Patrick Straram ou un détour par le détournement
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1. L Internationale situationniste ne revendique pas l invention du d tour nement et de la m tagraphie Ces proc d s constituent un prolongement de certains concepts artistiques tels le collage l assemblage et les cons tructions d velopp s par divers mouvements d avant garde du xx si cle L utilisation d objets et de mat riaux bruts dans la composition d un tableau ou encore d un livre ou d une affiche remonte au cubisme Ces proc d s ont t largement exploit s par les cubistes Braque Picasso ainsi que par les constructivistes russes Malevitch mais c est avec le dada sme qu ils se g n ralisent Les surr alistes y trouvent une source d inspiration qui les conduira utiliser l objet coll dans le tableau le photomontage l affiche le slogan publicitaire et les jeux typographiques L uvre de Kurt Schwitters r sume bien ces exp riences qui inspirent les situationnistes Schwitters composa des collages partir de d tritus de la vie urbaine tickets de tramways couvercles de bo tes de conserve ficelles vieux boutons Cette technique de collage recyclage mena la r alisation d une sculpture en forme de colonne envahissant tout l espace de son atelier et traversant le plafond Le spectateur tait invit l int rieur de l uvre Le Merzbau cette sculpture prolif rante devenue architecture incorporait dans sa compostion toute sorte d objets familiers 23 Ces proc d s furent revend2. tant qu un assemblage de clich s emprunt s la Nouvelle Vague fran aise le seul int r t de ce film r side aujourd hui dans la mani re discursive de montrer l espace urbain montr alais que l on retrouve dans les crits de Straram D s lors il se limitera crire des chroniques sur le cin ma comme il n avait cess de le faire sur le jazz Devenu journaliste la pige il publie ses articles dans presque toutes les publications culturelles de l poque Pilier de la jeune Cin math que qu b coise d s sa cr ation Straram fr quente les tavernes et les caf s anim s par les jeunes crivains po tes chansonniers et acteurs qu b cois Certains de ces endroits deviendront les foyers de l avant garde culturelle francophone En janvier 1968 il part deux ans aux tats Unis Au cours de cette d rive dans les milieux hippies de la c te californienne il adopte une nou velle apparence physique qu il conservera jusqu sa mort celle de l Am rindien marginalis en qu te d un territoire Ce parcours initiatique fera l objet d un livre publi en 1972 et conna tra un succ s d estime6 De ce voyage en Californie il conservera le go t de l errance qu il pratiquera jusqu la fin de sa vie son retour Montr al en 1970 il est empri sonn pendant la crise d Octobre C est partir de cette poque qu il devient Patrick Straram le Bison ravi dont il polira l image et qui fera de lu
3. cho cette proposition d exp rimentation de comportements dans Potlatch Il en est de m me en ce qui concerne l importance qu il accordera dans ses crits son cadre 17 Voir Guy Debord dir Potlatch 1954 1957 Paris Gallimard 1996 292 p bulletin hebdomadaire ses d buts de juin ao t 1954 et mensuel par la suite de septembre 1954 novembre 1957 Sur le mouvement situationniste dans son ensemble voir Internationale situationniste Paris Fayard 1997 707 p Jean Fran ois Martos Histoire de l Internationale situationniste Paris ditions G rard Lebovici 1989 281 p Jean Jacques Raspaud et Jean Pierre Voyer L Internationale situationniste chronologie bibliographie protagonistes avec un index des noms insult s op cit Elisabeth Sussman dir On tbe Passage of a few people through a rather brief moment of time the Situationist International 1957 1972 Boston Cambridge ICA The MIT Press 1989 200 p G rard Berr by dir Documents relatifs la fondation de l Internationale situationniste 1948 1957 Paris Allia 1985 651 p Guy Debord V ritable scission dans l Internationale circulaire publique de l Internationale situationniste Paris Champ Libre 1972 147 p Greil Marcus Lipstick Traces A History of the Twentieth Century Cambridge Mass Harvard University Press 1989 496 p 18 La note de Straram publi e dans le deuxi me num ro de Potlatch exprime bien le caract
4. sans d naturer l criture VBND 23 24 Il n est donc pas surprenant qu apr s la lecture de ce livre Straram consid re vident qu il fallait crire ces pages c est dire une nou velle relatant sa propre exp rience amoureuse Paris Il crit donc un texte en fondant les unes aux autres des phrases qu il availt besoin d crire et des phrases emprunt es au roman de Ram n G mez de la Serna Le titre de Straram est on ne peut plus explicite il avise le lecteur que la nouvelle n est pas un plagiat mais bien le r sultat d un processus litt raire particulier le d tournement cher aux situationnistes Pour ceux ci cela consiste utiliser les l ments esth tiques pr fabriqu s d uvres actuelles ou anciennes pour les int grer ensuite dans la production d une construction sup rieure 22 Il s agit donc d emprunter d incorporer de copier d intercaler de fondre au sein d une nouvelle uvre litt raire picturale ou architecturale des l ments esth tiques pr existants phrases images photographies formes architecturales etc 21 Il s agit ici de la premi re dition fran aise du roman de Ram n G mez de la Serna La veuve blanche et noire Paris ditions du Sagittaire 1924 L article fait ici r f rence sa r dition Paris G rard Lebovici 1986 249 p 22 Bulletin de l Internationale situationniste n 1 juin 1958 p 13 156 VOIX ET IMAGES 73
5. projet est abandonn peu apr si Cette tentative avort e d introduire au Qu bec le situationnisme dans lequel il avait milit d s sa cr ation l am ne prendre ses distances avec ce mouvement mais aussi avec toute chapelle ext rieure son troit cercle d amis En 1962 il publie 20 000 draughts sous les tables texte int ressant pour num ration des uvres litt raires musicales et cin matographiques qu il juge impor tantes et que l on retrouvera abondamment cit es dans ses publications venir Dans cet ouvrage collectif d crivant son univers quotidien on voit d j appara tre les signes de sa marginalit et de son alcoolisme latent qui allait affecter tr s t t sa sant Ses fonctions au Centre d art de L lys e cr en 1960 par le D Ostiguy sont galement de courte dur e mais lui permettent de rencontrer tout ce que le Qu bec compte alors d intellec tuels et d artistes avides de s ouvrir sur le monde 2 Patrick Straram Tea for one crits du Canada fran ais n 6 1960 voir notamment la recension de Gilles Marcotte Le Devoir Vie des lettres Tea for one de Patrick Straramr 19 mars 1960 et Nathalie Fredette Montr al en prose 1892 1992 Montr al l Hexagone 1992 p 357 380 Une lecture situationniste de ce texte montre qu il s agit d une d rive urbaine constituant un exercice de psychog ographie 3 Patrick Straram pr sent par Cabier pour un paysage in
6. 1977 375 p Francine Couture Les arts visuels au Qu bec dans les ann es soixante l clatement du modernisme Montr al VLB diteur coll tudes qu b coises 1997 414 p Par ailleurs le Cabier est bien cit dans l ouvrage de Jean Jacques Raspaud et Jean Pierre Voyer L internationale situationniste chronologie bibliographie protago nisles avec un index des noms insult s Paris Champ Libre 1972 168 p 152 gt VOIX ET IMAGES 73 de ses propres moyens en errant sur les quais et dans les rues du quartier o se c toient existentialistes marxistes surr alistes lettristes et situation nistes C est l que Straram fit son apprentissage intellectuel Montr al il cherchera recr er cette convivialit artistique travers les tavernes le Centre d art de L lys e la bo te chanson Le Chat Noir et surtout L Aso ciacion Espa ola de Pedro Rubio Dumont L uvre et la vie de Straram se caract risent d ailleurs par un ancrage spatial des lieux que fr quen taient la communaut artistique et intellectuelle montr alaise des ann es soixante 15 Au cours des ann es 1952 1954 Straram se lie d amiti avec les membres dissidents du mouvement lettriste d Isidore Isou l Internationale lettriste Parmi eux Gil J Wolman et Guy Debord qui venaient de cr er un petit scandale avec leurs films exp rimentaux Il fr quente gale ment les autres membres du groupe Andr Frank Conord Moh
7. 3 4 avril 1988 et Andr Roy Patrick Straram Court article pour un long salut 24 images n 38 t 1988 p 21 23 12 BNQ Mss 391 1 13 Il existe deux versions de ce texte La premi re de 17 pages dactylographi es avec annotations manuscrites de Straram est dat e septembre 1956 400 7th Street Revelstoke B C La seconde de 29 pages d une autre dactylographie galement annot e par Straram reprenant les annotations et la date de la version pr c dente jusqu la p 22 est compl t e d un texte dactylographi de 6 pages num rot es 23 29 dat comme suit la page 23 1967 au Blues clair Pont Coderre Saint Antoine sur le Richelieu et dat nouveau la page 29 septembre 1956 400 7th Street Revelstoke B C Cette seconde version d crit le processus d emprunt au roman de Ram n G mez de la Serna La veuve blanche et noire C est la deuxi me version qui est analys e ici D sormais les r f rences cette version seront indiqu es par le signe VBND suivi du folio et plac es entre parenth ses dans le texte Straram fait r f rence sa nouvelle dans Bribes 1 Pr textes amp lectures p 111 pour une description de cette aventure amoureuse voir Bribes 2 Le Bison ravi fend la bise op cit p 31 et Jean Ga tan S guin Patrick Straram ou le Bison ravi Entretiens op cit p 19 ss TUDES 151 ann es 1960 1980 par une iconographie troitement int gr e au texte Un
8. examen plus approfondi r v le un emploi syst matique de la citation litt raire cin matographique ou musicale pour pr ciser sa pens e ou tout simplement pour d crire un lieu ou un tat d me Ce proc d cr atif pouss l extr me inclut l appropriation du texte d un tiers en le d tour nant de son sens premier Cette d marche qui semble toute personnelle s inscrit en fait dans la ligne de pens e de l Internationale situationniste qu il tenta sans succ s d introduire au Qu bec d s son arriv e par la pu blication du Cahier pour un paysage inventer De ce point de vue le Cahier constitue un document int ressant pour l interpr tation de son uvre Ce premier num ro de la revue r unissait des textes de divers auteurs qu b cois et de membres de l Internationale situationniste dirig e par Guy Debord avec qui Patrick Straram a entretenu une correspondance suivie 3 Ind pendamment de son int r t historique le document est important moins pour son contenu que pour les liens qu il se proposait d tablir avec l Internationale situationniste Le projet de Straram tait am bitieux il s agissait d ouvrir le Qu bec aux courants de pens e euro p enne en l associant Pune des derni res avant gardes internationales n e apr s la Deuxi me Guerre mondiale sur les vestiges du mouvement surr aliste L exp rience fut un chec La revue faute de moyens finan ciers connut une distribution confidentielle des de
9. froideur de luxe d une robe peut tre plus puissante que la force d un par fum 78 Elle tait sans parfum Quel tait ce parfum qui manait d elle qui lubrifiait sa peau cuivr e qui tait comme la sauce anglaise de sa chair 79 C tait un parfum noir qui la rendait plus blanche et qui faisait qu elle semblait garder un ch le catalan et ses v tements noirs en se d shabillant 79 12 4 Elle avait un tel fond d opulence On devinait la chaleur cach e dans ses entrailles 79 12 5 Le long de son dos s coulait canalis e l histoire de son pass 80 le deuil qu elle portait de vivants et celui qu elle portait de morts qui demeu raient pour elle plus vivants que les autres et toute une mine d rotisme mise jour pour une fraction infinit simale de tous les temps qu il appar tenait d exploiter 12 6 Grain par grain l norme remuement de faune et de flore qui sou levait son corps lanc dans d insens s graphiques si mouvants Leurs cris pour ne pas perdre ou ne rien perdre Prends moi par derri re Je te veux dans ma bouche Hurlante immobile Gesticulant muette 12 7 La danse de l appr t une danse grouillante d insectes et la danse monstrueuse d un fossile tertiaire la fois une vocation d inconnues 162 VOIX ET IMAGES 73 dominantes de The Cage comme la dansait Nora Kaye toute la fi vre femelle s duction et attente in
10. videmment le caract re r vo lutionnaire du d tournement et le r ve de cr er une bauche d un communisme litt raire comme l annon aient les situationnistes sont loin de s tre r alis s 2 En litt rature une des formes privil gi es du d tournement des situa tionnistes s exprime par l criture m tagraphique Ce proc d litt raire consiste produire un texte ou une affiche en empruntant images photos phrases mots et parfois objets Cette libert et ce d sir d emprunt allant jusqu l appropriation d uvres pour la production d une m tagraphie s inspirent du mot d ordre de Lautr amont le plagiat est n cessaire le progr s implique Ainsi les situationnistes consid rent que l crivain peut non seulement corriger une uvre ou int grer divers fragments d uvres p rim es dans une nouvelle mais encore changer le sens de ces fragments et truquer de toutes les mani res que l on jugera bonnes ce que les imb ciles s obstinent nommer des citations 7 Selon Debord et Straram la cr ation artistique dans quelque domaine que ce soit devait se d partir de toute notion de propri t et de tradition La citation semblait tre la derni re forme de propri t abolir un exer cice auquel se livrera Straram en d tournant le roman de Ram n G mez de La Serna 26 Les L vres nues n 1 loc cit p 5 En ce qui concerne le rapprochement entre le mouvement situationniste e
11. 9 139 et Information Lieu d un autoportrait d une f te Ovo photo n 6 f vrier 1972 p 50 58 16 En f vrier 1952 Gil J Woman pr sente un film exp rimental L anticoncept On y entend un monologue atone pendant que sur l cran alternent des cercles noirs et blancs sur un ballon sonde Il s agit du principe de la discr pance c est dire de la disjonction des bandes image et son d velopp e par Isidore Isou en 1951 dans son film Trait de bave et d ternit En juin 1952 Debord pr sente son premier film Hurlements en faveur de Sade Avant la projection il serait mont sur sc ne et aurait d clar Il n y a pas de film Le cin ma est mort Il ne peut plus y avoir de film Pas sons si vous voulez au d bat Voir Guy Debord uvres cin matographiques com pl tes 1952 1978 Paris Champ Libre 1978 r d Paris Gallimard 1994 282 p Voir aussi Fr d rique Devaux Le cin ma lettriste 1951 1991 Paris ditions Paris exp rimental 1992 320 p ill pr sentation de Christian Lebrat On trouvera une des cription des r actions de la presse parisienne de l poque dans Boris Vian Manuel de Saint Germain des Pr s Paris ditions du Ch ne 1974 TUDES 153 truction de situations Plus tard ces notions se retrouveront la base du mouvement situationniste des ann es soixante 17 Straram partage le caract re subversif du groupe qui refuse toute doc trine et don
12. Article Patrick Straram ou un d tour par le d tournement L on Ploegaerts et Marc Vachon Voix et Images vol 25 n 1 73 1999 p 147 163 Pour citer cet article utiliser l information suivante URI http id erudit org iderudit 201466ar DOI 10 7202 201466ar Note les r gles d criture des r f rences bibliographiques peuvent varier selon les diff rents domaines du savoir Ce document est prot g par la loi sur le droit d auteur L utilisation des services d rudit y compris la reproduction est assujettie sa politique d utilisation que vous pouvez consulter l URI https apropos erudit org fr usagers politique dutilisation rudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif compos de l Universit de Montr al l Universit Laval et l Universit du Qu bec Montr al II a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche rudit offre des services d dition num rique de documents scientifiques depuis 1998 Pour communiquer avec les responsables d rudit info erudit org Document t l charg le 16 novembre 2015 09 12 Patrick Straram ou un d tour par le d tournement L on Ploegaerts et Marc Vachon Universit d Ottawa Cet article examine l uvre encore peu tudi e de Patrick Straram et l apport de sa contribution dans le mouvement de la contre culture montr alaise des ann es soixante Sur la base de l analyse d un manuscrit in dit La veuve blan
13. amed Dahou Jacques Fillon et partage une chambre avec Gilles Ivain pseu donyme d Ivan Chtcheglov auteur du concept d urbanisme unitaire d velopp partir des d rives urbaines Il reproduira d ailleurs le texte de ce dernier dans le Cahier pour un paysage inventer Straram trouve n eux des interlocuteurs avec qui partager des int r ts communs concer nant l int gration de la vie quotidienne l art en passant par l urbanisme la po sie la litt rature la culture de masse et le cin ma En juin 1954 le groupe publie le bulletin Potlatch auquel Straram participe d s les pre miers num ros malgr son d part pour le Canada en avril La revue para t jusqu en 1957 moment o l Internationale lettriste devient l Inter nationale situationniste C est au sein de cette revue que s articuleront dif f rentes notions se rapportant aux activit s et pr occupations du groupe telles que la psychog ographie la d rive l urbanisme unitaire et la cons 15 Pour une description de sa p riode Saint Germain des Pr s voir Jean Ga tan S guin Patrick Straram ou Le Bison ravi Entretiens op cit La liste exhaustive de ces tablissements se trouve dans Marie Fran oise Losay Cherche emploi curriculum vit BNQ Mss 391 10 4 1984 1987 p 2 En ce qui concerne les d buts de sa p riode montr alaise voir notamment Patrick Straram 20 000 draughts sous les tables crits de la Taverne Royal op cit p 10
14. bitieux En se servant de phrases emprunt es G mez de la Serna Straram met en sc ne l interf rence de deux mondes sentimentaux son aventure amoureuse et celle de Rodrigue et Christine croyant ainsi universaliser son exp rience Or quel que soit le domaine culturel c est le d sir d universalisation de l exp rience humaine dans le quotidien qui justifie en dernier lieu la notion du d tournement premi re vue les uvres de Straram semblent l expression de la contre culture au Qu bec L image qu il projette l apparente au mouve ment hippie la presse underground et l art psych d lique Cependant cette interpr tation demeure superficielle Straram ne revendiquait pas le retour la nature bien au contraire pour lui c tait dans la ville que tout se jouait Ses r f rences politiques et culturelles n taient pas constitu es des gourous de la contre culture am ricaine mais plut t de Marx de Brecht de Lefebvre et de Barthes Il associait le caract re graphique de ses textes l criture m tagraphique et non au Pop Art Ces diff rences s expliquent d s que l on situe Straram dans la mou vance du situationnisme L analyse de son uvre partir d une grille de lecture situationniste demeure toutefois l tat d bauche comme l illustre cet article L h ritage situationniste est partout pr sent Que ce TUDES 163 soit la pr occupation de la vie quotidienne ou enco
15. che et noire un peu d tourn e con u partir du livre de Ram n G mez de la Ser a La veuve blanche et noire une lecture situationniste de sa production litt raire est propos e Un bref survol de sa vie et de son uvre montre qu en d pit de son chec introduire l Internationale situationniste au Qu bec avec son Cahier pour un paysage inventer il demeura fid le aux principes de cette avant garde iconoclaste qui avant de se saborder d non a la Soci t du spectacle d crite par Guy Debord et avec qui Straram a entre tenu une correspondance Suite au r cent regain d int r t pour ce mouve ment dont certaines pr dictions se sont av r es trangement proph tiques l uvre de Patrick Straram m rite d tre abord e dans cette perspective qui fait de lui le principal sinon le seul repr sentant de l Internationale situation niste au Qu bec Le parcours de Patrick Straram Disparu il y a presque onze ans Patrick Straram est aujourd hui un auteur oubli l N Paris en 1934 il fr quente d s sa jeunesse les mi lieux boh mes de Saint Germain des Pr s et se lie d amiti avec Guy Debord qui l introduit dans le petit groupe de l Internationale lettriste fond e suite l clatement du mouvement lettriste d Isidore Isou Ob jecteur de conscience Straram refuse de faire son service militaire on est l poque au d but de la guerre d Alg rie et migre au Canada en 1954 avec sa famil
16. d une chronique refus e par Cit libre 34 Simon Sadler The Situationist City Cambridge London The MIT Press 1998 233 p
17. de G mez de la Serna Straram cherche enrichir la description de sa propre exp rience Le troisi me type consiste rassembler en un paragraphe une s rie de phrases parpill es dans le roman voir 12 3 et 12 7 de l extrait Les quelques occurrences de ce proc d lui permettent de substituer la des cription physique et motionnelle de Christine celle de Marthe Le dernier type de d tournement se r f re la teneur du texte qui conserve la tonalit du roman Il n y a pas d emprunt de phrases si ce n est de quelques mots cl s mais plut t un emprunt la mise en situation et la description des personnages Ainsi 12 5 de l extrait les termes deuil morts et vivants font cho au roman de G mez de la Serna en ce qui concerne la veuve Christine Quel que soit le type de d tournement les phrases emprunt es au roman s inscrivent l int rieur de trois cat gories descriptives Le cas le plus fr quent est le pr l vement de phrases d crivant le corps de lamante et les sentiments que le narrateur prouve pour elle Les emprunts illustrant le mode de vie et les pens es du narrateur sont aussi tr s nombreux Il s agit ici la fois d anecdotes tel le passage sur le temps et les femmes 11 5 Les femmes n ont pas encore appris manier le r el il leur manque un sens de la rigueur ou des fonctions remplir qui les fait se jeter trop goul ment sur des petities chances assez fausses N
18. e Patrick Straram se distinguent au premier coup d il de l abondante production litt raire de la contre culture qu b coise des 9 Id Blues clair demande d emploi suivi de Aux quatre coins Estuaire n 21 1981 p 67 82 Blues clair tea for one no more tea Montr al Les Herbes rouges n 113 115 1983 64 p Blues clair quatre quatuors en trains qu amour advienne avec Francine Simonin Montr al Le Noro t 1984 128 p ill Mots musique quelle histoire ce cin ma Montr al ditions du P le texte sur une gravure originale de Monique Dussault 10 Ce film documentaire de Jean Ga tan S guin intitul Mourir en vie Patrick Straram le bison ravi se trouve dans les archives de la Cin math que qu b coise Nous poss dons une copie compl te du sc nario dont un extrait a t publi Jean Ga tan S guin Patrick Straram ou le Bison ravi Entretiens Montr al Guernica 1991 48 p Voir aussi un commentaire sur le film Robert L vesque Patrick Straram n a pas os tre acteur Le Devoir 22 octobre 1988 p C 5 11 Voir Claude Gonthier Patrick Straram ou la constellation du Bison ravi Voix et Images vol XII n 3 39 printemps 1988 p 436 458 Parmi les loges posthumes il faut signaler le dossier que lui consacra la revue Jnter Patrick Straram le Bison ravi R ellement n 41 1988 p 29 36 le collectif Patrick Straram le Bison ravi Paris 1934 Montr al 1988 Lev e d encre n
19. e se rendent pas compte du temps qu on met monter et descendre un escalier tourner le coin d une rue de l ces surprises o elles se laissent de temps en temps assassiner Elles sont sagaces souvent mais jamais pour cela Si elle conduisaient les trains il y aurait des tamponnements terribles parce qu elle feraient partir le train 5 alors que le train 8 doit passer au m me moment sur la m me voie 68 69 ou tout simplement un tat d me du narrateur 10 9 Je continuais regarder dans le fond du miroir la m diocre projection de la vie des autres Tous taient trangers et continuaient voyager toujours 67 Enfin il ny a que deux d tournements voquant la vie de l amante Dans l un d eux Christine et Marthe ont toutes deux subi un avortement Et si amp Christine a perdu ses jumeaux cause d une fausse couche Marthe quant elle a eu deux fils 29 Les phrases crites l origine par de La Serna mais qui seront d tourn es par Straram sont en italique La premi re num rotation par exemple ici 11 5 indique la page et le paragraphe dans la nouvelle de Straram alors que la deuxi me en caract re gras soit ici 68 69 renvoie la page du roman de la Serna TUDES 161 Les phrases emprunt es G mez de la Serna se fondent ais ment dans la nouvelle de Straram Le processus est facilit par le choix des d tournements Ils se limitent l nonc des charmes de l h
20. encontre dans un bar au cours de laquelle elle relate son pass dans la R sistance comme combattante dans un maquis de partisans du Vercors elle s duit le jeune homme et l initie aux plaisirs des sens dans sa chambre de bonne Ils sy enferment pendant deux semaines ne la quittant que pour se nourrir La deuxi me partie Interlude Slam Slam Blues Ixtliton Petit Visage Noir est un long monologue du jeune homme d crivant sa passion pour cette femme Les amants s changent leurs r ves Ainsi Marthe lui d crit en d tail ce que serait leur vie amou reuse T h ran Par la suite elle parvient convaincre son amant de partir seul pour Creyers un village abandonn mille m tres d altitude dans le Dauphin o l un de ses amis elle esp re fonder une com mune La troisi me partie intitul e Variation sur un th me Le Paysage inventer relate les derniers jours de leur liaison Apr s un change pistolaire Marthe rejoint son amant Creyers pour satisfaire sa passion amoureuse avant de partir pour T h ran Apr s un faux d part caus par une gr ve de la compagnie a rienne elle le quitte d fini tivement quelques jours plus tard non sans avoir c l br avec lui ses dix huit ans Le roman de Ram n G mez de la Serna qui se d roule dans l Espagne des ann es vingt raconte la passion amoureuse de Rodrigue pour Christine Il s agit d un long expos sur le d sir d un homme pour
21. i le personnage le plus color sinon le plus repr sentatif de la contre culture montr alaise 7 Il en demeurera d ailleurs la figure centrale jus qu aux Rencontres internationales de la contre culture qui se tiennent Montr al en mai 1975 Straram est alors au sommet de sa popularit dans cet univers restreint mais demeure inconnu l ext rieur Il a pourtant crit de nombreux articles et sept livres dont deux en collaboration Au cours des ann es qui suivent il ne produit qu une mission importante Blues clair diffus e Radio Canada Entre temps sa sant s est 6 Id Irish coffee au no name bar amp vin rouge valley of the moon Montr al Hexa gone l Obsc ne Nyctalope 1972 256 p ill voir aussi la recension de Guy Cloutier Irish coffee au no name bar amp vin rouge valley of the moon Livres et auteurs qu b cois Sainte Foy Presses de l Universit Laval 1972 p 158 159 et celle de Jean Basile Mainmise n 17 novembre 1972 p 16 17 7 Sp cial Straram Hobo Qu bec n 9 11 octobre novembre 1973 64 p 8 Patrick Straram 4x4 4x4 Montr al Les Herbes rouges 1974 66 p Questionnement socra cri tique Montr al ditions de l Aurore 1974 272 p La faim de l nigme Montr al ditions de l Aurore 1975 176 p Bribes 1 Pr textes amp lectures Montr al ditions de l Aurore 1975 160 p Bribes 2 le bison ravi fend la bise Montr al ditions de l Aurore c
22. iqu s pour diff rentes raisons par les mouvements d avant garde Pour le cubisme l assemblage facilitait la com pr hension des uvres alors que pour le futurisme l utilisation d objets r els permettait d int grer une quatri me dimension l espace temps Avec le dada sme l utilisation de ces proc d s allait servir rejeter l id e de chef d uvre et m ler l art la vie Quant aux surr alistes ils employaient le photomontage et le collage pour concevoir une autre vision du monde engendr e par l inconscient et les pulsions sexuelles Ce qui diff rencie l Internationale situationniste des autres avant gardes c est qu elle utilisa ces proc d s des fins de propagande partisane dans le but de d construire l difice culturel Le d tournement devait permettre d en finir avec la notion de propri t personnelle en art et ce afin de pouvoir utiliser tout l h ritage artistique et litt raire de l humanit 2 Ainsi avec le mouvement situation niste on assiste une r cup ration de plusieurs notions et proc d s avant gardistes orient s l int rieur d une action politique r volutionnaire En d clarant que ce qui change notre mani re de voir les rues est plus impor tant que ce qui change notre mani re de voir la peinture l Internationale situationniste radicalise le projet dada ste de m ler l art la vie 23 Maurice Besset Art of tbe Twentieth Century New York Universe Boo
23. ks 1976 Voir aussi Kurt Schwitters catalogue de l exposition au Centre Georges Pompidou Paris Centre Georges Pompidou R union des Mus es nationaux 1994 24 Voir Guy Debord et Gil J Wolman Mode d emploi du d tournement Les L vres nues n 1 mai 1956 p 2 25 Guy Debord Rapport sur la construction des situations et sur les conditions de l organisation et de l action de la tendance situationniste internationale Internationale situationnisle 1958 1969 Paris Fayard 1997 p 700 TUDES 157 Il va sans dire qu en 1956 les th ories des situationnistes ne furent pas re ues Il faut attendre la venue du postmodernisme pour que r ap paraisse la notion de d tournement plus particuli rement dans le do maine de l architecture qui emprunte et r assemble le vocabulaire plas tique de diverses poques et cultures Aujourd hui le d tournement se manifeste dans d autres domaines culturels tels que le cin ma la peinture la sculpture et le vid oclip Dans ces disciplines l emprunt d l ments es th tiques de productions actuelles ou pass es des arts est devenu une pratique courante Par exemple il n est pas rare de voir un vid oclip de cinq minutes compos d un amalgame d images intercal de coupures de films classiques ou encore de photographies bien connues Ces divers l ments esth tiques sont alors d tourn s pour tre utilis s dans la cr a tion d une nouvelle production culturelle
24. le Il demeure quatre ans en Colombie Britannique occupant divers emplois manuels avant de s tablir au Qu bec Lors de son arriv e Montr al en avril 1958 Patrick Straram se retrouve au 1 De son vrai nom Patrick Marrast dit Straram Elcano il prendra galement pour affirmer son am ricanit d adoption le surnom Le Bison ravi anagramme de Boris Vian qu il aimait beaucoup Voix et Images vol XXV n 1 73 automne 1999 148 VOIX ET IMAGES 73 centre du milieu culturel qui allait provoquer la R volution tranquille des ann es soixante Autodidacte passionn de litt rature de cin ma et de jazz il s implique d abord comme critique dans ces deux derniers do maines avant d aborder la cr ation dans les deux premiers avec des succ s mitig s Cet engagement multidisciplinaire fait rapidement de lui un personnage incontournable de la contre culture montr alaise Plus anarchiste que gauchiste profond ment allergique toute forme d auto rit il s accommode du syst me lib ral sans jamais parvenir s int grer dans la structure sociale D s 1960 il publie un essai d crivant ses errances urbaines donnant une perception originale de Montr al qui sera plut t bien accueillie 2 Quelques mois plus tard para t le premier num ro de la revue Cahier pour un paysage inventer dont il est avec Louis Portugais le principal artisan Cette fois la critique est r serv e pour ne pas dire hostile et le
25. les h ros sont jeunes et prouvent un amour perdu pour des femmes plus g es De plus l action se d roule dans des espaces res treints une chambre de bonne et un salon avec quelques rares explora tions du monde ext rieur Finalement tous deux perdent la femme qu ils aiment Il n est donc pas difficile de voir pourquoi Straram a trouv que G mez de la Serna avait crit son histoire L analyse du processus de d tournement de la nouvelle de Straram s op re deux niveaux Il nous est apparu n cessaire d identifier d abord les phrases emprunt es G mez de la Serna pour l ensemble de la nouvelle Par la suite un examen d taill des phrases d tourn es par Straram a permis de d terminer quatre cat gories d emplois du proc d litt raire du d tournement Le texte de Straram r v le un nombre in gal de d tournements La premi re partie p 1 5 regroupe plus de sept d tournements du roman Dans la deuxi me p 6 14 les d tourne ments sont regroup s la fin du texte et comprennent deux pages enti res de phrases emprunt es G mez de la Serna Enfin la derni re partie p 15 22 ne contient aucune phrase d tourn e du roman quand bien m me plusieurs passages font cho ce dernier Pour illustrer l interf rence entre les deux textes le lecteur trouvera ci apr s un extrait p 12 13 de la nouvelle de Straram illustrant les quatre types du d tour nement Il est noter que la m me ph
26. ntr al alors qu il demeurait dans une chambre de la rue de La Gaucheti re 1 Dans l uvre de Straram les passages relatant sa jeunesse mention nent fr quemment la cr ation de collages que les situationnistes appe laient m tagraphies L criture m tagraphique consiste en une produc tion de textes et d affiches partir d un collage de graphismes vari s images photographies phrases et mots C est au cours de son s jour l h pital psychiatrique de Ville Evrard en automne 1953 qu il compose dans un atelier de peinture ses premi res m tagraphies qu il pr sente Debord et Chtcheglov Par la suite ils se les changeront et les affiche ront sur les murs de leurs appartements Au cours de la m me ann e l In ternationale lettriste organise l exposition 66 m tagraphies influentielles la Galerie du Passage Straram y participe En 1972 il crit M tagra phie l almanach manifeste pour expliquer l origine et l importance de cette forme d expression Le texte s accompagne alors d une analyse des criptive dune m tagraphie et illustre nouveau le projet situationniste d int grer le quotidien dans l art2 Ce mode d expression caract risera la production culturelle des situationnistes et celle de Straram au Qu bec Peu apr s son arriv e en Colombie Britannique il perd contact avec le mouvement situationniste sans cesser pour autant son travail d criture Les manuscrits de cette p
27. oll crire 2 1976 98 p ill en collaboration Patrick Straram Le bison ravi Jean Marc Piotte Pio le fou Gilles cin ma Groulf le Lynx inquiet Montr al Cin math que qu b coise ditions qu b coises 1971 146 p ill et Jean Marc Piotte Madeleine Gagnon Patrick Straram Portraits du voyage Montr al ditions de l Aurore 1975 104 p 150 VOIX ET IMAGES 73 consid rablement d t rior e Sa production litt raire de 1983 sa mort le 6 mars 1988 se limite quelques publications laissant transpara tre son tat de d tresse morale et mat rielle Il s en expliquera dans un docu ment vid o 1 v ritable testament litt raire qui le ramena bri vement dans l actualit tourn quelques mois avant son d c s Avec lui disparaissait un personnage central de la contre culture montr alaise des ann es soixante qui jusqu au bout refusa de se ranger et resta fid le son poque sans voir qu elle tait r volue La Biblioth que nationale du Qu bec acquit la presque totalit de ses archives bien que la discoth que de Straram fut vol e et sa biblioth que int ressante pour les innom brables annotations dont il remplissait ses livres dispers e peu apr s En plus d une vaste correspondance il laisse quelques in dits dont La veuve blanche et noire un peu d tourn e qui constitue un t moignage de son pass situationniste Straram et la mouvance situationniste Les livres d
28. rase emprunt e peut faire l objet de plus d un mode d emploi du d tournement Le premier type de d tournement consiste pr lever la phrase telle quelle ou avec de l g res modifications voir 12 4 p 161 et 13 5 p 162 de l extrait C est le mode d emprunt le plus fr quent un point tel que deux pages de la nouvelle p 12 et 13 sont enti rement compos es de phrases emprunt es dans diverses parties du roman de G mez de la Serna phrases qui s appliquent l exp rience amoureuse que veut d crire Straram Certains v nements du roman tel celui d un fait divers d crivant un crime Madrid se trouve reproduit dans la nou velle comme simple effet de miroir Le deuxi me type de d tournement consiste utiliser une phrase ou des bouts de phrases du roman pour les ins rer dans un nouveau para graphe voir 12 5 et 13 6 de l extrait Dans les deux cas Straram commence un paragraphe avec un fragment d une phrase de G mez de la Serna et la termine avec des impressions correspondant son aventure amoureuse L inverse se produit galement Straram commence une phrase par ses propres impressions et la termine avec un fragment em prunt au roman source Il semblerait que son intention consiste 160 VOIX ET IMAGES 73 obtenir l effet qui rende le mieux compte d anecdote sensation id e et transcription voulues VBND p 26 En d autres mots en incorporant certains passages du roman
29. re d un art d interven tion et de participation ancr dans un espace urbain mobile et transfor mable souhait les notions situationnistes de l art de l urbanisme et du quotidien constituent les leitmotive de sa vie et de son uvre En 1958 la question Quel est votre but dans la vie et que faites vous pour l atteindre Straram r pondait Je n ai pas de but dans la vie parce que je vis 0 Il devait rester fid le toute sa vie cet id al Quinze ans plus tard Gaston Miron disait de lui Straram n est pas l homme du questionnement il est d abord celui qui fait la preuve Et qui paie la note Dans sa critique de la vie quotidienne il devient le v cu et la somme des contradictions de la gauche Il est alors po tique et dialec tique Totalisation r solution 3 Miron exprime tr s bien les contradictions et les sacrifices que Straram a d accepter au cours de sa vie pour maintenir ses convictions situationnistes de jeunesse savoir que l art est un moyen d action sur le monde un outil de transformation des consciences 2 Une transfor mation qu il exprime dans l une de ses chroniques en disant Vivre est critique Il faut concevoir et faire une critique qui soit une vie Ce qui explique le caract re intransigeant et radical de Straram dans la mesure o la commercialisation des productions culturelles y compris les siennes constituait pour les situationnistes une r cup ration par le s
30. re liaison amoureuse L analyse qui suit illustre la tentative initiale de Straram d appliquer les proc d s litt raires situationnistes savoir l criture m tagraphique et le d tournement Dans le cas pr sent il s agit de l utilisation syst matique de la citation se substi tuant l criture et surtout du d tournement consistant en une appropria tion du texte d un auteur bien connu La veuve blanche et noire de Ram n G mez de la Serna d tourn e par Straram L analyse de La veuve blanche et noire un peu d tourn e vise souligner l importance d une lecture situationniste de l uvre de Straram Il s agit d une nouvelle autobiographique relatant son initiation amoureuse en 1952 Cette nouvelle a vu le jour apr s sa IE COIVENE du roman de Ram n G mez de la Serna La veuve blanche et noire Au moment de quitter Paris en 1954 ce livre la couverture o ordinaire et insolite de par ses titres intrigue suffisamment Straram pour qu il le d robe Le roman de G mez de la Serna lui appara t comme un miroir dans lequel l histoire se refl tait un point qui m obligeait outre que dans le v cu pour moi un pr alable indispensable toute criture sa d couverte au moment du d part pour passer d un continent un autre ce qui allait accentuer encore la premi re s paration insistait sa valeur d indice de tabou de vase communicant l accord ainsi scell ne pouvant tre enfreint
31. re subversif du groupe On ne ma pas encore sorti du Canada Cela ne sau rait tarder peut tre Mon comportement n est plus seulement une nigme il terro rise En ce qui concerne le mouvement situationniste ce n est qu apr s 1962 qu il envahira le champ politique Il est g n ralement reconnu pour avoir jou un r le important dans le mouvement de Mai 68 Voir Ren Vienet Enrag s et situationnistes dans le mouvement des occupations Paris Gallimard 1968 316 p Pascal Dumontier Les situationnistes et mai 68 Paris G rard Lebovici 1990 307 p 154 VOIX ET IMAGES 73 de vie quotidien et aux espaces culturels montr alais Ainsi dans Bribes 1 Pr textes amp lectures et dans Questionnement socra cri tique il combine la description litt raire et l illustration photographique des changements apport s ces espaces priv et public afin de commenter l exp rience de nouvelles situations susceptibles de choquer l ordre tabli Avec le groupe de Potlatch Straram participe de longues d rives dans les rues de Paris Cette activit s inscrit l int rieur de cette volont de s emparer de la ville travers le quotidien et est reli e un processus d criture et de critique de l espace urbain L exp rience des d rives parisiennes a contribu fa onner l uvre de Straram en particulier sa premi re publication Tea for one une nouvelle autobiographique relatant son errance dans les rues de Mo
32. riode acqui rent aujourd hui plus d importance 19 L Internationale situationniste d veloppa en 1958 le concept d urbanisme unitaire partir de la d rive urbaine cr ant de nouveaux jeux propos s d s 1945 par Guy Debord et Jacques Fillon qui vont aboutir au Manifeste de l Internationale situation niste en 1960 Voir Ulrich Conrads Programmes et manifestes de l architecture du xx si cle Paris ditions de la Villette 1991 p 190 197 198 211 213 L exercice de la d rive s inscrivait l int rieur de la psychog ographie c est dire l tude des mani festations affectives fond e sur l influence du milieu g ographique Voir Guy Debord Th orie de la d rive Les L vres nues n 9 novembre 1956 p 7 13 reproduit dans le Bulletin de l Internationale situationniste n 2 d cembre 1958 p 19 23 20 Voir Patrick Straram M tagraphie l almanach manifeste La Barre du jour n 35 37 1972 p 179 195 reprit dans Bribes 1 Pr textes amp lectures p 107 123 En ce qui trait l criture m tagraphique le meilleur n est sans doute Irish coffees au no name bar amp vin rouge valley of the moon op cit TUDES 155 dans la mesure o ils s inscrivent dans la foul e d id es et de concepts situationnistes sur les relations entre le quotidien l art et l espace Parmi ces textes in dits se trouve la nouvelle Za veuve blanche et noire un peu d tourn e d crivant sa premi
33. ro ne par le narrateur exprimant ses sentiments amoureux Tout se passe comme si au lieu de citer Straram s appropriait la phrase et l incorporait dans son v cu Cela n est pas surprenant tant donn que la notion de d tournement admet tacitement qu il n est pas n cessaire de cr er une expression in dite de faits connus En d autres mots pourquoi chercher r crire ce qui a d j t crit et correspond d j si bien une exp rience person nelle Mieux vaut l incorporer la relecture dix ans plus tard Straram constate quel point ce texte est le produit de son exp rience avec le mouvement situationniste Il r affirme que son uvre o v cu et cri ture s inter agissent proc de de la notion du collage et de la m tagra phie Le projet situationniste s est av r pour Straram beaucoup plus qu une simple exp rience de jeunesse il en a fait un mod de vie qui allait s exprimer par ses crits et ses actions dans l espace culturel mont r alais Extraits des p 12 et 13 de La veuve blanche et noire un peu d tourn e de Patrick Straram page paragraphe indiquant en italique les phrases d tourn es de La veuve blanche et noire de Ram n G mez de la Serna dont la page est en caract re gras 12 3 Elle se mettait parfois nue dans une robe du soir qu elle s tait coup e pour moi Elle s y mouvait comme une femme splendide use d un joyau excitant 78 C est trange comme la
34. supportable Elle avait besoin d imiter pour mieux entrer dans sa tranquillit les femmes hyst riques 80 la mante religieuse les putains Ou bien toute femme une fois nue est elle une bayad re 80 Sa danse atteignait ses paroxysmes lorsqu elle se remurait sic dans ses silences sans cesser de r v ler qu elle portait sur elle la lourdeur svelte de la chair 80 13 1 Dans les papiers coll s sur les murs ou dans le objets qui encom braient la chambre elle choisissait spontan ment les formes phal liques et les reproductions d eaux 13 2 Elle aimait son sexe et elle aimait son sexe au mien 13 3 Le matin que sorti un moment je la retrouvai tal e sur le lit vid e en sueur 13 4 Je viens de me masturber tu as raison a peut tre ausssi ex traordinaire j ai bien joui 13 5 Elle allait sans r volte ni soumission exag r e 80 13 6 Elle tait la femme qui entre dans l amour comme dans la mer 80 avec une attirance profonde et aucune h sitation 13 7 Emport e tranquille Magn tique Harmonique Le quotidien et l criture une construction situationniste La nouvelle de Straram est un d tournement du roman de G mez de la Serna Il se justifie dans le manuscrit en reprenant la formule de Lautr amont savoir qu une phrase appartient moins son auteur qu celui qui l utilise le mieux VBND 24 Mais derri re ce mot d ordre se dissimule un projet am
35. t l intention est de r unifier l avant garde culturelle en un mouvement nouveau pour une critique r volutionnaire de la soci t Le situationniste id al est consid r comme un expert amateur et un antisp cialiste La ligne g n rale du groupe consiste tablir une structure pas sionnante de la vie travers l exp rimentation des comportements des formes de d corations d architecture d urbanisme et de communications propres provoquer des situations attirantes Il s agit donc de convertir l homme en homo faber ludens gt par une r volution se d roulant princi palement sur deux terrains le quotidien et l espace urbain Cette trans formation exige une r organisation de la ville partir d un principe tr s simple laisser aux individus le pouvoir de d cider de l espace et de l ar chitecture dans lesquels ils veulent vivre Selon les situationnistes d loger le pouvoir de l tat de la bureaucratie et du capital passe n cessairement par une transformation de la vie quotidienne f Cet id al et le d sir de cr er des situations attirantes par l exp ri mentation se manifesteront dans l uvre et la vie de Straram Au Qu bec il s affichera en tant qu expert amateur dans plusieurs domaines notam ment le cin ma et le jazz Les changements apport s son image corpo relle du jeune intellectuel fran ais au gourou de la contre culture l allure am rindienne ne sont pas sans faire
36. t le postmodernisme voir Sadie Plant The Most Radical Gesture The Situationist International in a Postmodern Age London New York Routledge 1992 226 p 27 Les L vres nues n 1 p 3 Le mouvement situationniste a t fortement influenc ses d buts par le surr alisme comme le d montre la similarit entre collage et m ta graphie ou encore la participation de Debord la revue Zes L vres nues Bien que l importance de Lautr amont pour les surr alistes soit connue voir Aragon Lautr amont et nous Lettres fran aises 1 et 8 juin 1967 r d Paris Sables 1992 99 p on ne peut en dire autant pour le mouvement situationniste N anmoins Guy Debord et Gil J Wolman y r f rent dans leur texte sur le Mode d emploi du d tourne ment ainsi que Straram dans sa nouvelle La veuve noire et blanche un peu d tourn e pour justifier en quelque sorte le concept de d tournement 158 VOIX ET IMAGES 73 Le r cit de La veuve blanche et noire un peu d tourn e se d roule en trois temps savoir la rencontre la relation amoureuse et la s paration des amants crite la premi re personne la nouvelle commence par la rencontre Saint Germain des Pr s du narrateur un tout jeune homme et de Marthe Tjadara une Proven ale de trente six ans m re de deux enfants d laiss e par son mari Flle est de passage Paris en attente d un poste de couturi re la cour imp riale d Iran Apr s une premi re r
37. une femme refusant d abandonner le veuvage Rodrigue est tellement possessif et jaloux qu il doute de la mort du mari qui abusait physi quement de Christine Le couple entreprend un voyage Paris Rodrigue est fier de se pavaner avec une veuve dans les restaurants et les bou tiques Mais avant de retourner en Espagne Christine informe Rodrigue qu elle et son mari avaient d j fait un pareil voyage Rodrigue s en offusque Quelques jours plus tard il retrouve Christine en pleurs Elle lui avoue alors qu elle n tait pas veuve mais qu elle l est maintenant puisqu elle vient d apprendre la mort de son mari La querelle clate et Christine avoue son amant que son mari la retrouvait les jours o Rodrigue ne venait pas Celui ci est en col re mais n ose la frapper 28 Il faut noter que d s 1955 Straram incorpore des r f rences musicales dans ses crits La troisi me partie de la nouvelle contient l illustration d une port e de partition musi cale dont les lettres indiquent concerto d concertant Il est possible que Straram ait consid r adapter le texte pour un sc nario de film TUDES 159 Christine voyant son h sitation lui d clare que son mari au moins avait le courage de la battre lorsqu il tait en col re Sur ce Rodrigue la quitte Il y a de nombreuses similitudes entre l exp rience amoureuse de Straram et celle d crite dans le roman de G mez de la Serna Dans les deux cas
38. ux c t s de l Atlantique 4 La critique fut tr s s v re et le second num ro resta l tat de projet La correspondance entre Debord et Straram montre que si le projet de la revue fut abandonn assez rapidement celui ci resta en con tact avec le mouvement malgr sa rupture compl te avec la France La relation entre Straram et le mouvement situationniste s tendra sur une courte p riode de temps soit de 1949 1954 Afin de jeter plus de lu mi re sur l influence et l importance du situationnisme pour Straram il importe de retracer bri vement son parcours l ge de quinze ans Straram quitte d finitivement l cole et la mai son familiale pour aller vivre Paris Ses lieux de pr dilection sont les bars et les caf s de Saint Germain des Pr s l poque de Juliette Gr co des fr res Pr vert de Jean Paul Sartre Pendant plus de quatre ans il vit 13 Cette correspondance s est chang e entre 1958 et 1965 Voir BNQ Mss 391 10 16 et Mss 391 7 70 La publication annonc e de la correspondance de Guy Debord devrait pr ciser son interpr tation 14 Devenu une curiosit de bibliophile le Cahier est g n ralement cit dans la litt rature partir de sources secondaires ou des rares critiques qui en ont t faites Voir Robert Robillard Qu bec Underground 1962 1972 tome 1 Montr al ditions M diart 1973 Andr G Bourassa Surr alisme et litt rature qu b coise Montr al L tincelle
39. venter Montr al s e n 1 1960 3 f 106 p Textes de G Leclair G Miron L Caron M L O Leary P M Lapointe G H nault S Garant M Dub A Jorn G Ivain G E Debord L Portugais P Straram Parmi les critiques les plus f roces citons celles de Jean Guy Pilon et de Cl ment Lockwell Seul Jacques Godbout semble avoir per u l importance potentielle de l Internationale situationniste Voir Libert 60 n 9 10 mai ao t 1960 p 225 et Ze Devoir 16 juillet 1960 Le deuxi me num ro devait tre enti rement consacr au cin ma cet effet Straram avait pr par en collaboration avec Gilles Carle une annonce de souscription et un questionnaire Voir BNQ Mss 391 3 3 4 Longtemps ignor le mouvement situationniste de l Internationale lettriste l Internationale situationniste redevient aujourd hui d actualit avec la r dition des uvres de son fondateur Guy Debord La soci t de spectacle Les commentaires Potlatch Pan gyrique chez Gallimard et tout r cemment Pan gyrique 2 chez Fayard 5 Patrick Straram crits de la Taverne Royal Montr al ditions de l Homme 1962 p 109 139 TUDES 149 Apr s des r les de figuration dans les films tout prendre de Claude Jutra et Fabienne et son Jules de Jacques Godbout en 1963 et 1964 Straram tente une perc e dans le cin ma comme acteur et dialoguiste dans La Terre boire de Jean Paul Bernier L chec est justifi N
40. ys t me des expressions artistiques qui cherchaient pr cis ment le trans former On peut consid rer la fid lit de Straram ce projet de faire de sa vie une uvre sans compromission comme tant ce qui l a progres sivement isol des personnes qui l entouraient et de la soci t en g n ral L Internationale situationniste a disparu dans l indiff rence g n rale il y a plus de vingt ans Son influence dans le domaine de la litt rature demeure latente alors que ses id es ressurgissent en architecture et en urbanisme et ce au moment o la soci t du spectacle manifeste ses effets pervers sur le corps social 34 Straram aura t semble t il la fois le protagoniste au Qu bec de cette derni re avant garde visionnaire du xx si cle et l un des gourous de la contre culture montr alaise 30 Voir Les L vres nues n 10 12 1958 p xix Straram a r pondu ce questionnaire en voy aux lecteurs de la revue sous son pseudonyme de Patrick Elcano 31 Gaston Miron Sp cial Straram Hobo Qu bec loc cit p 52 L italique est de Gaston Miron l 32 Voir Sur le passage de quelques personnes travers une courte unit de temps propos de l Internationale situationnisite 1957 1972 version fran aise du catalogue On the Passage cit la note 17 33 Voir Patrick Straram Situations d une critique et dune production Cahier pour un paysage inventer op cit p 80 Texte
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