peut surgir tout moment en un bref instant Et m me si tu sais que c est impossible tu le redoutes Tu coutes Guetter le son le souffle le bruit du souffle qui pourrait te balayer le dos Tu n entends rien Tu te donnes comme mandat d y toucher juste une fois Juste une fois sans avoir peur Il n y a rien Le mur est lisse Que de la brique lisse et laide que de la pierre dure Le monstre n a pas laiss de traces ici La ma tresse a t l phon la maison Elle voulait savoir pour un dessin que j
89. r au visage pour le ramener la raison Toi tu avais un an Toi tu dormais Bien s r maman Un jour ta grande s ur M s tait mise pleurer Sur ton paule elle t a dit qu elle savait depuis toujours Elle savait que depuis la mort de M elle vivait sur du temps emprunt qu elle avait vol le temps la vie qui aurait d appartenir l autre Et c est toujours ce qui revenait la hanter J aurais d mourir c est moi qui aurais d mourir Cette peur est r sign e J tais toujours malade Lorsque ton p re lui gueulait apr s elle se mettait pleurer Mais pas seulement parce qu elle avait peur Pour lui dire Pardonne moi d tre vivante Mais ses pleurs n ont jamais servi rien Ton p re avait enferm enterr scell son amour 68 Ton autre fr re aussi Le plus jeune celui qui n est pas sur la photo Celui qui tait une erreur qui n tait pas pr vu venu au monde huit ans apr s vous tous Ton p re n en a Jamais voulu D une autre mani re cette fois d une fa on plus insidieuse en insinuant que celui l celui venir n tait pas de lui Ta m re a song se faire avorter Elle s tait m me renseign e Mais elle a chang d id e La religion Le p ch La certitude que cet enfant l tait de lui La preuve mettre sur la table la ressemblance C est ce que tout le monde a dit sa naissance Il ressemble son
90. re voisine malgr ses quatre enfants Quand elle va arriver je vas la pogner par les cheveux la monter jusqu au troisi me pis la c licer en bas par la vitre Apr s je vas redescendre je vas la repogner par les cheveux je vas la remonter en haut pis je vas la rec licer en bas Trois quatre fois Votre m re Votre c lice d ostie de m re Ce qu il pouvait faire du bruit lorsque ta m re tait absente Le soir surtout En criant il arpentait la maison Maudit ostie de saint christ de tabarnac de saint ciboire de c lice de b tard sale de sacrament de chienne Chienne Chienne Chienne Chienne Bruit de fond chanson d accompagnement comptine du soir berceuse pour la mort Vous essayiez de lire de jouer de faire vos devoirs Vous montiez le son de la TV Et c tait comme a jusqu l heure du coucher Lorsque vous vous rencontrez toi ton fr re P tes s urs C et M vous parlez de ces moments maintenant lointains de la petite enfance en riant sur un ton presque badin Ostie qu il tait p nible le p re quand la m re tait partie jouer au bowling Comme si a n avait t qu un dur moment passer comme si a n avait t que des instants n ayant fait qu corcher vos oreilles Il se promenait en gueulant le bras lev dans les airs Ah oui pas seulement vos oreilles vos yeux aussi Tes l Au matin te r veiller et regarder ta m re La voir douceme
91. ributaire de notre enfance que des faits v cus l ge adulte Qu il s est d cid l quelque chose qui maintenant nous chappe pour ne pas dire qui nous manque Et c est peut tre pourquoi on souhaite crire crire non pas pour en finir avec notre histoire comme je l ai na vement cru mais pour ne pas en finir comme l crit Madeleine Gagnon Cette histoire pass e qui a sombr dans l oubli et d o parfois la surface de notre pr sent on peut voir ressurgir des d bris Ton exemple me rappelle celui d Alain Robbe Grillet dans Je n ai jamais parl d autre chose que de moi Il raconte que la description d une porte dans son livre Projet pour une r volution New York allait tre lue par plusieurs comme un pur objet de cr ation textuelle c est dire n ayant aucun rapport avec quoi que ce soit dans la r alit alors que cette porte tait celle de sa maison natale 1991 p 38 39 Il crit aussi he pas avoir eu envie de se r f rer cette porte pour crire J e ne me suis pas mis devant elle n anmoins elle vient de mon exp rience v cue et d une exp rience particuli rement sensible p 39 Pour Ton p re et autres d bris as tu ressenti le besoin de te mettre devant les objets du r el Pour aider l criture de Ton p re et autres d bris j ai bel et bien err dans les rues de mon quartier la recherche de lieux connus et j ai t tonn des changements que jy a
92. s part les sous fifres celui qui charrie le gravier celui qui pose le papier et celui qui tend le goudron avec la moppe Le chef Cheveux blancs yeux p les plus petit que les deux autres un paquet de cigarettes pointant hors de la poche de sa chemise manches courtes ton grand p re le chef P p re G Le mythique P p re G Papa est tomb Papa s est fait mal Papa SAIGNE MA MAN MA MAN Elle me dit de t l phoner mon grand p re Je signale Y r pond J y explique C est J 42 Papa s est coup dans le front a arr te pas de saigner Faites quelque chosel a fait longtemps que j ai pas faite a Comment a que a fait longtemps que vous avez pas faite a C est quoi cette ostie de r ponse l Vous enlevez les verrues Vous vous passez des aiguilles au travers des joues pis y a pas de sang Vous tes suppos d arr ter le sang Un don a se perd pas Mon p re y a la face pleine de sang Ton fils ostie de vieil ivrogne Je raccroche Je retourne en courant voir Maman qui enl ve le linge vaisselle de la face de Papa Je pense que c est fini a saigne pus Tu te souviens de P p re Ce n tait pas seulement une question que te demandait ton p re c tait aussi un ordre une obligation Te souvenir de cet tre magnifique et magnifi Septi me gar on d une famille de sept enfants Capable d arr ter le sang Chevelure enti rement blanche vingt sept ans C est
93. s attend ce que l auteur lui raconte la v rit Et si non alors le contrat devient caduc Aussi lorsqu on d sire se poser comme t moin dans un texte n est il pas n cessaire de dire la v rit r elle v rifiable comme dirait Ernaux N est ce pas toute la cr dibilit du t moignage qui se retrouve alors en danger si on introduit la notion de mensonge Permets moi de revenir La chambre noire ce projet d criture qui devait servir de dossier d accompagnement C est au th me de la v rit la v rit rien que la v rit qu il s int ressait il s agissait d une enqu te polici re qui s attardait aux d tails du vrai du faux et du pourquoi mentir dans un texte autobiographique Rappelons que l id e de d part de La chambre noire avait germ partir d une phrase d Annie Ernaux o elle tra ait un parall le entre enqu te polici re et enqu te biographique Pourtant dans une entrevue r alis e avant la parution de L criture comme un couteau Ernaux avait tenu sensiblement les m mes propos une diff rence pr s elle Rappelons la phrase d Ernaux Puis une autre forme apparue avec La place qui pourrait tre qualifi e de r cit autobiographique parce que toute fictionnalisation des v nements est cart e et que sauf erreur de m moire ceux ci sont v ridiques dans tous leurs d tails tout ce qu on pourrait v rifier par une enqu te polici re ou biogra
94. s couleurs ou les arbres le silence Ce silence qui te dit qu il y a un manque Qui signale l absence de l enfance ces nombreux enfants qui jouaient partout dans les rues les escaliers les ruelles les poubelles Tu croyais en avoir fini avec ton p re Oui c tait bien ton pass mais il ne t appartenait plus Tu avais m me jet toutes tes photos de famille que t avait remises ta m re comme si c taient des cartes postales d un inconnu Tu r pondais aux autres Oui je suis n l et Non a ne para t pas Tu t tais r incarn C est ce que tu croyais Et ton fils est n Et ton p re est revenu Tu craignais qu il ne soit distant d plaisant m chant malhonn te col rique Il s est r v l diff rent Un tre autre pire que celui que tu avais imagin De le voir jouer 20 avec ton fils ta troubl De le voir lui montrer sa main handicap e t a coup le souffle Ton fils qui se penche de c t pour chercher les doigts manquants ton p re amus Ensuite l horreur ce pouce atrophi qui lui caresse la t te blonde Ton fils qui cherche mettre l incompr hensible main dans sa bouche Tout cela accompagn d un rire Pas celui de ton enfant pas le tien mais celui de ton p re Pas un rire forc pour te mettre l aise mais un rire sinc re et timide Comment te sens tu lorsque de connivence avec ton p re ton fils rend ta propre histoire insignifiante Votre
95. s ne feront que se pr ciser Ainsi dans vingt ans peut tre arriverai Je dire que mes obsessions sont le p re le deuil et la peur de la mort C est ainsi que J entends l affirmation de Gagnon sur le souvenir r current des auteurs d autofiction une tentative de saisir ce qui habite leur criture au m me titre que l auteur qui finalement par la r currence des th mes qu on retrouve de livre en livre s adonne n crire toujours que le m me livre n y ajouter qu un nouveau chapitre Mais chaque livre n appelle t il pas sa propre fa on de raconter Lorsque je dis qu un auteur se retrouve crire toujours le m me livre j entends par l qu il exploite presque toujours sensiblement les m mes obsessions que dans chacun de ses livres le rapport celles ci est toujours trait d une mani re plus sensible plus intime plus verticale Je ne parle pas de la mani re de raconter et je n entends surtout pas l id e de recette o un auteur raconte toujours de la m me fa on peu importe le sujet Par exemple Annie Ernaux commence son roman La honte par cette phrase Mon p re a voulu tuer ma m re un dimanche de juin au d but de l apr s midi 1997 p 13 Puis le style Ernaux Ce regard auto socio biographique tre en somme ethnologue de moi m me 1997 p 40 Pai lu ce livre un peu constern En me demandant sans cesse pourquoi Pourquoi encore cette criture Ce style qui e
96. sa laideur dans ce qu on aime ou on n aime pas Le sens est apparent et se rapporte l intellect au culturel Le punctum c est ce qui vient percer la faille dans l harmonie de ce qu on conna t qui ne vient pas briser notre appr ciation ou la faire grandir mais ce qui se met parler autrement Voir Barthes 1980 Je dirais que c est dans le punctum que me semble r sider la mati re la plus int ressante de l criture Pourquoi crire Pour exprimer ce moment d tonnement o dans ce qui se donnait comme vident reconnaissable connu quelque chose est apparu quelque chose de diff rent s est mis parler a cherch se dire C est l o d bute l aventure de l criture qui doit d passer le strict contenu le contenu tant le studium puisque c est un Contenu souvent inconnu ou m connu qui doit passer par un travail sur le langage pour s exprimer voix ton rythme mani re de dire nonciation plut t qu nonc Barthes dit du punctum d une photo qu il est ce hasard qui me meurtre me poigne 1980 p 49 C est souvent lorsque mon corps est en mouvement marche transport que se produit ce genre de ponctuation dans le temps Ensuite cela se met parler Image obs dante au sens d insistante Une petite voix l int rieur de moi qui essaie de me raconter une histoire Et si je cherche un r seau de sens cela me renvoie presque toujours aux m mes types de p
97. sant Les rares fois o 1l a daign te parler de son enfance ce ne fut qu en quelques mots Jai commenc fumer huit ans Plus tard il a ajout tout bonnement Dans ce temps l on avait le droit Et voil jeune il fumait Tu le vois dans la rue les autres enfants jouent et lui il est adoss un poteau la cigarette au bec Ton p re le dur ton p re huit ans d j un jeune homme l en train de se br ler les doigts 24 Tu aimes fumer En tenant le bout filtre entre le pouce et l index La chaleur de la cigarette te r chauffe l int rieur de la paume a jaunit tes doigts mais c est pratique de fumer le poing ferm a prot ge la cigarette des intemp ries Du vent de la pluie Tu fumes exactement comme lui Hier Papa a laiss la porte de la toilette ouverte Je l ai su parce que le bruit de l eau tait plus fort que d habitude J ai couru vite Y m a repouss avant que j aie pu voir Qu est ce que tu fais l qu y m a dit pendant que je tombais par en arri re et me cognais la t te sur la porte Rien que j ai r pondu Et c est vrai j ai rien vu Mais l je vais voir Je sais qu y en a un tout comme moi C est Maman qui me l a dit Faul juste que j arrive soulever en silence cette grosse couverte Il fait chaud Tu n es plus capable de dormir Tu passes devant la chambre de ton p re qui dort habill d un simple drap a bouge a se soul ve
98. ses araign es banane Ta courageuse m re qui assassinait les mulots de la cave coups de barre de fer Il y avait tr s peu de maisons aux alentours De grands champs dans lesquels tu pouvais te promener Le souvenir que tu conserves de ton p re est qu il avait l air heureux Toi aussi d ailleurs Mais qui pourrait te l affirmer Qui pourrait te venir en aide et te le certifier Ton p re te fait signe de le suivre dans la cour Sous son bras gauche avec sa main qui n a comme doigt qu un seul pouce 1l tient un gros pot de jus Welch au raisin en vitre Au fond du pot vide tu vois une mince cro te de mauve s ch Sur le ciment du patio ton p re d pose le pot La chasse est ouverte Vous capturez une mouche un ver de terre une mante religieuse une araign e minuscule une grosse un scarab e une libellule une demoiselle un colima on une fourmi rouge une verte une noire un criquet un taon une abeille une gu pe un perce oreille un maringouin un papillon une chenille pas de poils une avec des poils jaunes et bleus et vous les mettez toutes dans le pot Pour voir Le tapis de mauve s ch devient visqueux Lorsqu il ne se passe rien ton p re te regarde puis il agite le pot et a repart a red marre a re saigne et a se re bagarre jusqu la mort totale de toutes les bibites Tu lui as offert un jour un cadre contenant un norme papillon mauve et rouge Il l a regard a
99. st celui d Ernaux certes mais qui l ne s appliquait pas N tait pas la hauteur de son incipit Je nai pas senti la pr sence de l auteur Comme si Ernaux tait refus d entrer dans le sujet de l criture Que l ampleur du sujet la d bordait Comme lecteur avec l incipit je n ai eu droit qu une invitation On m a ensuite laiss en plan Plant l dans l attente de ce que le texte aurait pu tre 93 Je sais je me montre s v re l endroit de La honte Ce n est peut tre qu une appr ciation trop personnelle Une d ception de lecture Mais m me si je me trompe je crois tout de m me qu un auteur doit se demander en cours d criture s il ne se r p te pas Si vraiment la mani re de raconter qu il emploie est la bonne pour exprimer le rapport qu il entretient son sujet d criture ou si elle rel ve de la recette Annie Dillard demande dans En vivant en crivant Pourquoi ne trouves tu jamais aucun crit sur cette pens e particuli re dont tu parles sur ta fascination pour une chose que personne d autre ne comprend Parce que c est toi de jouer Dillard 1996 p 89 Ton insatisfaction de lecture face La honte d Ernaux camouflerait elle la d ception de ne pas y avoir trouv ce que toi tu y aurais mis Il est presque certain que si je commen ais un livre de fa on aussi percutante la suite serait diff rente L motion sous tendue m am nerait
100. ste soit un texte qui n aurait servi qu me r concilier avec l image de mon p re Ou gu re mieux n crire que du sous Annie Ernaux J ai l impression d avoir travaill sur une autre sorte de v rit Une v rit plus tonale qui devait exprimer la tension entre les v nements raconter et la r alit Et cette v rit je ne peux la retrouver que dans le lieu de l intime qui accepte d tre attir la fois par la noirceur et la lumi re Parlons maintenant des conditions de l criture L crivain G ran Tunstrom a crit J ai longtemps adh r au poncif selon lequel un homme qui souhaite s rieusement crire ne devrait pas avoir d enfants Eh bien c est faux La naissance de mon fils a m tamorphos ma langue Et maintenant je d cr te chaque crivain doit avoir trois enfants cit dans Huston 2004b p 35 Qu en penses tu toi qui as eu deux fils durant la r daction de ton m moire D abord que Tunstrom a troqu un poncif pour un autre Plus s rieusement je r pondrai que l ancien poncif rejoignait peut tre l id e r pandue que pour crire il faut pouvoir se consacrer seulement cela Et lorsqu on a des enfants il faut bien s en occuper Cela occupe notre temps C est peut tre la premi re chose qui est touch e par la venue au monde d un enfant le temps Le temps et l espace qui se meublent de cris de pleurs de jeux des n cessit s de la vie qui font que
101. stration tait ce pour r pondre au lieu commun qui laisse entendre qu une d marche autobiographique serait in vitablement de l anti litt rature Te d fendre contre ces pr jug s qui t ont accompagn durant la r daction de ton texte 76 Je pourrais en effet te raconter un nombre consid rable d anecdotes qui me sont arriv es lorsque je mentionnais que j crivais un texte autobiographique Mais je m loignerais de l enjeu qu on retrouvait dans Dossier celui de d montrer que l autobiographie est un genre qui a des contraintes m moire d fallante ou subjective forte pr sence narcissique du je obligation de respecter la v rit difficult de bien poser un regard critique sur son texte critique au sens tymologique de choisir s parer d cider juger D montrer que m me si on utilise du mat riel personnel pour crire ce mat riel devait passer par l criture par le souci de s int grer une forme c est dire de retrouver dans les mots une pr sence Autrement dit l aspect bios de l autobiographie doit tre d abord et sans cesse subordonn l aspect graphein Et l enjeu principal de Dossier tait de montrer qu un auteur peut choisir d crire un texte autobiographique parce qu il accepte sciemment d entrer comme l crit Philippe Lejeune dans un syst me de contraintes tr s astrergnant 1991 p 57 Qu est ce qui cette fois ci n a pas fonctionn Contrairement
102. t a posteriori Elle ne concerne pas l criture en cours Ernaux n est susceptible d tre prise en d faut qu apr s l criture et cela par un autre qu elle m me Mais qu en est il pendant l criture Et c est cela que La chambre noire tenait s attarder au questionnement sur ce qui arrive l criture plus qu l auteur lorsqu il d couvre apr s en avoir fait une description pr cise dans un texte un document qui vient infirmer ses souvenirs un document aussi r el qu une photographie qui vient affirmer avec toute son autorit comme l a crit Roland Barthes a a t 1980 p 120 Tout est v rifiable m me si je ne souhaite nullement que quelqu un entreprenne des v rifications Catherine Argand Annie Emaux entretien Lire no 284 avril 2001 p 40 Cit dans Ledoux Beaugrand 2003 p 77 88 Et cette d couverte d une photographie qui vient invalider les souvenirs s est produite durant l criture de ton texte Bien s r cette confrontation avec le r el est quelque chose qui m est arriv pendant l criture de Ton p re et autres d bris mais je ne tiens pas m attarder sur la photo que J ai d couverte en cours d criture et dire ce que J ai chang gard modifi ou respect Ce qui importe est que J avais crit le fragment concernant la photo partir d un souvenir que j en avais un souvenir qui encore maintenant trangement d
103. t de ton fr re Fallait que je supporte ton p re incapable de se tenir debout M me apr s quarante ans ta m re en veut ton p re Ces paroles encore r p t es aujourd hui portent tout le poids de la ranc ur et du chagrin Comme si elle avait fix sa col re en un endroit un lieu un temps le salon mortuaire devant la petite tombe bon march ton p re qui pleure et qui hurle Elle ne peut pas en vouloir Dieu Dieu elle s en chargera sa mort Elle lui demandera des comptes en haut comme elle le dit si bien les larmes aux veux Ici bas ce fut l affaire de ton p re et de son incapacit tre un homme encore une fois 5 Puis Abraham tendant la main prit le couteau pour immoler son fils Alors l ange de Yahweh l appela des cieux lui disant Abraham Abraham Celui ci r pondit Me voici Ne porte pas la main dit il sur l enfant et ne lui fait aucun mal car maintenant je sais que tu crains Dieu et que tu ne m as pas refus ton fils ton unique Gen se 22 10 12 C est vrai que a peut rendre fou la Bible Mais je fais pas par expr s Je veux juste voir les images mais des fois en dessous y a du texte Comme en dessous de ce dessin o un homme avec des yeux fous essaie de tuer un petit gar on avec un couteau Mais un ange arrive juste avant pour l en emp cher J ai pas pu m emp cher de lire Ensuite je me suis mis me poser des dr les de questions Et si c tait arriv
104. te s ur C C a un an environ un petit coq sur la t te maintient sa chevelure fonc e Elle ne sourit pas Joufflue elle a lair d un boxeur M cinq ans est toute souriante dans sa robe de dentelle Petite coupe balai et oreilles d coll es Coquette Toi aussi tu souris dans ton chandail de matelot avec tes cheveux s par s sur le c t Tu regardes attentivement Tu cherches Tu as trois ans Il n y a rien C est sans quivoque Pr s d elles tu sembles l abri La peur qui habite ta petite s ur C elle l a depuis toujours Jamais elle n a voulu se faire prendre par ton p re jamais sa man crochue n a pu la consoler La plus tough des deux filles Bien s r elle pleurait lorsqu il criait Elle avait beau tre tough mais deux ans haute comme trois pommes tu ne fais pas le poids m me contre un handicap 67 C est dans le corps de ta m re que pour la premi re fois elle avait trembl Un tout petit p pin culbut par le tumulte de l eau du ventre presque noy par la charge de survie d un corps qui combat contre un monstre Une peur d avant de na tre Une terreur d avant les mots Par chance la masse qui l enveloppait la prot geait tait pourvue de langage la m re Ta m re Ta m re t a racont Elle tait enceinte de C Ton p re tait saoul Il disait qu il ne voulait plus d enfant en arpentant la maison un marteau la main Ta m re avait d le griffe
105. ton texte un d sir d affiliation qui serait aussi litt raire soit un souci d int grer dans ton texte des l ments provenant de tes lectures Durant la r daction de Ton p re et autres d bris mes lectures sont venues nourrir mon criture Comme est venue le faire la r flexion de Viart sur la filiation qui devait passer par un travail d Arch ologie de soi Qu en tant que sujet rescap de ce 7 Titre de la conf rence de Dominique Viart donn e l UQAM le 20 mai 2005 dans le cadre du colloque Formes h t rodoxes de l auto biographie 103 quartier d enfance qui n existe plus je ne suis qu un reste Un reste qui compose avec des restes Ceci dit je suis aussi un fils litt raire Il y a des histoires des mythes qui m interpellent plus que d autres Des livres aussi La figure du labyrinthe par exemple et cette id e de prison de confrontation avec un monstre Qui n a pas son minotaure a crit Marguerite Yourcenar Quant savoir si j ai le souci de les int grer au texte je r pondrais non Par contre si j en ai la chance si cela m appara t pertinent d explorer ces figures au sens o ces l ments ajouteraient du sens creuseraient la r flexion pourquoi pas Ce serait la part de jeu que je me permets Mais je pr cise que ces l ments doivent s int grer l criture Citant en exemple la phrase d H raclite que Paul Auster met en exergue la premi re partie de L invention de
106. tuition Dans L criture comme un couteau elle d clare au sujet de son livre La place qu il peut tre qualifi de r cit autobiographique parce que toute fictionnalisation des v nements est cart e et que sauf erreur de m moire ceux ci sont v ridiques dans tous leurs d tails tout ce qu on pourrait v rifier par une enqu te polici re ou biographique ce qui revient au m me souvent se r v lerait exact 2003 p 21 L id e de d part de La chambre noire tait la suivante et si une enqu te polici re r v lait des inexactitudes La description erron e d une photographie de famille par exemple J allais donc crire une m tafiction sous forme d enqu te polici re o le narrateur enqu teur examine pourquoi et comment l auteur d un texte autobiographique s est retrouv mentir dans son r cit Pourquoi crire une m tafiction Comme je consid re de plus en plus que la subjectivit avant tout passe par la voix du texte l essai r flexif devait passer par un travail de la voix De l la n cessit d crire une m tafiction La chambre noire aurait donc t une suite logique Ton p re et autres d bris une sorte de d monstration concr te dans une fiction des r flexions qui m avaient habit durant la r daction de la partie cr ation Philippe Lejeune crit que pour l crivain l autobiographie peut faire peur et bien souvent honte En effet pour
107. u il me permet une plus grande libert d criture libert de mouvement pour revenir sur certains sujets et les approfondir libert de suivre le mouvement de la pens e N y aurait il pas un rapprochement faire entre l autobiographie et l entretien La forme de l entretien si elle n est pas un compl ment l criture autobiographique pourrait tre son pendant au sens o cette forme souffrirait un peu des m mes pr jug s savoir qu elle serait presque n cessairement anecdotique narcissique bavarde Et cela sans compter le fait que l entretien tout comme les autobiographies des grands de ce monde ne serait r serv qu aux gens ayant accompli un travail 78 exemplaire Aussi tant qu avoir opt pour un genre litt raire qu on dit mineur soumis aux pr jug s d avance condamn pourquoi ne pas continuer sur cette lanc e fa on comme une autre d tre cons quent Parlons maintenant de Ton p re et autres d bris Ce n est bien entendu pas une autobiographie classique ou traditionnelle au sens o l entendait Philippe Lejeune dans sa d finition d sormais canonique Pour emprunter le titre d un colloque qui s est tenu l UQAM il fait partie de ce qu on nomme les formes h t rodoxes de l auto biographie On peut le qualifier ainsi quoique le caract re h t rodoxe de l autobiographie perd un peu de sa valeur tant donn les formes hybrides de plus en plus nombreuses q
108. u on rencontre dans ce qu on nomme sous un terme englobant l crifure de soi Tu fais allusion la critique litt raire qui ne semble pas tre court de termes et de n ologismes dans sa tentative de classifier l criture biographique autobiographie biographie biofiction alt ro fiction mytho biographie autofiction etc Tu ne sembles pas tr s l aise en ce qui concerne l aspect g n rique de l autobiographie et ce souci de cat gorisation Pourquoi Plusieurs facteurs peuvent tre en cause lorsqu il est question du genre qu on met sur la couverture d un livre Je pense ici Louis Gauthier et sa trilogie regroup e sous le titre de Voyage en Inde avec un grand d tour Lors de leur parution les deux premiers tomes Voyage en Irlande avec un parapluie et Le pont de Londres portaient Rappelons la d finition de Lejeune R cit r trospectif en prose qu une personne r elle fait de sa propre existence lorsqu elle met l accent sur sa vie individuelle et sur l histoire de sa personnalit Lejeune 1975 p 15 79 la mention de r cit alors que le troisi me Voyage au Portugal avec un Allemand tait appel roman simplement parce que son diteur trouvait qu un r cit a ne se vend pas Mais mis part cet aspect qui ferait partie d une strat gie de marketing je me demande en quoi lorsqu on crit on s int resse tant la question du classement La litt rature contemporaine
109. ucune des dix personnes sur la photo ne sourit En approchant la photo tu constates que la femme de droite malgr son jeune ge est beaucoup plus g e que les deux autres En fait 1l est probable qu elle soit la m re de toutes les personnes pr sentes sur la photo y compris des deux jeunes femmes Ce ne sont donc pas ses s urs qui sont pr s d elle mais ses filles Les plus vieilles Un seul enfant tu en es certain n est pas le sien m me si au d but tu ne voulais pas y croire Le tout petit celui qui pleure sur les cuisses de sa m re La femme de gauche Cette jeune m re Ta grand m re M m re jeune Ton p re Ah non on va chez M m re J aime pas a aller l Et m me Papa aime pas a a para t Dans sa face dans sa mani re de se tenir debout trop droit la t te un peu recul e par en arri re comme s il avait peur de recevoir une taloche Tout le temps peur de recevoir une taloche Y a pas d jouets et les seuls christies de bonbons qu y a manger c des poissons rouges et blancs fig s soud s ensemble au fond d un bol en vitre Pis quand t arrives en d coller un sont pas mangeables Les rouges sont meilleurs que les blancs mais y reste presque tout le temps juste des blancs Y fait noir aussi Les stores sont presque toujours baiss s a fait que m me si y fait clair dehors y fait brun en dedans Pis y fait chaud Pis a sent le d sinfectant Pis on y va toujours ben trop longtemps Fait
110. un labyrinthe La v rit qu il cherchait d couvrir devait passer par son corps qui devait traverser physiquement ce lieu Ne rien reconna tre ne faisait que lui compliquer la t che Mais n en est il pas toujours ainsi de tout projet autobiographique D ambuler dans ses souvenirs dans ce qu on sait de soi s attarder sur un instant un d tail continuer la recherche C est moins ce qu on voit que l tat dans lequel on se trouve quand on voit Cet tat ne se r duit pas l humeur du d ambulateur mais se r f re sa mani re d tre dans le lieu crit Carpentier 2004 p 52 Quelle mani re d tre adopter lorsqu on 8 Je pr ciserais cependant qu il arrive que le corps suive un itin raire mais que l esprit soit errant Carpentier 2004 p 47 108 crit Sur soi dans ce lieu de nous m me avec nos souvenirs nos doutes nos certitudes nos incertitudes face ce qui a t ce qui est ce qui n est plus ce qui sera C est bien cela L crivain autobiographique labyrinthique au sens de celui qui cherche sortir d une prison trouver son chemin vers la sortie n est pas peut tre un crivain fl neur ou d riveur Mais pour arriver quitter le labyrinthe il doit employer certaines des attitudes du d ambulateur disponibilit attention Je ne suis donc pas un d riveur plume Carpentier 2004 p 45 puisque la marche n est pas l Ariane qui me fait crire L
111. vous des images d artistes qu elle d coupait dans des revues Une bien trange manie te r p tes tu Ton p re m avait pas pu se contenir Il fallait qu il le dise cette actrice rencontr e dans le m tro Trop belle la fille La r alit l avait frapp elle n est pas juste belle la t l Il fallait qu il te le raconte toi ce qu il lui avait dit Devant ce spectacle si r el si pleinement plein de beaut il s tait senti oblig de lui parler comme il se sentait oblig de te dire ce qu il lui avait dit Fille t es r ellement belle Ton p re s est toujours vant d tre un homme au franc parler Tu repenses toutes ces fois o il regardait tes s urs droit dans les yeux en leur disant amp T es laide comme ta m re Grosse comme ta m re Stupide comme ta m re 45 Cinq ans avant la naissance de ton fils la salle de r animation ton p re t avait dit en t apercevant J ai soif Il n avait pas le droit de boire Il sortait tout juste de la table d op ration Tu as pris un mouchoir que tu as humect d eau Tu l as pos sur ses l vres son front et tout autour de son visage Il n a rien dit Tu as continu Dans le silence C tait la premi re fois que tu touchais ton p re d une fa on tendre Tu as continu Il va bient t mourir Il allait bient t mourir Il n est pas mort Le cancer n est jamais r apparu
112. vus Par exemple dans la cour de mon enfance le vieux hangar a t transform en une nouvelle aire vitr e pleine de lumi re Est ce que je peux lorsque j essaie de transcrire cette image d un nouveau lieu faire fi de cet tonnement Cela 84 cherche s crire Cela insiste D crire ce nouveau lieu en respectant strictement tous les d tails du r el c est dire en d crivant de mani re exacte le nouvel espace am nag et d cor de quelques plantes n aurait pas laiss place cette exp rience de l tonnement cette confrontation entre deux lieux le lieu mort de jadis et le lieu vivant de maintenant Je ne pouvais plus reproduire simplement le r el En faire simplement la description Je devais tre fid le l motion de surprise n e de l opposition entre ce hangar de jadis sombre et sale plein de danger car symbole de la possibilit d un incendie et ces fen tres a r es d cor es de plantes Le r el de ce nouveau lieu devait tre d plac vers cette motion de l criture plus r elle encore Une serre vitr e clatante de plantes vertes est ce r el de l criture que j ai voulu rendre car l motion r elle tait ce vert clatant lumineux Cette exp rience du vert en opposition avec le gris de jadis L crivain Fran ois Bon fait r f rence au On crit avec de soi de Roland Barthes pour parler de la teneur exp rientielle qui traverse l criture Cette teneur

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