1- LA NEVROSE DE L`HOMME MODERNE
Contents
1. ai men sur les religions monoth istes lisent toutes le temps de la m me mani re Le pass Un ge d or une re id ale o le vin le miel et le lait coulaient flots dans les ruisseaux d une g ographie paradisiaque habit e par un premier homme radieux et ne manquant de rien Le pr sent Un temps sinistre marqu son origine par une faute un p ch une d sob issance de la femme Dieu un ge de fer soumis la corrosion la rouille la desquamation lente mais s re Le futur Un espace possible pour retrouver le temps id al des origines si et seulement si on paie assez cher la possibilit de son salut Comment payer En renon ant son vivant la vie C est l que surgit la contradiction que se d voile le paradoxe des religions leurs limites et leurs ridicules potions Pour conjurer l angoisse d avoir mourir la religion propose de tr passer tout de suite ici et maintenant pour se sauver Sauf que quand la mort viendra elle ne prendra qu un cadavre que q P q 11 Chapitre premier Survivre notre monde Les religions passent tr passent se modifient laissent place des reformulations mais le besoin de consolation impossible a rassasier lui ne s teindra pas C est justement ce qui me fascine l homme sans cesse besoin de recourir une croyance ou un tiers pour lequel on se d fait de soi on abandonne son tre afin de recevoir une esp2. sence de la mort dans notre soci t le discours th orique m chappait compl tement et par cons quent je menais mon travail plastique tr s inconsciemment Ma position par rapport la mort tait l poque c est dire en fin de premi re ann e de DEUG la fois li e l angoisse et en m me temps m inspirait de la fascination Les repr sentations de la mort que je traite dans mes travaux ne sont pas celles des si cles pass s celles du Moyen Age ni celles du XVIII si cle Elle ne 14 Chapitre premier Survivre notre monde sont pas issu au sens strict de l iconographie archa que ou ancienne m me si mon inspiration s y r f re constamment mais proviennent du monde contemporain qui est celui qui m environne quotidiennement La mort dans notre soci t contemporaine c est celle de la science et de la technique Ce qui m int resse c est l h pital lieu de la souffrance et de la gu rison Le rapport la mort a volu au XX me si cle notamment par le triomphe de la m dicalisation Le progr s bien connu des techniques chirurgicales et m dicales qui mettent en uvre un mat riel complexe un personnel comp tent des interventions fr quentes L h pital n est pas seulement un lieu de concentration de services auxiliaires laboratoires pharmaceutiques d appareils raffin s co teux rares Cette mort m dicalis e je l ai mis en sc ne au travers de pi ces de s
3. Par exp rience l uvre d un artiste vue dans une exposition ou m me connue travers une simple reproduction m aide de temps autre trouver une solution un probl me toutefois cette solution est toujours l expression de ma volont artistique propre Autrement dit les probl mes que je me pose sont je l esp re dou d une vision originale ils m appartiennent en propre orientent toute ma d marche et commandent aussi la fa on dont je vois et juge les autres Christian Boltanski est l un de ceux qui m a permis de trouver des solutions mes interrogations Ce qui me para t essentiel dans un premier temps c est que son uvre n occupe pas un territoire pr tabli mais labore son propre champ d action ses propres r gles A l instar d une histoire progressive suite de probl mes pos s et r solus l volution de son uvre pose en m me temps une infinit de probl mes sans pr tention les r soudre mais en apporte le constat au public Son travail appartient dans cette optique au courant des mythologies personnelles discern en 1972 par l organisateur de la Documenta V de Kassel Harald Szeemann et qui regroupait m l s aux cr ateurs anonymes d Art populaire et d Art brut des artistes aussi divers que Jean Le Gac Joseph Beuys ou Etienne Martin D autre part l engagement de Boltanski est important Il ne manque pas d engager motionnellement le spectateur par une dramat
4. ce de mode d emploi pour t cher la fois de conduire sa propre existence et dans le m me temps conjurer la mort Si aujourd hui nous avons perdu la m moire des rituels dans les c r monies mortuaires chacun y va de ses id es Les gens cherchent des rep res droite et gauche dans le march aux diverses croyances de la divination l astrologie de la parapsychologie la voyance de l ufologie au spiritualisme toutes tentent vainement de conjurer le futur la mort L abondance des sectes dans nos soci t s confirme l incapacit de la plupart envisager sa propre finitude Et encore je m amuse et je m inqui te parfois en observateur clair recenser les exemples de recours illusoires et chim riques le corps astral la cryog nisation comme voie d acc s l ternit la vie apr s la mort aper ue sous forme d une lumi re intense au bout d un tunnel la r incarnation la permanence d une me post mortem qui autorise une convivialit avec ses proches retrouv s la possibilit de communiquer avec les morts lors des s ances de tables tournantes l existence de conscience extra terrestres et d une vie labor e dans un autre syst me plan taire Ce dernier a particuli rement retenue mon imagination et c est de ce lieu privil gi mais encore un fois chim rique que se construit mon univers Toujours est 1l que tout confirme la fragilit de l esp ce humaine et sa d votion u
5. pour sa dur e sa r p tition sa continuation sur le th tre plan taire Ce qui nous attend L an antissement rien d autre 10 Chapitre premier Survivre notre monde Les cultures les civilisations au fil des si cles se sont structur es autour de ce vide m taphysique Elles remplissent tout autour en p riph rie ce noyau de n ant ce trou noir qu est la mort avec des fictions des histoires des fables des constructions juste bonne divertir les mes fragiles D o la religion premi re forme prise par cette volont de conjurer l impensable et l impossible aux yeux de ceux qui ne savent ne veulent ni ne peuvent faire la paix avec cet encombrement d ossements dans leur tre ils veulent couvrir le cliquetis de leurs os entrechoqu s par du verbe des mots et des consolations Quand elle est ritualis e comme dans les soci t s traditionnelles on a un moyen de l vacuer le christianisme en Occident a exploit ce filon de l angoisse des hommes en pla ant son entreprise sous le signe du sang vers de la crucifixion du sacrifice de la mort de l expiation La peur du n ant l angoisse devant le cadavre l interdiction face la rigidit des morts la terreur en pr sence des d funts le d sarroi en pr sence des pompes fun bres Moi bri vement vivant aujourd hui je devrais mourir demain et pour l ternit Les lectures et recherches tr s superficielles que j
6. Chapitre premier Survivre notre monde 1 LA NEVROSE DE L HOMME MODERNE Peur de la mort et illusions perdues Commencer un m moire de ma trise sur le th me de la mort pourrait tre ambigu quelque peu pessimiste voire inadapt pour une entr e en mati re Mais j esp re m en d fendre en invitant mon consciencieux lecteur envisager la mort la fois comme un th me primordial et essentiel dans tout les arts toutes les poques mais aussi comme tant un l ment moteur et producteur omnipr sent de cr ation et par suite de vie Comme point de d part on trouve souvent des analyses qui font remonter l imagerie de la mort au Moyen Age Mais elle est ant rieure c est la mort achronique des longues p riodes de la plus ancienne histoire peut tre la pr histoire Mais il ne s agit pas ici pour moi de faire l histoire de la mort Je n apprendrais personne que d affronter un tel sujet c est d embl e se heurter une quantit consid rable de travail et de litt rature tant politique que religieuse tant philosophique que ethnologique tant s miologique qu historique Ce serait pour moi une somme de patience d rudition et de travail inint ressante et inenvisageable pour un plasticien D autant plus que ce serait marcher sur les pas de Philippe Ari s notamment avec son livre monumental l homme devant la mort qui rassemble Chapitre premier Survivre notre monde plus d un mill na
7. Survivre notre monde Sans titre 1998 ensemble de 18 bo tes Bois photos latex technique mixte 22 5 X 30 5 cm La collection est en elle m me un sympt me de notre soci t scientiste et technique Collectionner des champignons cutan s tous diff rents par principe c est faire un catalogue un inventaire La diversit de la maladie se doit d tre tiquet e archiv e chiffr e num rot e signes de rep rages quantitatifs tout ceci participe d une d marche arch ologique et m dicale qui mest ch re et qui accro t chez le spectateur l intensit de la jouissance mort La peau infect e ou morte je l ai r utilis dans un travail ult rieur intitul Sans Titre La Mue C est surtout la fascination du mat riau qui m a pouss utiliser une seconde fois le latex pr vulcanis Partant du travail de Eva Hesse sur la red finition de la sculpture traditionnelle dans une dimension tour tour organique molle tombante soumis la pesanteur bas mat rialiste j ai eu l id e de r aliser un moulage de mon corps en latex Les parties de mon corps ont t moul es en pl tre en n gatif puis en latex en positif Chaque 16 Chapitre premier Survivre notre monde membre a t ensuite cousu entre eux On m a inform apr s coup que dans le film Le Silence des Agneaux 1991 de Jonathan Demme le serial killer un certain Buffalo Bill prenait un plaisir tr s particulier d pece
8. ail Comme je ne pouvais arr ter la mort je choisis d arr ter la vie Koervek citation dans Magic The Gathering Je pense qu on ne peut pas lutter contre la mort et l angoisse de la d cr pitude si on n a pas assimil la mort dans ce qu elle a de positif pour la p rennit de la vie et de la nature dans le th tre plan taire Ceci est la donn e th orique et philosophique pour recouvrir ou mieux accepter la mort Je m en accorde volontiers mais la grande question est de savoir si moi m me j ai peur de la mort Cette question me para t essentielle si on part du principe que tout travail d arts plastiques est d une certaine mani re un autoportrait psychologique En fait cette question je ne me la pose jamais bien heureusement peut tre parce que je suis au matin de ma vie pour ne pas dire l aube et par voie de cons quence je ne suis pas encore confront ma propre s nescence bien au contraire je dirais comme Montaigne dans les Essais que mon m tier et mon art c est de vivre Notre grand et glorieux chef d uvre c est vivre propos J ai aim cette citation de Montaigne car il qualifie la vie comme un art et si elle est bien v cue c est un chef d uvre Cette r flexion th orique sur la mort je ne lai eu que tr s r cemment et de mani re tr s livresque Lorsque j ai d velopp mes tous premiers travaux qui traitent de l in luctabilit et de l omnipr
9. araissent des pastilles de sang coagul de groupes Rh sus A B O Sous le landau 40 litres d eau et 7 kg de graisse Je livre mon lecteur la composition exacte de l homme qui repose dans mon landau 22 Composition du corps humain pour un individu moyen Chapitre premier Survivre notre monde Taille 170cm Poids 70 kg Surface du corps 1 8 m2 El ment Eau Prot ines Graisses Hydrates de Carbone Cendres El ment Oxyg ne Carbone Hydrog ne Azote Calcium Phosphore Potassium Soufre Sodium Chlore Magn sium Fer Mangan se Cuivre Iode Musculature Squelette Tissus adipeux Peau et tissus sous cellulaires Sang Canal digestif Foie Cerveau Poumon C ur Rein Rate Vessie Pancr as Testicule Ovaire Moelle pini re Yeux Thyro de Dents Prostate Reste Quantit en Kg 40 46 10 7 0 7 359 Quantit en grammes 45500 12600 7000 2100 1050 700 245 175 105 105 35 3 0 2 0 1 0 03 30000 10000 10000 6100 5400 2000 1700 1500 1000 300 250 150 150 70 40 5 6 30 30 20 20 20 1220 23 Zdu poids total 57 66 14 10 1 z du poids total 65 18 10 3 1 5 1 0 0 35 0 25 0 15 0 15 0 05 0 004 0 0003 0 00014 0 00004 43 14 3 14 3 8 7 7 1 2 9 2 4 2 1 1 4 0 42 0 35 0 2 0 2 0 1 0 06 0 008 0 04 0 04 0 03 0 03 0 03 1 7 Chapitre premier Survivre notre monde L ensemble de tous les l ments r
10. assembl s au sein du landau constitue le corps d un individu mais le paradoxe r side dans le fait que cet individus in dividus c est dire qu on ne peut s parer se pr sente sous une forme plut t fractionnaire Isoler les l ments constitutifs du corps c est encore un ph nom ne de soci t s technicis es La notre bien s r mais aussi celle du milieu et de la fin du XVII si cle dans laquelle le corps humain devient un sujet d tude scientifique L autopsie du cadavre cette poque permet d lucider les affaires criminelles et civiles mais c est surtout parce que le cadavre contient les secrets de la vie et de la sant La le on d anatomie du Dr Nicolaes Tulp de Rembrandt datant de 1632 en est un exemple parfait C est aussi cette poque que se constitue les premiers cabinets de curiosit s m dico l gales Il s agit de montrer en quoi la science de nos jours s est sp cialis e A chaque l ment organique son sp cialiste Chaque organe est un objet d tude qui est renforc par un dispositif de vitrines les bocaux en verre qui la particularit de permettre une analyse tr s fine des diff rentes textures des organes Archiver inventorier cataloguer chiffrer recenser l homme ce qui le constitue George Bataille parlait de redingote math matique dans l article Informe J irais plus loin en voquant l article Homme parut dans le n 4 et n 5 du Dictionnaire critique qu
11. ciel ouvert Pour Christian Boltanski l effet provoqu par les v tements est du m me ordre que celui ressenti face aux portraits ils sont la fois objets et souvenirs exactement comme un cadavre est en m me temps un objet et le souvenir d un sujet 36
12. ciences actuelles semblent incapables de r pondre aux questions existentielles que posent l inexorabilit de la maladie de la souffrance et de la mort La contradiction implique notre savoir faire technologique et notre capacit l employer pour surmonter r ellement les angoisses de la condition humaine Cette pi ce particuli rement a t cr e au moment de la m diatisation de la question du clonage J ai lu quelques articles sur la question notamment sur le clonage de Dolly mais aussi le clonage d un chien par les scientifiques de Genetic Savings and Clone baptis Missyplicity et aussi le d codage du g nome humain Je n apprendrais personne que le clonage tout comme toute autre d couverte scientifique comporte des dangers et des am liorations positives Cette sculpture interroge et met en garde le spectateur de ces dangers Je me suis passionn assez rapidement pour les livres de m decine et autres revues de planches anatomiques D j en empruntant les catalogues de mon m decin et de mon pharmacien pour la collection de maladies de peau mais de plus en plus je parcourais les brocantes et braderies la recherche du beau livre du livre rare J aimais les sch mas en noir et blanc comme des gravures mais aussi les dessins didactiques en couleur d une intervention chirurgicale De cette curiosit morbide j ai r alis une s rie de quatre peintures montrant une op ration c ur ouvert La pi ce se v
13. culptures d objets de peintures qui s impr gnent d une ambiance clinique morbide fonci rement froide La premi re pi ce que j ai r alis qui a trait la mort m dicalis e est une collection de maladies de peau C est une installation murale compos e de 18 bo tes Chacune contenant un chantillon de peau infect e d une mycose accompagn e souvent d une photographie qui indique le lieu fr quent de provenance du champignon sur le corps d un patient ainsi qu une petite tiquette offrant au spectateur une d nomination scientifique de la maladie Chaque bo te est herm tiquement ferm e par une fine vitre de Plexiglas mais la ventilation g n rale interne des bo tes est assur e par un quadrillage de tuyaux en plastique translucide Je rassure sans attendre mon lecteur qu il s agit l de faux chantillons qui ont t r alis s en latex et l aide de peintures translucides C est une technique que les maquilleurs au cin ma maf trisent parfaitement pour la r alisation de fausses plaies et fausses br lures J ai d en quelque sorte apprendre le m tier pour arriver un tel r sultat que je voulais le plus r aliste possible A l artificialit des peaux infect es j ai confront de v ritables documents photographiques de mycoses cutan es issus de livres de formation et de reconnaissance que j ai emprunt mon m decin g n raliste et mon pharmacien 15 Chapitre premier
14. de ses parents Elles ont l allure d objets anciens Ces boites empil es ressemblent des cercueils ou des urnes attaqu es par le temps sur lesquelles le portrait repose comme sur un pi destal Align es et empil es elles rappellent les monuments fun raires des cr matoriums o les cendres de la personne reposent apr s incin ration reste d une individualit d une existence Mais aussi peuvent elles contenir les preuves d une vie documents photos tout ce qui pouvait appartenir un individu Les boites de biscuits se font synonyme de tabernacle Le tabernacle est dans l glise le coffre au milieu de l autel qui contient le ciboire Christian Boltanski Autel Chases techniques mixtes 1988 De la m me mani re que Boltanski je suis fascin par les boites dans ce qu elles peuvent contenir et dans leurs capacit s veiller la curiosit Je renvoie ici mon lecteur au chapitre III dans laquelle j insiste sur la valeur 35 Chapitre premier Survivre notre monde obsessionnelle de celle ci ainsi que sur sa d finition en temps que lieu de m moire de protection et de survie Apr s la bo te biscuits un autre l ment et non des moindres participe donner aux uvres de Boltanski un caract re sacr et th tral la photographie Elle est le moyen que Boltanski a privil gi au travers de son uvre En effet le caract re de t moignage est inh rent la photographie Elle t m
15. e monde t te le film L homme qui tousse de Christian Boltanski Le monstre poussif de l artiste est du m me monde que mon tapis de cheveux il n a ses droit dans PP L 2 aucun sens et se fait craser partout comme une araign e ou un ver de terre Mais cette horizontalit s oppose les potences et les c bles qui affirment la verticalit Ce qui est vertical dans mon univers comme dans celui de Bataille c est ce qui se r f re l homme celui l m me qui bascul de l horizontal au vertical affirmant dans le m me coup sa fiert de s tre rig et d avoir quitt ainsi la condition animale dont laxe biologique bouche anus est horizontal L homme dans sa rectitude s est impos sur la nature en la rationalisant et en l exploitant froidement L opposition horizontale et verticale est un point fort de ce travail et interroge l homme face sa propre d ch ance Christian Boltanski L homme qui tousse Film couleur 16 mm 3 minutes 30 secondes 1969 En fin d ann e de DEUG II j ai r alis une sculpture qui r pondait un sujet donn savoir Disponible mettre disposition de Aujourd hui elle est sans titre La difficult pour moi cette poque tait d articuler la fois les incitations formul es par le sujet en cours dans le souci de respecter le travail de pr paration en amont mais en m me temps d tre le plus rigoureux po
16. e tombeau de lumi re Cette perte d identit je l ai mis en sc ne dans un travail ult rieur dont j ai gard l intitul du sujet original comme titre d finitif savoir Le socle du monde Il s agit d une table m dicale sur roulettes comme on peut en trouver dans les morgues mais assez paisse pour accueillir une s rie de n ons cette fois rouge Sur les faces lat rales de la table une s rie de dessins didactiques d op rations et de dissections est dispos e en frise qui rappelle les alignements de hi roglyphes gyptiens Sur cette table lumineuse un corps mort emball dans un sac cadavre comme on peut en voir dans les affaires criminelles la t l ou au cin ma Le socle du monde 2000 Bois Plexiglas Rhodo d sac cadavre clairage n on 173 x 62 cm 18 Chapitre premier Survivre notre monde Le socle du monde signifie non pas que tout le monde va finir un jour dans un sac cadavre victime de son propre homicide mais que tout le monde va mourir et qu il est n cessaire de s en souvenir Comme pour Sans Titre La Mue c est une esp ce de Memento Mori contemporain Je voulais r aliser une sculpture objet aussi spectaculaire dans ce qu elle repr sente de morbide que le travail pr c dent Je pense y tre parvenu notamment en mettant en place le mythique sac cadavre image forte qui joue sur l ambivalence d une part de la mise distance vidente car
17. elle nous glace le sang et d autre part qui inspire une curiosit malsaine Nombreux sont les gens qui voulaient savoir ce que j avais mis dedans tandis que les enfants me demandaient s il s agissait d un vrai cadavre reposant dans le sac Pour moi cette sculpture est un lieu de mort de gravit et d angoisse La m me gravit et angoisse que l on peut ressentir la vue d un gisant reposant fun raire que l on peut admirer dans de nombreuses cath drales Le socle du monde tout comme Sans Titre La Mue prend sa source d inspiration directement de ces gisants L ironie serait de placer ce type de gisant contemporain dans nos glises actuelles On lirait ma sculpture comme les premiers gisants c est dire comme un arch type tandis que l pitaphe hi roglyphique qui s inscrit sur le tombeau n informerait pas le spectateur de l identit du d funt mais t moignerait d un monde qui est le n tre dans lequel la mort m dicalis e succ de la mort sacr e Dans le m me esprit ou plut t dans la m me ambiance j ai r alis un travail qui me semble t il et au dire de la critique tait assez difficile aborder J ai dispos au sol quelques 6 kgs de cheveux que j ai r cup r chez les coiffeurs de ma ville Sous ce tapis de cheveux un dispositif de va et vient fait bouger P amas pileux voquant une respiration Sur le tapis de cheveux est dispos quatre potences sur chacune desquelles
18. es dans des cadres en fer blanc dispos s en configuration abstraite souvent syst matique et autour desquels brillent des ampoules lectriques fix es m me le mur Les portraits en noir et blanc alternent avec des tirages en couleur monochromes qui sont simplement des papiers de No l m talliques ou brillants Christian Boltanski Monument 1985 Exposition Monument galerie Crousel Houssenot Paris 1986 3 La qu te de l ternit triompher de la mort 3 1 Arch ologie du souvenir 33 Chapitre premier Survivre notre monde Respectant l id e traditionnelle du monument ces travaux voquent les ic nes byzantines Les images de papier m tallique et brillant rappellent les surfaces martel es d or que l on retrouve en fond dans la repr sentation pr renaissante des images saintes Les Monuments sont pr sent s dans la p nombre les lampes lectriques d une faible intensit remplacent les cierges et conf rent aux uvres une atmosph re poignante grave et dramatique qui accentue la fonction votive de l uvre et l motion religieuse qui s en d gage Les atmosph res graves et pesantes des installations de Boltanski celles l m me qui produisent cette suffocante fascination dont le spectateur ne peut tre insensible est une donn e que j ai souvent essay de transcrire dans mes propres installations La mort se doit d tre dramatique th trale spectaculaire L ombre e
19. eur de monsieur Marc Poisson 32 voie Georges Pompidou Lille 14 Suicide l arme feu de Hern Kubler 17 bd Calmette Fontainbleau 28 Chapitre premier Survivre notre monde Il s agissait d veiller chez moi mais aussi chez le spectateur une curiosit obsessionnelle morbide voyeuriste et en m me temps redonner une dimension plus noble ce qu on appelle g n ralement de fa on m prisante la petite histoire la chronique l anecdote en un mot le fait divers qui accumul d livre sa vraie valeur celle d un miroir fid le et pr cis des v ritables pr occupations humaines Mon regard sur ces photos n est pas accusateur pas de condamnation n gative position g n ralement impos e au nom de la morale de l esp rance de Dieu de la nature m me D aucun pourrait trouver mon travail malsain et d rangeant si ce n est son vident second degr dans l humour noir J en prend les risques et en accepte les cons quences et je pr f re que le regardeur de mes images fasse titre individuel intervenir ses interdits ses int r ts ses admirations qui cohabitent diff remment en chacun de nous On m a souvent reproch de multiplier les projets d uvres empruntes de morbidit qui traitent de th mes aussi divers que la maladie la folie psychiatrique les op rations chirurgicales les suicides etc Le regard que je porte sur mon travail est tout autre J ai l i
20. eut spectaculaire par l agrandissement un format affiche de cette op ration mais aussi par les d tails mis en uvre Ma pi ce pourrait tre narrative mais mon parti pris tait justement d clater la donn e temporelle donc les tats de l op ration et ainsi donner voir une image arch type de la m dicalisation froide morbide ali nante 25 Chapitre premier Survivre notre monde Sans titre 2000 Acrylique laque et crayon sur toile cales de bois chacune 101 x 76 cm Enfin J ai r alis un dossier photo sur le th me avenant du suicide mais que j ai intitul Faits divers A la mort collective et arch type des lits m dicaux pr sent e plus haut j ai voulu travailler la mort individuelle Un tel travail n est pas sans cons quence sur l thique Mais ce qui m int ressait l poque c tait de mettre en sc ne la multitude des sentiments humains et engageait dans une p rilleuse mais combien instructive promenade existentielle tous ceux qui fascine un des plus complexe et fascinant comportement humain Chacune de mes photos pr sente un suicide diff rent et le point de vue se veut froid d tach tir au flash comme pour les photographies polici res Pour la constitution de ce dossier je me suis procur le livre de Martin Monestier Suicides histoire techniques et bizzareries de la mort volontaire des origines nos jours mais aussi j ai visit l exposition sur la pho
21. i t la mort est g n ralement trait e comme l une des derni res choses voir m me la derni re chose tabou dans nos soci t s contemporaines Chacun de nous aura un jour vivre la perte d un tre aim et ultimement vivre sa propre mort Malgr cela la mort est un sujet encore empreint d interdits un sujet souvent occult refoul ou ridiculis Plus on serait tent de dire que dans nos soci t s industrielles et techniciennes il y a banalisation de la mort La science offre de nouvelles perspectives Non seulement elle op re une distinction rigoureuse entre mort clinique mort c r brale mort cellulaire non seulement elle prescrit des r gles d hygi ne rigoureuse mais encore elle accro t l esp rance de vie Chapitre premier Survivre notre monde recule le processus physiologique du vieillissement et promet l immortalit Mais cela n emp che pas ainsi le souligne Philippe Ari s que la mort soit devenue comme jadis le sexe le principal interdit du monde moderne Les morts sont encombrants Jadis ils reposaient pieusement au c ur de la cit d fendre sa ville c tait avant tout d fendre ses morts puis les cimeti res furent rejet s la p riph rie Nul ne pourra lever aucune habitation ni creuser aucun puits moins de cent m tres de nouveaux cimeti res Aujourd hui les cimeti res urbains sont satur s et l on parle de plus en plus de transf rer les d fun
22. i est exceptionnellement une citation que Bataille reprend au Journal des d bats Voici d apr s ce dernier les r sultats des calculs du Dr Mays La graisse du corps d un homme normalement constitu suffirait pour fabriquer sept morceaux de savonnette On trouve dans l organisme assez de fer pour fabriquer un clou de grosseur moyenne et du sucre pour une tasse de caf Le phosphore donnerait 2200 allumettes Le magn sium fournirait de quoi prendre une photographie Encore un peu de potasse et de soufre mais en quantit inutilisable Ces diff rentes mati res premi res valu es aux cours actuels repr sentent environ une somme de 25 francs Malheureusement ce d lire comptable trouve des relents n fastes d s lors qu il est mis en pr sence de pens es totalitaires et fascisantes cf Chapitre III 2 1 Le corps sans fond et les vitrines de m moire in l Informe mode d emploi p12 24 Chapitre premier Survivre notre monde Mes r f rences sans cesse la m decine et la science ne sont pas v ritablement une c l bration de la r ussite pr venir ou soigner les maladies ou augmenter l esp rance de vie Elles montrent surtout le revers de la m daille la froideur l ali nation la mort Pourtant il s agit bien de la mise disposition d un homme en kit fabriquer je propose une naissance dans un landau Mais je joue de cette paradoxale ironie pour montrer en quoi les s
23. ire d histoire psychologique de la mort ses sources les plus diverses mises contribution un foisonnement ma tris d une culture occidentale immense A la base de mon travail la mort l angoisse Il faut envisager ma cr ation comme partant de l Nous n avons pas manqu d tre frapp s par la brutalit et l in vitabilit de la mort Les civilisations sont mortelles Le malaise l angoisse un sentiment de peur r gne en ma tre sur le monde Peur du futur de la destruction irr versible de l esp ce humaine de l imminente fin de toute chose La grande question qui gouverne mon travail comment vivre avec la mort malgr elle L homme peut il accepter l id e de sa mort future D o une s rie d interrogations associ es et cons quentes que peut on esp rer d un futur proche ou loign avant elle et apr s elle Pourquoi pour qui pour quelles raisons doit on dispara tre un jour C est sur ces interrogations que mon travail s inscrit C est sur ce terreau sp culatif que prend racine mes peintures et mes objets Mais si la mise en uvre plastique est une mani re de comprendre d envisager de s interroger sur la question de la mort de l angoisse qu elle fait surgir toute une part du travail provient galement et n cessairement de mes lectures C est ce que je vais essayer de rendre compte dans cette partie Si la sexualit est quelque chose d int gr par la soc
24. isation manifeste de ses uvres Intellectuellement l artiste m ne une interrogation sur une conscience collective qui met en jeu l intime et la m moire de chacun Enfin cet engagement se d clenche par le biais d une distanciation qui am ne le spectateur s interroger Si je convoque Chistian Boltanski ce niveau de mon m moire dans cette partie et la suite de la pr sentation de mes travaux Art m dical pr sence la mort dans mon travail c est pour pointer le fait que l uvre de Boltanski implique deux facteurs essentiels qui donne son travail un caract re sacr le facteur de th tralisation et le facteur motionnel Ces deux facteurs 31 Chapitre premier Survivre notre monde se retrouvent dans la plupart de mes travaux Ils y sont apparut de mani re inconsciente dans un premier temps certainement que la rencontre et lexp rimentation motionnelle avec les pi ces et les installations de l artiste m ont conduit travailler ces deux facteurs Maintenant et par le biais de ce m moire j ai une approche plus synth tique et didactique de l uvre de Christian B de part ce clivage th atralisation motion que je viens voquer J ai visit l exposition Les derni res ann es de Christian Boltanski au mus e d Art Moderne de la ville de Paris en mai 1998 et c est l que j ai v ritablement pris conscience de la participation motionnelle du spectateur dan
25. mpression que la mort est bien au contraire cr atrice C est un terreau favorable certes difficile envisager pour faire merger des id es des r flexions des uvres En fin de compte ce n est pas si difficile envisager si on part des concepts mis en place par Georges Bataille et Michel Leiris Pour moi il ne s agit pas d opposer la vie la mort comme on oppose le bas et le haut ou le bien et le mal Ce serait un v ritable lieu commun que de dire cela et les critiques port es sur mon travail l on largement us Traiter le th me de la mort emprunter son vocabulaire et les formes qu elle peut rev tir pour un travail plastique comme le mien c est une 6 surtout au regard d une soci t qui censure tout et n importe quoi voir l article de Beaux Art n 204 mai 2001 29 Chapitre premier Survivre notre monde mani re de la p n trer de la conna tre davantage pour mieux la combattre pour la conjurer Faire l loge de la mort comme quelque chose d abject d innommable montrer la pourriture des peaux privil gier les mati res sales et les r sidus humains est une mani re d adopter successivement ou simultan ment le regard froid et l loge de l abject du bas du sordide Les deux mouvements de vie et de mort r pondent des tactiques distinctes et ne s opposent pas fondamentalement Pour d construire les valeurs tablies bouleverser nos habitudes de pens e renverse
26. n tre aim Lorsqu on r alise sa finitude on prend habituellement conscience du caract re pr cieux de l existence Vivre intens ment devient alors prioritaire puisque ind niablement le privil ge de vivre aura une fin Dans cette optique on pourrait dire que toute culture est un d passement de la mort non parce qu elle la nie la fuir c est encore y penser mais parce que l homme ne peut vivre sans l avoir assum e int gr e sans l avoir interpr t e Je crois que la mort n est pas ce qui fait chec la culture et l art elle est ce qui fait surgir la culture comme affirmation de la vie malgr la mort contre la mort Cela revient dire que faire avant la mort Eh bien vivre le mieux possible L picurisme ou l h donisme n est pas une voie si mauvaise apr s tout M me notre poque o le danger nucl aire impose la menace d une suppression subite de toute forme de civilisation l humanit n a pas l air de s accepter comme condamn e Bien au contraire elle prend conscience de ambigu t de son effort scientifique et technique L humanit se place entre la fin et la survie et elle joue de ce terrifiant sursis pour consentir l existence Du moins la mort oblige l homme s inventer des raisons de vivre en d pit d une existence pr caire menac e et finalement caduque 13 Chapitre premier Survivre notre monde Pr sence de la mort dans mon trav
27. n pr tre un mage un chef de secte un gourou un ma tre venu pourvu qu il porte un discours de conjuration de l impensable avoir mourir Tous ces recours d autres mondes d autres puissances toute cette volont de v n rer des forces trang res toutes ces confiances donn es des sectes vendues brad es des figures qui exploitent la cr dulit et la faiblesse de consciences terroris es par la n cessit de devoir faire face la mort un futur irr m diablement marqu par le tr pas Il n y a pas de recours d autant plus qu on a constat la mort de Dieu apr s les camps de la mort nazis Si Dieu est mort reste l individu son 12 Chapitre premier Survivre notre monde corps son pauvre bien le seul centre sur lequel puisse encore aujourd hui se construire quelque chose s imaginer un avenir ou mourir Mais ne soyons pas pessimiste pour autant 1l faut se placer du cot de l homme tre humaniste vouloir son bien malgr la mort Quelque part nous sommes orphelins d une culture qui permette de vivre sainement une relation avec la mort et avec les morts Peut tre que justement cette reconnaissance de la mort pourrait se faire entre autres par la parole Et si on se permettait de dire nos peurs nos espoirs nos croyances nos souhaits peut tre que cet v nement qu est la mort deviendrait moins tabou et souffrant Bien s r il sera toujours difficile de vivre la perte d u
28. nspirent d une certaine mani re aussi des s pulcres et autres monuments aux se r f rer au chapitre III Pratique du message 2 1 l infini de la bo te et les vitrines de m moire 32 Chapitre premier Survivre notre monde morts Elles sont davantage des lieux fun bres plut t que de simples d p ts de m moire Toutefois je pr f re renvoyer mon lecteur la troisi me partie de ce m me chapitre qui d veloppe plus en profondeur cette dimension L une des s ries de Boltanski qui m a le plus marqu est la s rie des travaux r alis entre 1985 et 1987 intitul Monuments qui donne voir le constat de la mort L origine de cette s rie est une photo de classe de l artiste sept ans Ce dernier s explique sur sa prise de conscience Je ne me souvenais du nom d aucun je ne reconnaissais rien de plus que les visages sur la photographie On aurait dit qu ils avaient disparu de ma m moire On aurait dit que cette p riode tait morte puisqu pr sent ces enfants devaient tre adultes dont je ne sais plus rien aujourd hui C est pour cette raison que j ai ressenti le besoin de rendre hommage ces morts qui sur l image se ressemblent tous plus ou moins comme des cadavres Le choix de Boltanski a t de rendre hommage ces visages morts et le moyen le plus pertinent pour lui a t le recours la sculpture fun raire et aux monuments comm moratifs Les photos sont plac
29. oigne d un pass par sa capacit fournir la preuve du r el Elle appara t comme un l ment de preuve incontournable Au d but je m int ressais surtout la propri t donn e la photographie de para tre fournir la preuve du r el un spectacle photographi est ressenti comme vrai Cependant la photographie a aussi un caract re intemporel Comme la relique c est dire ce qui reste du corps d un martyr d un saint ou d un objet relatif son histoire l objet photographique traverse le temps Dans sa fabrication ses aspects techniques son intemporalit renforce d autant plus son caract re de preuve tangible qu elle v hicule tout un pass en elle m me La fascination que peut exercer le portrait dont Pascal dit qu il porte absence et pr sence vient justement de son inscription entre ces deux p les de l existence Les portraits de Boltanski sont tir s non pas partir d un n gatif d origine mais en rephotographiant les images d j existantes Us s d lav s ces clich s de la deuxi me g n ration selon les mots de Lynn Grumpert semblent s effacer lentement Encore une fois pr sent s dans une semi obscurit encadr s et clair s par des petites lumi res 1ls baignent dans un climat m lancolique et fun bre la fois Ailleurs des milliers de vieux habits dont chacun symbolise un corps disparu forment un paysage de souvenir ou un cimeti re
30. r nos conceptions de l homme et du monde pour abattre les fondements de notre culture il faut aller l encontre de r pugnances que nous croyons normales et naturelles il faut constamment critiquer l id e que nous nous faisons de notre nature La mort ne signifie pas mourir Pour moi traiter de la mort c est d fendre de la vie L art de mourir et de se conserver On pourrait d finir l artiste comme celui qui est capable de rendre public ses faiblesses et ses obsessions personnelles voire de leur donner une port e universelle Ou bien l inverse l artiste est celui qui capte les aspirations et les anxi t s inexprim es flottant confus ment dans la culture et qui les passant au travers du prisme de sa personnalit ou mieux de son temp rament les rend singuli res Qu on retienne l une ou l autre de ces d finitions il est un nombre suffisant d artistes qui ont pos le probl me des troubles li la mort et la conservation comme des th mes privil gi s de leurs pratiques artistiques Cette partie tentera d voquer les personnalit s artistes et les uvres qui ont eu un impact d cisif sur ma personnalit et mon travail artistique J esp re que mon lecteur ne rebute pas les termes d influence et de r f rence Elle sont 30 Chapitre premier Survivre notre monde nombreuses elles apparaissent de mani re manifeste dans cette partie mais galement partout dans ce m moire
31. r ses victimes toutes des jeunes filles bien en chair Le rapprochement est int ressant et on pourrait facilement me taxer de copieur mais c est une r f rence qui ne m tait pas venu l esprit Sans titre la mue 1999 Bois latex Plexiglas clairage n on 180 x 70 cm Le cadavre de peau est plac sur une table lumineuse les bras repli s et crois s sur ce que l on pourrait appeler le torse malgr l absence de toute ossature Cette position que j ai repris aux momies gyptiennes mais aussi aux gisants reposants fun raires donne au corps une th tralit morbide Pour moi c est un objet presque surr aliste La question est de savoir o sont les organes O sont les os S agit il d un embaumement Je laisse ici mon travail sans 17 Chapitre premier Survivre notre monde r ponse et libre d interpr tation non pas pour me soustraire l explicitation mais pour qu juste titre mon travail ne se d voile pas compl tement et garde une part de r sistance Le regard que peut porter sur cette pi ce le spectateur peut se faire de multiples mani res Mais mon intention tait plus personnelle et intime J ai essay de jouer de ce paradoxe qui consiste reproduire ma propre image pour me faire face moi cadavre de peau ici et maintenant Loin de m avoir troubl ce cadavre ne me ressemblait pas Et malgr l aspect sexu c tait quelqu un d autre sur c
32. s ses uvres Cette implication est d t la mise en sc ne des uvres Boltanski cr e une atmosph re pesante marqu e d une dramatisation d une th tralisation des sujets L artiste pose une r flexion constante sur les interactions entre les souvenirs personnels et l histoire commune entre le public et le priv se tient dans les endroits charg s d un r le comm moratif les mus es Le terme inventaire souvent utilis par l artiste sa fa on de ranger syst matiquement les objets dans des vitrines ou dans des bo tes expriment une vision ironique de la notion de collection et de vanit mus ographique De fait les mus es fabriqu s par Boltanski mi chemin entre l exposition artistique et le t moignage ethnographique n ont pas trait aux chefs d uvres ou aux divers artefacts qui traversent le temps impun ment Ses installations qu il nomme R serves Archives Autels Reliquaires ou Monuments fa tes partir d entassements de v tements de bo tes rouill es ou de photos de visages sont plus des cryptes voquant la disparition que de simples d p ts de m moire Pareillement Boltanski j ai commenc mettre en place mes pr occupations sous la forme d installations C tait pour moi le meilleur m dium tout du moins le plus complet pour donner corps mes r flexions Si les installations de Boltanski prennent la forme de monuments religieux mes installations s i
33. sont accroch es de part et d autre des branches une grosse poche transparente de s rum et une lampe rouge Les voir chapitre I 3 1 Arch ologie du souvenir 19 Chapitre premier Survivre notre monde c bles et tuyaux des lampes et s rum pendent lamentablement jusqu tra ner dans la mat rialit des cheveux Toute l installation est pr sent e dans le noir total Se cr e alors cette ambiance m dicale et pesante d j voqu e pour Le socle du monde Si l poque je n avais pas connaissance des crits de Georges Bataille sur l Informe le bas mat rialisme et l horizontalit ni m me du catalogue l Informe mode d emploi par Yve Alain Bois et Rosalind Krauss je m y suis int ress apr s coup J en ai tir des conclusions ouvertes concernant mon travail mais aussi un rapport nouveau l histoire de l art traditionnel en l occurrence une red finition des concepts greenbergiens sur le modernisme dans une optique contre historique o la forme se trouve syst matiquement disloqu e et ayant une besogne accomplir plut t qu un sens Etude pr paratoire pour Sans titre cheveux et potences Dans ce travail l horizontalit est patente Le tas de cheveux morts est un terrain favorable la vie respiration et change des fluides m me si l atmosph re est suffoquante En voquant cette installation j ai sans cesse en 20 Chapitre premier Survivre notr
34. ssible dans ma propre th matique ou probl matique Parfois ce qu on appelle d ordinaire les sujets ouvraient une nouvelle br che mon travail in Dictionnaire critique article l Informe 3 Catalogue l Informe mode d emploi par Yve Alain Bois et Rosalind Kraus p24 21 Chapitre premier Survivre notre monde parfois pas du tout Je consens volontiers l objectif p dagogique et incitatif la cr ation de tel sujet mais ma position par rapport des propositions trop loign es de mes pr occupations ou pas en accord avec moi m me tait de suivre tout prix la Voie premi re que je m tais fix Je pense avoir fait le bon choix Je pense que mon lecteur aussi avis soit il trouvera mon attitude bien l gitime et prudente x he Disponible 2000 poussette bocaux organes clairage n on 95 x 95 x 50 cm Cal LELT PUR xE amp Ex Les D LE x LA 4 E Revenons donc cette sculpture objet Il s agit d un vieux landau comme on pouvait en trouver dans les ann es 60 70 A l int rieur de celui ci une s rie de quatre tubes phosphorescent Ultra Violet et une plaque de verre sur laquelle est dispos e un ensemble de bocaux et flacons en verre Chaque bocal contient un l ment constitutif du corps humain d un individu moyen conserv dans du formol et tiquet en cons quence Sur les c t s du landau deux plaques de Plexiglas sur lesquelles app
35. t la lumi re sont pr sentes dans mes premiers travaux tels que Sans Titre La Mue Le socle du monde ou encore dans l installation de cheveux Dans ces trois installations les tubes phosphorescents ou les lampes halog nes de couleur rouge sont pr sents Les pi ces Sans Titre La Mue et Le socle du monde peuvent tre montr es dans la p nombre ou pas tandis que l installation de cheveux ne peut exister que dans un noir total Il est important pour moi d utiliser constamment les possibilit s de la lumi re Ce qui m importe ce n est pas son paisseur mais sa r alit physique Je consid re qu elle est trop souvent per ue comme ce qui illumine les choses plut t que porteuse de sa propre r v lation Ainsi pour moi la lumi re que j utilise dans mes pi ces donne une dimension psychophysiologique l uvre et fait intervenir d autres tats de conscience possibles et vise l laboration d une pens e non verbale indicible Il ne faut pas voir dans les lumi res que j utilise quelque chose de positif qui serait l av nement de la beaut mais bien au contraire une lumi re particuli re une lumi re conceptuelle une lumi re rouge ou blanche mais fonci rement froide et clinique en fin de compte morbide 34 Chapitre premier Survivre notre monde Dans d autres uvres de Boltanski comme l Autel Chases r alis en 1988 Boltanski a recours des boites de biscuits rouill es trouv es dans la cave
36. tographie criminelle l H tel de Sully en mars 2000 qui e t lieu en m me temps que l exposition des photographies de Jo l Peter Witkin L ambiance pesante qui r gnait dans l exposition tait celle que je voulais recr er au travers de mes photos 26 Chapitre premier Survivre notre monde SES SES LEE RAM RES 27 Chapitre premier Survivre notre monde l Photo de la couverture de Faits divers 2 Pr cipitation de la dame Cordill re impasse Beaurepaire Fine lez Raches 3 Suicide par le feu d un individu de sexe f minin non identifi jardin Guillaumin Fourmies 4 Suicide ou assassinat de Jeanne H buterne ext rieur de la ville de Halluin 5 Suicide de Daniel Buttner appart 202 rue Michel de Bourges Draguignan 6 Suicide au chloroforme de doctor Reyer centre hospitalier Bic tre Paris 7 Suicide par pendaison de la femme Debeinche dite Berthe de Brenne Impasse Chalgrin Paris Vi me 8 Suicide par section des veines de madame Lalisse C cile 54 rue de Saint Quentin Armenti res 9 Empoisonnement Eug nie Wika 10 place de l h tel de ville Toulouse 10 Suicide par pendaison du sieur Van den Berg Edouard 12 rue de la charbonni re Wasquehal 11 Suicide par noyade dans sa baignoire de madame Eva Rouillet 339 rue Pierre de Serbie Lyon 12 Asphyxie au gaz de la veuve Albertine Olivier 14 rue Nicolas Taunay Calais 13 Suicide dans un cong lat
37. ts loin des grandes capitales En bref les morts posent aux urbanistes des probl mes particuli rement d licats signes des temps nouveaux moins d envisager un recyclage syst matique des cadavres comme dans le film Soleil Vert 1973 de Richard Fleischer avec Charlton Heston D autant que chasser les morts c est aussi risquer de les voir revenir sous forme de fantasmes morbides hanter l inconscient de leurs imprudents survivants C est un paradoxe insoutenable jamais l humanit n a autant fait pour exalter l homme prolonger sa vie et proclamer ses droits or jamais elle n a affect pour l homme un aussi grand m pris pensons aux 38 millions de morts au cours de la Seconde Guerre mondiale dont des millions de d port s qui ont p ri dans les camps nazis et aujourd hui la menace de la guerre atomique L homme veut devenir immortel qu il commence donc par lutter contre le g nocide et la guerre contre la faim qui assaille le tiers de l humanit contre les accidents d automobile contre la pollution atmosph rique Tout autre attitude n est qu illusion ou hypocrisie Ainsi si la mort est tabou dans nos soci t s occidentales elle est aussi omnipr sente et in vitable malgr sa mise distance Les hommes se tuent en sp culations toutes plus vaines les unes que les autres pour viter la seule r ponse possible la mort existe selon le seul ordre de la nature elle est n cessaire la vie
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