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1. ments les n uds qui tant reli s les uns aux autres forment sys t me toute action sur un des l ments reconfigure la totalit Ensuite chaque activation de l hypertexte par un utilisateur d termine un par cours singulier et provoque une structuration provisoire de l ensemble C est dans cette interaction constructive d un sujet avec un ensemble variable et fluctuant de connaissances que l hypertexte peut tre consi d r comme une r ponse appropri e au d fi de la complexit L hypertexte comme figure de la complexit Hypertexte et syst me nonciatif Il convient tout d abord de revenir sur la diff rence fondamentale qui existe entre un hypertexte et une base de donn es La base de donn es est un dispositif informatique d acc s l information qui suppose que celle ci est pr alablement structur e selon un certain nombre de crit res qui aboutissent une cat gorisation mots cl s une simplification formatage des donn es et une hi rarchisation thesaurus de l infor mation et de la connaissance Toute base de donn es de ce point de vue renforce le paradigme de la simplification et favorise une vision rigide de l organisation des savoirs Mais ce qui nous int resse ici c est le rapport qu elle instaure entre l utilisateur et l information Pour le dire en images on pourrait assimiler la situation de l utilisateur celle d un p cheur la ligne qui se tient sur le rivage2. ou presque les m mes n ont pas cess d tre appro ch s par des voies venant de diff rentes directions donnant lieu des ima ges toujours nouvelles Une quantit innombrable de ces esquisses taient manqu es ou d pourvues de caract re trahissant toutes les maladresses d un m diocre dessinateur Et d s qu on liminait ces derni res il en restait un certain nombre demi r ussies qu il s agissait d sormais d arranger et de retoucher souvent pour qu elles sugg rassent au contemplateur un tableau de paysage Ainsi ce livre ne constitue en r alit qu un album Litt rature et cybern tique Ni Deleuze ni encore moins Wittgenstein ne connaissaient les possibi lit s technologiques de l hypertexte mais leurs critures en quelque sorte postulaient son av nement D ailleurs comme on pouvait s y attendre les Investigations philosophiques ont d j fait l objet de plu sieurs tentatives d hypertextualisation Car pour qu une criture frag mentaire comme celle de Wittgenstein ou comme celle d autres crivains je pense Nietzsche en particulier puisse tre autre chose qu une collection de fragments ou d aphorismes il faut qu un disposi tif mat riel en instrumentalise les lectures plurielles C est en quoi l hypertexte ne peut se concevoir que dans le cadre de la cybern tique Certes on objectera que le principe de la r troaction dans la transmis sion de l information peut s ap
3. Gourhan sur le geste et la parole ou ceux de Derrida sur la grammatologie sont fond s sur un postulat commun ce sont les technologies qui distinguent l homme de l animal c est de leur invention que d pend la lib ration de la pens e et son d veloppe ment Ainsi l criture qui est sans doute la technologie la plus fonda mentale dans le d veloppement de la pens e n est pas seulement inscription du langage sur un support apte en assurer la conservation et la transmission Par la s paration qu elle instaure entre la parole et les conditions spatio temporelles de son nonciation le savoir est s par du sachant dit Havelock elle d contextualise les nonc s et permet leur recontextualisation dans un nouvel environnement herm neutique On conna t les propos d Amon qui dans le c l bre passage 9 Jack Goody La raison graphique la domestication de la pens e sauvage Paris Minuit 1970 10 Andr Leroi Gourhan Le geste et la parole Paris Albin Michel 1992 11 Jacques Derrida De la grammatologie Paris Minuit 1967 12 E A Havelock The Literate Revolution in Greece and Its Cultural Consequences Prin ceton Princeton University Press 1982 46 TUDES FRAN AISES 36 2 du Ph dre de Platon reprochait Thoth l inventeur de l criture d avoir introduit non de la m moire mais de l oubli dans le c ur des hommes car disait il au lieu de se fier leur m moire propre ils
4. but de l aventure de la pens e occidentale a plusieurs cons quences D une part elle ins taure une distance entre le sujet pensant ego cogitans et la chose ten due res extensa tablissant par l une coupure entre philosophie et science et d autre part elle place la connaissance sous l empire de trois grands principes dont l ensemble constitue ce que l on peut appeler le paradigme de la simplification Le premier principe est celui de disjonction L objet de la connaissance doit tre s par du sujet con naissant chaque discipline doit se constituer de fa on autonome Le deuxi me est le principe de r duction ou r ductionnisme qui privil gie la connaissance des constituants d un syst me plut t que sa globalit Le troisi me est l abstraction qui ram ne tout des quations et des formules gouvernant des entit s quantifi es La nature selon Galil e est un livre crit en caract res math matiques tandis que Descartes r ve d une Physique qui soit toute g om trique Depuis Platon la HYPERTEXTE ET COMPLEXIT AI pens e occidentale est la recherche d un principe d ordre qui justifie rait et expliquerait l ordre de l Univers L observation des plan tes et la d couverte de la r gularit de leurs mouvements sugg rent en effet que lunivers est r gi par des lois La mise en vidence de la gravitation universelle par Newton est d cisive de ce point de vue S il y a de l o
5. dans un seul sens de l metteur vers le r cepteur Les travaux de Wiener publi s l ann e pr c dente avaient cependant montr que l information peut aussi fonctionner en boucle c est le principe du feedback d velopp par Wiener partir de ses re cherches sur la conduite des canons antia riens Le canon qui cherche atteindre une cible en mouvement l avion s inscrit dans un proces sus circulaire o des informations sur l action en cours la trajectoire de la cible nourrissent en retour le syst me de guidage Si l on veut prendre en compte le principe de la r troaction l explica tion traditionnelle de la transmission lin aire de l information devient insuffisante Tout effet r agit sur sa cause tout processus doit tre con u selon un sch ma circulaire Cette id e simple devait se r v ler f conde Parall lement au travail de Wiener un groupe de chercheurs anim par Bertalanffy r fl chissait une th orie g n rale des syst mes Ses travaux taient consacr s la recherche des principes qui s emploient pour des syst mes en g n ral sans se pr occuper de leur nature physique biologique ou sociologique Ils aboutirent cette d finition Un syst me est un complexe d l ments en interaction ces interactions tant de nature non al atoire Th orie g n rale des syst mes et cybern tique vont progressivement s interp n trer pour donner ce qu on appelle aujou
6. de la mer ou sur le pont d un bateau Il envoie ses requ tes comme on lance une ligne ou des filets et il examine ensuite ce qu il a p ch avant de relancer sa ligne L utilisateur de l hypertexte lui pratiquerait plut t la plong e sous marine Il se met l eau il se faufile entre les r cifs et les coraux il est en chasse Car parcourir un hypertexte c est tre partie prenante d un syst me qui se reconfigure chaque d placement un syst me HYPERTEXTE ET COMPLEXIT 51 mouvant dont on n a jamais de vue globale mais seulement une vue locale chaque mouvement se d couvre un nouveau paysage de nouvelles perspectives de nouvelles invitations poursuivre le voyage Ce parcours peut tre consid r comme une forme d nonciation cette lecture du paysage est aussi une forme d criture Dans la pr face de son livre S Z Roland Barthes parle des textes scriptibles par opposition aux textes lisibles que sont pour lui les textes classiques L hypertexte est scriptible non pas seulement au sens premier d un dispositif per mettant au lecteur d y inscrire ses annotations comme c tait l habi tude au Moyen ge par exemple mais par le fait que son parcours en lui m me est une forme d criture La scriptibilit de l hypertexte tient au fait qu il constitue une sorte d avant texte un amont de l criture un nonc mi chemin entre le jaillissement de la pens e informul e et la rigidit du d
7. la lecture int grale en tait impossible Le cloison nement des disciplines l parpillement des publications la croissance exponentielle de l information pla ait le chercheur dans une situation difficile La recherche tait frein e la communaut scientifique avait de plus en plus de mal communiquer C est pour r pondre cette situation qu un conseiller scientifique du pr sident Roosevelt imagina un dispositif documentaire nouveau qui est g n ralement consid r comme l anc tre de l hypertexte Dans un article d sormais fameux intitul As We May Think Vannevar Bush d crivait son invention baptis e Memex pour memory extender comme a device in which an individual stores his books records and communications and 13 Julia Kristeva Semeiotik Paris Seuil 1969 48 TUDES FRAN AISES 36 2 which is mecanized so that it may be consulted with exceeding speed and flexibility It is an enlarged intimate supplement to his memory Le support de stockage imagin par Bush tait le microfilm Un bureau sp cialement quip permettait de s lectionner et de projeter instantan ment les documents d sir s Mis part le support l invention de Bush qui ne fut jamais r alis e pr sentait toutes les fonctionnalit s d un hypertexte moderne e possibilit de projeter plusieurs documents simultan ment pour les comparer e possibilit de microfilmer de nouveaux documents ou de se le
8. Article Hypertexte et complexit Jean Cl ment tudes fran aises vol 36 n 2 2000 p 39 57 Pour citer cet article utiliser l information suivante URI http id erudit org iderudit 005256ar DOI 10 7202 005256ar Note les r gles d criture des r f rences bibliographiques peuvent varier selon les diff rents domaines du savoir Ce document est prot g par la loi sur le droit d auteur L utilisation des services d rudit y compris la reproduction est assujettie sa politique d utilisation que vous pouvez consulter l URI https apropos erudit org fr usagers politique dutilisation rudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif compos de l Universit de Montr al l Universit Laval et l Universit du Qu bec Montr al II a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche rudit offre des services d dition num rique de documents scientifiques depuis 1998 Pour communiquer avec les responsables d rudit info erudit org Document t l charg le 16 novembre 2015 08 40 Hypertexte et complexit JEAN CL MENT La thermodynamique est le meilleur mod le pour la recherche et l expression de ce qui m int resse PAUL VAL RY La question que je me propose de traiter n cessite quelques remarques pr alables Vouloir mettre en relation les concepts d hypertexte et de complexit peut sembler une entreprise bien t m raire D une part parce que la que
9. Ergodic Literature Baltimore Johns Hop kins University Press 1997 21 Fran ois Julien Figures de l immanence pour une lecture philosophique du Yi King Paris Grasset 1993 22 Raymond Queneau Cent mille milliards de po mes Paris Gallimard 1961 54 TUDES FRAN AISES 36 2 Bernstein La structuration hypertextuelle fait pousser l information Mais le fait de poser des liens n puise pas la cr ation d information Car l ordre dans lequel ils seront suivis chappe d autant plus leur auteur qu ils sont multiples et nombreux Chaque parcours individuel devient son tour cr ateur d information Un exemple litt raire me permettra d illustrer ce processus En 1965 Marc Saporta publie un roman intitul Composition n 1 dont les 150 pages ne sont ni reli es ni num rot es L auteur en propose le mode d emploi suivant Le lecteur est pri de battre ces pages comme un jeu de cartes De couper s il le d sire de la main gauche comme chez une cartomancienne L ordre dans lequel les feuillets sortiront du jeu orientera le destin de X Car le temps et l ordre des v nements r glent la vie plus que la nature de ces v nements De l encha nement des circonstances d pend que l histoire finisse bien ou mal Une vie se compose d l ments multiples Mais le nombre des com positions possibles est infini Ici c est chaque lecture qui produit une histoire diff rente Prenons main
10. Mon intention d s le d but tait de rassembler tout ceci en un volume dont je me faisais diff rentes poques diff rentes repr sentations quant 17 Jean Cl ment Du texte l hypertexte vers une pist mologie de la discursivit hypertextuelle dans Hypertextes et hyperm dias r alisations outils et m thodes actes du colloque r unis par Jean Pierre Balpe Alain Lelu et Imad Saleh Paris Herm s 1995 18 Gilles Deleuze et F lix Guattari Mille plateaux Paris Minuit 1980 p 11 52 TUDES FRAN AISES 36 2 la forme qu il prendrait Il me paraissait cependant essentiel que les pen s es y dussent progresser d un objet l autre en une suite naturelle et sans lacune Apr s maintes tentatives avort es pour condenser les r sultats de mes recherches en pareil ensemble je compris que ceci ne devait jamais me r ussir Que les meilleurs choses que je pusse crire ne resteraient tou jours que des remarques philosophiques que mes pens es se paralysaient d s que j essayais de leur imprimer de force une direction d termin e l encontre de leur pente naturelle Ce qui tenait sans doute troitement la nature de l investigation m me Elle nous oblige en effet explorer en tous sens un vaste domaine de pens es Les remarques philosophiques de ce livre sont pour ainsi dire autant d esquisses de paysages n es au cours de ces longs voyages faits de mille d tours Les m mes points
11. XIT 55 d un fleuve autour de la pile d un pont Dans le cas des syst mes vivants cette alimentation est non seulement mat rielle nerg tique mais elle est aussi organisationnelle informationnelle De ce dernier point de vue l hypertexte est un syst me ouvert On pourrait bien entendu dire la m me chose de tout texte comme le sugg re le titre du livre d Umberto Eco L uvre ouverte Le texte est un syst me de signes qui contrairement ce qu ont pu en dire les th oriciens structuralis tes n est pas clos Le travail d Umberto Eco comme celui de Roland Barthes a t de mettre en vidence cette ouverture Un texte comme syst me ne peut exister que par son interpr tation par un autre sys t me Ce travail d interpr tation est celui du lecteur En repla ant l hypertexte dans cette perspective je dirai que l ouverture de l hyper texte comme syst me est plus forte que celle d un texte ordinaire Il faut ici introduire une distinction entre les deux genres proches que sont la litt rature combinatoire et la litt rature hypertextuelle propre ment dite Les Cent mille milliards de po mes de Raymond Queneau f appartiennent la premi re cat gorie Afternoon a Story de Michael Joyce la seconde La diff rence entre les deux tient au fait que Ray mond Queneau a con u son dispositif pour produire des textes finis dont la structure est toujours la m me le sonnet et dont les l ments appartiennen
12. aint Ambroise d apr s le t moignage de saint Augustin les textes devaient tre lus voix haute pour tre compris Avec l apparition du codex le texte acquiert une certaine autonomie par rapport l oral puisque d sormais l espace de lecture devient la page une surface que l on peut visualiser et sur laquelle on peut pr lever par la lecture des informations sans avoir repasser par l oral Avec le d veloppement de l imprimerie la Renaissance et l invention du livre moderne va ensuite se mettre progressivement en place un ensemble d outils de lecture et de rep rage dans le texte signes de ponctuation d coupage en paragraphes num rotation des pages tables des mati res et index r f rences crois es etc qui nous sont aujourd hui familiers et constituent ce que l on peut appeler une culture de l imprim La lecture n est plus assujettie l oral la disposition du texte structure le signifiant Chaque signe chaque espace chaque marque typographique chaque mise en page contribue la formation du sens Une v ritable s miologie textuelle se met en place De l encyclop die la po sie HYPERTEXTE ET COMPLEXIT 47 moderne quelle que soit la forme qu elle puisse prendre l criture se d tache ainsi d finitivement des conditions de son nonciation pour devenir un artefact un tre technologique si l on peut parler ainsi dont la complexit tient son nouveau mode de fonctionnement et so
13. e la m t orologie et se retrouve dans bien d autres syst mes L tude de ces syst mes conduit reconsid rer la relation entre l ordre et le d sordre selon trois nouvelles modalit s 1 L ordre peut engendrer le d sordre Un syst me dont le comportement est consid r comme d terministe c est dire pr visible peut au bout de quelques instants pr senter un com portement chaotique c est dire ap riodique dans le temps et dans l es pace et donc impr visible 2 Le chaos est la condition de l ordre Le chaos est partout Dans les syst mes vivants l ordre le plus solide est celui qui est capable d int grer le chaos Ce paradoxe avait t soulign par Von Neuman propos des machines artificielles Une telle machine bien que compos e d l ments tr s solides est beaucoup moins fiable que cha cun de ses l ments pris s par ment l inverse les machines vivantes auto organis e dont les organes sont compos s de mol cules qui se d gradent tr s rapidement sont beaucoup plus fiables que leurs l ments 3 Le chaos peut g n rer de l ordre Il existe un ordre dans le chaos Cet ordre qui se forme dans le chaos et partir de lui est sans doute la preuve que le chaos n est pas un pur d sordre mais qu il porte en lui un ordre virtuel ou potentiel qui en certaines cir constances peut s actualiser et appara tre ou r appara tre Bruit th orie des syst mes et chaos apparais
14. e ainsi une vaste famille dans laquelle l hypertexte occupe une place privil gi e L hypertexte entre entropie et n guentropie On reproche souvent l hypertexte d abandonner la mise en ordre et en discours structur de l information au profit d une simple collection de documents mis bout bout de d construire le r cit lin aire au pro fit d une esth tique du fragment o dispara t le plaisir du lecteur bref de produire du d sordonn et de l informe quand le livre au contraire contribuait construire du sens Je voudrais revenir sur ces objections la lumi re des concepts d entropie et de n guentropie voqu s plus haut Si l entropie est la mesure de l ignorance o nous sommes de l tat d un syst me et la n guentropie l information r sultante de sa transformation on peut dire que c est le parcours de l hypertexte qui proc dant par s lection est producteur d information Je propose de distinguer plusieurs moments et plusieurs types d op ration dans ce processus de transformation Premier cas l information se trouve sous la forme d une simple col lection ordonn e ou non de documents Le fait de poser des liens sur cet ensemble documentaire va r duire l entropie en faisant na tre de nouvelles informations C est ce que traduit bien la m taphore du jardi nage gardening introduite par Cathy Marchal et d velopp e par Mark 20 Espen J Aarseth Cybertext Perspectives on
15. es d une dition savante D autre part l organisation hi rarchique du texte principal et des textes satellites peut tre modifi e Par exemple un texte appel par une note peut son tour contenir des renvois d autres textes et constituer ainsi le point de d part d un r seau Il devient galement commode de mettre le texte en relation avec son intertexte de le situer dans son contexte de production et de r ception d accro tre son intelligibilit par la resti tution de l environnement qui a pr sid sa cr ation lire Stendhal en coutant Cimarosa Baudelaire en regardant Goya ou Delacroix etc 16 Roger Chartier Le livre en r volutions entretiens avec Jean Lebrun Paris Textuel 1997 50 TUDES FRAN AISES 36 2 Avec l accroissement des capacit s de stockage que procure d s aujour d hui le pvp on pourra bient t proposer des lectures des textes comparer plusieurs mises en sc nes de Shakespeare ou couter une anthologie de po sies lues par leurs auteurs Quel que soit son support on line ou off line et quel que soit son objet base documentaire ou cr ation d auteur l hypertexte appara t ainsi comme l aboutissement d un processus de complexification crois sante de notre rapport l criture et au savoir Cette complexification trouve son expression dans deux caract ristiques essentielles D abord l hypertexte est constitu d un ensemble non structur a priori d l
16. ible de pr voir un comportement En math matiques la plupart des quations non lin aires n ont pas de solution Il n est sans doute pas indiff rent qu un crivain comme Jacques Roubaud qui est aussi professeur de math matiques l universit ait sous titr son livre Le grand incendie de Londres R cit avec bifurcations et incises reprenant ainsi le projet qu avait nonc avant lui Paul Val ry Peut tre serait il int ressant de faire une fois une uvre qui montrerait chacun de ses n uds la diversit qui s y peut pr senter l esprit et parmi laquelle il choisit la suite unique qui sera donn e dans le texte Ce serait l substituer l illusion d une d termination unique et imitatrice du r el celle du possible chaque instant qui me semble plus v ritable Cette rupture de la lin arit est une des caract ristiques de l hypertexte narratif ou discursif Il ne faut pas la confondre avec la multilin arit des r cits dans les livres dont vous tes le h ros La non lin arit est un facteur de d sordre narratif qui contrevient gravement aux princi pes nonc s par Aristote dans sa po tique notamment en remettant en cause les notions de d but et de fin Comme les quations non lin aires sans solution des syst mes chaotiques elle suspend ind fini ment la r solution du r cit Une esth tique fractale Il existe dans la th orie du chaos au moins un domaine dans lequel
17. iscours constitu Prendre en compte la complexit c est aussi renoncer mettre en discours la pens e Car toute mise en discours tend r duire la multiplicit des significations dans une orga nisation rh torique simplificatrice Le livre classique est l aboutisse ment la forme achev e de ce processus de simplification Pour certains penseurs modernes cette forme est d sormais st rile C est ainsi que Deleuze et Guattari dans Mille Plateaux parlent du livre racine L arbre est d j l image du monde ou bien la racine est l image de l arbre monde C est le livre classique comme belle int riorit organique signi fiante et subjective La loi du livre c est celle de la r flexion le Un qui devient deux Un devient deux chaque fois que nous rencontrons cette formule nous nous trouvons devant la pens e la plus classique et la plus r fl chie la plus vieille la plus fatigu e Cette formule dont veulent nous lib rer Deleuze et Guattari c est celle de Descartes c est celle du paradigme de la simplification Le livre racine est aussi ce quoi d clarait renoncer Ludwig Wittgen stein en 1945 dans sa pr face aux Investigations philosophiques Toutes ces pens es je ne les ai r dig es qu en tant que remarques en de brefs paragraphes Tant t sous forme de longs encha nements sur le m me objet tant t sous forme de transitions rapides d un domaine l autre
18. it en physique Ce principe de d gradation de l nergie ou entropie croissante fut tr s vite compris par Boltzmann en premier comme un principe de d sordre croissant L id e s impose alors l tat le plus probable pour un syst me quel qu il soit c est le d sordre Le temps thermodynamique est un temps de d gradation Le chaos mol culaire se pr sente ainsi comme le destin de tout syst me Cette prise de conscience est fondamentale Le d sordre n est plus seulement le r sidu de nos tentatives pour comprendre le monde il est irr m diablement inscrit au c ur de lunivers con u comme un sys t me complexe Nous vivons et pensons d sormais sous le paradigme de la complexit 2 Paul Val ry Ego scriptor Paris Gallimard 1992 p 160 42 TUDES FRAN AISES 36 2 De cette complexit je prendrais comme exemples trois notions qui claireront mon propos sur l hypertexte les notions de bruit de syst me et de chaos Le bruit Dans une situation de communication le bruit est d abord un facteur de perturbation et de d sordre Il doit donc tre sinon limin du moins neutralis C tait le probl me pos Shannon un ing nieur des laboratoires de la compagnie Bell Telephone qui travaillait apr s la guerre l am lioration des transmissions dans les t l communications Pour Shannon l information n a qu un sens quantitatif puisque ce qu il cherche mesurer c est une quantit d infor
19. mation Or pour que l information soit mesurable il faut qu elle soit r duite sa plus simple expression c est dire au fait m me qu un v nement se soit produit Sa th orie ne tient compte ni du sens ni de l origine ni de la cause de l information Ce qui int resse Shannon c est la probabilit d appari tion d un symbole l int rieur d un message plusieurs fois r p t En d veloppant sa Th orie math matique de la communication il a ouvert la voie un rapprochement entre les notions de bruit d entropie et d in formation L entropie tant pour les sp cialistes de la thermodynami que la mesure de l ignorance o nous sommes de l tat d un syst me certains ont pu assimiler le bruit l entropie et l information la n guentropie d finie comme le contraire de l entropie l inverse dans le domaine de la biologie puis des neurosciences la notion de bruit a pris plus r cemment une acception positive Henri Atlan en effet a d montr que si le bruit n a en ce qui concerne la transmission d information que le sens d une perte ou d un oubli il peut avoir un niveau sup rieur une fonction positive produire de la diversit accro tre la complexit Jean Pierre Changeux puis Jean Claude Tabary ont ensuite tudi le r le du bruit dans l auto organisa tion du cerveau dans les processus d apprentissage en particulier Pour eux le bruit est un s
20. n autonomie Du texte l hypertexte cette complexit croissante du texte il faut ajouter celle qui r sulte de la prise en compte de ce qu il est convenu d appeler la suite des travaux de chercheurs comme Julia Kristeva l intertexte Un texte ne peut se lire dans toute son intelligibilit on le sait d sormais sans faire appel aux autres textes auxquels il est reli de diverses mani res conscientes ou inconscientes explicites ou implicites dont l ensemble constitue son intertexte Par ce changement d chelle c est l ensemble de la biblioth que qui est ainsi convoqu chaque lecture Cette inser tion du texte dans un r seau complexe exige du lecteur de mobiliser son bagage culturel et peut conduire dans le cas d une lecture savante des niveaux de complexit qui rel vent d une v ritable herm neu tique Le concept d intertextualit a profond ment renouvel l approche des textes litt raires et nous verrons plus loin comment il trouve dans l hypertexte une traduction technologique appropri e Mais c est du c t des sciences et de ce que l on appelle parfois la litt rature grise que le concept d hypertexte est d abord apparu en r ponse la complexit croissante de la documentation scientifique la fin de la Deuxi me Guerre mondiale la somme des articles scien tifiques des revues ou des th ses qu un chercheur devait consulter tait devenue telle que
21. ossibles que l imprim ne permettait pas ou peu C est ainsi qu la Biblioth que nationale de France on a mis en place des postes de lecture assist e par ordinateur gr ce auxquels les chercheurs peuvent acc der des textes num ris s et utiliser des outils visant favoriser ce que l on a appel l annotation dynamique Sous cette appellation on regroupe un certain nombre d op rations facilit es par l ordinateur telles que la constitution de corpus de travail la recherche plein texte le multi fen trage le marquage des textes l aide de signets lectroniques le coup coll etc Plus que jamais la lecture est deve nue ins parable de l criture Les liens hypertextuels constituent l autre r volution de notre rap port au texte L informatique permet ici d instrumentaliser le fonction nement m me de la pens e et de la construction des savoirs Jusqu pr sent il fallait passer par les outils mis en place au fil des si cles dans l dition classique pour relier entre eux des textes citations index con cordances renvois etc D sormais d un simple clic de souris il devient possible d acc der instantan ment tous les textes auxquels un texte donn est reli Les cons quences en sont multiples D une part lins tantan it de la relation permet le fonctionnement r el de certains outils peu utilis s habituellement parce que malcommodes qui prend la peine de lire toutes les variant
22. pliquer la lecture d un texte classique Dans la lecture d un roman par exemple le lecteur r value constam ment ce qu il a lu en fonction de ce qu il est en train de lire tandis qu il projette ce qu il a d j lu sur ce qu il va lire Autrement dit le contexte de sa lecture est essentiellement changeant et il varie d un lecteur 19 Ludwig Wittgenstein Tractatus logico philosophicus suivi de Investigations philoso phiques Paris Gallimard 1961 p 111 112 HYPERTEXTE ET COMPLEXIT 53 l autre Ce qui fait la sp cificit de l hypertexte c est que cette versati lit du contexte n est pas le seul fait de l activit de lecture Il est le r sultat de l activation ou de la non activation de liens hypertextuels qui font varier non pas seulement les lectures mais le texte lire lui m me Ce qui est en jeu ici ne rel ve donc pas seulement d une activit purement interpr tative ou no matique mais de l activation d un dis positif physique qui conditionne l apparition des fragments successifs et constitue ainsi le contexte dans lequel ils se donnent lire Il n est pas n cessaire que ce dispositif soit informatis et Espen Aarseth pro pose d appeler cybertexte tout texte dont la constitution n cessite une op ration physique de la part de l utilisateur Du Yi King aux Cent mille milliards de po mes de Raymond Queneau du jeu d aventure aux hyperfictions la cyberlitt rature constitu
23. r dre et des syst mes ordonn s pense t on c est qu il existe un principe de mise en ordre ou un sujet ordonnateur Pour Newton c est encore Dieu qui est l ordonnateur du Syst me du Monde pour Laplace un peu plus tard ce sera la N cessit immanente L acharnement d chiffrer cet ordre a entra n les savants et les philosophes des sim plifications qui ont sans doute permis les tr s grands progr s de la connaissance scientifique et de la r flexion philosophique mais il a aussi conduit dans le m me temps rejeter tout ce qui semblait contre venir l ordre recherch C est ainsi que des notions comme celles de Temps irr versible de Hasard objectif et de Complexit furent dura blement limin es de l horizon conceptuel de la pens e occidentale Jusqu au xix si cle c est la litt rature qui assumera seule la charge de traduire et faire sentir la complexit du monde des tres et des soci t s Car comme le notait justement Paul Val ry la litt rature n est l instrument ni d une pens e compl te ni d une pens e organis e Le complexe nouveau paradigme La complexit fait sa r apparition dans les sciences au d but du xix si cle Ce sont les travaux de Sadi Carnot sur la thermodynamique qui ont pour la premi re fois remis en cause l id e d un monde ordonn Le deuxi me principe de la thermodynamique formul d s 1824 intro duit en effet l irr versibil
24. r appara t le concept d ordre c est celui des fractales L tude des frac tales a mis en vidence la notion d chelle dans l tude des formes et la mesure des objets naturels Si l on entreprend de mesurer la longueur des c tes de Bretagne par exemple on obtiendra des r sultats compl tement diff rents selon l chelle utilis e Plus cette chelle est petite plus la longueur s accro t potentiellement jusqu l infini Pour r sou dre cette difficult Mandelbrot a propos de passer d une mesure quantitative une sorte de mesure qualitative fond e sur les chelles la dimension fractale De plus Mandelbrot a montr comment on retrouve dans un syst me donn les m mes caract ristiques des 28 Paul Val ry Fragments des m moires d un po me dans uvres tome I Paris Gallimard Biblioth que de la Pl iade 1975 p 1467 HYPERTEXTE ET COMPLEXIT 57 chelles diff rentes par exemple les fluctuations annuelles de la Bourse se retrouvent dans ses fluctuations journali res Par analogie on pourrait dire que toute la litt rature est fractale dans la mesure o le travail de la litt rarit la mise en litt rature consiste pr cis ment faire appara tre la forme g n rale de l uvre dans chacune de ses composantes Jean Ricardou a montr propos du Nouveau Roman que plus un r cit s loignait de l illusion r f rentielle les rapports de vraisemblance plus il de
25. rd hui la syst mique 7 Roger Cavaill s Histoires parall les du bruit et du chaos dans Litt rature et th orie du chaos Saint Denis Presses universitaires de Vincennes 1994 8 Ludwig von Bertalanffy Th orie g n rale des syst mes Paris Dunod 1993 44 TUDES FRAN AISES 36 2 Le chaos Apparue plus r cemment la th orie du chaos est le dernier avatar de la pens e complexe Le math maticien fran ais Henri Poincar fut le premier com prendre qu une petite variation dans les conditions initiales pouvait conduire un syst me dans des volutions tr s diff rentes pressentant ce que l on nomme aujourd hui la sensibilit aux conditions initia les C est toutefois un physicien am ricain Edward Lorenz qui en 1963 a vraiment donn forme et consistance la notion de chaos d terministe partir d une r flexion sur la difficult faire des pr visions m t orologiques fiables Sa m taphore du papillon est rest e c l bre le battement d ailes d un papillon aux Antilles peut provoquer plus ou moins longue ch ance une temp te sur les c tes de Bretagne L explication des ph nom nes chaotiques se trouve dans la non lin arit et l action en retour de l effet sur la cause feedback qui modifiant la cause aura pour cons quence la production d un nouvel effet pouvant son tour r troagir sur sa cause et ainsi de suite La situation n est pas propr
26. s en remettront n cessairement ces signes ext rieurs et ignorants de tout prendront pour du savoir ce qui n est que lettre morte Jack Goody a bien montr qu au contraire c est l criture y compris la plus primi tive comme celle des listes d objets ou de marchandises qui favorise la pens e en la lib rant de la lin arit de l oral par le jeu de la combina toire et des rapprochements qu elle autorise D s lors on peut lire l histoire de l criture et de ses supports comme une volution vers toujours plus de complexit De ce point de vue on peut distinguer plusieurs tapes La premi re est celle de la simple retranscription ou imitation de l oral La parole orale est lin aire elle est prisonni re de son d bit prise dans un flux irr versible Les premi res critures alphab tiques cherchaient repro duire cette lin arit en transcrivant l oral dans une suite de caract res que ne s parait aucun blanc ni aucun signe de ponctuation Le support le plus appropri tait alors le volumen un rouleau que l on d roulait au fur et mesure de la lecture On trouve la trace de cette habitude dans l criture dite boustroph don qui bien qu utilisant la page s crit alternativement de gauche droite puis de droite gauche par souci de ne pas rompre la continuit du discours par des retours la ligne Jusqu au Moyen ge l crit fut ainsi consid r comme support de l oral et jusqu s
27. s procurer sous forme de microfilms e possibilit d ajouter ses propres notes et commentaires e possibilit de lier entre eux les documents C est cette derni re possibilit qu il consid rait comme la plus nova trice It affords an immediate step to associative indexing the basic idea of which is a provision whereby any item may be caused at will to select immediately and automatically another Bush pr voyait que gr ce ce dispositif il deviendrait possible de cr er plusieurs cheminements dans un ensemble documentaire selon divers centres d int r t et que des parcours personnalis s pourraient tre ainsi sugg r s de futurs utilisateurs Si Vannevar Bush est consid r comme le grand p re de l hyper texte c est Ted Nelson que l on doit le n ologisme d hypertexte cr pour caract riser un r seau informatique de documents reli s entre eux par des liens activables Son projet baptis Xanadu devait permettre tous les chercheurs d acc der instantan ment la totalit des savoirs accumul s dans le monde sous une forme num ris e Cette entreprise qui semblait l poque relever de utopie est aujourd hui en passe de se r aliser Avec le r seau Internet le savoir n est plus loca lis il est selon l expression consacr e distribu Il faut souligner ici l importance d cisive de l informatique dans cette nouvelle organisation du savoir Elle inter
28. sent comme une limita tion du principe fondamental de la science classique le d terminisme HYPERTEXTE ET COMPLEXIT 45 Mais en m me temps ils largissent le champ de la rationalit Car la science classique s est construite sur le rejet d un aspect important de l exp rience humaine et l exclusive consid ration des syst mes id aux C est le rejet d lib r des ph nom nes d sign s comme des parasi tes ou des anomalies qui a permis le jeu des pr visions et les succ s de la science C est en consid rant seulement des syst mes conservatifs isol s aux comportements r versibles que la physique a pu formuler ses principes et trouver ses applications La reconnaissance de notions comme celles de bruit et de chaos t moigne d une prise en compte des syst mes r els dynamiques ouverts souvent instables hi rarchis s et fluctuants Ces concepts nous permettent une meilleure compr hension de ce qui fut jusqu ici exclu ou occult par un syst me de rationalit d terministe et simplificateur L hypertexte instrument de la complexit Technologies de l criture et complexit Apr s avoir donn quelques rep res dans le champ pist mologique de la complexit je voudrais montrer maintenant comment son histoire s inscrit dans une autre dont elle est ins parable celle des technologies de l criture et de la m moire Les travaux de Jack Goody sur la raison graphique ceux de Leroi
29. stion de l hypertexte est complexe en elle m me et d autre part parce que le mot complexit est comme le dit le philo sophe Edgar Morin un mot probl me et non un mot solution La complexit d s lors que l on ne se contente pas de l acception cou rante du mot est complexe ce qui ne peut se ramener une loi uni que ce qui ne peut se r duire une id e simple est devenue un concept cl dans de nombreux domaines de la m canique des fluides aux pr visions conomiques de la m t orologie l astronomie C est aussi un mot la mode et il faut donc s en m fier Je ne suis pas s r moi m me d chapper compl tement la s duction qu exerce le mot et la tentation d en faire un concept passe partout Quoi qu il en soit il ma sembl qu il existait un rapport entre l hypertexte et la com plexit et que le rapprochement des deux termes pouvait tre clai rant Le point de vue que je d fends est que ce rapport est un rapport d instrumentalisation l hypertexte instrumentalise la complexit En d autres termes l mergence de l hypertexte qui est contemporaine 1 Edgar Morin Introduction la pens e complexe Paris ESF 1990 40 TUDES FRAN AISES 36 2 de celle de la notion pist mologique de complexit appara t certains gards comme une r ponse la difficult pos e par l irruption de la complexit dans le champ de la pens e et du discours J examinerai cet
30. t des s ries qui leur assignent une place fixe dans le texte le premier vers est toujours choisi parmi les dix premiers vers possibles jamais parmi les autres s ries Il en r sulte une coh rence dans l nonc qui n exclut pas les surprises mais qui ne s en remet au lecteur que pour la lecture et l interpr tation Dans Afternoon les frag ments peuvent tre lus dans des ordres divers et variables qui obligent le lecteur produire un contexte interpr tatif qui en retour d termine le choix des liens qu il active et qui d clenchent la suite du texte L interaction entre le syst me de l hypertexte et celui du lecteur est ici productrice de l nonc lui m me Bifurcation et non lin arit des syst mes hypertextuels Je voudrais pour terminer voquer deux concepts qui appartiennent la th orie du chaos et qui peuvent clairer la th orie de l hypertexte ce sont les concepts de bifurcation et de non lin arit La bifurcation est le ph nom ne qui appara t quand on trace les courbes d volution de 26 Raymond Queneau op cit 27 Michael Joyce Afternoon a Story Cambridge Eastgate Systems 1987 56 TUDES FRAN AISES 36 2 deux syst mes en transformation dont les conditions initiales sont tr s proches un moment donn les courbes se s parent et on observe une bifurcation inattendue La non lin arit caract rise les ph nom nes sujets r troaction et pour lesquels il est souvent imposs
31. te r ponse selon trois modalit s D abord en rappelant comment s est op r dans les sciences et dans la pens e contemporaine un renver sement pist mologique qui modifie notre rapport la connaissance Ce renversement peut tre consid r comme un changement de para digme On est pass au xx si cle du paradigme de la simplification celui de la complexit L invention de l hypertexte appara t comme une tentative pour ma triser la complexification et la croissance exponen tielle de l information Dans une deuxi me partie je replacerai l hyper texte dans l histoire des supports de l crit D une certaine mani re l av nement de l hypertexte marque la fin de l re du livre inaugur e par Gutenberg une organisation rh torique et mat rielle ordonn e des savoirs et des discours il oppose une organisation en syst me plus floue mais plus ouverte et plus dynamique Enfin je terminerai par une tentative de d territorialisation de certains concepts nomades emprunt s au champ pist mologique de la complexit et la th orie du chaos et appliqu s l hypertexte Le paradigme cart sien de la science moderne La p riode de l histoire des sciences inaugur e par Descartes et Galil e est plac e sous le signe de la simplification et de l ordre partir du xvir si cle l homme consid re la nature pour y d couvrir les lois qui la gouvernent Cette nouvelle attitude qui marque le d
32. tenant un autre exemple April March qualifi par Borges dans son texte Examen de la nouvelle d Herbert Quain de roman ramifi r gressif Dans ce cas les treize chapitres peuvent engendrer neuf r cits diff rents Mais il serait impropre de qualifier ce dispositif d hypertextuel dans la mesure ou l information produite par ces neufs lectures tait d j totalement produite par l auteur la diff rence de l exemple pr c dent Car pour qu il y ait production d in formation il faut que celle ci ne soit que virtuelle au moment de la conception de l hypertexte Syst mes clos syst mes ouverts La notion de syst me va nous permettre d aller plus loin dans la sp ci fication de l hypertexte La biologie et l cologie nous ont appris que les syst mes vivants entretenaient entre eux des relations d interd pen dance en dehors desquelles ils ne sauraient tre expliqu s Le syst me ouvert est l origine une notion de thermodynamique Un syst me ouvert est un syst me dont l existence et la structure d pendent d une alimentation ext rieure comme la flamme d une bougie ou les remous 23 Mark Bernstein Enactement in Information Farming dans Hypertext 93 Proceed ings Seattle ACM Press nov 1993 24 Marc Saporta Composition n 1 Paris Seuil 1965 25 Jorge Luis Borges Examen de la nouvelle d Herbert Quain dans Fictions Paris Gallimard 1983 p 104 HYPERTEXTE ET COMPLE
33. timulus ext rieur qui n est pas int grable un premier niveau et qui oblige le cerveau passer d un tat stationnaire 3 C E Shannon et W Weaver The Mathematical Theory of Communication Urbana University of Illinois Press 1949 4 Henri Atlan Entre le cristal et la fum e Paris Seuil 1979 5 Jean Pierre Changeux L homme neuronal Paris Fayard 1983 6 Jean Claude Tabary Auto organisation partir du bruit et syst me nerveux dans L auto organisation De la physique au politique Paris Seuil 1983 HYPERTEXTE ET COMPLEXIT 43 d quilibre instable un autre Comme dans les processus irr versi bles de la thermodynamique une variation microscopique l int rieur d un syst me chimique peut dans des conditions de non quilibre et de non lin arit s amplifier au lieu de s amortir jusqu conduire le syst me de nouvelles formes d quilibre Nous retrouverons cette probl matique propos de la th orie du chaos Ainsi comme le dit justement Roger Cavaill s qu il soit perte ou stimulus oubli d information ou stimulation insolite le bruit repr sente toujours l l ment al atoire le facteur impr vu et finalement le visage moderne du hasard La cybern tique et la th orie des syst mes Le succ s du sch ma de Shannon tient son extr me simplicit Comme on le sait ce sch ma est lin aire Il suppose qu une infor mation symbolique est transmise
34. ur et mesure que nous le comprenons mieux que dans sa volont de mise en ordre la pens e d terministe a chou rendre compte du r el que le sujet pensant ne saurait d sormais tre dissoci des ph nom nes qu il observe et cher che comprendre C est ce nouveau paradigme de la connaissance que l hypertexte cherche instrumentaliser c est cette complexit qu il tente d apprivoiser Qu il soit fictionnel ou documentaire source de connaissance ou g n rateur d imaginaire l hypertexte est ainsi devenu la figure incontournable de notre modernit 29 Jean Ricardou Le Nouveau Roman Paris Seuil 1973
35. vait renforcer l illusion litt rale les rapports de ressemblance L hypertexte litt raire rel ve plus que toute autre litt rature d une esth tique de la fractalit priv de la vraisemblance par la difficult de maintenir une ligne de r cit vis e t l ologique dans un dispositif non lin aire il est condamn multiplier les signes de ressemblance Chaque fragment de l hypertexte renvoie non pas la fin du texte l hypertexte parce qu il est non lin aire ne conna t pas de fin mais la figure de sa totalit Il est difficile aujourd hui de pr dire si hypertexte sera lavenir du texte ou plus simplement l avenir du livre Personnellement je pense que non pour deux raisons essentielles La premi re tient notre rap port au r cit Il n y a pas il n a jamais eu nulle part aucun peuple sans r cit crit Roland Barthes Le r cit est pour nous ce qui d noue la complexit du monde et le remet en ordre m me si ce qu il raconte est tr s compliqu comme c est le cas dans le roman L hypertexte de fiction contrevient trop ce besoin pour s imposer un jour comme un genre majeur La deuxi me raison d coule de la premi re nous ne sommes pas pr ts d abandonner notre facult remettre de l ordre dans le d sordre et simplifier ce qui nous para t trop compliqu Pour tant il n est plus possible d ignorer que le monde dans lequel nous vivons se r v le de plus en plus complexe au f
36. vient deux niveaux la num risation des textes et des documents et les liens hypertextuels La num risation des textes modifie profond ment le statut du texte en le 14 un dispositif gr ce auquel un individu peut archiver ses livres ses notes et ses communications et qui est m canis afin de pouvoir tre consult tr s rapidement avec une grande souplesse C est une extension de sa propre m moire Vannevar Bush As We May Think The Atlantic Monthly juillet 1945 p 106 107 15 Tout cela offre imm diatement de nouvelles perspectives l indexation associative dont le principe est de rendre n importe quel item activable pour d clencher volont la s lection instantan e et automatique d un autre ibid p 106 HYPERTEXTE ET COMPLEXIT 49 s parant de son support Cette r volution est consid r e par des histo riens du livre comme Roger Chartier plus fondamentale que celle qu a provoqu e la diffusion de l imprimerie la Renaissance Entre le livre et l cran il y a autant de diff rence qu entre le rouleau et le codex On ne peut en effet abstraire les textes des objets qui les portent en ignorant que les processus sociologiques et historiques de construction du sens des textes s appuient sur les formes dans lesquelles ils sont donn s lire Le texte d mat rialis devient un objet instable mall a ble modifiable transf rable De nouvelles op rations intellectuelles deviennent p
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