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Untitled - Fondation Nestlé France

1. pour socialiser les enfants dans le rite du moins pendant les vacances de l ap ritif On s invite parents et enfants entre voisins c est ainsi qu on fait connaissance cette occa sion a montr Val rie Adt les enfants consomment un soda ou un Coca exceptionnel et ces petites choses qui accom pagnent l ap ritif des grands Verbatim Un bon repas entre amis c est typiquement francais Cette commensalit est tellement inscrite pour nous dans l acte de manger qu elle s tablit m me entre quasi inconnus J ai le souvenir de ce jour o nous faisions une tude dans une cole maternelle Nous tions l plusieurs chercheurs dont un certain nombre ne se connaissaient pas auparavant la pause d jeuner les enfants ont quitt la salle de classe et chacun des chercheurs a sorti son sandwich Mais avant ils ont r uni plusieurs tables et se sont assis ensemble autour Le spectacle tait assez cocasse C taient des tables de maternelle mais surtout r v lateur II faisait beau certains auraient pu manger dehors dans la cour o il y avait des arbres des bancs Pas question propos de cette commensalit et de ses vertus j ai fait une exp rience dont je garde un souvenir tr s vif et d ailleurs tr s chaleureux 60 FONDATION NESTLE FRANCE A la suite d un malentendu horaire alors que j avais rendez vous avec un seul de ses membres lequel en outre a
2. La Culture alimentaire fran aise l urgence de la transmission par la soci t Le Terrain sp cialis e dans ce type d tudes Elle fera l objet d une analyse ult rieure plus d taill e ENTRETIENS AVEC CLAUDE FISCHLER La Fondation Nestl France s est donn comme devise Man ger bien pour vivre mieux Et elle s est dot e d un Comit scien tifique de m decins chercheurs et experts en nutrition et di t tique Quant a ses petits d jeuners d bats ils recoivent entre autres de tr s grands praticiens p dopsychiatre endocrinologue sp cialistes du m tabolisme Faut il vraiment convoquer tant de comp tences pour analyser ce qui est quand m me avec respirer et dormir un des actes les plus basiques de l existence humaine Il est vrai qu on entend beaucoup aujourd hui dire qu il faut apprendre a manger Et il est vrai aussi que le petit d homme vient au monde avec tout a apprendre il lui faudra de longues an n es pour acqu rir de l autonomie Mais l expression apprendre a manger n a plus le sens que devaient lui donner nos lointains anc tres c est a dire apprendre a trouver de la nourriture dans un environnement a la fois hostile et parcimonieux Non d sor mais apprendre a manger ce serait plut t apprendre a choi sir dans une offre surabondante mettre de l ordre dans ce chaos alimentaire o tout est mis en uvre pour s duire les mangeur
3. des quantit s de mati res grasses qui l auraient conduite encore plus t t l ob sit dont on sait qu elle pr vaut dans sa population Cela dit ces exp riences ont laiss un vrai souvenir leur suite a t men e une r flexion sur la restauration collective en parti culier dans les h pitaux de Boston et a t cr e une discipline universitaire Home Economics conomie domestique 7H Levenstein Revolution at the Table The Transformation of the American Diet Oxford University Press New York 1988 MANGER MODE D EMPLOI 47 Un paradoxe demeure voila cent ou cent cinquante ans que aux Etats Unis on se pr occupe tr s s rieusement des questions de nutrition et ce pays est celui qui a la plus grande pr valence d ob sit Faut il comprendre que la responsabilit en serait une ex cessive m dicalisation de l alimentation Pour partie sans doute II suffit d aller aux Etats Unis et de suivre les d bats sur les pratiques alimentaires d observer les comportements pour tre frapp par le fait qu on n y parle plus d aliments mais de nutriments C est devenu tellement pr gnant mentalement que si l on prend des Am ricains et des Fran ais et que comme nous l avons fait on leur demande Des trois mots suivants p tes pain sauce associez les deux qui vous semblent aller le mieux ensemble les Fran ais diront p tes et sauce
4. la libert constitutive de la soci t d mocratique Quant la notion de responsabilit elle les conduit estimer que leur sant d pendant de la somme des bonnes d cisions c est dire fond es en science et en raison qu ils sauront prendre titre individuel il appartient chacun d tablir sa formule et de s y tenir Ou d en assumer les cons quences Ce qui mais on y reviendra certainement pose en des termes tr s diff rents des n tres leur rapport aux repas pris en semble Ainsi il ne paraitra pas n cessairement incongru pour ne pas dire d plac un Am ricain invit par des amis voire par de simples relations de passer la veille un coup de t l phone pour informer qu il mange absolument sans sel et que sa nou velle compagne est strictement v g tarienne En France et dans d autres pays europ ens une telle attitude n est pensable qu entre tr s proches et encore avec des raisons tenues pour parfaitement l gitimes Sinon refuser un plat est une n gation MANGER MODE D EMPLOI 49 de l h te parce que en France manger ensemble met en jeu une relation communielle alors qu aux Etats Unis cette relation est contractuelle Et dans le contrat l individu ne se dissout pas dans la communaut manger demeure fondamentalement dans la sph re de l intime Ces differences sont loin d tre anecdotiques on le verra il y a tout lieu de pen
5. multan ment me semble t il vous sugg rez que l id e se lon laquelle l enfant naissant est une page blanche sur laquelle il suffirait des parents bien inform s d inscrire la bonne quation est un peu courte Pour ne rien dire de la sugges tion implicite de mettre tr s t t sur la table et en pr sence du jeune enfant un cog au vin ou une blanquette de veau Je ne vois vraiment pas o serait le probl me J ai pour ma part t tr s t t expos a une excellente blanquette de veau et le go t m en est rest tr s vif Une pr cision toutefois contrairement a une idee recue acqu rir un go t est plus difficile que d velop per une aversion faut du temps comme nous l avons vu celui de la familiarisation de l exp rience En revanche il suffit d une seule mauvaise exp rience une indigestion une naus e une exp rience r pugnante pour en garder un d go t durable Ce qui me para t tr s trange c est ce pr suppos selon lequel apprendre a manger consisterait acqu rir les rudi ments de la nutrition avec une arithm tique des calories et un bilan des apports de nutriments lipides glucides prot ines y a ou il y a eu une nutrition na ve qui a sembl croire qu on pouvait en somme remplacer la cuisine par la nutrition Mais ce que nous mangeons vous et moi ce ne sont pas des nutri ments ce sont des aliments ou des plats ou des repas ou une cuisine
6. repas avait disparu derri re la nutrition A propos de l alimentation ce qui est pris en charge par les m decins les m dias et m me par les enseignants c est 40 FONDATION NESTLE FRANCE toujours un discours nutritionnel un discours de sant Ou de puis quelque temps comment tre un bon consommateur En somme on oscille entre l individu pr sum autonome rationnel et responsable et le citoyen soucieux d enjeux glo baux comme le commerce quitable l environnement O est pass le convive Encore faut il pr ciser que si cette dimension collective para t aujourd hui minor e dans des discours prescriptifs centr s sur la nutrition c est bien loin d tre le cas dans l image que se font les Fran ais de leur culture alimentaire Tous les sondages toutes les tudes le montrent ce qui les singularise c est qu un bon repas est pour eux impensable sans cet l ment fonda mental qu est la convivialit La notion toujours voqu e appara t comme un m lange de plaisir d tre ensemble de go t du partage et de l change autour d un repas pris en commun Et elle pr vaut dans la d finition du bon repas sur tout y compris la qualit de la nourriture L unanimit est telle dans cette reconnaissance des vertus de la convivialit que ce n ologisme r import de l anglais par Brillat Savarin en 1825 est devenu une sorte de mot valise Une atm
7. Aux tats Unis on va souvent seul au Mac Do toute heure du jour ou de la nuit On y commande un ou deux articles que le plus souvent on emporte Mais en France on r pugne manger en dehors de l heure normale des repas Et il fallait en tenir compte 80 du chiffre d affaires se fait aux heures des repas les clients mangent plus souvent sur place qu aux Etats Unis commandent davantage d articles plat boisson dessert bref ils utilisent volontiers le McDo comme un restaurant classique en tout cas davantage qu on ne le fait ailleurs L offre de son c t s est subtilement francis e Non seulement Mac Do a propos des recettes exclusives pour la France non seulement la formule des sauces est l g rement diff rente elles sont para t il moins sucr es mais d sormais la marque propose des hamburgers de b uf Charolais C est pour ainsi dire le hamburger de terroir Quand m me un hamburger fa on terroir c est un peu d concertant Un oxymore culturel sans doute Mais aujourd hui toute la viande servie par l enseigne au lieu d tre import e des tats Unis est francaise en France comme elle est italienne en Italie C est bien entendu l objet d une communication appuy e de la part de la marque 72 FONDATION NESTLE FRANCE Vous avez voqu la scansion de la journ e par trois repas a heures fixes leur nature leur dur e Quels autres l ments les caract
8. L ampleur du champ couvrir est impressionnante Ce m decin catholique humaniste a une vision de la nutrition bien diff rente de celle de ses coll gues anglo saxons Il insiste explicitement pour qu on ne r duise pas l alimentation aux calo ries et aux nutriments et surtout pour qu on la voie dans toutes ses dimensions y compris et surtout celle des interactions entre humains Jean Tr moli res et a sa suite entre autres Marian Apfel baum ont beaucoup fait pour ne pas dissocier l alimentation des pratiques sociales fondamentales Et beaucoup aussi pour que les tr s grands nutritionnistes francais dialoguent avec ceux qui en sociologie en anthropologie r fl chissaient a partir de leur champ d tudes sur les m mes questions En t moigne le fait que le Prix Jean Tr moli res a t attribu a des nutri tionnistes certes mais aussi a des sociologues anthropolo gues historiens ou conomistes Ce n est pas la moindre des sp cificit s fran aises Je suppose que l cole s est aussi sentie concern e par cet apprentissage Effectivement puisqu il s agissait d apprentissage et d du cation les enseignants se sont tr s vite int ress s aux activi t s dites ludo ducatives concernant l alimentation Val rie Adt qui dans notre quipe suit ces questions observe que d sormais l emploi du temps des l ves comprend souvent des animations o on leur propose de palper h
9. Quelle id e Deuxi me temps perplexit Au fait oui pourquoi Troisi me temps assurance Parce que ga va de soi Tel est le maitre mot de toute culture homog ne cela va de soi Mais qu en est il lorsque nouveaux rythmes de vie et mondialisation aidant de moins en moins de choses vont de soi Des entretiens qui suivent ressortent plusieurs convictions Oul la culture alimentaire fran aise demeure une exception Oui cette exception semble avoir de nombreux bienfaits tant sur le plan des liens sociaux que de la sant individuelle comme publique II im porte donc de la pr server sans crispations pass istes Donc de la transmettre comme un h ritage vivant C est une des missions que s est assign la Fondation Nestl France M N Les chiffres de 2002 voqu s dans ces pages sont repris de l tude OCHA et sont tir s de l ouvrage de Claude Fischler et Estelle Masson Manger Francais Europ ens et Am ricains face l alimentation Odile Jacob 2007 Les chiffres dat s 2010 proviennent de l tude r alis e par Harris Interactive pour les Premi res Assises de la Fondation Nestl France Culture s alimentaire s fran aise l actualit du plaisir Ce sondage est largement expos et comment dans les Actes des Assises publi s en mars 2011 L enqu te 2011 t effectu e la demande de la Fondation Nestl France et pour ses Deuxi mes Assises consacr es
10. a pas de r f rent pr cis En fran ais c est une demi heure pr s 12h30 14h pour le d jeuner et 20h 21h30 pour le d ner Et gare qui n est pas l heure apr s le traditionnel table le a va refroidir est un rappel l ordre qui a encore cours dans de nombreuses familles m me si le premier plat se compose de crudit s 12Thibaut de Saint Pol Le diner des Francais un synchronisme alimentaire qui se maintient pp 45 69 Economie et Statistique 400 2006 MANGER MODE D EMPLOI 63 Cette sp cificit fran aise a d ailleurs pos un certain nombre de probl mes pas mal d entreprises trang res et particuli rement am ricaines qui s installaient dans Hexa gone L exemple de l volution de Disneyland est particuli re ment r v lateur Dans ce type de parc d attraction un des pro bl mes de base est de g rer les queues le temps pass attendre est un temps perdu pour tout le monde y compris pour le parc puisque le visiteur qui attend ne consomme pas Sur le mod le am ricain on a donc install des fast food ouverts toute la journ e les visiteurs taient suppos s se r partir dans la journ e entre les attractions et la d gustation d un hamburger ou d un sandwich Et comme on tait en France on avait m me implant quelques restaurants gastronomiques qui toutefois pour ob ir au r glement du parc ne servaient pas de vin M me si
11. concernant elle la contagion On vous pr sente deux pull overs et on vous demande quelle envie vous avez d enfiler le premier qui disons appartient a votre joueur de football pr f r ou l amour de votre vie Pas de pro bl me au contraire Puis le second qui vous affirme t on a ap partenu a Hitler La encore vous savez absolument que rev tir ce pull over ne fera pas de l tre civilis que vous tes un fou sanguinaire Vous pouvez sans doute surmonter la r ticence la r pugnance que vous prouvez Mais vous l prouvez En mati re d alimentation le principe de contagion et celui de similitude se t lescopent se combinent Car il n y a pas de contact plus troit avec un objet donc de contagion possible que quand on l absorbe Et une sorte de logique analogique rapproche le mangeur et ce qui est mang De sorte qu on MANGER MODE D EMPLOI 33 est ce qu on mange c est dire qu on en incorpore les carac t ristiques De quelqu un qui para t particuli rement en forme on dira en France qu il a mang du lion En Italie on f li citera un autre ayant d croch un contrat difficile en affirmant qu il a pris un pane con volpe du pain avec du renard La publicit s est d ailleurs largement empar e de ces quiva lences ainsi la barre chocolat e Lion vous fera rugir de plaisir Il y a la un universel tonnamment partag On le re tro
12. risent ils Et avec quels b n fices La fa on dont ils sont structur s Lanalogie des repas avec le langage est extr mement productive et clairante D ailleurs les deux mondes alimentaire et linguistique sont ceux que va d couvrir et devoir ma triser peu pr s simultan ment le petit humain Et les deux lui pr existent Enfin d s sa naissance pour le tout petit les temps de l alimentation et de la communi cation avec la m re sont troitement imbriqu s t De m me qu une langue organise des mots un lexique selon un certain ordre une syntaxe de m me un repas organise des plats galement selon un ordre sp cifique par exemple entr e plat fromage et ou dessert En fait il n y a aucune raison nutritionnelle objective qui ferait pr f rer cet ordre un autre L historien Jean Louis Flandrin montre que jusqu au 18 si cle environ on pensait que l ordre des mets se justifiait par la di t tique et il tait en effet en accord avec les th ories m di cales du temps Par la suite crit il dans son dernier livre h las rest inachev on a cherch des justifications plus purement gastronomiques Quoi qu il en soit cet ordre est g n ralement appliqu sans qu on songe seulement le remettre en cause Val rie Adt a film la cantine un jeune gar on qui devant un camarade com 16Voir Bernard Golse L ducation au go t du jeune enfant Actes des Petits d
13. tentes et efficaces Nous sommes loin des grandes crises de jadis qui faisaient des h catombes mais dont les origines pouvaient rester myst rieuses comme le mal des ardents r pertori s depuis le Moyen Age et encore tr s pr s de nous en 1951 avec l affaire de Pont Saint Esprit qui ressuscitait ces crises de l ergot de seigle Les grandes crises alimentaires de la fin du 20 si cle en particulier celle de la vache folle ont certes cristallis et surd termin toutes les m fiances et toutes les peurs n es de l ali mentation moderne La m taphore qui s impose c est celle du s isme il existait des tensions profondes dans le tissu social 23S L Kaplan Le pain maudit Retour sur la France des ann es oubli es 1945 1958 Fayard Paris 2008 98 FONDATION NESTLE FRANCE caus es par l industrialisation agro alimentaire et ce que nous avons longuement d crit du rapport de nos contemporains a l ali mentation transform e par l industrie intervalles irr guliers ces tensions dans les zones de faille donnent lieu des s ismes importants l occasion de ces s ismes des ajustements adap tations nouvelles tendances diverses sont mis en uvre ou se d veloppent Avec la premi re crise de la vache folle en 1996 les agences de s curit alimentaire se mettent en place l AFSSA en France devenue ANSES aujourd hui au niveau national puis au niveau europ en EFSA R seaux laboratoires de r f
14. toute rien d autre que pr s de 2000 ans de corruption du bas latin Si l on raisonne ainsi il devient assez aventureux de d finir quel stade de cette volution il faudrait situer la forme pure authentique En mati re culinaire les volutions ne sont pas moindres bien au contraire Leur histoire commence peine tre crite dans L ordre des mets Jean Louis Flandrin identifie avec une certaine pr cision la p riode pendant laquelle s est op r e la s paration entre sal et sucr qui parait encore fondamentale sinon constitu tive de la cuisine fran aise m me si elle recule beaucoup depuis quelques ann es Ainsi l association sucre viande et sucre poisson se rar fie constamment du 17 au 18 si cle tandis que celle entre sucre ufs et produits laitiers ne fait qu augmenter En d autres termes on peut chercher les traits permanents identifier certaines caract ristiques culturelles constantes ou du rables sans pour autant commettre l erreur de r ifier de chosi fier le fameux mod le Ou si l on veut absolument parler de mod le admettons son caract re changeant et interrogeons nous sur ses caract ristiques pertinentes pour les pr occupations actuelles de sant publique dans la fa on de manger des Fran ais ces derni res d cennies que faut il vraiment changer Et d abord qu est ce qu il serait utile de chercher pr server Vous avez tout
15. une supplique au Pape pour que la gourmandise soit retir e de la liste des p ch s capitaux La gloutonnerie soit mais pas la gourmandise g n ratrice de partage et de lien social H las l appel fut ignor La nutrition est une discipline r cente Mais les m decins ont toujours beaucoup parl de l alimentation en y mettant comme tout le monde de la morale et souvent de l id ologie y a eu toute sorte d ayatollahs pour imputer une alimentation incons quente des comportements qui ne le seraient pas moins tel ce Dr Paul Carton qui au d but de 20 si cle d signe trois aliments meurtriers l alcool le sucre et la viande responsables simultan ment d une cr ation artistique pervertie et bien s r de m urs dissolues La nutrition n a pas toujours chapp ce pi ge mais la nutrition fran aise para t cet gard avoir t plus t t plus clair e que d autres Des hommes comme le professeur Jean Tr moli res que beaucoup des nutritionnistes fran ais consid rent comme leur ma tre y ont sans doute t pour beaucoup En t moigne l approche qu il pr conise d s les ann es 1950 pour la nutrition Les disciplines qu il faudrait poss der synth tiquement vont de la pal ozoologie lan thropologie culturelle et englobent en particulier la psychoso MANGER MODE D EMPLOI 29 ciologie l tude des r flexes conditionn s la nutrition physio logique
16. Je n ai jamais entendu quelqu un dire J adore les pro t ines ou donner une recette d hydrates de carbone Ceci dit 26 FONDATION NESTLE FRANCE le bombardement a t tel qu on entend souvent aujourd hui en revanche Je n aime pas le gras ce qui revient a dire Je n aime pas les lipides c est ce que j ai propos d appeler la lipophobie la peur ou la haine du gras Petit a petit on s est rendu compte que l alimentation hu maine ce n est pas seulement la nutrition ou plus exactement que la nutrition doit int grer des dimensions sociales cultu relles Ou encore l importance du plaisir entre autre celui que procure la saveur Pour tre m decin m me nutritionniste on n en est pas moins homme et un homme immerg dans une culture alimen taire sp cifique qui en l occurrence a vit la majorit des grands nutritionnistes fran ais bien des outrances et surtout de s parer radicalement la nutrition de l alimentation Que des cultures diff rentes entra nent chez les m decins des approches diff rentes est une vidence surtout dans un domaine si fortement inscrit aux confluents de l histoire de la transmission et de la vie sociale est probable que telle d cou verte sur une pathologie du rein et les mesures prendre pour y rem dier seront moins influenc es par un sch ma culturel do minant que le rapport aux vitamines Encore que De ce point de vue comparer l a
17. On dira Va nourrir les poules mais Va donner manger au chien Et ici son nom Tout a fait Ainsi on pouvait d ja d entr e de jeu anticiper les r sultats de l enqu te En anglais on avait quelque chose de relativement indistinct Et uniquement ou presque fonctionnel r sum par le mot food surplomb par un Je sujet respon sable autonome et individualis l extr me Pour les Francais c est tr s diff rent ils mangent de la cuisine des plats IIs exis 52 FONDATION NESTLE FRANCE tent bien s r comme individus mais du moins dans ce domaine d abord comme des individus au sein d un groupe ils mangent avec les autres du moins est ce ce qu ils pr f rent La encore les r sultats des tudes sont sans ambigu t en 2010 92 L alimentation pour les Fran ais est donc beaucoup une question de rapport avec les autres tandis que pour les Am ri cains c est d abord un rapport avec soi m me Et l expression de son libre choix Anecdote Une universitaire se trouve au Japon Elle entre dans un bar de Tokyo et demande du th vert avec du sucre Le gar on lui dit qu au Japon le th vert ne se prend jamais avec du sucre Elle r pond qu elle le sait fort bien mais que pour autant elle elle aime le th vert sucr Nouvel change avec le gar on Non vraiment du th vert avec du sucre c est impossible Peu encline voir brim sa pr f rence
18. Paul Rozin professeur l Universit de Pennsylvanie ont montr que cette vision tait bien simpliste et que en r alit une couche magique tait pr sente dans notre psychisme quel que soit notre niveau d ducation que nous soyons analphab tes ou savant atomiste Depuis longtemps d s le 19tm si cle les p res fonda teurs de l anthropologie avaient identifi deux grands axes deux lois de la pens e magique la similitude et la contagion La loi de similitude induit une quivalence entre l image et l objet Paul Rozin La Magie sympathique Autrement 149 pp 22 37 1994 32 FONDATION NESTLE FRANCE La loi de contagion tient que ce qui a t en contact restera en contact Once in contact always in contact qu il restera une trace invisible une souillure a la suite du contact avec une chose ou un tre impurs Exp rience propos e par Paul Rozin et ses collaborateurs il vous demande une photo d un tre cher un de vos enfants la personne aim e et s assure que vous avez bien les n gatifs ou des doubles donc que vous ne perdrez pas cette photo Puis il vous propose de la d chirer et vous demande de quantifier l envie que vous avez de lui ob ir Cette photo de votre fils ou votre fille vous en avez plusieurs identiques chez vous et bien s r vous savez pertinemment que la d chirer ne leur causerait aucun mal N emp che Une autre exp rience
19. comparables au n tre S il y a des aggravations je Pai dit elles se situent surtout au niveau des in galit s so ciales les produits les moins chers n cessitant le moins de pr paration ont aussi la plus grande densit calorique et sont MANGER MODE D EMPLOI 107 surconsomm s dans les cat gories sociales dont le revenu et le niveau d ducation sont les plus faibles Le processus d indi vidualisation de fragmentation de la prise alimentaire semble avoir dans ces groupes les effets les plus n gatifs et les plus ob sog nes Un certain nombre de publications scientifiques ces der ni res ann es ont reli la pratique du repas familial c est le terme employ avec divers aspects tr s positifs de la sant Si certaines formes de commensalit d ailleurs pas n cessaire ment familiales peuvent tre particuli rement b n fiques il est possible que ce soient celles que pratiquent avec constance les Fran ais La dur e de vie s est consid rablement allong e dans les pays les plus riches et dans le n tre notamment Si notre style alimentaire joue un r le dans ce ph nom ne passons donc table l esprit l ger BIBLIOGRAPHIE Les ouvrages ou articles consacr s aux questions d alimentation sont depuis quelques ann es extr mement abondants On a donc choisi de ne recenser ici que les publications auxquelles se r f rent directement les propos tenus Pour autant certains
20. contemporain s accompagne d sormais d une certaine tol rance y compris en France pour ce qu on appelle les idiosyncrasies en d autres termes les singularit s alimentaires Dans une enqu te nous proposions la situation fictive suivante maginez que vous invitez des amis diner Un de vos invit s vous pr vient a qu il suit un r gime sans sel b qu il est v g tarien c qu il n aime pas le poulet Et on demandait aux personnes interrog es si elles MANGER MODE D EMPLOI 57 trouvaient cela tout fait normal plut t normal plut t pas normal pas du tout normal Implicitement le r gime sans sel renvoyait a une prescription m dicale le r gime v g ta rien des convictions thiques ou religieuses et l aversion pour le poulet une particularit personnelle du go t Le premier constat fut celui d une assez remarquable tol rance globale pour ces singularit s 86 des personnes interro g es trouvaient normal ou plut t normal le fait d tre v g tarien 84 le rejet du poulet et 80 le r gime sans sel Mais les diff rences de pays pays nous avions men l enqu te sur des chantillons d adultes de six pays taient notables Les Britanniques et les Am ricains trouvaient 90 normales les demandes ou exigences manifest es alors que leur accep tabilit tait nettement inf rieure chez les continentaux Sauf chez les Francais mai
21. d triment du service la fran aise peut tre vue comme une importation Il s agit plut t d une volution tr s progressive Au d but du 19 si cle Grimod de La Reyni re le p re reconnu de la litt rature gastronomique en parle d ja et cinquante ans plus tard on lit que les deux services a la russe et a la francaise sont en usage et discut s De quoi s agit il Dans le service a la fran aise tous les plats composant chaque service sont apport s en m me temps et on se sert MANGER MODE D EMPLOI 69 selon ses pr f rences Et aussi selon sa place a table rigou reusement codifiee les pi ces les plus sophistiqu es tant port e de main des convives les plus importants Dans le ser vice la russe celui que nous appliquons en est l h ritier chaque service est compos d un seul plat le m me pour tous et chaque convive se sert de ce qu on lui pr sente d j d coup En un sens il y a l une forme de retour ga lit commensale monastique dont on a parl alors que dans le Service la fran aise chacun peut manger diff remment de ses commensaux sans que les choix particuliers n attentent pas cette commensalit Dans le mod le monastique du repas communiel puis dans le service la russe on est sous le regard de l en semble des convives Il s ensuit une forme de pression sociale o l on pourrait voir un des plus eff
22. de celui cit plus haut de la margarine et des acides gras trans c est celui du consensus am ricain de 2000 sur les allergies alimentaires L Association Am ricaine de P diatrie a alors d cid de re commander de ne pas exposer les nouveaux n s aux aliments solides et potentiellement allerg niques dans les six premiers mois En 2008 on a d revenir sur cette recommandation de nouvelles donn es montraient que l effet avait en fait t n gatif le nombre de cas avait augment et qu il semblait qu tait vrai le contraire de ce qui justifiait la recommandation de 2000 savoir que l exposition pr coce prot geait plut t contre les allergies Si je comprends bien on ne fait rien on attend Et pen dant qu on attend on s en remet nos bonnes vieilles tradi tions qui ont fait leurs preuves Bien s r que non Se d fier de la pr cipitation n est pas faire l apologie de l immobilisme Quant la tradition comme refuge du bon et du bien ce n est en aucun cas ma position II n y a pas mythifier les usages anciens et 104 FONDATION NESTLE FRANCE je ne sache pas qu on ait jamais r ussi a r tablir ou recr er de mani re volontariste des usages et pratiques sociales anciens dans un environnement nouveau En revanche nous avons l occasion de constater l effet po sitif de la fameuse prescription des 5 par jours 5 fruits et l gumes par jour bien s r devenus depuis des
23. fait raison de souligner combien nos styles alimentaires sont changeants Lors d un petit d jeuner d bat organis par la Fondation le sociologue Fran ois de Singly ra 78 FONDATION NESTLE FRANCE contait avec humour que dans son enfance fort rigoureuse son p re tenait absolument au silence a table Il avait donc r instaur le syst me monastique de la lecture haute voix pendant le re pas Mais pour all ger la chose sa m re charg e de choisir les lectures avait d cid de leur faire entendre Don Camillo 8 Voil qui illustre bien la fois la rapidit du changement et notre tendance l oubli aujourd hui le discours dominant valo rise l change la communication la convivialit la conversation entre les membres de la famille On oublie que il y a quelques d cennies encore on pouvait valoriser le silence ou les lectures difiantes Oui le monde change et avec lui nos besoins et donc nos pratiques La structure du repas traditionnel en r alit assez r cent comprend on l a dit une entr e un plat viande ou poisson plus l gumes du fromage ou un dessert Or on voit fleurir un peu partout dans les restaurants pour le repas de midi des formules qui ne proposent au choix que deux de ces trois plats entr e plat ou plat dessert La s quence s rode ou se fragmente d une part parce que le temps consa cr au repas est de plus en plus mesur mais aussi en raison
24. jeuners d bat 2010 2011 Fondation Nestl France para tre MANGER MODE D EMPLOI 73 mencant son repas par la salade s crie Commencer par la salade c est pas humain Nous l avons d j vu les hommes sont prompts voir de l animalit dans les usages des autres ou dans la transgression des r gles Quand il s agit de manger beaucoup de langues distinguent la pratique humaine de l acte animal l allemand emploie essen pour les hommes et fressen pour les animaux et la diff rence est pr sente dans les usages de manger et d vorer La syntaxe et le lexique actuels du petit d jeuner fran ais sont plus simples et plus l ches que ceux des autres repas boisson chaude pain o viennoiseries beurre confitures et d sormais c r ales et fruits ou jus de fruits frais yaourt On y ajoute parfois mais rarement des ufs voire du fromage mais un fromage dur genre gruy re jamais du camembert ou du munster C est a peu pr s l extension lexicale maximale de notre petit d jeuner personne pour l instant n aurait l id e d y pr senter un plat de choucroute ni un steak frites Pour quoi Parce qu ils appartiennent au lexique du d jeuner ou du d ner Le r pertoire du petit d jeuner comme de tout repas se caract rise par un a va de soi qui est typique de la culture Il va tellement de soi qu on jurerait qu il s agit d une es pece naturelle Ceci dit il y a une caract
25. notamment il y a depuis long temps beaucoup de progr s faire et la diff rence d autres domaines on n a gu re avanc Au contraire sans doute On utilise mal ou pas toujours bon escient me semble t il les technologies modernes En faisant de plus en plus de cuisines centrales industrielles qui servent des villes enti res ou des zones encore plus importantes en liaison froide on n a pas pris garde que sur place dans les satellites ou les cantines les cuisiniers taient r duits des t ches de coupeurs de sa chets plastiques ou d ouvreurs de barquettes d motiv s d mobilis s d cim s par l absent isme On ne parle qu quilibre nutritionnel et s curit sanitaire tr s peu de go t et de qualit gourmande sauf dans des animations ou promotions qui ap paraissent souvent aussi incantatoires et pour la forme que l adjonction d un peu de bio ici et l L effet le plus notable en MANGER MODE D EMPLOI 103 est de plomber encore le budget mati res le co t de ce que l on met dans l assiette pourtant si bas qu il est le plus souvent inf rieur pour l cole 2 euros Une autre question d cisive se pose comment d cider de la n cessit d engager des campagnes actives de modifica tion des comportements dans des domaines qui restent scien tifiquement incompl tement maitris s et ils sont nombreux L exemple r cent le plus frappant en dehors
26. on n aime pas quelque chose fait beaucoup moins l unanimit que manger de tout 47 7 ne sont pas d accord ou pas du tout d accord Ceci semble indiquer une forme de contradiction sinon de tiraillement dans les normes ducatives Ce tiraillement on le retrouve lorsque l on examine les r ponses a des nonc s propos s pour examiner la place laiss e aujourd hui a l initiative sinon au caprice des enfants ap para t clairement que l on est d sormais nettement plus souple vis vis des enfants dans divers domaines des mani res de table et en particulier dans la marge d autonomie qu on leur accorde Les enfants ne doivent pas se servir dans le r frig rateur dans les placards sans autorisation recueille 58 1 d agr ment et 15 4 de non r ponses Les r pondants sont d accord 69 3 avec Les enfants ne doivent pas se lever de table sans autorisa tion la encore plus de 15 de non r ponses Il est un domaine des mani res de table qui refl te implici tement l importance que l on accorde au respect de la part d au trui de la hi rarchie commensale l ordre du service et les quan tit s respectives Or les parents doivent apprendre l enfant ne pas se servir le premier recueille bien 81 2 de suffrages mais ne pas se servir plus que les autres ne re oit que MANGER MODE D EMPLOI 39 70 5 d agr ment pr s de 30 ne sont donc pas d ac
27. ouvrages cit s comme Claude Fischler et Estelle Masson Manger Fran ais Europ ens et Am ricains face l alimentation Odile Jacob 2007 ou ceux de Jean Pierre Poulain en particulier Sociologies de l alimentation PUF 2002 proposent des bibliographies beau coup plus compl tes auxquelles il sera pr cieux de se r f rer Actes des Premi res Assises de la Fondation Nestl France Culture s alimentaire s francaise s l actualit du plaisir ouvrage collectif Fondation Nestl France mars 2011 Basdevant Arnaud Ob sit s vers de nouvelles hypoth ses Actes des Petits D jeuners d bat 2010 2011 Fondation Nestl France A paraitre en f vrier 2012 Bellisle France App tit et rassasiement l influence des fac teurs environnementaux pendant les repas Actes des Petits D jeuners d bat 2010 2011 Fondation Nestl France A pa raitre en f vrier 2012 114 FONDATION NESTLE FRANCE Coppens Yves Aux origines des comportements alimentaires Actes des Petits D jeuners d bat 2009 2010 Fondation Nestl France f vrier 2011 Fischler Claude L Homnivore Odile Jacob Paris 1990 Fischler Claude et Masson Estelle Manger Fran ais Europ ens et Am ricains face l alimentation Odile Jacob Paris 2007 Fischler Claude Commensality society and culture pp 1 21 Social Science Information 2011 Golse Bernard L ducation au go t du jeune enfan
28. par une coutume locale la jeune femme insiste S ensuit un long conciliabule entre le ser veur et le directeur de l tablissement Apr s quoi le serveur re vient et dit Nous sommes d sol s nous n avons pas de sucre Bon dit la jeune femme alors je vais prendre un caf Qu on lui apporte imm diatement Avec du sucre Bras de fer entre usages et individualit Autre exemple Une de mes connaissances d barque des Etats Unis en milieu d apr s midi et veut d jeuner une r ac Sheena lyangar raconte cette anecdote dans une int ressante conf rence http www ted com talks lang eng sheena_iyengar_on_the_art_of choosing html MANGER MODE D EMPLOI 53 tion d ja peu conforme aux usages locaux sauf d un croque monsieur dans une brasserie on ne d jeune pas a Paris quatre heures de l apr amp s midi Nous d nichons un Bar huitres non stop Je commande une douzaine d huitres avec du muscadet Elle galement mais avec du caf au lait Le garcon un peu d concert lui propose de le lui apporter apr s les hu tres mais elle le souhaite en m me temps J ai beau lui expliquer que l usage fran ais place le caf en fin de repas j vite de lui pr ciser que le caf au lait ne se prend peu pr s que le matin cela ne int resse pas Elle trouve m me tout fait d plaisante cette fa on de lui dire implicite ment que son comportement e
29. para t discutable car ce qu il recouvre est particuli rement labile et changeant au cours du temps Si on 68 FONDATION NESTLE FRANCE examine les menus on voit que l essentiel du changement s est effectu sur une p riode relativement br ve au 20 si cle Il y a eu le passage du service la fran aise au service la russe qui a pris tout le 19 si cle Et il y a eu la simpli fication des menus avec notamment la r duction du nombre des plats qui s est acc l r e au 20 si cle Le mod le du repas gastronomique fran ais a probablement d j chang dans les mois coul s depuis qu il a t int gr au patrimoine culturel immat riel de l humanit supposer qu il ait encore vraiment exist tel quel au moment de son sacre Si l on regarde ensuite les diff rentes sph res et strates sociales on observe qu il y a une circulation entre les classes sociales et que cette circulation est complexe La plupart des travaux historiques portent sur les menus des Cours royales ou imp riales sur les palais et banquets de la R publique les res taurants et les maisons bourgeoises Avant une p riode assez r cente il n y a gu re de sources concernant le peuple Le modele francais est donc assez d licat a d finir et mesurer Mieux vaut a mon avis parler de style alimentaire Est ce que la g n ralisation tr s progressive du service a la russe en France au
30. pour reprendre le titre d un chapitre de Manger il semble que L avenir soit la nostalgie En 2011 67 3 jugent qu on mange plus mal qu hier au sens o les ali ments sont moins sains 65 pensent qu ils ont moins bon go t et 68 que ce sont nos habitudes alimentaires qui sont moins saines D ja peu adeptes des pilules de vitamines en 2002 on les comparait notamment aux Am ricains grands consomma teurs des m mes pilules les Fran ais sont encore plus r ticents en 2011 Et le refus des OGM dans l alimentation ne fait qu aug menter avec le temps 85 aujourd hui Dans ce sens les caract ristiques qui en 2002 distin guaient le plus les Fran ais des Am ricains et des Britanniques n ont fait que s accentuer en 2011 Mais sur d autres points on peut trouver des signes allant dans la direction oppos e 2Fischler Claude et Masson Estelle Manger Fran ais Europ ens et Am ricains face l alimentation Odile Jacob 2007 86 FONDATION NESTLE FRANCE C est le cas pour l une des questions qui s taient r v l es les plus discriminantes en 2011 celle des m taphores Nous avions dans des groupes de discussion pr alables de mand aux participants de sugg rer des m taphores illustrant selon eux le rapport du mangeur de son corps et de l aliment Puis nous avions soumis ces m taphores au jugement pr f ren tiel de deux chantillons successifs II restait au moment de passer du
31. proche de chez eux En moyenne cette eau est jug e naturelle 97 apparemment la naturalit est rarement totale et parfaite 88 FONDATION NESTLE FRANCE L interviewer explique alors que pour des raisons tech niques il est n cessaire d adjoindre a cette eau une quantit infinit simale de l eau d une source proche elle m me spon tan ment estim e naturelle 97 R sultat cette adjonc tion imperceptible d un produit lui aussi naturel fait tomber tr s nettement l estimation de la naturalit du premier L in terviewer propose alors d valuer la naturalit de l eau si l on retire ce qui l a d natur e la naturalit loin de revenir son niveau initial baisse encore significativement La d natu ration n est donc pas le fait des substances ajout es mais du processus lui m me en l occurrence de l addition d autre chose Nous avons d autre part dans une autre enqu te demand nos interlocuteurs de nous donner avec leurs propres mots leur d finition du naturel Nous avons constat que la quasi to talit des r ponses tait formul e en termes n gatifs Est naturel ce dont on n a pas retir Ce quoi on n a pas ajout Ce qui est naturel est pour reprendre la formule d un sommelier parlant du mouvement actuel vers les vins nature sans sans ni ni sans soufre sans filtrage ni collage ni etc Le naturel c est ce qui vient l tat pur q
32. questionnaire a chantillon national repr sentatif quatre m taphores l arbre le corps du mangeur est comme un arbre qui se nourrit par ses racines re oit de la lumi re et de la pluie par ses branches le temple le corps est un sanctuaire que le Tr s Haut nous a confi et il nous appartient de veiller sur lui la voiture et son carburant lusine ce qui entre ce qui sort ce qui est stock En 2002 nous avions constat que les m taphores m ca niques celles qui refl taient une conception machinique et fonctionnelle du rapport l alimentation taient choisies si gnificativement plus souvent par les Britanniques et les Am ri cains tandis que l arbre m taphore verte enracin e naturelle tait surrepr sent dans les r ponses des Fran ais et d autres Europ ens Italiens Suisses Allemands L arbre propos l en semble de l chantillon avec les autres m taphores la voiture le temple l usine fut quasiment pl biscit 63 consid r rent en 2002 que c tait la repr sentation la plus appropri e alors que la voiture ne recueillait que 14 des suffrages En 2011 nous n avons de r ponses notre questionnaire que fran aises et nous ne consid rons donc que l volution de ces r ponses On constate un l ger tassement si l on ose dire de l arbre 55 9 et une l g re remont e de la voiture 18 MANGER MODE D EMPLOI 87 Quant au temple et
33. repas manifeste une douteuse tentative pour enfreindre la r gle et le caract re communiel du repas le plaisir de manger n est l gitime que s il est partag Et en core que la commensalit n implique pas obligatoirement la convivialit le silence impos par de nombreux ordres mo nastiques limitait drastiquement la chaleur des changes le succ s du convivial joue sur la m me notion c est litt ralement faire ensemble l exp rience de la satisfaction de vivre cum vivere Il reste dans notre culture alimentaire norm ment de traits qui proviennent de cet h ritage religieux et pour en re venir aux friandises la dualit du rapport entretenu avec elles est tr s r v latrice Nagu re on mettait les enfants en garde contre les inconnus qui la sortie de l cole leur propo saient des bonbons J appelle cela le syndrome de Pinoc chio Pinocchio est attir dans l Ile aux Enfants par deux in dividus lui promettant de l amener dans un endroit regorgeant de friandises La friandise potentiellement d tourne l enfant l arrache ses parents le met en danger Une couverture de l Express dans les ann es 1980 proclamait Bonbons la drogue des maternelles Rien de moins 66 FONDATION NESTLE FRANCE Toutefois si la friandise est contr l amp e par les parents elle fonctionne comme une r compense dispens e sous leur autorit et donc l gitime Mais si l enfa
34. ristique du petit d jeuner qui m a toujours paru trange en tout cas chez nous et dans pas mal de pays riches alors qu on ne supporterait pas de manger stric tement le m me menu tous les jours au d jeuner ou au d ner on n a apparemment pas de probl me consommer quotidienne ment le m me immuable petit d jeuner 74 FONDATION NESTLE FRANCE En tout cas nous savons qu un repas pris a heure fixe et conforme aux usages est une balise de la m moire Et des tudes exp rimentales ont montr que la m moire de ce qui a t mang joue un r le important dans la sati t et dans la r gulation de la prise alimentaire Rozin par exemple d cid ment incontournable a tudi des amn siques et montr que la r gulation physiologique n intervenait apparemment gu re chez eux on pouvait leur servir deux ou trois fois le d jeuner ils le consommaient chaque fois imperturbablement faute de tout souvenir du pr c dent et simplement parce qu il tait l servi Et sym triquement les facteurs de distraction pendant les re pas t l vision musique IPad ou portable entra neraient une augmentation de la prise alimentaire Mais le monde change Et avec lui nos modes de vie Pour ne rien dire des toujours nouvelles incitations d un march devenu mondial Est il possible voire souhaitable de s arc bouter ce style fran ais D abord comment caract riser ce style Nous en avon
35. t indolents pacifiques meilleurs nageurs et glabres Autre domaine o les repr sentations mentales font diverger de ce qui est r put rationnel le d go t La encore l ing niosit exp rimentale de Rozin trouve s exercer I s agit d une exp rience en pens e Dans votre verre de jus d orange imaginez que tombe un cafard Imm diat haut le c ur du buveur Rozin vous demande d expliquer cette r action Facile Un cafard c est r pugnant a tra ne dans les poubelles avec la pourriture Et c est plein de bact ries et de microbes Soit r torque Rozin on va donc le st riliser C est donc un cafard aussi aseptis qu il est possible qui tombe nouveau putativement dans le verre Quelle r action avez vous Quasiment la m me r pulsion Idem montre encore Rozin pour un cafard en plastique L exp rience est loquente sur deux points entre autres est vrai que les lieux fr quent s par les cafards sont passable ment r pugnants Mais on constate que cette explication ra tionnelle est illusoire ou plut t insuffisante puisque lorsque la st rilisation de l insecte a limin son danger potentiel la r action de r pulsion demeure identique Et il faudra aller tr s loin vider compl tement le verre le rincer plusieurs fois pour qu il devienne nouveau utilisable Conclusion les bact ries ou microbes n y sont pour rien En r alit ce qui nous r pugne c est
36. une importation il est vrai que le ph nom ne existe mais il y a tout aussi fr quem ment la tendance sym trique valoriser un produit banal en lui assignant un nom a consonance ou connotation trang re Un exemple particuli rement notable de naturalisation parce qu il porte sur une enseigne embl matique du fast food McDonald s Initialement le fast food et McDonald s en particu lier apparaissait comme une sorte de modernit hollywoodienne au sens o elle renvoyait au blue jean Coca Cola aux grosses voitures et au Rock and roll La marque se voulait une vocation universelle Son mot d ordre tait Une offre une marque une communication pour le monde entier Pas question pour sa di rection de Chicago de prendre en compte les sp cificit s locales Or d sormais sa direction europ enne est fran aise Pourquoi Parce que la strat gie mise en uvre en France a r ussi Les Am ricains taient persuad s que le syst me Mac Do aurait du mal s implanter en France Ils avaient d ailleurs c d la licence un certain M Dayan dans les ann es 1960 des conditions financi res tr s avantageuses Ce fut un succ s MANGER MODE D EMPLOI 71 La firme a alors fait valoir certaines entorses au contrat et a fini par r cup rer la franchise Mais ce que n avaient pas vraiment pr vu les dirigeants c est que la France franciserait d une certaine mani re la franchise
37. Manger Mode d emploi Claude fischler Entretiens avec Monique Nemer Fondation Nestl France 2011 DU MEME AUTEUR Claude Fischler dir La nourriture Pour une anthropologie culturelle de l alimentation Communications n 31 1979 Claude Fischler La symbolique du gros Communications 46 1987 Claude Fischler L Homnivore Paris Odile Jacob 1990 Claude Fischler Magie Charme et aliments Autrement n 149 10 19 1994 Claude Fischler La Macdonalisation des m urs in Flandrin Jean Louis et Montanari M Histoire de l alimentation Fayard 859 879 1996 Claude Fischler Le consommateur partag in Le mangeur et l animal Autrement n 172 135 148 1997 Claude Fischler La maladie de la vache folle in Apfelbaum Mariam dir 1998 Risques et peurs alimentaires Paris Odile Jacob 1998 Claude Fischler et Estelle Masson Manger Francais Europ ens et Am ricains face a l alimentation Odile Jacob 2007 Claude Fischler Commensality society and culture pp 1 21 Social Science Information 2011 Omnivores nous sommes et probablement resterons a moins que l volution qui par le pass nous a valu tant de mutations d ci Sives ne se mette a d faire le canevas labor depuis des milliards d ann es a compter de l existence d tres vivants et d environ 3 millions d ann es pour l homme Omnivores donc ou comme le dit joliment Claude Fis
38. X ou Y est peu probable que je pense d abord au fait que les d jeuners chez cette amie sont pantagru liques Pas d abord mais certainement un moment Comme si j tais cliv e entre deux lectures et surtout deux appr ciations diff rentes et m me oppos es du aller manger chez Vous n avez sans doute pas tort de penser que l irruption de deux registres de langage l un convivial repas aller d jeuner chez l autre di t tico m dical prise alimen faire pour le m me acte manger est plus o moins consciemment une source de d sarroi dans la mesure o les deux idiomes sont d sormais inscrits simultan ment dans la conscience du mangeur Plus globalement cette question du langage donc ce qu elle exprime comme relation l acte nous avait frapp s lorsque nous avons fait une tude comparative sur les rapports des Fran ais et des Am ricains la nourriture Dans l tude franco fran aise une question qui avait donn des r sultats int ressants tait une question ouverte Quel genre de cuisine fait on chez vous Et les r ponses obtenues taient Oh on fait de la cuisine mais assez peu Ou De pr f rence de la cuisine l g re Ou encore Plut t du Sud Ouest Les r ponses taient dif f rentes mais pr cises ce qui nous avait permis de les classer selon qu elles taient nutritionnelles ou cultur
39. a l usine ils demeurent un niveau a peu pr s identique La voiture tait une r ponse plut t mascu line et jeune et elle le reste Le naturel d un c t recule un peu le m canique de l autre progresse l g rement Naturel le grand mot est lanc Si nostalgie il y a et cela semble vident n est ce pas au nom de ce naturel qui plane au dessus de l alimentation id ale comme un r ve de paradis perdu Mais c est quoi le naturel On pourrait aller Jusqu dire que depuis l invention du feu et de la cuisson puis de la cuisine nous sommes des animaux d natur s Et que c est plut t un progr s Le naturel Evidemment on est tent d ironiser Le na turel qu est ce que c est Les scientifiques durs rejettent purement et simplement la notion Mais force est de constater qu elle est unanimement peut tre universellement utilis e Rozin au lieu de la juger ou de s en gausser a d cid de cher cher comment elle fonctionnait dans l esprit humain Dans un premier temps il s est livr une exp rience en pens e et dans un second temps nous avons ensemble dans un questionnaire demand nos r pondants leur d finition du naturel L exp rience en pens e de Rozin consistait deman der aux interview s d valuer un degr de naturalit exprim en pourcentage pour l eau d une source jaillissant d une montagne
40. a teur europ en moyen la comprend elle a soulev une question probablement insoluble celle de l identification du consom mateur europ en moyen d faut donc de consommateur europ en moyen nous avons tudi des consommateurs fran ais tr s divers un chantillon national repr sentatif d un millier no tamment et nous avons constat que les fameuses all gations taient loin d tre toujours comprises qu elles portaient sur des notions que la plupart d entre nous ne maitrisent pas et aussi paradoxalement qu elles sont souvent comme on dit en langage de marketing segmentantes c est dire en l occurrence qu elles attirent certains consommateurs mais qu elles en loi gnent beaucoup d autres Pour citer un verbatim d un de nos interview s Encore un truc marketing pour nous prendre plus cher Soit une analyse qui convenons en n est pas enti re ment d pourvue de sens Nos recherches sur la mani re dont ces all gations sont re ues et per ues nous montrent que le r le du naturel justement est important sinon essentiel Il y a une sorte de paradoxe de la consommation alimen taire qui se manifeste dans le dialogue de sourds entre consom mateurs et industriels L industrie cr e de la valeur ajout e en transformant les produits agricoles en produits alimentaires de plus en plus labor s Mais le consommateur lui ce n est pas de la transformation qu i
41. ais un chiffre montre a contrario les avantages de cette discrimi nation alimentaire c est entre deux et trois ans qu il y a le plus d accidents domestiques li s l ingestion d un produit toxique Simultan ment pour ouvrir le champ de son alimentation l enfant doit mettre en place un r pertoire du familier qui s enrichit peu peu Cette familiarisation passe par de multiples vecteurs sensoriels M me si d abord l enfant ne go te pas le plat nouveau il le voit il le sent parfois s il lui est pr sent il peut en prouver la texture la mati re en tout cas il le re conna t comme aliment en d coule ce que j appelle l effet pochoir le principe du pochoir c est qu on dessine une forme en vidant une plaque ou une feuille de papier et l on applique Voir Nathalie Rigal La n ophobie alimentaire Actes des Petits D jeuners d bat Fondation Nestl France para tre en f vrier 2012 24 FONDATION NESTLE FRANCE la peinture sur la partie vid e De m me ce que l enfant n a pas rencontr n entrera pas dans son r pertoire du comestible du moins pas dans l enfance En gros selon les habitudes ali mentaires de ses parents l enfant est amen rencontrer un nombre variable d aliments ll en ressort qu videmment l effet de mere exposure de simple exposition ne se produira pas pour les aliments que les parents ne consomment jamais Nous savons
42. al debout dans la rue Pour elle il est vident que ce n est pas manger Parce que dans nos repr sen tations manger implique une certaine configuration de l espace un lieu une table un horaire et une configuration sociale si l on peut dire c est dire des gens famille ou amis pr sents Ce qu on appelle la commensalit le fait d tre ensemble a table pr sente quelques diff rences selon les pays les Alle mands se le repr sentent d abord comme un repas chez soi en famille caract ris par la d tente En France le mot qui revient le plus souvent et de facon spontan e est celui de convivia lit qui ajoute une note plus joyeuse a la seule commensalit Mais manger ensemble faire de ce temps un moment de loisir qui chappe au temps contraint est capital M me si les rythmes de vie le travail des femmes l loignement des lieux de travail rendent ces moments de plus en plus difficiles a caser dans un horaire quotidien de plus en plus serr Et la tendance ne semble pas devoir s inverser m me si attachement fran ais 10De cum avec et mensa table MANGER MODE D EMPLOI 59 a cette convivialit releve peut tre en partie de la conjuration face un comportement qu on appr cie mais dont on craint qu il ne soit menac Toutefois on peut lire un indice int ressant de l importance que les Fran ais accordent au repas ou ce qui l entoure
43. alit de vie en savourant de bons produits mais aussi leur sant car en d gustant on ne d vore pas on appr cie de petites quantit s Une position hardie pour d anciens gauchistes italiens Mais ils versent un argument pour eux d cisif au dossier il s agit aussi de pr server ou tendre une agriculture respectueuse et protectrice de l environnement de la biodiversit des cosyst mes et gestion naire du paysage D une certaine fa on c est toute proportion gard e d j un peu ce que l on constate lorsque l on compare la France et les autres pays les plus d velopp s sur un point la proportion 22A Drewnowski S Specter 2004 Poverty and obesity The role of energy density and energy costs Amer J Clin Nutr 79 6 16 94 FONDATION NESTLE FRANCE du revenu des m nages consacr e alimentation L aussi il semble y avoir sinon une exception fran aise du moins une par ticularit statistique Ernst Engel math maticien allemand du 19 me si cle a formul une loi qui depuis porte son nom Elle tablit que plus le revenu est lev et plus le pourcentage de ce revenu consacr aux d penses de base en particulier l alimen tation diminue L alimentation repr sente une part minime de la d pense des riches mais les pauvres sont oblig s d y consacrer beaucoup sinon l essentiel de leur revenu Or de tous les pays d velopp s la France est celui qui en un sens con
44. ann es l in cantation de base de la bonne alimentation Dans les coles dans les cantines partout c est presque un gag D s que le bruit court que des chercheurs s int ressent l alimentation chacun veut manifester sa connaissance du cat chisme la cantine servant un l ve et voyant les chercheurs du coin de l il un cuisinier Tu ne prends pas de l gumes Mais c est tr s bon les l gumes tr s sain Ce qui rappelle cette formule attribu e Groucho Marx Les enfants seraient beau coup plus heureux si c taient les parents qui mangeaient les pinards La question qui se pose est mon avis la suivante il sem blerait que notre sensibilit alimentaire le style alimentaire fran ais notre grammaire et notre syntaxe culinaires notre attachement la table comme lieu principal de sociabilit il semblerait donc que tout cela ait quelque chose voir avec la moindre pr valence de l ob sit en France Nous travaillons claircir cette question et identifier les aspects les plus posi tifs S ils sont av r s la question est alors de les favoriser de les d velopper si possible Et puis cette sensibilit alimentaire la fran aise a aussi un avantage autre que sanitaire elle peut procurer des occasions de sociabilit bien agr ables pour les participants et de d gusta tions non moins agr ables pour les papilles Bien des raisons en somme pour q
45. ant de passer un certain temps table tait choisi par 79 des r pondants a trans mission d un savoir faire culinaire recevait un peu moins de suffrages 62 Mais qu entend on aujourd hui par la bonne mani re de se tenir table La m me chose qu il y a vingt trente ou quarante ans ou que l ann e derni re Ou bien envi sage t on aujourd hui la bonne mani re de se tenir table se lon des crit res diff rents peut tre plus souples qu auparavant La toute derni re enqu te command e en 2011 la soci t Le Terrain par la Fondation Nestl r pond en partie la question de savoir si la norme sociale int rioris e par les parents sur ce MANGER MODE D EMPLOI 37 qu il est de leur devoir de transmettre aux enfants volue Les parents se doivent d enseigner a leurs enfants a politesse et les bonnes mani res table cet nonc fait l unanimit quasi absolue un r sultat rarissime dans les enqu tes 99 5 des r pondants sont tout fait d accord ou d accord Mais ce point pos comme une sorte de rep re de r f rence qu est ce qu on entend par la En 2011 une r ponse est claire car elle fait la encore la quasi unanimite il faut leur apprendre go ter de tout et ne pas tre difficile 98 1 sont tout fait d accord ou d ac cord Moins de 2 des interrog s consid rent que c est secon daire Cette norme
46. as seulement de nous nourrir d une grande vari t de produits il nous en fait pour certains d entre eux l obligation Ainsi pour faire simple nous sommes incapables de m taboliser par nous m mes tous les acides amin s dont nous avons besoin Il nous faut donc les trouver dans notre alimentation De v ritables omnivores il n y en a pas tant que cela et la liste est de nature a rabattre notre orgueil d homo sapiens sa piens Un insecte le cafard Quelques reptiles et parmi les mam mif res et par ordre alphab tique le chimpanz l homme l ours le porc le rat et le sanglier 5 Michael Pollan The Omnivore s Dilemma A Natural History of Four Meals Penguin Group 2006 42 FONDATION NESTLE FRANCE Cette situation d omnivore au cours de notre volution a d termin on y revient des r pertoires alimentaires qui os cillent entre deux p les la familiarit gage de s curit et la vari t n cessit physiologique mais aussi besoin d chapper a la lassitude du toujours pareil L encore il y a tiraillements entre des injonctions contradictoires la familiarit ennuie le changement pr occupe omnivore est par nature un animal inquiet Cette oscillation entre n ophilie la qu te du nouveau et n ophoble la phobie de ce nouveau demeure inscrite tout au long de la vie dans les comportements alimentaires Ma dame Dupont rencontre Madame Durand
47. breux pays les cols blancs y sont devenus infiniment plus nombreux que les cols bleus nagu re pr pos s aux travaux physiques d sormais pris en charge par des machines En 1950 pour une grande partie de la population bien manger exigeait que a tienne au corps et comporte assez de viande Aujourd hui y compris parmi les ouvriers on demande que ce soit vari quilibr Ces amp volutions ont amen amp a mettre en place des conduites de restriction a la fois personnelles et orchestr es par le mar ch On sait combien a volu au cours des si cles la repr 80 FONDATION NESTLE FRANCE sentation de la corpulence Aux poques o l opulence des formes signalait pour les femmes comme pour les hommes l opulence tout court ont succ d celles qui imposaient comme norme sociale la minceur pour ne pas dire la maigreur Vers les ann es 1980 on s est donc mis vendre de l absence ce qui est assez singulier Le lourd tant devenu in l gant voire signe de laisser aller on a all g tour de bras con u des produits sans sans Sucre ou presque sans mati res grasses etc Coca Cola le premier a m me r ussi a faire a la lettre de Z ro un plus en en faisant une marque C est a dire en somme a faire de rien une valeur ajout e Le ph nom ne s est videmment d velopp plus t t et plus largement aux tats Unis qu ai
48. c tait plut t d concertant pour des Fran ais ce ne fut pas le plus grave en terme de d saffection des clients On s est vite aper u que c tait en France une fausse bonne id e Les fast food demeuraient quasiment d serts sauf entre 12h30 et 14h Donc avant cette heure il fallait attendre deux heures avant de monter sur le bateau des Pirates des Cara bes son tour peu pr s d sert l heure sacr e du repas On dit qu il y a une certaine mont e du go ter Non mais il subsiste Val rie Adt a m me observ dans la r gion de Cholet que dans la grande majorit des familles o elle a enqu t des familles avec au moins un enfant de 6 8 ans ce go ter tait pris assis comme un vrai petit repas Mais c est une subsistance plus qu une nouvelle tendance 64 FONDATION NESTLE FRANCE L essentiel demeure le constat de ce pic extr mement marqu en France vers 12h30 alors que les prises alimen taires des Anglais se r partissent tout au long de la journ e En d autres termes ils grignotent Oui et cela c est tres mal percu en France Cette condamnation du grignotage remonte tr s loin au Moyen Age et elle est li e au d bat sur la friandise comme le d crit Florent Quellier dans son livre sur La Gourmandise Jusqu la fin du 17 si cle friand est le mot qui d signe celul qui commet le p ch de gourmandise Et par extension qu
49. cette tension mangeur pro ducteur ll faut que les mangeurs consommateurs arrivent se r approprier leurs aliments retrouver la confiance avoir le sentiment qu ils savent mieux ce qu ils mangent Et c est faisable puisque cela existe d j Mais a n existe gu re que pour le haut de gamme En payant le prix on trouve aujourd hui des produits de qualit extr me y compris dans les grandes surfaces En d autres termes l alimentation bonne et saine au 21 si cle reste un privil ge Nous savons en effet MANGER MODE D EMPLOI 93 sans l ombre d un doute que la bonne sant et la long vit ne sont pas la chose du monde la mieux partag e il existe encore dans les pays d velopp s en g n ral et le n tre en particulier un diff rentiel de plusieurs ann es dans l esp rance de vie des classes sociales Lob sit frappe surtout les classes pauvres partout dans le monde d velopp et de plus en plus aussi dans les pays mergents a eux les produits les plus denses en calo ries les moins ch res comme le montre Adam Drewnowski aux Etats Unis22 Le mouvement italien S ow Food qui d fend les produits de qualit locaux et traditionnels produits par des agriculteurs attach s au terroir etc n h site pas compl ter le tableau en disant que les consommateurs doivent accepter de consacrer davantage d argent a leur alimentation Ils en tireront ajoutent ils un triple b n fice am liorer la qu
50. chler homnivores pour le meilleur et pour le pire Carnivores un bon nombre de d sagr ments nous auraient t pargn s En particulier une certaine pomme tendue par Eve a Adam l aurait laiss totalement indiff rent nous l ternel para dis Il est d ailleurs interessant de constater que les omnivores ne sont pas si nombreux sur notre terre Parmi les oiseaux le canard colvert Parmi les mammif res le chimpanz l homme l ours le porc le rat et le sanglier Plus quelques reptiles Et si le trop fa meux serpent en avait fait partie et avait eu comme noir dessein de nous convertir a son tat Hypoth se risqu e on en convient mais qui donnerait un autre statut a la connaissance dont ce morceau de fruit nous inocula dit on le d sir insatiable Qu on se rassure les pages qui suivent n ont rien a voir avec cette suggestion iconoclaste Pour autant c est bien de connais 12 FONDATION NESTLE FRANCE sance qu il s agira De celle d un acte la fois extr mement familier et cependant complexe manger Il y a quelques d cennies le projet d un Manger mode d emploi aurait pu para tre singulier voire provocateur Manger Quoi de plus simple et naturel Donc quoi apprendre Surtout pour nous Fran ais qui sommes reconnus ma tres en la mati re Le grand Brillat Savarin l a dit depuis presque deux si cles Les animaux se repaissent les hommes mangent Seul l homme d esprit
51. cord On voit que la norme est bien pr sente mais qu elle admet quelques exceptions ou tol rances Cela dit l expression Bien se tenir table est en fran ais ambigu ce qui est comme souvent r v lateur Nagu re c tait ne pas sortir de table sans permission o ne pas par ler la bouche pleine un ensemble de conventions pr cises qui d terminaient non des r gles de convivialit mais de civilit ce qui est tr s diff rent et visait a faire des enfants bien lev s Mais simultan ment d un bon vivant on disait sait bien se tenir table et il y avait du rire la dessous On entretenait tr s consciemment la confusion entre les ma ni res de table et le savoir quoi faire de ce qu il y a dans son assiette Ce qu illustre la m tonymie de la fourchette Un jour je suis all chez Bocuse avec un ami am ricain la fin du repas Bocuse est venu nous saluer et voyant l assiette par faitement nettoy e de mon convive il m a dit Votre ami est une bonne fourchette J ai imm diatement traduit le propos Monsieur Bocuse dit que tu es a good fork Que tu es un bon mangeur Lami en question en a t plus fier que si on lui avait d cern je ne sais quelle prestigieuse d coration francaise Reste que au sens propre ou figur plus jamais Je ne lis dans les discours prescriptifs quoi que ce soit sur la mani re de se tenir a table Comme si le
52. ctuellement une extraordinaire demande de di rectives de pr conisations de normes d o qu elles viennent avec toutefois deux exigences en aval que ces pr conisations r pondent a un objectif normatif de corpulence en l occur rence la minceur et en amont qu elles conf rent a qui les suit une reconnaissance implicite de comp tence nutritionnelle On mesure trop peu le poids de ces exigences MANGER MODE D EMPLOI 31 Effectivement il n est pas simple de prendre des d cisions dont les enjeux sont importants a la fois pour la sant de ses en fants et pour leur vie sociale quand on est brinquebal e de mises en garde en incitations d achat Qui et quoi croire D autant qu a tout cela s ajoutent des l ments qui ne re l vent pas de la rationalit et m me s y opposent Des l ori gine alimentation magie et religion ont t tr s li es Toutes les religions ont quelque chose dire sur l alimen tation ce qui est pur ce qui est impur ce qui convient tel ou telle ce que doit viter tel ou telle autre ce qui est prescrit et ce qui est proscrit ce qui est requis et ce qui est tabou Et au del ou en de de la religion il y a la magie On a longtemps cru que la pens e magique tait le propre exclusif de la mentalit et des peuples primitifs et que les volu s rejetaient la superstition et les croyances La psychologie sociale et en particulier
53. de l identit Je pense que le processus g n ralis d individualisation dont nous ne cessons de parler rend compte de cela Une part de plus en plus grande de la vie quotidienne et de la vie tout court est renvoy e la sph re d appr ciation et de d cision de l individu de l amour jusqu au r gime alimentaire si l on fait maigre au jourd hui c est parce qu on a d cid de s occuper de soi m me Et l une des cons quences de ce processus d individualisa tion ce peut tre le renvoi de ce qui relevait de la culture donc du collectif l individuel la consommation Exemple les Am ricains pour peu qu on leur fasse remarquer leurs usages 84 FONDATION NESTLE FRANCE les reconnaissent parfaitement Quand on les interroge sur ce qu ils mangent en assistant a un match de base ball ils r pon dent d une seule voix des hots dogs Et au cin ma Du pop corn Si on leur demande dans un cas comme dans l autre Pourquoi ils sont pr ts a admettre qu ils ne savent pas et qu il pourrait en aller autrement En d autres termes comme les autres comme les Japonais avec le th vert sans sucre ou les Fran ais avec la s quence naturelle du repas ils ont des codes qu ils suivent sans vraiment s en rendre compte Mais dans leur esprit en tout cas quand il s agit d alimentation ce ne sont pas des usages ou des traditions encore moins des r gle
54. de nos pr occupations en mati re de calories lesquelles cor respondent a l volution de nos modes de vie Au d but du 20 si cle on consommait environ 3000 calories par jour les hommes un peu plus les femmes un peu 18 Voir Francois de Singly Passer table une crise de la transmission Actes des Petits D jeuners d bat 2009 2010 Fondation Nestl France f vrier 2011 MANGER MODE D EMPLOI 79 moins Une bonne part provenaient du pain on en mangeait quotidiennement par personne 900 grammes Un si cle plus tard on fait les courses en voiture on prend l ascenseur au lieu de monter les tages a pied et on d pense beaucoup moins de calories a r guler sa temp rature corporelle nagu re on avait encore plus froid chez soi qu l ext rieur aujourd hui nous sommes chauff s en hiver rafraichis en t Heureuse ment nous avons su faire voluer nos apports en cons quence au moins pour l essentiel nous ne consommons plus en moyenne que 2000 calories par jour Nous avons donc r duit notre consommation d un tiers Ce n est pourtant pas encore tout fait assez Il reste un petit surplus Et nous stockons l nergie que nous ne d pensons pas Pour grossir un petit exc dent de quelques calories journali res suffit surtout chez certains qui sont pr dispos s accumuler les r serves sous forme de graisse Changement aussi dans la composition sociale de la France comme celle de nom
55. des messages pourtant clairs de la communaut scientifique Il s agit plut t de prendre conscience que le temps de la m diatisation ne doit pas anticiper sur celui de la recherche C est d ailleurs un des probl mes majeurs de sant publique quels messages de pr vention faire passer alors que les tudes concer nant le caract re b n fique ou nocif de tel ou tel comportement alimentaire sont tr s longues mener puis analyser De fait de dix ans en dix ans un aliment peut tre vou aux g monies puis revenir au top comme le pain vilipend dans les an n es 1970 et ensuite r habilit comme un tr sor nutritionnel Ce qui montre comme je le disais qu une proposition scien tifique ne peut pas tre imm diatement traduite en discours nor matif Karl Popper affirme qu une th orie ne peut tre qualifi e de scientifique que si elle est potentiellement r futable Sinon c est un dogme ou une croyance Mais il s ensuit que si une th o rie est toujours r futable il faut fichtrement faire attention avant de la transformer en politique sanitaire On peut citer cinquante exemples de prescriptions un temps consensuelles mais qui se sont av r es au mieux ineffi caces au pire nocives MANGER MODE D EMPLOI 45 Un cardiologue new yorkais de mes relations chaque fois que je le rencontrais m adjurait de renoncer moi Francais r put mangeur de beurre a cette funeste consommation m
56. domaine alimentaire on peut mettre face face les styles am ricains et fran ais On a pu le constater plusieurs reprises il y a dans la culture am ricaine une valorisation extr me de la notion de choix qui va de pair avec une conception tr s lib rale au sens conomique de l individu L individu est libre et sa libert se mesure au nombre de choix qui lui sont offerts Mais il est responsable aussi ce qui se v rifie parce qu il fait le bon choix c est dire le choix ra tionnel et le choix moral Si comme nous l avons fait on propose un chantillon de Fran ais d Am ricains et d autres Europ ens une carte pr sentant une s lection de dix parfums de glace ou une autre offrant cinquante parfums une majorit d Am ricains pr f re le choix le plus abondant alors que dans les autres pays la s lection de dix parfums est tr s largement pr f r e Le probl me est que cette importance accord e la libert individuelle mesur e l aune de l tendue du choix s accom pagne d un poids de responsabilit qui peut vite tre crasant Parce qu ils sont des individus rationnels ayant fait leur choix sans entrave il est normal qu ils paient le prix d une erreur de 19B Schwartz The Paradox of Choice Why More is Less ECCO New York 2005 82 FONDATION NESTLE FRANCE choix La libert de choix assortie a la responsabilit d bouche ainsi sur l anxi t du choi
57. duite Vraiment pas Pour ce qui est du temps pass table mais sans doute pas dans la situation que vous venez de racon ter nous sommes champions du monde pour les Francais un repas ordinaire id al doit durer entre 130 et 140 minutes 11 Sondage Harris Interactive 2010 pour la Fondation Nestl France 62 FONDATION NESTLE FRANCE soit plus de deux heures Ce qui ne manque pas de nous valoir l ironie ou peut tre l envie de beaucoup lorsqu on demande aux Anglais ce qu est pour eux la France ils r pondent The Eiffel Tower and the two hour lunch La Tour Eiffel et le d jeuner qui dure deux heures Mais le plus remarquable est sans doute la facon dont nos trois repas quotidiens scandent notre journ e de mani re quasi identique Une statistique est de ce point de vue tr s clairante Elle montre qu a 12h30 un jour quelconque de la semaine 54 de la population francaise est en train de manger Outre Manche on constate que le pic se situe 13h10 mais surtout qu il n y a que 17 6 des Britanniques qui sont alors en train de manger 2 Les courbes trac es montrent pour la France la pr sence de trois pics tr s marqu s qui correspondent aux repas tra ditionnels avec entre eux des creux quasi complets Qu on se souvienne du propos de Daniel Lerner avec ces heures des repas en fran ais dans le texte En anglais l expression ne signifie rien o plut t n
58. e classe ouvri re homog ne oubliant dans l instant ses diff rents h ritages en mati re de culture ali mentaire D barquent alors des Italiens des Allemands des 46 FONDATION NESTLE FRANCE Irlandais Avec chacun leurs pr f rences et leurs r pulsions alimentaires pour les Irlandais le rago t consid r comme pi gwash de la lavasse pour les cochons pourtant un des plats les plus aptes tre cuit avec la fameux four Aladin Deuxi me conviction et deuxi me erreur tout homme est d abord m par sa raison suffit donc de lui montrer le bon et le bien pour qu il les adopte l poque la nutrition ignore les vitamines et en gros ne conna t que les calories qui donnent l nergie n cessaire pour travailler Inutile donc de prescrire des l gumes peu caloriques rien que des fibres et de l eau En revanche il faut consommer beaucoup de viande en particulier de b uf Se pose toutefois un probl me conomique ce sont les morceaux arri re du boeuf qui sont les plus comestibles et les plus tendres mais aussi pour cette raison les plus chers Qu a cela ne tienne le four Aladin rendra parfaitement consommables les morceaux avant Impla cable logique nutritiono sociologico conomique compte tenu des connaissances du temps L exp rience a chou et c est probablement heureux R ussie elle aurait fait absorber la classe ouvri re
59. e ce qui est amer universel lement l aussi ce go t provoque une r action de rejet qui se traduit par des grimaces tr s loquentes et m me parfois une r gurgitation Donc on peut dire que l enfant vient au monde avec une sorte de pr r pertoire alimentaire Dans ce domaine en particulier ce n est aucunement la tabula rasa 1Voir Yes Coppens Aux origines des comportements alimentaires Actes des Petits D jeuners d bat 2009 2010 Fondation Nestl France f vrier 2011 MANGER MODE D EMPLOI 23 Arrive ensuite une phase qui pr cipite immanquablement les m res de famille chez leur p diatre vers deux ou trois ans parfois plus tard des enfants jusque l faciles devien nent chipoteurs se mettent a repousser leur assiette si elle contient autre chose que du jambon et des p tes Et autre chose au sens strict un brin de persil sur la pur e rend l en semble immangeable C est l tape de la n ophobie le rejet de ce qui est nouveau Elle survient un stade du d veloppement de l enfant o celui ci a d sormais une capacit motrice qui lui permet de porter tout seul quelque chose sa bouche Heureuse coincidence qui n en est videmment pas une c est alors que l enfant se met tre tr s discriminant I se m fie de tout ce qui n est pas dans le registre du tr s familier Certes tant un pe tit omnivore il lui faudra d passer ce stade hyper s lectif M
60. e vantait les m rites de la margarine Fleischmann soft exempte elle de ces acides gras satur s augmentant le taux de cholest rol Jusqu au jour o une quipe hollandaise a publi une tude mon trant que le proc d industriel utilis pour ce type de margarines r duisait bien les acides gras satur s mais produisait des acides gras trans satur s encore plus dangereux Au point que de puis le maire de New York a d cid d interdire dans toute la ville la vente de tout produit contenant des acides gras trans Autre exemple de cet enfer pav de bonnes intentions au quel peuvent aboutir des th ories g n reuses mais encore ap proximatives la fin du 19 si cle Boston un groupe de scientifiques clair s et progressistes du Massachusetts Insti tute of Technology a entrepris d apprendre a la classe ouvri re de migrants en Nouvelle Angleterre comment bien se nourrir Il existait Berlin une Cuisine du Peuple qu ils ont pris comme mod amp le pour fonder une New England Kitchen Avec les conseils ad hoc et l installation d un four sp cial cuisson tr s lente le four Aladin elle devait permettre d laborer des plats de meilleure qualit nutritionnelle tout en permettant de mieux g rer des budgets modestes Premi re erreur des promoteurs de l exp rience l arriv e a Ellis Island ne changeait pas d un seul coup des migrants venus de toute l Europe en un
61. elles li es un terroir d origine Na vement nous avions envisag de poser la m me question en anglais Sauf que nous nous sommes heurt s un probl me de base comment traduire Quelle sorte de cuisine faites vous MANGER MODE D EMPLOI 51 chez vous On a exp riment un What kind of cooking do you do at home sur la famille de la doctorante am ricaine avec qui nous travaillions R ponse We don t cook On ne cuisine pas On a alors cru s en sortir en leur demandant quel type de cuisine ils pr f raient Et la on s est rendu compte que la langue induisait le rapport qu entretiennent les gens avec la notion de cuisine En anglais on dit What s your favo rite food et en francais Quel est votre plat pr f r Donc en France on mange des plats de la cuisine etc alors qu aux Etats Unis on mange de la nourriture Pour un Fran ais ce sont les animaux qui consomment de la nourriture C est m me le postulat fondateur de la Physiologie du go t de Brillat Savarin Les animaux se repaissent l homme mange l homme d esprit seul sait manger lequel Brillat Savarin se rait sans doute tr s d concert par le sens que nos contempo rains donnent apprendre manger De fait la diff rence d emploi des deux mots nourrir et manger est m me un indice de proximit affective avec l esp ce animale concern e
62. elqu un qui a un go t immod r pour quelque chose de tr s pr cis on est friand de C est donc l expression d un app tit tr s particulier s lectif pour une chose qui permet de maximiser son plaisir Or la recherche tout prix du plaisir est gravement immorale Du friand on passe aux friandises devenues des pi ces de confiserie le plus souvent sucr es Toujours au 17 me si cle on a passionn ment d battu pour savoir si l on a le droit de manger des friandises pendant le Car me p riode comme on sait o il convient de pratiquer je ne et abstinence L affaire est plus complexe qu on ne croit car cette poque le sucre est consid r comme une m decine et je ner n interdit pas de se soigner Port Royal et les jans nistes auront raison d une contro verse qui cache un f cheux laxisme 13 Florent Quellier Gourmandise Histoire d un p ch capital Armand Colin 2010 MANGER MODE D EMPLOI 65 On condamne donc les friandises pendant le Car me et globalement mais cela existe depuis d ja longtemps le fait de manger quelque chose de particulier en dehors des repas En effet avec le repas communiel les ordres monastiques ont impos comme r gle que tous mangent la m me chose et il est inpensable de manifester une pr f rence sp cifique pour un plat ou un type de nourriture la commensalit met d ailleurs chacun sous le regard de tous D s lors man ger entre les
63. est si unanimement admise par les Francais qu elle leur parait probablement aller de soi Seule la comparai son avec une autre culture pourrait montrer ce qu elle a ventuel lement de sp cifiquement frangais Un chantillon d Am ricains interrog s simultan ment mais malheureusement par une autre technique ce qui rend les deux enqu tes seulement partielle ment comparables montre que l unanimit n est pas tout a fait aussi totale Outre Atlantique 11 4 ne sont pas d accord Unanimit nouveau pour les comportements de nature d ranger autrui ne pas parler la bouche pleine reste le grand imp ratif d une bonne tenue table 95 4 d accord ou tout fait d accord Il reste savoir si la norme comme les autres auxquelles nous avons mesur l adh sion de l chantillon fran ais est ap pliqu e M me si l enqu te ne nous donne pas d information sur les comportements r els en croisant certaines questions on peut 38 FONDATION NESTLE FRANCE pr ciser l g rement clairage Dans l ducation ancienne ma ni re il tait admis qu on devait viter de laisser apparaitre ses aversions Dans un repas formel il est sans doute discourtois de ne pas manger ce qui est propos Dans un repas familial manger de tout et ne pas tre difficile semble peu compatible avec le fait de manifester pr cis ment ses aversions Or la pro position ne pas montrer qu
64. eurs aux n tres Ils foncent sur leurs assiettes pleines de boules de viande derri re eux on attend leur place Et en 1956 un sociologue am ricain Daniel Lerner pr sente sa vision de la France table Frenchmen tend to be rigid in all matters associated with feeding There is practically no variation in les heures de re pas of any region whereas for many non Frenchmen feeding at precisely the same hour each day is associated rather with the zoo There is little deviation as to which wine goes with which food and few venture from established rules in order to try something different Even the conception of a well composed meal repas bien compos is a distinctly Gallic idea with certain fixed features Pour le Francais les Am ricains mangent comme a l table Pour l Am ricain l habitude qu ont les Francais de prendre leur repas la m me heure les assimile aux animaux Les Fran ais ont tendance tre rigides d s qu il s agit de se nourrir Les heures de repas d une r gion l autre ne varient pratiquement pas alors que pour beaucoup de non Fran ais manger tous les jours exactement la m me heure ferait plut t penser au zoo On d vie tr s peu des r gles d finissant quel vin va avec quel plat et rares sont ceux qui s aventurent hors des r gles tablies pour essayer quelque chose de diff rent La notion de repas bien compos elle m me est une id e sp cifique
65. icaces principes de r gula tion alimentaire On peut bien s r dire que cette pression so ciale entra ne quelque fois manger plus qu on ne le voudrait comme lors d interminables repas de famille ou de f te mais il est vraisemblable que au moins aussi souvent la r gula tion joue dans l autre sens Autant on l a vu il est consid r comme horriblement mal lev de refuser d un plat autant s en resservir plus d une fois l est aussi Une r gle implicite 14 Sur la codification des places table voir Claude Fischler Commensality society and culture pp 1 21 Social Science Information 2011 IS Voir J P Poulain et E Neirinck Histoire de la cuisine et des cuisiniers techniques culinaires et mani res de table en France du Moyen Age nos jours Lanore Paris 2000 et Jean Louis Flandrin L ordre des mets Odile Jacob Paris 2002 70 FONDATION NESTLE FRANCE veut que lorsque la maitresse de maison propose a un invit de reprendre d un plat celui ci refuse d un C tait ab solument d licieux mais ou surench re dans la flatterie r ponde Alors juste une toute petite part je n y r siste pas Preuve qu on s accorde l une licence dont il serait tres mal venu d abuser Quant la r sistance l importation de pratiques ou d l ments trangers dont vous parlez mais encore une fois le service la russe est autre chose qu
66. l veut Ce n est pas un suppl ment de process c est moins de process Id alement il voudrait du moins transform puisqu il veut du naturel 92 FONDATION NESTLE FRANCE Mais simultan ment il a de moins en moins de temps a consacrer a des t ches m nag res Il pr f re utiliser son temps autre chose moins bien s r qu il ne s agisse de cuisine loisir de cuisine culture de cuisine plaisir et non de faire manger au quotidien II a donc besoin des produits de l industrie Mais d une certaine fa on plus il ou elle les utilise et plus il ou elle se sent vaguement ou explicitement coupable de le faire Et plus il ou elle en veut l industrie De leur c t les industriels se plaignent nous avons di sent ils trouv le moyen de fournir des produits de plus en plus commodes d emploi faciles utiliser s rs et savoureux de plus en plus innovants etc etc Et c est comme a qu on nous remercie semblent ils dire ou disent ils explicitement y a peut tre aussi un peu d irritation de leur part l endroit de la grande distribution Les supermarch s se taillent volontiers un r le sur mesure de chevalier blanc d fenseur du consommateur En m me temps ils d veloppent leurs propres marques qui vien nent concurrencer f rocement les grandes celles de l industrie Il me semble que l un des enjeux essentiels aujourd hui est de d passer cette contradiction
67. le qui cuisine se donne en quelque sorte manger autrui Comment peut on faire le difficile devant un tel don On voit bien qu est l sous jacente la symbolique de l Eucharistie ce qui permet de parler pour ce type de repas de relation communielle tr s diff rente du rapport contractuel qui pr vaut dans d autres cultures Dans les anecdotes que vous avez voqu es on mesure bien qu il s agit d une sorte de conflit de regards Le serveur japo nais comme le gar on du Bar hu tres valuent l autre partir de leurs propres normes en l occurrence de leur propre culture alimentaire trange quand m me de constater combien cet uni versel qu est manger d clenche de r actions identitaires C est effectivement quasiment toujours avec des lunettes culturelles que l on regarde l autre dans son rapport aux repas En 1937 l crivain Paul Morand que sa carri re de diplomate conduit dans de multiples pays d crit comment on d jeune aux tats Unis New York personne ne rentre chez soi au milieu de la Journ e on mange sur place soit dans les bureaux tout en MANGER MODE D EMPLOI 55 travaillant soit dans les clubs soit dans les cafeterias Dans les bouillons populaires des milliers d tres align s d vorent chapeau sur la t te sur un seul rang comme l table des nourritures d ailleurs fraiches et app tissantes pour des prix inf ri
68. lerait aller de pair avec celle de choisir une alimentation saine Ce n est pas le cas On constate qu une partie au moins des r pondants en accord avec l affirma tion il est facile d avoir des informations estiment difficile d avoir une alimentation saine Et la difficult se prononcer sur MANGER MODE D EMPLOI 83 une alimentation saine tient moins au caract re contradic toire des informations qu a leur abondance A quoi s ajoute la dimension soci tale Etre en compa gnie c est tymologiquement partager le pain Pour autant ce sens du partage rend il les Fran ais plus sensibles au bien commun Ou en d autres termes acceptent ils si facilement que s en m lent des instances relevant de la sph re tatique alors que les questions de sant publique ont un co t que la collectivit doit assumer Lorsque le Minist re de Agriculture et de la p che a ajout sa d nomination de l Alimentation un ditorialiste a titr L tat met son nez dans nos assiettes Il tait clair du moins lire ce titre que cette intrusion tait consid r e comme indue I semblerait donc qu il y ait plus qu une nuance entre sens de la communaut et sens de la collectivit comme si la com munaut tait une extension l gitime et souhaitable de l intime mais que la collectivit tait une cat gorie tr s diff rente et potentiellement n gatrice
69. lleurs Le processus r pondait une double demande qui allait s rieusement brouiller le jeu Se sont mises en place d une part des propositions de restric tion tr s sollicit es par les consommateurs et les consom matrices et d autre part des d clinaisons quasi infinies de produits qui devaient permettre un choix lui m me quasi infini Or il fallait construire cette diversit de choix au moindre co t de production Lune des fa ons simples de multiplier les versions c est de multiplier les aromatisations Lors d un long voyage am ricain o je tenais retrouver le th glac qui m avait t si pr cieux lors d un pr c dent s jour caniculaire je me suis retrouv dans un supermarch devant un rayon de vingt m tres de th glac Au gingembre la p che la framboise au citron p che gingembre ou framboise citron piment avec ou sans aspartame que sais je encore Mais je n ai jamais retrouv le th glac nature enfin presque que je cherchais MANGER MODE D EMPLOI 81 Il est vrai que m me dans des supermarch s fran ais et sans aller jusqu vos vingt m tres de th glac la pl thore de produits de quoi donner le tournis ce degr est ce vraiment un plus pour les consommateurs Avoir l embarras du choix phrase courante dont on me sure trop peu ce sur quoi elle met si justement le doigt l em barras L encore et dans le
70. ment gauloise qui comporte certaines caract ristiques immuables 56 FONDATION NESTLE FRANCE d un Zoo On notera videmment que dans le premier comme dans le second cas l autre bascule dans l animalit Et que Daniel Lerner ne manque pas de souligner ce qui lui apparait comme une rigidit exacte observance des heures de re pas en fran ais dans le texte et le quasi refus de modifier la structure de ces repas pour essayer quelque chose de diff rent Pour Morand les Am ricains liquident a toute vitesse une obligation physiologique en pensant a autre chose et on sent qu il s tonne presque de les voir consommer des nourritures d ailleurs fraiches et app tissantes comme si cette concession au plaisir de manger tait dans ce contexte une incongruit Pour Lerner les Fran ais th tralisent cette m me obligation quasiment sur le modele de la dramaturgie classique pas ques tion de subvertir des r gles sacro saintes On l a dit peu d activit s humaines lorsqu elles sont regar d es d ailleurs chappent aux distorsions caus es par les lunettes culturelles Mais on serait tent de penser que le ph nom ne est particuli rement flagrant lorsqu il s agit de l ali mentation Sans doute parce que chaque culture fait de l acte fondamental de manger un marqueur de son humanit Toutefois il semble que l individualisme
71. mme une autre 100 FONDATION NESTLE FRANCE Effectivement nous avons bien vu que cette banalisation nie la sp cificit de l alimentation Mais sur quel ressort agir Changer l environnement mat riel et immat riel est plus efficace que de chercher changer les pratiques des individus L environnement cela comprend les produits l offre alimentaire l organisation de l alimentation et de la restauration collective le paysage alimentaire physique par exemple dans les cantines et restaurants d entreprise Sur un plan immat riel cela com prend aussi la culture alimentaire l ducation et la transmission des usages des mani res de table la connaissance et la capacit d appr ciation et de discrimination je veux dire la capacit de re conna tre et appr cier la qualit la qualit globale nutritionnelle aussi Mais d abord la qualit gustative la qualit de plaisir Et surtout les cat gories sociales les plus menac es les plus concern es celles qui auraient le plus besoin d am liorer leur alimentation ne sont pas touch es ou peu par les cam pagnes Elles sont au mieux culpabilis es Mettre sur le compte de l ignorance la persistance dans des comportements n fastes revient un peu faire comme le polytechnicien de l histoire dr le celui qui dressait des puces sauter Saute leur disait il et elles sautaient Puis par esprit de curiosit scien tifique il leur coupai
72. n des l ments constitutifs de l apprendre man ger la mani re de se tenir table Ceci non pas pour faire all geance aux prescriptions des anciens manuels de savoir vivre mais simplement pour rappeler qu aux yeux des parents et je crois peu pr s globalement du moins en Europe apprendre manger signifie aussi apprendre les r gles de 36 FONDATION NESTLE FRANCE civilit table puisque c est l que se construit non seulement le rapport priv l alimentation mais aussi le rapport commun au groupe Vous avez raison Aujourd hui je l ai dit apprendre man ger c est d abord apprendre choisir Il y a cela des raisons de mutations de soci t Ce n est pas un hasard si l association de consommateurs Que choisir date de 1951 et correspond au d but de la consommation de masse Peu peu s est instal l e une certaine dissociation entre alimentation et repas Pourtant nombre d tudes montrent que les Francais sont tr s soucieux des mani res de table Un sondage r alis en 2010 l occasion des Premi res Assises de la Fondation Nestl deman dait aux parents ayant des enfants de cinq ans et plus quel type de comportements ou de pratiques ils entendaient leur transmettre Les r sultats taient loquents parmi les options propos es la bonne mani re de se tenir table faisait l unanimit ou presque 92 le fait qu il est import
73. nt y a acc s de fa on autonome et solitaire les friandises deviennent des cochonneries ne faut pas manger des cochonneries avant les repas ca coupe l app tit Arr te de te gaver de bonbons tu n auras plus faim a table Donc les friandises gavent mais ne nourrissent pas Et elles perturbent l acte nourricier par excellence le repas a table en pr sence des parents et sous leur contr le toute autre consommation tant suspecte voire corruptrice Aujourd hui y a t il des changements dans ce domaine Sans doute pour partie II est certain au moins dans les villes que les parents s inqui tent davantage de l inconnu rencontr sur Internet que de celui qui serait devant l cole avec des bonbons Mais on constate qu en milieu rural ou semi ru ral o nous avons men des enqu tes aupr s des enfants ce sch ma perdure Donc en France le repas est la seule occasion l gitime de s alimenter Tout ce qui est pris en dehors de ces repas entre en comp tition avec l alimentation consid r e comme efficace et surtout licite Donc autre force de ce repas la fran aise pas question de lui substituer des grignotages m me moins caloriques que les friandises MANGER MODE D EMPLOI 67 Le terme grignotage est en francais connot de facon tr s n gative alors qu en anglais le mot snack est relative ment neutre Pour concilier un principe de res
74. ogressivement ensuite C est un change ment consid rable qui n a pas pu s op rer sans une assez rude adaptation psychologique Nous en avons d j parl propos de la bo te noire il a fallu en somme apprendre a maitriser comme on dit en infor matique l interface avec les produits alimentaires C taient de moins en moins les odeurs la texture l apparence qui consti tuaient les rep res et les crit res et de plus en plus des marques des tiquetages des labels et des all gations On pouvait de moins en moins souvent s appuyer sur la confiance celle qu on accorde au commer ant boucher picier marchand de primeurs de proximit puisqu il s agissait non plus d un contrat implicite avec une personne mais d un choix op rer dans un lin aire de 90 FONDATION NESTLE FRANCE supermarch Au moment de la crise de la vache folle en 2000 on a constat que les consommateurs faisaient plus confiance au boucher de leur quartier qu au supermarch Il nous est arriv tous de passer des minutes enti res de vant un rayonnage ou un pr sentoir en essayant de comprendre les diff rences les caract ristiques pr sentes et absentes les variations de prix A plus ou moins difficilement prendre une d cision ou bien a chercher le produit que nous avons en t te et ne pas le trouver supputer la diff rence de prix au kilo entre la barquette de 3 a teneur garantie en vi
75. osph re convi viale est une atmosph re sympathique sans qu il soit besoin pour m riter cette appellation de partager la moindre nourriture Quant un ordinateur interface conviviale il est simple ment r put facile utiliser On aurait donc pu s attendre dans ces propos sur la convi vialit une mention du convive et de la bonne fa on pour lui de se tenir table dans les situations de sociabilit amicale ou familiale ou simplement en soci t Ce n est pas le cas MANGER MODE D EMPLOI 41 Apprentissage donc Pour le petit humain le fait d tre omnivore a t il compliqu les choses C est certain Paul Rozin avait bien identifi le dilemme de l omnivore dont le journaliste Michael Pollan a fait le titre d un ouvrage succ s 5 Etre omnivore est simultan ment une libert et une contrainte Une libert parce que ne pas d pendre pour sa survie d un seul type de nourriture donne de plus grandes chances d adaptation aux volutions de len vironnement Ainsi pour le koala australien qui ne se nourrit que de feuilles d eucalyptus et encore de certaines esp ces seulement l quation est simple exeunt des for ts austra liennes ces eucalyptus exit le koala Ce ne fut pas notre cas chaque chamboulement climatique donc de modifications des ressources alimentaires nous avons su nous adapter Mais notre statut d omnivore ne nous permet p
76. ou encore Sauce et pain saucer son assiette tant un geste prohib par les manuels de savoir vivre mais heureusement demeur vivace dans la culture populaire alors que l chantillon am ri cain dira p tes et pain parce que les deux sont des f culents D un c t on pense spontan ment en termes de nutriments alors que les Fran ais pensent cuisine et go t Aux tats Unis on parle prot ines glucides li pides carbohydrates hydrates de carbone Je fais un r gime sans carbs On compte les calories on en appelle la responsabilit de chacun Il est tonnant de voir combien 48 FONDATION NESTLE FRANCE les Am ricains parlent imm diatement de cette responsabilit Auparavant nous n avions pas vraiment a choisir disent ils puisque nous ne savions pas Maintenant nous avons le choix je l ai mais je ne suis pas s r d tre capable de toujours faire le bon Et de commencer a se frapper la poitrine Ce qui caract rise le discours des Am ricains que nous avons interrog s et en particulier leur vision du comportement alimentaire c est qu ils se veulent libres et responsables De leur exigence de libert il d coule qu ils con oivent mal la ritualisa tion des repas telle que l entendent les Fran ais pour qui man ger sans r gles est barbare et confine l animalite alors que pour eux l exc s de r gles est contraire
77. par exemple que g n ralement ce que les parents n aiment pas ils ne le cuisinent pas Dans ce processus essentiel de familiarisation intervient aussi la progressive socialisation l enfant sait qu il y a de la nourriture pour adultes et de la nourriture pour enfants Et qu un jour la nourriture pour adulte sera aussi pour lui donc il se familiarise avec elle ya en somme de la transmission n gative celle des refus familiaux souvent base religieuse et de la transmission latente l enfant ne mange pas tout ce que ses parents mangent mais si on en mange la maison au moins cela fait il partie pour lui du r pertoire possible du comestible La n ophobie est un stade transitoire mais parfois un enfant tr s n ophobique devient un adulte qui l est galement Et si son r pertoire alimentaire est limit son propre enfant sera moins familiaris avec une large palette d aliments En somme vous dites deux choses D une part qu entre la vie intra ut rine et les exp riences des premi res ann es Patricia Pliner The Effect of Mere Exposure on Liking for Edible Substances Appetite 3 pp 283 290 Elsevier 1982 MANGER MODE D EMPLOI 25 beaucoup de processus d cisifs sont l uvre qui ne rel vent pas de la seule approche nutritionnelle vous parlez familiarisation justement par la famille et socialisa tion Donc qu apprentissage rime avec entourage Mais si
78. qu elle appelle es pi ces rapport es Mes enfants raconte t elle en substance taient bien lev s Ils mangeaient de tout et appr ciaient bien s r les plats de leur grand mere Mais voici qu ils se marient et qu ils amp pousent en m me temps que leurs conjoints leurs particularit s alimentaires L une est intol rante au gluten intol rante autoproclam e ajoute aigre ment la grand m re et a d cid que toute sa famille ne pourrait que b n ficier de ce r gime L autre vient d une famille o l on ne supporte ni l ail ni l oignon Allez faire des bons plats de p tes quand elles doivent tre sans gluten ni ail ni oignon D s lors se lamente t elle tout part vau l eau Quand tout le monde est r uni elle propose de grandes salades qu elle aurait servies de toute fa on ajoute t elle Mais l essentiel de sa subreptice strat gie passe par les petits enfants elle s arrange pour les avoir chez elle le plus souvent possible sans leurs parents Et alors dit elle en jubi lant elle leur fait les bons plats qu ils adorent La transmission en somme peut s op rer mal au premier niveau mais elle peut sauter l obstacle et passer a la g n ration suivante Conclusion Pas de conclusion mais un constat Jusqu pr sent donc la culture alimentaire de notre pays tout en voluant consid rablement a relativement bien fonctionn entendons relative ment aux pays
79. qui lui a donn sa recette de canard aux mandarines Effusion Votre recette formidable Et ca change Mais M et Mme Dupont partent en voyage organis en Thailande o on leur propose du Hu cha lam sai pu des ailerons de requin au crabe Refus horrifi de M Dupont qui d clare que d ailleurs sorti de l Hexagone il ne peut plus rien avaler Ces conduites sur lesquelles on peut ironiser et qu une forme de culture mondialiste tendrait assimiler une frilo sit obtuse rel vent sans doute en partie de cette prudence archa que avec laquelle l omnivore devait g rer son app tence pour la nouveaut D s lors et c est l une des th ses centrales de L Homni vore la cuisine a t invent e pour r soudre ce paradoxe Un 6Claude Fischler L Homnivore Odile Jacob Paris 1990 MANGER MODE D EMPLOI 43 produit inconnu sera domestiqu par une sauce familiere En revanche la sempiternelle morue servie au Portugal sera tou jours nouvelle grace a ses 365 recettes diff rentes Vari t dans la monotonie familiarit dans l innovation c est comme cela que se r glent les frictions entre n ophobie et n ophilie Le syst me fonctionne assez bien dans les cultures homo g nes tymologiquement univoques qui parlent d une seule voix et d ailleurs suivent une seule voie Il y a un comportement valid admis et qui d s lors va de soi C es
80. rence tout cela se d veloppe puissamment et de fa on dans l ensemble assez efficace m me si le syst me et son ind pendance est contest par certaines associations et ONG En termes globaux les r sultats seraient donc plut t satisfaisants Tout d pend ce que l on consid re Pour ce qui rel ve de la sant publique et de la pr vention nous avons eu l occasion dans ces entretiens de situer l alimentation dans ce contexte et plus largement dans le processus de m dicalisation qu elle subit depuis quelques d cennies M dicalisation et individualisation vont d ailleurs la main dans la main Les campagnes officielles les surench res d all gations la multiplication de prescriptions et de proscriptions m diatiques le bouche oreille des r gimes et autres savoirs profanes prolif rants toute cette cacophonie nutritionnelle contribue faire de tous et de chacun le respon sable unique de sa sant et le contributeur la sant de tous Dans ce climat l alimentation a chang Elle s est d un point MANGER MODE D EMPLOI 99 de vue pid miologique plut t am lior e ces derni res ann es En tout cas dans les couches sociales qui en avaient le moins besoin En revanche dans les classes les plus touch es par les pathologies et les tats pathog nes comme l ob sit on constate une fois de plus une stagnation Tous ces discours sur l alimen tation la nutrition les risque
81. s mais simplement des choix personnels auxquels rien ni personne ne saurait les obliger ob ir si la fantaisie leur prenait d en changer Les Fran ais ou les Italiens et beaucoup d autres eux appli quent ces usages sans y penser parce qu ils vont de soi et qu on est mal l aise quand ils sont transgress s Pourquoi d jeuner 12h30 tous les jours Parce qu on est en hypoglyc mie Parce que l organisme a besoin d une recharge nerg tique Peut tre Mais surtout parce que c est heure de passer table Cet enracinement qu en est il aujourd hui Continue t il influer sur nos comportements alimentaires orienter nos pr f rences Tiraill s entre la certitude que notre mod le ancestral est le meilleur et le sentiment que la modernit nous impose en partie d autres choix nous ne savons plus vraiment quel chemin suivre MANGER MODE D EMPLOI 85 En 2002 notre quipe a r alis une enqu te sur les re pr sentations que se font Am ricains et Europ ens six pays au total de leurs mani res de manger mais aussi des rap ports que les uns et les autres entretiennent avec l alimenta tion en g n ral et les qualit s qu ils en exigent en particulier Un certain nombre de questions identiques ont t a nouveau pos es pour tenter de mesurer quel d placement s tait op r entre 2002 et 2011 et voir s il tait possible d en d duire une tendance Premier constat
82. s d j parl diverses reprises dans l alimentation des Francais il y a un r le central du repas un horaire plus strict qu ailleurs pour ceux ci un temps pass manger plus lev et qui s est davantage maintenu qu ailleurs une structure et une syntaxe assez stable encore qu elles aient beaucoup volu en nombre de plats depuis cent ans Voir France Bellisle App tit et rassasiement l influence des facteurs environnementaux pendant les repas Actes des Petits d jeuners d bat 2010 2011 Fondation Nestl France para tre MANGER MODE D EMPLOI 75 Ajoutons a cela que les march s agro alimentaires se ca ract risent par un r el souci de la notion de qualit celle d ori gine plus qu la composition biochimique Il y a l attachement l id e de terroir aux AOC Depuis des si cles des t moignages de voyageurs d crivent le raffinement des tables fran aises et en revanche le peu de go t des Fran ais voyageant dans le Nord ou l Est de l Europe pour les beuveries qui s y pratiquent Dans L Encyclop die l article Ob sit le chevalier de Jaucourt avait crit en 1758 On remarque que pour une personne d un embonpoint excessif dans les provinces m ridionales de France il y en a cent en Angleterre et en Hollande attribuait ce fait aux aliments et aux boissons et en particulier l usage des bi res r centes et f culentes dans lesquelles la partie ol agi neu
83. s en les prenant si l on peut dire par le plus petit denominateur commun Apprendre a manger c est devenu apprendre a choisir au lieu d apprendre a trouver et a pr parer 22 FONDATION NESTLE FRANCE Mais si nous en restons un instant aux lointains anc tres le jeune n andertalien avait aussi faire un apprentissage du que manger tout particuli rement concernant les produits nocifs Il est effectivement probable que l exp rience acquise permettait d inculquer l enfant des pr f rences et des inter dits surtout des interdits Yves Coppens pense qu assez vite cette connaissance toute empirique a t transmise Comme d ailleurs celles de pr f rences car il est probable selon lui que la prise alimentaire ait t r gie assez rapidement tout est relatif non seulement par le besoin mais aussi par le go t Toutefois je me demande s il n y a pas derri re votre ques tion un pr suppos faux mais trop largement partag le jeune enfant arriverait au monde comme une cire vierge une table rase Or dans le domaine alimentaire il arrive avec un certain nombre de tendances d app tences et aussi de r pulsions La saveur sucr e est universellement appr ci e d s la naissance et m me avant semble t il lors de la phase intra ut rine Le go t sucr agit sur le nourrisson comme un signal de calories rapide ment disponibles Tout aussi inn est le rejet d
84. s longtemps on n a gu re pris garde aux diff rences et a la diversit des situations En core une fois la situation fran aise est plut t meilleure en tout cas moins mauvaise que celle de la plupart des autres pays d velopp s cherchons a en comprendre la raison et agissons lorsqu on est s r de ne pas aggraver la situation D une mani re g n rale on peut faire remarquer que l es p rance de vie n a pas baiss dans les pays d velopp s jusqu pr sent bien au contraire elle ne cesse de progresser Nous avons de plus en plus de centenaires et de seniors qui vivent en bonne sant L esp rance de vie la naissance a augment 102 FONDATION NESTLE FRANCE de vingt ou vingt cing ans depuis les ann es trente Peut tre comme le disent certains l accumulation de toxiques faible dose n a t elle simplement pas encore eu le temps de faire son effet Mais la v rit il n y a gu re d indications objectives que ce soit le cas Puisque vous me demandez de m exprimer titre per sonnel je vous dirai ceci je ne pense pas que l alimentation contemporaine en France soit aussi malsaine charg e de poi sons que certains le disent Je pense que en revanche elle pourrait tre bien meilleure dans beaucoup de secteurs avec un peu d attention la qualit gustative et culinaire ce qui ne g terait certainement pas ses effets sur la sant bien au contraire l h pital et l cole
85. s et les dangers li s la transfor mation des produits semblent bien contribuer la mont e d une anxi t radicale vis vis des produits per us comme industriels d une culpabilit li e aux conduites alimentaires et au sentiment souvent observ de perte de contr le Le plus grand probl me de la sant au 21 si cle reste l in galit devant la maladie et l acc s aux soins Les critiques du syst me de sant et des politiques de pr vention se r f rent au Syndrome de Knock le m decin de Jules Romains pour qui tout bien portant est un malade qui s ignore La m decine et la sant publique se m leraient de ce qui ne les regarde pas Mais le probl me n est pas que l tat s occupe de la sant des citoyens C est qu il s en occupe parfois inefficacement in ga lement peut tre m me avec des effets ind sirables En mati re de nutrition dans les derni res d cennies on a commis des er reurs dont on est en train de revenir Elles venaient de l id e fausse que la mauvaise alimentation proc de de l ignorance et qu on peut r gler la question en exhortant tous et chacun indi viduellement r former ses fa ons de vivre C est maintenant reconnu cette approche donne des r sultats d cevants et pro bablement des effets ind sirables notamment en renvoyant cha cun sa consommation individuelle et ses choix exclusifs en faisant de l alimentation une forme de consommation pour ainsi dire co
86. s uniquement s agissant du r gime sans sel qu ils admettent 90 Point de d tail on aurait pu penser que excuse m dicale serait unanimement accept e n en est rien en Allemagne le r gime sans sel est rejet 44 Parce que les salaisons y sont particuli rement appr ci es Pourquoi la raison m dicale est elle moins accept e qu ailleurs Mystere Mais l hypoth se selon laquelle on peut voir dans ces mani festations de tol rance une marque de l avanc e de individua lisme se lit dans la r partition sociologique des plus tol rants jeunes urbains de bon niveau d ducation Sur ce point en 2011 les r sultats sont absolument iden tiques Et en 2011 comme en 2002 ces tol rants se trou vent majoritairement dans la m me cat gorie 58 FONDATION NESTLE FRANCE Il y aurait donc une certaine volution pour ce qui concerne le repas la francaise mais il conserve quand m me ses grandes caract ristiques on se r unit heures relativement fixes deux ou trois fois par jour pour partager les m mes plats Absolument C est m me la d finition implicite du terme manger On le lit en filigrane dans les propos d une femme in terrog e par Estelle Masson la question Qu avez vous mang midi elle r pond qu midi elle n a pas mang Puis elle se reprend et dit avoir achet dans une boulangerie quelque chose qu elle a av
87. sait manger Et nous sommes gens d esprit la preuve notre repas gastronomique s est vu class par l Unesco au patrimoine culturel immat riel de l humanit On peut penser qu aujourd hui ces interrogations para tront moins tranges Avec l apparition de la consommation de masse dans les ann es 1950 nous sommes peu peu entr s dans l re du soup on choix exponentiel multiplication des fast foods mon tee pr occupante du surpoids et de l ob sit relative cacophonie des normes injonctions et prescriptions y aurait il quelque chose de pourri au royaume du bien manger Pour nous permettre de mieux approcher la r alit actuelle de la culture alimentaire fran aise la Fondation Nestl France a de mand a Claude Fischler sp cialiste incontest des comportements alimentaires en Europe et aux Etats Unis d en dresser a grands traits un tat des lieux Ce qu il fait ici en toute rigueur mais aussi avec humour racontant au passage des anecdotes savoureuses c est le cas de le dire des exp riences tonnantes mesurons nous combien nous restons attach s dans ce domaine la pens e magique ou revisitant notre long h ritage de traditions en mati re de repas MANGER MODE D EMPLOI 13 Mais aussi soulevant des questions apparemment incongrues comme Pourquoi ne mange t on pas de choucroute au petit d jeu ner Premier temps stupeur
88. se n est pas suffisamment att nu e Globalement et quand on consid re les fonctions du repas il faut les interroger non seulement en termes de sociabilit mais aussi de sant publique Consid rons l ob sit On constate que certes elle cro t en France comme dans tous les pays d velopp s Mais ce qui a attir mon attention c est que nous sommes pour l instant nettement moins atteints que la plupart des autres pays d velopp s l exception du Japon et en particulier moins que certains de nos voisins les plus proches C est m me un ph no m ne tonnant dont on n a pas encore analys toutes les compo santes Nous avons entre 10 et 14 de taux d ob sit alors que les tats Unis se situent plut t autour de 30 Et nous avons compar un chantillon al atoire de 800 femmes habitant Colom bus dans l Ohio et un autre chantillon de 800 femmes habitant Rennes le taux d ob sit des Rennaises est nettement inf rieur 8 tandis que celui des femmes de Columbus avoisine 35 76 FONDATION NESTLE FRANCE Donc plut t que de crier une fois de plus au loup en annoncant que nous allons tous devenir gros les Am ricains le font depuis une bonne centaine d ann es et cela ne les a pas fait maigrir je sugg re que nous cherchions comprendre quoi nous devons pour l instant cette relative protection Qui sait nous pourrions peut tre en tirer quelque information pertinente pour la san
89. ser que si l ob sit en hausse dans tous les pays d velopp s l est moins en France qu ailleurs c est en grande partie a cause des syst mes de r gulation qu instaure le fait de prendre des repas ensemble Vous parliez de cette propension qu ont maintenant les Am ricains a parler en termes de nutriments et non plus d aliments Il est vrai que le monde de la nutrition et le monde de la culture alimentaire semblent d sormais deux univers bien diff rents ayant chacun des idiomes sp cifiques Sans doute les nutrition nistes demandent ils leurs patients ce qu ils ont mang lors du repas pr c dent et on n imagine pas un Fran ais appelant un couple ami pour dire On a pr vu de se faire une prise alimen taire sympa dimanche prochain est ce que vous en tes Il n emp che que ces regards diff rents et le vocabulaire qui en d coule sont sans doute r v lateurs de quelque chose comme d un c t une culpabilisation face a une d plorable inconscience Vous avez beau dire un repas c est une prise alimentaire dont il faut mesurer ce qu elle peut vous valoir en exc dent calo rique et de l autre une r sistance la m dicalisation au nom du plaisir d sormais troubl quand m me par la conscience des cons quences Si une amie me dit Tu viens manger a 50 FONDATION NESTLE FRANCE la maison dimanche je penserai Cela va tre agr able de revoir
90. si l on peut dire la cafardit du cafard la repr senta tion que nous en avons MANGER MODE D EMPLOI 35 La deuxi me remarque concerne la nature de la r action de rejet elle n est pas simplement psychologique mais aussi et Imm diatement traduite en termes physiologiques hauts le c ur ou m me vomissements Dans ce cas la culture alimen taire dans laquelle on baigne ou on a baign peut d clencher des r pulsions violentes hors de la volont consciente du mangeur Un de mes amis appartient une famille musulmane II n est nullement pratiquant mais n a jamais mang de porc Or un jour qu il d jeune avec des amis il se r gale d une poitrine de veau farcie Un d eux d signe la farce et s tonne Comment tu manges du porc maintenant Sa r action raconte t il fut imm diate il s est lev et pr cipit aux toilettes Effectivement s agissant d alimentation ou de compor tements alimentaires entre cultures sp cifiques injonctions des autorit s m dicales volont de rationalit et pr gnance de la pens e magique beaucoup de voix parlent en m me temps Quelque chose me frappe toutefois Vous montrez tr s clairement comment s est mis en place a propos d ap prendre manger un certain conflit ou du moins une rivalit de domaines entre nutrition et alimentation Mais pas un moment vous n avez voqu ce qui a t et doit tre encore en partie u
91. st ici pour le moins incongru Responsable mais libre Je vous l avoue cette anecdote surtout celle du th vert me trouble Je suppose que ne pas d roger aux r gles d une communaut me semble un imp ratif prioritaire C est tr s probable Je l ai d j voqu si je suis fran ais et que je n aime pas un plat je vais devoir d abord et avant tout g rer la fa on de le dire ou pas aux autres quand je suis table Ce n est pas un hasard si c est une sc ne clas sique de com die en France quasiment depuis le cin ma muet une ma tresse de maison aussi chaleureuse qu ex crable cuisini re sert h las copieusement un invit pi g qui va essayer d inventer tous les subterfuges pour se d barrasser de ce don culinaire facheux Car un refus explicite est v cu comme un rejet comme une r elle violence En t moigne ce propos d une jeune femme recueilli par Estelle Masson 54 FONDATION NESTLE FRANCE Quand tu pr pares manger pour quelqu un et qu il n en veut pas c est comme quand tu veux embrasser quelqu un et qu il se d tourne En effet un don culinaire est des tin tre incorpor par celui qui le re oit s int grer la substance de son corps Quant la personne qui a cuisin elle a dans cette activit donn beaucoup d elle m me selon une expression fr quemment employ e Si l on prend ces mots la lettre celui ou cel
92. strots 96 FONDATION NESTLE FRANCE La cuisine fran aise n est plus la seule sur ce cr neau du prestige Elle partage le territoire avec les cuisines asiatiques ja ponaise en particulier avec une cuisine italienne haut de gamme qui s est d velopp e depuis les ann es 1970 avec une cuisine mondialis e une world cuisine de chefs stars plan taires Mais la France conserve une pr minence Deux chefs restau rateurs entrepreneurs fran ais se sont impos s mondialement avec chacun des dizaines de restaurants sur tous les continents Alain Ducasse et Jo l Robuchon IIs incarnent une comp tence et un savoir faire fran ais davantage qu une cuisine sp cifique D une part ils int grent comme l a toujours fait la cuisine fran aise des produits ou des sp cialit s venus d ailleurs Mais sur tout ils se situent comme ma tres du go t en g n ral les restau rants de Ducasse incarnent tous les types de cuisine du bistrot lyonnais au trois toiles ou la cuisine fusion et Robuchon apr s avoir innov radicalement dans les formules de restaura tion fran aise avec ses Ateliers une cuisine de haute vol e servie un comptoir a ouvert Monaco un restaurant japonais Dans la reconnaissance de l UNESCO disais je il y a certes la reconnaissance de la gastronomie Mais ce qui semble le plus important c est le repas S il ya une chose qui est particuli re la France on l a vu c est cet at
93. t Actes des Petits d jeuners d bat 2010 2011 Fondation Nestl France A paraitre en f vrier 2012 Kaplan Steven L Le pain maudit Retour sur la France des an n es oubli es 1945 1958 Fayard Paris 2008 Levenstein H Revolution at the Table The Transformation of the American Diet Oxford University Press New York 1988 Pollan Michael The Omnivore s Dilemma A Natural History of Four Meals Penguin Group 2006 Poulain J P et Neirinck E Histoire de la cuisine et des cuisi niers techniques culinaires et mani res de table en France du Moyen Age a nos jours Lanore Paris 2000 Poulain J P Sociologies de l alimentation PUF Paris 2002 MANGER MODE D EMPLOI 115 Quellier Florent Gourmandise Histoire d un p ch capital Armand Colin 2010 Rigal Nathalie La n ophobie alimentaire Actes des Petits D jeuners d bat Fondation Nestl France A paraitre en f vrier 2012 Rozin Paul The selection of foods by rats humans and other animals pp 21 76 Advances in the study of behaviour Academic Press New York 1976 Rozin Paul La Magie sympathique pp 22 37 Autrement 149 Paris 1994 Saint Pol Thibaut de Le diner des Francais un synchronisme alimentaire qui se maintient pp 45 69 Economie et Statis tique 400 2006 Singly Francois de Passer a table une crise de la transmis sion Actes des Petits D jeuners d bat 2009 2010 Fonda
94. t publique Et si notre rapport l alimentation notre style alimentaire faisait partie de la r ponse Pour r pondre enfin directement a votre question il ne s agit pas de s arc bouter de r sister m me si on est constamment tent de parler en ces termes II s agit d identifier les caract ristiques sp cifiques qui ventuellement pourraient per mettre de concevoir une action plus efficace contre la mont e de l ob sit Le moins que l on puisse dire c est que a en juger par l exemple des Etats Unis les interventions mises en uvre l bas n ont pas t efficaces et l on peut m me s rieusement se deman der si elles n ont pas contribu l aggravation du probl me en fai sant peser toute la responsabilit sur l individu et sa force morale Il s agit d autant moins de s arc bouter que nous en avons d ja parl le style alimentaire m me s il pr sente des caract ristiques de longue dur e est fondamentalement labile fluctuant volutif la syntaxe culinaire si elle repr sente un l ment de stabilit une structure poss de cependant une certaine lasticit comme nous l avons vu propos des changements dans l ordre des mets Si nous reprenons l analogie cuisine langage ou plut t ici cuisine langue nous pouvons nous en rapporter au linguiste MANGER MODE D EMPLOI 77 Claude Hag ge qui rappelle parfois que le fran ais n est somme
95. t cela une culture en mati re de comportement ce qui va de Sol Le probl me c est qu aujourd hui plus rien ne va de soi sur le plan des pratiques alimentaires C est l re du soup con g n ralis Au d but de la consommation de masse des produits alimentaires tout pr ts une forme de culpabilit de la m re de famille la conduisait a marquer le produit de son intervention une cuill r e de cr me fraiche par ci un petit coup de gratin par l Aujourd hui cette onction culinaire aussi l g re soit elle n a plus cours On ne sait plus ce qu on mange est devenu un leit motiv que sont venues renforcer quelques s rieuses crises alimentaires En outre une sorte de cacophonie s est install e L in jonction laquelle le consommateur est sans cesse confront est Faites le bon choix Certes mais c est quoi le bon choix La communication a pour fonction de cr er autour d un produit une aura de valeurs En termes d informatique on dirait un nuage de tags de mots cl s On pourrait pour ce 44 FONDATION NESTLE FRANCE qui concerne les produits alimentaires en faire un recensement naturels sains vari s quilibr s et bien s r bio devenu le must absolu Il serait toutefois injuste d imputer cette cacophonie aux seuls m dias dont les sujets de reportage brouilleraient par int r t ou incomp tence
96. t les pattes Quand il leur disait de sauter elles ne sautaient plus Il en concluait doctement dans son rap port d exp rience que quand on coupe les pattes une puce elle devient sourde Si les cat gories sociales les plus fragiles mangent mal ce n est pas qu elles sont sourdes c est qu elles sont prises dans des r seaux de contraintes qui les maintiennent qui les enferment dans des pratiques souvent pathog nes MANGER MODE D EMPLOI 101 Dans une autre histoire Marie Chantal incarnation dans les ann es 1960 d une snob mondaine prototypique r pond a un mendiant qui lui dit qu il n a pas mang depuis trois jours Forcez vous mon brave forcez vous R p ter au quotidien Mangez mieux fruits et l gumes etc c est un peu exhorter les pauvres a Se conduire comme des riches Vous ne mangez pas de fruits et de l gumes Forcez vous mon brave Vous semblez voir l une forme de simplification du pro bl me je serais tent e de dire par inattention L expression est sans doute excessive Plus que de inat tention il y a mon avis quelques erreurs sur le lieu o porter l attention Les mesures de sant publique ont souvent pr c d la recherche et la compr hension des causes mais aussi simplement la connaissance de la r alit des probl mes Certes diab te ob sit hypertension toutes sortes de troubles et de maladies sont en augmentation Mai
97. tachement la commensa lit tre ensemble a table de pr f rence aujourd hui de fa on conviviale l un des mots pr f r s des Fran ais qui renvoie sans doute une sorte d id al de relations sociales une sorte d utopie fran aise contemporaine Dans convivial en effet si l on analyse discours et contexte il y a l id e d une absence de hi rarchie de formalisme et de formalit s d une proximit d une galit dans le respect des personnalit s MANGER MODE D EMPLOI 97 Nous savons que le sociologue r pugne a tre normatif mais si pour conclure ces entretiens je vous demandais n anmoins de formuler un point de vue sur l tat des lieux et sur ce qu il faudrait faire aujourd hui en mati re d alimentation D abord il me para t essentiel de calmer le jeu Il y a ac tuellement une sorte d emballement de l anxi t alimentaire portant sur deux points la fiabilit sanitaire g n rale des pro duits et les rapports de l alimentation et de la sant indivi duelle Pour le premier point et en d pit de quelques alertes c est injustifi les diff rentes l gislations mises en place sont extr mement rigoureuses Paradoxalement peut tre ce sont les chos imm diats qu on a des crises alimentaires vache folle bact rie E coli qui en t moignent le mieux l informa tion circule vite les instances de contr le sont de plus en plus comp
98. tamine XY et les tuis de 5 avec 25 de sel en moins et riches en om gas 3 Et il ya bien s r une cons quence importante le choix c est bien mais encore faut il faire le bon Comment en tre s r Un choix c est toujours une responsabilit quand il s agit d alimentation en particulier et surtout quand il s agit aussi de nourrir d autres que soi des tres proches et aim s Que nous disent les emballages des produits alimentaires ou la publicit Que les produits sont nouveaux qu ils sont sains qu ils sont l gers qu ils sont sans sans ni ni un peu moins souvent qu ils sont simplement bons s ils ne disaient que cela peut tre en d duirions nous qu ils ne sont pas sains qu ils ont plus de ceci et moins de cela etc Et nous sommes cens s tre juges de la v racit de ces nonc s Nous pouvons en partie nous appuyer sur les labels de qualit AOC et autres labels rouges mais que faire de ce qu on appelle les all gations sant du genre riche en om ga 3 Qu est ce qu un om ga 3 au fait Un acide gras essentiel Voil qui est fort po tique mais ne se mange gu re MANGER MODE D EMPLOI 91 La r cente l gislation europ enne sur la question a cer tainement raison de s interroger sur la mani re dont ces al l gations sont comprises et per ues Mais en d cidant que l auteur de l all gation doit faire la preuve que le consomm
99. tant chez les profanes que les professionnels quand on pose aux uns et aux autres des questions m dicales mais qui ne rel vent pas d un savoir technique particulier genre question de cours on constate combien les r ponses des uns et des autres sont color es culturellement L histoire de la m decine que nous n avons pas vraiment le temps d aborder ici montre qu a subsist tr s tard en France l influence de l antique th orie des humeurs h rit e d Hip pocrate et de Galien selon laquelle les maladies sont caus es par les contradictions et les d s quilibres des humeurs in t rieur du corps En revanche d s le 17 si cle les th ories chimiques de Paracelse se r pandaient en Angleterre o les disciples essentiellement protestants du m decin zurichois avaient migr pour fuir les pers cutions religieuses Un seul 28 FONDATION NESTLE FRANCE exemple tandis que les disciples de Paracelse s en prennent au sucre un sel qui sous sa blancheur dissimulerait les plus noirs m faits le d bat en France porte sur la l gitimit ou l ill gitimit qu il y a s accorder le plaisir du sucr en temps de Car me La morale catholique a de longue date une tradition d accommodement avec le Ciel des absolutions aux indulgences et tout particuli rement pour ce qui concerne les plaisirs de bouche Le regrett Lionel Poil ne a t lori gine d
100. tion Nestl France f vrier 2011 Schwartz B The Paradox of Choice Why More is Less ECCO New York 2005 Tr moli res Jean Partager le pain Robert Laffont Paris 1975 Cet ouvrage a t imprim par CPI Firmin Didot Mesnil sur l Estree pour le compte de la Fondation Nestl France en octobre 2011
101. tre fana de la salade thon grains de bl mais quelle importance J accepte avec une vraie grati tude tant il est vident qu il s agit de partage Et d s lors il ne faut pas plus de cinq minutes pour que je trouve une entr e MANGER MODE D EMPLOI 61 dans la conversation g n rale ou cette irruption non seulement ne para t en rien insolite puisqu on mange ensemble mais justifi e voire n cessaire pour av rer le rapport d change Ainsi en partant de rien absolument rien si ce n est peut tre la vague r f rence une relation commune et encore tr s peu explicit e d s que j ai fait partie du groupe attabl il tait acquis que se partageaient nourriture et parole Effectivement l histoire est assez exemplaire Cela dit cette commensalit et l importance qu on lui accorde comme indice de civilit et de sociabilit est un ph nom ne culturel qu on retrouve dans la plupart des civilisations pas n cessaire ment chr tiennes Anecdote ce coll gue d origine alg rienne a appris de son p re qu avant d pouser celle qui allait devenir sa m re il avait t fianc e une autre jeune fille Des fian ailles brutalement rompues parce qu il avait t vu par son fu tur beau p re mangeant seul debout sur la place du March Et visiblement particuli rement en France cette commen salit n est pas qu un vague code qu on r duirait son expres sion la plus r
102. tredit la loi d Engel puisque la part du budget des m nages consacr e l ali mentation y est plus lev e que dans la plupart des pays aussi riches et en particulier les Etats Unis o ce pourcentage est le plus bas Les Fran ais en d autres termes suivent d j un peu les prescriptions de S ow Food En tout cas ils accordent une part et une place importante l alimentation La sp cificit francaise est elle destin e a tre mus o graphique ou a t elle vocation parce qu elle est a la fois por teuse d histoire et d avenir demeurer ce mod le qu a salu l UNESCO L UNESCO a donc inscrit au patrimoine culturel immat riel de l humanit non pas l alimentation ou la cuisine fran aises non pas tel ou tel plat ou sp cialit mais le repas gastronomique fran ais L important dans cette formule c est le repas Le New York Times avait comme beaucoup l tranger iro nis sur cette candidature Leur vision des choses tait que la MANGER MODE D EMPLOI 95 France avait perdu la pr minence culinaire dont elle jouissait a la surface de la plan te depuis que Ferran Adria en Espagne tait devenu le chef le plus c l bre et c l br du monde depuis qu un restaurant de Copenhague avait recu le label de meilleur restaurant du monde depuis que Tokyo avait plus d toiles Mi chelin que Paris depuis que Londres pullulait de grands restau rants et de gastro pubs que Ne
103. triction tr s en vogue surtout a l heure du d jeuner avec ce rejet des grigno tis on a donc introduit le concept de snacking Fauchon propose maintenant un snacking chic On trouve galement sur la carte des brasseries l expression Assiettes pour les pe tites faims mais quasiment jamais le mot grignotage Une phrase lue dans un article plut t favorable a cette pratique du snacking montre clairement qu il n est pas question de superpo ser les deux termes Par contre si le snacking fait office de grignotage sans faim et sans besoin il va s ajouter l apport calorique quotidien et la prise de poids est assur e Pour une envie soudaine de grignotage jetez vous donc sur un fruit par exemple Le grignotage rel ve de envie soudaine que rien ne justifie ni a faim ni le besoin donc d une perte de ma trise extr mement suspecte dont on ne s tonnera pas qu elle se voie imm diatement sanctionn e par une prise de poids assur e et qui justifie la mise en garde officielle d filant au bas des films publicitaires pour des produits alimentaires Pour votre sant ne grignotez pas Ainsi il y aurait concernant des pratiques alimentaires ve nues d ailleurs comme une naturalisation leur imposant de ne pas trop bousculer le mod le fran ais D abord j ai souvent l occasion de dire que le terme de mod le alimentaire me
104. ttitude des m decins am ricains celle des m decins fran ais est r v lateur Nous avons interrog des profanes et des m decins dans les deux pays Le savoir m dical est r put unique et transnational pourtant les positions des uns et des autres sont plus proches de celles de leurs concitoyens profanes que de celles de leurs confr res dans l autre pays A propos des vitamines aucun m decin am ricain MANGER MODE D EMPLOI 27 ne dit Je n en prends jamais Aucun m decin fran ais ne dit J en prends tous les jours Globalement vis vis des aliments versus nutriments l approche est du m me ordre Rai sonner en terme de nutriments les Am ricains m decins ou profanes le font davantage que les Fran ais c est d j penser mol cules et il n y a gu re de diff rence fondamentale entre une mol cule nutriment et une mol cule m dicament Dans l h ritage culturel fran ais c est exactement le contraire l aliment est ce qui nourrit fait vivre et le m dicament est d une certaine fa on un poison ma tris mais toujours objet de suspicion On le constate dans les conversations quotidiennes au sortir d une grippe on vous dira Les antibiotiques m ont puis les antibiotiques pas le virus Pour les Francais il y a une rupture une opposition m me entre aliment et m di cament Pour les Am ricains il y a une continuit Ce clivage on le retrouve au
105. ue ce que vous appelez a juste titre la sensibilit alimentaire francaise ne se perde pas dans les branlements sismiques que vous avez voqu s Nous n en sommes pas la ce qui ne signifie pas qu on ne doive pas s en pr occuper Le th me des Assises de la Fonda tion est cette ann e La transmission La transmission de ces bons aspects fonctionne t elle est elle appel e a r gresser voire qui sait a disparaitre Dans notre enqu te 2011 87 des interrog s d clarent que Dans la famille on mange certains plats dont la recette vient des grands parents Mais quant aux repas des enfants chez les grands parents si 19 des r pondants disent qu ils ont lieu une fois par semaine et un peu moins de 6 une fois par quinzaine ou par mois 37 r pondent Rarement ou Jamais Nomadisme familial contemporain clatement g o graphique des lieux d habitation A moins que les grand m res d aujourd hui n aient plus vraiment le profil Mamie g teau Si la Fondation a pos cette question c est qu elle consid re juste titre sans doute que les grands parents incarnent une voie de transmission strat gique C est ce qu illustrait le t moignage que j ai r cemment recueilli d une amie franco italienne Elle est grand m re excellente cuisini re et passablement frustr e par les perturbations introduites dans les repas familiaux du fait 106 FONDATION NESTLE FRANCE de ceux
106. umer go ter Ces 30 FONDATION NESTLE FRANCE contacts avec la mat rialit de l alimentation trop m con nue dans les quations nutritionnelles sont importants Mais ces rencontres avec l objet se font toujours comme si notre rapport a l alimentation tait totalement individualis comme si nous n tions pas h ritiers de codes s culaires Or un de ces codes dit On ne joue pas avec la nourriture ce qui est exac tement ce qui est propos aux enfants Cette transgression que les parents pratiquent ventuellement aussi est certes b nigne mais elle montre dans quel r seau de contradictions encore peu r fl chies se situent de plus en plus les discours nutritionnels et alimentaires Ces contradictions sont extr mement sensibles dans les interrogations dont se font l cho les m res de famille car qu on le veuille ou non le public int ress par ces questions est a 80 voire 90 f minin En mati re d alimentation les hommes se pr occuperont de la faim dans le monde de l usure des terres agricoles des OGM des conflits g ostrat giques sur la gestion mondiale de l eau Les femmes elles se d battent avec des injonctions qui viennent de tous les c t s et qui sont ventuellement oppos es Pour tre de bonnes meres elles sont somm es d y pr ter attention Mais plus elles y pr tent attention plus elles sont troubl es voire perdues Face a ce tumulte il y a a
107. uoi l on n a rien ajout ni retran ch qui n est ni transform en autre chose ni manipul par on ne sait qui on ne sait pourquoi R ponse d un interview sur cette notion Ce qui est naturel c est ce qui pousse dans mon potager Parce que vous ne mettez rien Disons que je sais ce que je mets Ajouter ou retrancher comme dans l ex p rience Imaginaire de l eau d nature irr m diablement Mai triser soi m me le traitement semble lui donner un autre sens ou c est le cas de le dire une autre nature Mais modifier et en MANGER MODE D EMPLOI 89 particulier modifier pour ainsi dire de l int rieur comme dans le g nie g n tique d nature absolument En d autres termes une certaine perte de proximit vous parait de nature a augmenter cette d fiance alimentaire Sans la boite noire de la transformation les choses sont mieux per ues et un circuit court entre la production et la consommation est bien s r favorable La tension proc de on l a vu du ne pas savoir ce qu on mange lui m me li la distance et l opacit croissante entre le mangeur et l aliment Tout s est pass en un temps assez court l industrialisa tion de l agro alimentaire s acc l re partir des ann es 1950 et surtout 1960 La grande distribution super et hypermarch s date des ann es 1970 La quasi disparition du petit commerce de d tail a eu lieu pr
108. uve chez telle tribu de Nouvelle Guin e o l on fait manger des plantes a pousse rapide aux adolescents pour qu ils gran dissent plus vite Mais aussi chez les tudiants de l Universit de Pennsylvanie que Paul Rozin et Carol Nemeroff ont soumis l exp rience suivante On les a divis s en deux groupes auxquels on a remis un dossier identique et tr s document sur une culture du Pa cifique Sud invent e de toutes pi ces celle des Hagi Tout y tait mode de vie type d habitation rites et religion tra ditions orales Seule diff rence entre les dossiers si tous disaient que les indig nes Hagi chassaient de pr f rence le sanglier et la tortue ceux d un groupe avaient comme infor mation qu ils chassaient le sanglier pour ses d fenses et la tortue pour sa chair alors que l autre groupe apprenait que ces indig nes avaient une pr dilection pour la viande de sanglier et ne s int ressaient qu la carapace des tortues Apr s avoir pris connaissance du dossier les r pondants devaient donner leur impression sur la personnalit des Hagi en les situant sur plusieur chelles du type Pacifique 1 2 3 4 5 6 7 8 Agressif 34 FONDATION NESTLE FRANCE L impression pouvait s appuyer sur de nombreux l ments mais un seul se r v la d cisif ce qu ils mangeaient Ainsi les mangeurs de sanglier furent d clar s plus agressifs moins bons nageurs et aussi plus poilus les mangeurs de tortue plut
109. vait t re tard j ai rejoint un groupe au moment pr cis o tous s appr tent s attabler pour d jeuner videmment ensemble Ensemble en l occurrence signifiait simplement autour de la m me table chacun et chacune ayant apport son plateau repas Bien s r tout le monde se conna t mais moi je ne connais personne Pendant les deux minutes o chacun s installe je reste l debout passant d un pied sur l autre sans bien savoir quelle attitude prendre Tr s vite on m a propos de m asseoir dans le cercle ainsi constitu Trop tard pour dire Je vais manger un sandwich au caf du coin et je reviendrai apr s Ce serait quasi insultant Et en plus je ne sais pas si la per sonne avec qui j ai rendez vous ne va pas arriver d un instant l autre Je m assieds donc Mais pour faire quoi Je n ai videmment pas pr vu de plateau repas et dans les premi res minutes la conversation tr s professionnelle ne m autorise aucune intrusion qui ne serait pas intempestive D but de grosse gene Or cette situation en marge va tre tr s vite r solue par la commensalit D abord on m apporte une assiette et des couverts Geste symbolique puisque je n ai pas apport de re pas mais je ne suis plus ostensiblement ext rieure Puis chacune et chacun y va de sa proposition d une portion de son propre repas Cela constitue un ensemble plut t h t rog ne et je ne suis par s re d
110. w York ou m me Chicago pour ne pas parler de l Asie avaient tous des toiles en pagaille et des pl iades de bistrots gourmands Ayant perdu le leadership gastronomique poursuivait le Times les Fran ais s chinaient devant l UNESCO pour obtenir une reconnaissance patrimoniale c est dire la mus ification de leur cuisine R glons cette question Je crois qu il est vrai que la cuisine francaise n est plus reine dans le monde Mais la France et les cuisiniers francais conservent une comp tence reconnue mon dialement en mati re de go t de raffinement de luxe On le sait bien la cuisine la plus populaire c est l italienne On voit des pizzerias de Dunkerque Tamanrasset on mange des lasagnes ou des spaghettis a la bolognaise de l Ohio a la M lan sie de Tombouctou Tegucigalpa Populaire justement la cuisine fran aise ne l est pas et ne l a d ailleurs jamais t du moins a international La pr minence de nos chefs et de nos sp ciali t s c est chez les riches et les puissants qu elle s est construite et a triomph de la Cour des tsars de Russie aux mansions des Rockefeller ou des Carnegie Le prototype du restaurant fran ais l tranger c est moins le bouchon lyonnais que le trois toiles Michelin et jusqu a une date r cente c tait seulement quand leur grand restaurant tait bien tabli et que leur nom tait devenu une griffe que les chefs ouvraient des bi
111. x sur le regret et assez ais ment sur la culpabilit Manger n est plus un plaisir ou c est un plaisir culpabilis et en tout cas un casse t te Un casse t te que n aide pas a r soudre ce qui devrait pour tant le permettre l information Ce statut de l information ali mentaire m riterait un ouvrage lui seul D j lors des Pre mi res Assises de le Fondation Nestl de 2010 et propos des messages de sant publique Patrick ti vant Directeur du D partement Alimentation humaine l INRA notait que jusqu 50 d adultes des populations d favoris es prenaient le ban deau vitez de manger trop gras trop sal trop sucr qui ac compagne certaines publicit s pour un label de garantie attestant que le produit avait les qualit s pr conis es par le message En 2011 lorsqu on interroge les Francais sur la possibilit d obtenir facilement des informations sur les produits propos s la consommation et l aptitude d finir pour soi et les siens une alimentation saine ambition unanimement affirm e on voit appara tre quelque chose qui ressemble une contradiction Nous avons propos aux r pondants trois nonc s est facile d avoir aujourd hui une alimentation saine II y a aujourd hui beaucoup d informations contradictoires Il est aujourd hui facile d avoir des informations sur l alimentation La facilit d obtenir des informations semb

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