JR007 : La valeur communicationnelle du secret chez
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1. L chafaudage est enlev et le dessin dans le tapis il faut le chercher avec une loupe La partie immerg e de la contrainte le chiffre laisse supposer un rapport avec la Vita Nuova de Dante et l id e d une possible r g n ration par la destruction La raison pour laquelle le m canisme reste implicite peut tre li des motifs relevant de la biographie un deuil la difficult revenir l criture le d sir de canaliser un chagrin violent dans une forme triplement structur e Ce qui nous am ne au dernier lien que nous aurions aim souligner celui du rapport existant entre le secret et la biographie On le sait Roubaud se d fend de toute perc e vers l autobiographie et nie vigoureusement que le cycle en soit une Pourtant on pourrait parfois s y m prendre le dispositif d ensemble rel ve d une narration la premi re personne avec identit de l auteur et du narrateur et relation d un certain nombre de faits li s la vie la vie tr s intime parfois oaristys liaisons extra conjugales deuils relations familiales Mais le secret est l un des outils utilis s par l auteur pour op rer la discrimination qu il tablit lui m me entre secret et prose de m moire Pointer 35 Voir ce propos Jacques Stern La Science du secret ditions Odile Jacob 1998 26 Jacques Roubaud Dors pr c d de Dire la po sie Paris Gallimard 1981 p 33 38 27 Jacques Roubaud La V2. Un axiome est r put pour tre tre vident non d montrable universel Ici l vidence semble surtout tre du c t de l auteur Compte tenu du fait que leurs deux l ments constitutifs nigme et myst re sont d finis par leur relation ou de mani re circulaire il est difficile ce stade de s en faire une id e plus pr cise Le Projet contient son nigme axiome 60 p 213 Un roman est la transformation d une nigme en myst re axiome 70 p 212 Plus d finitif Le myst re est le st re sur la porte des fourmis Axiome 84 p 212 La formule du dernier axiome est la plus trange puisqu elle reste en blanc Le grand incendie de Londres est Suit un nombre d termin de points de suspension plac s l pour sugg rer plusieurs mots manquants Une prolepse dont on ignore encore en attendant la publication de la branche 6 si elle se r v lera d ceptive ou non nous promet de nous livrer un jour la solution Le seul myst re de ce livre est l parmi quelques nigmes dont certaines sans doute m chappent les quatre mots manquants dans la phrase de sa d finition diront quand ils seront crits quelque chose qui sera alors je le pense si je vais jusque l d une certaine vidence pour le lecteur Gil p 266 Faute de pouvoir apporter la r ponse et pour faire oublier notre inaptitude le faire int ressons nous plut t la d marche de l aute
3. le cycle du Grand incendie de Londres o ils reviennent respectivement 109 163 131 fois Deux aspects peuvent tre dissoci s la chose dissimul e proprement parler dont il n est pas obligatoire que le lecteur prenne connaissance et la mani re dont l auteur choisit d attirer l attention sur l existence de donn es de faits d v nements cach s Ces deux aspects entrent de toute vidence en tension mais semblent pourtant alimenter de mani re efficace la dynamique du secret en offrant sans cesse la perspective le fant me l ombre le mirage de ce qui ne sera jamais peut tre r v l En m me temps la d marche qui consiste pointer le contour de la chose cach e pose question en particulier celle de la v ritable intention auctoriale et des messages implicites ainsi d livr s C est pourquoi nous avons choisi d interroger ici la valeur communicationnelle du secret Les mots pour ne pas le dire Le secret est une chose dont chacun de nous a une connaissance empirique et immanente mais qui se r v le difficile circonscrire puisque le terme d signe la fois un m canisme et un contenu en t moignent les quatre pages serr es de la d finition du TFL articul es en trois rubriques et plusieurs niveaux de sous divisions Le secret met en jeu la notion de r tention d information par un individu donn et sa soustraction d lib r e la connaissance d autrui le partage se fait s il se f
4. prend une place de plus en plus importante dans l imaginaire roubaldien celui de Pythagore et de ses disciples On se rapproche l d une vision mystique de la connaissance o le secret accompagne toute transmission de savoir La biblioth que de Warburg r v le que la source d inspiration du roman fondateur du projet s inspirait du mod le de soci t antique la poursuite de son amoureuse am nerait le h ros d chiffrer le sens du secret de la secte pythagorique Plus souterrainement on retrouve la ligne pythagorique en po sie dans La pluralit des mondes de Lewis qui recherche une vibration harmonique musicale et cosmogonique entre le v g tal et le c leste et encrypte le chiffre cinq et le pentacle signe de reconnaissance secret des pythagoriciens dans les descriptions des fleurs et des v g taux Avant d voquer l autre influence majeure celle de l Oulipo soulignons que l Ouvroir en question a d abord t une manation du coll ge de Pataphysique et que les premiers oulipiens commencer par le Transcendant Satrape Queneau ont occup des rangs non n gligeables dans cette organisation Le Coll ge sous la houlette du bien nomm r gent Opach s est opacifi pour de bon entre 1975 et 2000 p riode durant laquelle une occultation volontaire l a fait dispara tre de la surface ph nom nale du visible La culture pataphysique elle aussi tiss e de rites n est pas sans inci
5. JR007 La valeur communicationnelle du secret chez Jacques Roubaud V ronique Mont mont ATILF CNRS Nancy Universit Un texte crit suivant une contrainte parle de cette contrainte Ce c l bre principe oulipien dit principe de Roubaud est paraphras dans Le grand incendie de Londres Une contrainte est racont e par le r cit qu elle engendre Axiome 78 Il pose d embl e la n cessit d une explicitation de la contrainte l exigence de son d voilement et de son commentaire Il a pour effet s il est appliqu de rendre intelligible du moins le croit on le mode d encodage du texte et la forme qui a servi d finir son architecture bon prince Roubaud livre ainsi les clefs de Signe d appartenance dans une pr face intitul e Mode d emploi de ce livre celles de Trente et un au cube dont le titre est l expression de la contrainte num rique ou encore commente les r gles d criture du Grand incendie de Londres Pourtant il est sans doute l un des auteurs chez qui la pr sence de l nigme et du secret est la plus palpable Celle ci est li e l criture po tique dont la complexit formelle peut appara tre comme une forme de chiffrage mais elle est aussi enfouie au c ur de la prose qui occulte partiellement les biograph mes sur lesquels elle s appuie Secret myst re et nigme sont donc des mots familiers au lecteur de Roubaud tout particuli rement qui fr quente
6. acques Roubaud La Biblioth que de Warburg p 221 Ibid 231 35 Jacques Roubaud Autobiographie chapitre dix Paris Gallimard 1977 Jacques Roubaud Nous les moins que rien fils a n s de personne Fayard 2006 37 Claude Giraud Du secret Contribution une sociologie de l autorit et de lengagement Paris L Harmattan coll Logiques Sociales 2005 p 19 celui d un roman absent le secret dramatise au sens th tral un r cit de cr ation complexe ardu d roulant ses 2000 pages sans intrigue v ritable Il cr e des appels d air dans la masse narrative y tra ant des pistes explorer De mani re plus discr te il met en question la rh torique contemporaine du tout dire qu adopte depuis la fin du XXe si cle un courant autobiographique en plein essor Tout en inscrivant en toute s curit des biograph mes dans la prose de m moire dont on devine la pr sence d faut du contenu Au bout du compte le cycle du Grand incendie relate une histoire intellectuelle devenue histoire existentielle Et finalement c est le r cit cette gen se qui plonge le plus avant dans les racines de l intimit En racontant le projet les enthousiasmes les d couragements les programmes et les accidents de cr ation Roubaud plonge directement au c ur du myst re premier celui auquel l analyse litt raire se heurtera toujours la mani re dont une uvre comme une goutte d eau suspendue au bord d une feu
7. ait selon des cercles plus ou moins tendus en fonction de leur degr de connivence avec le d positaire D un autre c t le secret est aussi un contenu un ensemble d v nement s exp rience s pisode s fait s divers histoires sentiments qui sont gard s cach s non r v l s On peut choisir de le divulguer ce qui est la forme ultime de son partage mais qui puise du coup toute la valeur de Jacques Roubaud Deux principes parfois respect s par les travaux oulipiens dans Oulipo Atlas de litt rature potentielle Paris Gallimard 1981 1988 coll Folio p 90 2 Jacques Roubaud Le grand incendie de Londres Paris Seuil coll Fiction amp Cie 1989 p 201 Nous abr gerons en Gil Ce qui ne peut tre connu ou compris parce que volontairement cach ceux qui ne sont pas initi s ou confidents TLFi entr e Secret 4 TLFi entr e Secret l information et le d grade en secret de Polichinelle Pour viter cette neutralisation le propri taire du secret peut en jouer d une mani re plus retorse en faisant simplement valoir qu il le d tient noncer la possession du secret n implique absolument pas d en divulguer le contenu Cette d marche qui donne un prix nouveau la connaissance cel e pique la curiosit valorise le d tenteur du secret et met en marche un processus d lucidation de la part de celui qui est de l autre c t du savoi
8. dence sur la formation et le fonctionnement de l Oulipo qui croise au reste cette influence avec celle de Bourbaki En particulier Roubaud voque la semi clandestinit des d buts tout en se f licitant que le groupe ait su en sortir Mais L Oulipo a longtemps fonctionn dans un silence m diatique d lib r et ses modes de constitution la cooptation ses codes culturels pourrait on dire lui donnent nolens volens les allures d une soci t d initi s par exemple dans le fac simil d une lettre de Jacques Bens Paul Braffort dat e du 12 mai 1961 on peut lire En revanche vous devrez observer la discr tion la plus grande sur votre appartenance notre Ouvroir En ce qui concerne les uvres elles m mes elles jouent de l nigme d s lors n avouent pas partiellement les contraintes sur lesquelles elles s appuient On le voit tr s bien chez Perec comme une pelure d oignon la contrainte avou e en dissimule d autres organis es en strates successives d indications incompl tes et pi g es selon la formule de Bernard Magn qui a par exemple analys le m tatexte de la double couverture Et il faut parfois le secours de la g n tique comme l a prouv l dition du cahier des charges de La vie mode d emploi pour prendre la mesure du degr de dissimulation L nigme se serait donc en quelque sorte historiquement inscrite dans l criture roubaldienn
9. e par le truchement de ceux qui ont t divers degr s ses mod les intellectuels Mais cette dimension ne suffit pas tout expliquer la conception du grand uvre demeurant ant rieure la rencontre avec l Oulipo L autre l ment d terminant du rapport au secret dans sa fabrication et son lucidation est de toute vidence le nombre Il est li chez Roubaud de mani re organique au myst re dans la mesure o la branche des math matiques traitant des nombres l arithm tique est pour l auteur sentie comme une esp ce myst rieuse de po sie Le 18 Jacques Roubaud Math matique Paris Seuil coll Fiction amp Cie 1997 p 156 1 Jacques Roubaud La Biblioth que de Warburg p 52 Thieri Foulc Les Tr s Riches Heures du Coll ge de Pataphysique Fayard 2000 Jacques Roubaud La Biblioth que de Warburg p 221 2 Paul Braffort et Walter Henry Crise s d Oulipo Quelques fragments d une histoire mod le Disponible sur paulbraffort free fr La suite de la citation ne manque pas d int r t Po te vous savez que la po sie na t au sein du myst re homme de science que le secret doit r gner tant que la lumi re souveraine n a pas jailli 7 Bernard Magn La Vie mode d emploi texte oulipien dans Bernard Magn Perecollages 1981 1988 Toulouse Presses Universitaires du Mirail Toulouse 1989 p 153 Bernard Magn Le puzzle mode d emploi Petite prop deu
10. e silence et des zones d incompl tude Comme il le fait remarquer quand il d crit sa vie familiale de 1961 Je n en dirai pas plus Je n cris pas une autobiographie Une recherche via Frantext sur les co occurrences de dirai et pas est clairante Je ne dirai pas leur nom je ne vous dirai pas lesquels pour des raisons de s curit mais sur ce point je n en dirai pas plus comme dit l op rette dans ces cas l faut garder le myst re La valeur communicationnelle en l occurrence semi ou partiellement communicationnelle du secret que nous voquions plus haut trouve alors tout son sens Elle est une mani re de refuser la r gle du jeu autobiographique non pas dans un souci affect de transgression ou de posture avant gardiste que Roubaud a en horreur mais pour bousculer la norme au profit d un mod le litt raire in dit celui de la prose de m moire Ce ph nom ne rejoint une tendance plus profonde chez l auteur qui refuse souvent de suivre les codes inh rents aux genres jug s semblent ils trop troits et restrictifs Apr s la po sie et ses moments de repos en prose d Autobiographie chapitre dix la prose de m moire il a invent dans Nous les moins que rien fils a n s de personne une forme nouvelle d autobiographie d velopp e sous forme de vies br ves imaginaires Qu il a qualifi e en bonne logique de multiroman JROO7 est il l agent le pl
11. ieillesse d Alexandre 1978 Paris Ivrea 2000 p 79 8 La clef est du reste donn e dans un autre ouvrage par Roubaud L auteur a fait des r v lations linguistiques d importance sur cet idiome qui demeure toutefois tr s nigmatique Nul encore ma connaissance n a d chiffr cette indication n a pu traduire de Chien Sup rieur en fran ais Jacques Roubaud Nous les moins que rien fils a n s de personne Fayard 2006 p 284 Pierre Lusson Entretien avec Dominique Moncond huy Poitiers La Licorne n 40 1997 p 207 l existence du dissimul tout en le d robant aux regards est une mani re de rendre perceptible cette barri re identifi e parfois par le texte Au moment d crire ce nom je me rends compte que je vais franchir une ligne de d marcation imaginaire certes mais de quelque importance dans mon texte que curieusement j avais jusque l inconsciemment vit de rencontrer la fronti re entre le public et priv Gil 382 C est aussi par voie de cons quence une forme de refus du canon g n rique de l autobiographie Pour Philippe Lejeune le pacte autobiographique implique de dire la v rit toute la v rit rien que la v rit Or Roubaud s il s engage dire la v rit se garde bien de la dire toute Il n est certes pas le premier en cela mais certainement l un des rares revendiquer aussi explicitement cette volont de conserver des poches d
12. ille se d tache de l imagination qui l a port e et prend soudain forme et contour
13. mans policiers britanniques A ce titre il ne peut ignorer la r gle de base du whodunnit l introduction dans le d nouement d informations dissimul es au lecteur est proscrite Il n en demeure pas moins que sa prose qui n est certes pas tout fait un roman policier choisit de m nager d une mani re paradoxalement assez visible des zones de silence des omissions et des prolepses nombreuses pas toujours suivies d effet La r solution de l nigme initiale est donc un horizon incertain Ce qui est certain en revanche est que sa mise en sc ne est le lieu qui r v le une forme de conflit int rieur En effet l hypostase du secret parfois qualifi de violent est flagrante et presque obsessionnelle Mais elle coexiste avec un vident tropisme autobiographique Le rapport la dissimulation telle une double couverture a donc peut tre un enjeu connexe qui est le refus de l inscription dans un genre 2 Pour vivre heureux vivons cach s Le go t du secret qui est celui de Roubaud doit sans doute beaucoup la culture de l occultation pratiqu e par trois groupes dont il est membre ou a eu une bonne connaissance directe ou transitive Bourbaki le coll ge de Pataphysique l Oulipo L une des r gles de Bourbaki le premier mod le si l on peut dire est la clandestinit partir du moment o un Bourbaki est recrut il lui est interdit de signaler cette appartenance Le
14. ments La redondance est flagrante et le lecteur remarque vite que chacun des l ments commence par la m me lettre A B E ou I Il suffit ensuite d explorer les diff rentes combinaisons de constater que sur 24 4 ne sont pas repr sent es dans les listes et de trouver l anagramme absent BAIE D autant que ce dernier est sugg r dans le texte par de multiples p rip ties fruiti res li es la cueillette des myrtilles airelles et la fabrication de compotes Avoir rep r le quatre puis le groupe de Klein permet galement de traduire sans trop de difficult une affirmation faite dans une langue assez peu pratiqu e en Europe le chien ordinaire un groupe de quatre l ments est forc ment commutatif Plus s rieusement en po sie lorsqu il est explicite le nombre joue un r le de t moignage formel Il permet dans le cas o l exploitation de ses propri t s rencontre la m trique de rattacher le texte une tradition occidentale avec l alexandrin ou japonaise avec les unit s m triques de 5 et 7 syllabes du tanka Mais d autres cas la pr sence du nombre est trangement silencieuse la contrainte du cube po tique est r utilis e dans Quelque chose noir avec le chiffre neuf mais aucun paratexte ni aucun commentaire puisque Roubaud a choisi de ne pas s exprimer sur ce recueil n en fait mention Comme l a d clar Pierre Lusson propos de ce recueil Le formel n est pas visible
15. myst re du nom le fonctionnement l g rement tribal les rites sot riques du groupe jouent un r le important dans l attrait que le math maticien polyc phale exerce sur Roubaud Il insiste plusieurs reprises sur le fait que Bourbaki fonctionne comme un groupe secret ou mieux une soci t secr te id 87 voire une secte La d couverte des nouvelles math matiques qu ils proposent crites sous la forme compacte d un trait dans un style passablement lourd a tout du rituel d initiation quelque myst re dont les grands ma tres auraient pour nom Dieudonn Schwartz ou Grothendieck Roubaud raconte s tre r fugi la Biblioth que de la Sorbonne endroit exotique pour un math maticien afin de lire les volumes du Trait car il ressentait la n cessit de disposer d un lieu secret pour s e livrer une 3 Jacques Roubaud Po sie Paris Seuil coll Fiction et Cie 2000 p 237 Tbid p 508 10 Jacques Roubaud La Biblioth que de Warburg p 19 1 Voir r f rence supra 12 Mich le Chouchan Nicolas Bourbaki faits et l gendes Editions du Choix 1995 p 72 Jacques Roubaud La Biblioth que de Warburg p 221 4 Tbid p 87 R Jacques Roubaud Po sie etcetera m nage Paris Stock coll Versus 1995 p 202 activit presque injustifiable sJes propres yeux Sur ce point pr cis Bourbaki rejoint les traits d un autre groupe dont l image
16. quant Exp riment e dans Signe d appartenance elle consiste construire un ensemble en divulguer la structure de mani re rendre visibles les lacunes et les blancs 0 03 Les paragraphes doivent tre consid r s comme ouverts certains textes ne sont pas donn s certains le sont fragmentairement Appliqu la prose le proc d a pour effet de frustrer un peu plus le lecteur en lui annon ant tout ce qu il ne lira pas notamment lorsque les textes sont annonc s impubliables ainsi Math matique ne comporte que 105 chapitres et la Biblioth que de Warburg pour des raisons certes pas tout fait d pendantes de la volont de l auteur nous est offert en version mixte c est dire abr g e Ces coupes ou ces inach vements sont souvent accompagn s de commentaires J ai une raison minemment th orique pour une telle d cision mais je m abstiens de la r v ler ici et renvoie le lecteur la version longue o tout est expliqu longuement Afin de vous faire regretter ce dont le diktat de mon diteur vous a priv ou au contraire vous permettre de vous r jouir du fait que sa sagesse vous a pargn une exp rience p nible je vous offre ici quelque bout de la version longue Plus l g rement le secret peut tre facteur de jeu m me si cette dimension n est pas chez lui la pierre de touche de la litt rature contrainte Roubaud pastiche volontiers et les pseudonymes du cycle de
17. r cel et r ve d y acc der Roubaud se situe cette tape interm diaire la plus int ressante Il nonce clairement de multiples reprises que le secret fait partie int grante de son uvre et m me de son grand uvre et que ce m canisme a inform l architecture de toute sa pens e savoir son Projet dont le principe serait nigme et la strat gie l entrelacement GIL 178 Quelques mots sur cette utopie dont nous aurons reparler En 1961 le jeune math maticien qu est Jacques Roubaud il n a pas encore trente ans d cide de se consacrer un gigantesque projet qui conjuguera math matiques et po sie par le truchement de cr ations nombreuses et planifi es Parmi elles un roman qui devra s intituler Le Grand Incendie de Londres avec majuscules Le grand incendie de Londres avec minuscules revient sur les tapes de cette cr ation le pan proprement m talinguistique voire m tag n tique de cette prose permet de comprendre comment et pourquoi la tentative a chou Le livre nous indique que le secret tait et demeure semble t il le v ritable moteur de l entreprise Le Projet contient une nigme Gil 194 et le roman aurait racont le projet mais avec myst re Gil 196 Roubaud expose ensuite 99 nonc s appel s Axiomes de l nigme et du myst re Gil p 220 sugg rant que l un et l autre sont les piliers de sa construction la base de son savoir
18. s Hortense qui est aussi une satire du microcosme litt raire parisien sont transparents Philibert Orsells Julio Bouddheveau et P querette d Azur Le lecteur un peu moins frustr cette fois a une chance de reconna tre le couple vedette du structuralisme litt raire et la titulaire du Goncourt 84 En revanche La Biblioth que de Warburg mentionne la pr sence d une certaine PCR acronyme qui reste inexpliqu Petite Chose Ravissante et dont on ignore encore sur le plan purement textuel tout au moins qui elle est La premi re conclusion que l on peut tirer de ces observations est l abondance et des proc d s et des occurrences relatifs au secret Roubaud entretient un rapport sp cifique la dissimulation que le terme udique ne nous semble pas le plus m me de recouvrir En effet les enjeux ne rel vent pas forc ment du jeu ou du d sir de cr er une complicit entre initi s ils ont parfois voir avec des exp riences existentielles de grandes souffrance et peuvent crypter des biograph mes sensibles comme le suicide du jeune fr re Autour du r ve il y l an 1961 Et quelque chose que je ne vais pas dire que je n en finirai peut tre pas de dire de ne pas dire je ne sais pas Gil p 15 La deuxi me observation touche l in quit du rapport qu une criture fonctionnant de la sorte installe avec son destinataire En effet le lecteur n a pas toujours les moyens de venir bout de l l
19. tique une lecture m tatextuelle de La Vie mode d emploi de Georges Perec ibid p 33 59 Georges Perec Cahier des charges de La Vie mode d emploi Zulma CNRS Editions 1993 Jacques Roubaud Math matique p 53 champ du nombre et de son l ment constitutif le chiffre nous plongent dans la dynamique de la dissimulation sur un plan plus fonctionnel puisque que celui ci est le principal outil de la cryptographie Roubaud s est servi du nombre dans tous ses recueils et la plupart de ses livres en prose mais ne l a pas toujours fait dans le m me esprit Il a parfois soulign la pr sence d un l ment math matique le nombre de sonnets dans Signe d appartenance le 9 et le 6 dans la pr face de Dors le 31 dans le titre de Trente et un au cube ou comment les propri t s du 12 dans La Vieillesse d Alexandre Dans ce cas le principe qu il dict est op ratoire et les proc dures de d voilement partiel qu il prend soin de m nager par la voie paratextuelle vitent la fermeture de l uvre sur elle m me La Princesse Hoppy exemple ludique s il en est est une bonne illustration de la mani re dont un secret est rendu d tectable Roubaud utilise un groupe de Klein c est dire un groupe de quatre nombres pr sentant certains propri t s entres autres d associativit et de commutativit Pour le signaler il met en sc ne de mani re r currente des syst mes de quatre personnages ou l
20. ucidation faute d l ments d information pour le faire La composante stylistique ach ve de brouiller les cartes il est d ailleurs souvent question du y gen japonais et de son 3 Jacques Roubaud Signe d appartenance Paris Gallimard 1967 coll Po sie 1989 p 8 Jacques Roubaud La Biblioth que de Warburg Paris Seuil coll Fiction amp Cie 2002 p 64 Ibid p 167 grand calme un peu myst rieux Gil 20 voire d un projet de style du myst re r sultant d une composition comme chimique de plusieurs styles Gil 200 En r alit la prose est plus compacte que japonisante Chaque phrase fait en moyenne 33 mots et titre d exemple 11349 parenth ses sont ouvertes mais 11340 seulement referm es La syntaxe utilise la r p tition la circularit l allusion les subtilit s de la logique les doubles apostrophes les parenth ses embo t es et cultive cette complexit Enfin en contradiction avec le propre principe de leur auteur les contraintes utilis es dans l criture ne sont pas toutes divulgu es certaines devant programmatiquement demeurer cach es Les nombres des instants sont galement soumis contraintes mais de ces contraintes je ne dirai rien pr sentement il manque cependant encore mon r cit un aspect essentiel du r sultat que je dirai en terminant cette branche quoique pas compl tement Jacques Roubaud est un grand amateur de ro
21. ur Difficile d tre plus explicite quant l existence d un secret l enveloppe de celui ci nous est livr e si l on peut dire clefs en main sous la forme des devinettes du jeu du pendu Mais en m me temps le processus communicationnel est tr s contr l l auteur s identifie comme p le d mission d signe un p le de r ception le lecteur et anticipe m me sur la forme que prendra la r tro action le fameux sentiment d vidence axiomatique On peut se demander si cet encouragement cette exhortation aller jusqu au bout ne contiennent pas une forme l g re d ironie Car le lecteur qui l on promet ces belles r v lations est perdu depuis longtemps dans la hi rarchie subtile que le livre propose tablit entre secret myst re et nigmes Il ne peut que constater en surface sans jamais en toucher le centre les glissements constants de l un dans l autre sous forme de d gradation d inclusion ou de m tamorphoses le roman traduit l nigme en myst res localis s Gil 199 ou encore l nigme dans le roman chute en myst re Gil p 197 A ce stade il est bien en peine de dire ce que sera ou ne sera pas le Grand Incendie de Londres En revanche il ne saurait passer c t du fait que le secret est quasiment le h ros de l oeuvre Cette strat gie qu il n est pas excessif de qualifier d exhibition rejoint celle que l on pourrait appeler du pion man
22. us secret de Sa Majest la Litt rature On pourrait le penser si l on s en tient aux dispositifs nombreux qui chez lui mettent en sc ne le secret et m me le revendiquent En ce sens un risque r el de rupture entre l uvre et son public existe car le secret toujours ambigu dans sa r ception est une arme difficile manier qui peut segmente r isole r et finir par d truire tout lien social y compris la communication litt raire Ce qui sauve l uvre de Roubaud de la cl ture communicationnelle ou du repli sot rique est la dimension intrag n tique L auteur r serv sur sa vie priv e est nettement plus loquace sur sa mani re d crire il explique volontiers ce qu il fait pourquoi il le fait comment il chemine dans sa vision r flexive de la cr ation Il accepte aussi de d voiler une partie de ses proc d s de composition t moignant l occasion d une volont presque p dagogique de partager connaissance et m thodes de cr ation Il ne faut pas forc ment lire sa mise en sc ne du secret au premier degr comme une d robade sa surexposition paradoxale est en soi une invitation le remarquer et sp culer non sans int r t sur les l ments absents Il peut se r v ler un formidable aimant h ros d un suspens conceptuel Philippe Lejeune Le Pacte autobiographique 1975 Paris Seuil coll Points 1996 p 36 Jacques Roubaud Po sie p 119 Ibid 338 3 J
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