Création et sécrétion Stéphane Dumas Résumé Quel sens y a-t
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1. atrices Le langage est un d passement de la limite corporelle en tant que telle un jeu avec le principe de d lin ation Le fait qu il op re 4 H k bolos Hom re Iliade 48 trad M Meunier Paris Le Livre de Poche 1972 p 1 5 Je me permets de renvoyer diff rents articles que j ai crits ce sujet Les peaux flottantes L corchement cr atif de Marsyas Projections des organes hors du corps A Simon et H Mar chal ed http www epistemocritique org spip php article68 2006 Der Mythos des Marsyas ein Bild Paradigma H utung Lesarten des Marsyas Mythos U Renner et M Schneider ed Munich Wilhelm Fink 2006 The return of Marsyas Creative Skin SK Interfaces J Hauser ed Liverpool University Press 2008 Un livre intitul Les peaux cr atrices dans lequel le mythe de Marsyas tient une place importante est para tre chez Klincksieck Paris 5 lien Histoires vari es 13 21 distance ou proximit est une distinction importante mais qui concerne surtout ses moyens techniques de m diation Ce qui diff rentie les mod les projectif et s cr toire est surtout la place prise respectivement par les modes symbolique ou analogique Le mode symbolique de communication est particuli rement efficace pour la projection distance La t l transmission a toujours cherch des syst mes d encodage plus performants au point d inventer le langage num rique sur lequel es2. cr toire ce qui n te rien sa capacit susciter des mondes par projection symbolique Il s agit d ouvrir un passage du culturel au biologique dans une optique qui s accorde avec la perspective darwinienne d adaptation s lective et diff renciatrice Ce passage de la nature la culture est un glissement dont nous verrons qu il remet en cause leur distinction m me Un mod le s cr toire me para t particuli rement important notre poque o les tendances 2 Pour en finir avec le jugement de Dieu texte radiophonique enregistr en 1947 dition Paris Gallimard Po sie 2008 Voir galement l laboration du concept de corps sans organes par Gilles Deleuze et F lix Guattari dans Mille plateaux 28 novembre 1947 Comment se faire un corps sans organes 3 Antonin Artaud idem majeures de la recherche s appuient davantage sur des mod les projectifs de la cognition souvent appliqu s la cr ation artistique Peau et langage L enveloppe corporelle biologique joue un r le vital dans l organisme dont elle n est pas s parable sauf devenir un artefact La peau est un filtre et un agent dans le comportement interactif de l individu avec son environnement L enveloppe physique varie selon les esp ces animales entre par exemple la carapace squelette externe de la majorit des mollusques et la peau du mammif re entourant un organisme au squelette interne Cette derni re joue la plupart
3. conscience est le monde Entour e d autres conscience elle est un repli dans de plus vastes plis Elle entretient avec le monde une relation de contenu et de contenant la fois Elle est le monde une autre chelle comme dans un dispositif fractal et non comme un microcosme refl tant le macrocosme C est ainsi que la membrane condition de cl ture devient un cerveau monde cho d une certaine fa on de la vision d Antonin Artaud voqu e en exergue de ces lignes l HOMME comme un derme qui marcherait bouclant soi m me son humanit Nous passons ici d un mod le fond sur la repr sentation le monde comme projection et d cryptage d un r el donn dans le cin ma neuronal un mod le fond sur l enaction le sujet percevant et agissant inscrit dans un corps et dans un monde qu il fa onne et qui le fa onne Selon les termes de Varela organisme et l environnement s enveloppent et se d voilent mutuellement La perception n est pas seulement un stimulus d entr e mais une action construisant le monde ph nom nal Maurice Merleau Ponty pour sa part exprimait ainsi cette id e Le milieu Umwelt se d coupe dans le monde selon l tre de l organisme tant entendu qu un organisme ne peut tre que s il trouve dans le monde un milieu ad quat Il en d coule un point de vue particulier sur l volution biologique qui ne saurait se r duire une adaptati
4. quentant une exposition Les mod les s cr toire et projectif dialoguent ici Notre perception distanciatrice de l uvre en tant que sculpture objet est plut t de type projectif alors que les sensations plus intimes provoqu es par sa transpiration sont associ es un r gime s cr toire L impacte du langage de cette uvre repose essentiellement sur l irruption de la dimension s cr toire dans un contexte culturel projectif Projection et langage Le style projectif selon lequel op re le cerveau d apr s certaines mod lisations neurobiologiques comme l espace de travail neuronal conscient propos par Jean Pierre Changeux permet de ne pas envisager le cerveau comme un ordinateur traitant l information selon un mode d entr es et de sorties mais comme un syst me complexe dou d une activit spontan e modul e par son interaction avec l environnement La conscience proc derait par synth ses associant des r seaux d activit neuronale soit en partant du bas vers le haut comme dans le cas d une perception sensorielle se constituant partir de microsensations soit du haut vers le bas comme lorsque des processus culturels sont mis en jeu notamment les motions esth tiques ou les raisonnements rationnels La perception op re par projection d un stimulus sur une ou plusieurs zones du cerveau L espace de travail neuronal conscient se constituerait par la stabilisation progressive des communications s
5. Cr ation et s cr tion St phane Dumas ESAAD Paris LETA CRE universit Paris 1 Panth on Sorbonne R sum Quel sens y a t il distinguer nature et culture Dans quelle mesure les champs de la cr ation artistique et de l esth tique peuvent ils tre abord s selon des mod les biologiques Un mod le qui se r f re la s cr tion cutan e est propos dans ces pages Il se d marque de ceux bas s sur la projection distance largement r pandus l heure actuelle notamment dans le domaine cognitif Impliquant une critique du concept de repr sentation ce mod le s cr toire appliqu la cr ation artistique et l exp rience esth tique a le souci de ne pas r duire cette derni re des processus ayant lieu dans le seul organe c r bral En prenant appui sur les propri t s d une peau vivante ce mod le met en avant les concepts de cerveau corps et de cerveau monde Une peau qui marche car avec luit HOMME est seul et raclant d sesp r ment la musique de son squelette sans p re m re famille amour dieu ou soci t Et pas d tres pour l accompagner Et le squelette n est pas d os mais de peau comme un derme qui marcherait Et l on marche de l quinoxe au solstice bouclant soi m me son humanit Antonin Artaud Le Rite du Peyotl chez les Tarahumaras Cette note a t ajout e par Antonin Artaud son texte Le Rite du Peyotl chez les Tarahumaras crit pendan
6. biology and Aesthetics are Linked www warrenneidich com 11 Jean Pierre Changeux Raison et plaisir Paris Odile Jacob 1994 12 Jean Pierre Changeux Du Vrai du Beau du Bien Une nouvelle approche neuronale p 514 13 Voir ce sujet Nicole Karafylliset Gotlind Ulsh fer ed Sexualized Brains Scientific Modeling of Emotional Intelligence from a Cultural Perspective Cambridge MA MIT Press 2008 en question ou cet cart par rapport aux formes culturelles dominantes Convoquons nouveau la peau qui marche voqu e par Antonin Artaud au d but de ces lignes Elle nous sert d antidote contre la tentation d une conception d un progr s ou d une volution par trop lin aires S il repose sur des propri t s physiologiques cutan es le mod le s cr toire voqu dans ces pages est avant tout bas sur l analyse d uvres d art et d tats de conscience associ s des exp riences esth tiques Il s agit d un outil pour penser l art et son r le en dialoguant avec la biologie et non pour expliquer le premier en projetant sur lui de soi disant universaux tir s de la seconde r gles permanentes cens es d montrer l efficacit esth tique de certaines formes d art Le fait que leur efficacit esth tique permette des uvres de franchir les si cles est il d ce type d ad quation des r gles identifiables par les neurosciences Je pense qu il provient plut t d une capacit que poss den
7. du temps le r le d interface sensible et fragile avec le monde externe sur toute la surface de son corps Certaines esp ces se diff rentient l int rieur de ces grandes cat gories comme les mollusques ayant d laiss leur carapace ou les mammif res ayant d velopp une carapace par ossification de leur enveloppe corporelle En plus d tre le plus grand organe sensoriel la peau m nage dans la superficie corporelle des orifices par lesquels les autres organes des sens permettent un contact diversifi avec l environnement C est travers des interfaces membranaires qu ont lieu les perceptions peau pour le toucher r tine et pith lium pigmentaire pour la vue tympan et membranes de la cochl e pour l ou e pith lium olfactif pour l odorat et papilles gustatives pour le go t Si le toucher mais aussi le go t op rent dans la proximit d un contact l odorat l ou e et surtout la vue peuvent fonctionner dans la distance mettant m me profit l loignement de l objet de la sensation La peau n est pas seulement un organe Elle est galement un r gime de d lin ation la limite par laquelle un corps s individualise l enveloppe qui donne sa coh sion un organisme La membrane biologique est l un des l ments majeurs permettant la diff renciation du vivant En tant que superficie d limitant un corps elle est le support de son image La peau a donc un statut particulier dans les processu
8. e les r seaux neuronaux du cerveau d pendent d une condition de cl ture op rationnelle Cette cl ture est la d lin ation d un syst me dou d autonomie qui suppose un cart entre une conscience et le monde Cet cart signifie que la relation entre ces r seaux et le monde n est pas une pure relation de cause effet Mais cela ne signifie par pour autant que cette relation repose sur des repr sentations et des projections distance Le point crucial est que ces syst mes n op rent pas par repr sentation au lieu de repr senter un monde ind pendant ils enactent un monde comme domaine de distinctions ins parables des structures incarn es dans le syst me cognitif La conscience n est donc pas une repr sentation d un monde pr donn refl t et d cod par nos capacit s cognitives m me de fa on fragmentaire comme travers un miroir bris Elle est une action qui joue le monde comme en un grand th tre baroque Cela ne signifie pas que le monde ne soit qu un solipsisme ni que la conscience soit seule du fait de sa cl ture L angoisse de cette solitude d coule d une vision reposant sur la dualit sujet objet Elle appara t avec le besoin d valuer objectivement le monde d un point de vue distant certes subjectif mais le plus immuable ou universel possible le besoin d un cogito Si la conscience n est pas seule et si le monde n est pas un solipsisme c est parce que la
9. e peau comme un derme qui marcherait bouclant soi m me son humanit Faire de la peau l agent d une m taphore de la destin e humaine n est pas anodin surtout de la part de l inventeur du corps sans organes La peau est pr cis ment le plus grand organe corporel travers cette m tonymie un seul organe prend donc la place de la personne humaine dans sa totalit qui plus est pour accomplir son humanit Mais ce que rejette Artaud avec le corps sans organes ce n est pas tant les organes eux m mes que l organisme Son anatomie m taphysique ou plut t son autopsie rituelle met donc en sc ne une peau qui n est pas un organe faisant partie d un organisme mais une peau d piaut e qui marche et se trouve par cons quent dou e d une enti re autonomie par rapport l organisme qui l a produite Cet organe corps est la pr figuration d un corps sans organes d livr de tous les automatismes d un corps conscience Dans le pr sent article cette peau qui marche joue le r le d initiatrice pour entreprendre une travers e partir de l enveloppe corporelle biologique vers ce que je nomme les peaux cr atrices mod le de recherche s appliquant la cr ation artistique fond sur certaines propri t s physiologiques de l enveloppe corporelle dont la s cr tion qui sera plus particuli rement abord e ici Je soutiendrai donc que la cr ation artistique op re selon un r gime s
10. el s tend au groupe social et aux g n rations suivantes travers les transmissions culturelle et g n tique Nos interfaces m diatiques depuis la toile du peintre jusqu l cran d ordinateur sont les v hicules de ces diff renciations culturelles L laboration des grands syst mes de repr sentation plastique travers l histoire de l art pourrait suivre ce processus Et m me l ex cution d un tableau par t tonnements et repentirs successifs jusqu l ad quation entre l intention initiale et la forme enfin trouv e a t interpr t e selon un processus de s lection naturelle des contenus formels disponibles dans la m moire de l artiste Cette mani re de rabattre le culturel sur le biologique si tant est que la distinction entre ces cat gories ait un sens est certes clairante bien des gards Mais qu apporte t elle vraiment l esth tique dans son approche du ph nom ne cr atif et des exp rience esth tiques en tant qu tats de conscience sp cifiques Le r le des exp riences esth tiques dans la mise en uvre d un espace de travail neuronal conscient reposerait sur leur efficacit op rer des synth ses entre des l ments cognitifs et motionnels vari s Les succ s de ces processus pig n tiques entra neraient leur transmission g n tique travers les g n rations Selon Jean Pierre Changeux le Beau serait ainsi v hicul sous la forme de synth ses singuli
11. hes ph nom nologique et ontologique des exp riences esth tiques avec les d couvertes de la biologie notamment celles de la neurobiologie reste encore largement inventer Le mod le s cr toire qui vient d tre esquiss est une tentative dans ce sens Il contrebalance le mod le projectif si g n ralis notre poque L interface cutan e est un support pr cieux tant par sa position de limite d une personne que par sa capacit percevoir sur toute la surface corporelle mais aussi par sa porosit qui lui conf re ses potentialit s absorber s cr ter et maner Elle est galement pr cieuse en ce sens qu elle nous permet de ne pas cantonner l exp rience v cue un certain nombre d op rations c r brales ex cut es distance du monde mais offre un support aux notions de cerveau corps et de cerveau monde La place rare et singuli re tenue dans l histoire de l art par le motif de la peau d piaut e devenue autonome par rapport au corps tout en restant vivante est un indice de ce cerveau monde dont la pr sence se retrouve maintenant de fa on diffuse dans la plupart de nos interfaces m diatiques de type cranique Ne le laissons pas d river vers une d mat rialisation et une abstraction toujours accrues Son r gime s cr toire met en uvre sa corpor it indispensable son activit cr atrice
12. ifie pour prot ger les noyaux des cellules pidermiques entra nant un changement de teinte de la peau Chez certains animaux les cellules porteuses de m lanine sont capables de changer enti rement l apparence du corps soumis des stimuli Elles peuvent g n rer des camouflages et des signaux indiquant une motion ou un changement de temp rature Des agents pathog nes immunitaires peuvent m me tre encapsul s avec les pigments La transpiration pour sa part est une s cr tion perceptible la vue au toucher l odorat et m me au go t Elle permet entre autres d liminer une part des toxines de r guler l hygrom trie et de maintenir la temp rature corporelle un certain degr Les glandes sudoripares livrent passage la sueur de diverses mani res Certaines l expulsent travers un canal d bouchant par un pore D autres lib rent une substance plus paisse contenant une part du mat riau glandulaire Ce processus participe aux caract res sexuels ph romones Outre la sueur la peau g n re des s cr tions grasses comme le s bum qui entretient la plasticit cutan e L exc s de s bum dans les glandes s bac es g n re des com dons parfois appel s vers de peau qui forment de petites excr tions lorsqu on les jecte par pression Les s cr tions les plus visibles et les plus paisses sont produites par les muqueuses La peau n est donc pas un simple bord mais un milieu un entre deu
13. ivil gi de l empathie comme miroirs de l me et reflets des tats psychologiques V ritable m tonymie de la personne le visage est la partie du corps la plus culturelle La question de savoir si la reconnaissance des visages est encod e de fa on inn e et g n tique ou si elle est acquise travers une construction sociale et relationnelle complexe mais pr coce me para t de peu d int r t ici Par contre une autre question me semble valide le visage n est il pas avant tout un cran sur lequel nous projetons nos id es sur l autre N est il pas la projection par excellence Il ne faut surtout pas confondre ici image et figure Cette derni re entendue par opposition au visage est une configuration qui n existe pas a priori comme le serait le visage dont la reconnaissance serait programm e g n tiquement mais a posteriori Le statut artistique de la figure consiste en un fait qui fait irruption un surgissement de la forme en train de se constituer et non une rh torique formelle bas e sur un lexique pr tabli Selon cette acception la figure est une pr sence laquelle on ne s attend et ne s habitue pas agissant directement sur notre syst me nerveux Par sa dimension haptique la figure est dot e d une peau ce qui n est pas forc ment le cas d un visage en tant qu cran de projection Nous touchons ici un domaine de l esth tique qui semble se rapprocher de la neurobiologie Le champ d ex
14. nts modes de perception du toucher la vision en passant par l ou e l odorat et le go t Certains r gimes de langage op rent plut t dans la proximit par contact directe d autres fonctionnent davantage par projection distance et travers une symbolique Dans la mythologie grecque Apollon est le dieu du ogos le porte parole de Zeus c est sa fonction mantique L un de ses surnoms est Apollon dont le trait porte loin Ses deux attributs sont l arc et la cithare Cette derni re n est pas moins efficace que le premier lorsqu il s agit de porter au loin sa parole po tique Ce paradigme de la projection symbolique distance fonde le mod le projectif du langage tr s usit dans de multiples domaines La raison d tre d un mod le s cr toire qui se distingue du mod le projectif est d attester de la corpor it de toute langue notamment dans la cr ation artistique Cette opposition qui est parfois une compl mentarit a t mise en sc ne par la mythologie grecque travers le duel musical opposant Apollon et Marsyas Dans ce mythe le dieu corche vif son rival l issue de la comp tition La peau animale d piaut e du satyre musicien est expos e et r agit de fa on intelligente et diff renci e la musique jou e dans son voisinage Elle frissonne mais seulement lorsqu on interpr te la musique compos e par Marsyas Elle devient un paradigme de ce que je nomme les peaux cr
15. o fournie par l artiste Ce robot rejoue le processus physiologique de la transpiration Sa raison d tre n est pas exp rimentale et l interaction qu il permet n occasionne pas de consid rations comportementales complexes concernant l intelligence artificielle Sa capacit s cr toire n a pas t con ue pour apporter des r ponses diversifi es voire impr vues en fonction des situations et des excitations transmises par sa peau Son cerveau n a pas t programm avec des algorithmes compliqu s Les comportements vari s provoqu s par cette interaction ont plut t lieu au sein du public En cela cette uvre est davantage une sculpture qu un robot Sa dimension tactile et sa capacit transpirer instaurent un rapport intime entre le public et l uvre La pr sence visuelle de cette sculpture se complexifie lorsqu on s aper oit qu elle g n re une s cr tion Le fait qu un artefact qui plus est une uvre d art se mette transpirer remet en question de fa on troublante notre conception d une uvre en tant que produit culturel Son aspect sculptural minimaliste forme un contexte permettant l efflorescence de son v ritable langage silencieux et peine perceptible celui du suintement La surface bomb e d Alexitimia est donc l interface o se rencontrent une s cr tion sortie de son paisseur opaque et les projections de nature culturelle qui accompagnent les regards du public fr
16. oire pr sent dans ces pages est bas sur la contamination la diss mination et le brouillage plut t que sur la repr sentation projective sur l hybridation plut t que la puret sur la d rive plus que sur une volution programm e Il para t difficile d exp rimenter et de v rifier par des exp riences scientifiques les hypoth ses sur lesquelles repose ce mod le Mais cela ne signifie pas que ces exp rimentations et leur reproductibilit soient impossibles surtout l heure o la science s aventure dans des domaines o ses rep res sont reconsid r s et refond s en permanence Le dialogue entre l art et l esth tique d une part et la science de l autre porte beaucoup sur la question des rep res Il achoppe parfois sur des probl mes de protocoles d exp rimentation qui n arrivent pas cerner les sp cificit s des exp riences esth tiques au sein du champ de la perception en g n ral J ai tent ici de m inscrire dans un courant de recherche capable de dialoguer avec la neurobiologie et plus largement la biologie mais partir d un terrain radicalement diff rent celui de l exp rience v cue dans ses dimensions perceptive motionnelle rationnelle et tout particuli rement esth tique Parmi les exp riences v cues et les ph nom nes de conscience les exp riences esth tiques jouent un r le la fois singulier et r v lateur sur un plan cognitif Une esth tique faisant dialoguer les approc
17. on au maximum d efficacit possible dans la relation entre un organisme et son environnement L adaptation et la s lection naturelles aboutissent la plasticit du vivant plut t qu une optimisation maximale selon un sch ma 14 Francisco Varela Evan Thompson et Eleanor Rosh L inscription corporelle de l esprit Sciences cognitives et exp rience humaine Paris Seuil 1993 p 200 15 Idem p 298 6 Maurice Merleau Ponty La structure du comportement 1942 Paris PUF 1977 p 12 pr tabli une efficacit garantie par des r gles pr programm es Cette plasticit des syst mes biologiques s accorde avec des mod les cognitifs d territorialis s sous forme de r seaux tissant une intelligence p riph rique chappant l exclusivit d une centralit pyramidale Varela exprimait cette conception de l volution du vivant par l expression de d rive naturelle L volution en tant que d rive naturelle est la contrepartie biologique de la cognition entendue comme enaction Le mod le projectif suppose un regard capable d op rer une mise au point une vis e La notion de point de vue et d ajustement lui est indispensable Le point de vue est le lieu du sujet alors que la vis e d signe celui de l objet en le mettant distance Ce type de regard que j appelle le regard pr dateur cr e une situation de face face distanciatrice et objectivante Rosalind Krauss voque ce dispo
18. p rimentation de la neuroesth tique se constitue surtout en menant des exp rimentations neurobiologiques concernant les perceptions d uvres d art les motions qu elles procurent et les tats cognitifs qu elles g n rent Cette application de lois du fonctionnement neuronal aux exp riences esth tiques claire grandement les champs de la perception ce qui n est pas rien pour l art et singuli rement pour certains artistes auxquels elle fournit de pr cieux outils de cr ation Le fait de r duire l exp rience esth tique l tude du fonctionnement de l organe c r bral permet de distinguer dans les champs de la perception et de la cognition certains processus neuronaux sp cifiques aux tats cognitifs associ s certaines exp riences esth tiques Les exp riences esth tiques et plus sp cifiquement celles li es l art associent avec une grande efficacit des processus cognitifs que la raison tend mettre en uvre s par ment Ce fait n est videmment pas une d couverte des neurosciences Mais l apport de la neurobiologie est pr cieux pour appr hender les m canismes pig n tiques l uvre dans le d veloppement d une culture Le principe de s lection naturelle explique la mani re dont certains circuits neuronaux se d veloppent par la fr quence de leur activation en relation avec certains champs r cepteurs alors que d autres tombent en d su tude Ce qui se passe au niveau individu
19. res et harmonieuses entre motion et raison qui renforceraient le lien social Toutefois les synth ses op r es par les motions esth tiques qu elles aient lieu sous le r gime du Beau ou sous d autres r gimes ne sont pas seulement des moteurs pour les processus d mergence et de stabilisation des formes culturelles dominantes Les mod les de l pigen se ne nous pr sentent pas un d veloppement cognitif lin aire de la personne mais au contraire une diversification par les choix qui sont op r s Pas plus que l esth tique la neurobiologie n a pour vocation de promouvoir un mode op ratoire permettant l augmentation syst matique des performances cognitives par un entra nement encadr sur le plan socioculturel en vue d associer de fa on programm e motions et raison affects et concepts Le darwinisme culturel doit se pr server de cette tendance Si l art participe fortement d une et une culture n est il pas cependant vital d explorer en quoi il s en distingue L art n est pas le lubrifiant permettant aux rouages culturels et cognitifs de tourner sans coups et l esth tique n est pas le mode d emploi de cette m canique bien huil e Au contraire l art a souvent jou le r le du grain de sable dans le rouage et l esth tique a relay cette remise 10 Warren Neidich parle d ergonomie visuelle et cognitive Visual and Cognitive Ergonomics Formulating a Model through which Neuro
20. s de repr sentation Sa capacit transmettre l information soit vers le syst me nerveux central soit vers l environnement fait de l enveloppe corporelle le si ge d une sorte d intelligence p riph rique Sa plasticit n est pas sans analogies avec celle du cerveau Certaines cellules cutan es fusionnent avec les cellules nerveuses La situation p riph rique de l enveloppe corporelle en fait une sorte de cerveau tendu du fait de sa double nature d organe et de bord du corps Aux avant postes de l organisme elle est une interface diff renci e entre sa surface externe support de perceptions et d identit et son paisseur interne zone de sensations c nesth siques C est travers son paisseur et gr ce sa porosit qu ont lieu certains changes vitaux pour l organisme La perspiration d signe les transferts ayant lieu de mani re invisible La respiration cutan e est indispensable l esp ce humaine et certains animaux ne respirent qu travers leur t gument L absorption de substances en provenance de l environnement est essentielle l organisme Des cellules immunitaires sont r parties dans les tissus pith liaux afin de n autoriser leur franchissement qu certains l ments La p n tration des rayons ultra violets permet la synth se de vitamines v hicul es par le sang gr ce la m lanine qui joue un r le de capteur solaire Sous l action du soleil cette derni re s opac
21. sitif par lequel sujet et objet sont mis en position de r ciprocit et constitu s en p les d unification le moi unifi une extr mit son objet l autre Lacan a nomm ce dispositif le g om tral et identifi les lois de sa perspective l assomption du sujet cart sien A propos de l uvre de Cindy Sherman et du regard port par cette artiste sur le monde et sur elle m me travers ses autoportraits photographiques Rosalind Krauss voque une autre sorte de regard non pas un point g om trique le point de vue d un cogito mais une tache qui se dilue et dont la d lin ation par rapport au monde environnant est poreuse Mais le Regard tel un halo irradiant advient au sujet de tous les c t s faisant de lui une tache plut t qu un cogito une tache qui s identifie l image du monde s pand en lui s y perd en devient la fonction une sorte de camouflage Un sujet qui est une tache plut t qu un cogito pratique ce que je nomme un regard nomade Ce regard absorbant et diffusant qui advient au sujet de tous les c t s est une condition de pratique artistique et un r gime esth tique Une perspective s cr toire 17 Francesco Varela et al ibid p 253 18 Rosalind Krauss Le destin de l informe dans Yves Alain Bois et Rosalind Krauss L informe Mode d emploi Paris ditions du Centre Pompidou 1996 p 230 1 Rosalind Krauss idem Le mod le s cr t
22. t ces uvres s cr ter des situations dans lesquelles le public recr e l uvre partir de sa double nature d objet et de processus La cr ation artistique n est pas seulement une projection sur le plan du tableau quel que soit son support mat riel d un th tre d l ments s lectionn s par l artiste partir d un stock disponible en vue de se conformer un dessein ayant pr alablement germ dans son esprit De m me la r ception de l art n est pas seulement la projection d un public r alisant petit petit l intention de l artiste travers les formes qu elle a prises entre trouble et plaisir entre motion et compr hension intellectuelle Cr ation et r ception artistiques pourraient aussi bien tre de l ordre d une s cr tion au cours de laquelle les formes ne se stabilisent pas par ad quation un sch ma pr tabli par harmonie avec un cosmos mais au contraire en brouillant la forme a priori en contaminant la puret de la surface ou de la trajectoire et en faisant na tre des mondes improbables La r ception de l art tiendrait autant de la contamination que de l empathie La communication intersubjective qu elle est sens e favoriser s apparenterait un contact tactile une porosit ou un change de peaux Conscience et repr sentation Selon Francisco Varela et ses collaborateurs les r seaux biologiques autonomes c est dire capables de s auto organiser comm
23. t fond e l informatique Le mode analogique pour sa part conserve une part de contacte dans la proximit Il fonctionne plut t la mani re d une empreinte physique Les deux se m lent dans nos cultures L uvre d art que je vais maintenant voquer est un exemple de cette rencontre S cr tion et langage Le terme alexithymie d signe l incapacit communiquer autour de ses propres motions Une personne atteinte de ce handicape ne peut identifier ses propres sentiments ni par cons quent en parler les partager les comparer ou les valuer Lors d un conflit motionnel elle ne pourra donc ext rioriser son tat par le langage verbal Tr s souvent ses tensions psychiques se manifesteront travers des sympt mes psychosomatiques dont beaucoup apparaissent la surface de la peau Sans tre pour autant alexithymique toute personne sous le coup d une motion forte peut pr senter des manifestations psychosomatiques comme l ryth me pudique ou la transpiration excessive La sculpture robotique intitul e Alexitimia a t con ue par l artiste Paula Gaetano Adi la fois comme une sculpture organique et comme un robot lectronique En tant que sculpture elle se pr sente comme une forme h misph rique irr guli re et souple constitu e d une mati re voquant la peau plac e sur un socle parall l pip dique de section carr e en acier inox L ensemble est g n ralement pos au sol et mes
24. t son s jour l asile d ali n s de Rodez Elle a t r dig e plus de dix ans apr s que l auteur ait t initi au rite du Peyotl par une tribu indienne du Mexique Dans ces lignes Artaud voque une singuli re figure du destin humain entrevue lors de son exp rience d initiation Le sens donn la destin e humaine est de l ordre du rituel Pour accomplir ce rituel lHOMME est seul sans accompagnement ni parent Il s agit du Peyotl consomm dans le cadre du rite initiatique des Tarahumaras Antonin Artaud Le Rite du Peyotl chez les Tarahumaras Les Tarahumaras Gallimard Folio Essai 2007 note p 36 ni g n alogie ni caution transcendante sous la forme d une quelconque figure tut laire Ni m me sans lien causal d volution apparentant l esp ce humaine d autres esp ces animales pouvant ainsi conf rer une finalit son histoire son appartenance initiale au r gne animal prouvant par l m me sa capacit le d passer Dans ce rituel l HOMME est INN et dou d une conscience la fois atavique et personnelle Plus encore que dans son cerveau cette conscience ancestrale et individuelle se stratifie dans son squelette ou plut t dans sa peau Il n y a aucun rapport entre cet accomplissement rituel et un humanisme moderne Ici l HOMME n est ni l lu de Dieu ni le sommet rationnel de l volution biologique Ce rituel est accompli par un
25. ure peu pr s un m tre de haut L l ment souple s apparente au langage organique de nombreuses sculptures en latex apparues d s les ann es 1970 Il est d pouill pos sur son socle d acier comme un organe autopsi dans un r cipient aseptis d une taille insolite Si l on s accroupit pour l observer de plus pr s on est tent de le toucher Sa forme bomb e comme celle d un sein invite la caresse Sa surface souple s incurve alors sous la pression puis reprend doucement son volume initial Assez rapidement un ph nom ne incongru appara t des gouttelettes perlent la surface qui devient luisante Si la palpation se prolonge le ph nom ne se propage et la forme s humidifie de 7 Paula Gaetano Adi Alexitimia 2007 http www paulagaetano com ar parts alexitimia Alexitimia htm plus en plus Lorsque cesse l exploration tactile le suintement diminue puis s arr te Ce ph nom ne est d la nature robotique de la sculpture Des capteurs sensibles la pression sont plac s dans l paisseur du d me de peau incorpor s dans le latex Lorsqu ils sont activ s ils d clenchent le processus de s cr tion gr ce des pompes puisant de l eau dans un r cipient situ dans le socle et l injectant dans des tubes tr s fins noy s dans l enveloppe Un bo tier lectronique permet de r gler l interaction entre la captation tactile et l excr tion Paula Gaetano Adi Alexitimia 2007 Phot
26. x Elle h berge d ailleurs une flore et une faune diverses et riches qui participent la r gulation des changes entre l organisme et son environnement au point que l on parle d cologie cutan e Elle est galement un support de signes Certains sont symptomatiques d un tat interne changement physiologique comme dans le cas de l acn li la pubert ou purement psychologique comme pour l ryth me pudique rubescence qui peut tre due la seule motion D autres forment de v ritables critures comme les traits d un visage Ces traces cutan es peuvent devenir des messages adress s d autres individus La peau est peut tre le premier support d une culture tatouage et d corations corporelles Le t gument animal est parfois l instrument de comportements dont on peut se demander s ils n auraient pas un caract re culturel Les s cr tions physiologiques et le langage sont ils des processus vraiment distincts Ce dernier fait partie des projections distance permettant de d passer les limites physiques d un individu gr ce l envoi et la r ception de messages Plus ce langage s ins re dans une culture et plus il est investi d une symbolique c est dire d un syst me de codes partag s par une communaut et permettant de faire des r f rences plus ou moins complexes des choses qui ne sont pas directement pr sentes Les v hicules du langage sont divers visant diff re
27. ynaptiques et par le d veloppement de r seaux neuronaux s appuyant sur la croissance de fibres neuronales particuli rement actives La r cente discipline de la neuroesth tique s int resse aux corr lats neuronaux des exp riences esth tiques Elle met en valeur la notion de r compense mise en uvre par des neurones r gles qui permettraient la s lection de certaines formes esth tiques gr ce au plaisir qu elles procurent La capacit d empathie est particuli rement tudi e notamment propos des neurones miroirs Cette facult se projeter dans l autre repose sur la capacit d attribution aux autres des tats mentaux que nous pensons reconna tre et auxquels nous pouvons nous identifier Les expressions du visage sont un 8 L artiste Ann Hamilton a con u un mur qui pleure qui a t expos au Mus e d Art Contemporain de Lyon en 1997 Une autre uvre relevant de la pratique corporelle est bas e sur le langage de la lenteur et de la s cr tion Il s agit de Bleu Remix de Yann Marussich au cours de laquelle l artiste performer transpire une substance de couleur bleue Cette performance a t montr e notamment dans le cadre de l exposition Sk interfaces con ue par le commissaire Jens Hauser Th orie de l espace neuronal conscient Dehaene Kerzberg et Changeux pr sent e par Jean Pierre Changeux Du vrai du beau du bien Une nouvelle approche neuronale Paris Odile Jacob 2008 medium pr
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