Forme littéraire, formation psychanalytique.
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1. Pierre SULLIVAN Forme litt raire formation psychanalytique En suivant Le m decin de campagne de H de Balzac le canton travers lequel cheminait l tranger pr sente des mouvements de terrain et des accidents de lumi re qu on chercherait vainement ailleurs H de Balzac Le m decin de campagne n paysage est compos de formations g ologiques diverses Les g ographes en dessinent l histoire le mouvement probable de leur agglom ration Une formation agit sur l autre elle suscite suivant sa forme propre des qualit s particuli res d environnement de v g tation ou de population Une forme a toujours son aire d manation ou d influence Quelle serait pour le paysage analytique en quelque sorte pour sa formation g ologique la contribution de la forme litt raire Pour d velopper cette question d interp n tration de territoires s agissant de litt rature et plus pr cis ment de l un de ses districts la forme romanesque un exemple et m me toute la probl matique de l exemple doivent tre tal s car ils sont indissociables de la forme m me du roman et de sa contribution ventuelle la formation analytique 152 L EMPREINTE L EMPRUNT Le livre Domin e de toutes parts par les pics de la Savoie et du Dauphin qui en d fendent naturellement l acc s la vall e o s engage r solument ce voyageur qui revient de loin du fracas de l Histoire elle m me a tous les2. charmes des lieux exigus et secrets par leur tendue mais immenses et clatants par les perspectives uniques qu ils offrent aux regards L l vation des montagnes protection suffisante de la plaine vallonn e qui y est ench ss e fournit galement pr cisons le d embl e le contraste n cessaire sur lequel la pens e prendra appui pour d celer dans ce plateau riant et ondul plus de majestueuse hauteur que dans les masses granitiques qui l entourent2 L homme officier de cavalerie son maintien impeccable sur sa monture la chose est s re chemine lentement vers cette vall e pour s y convertir pour transformer sa vision et voir la grandeur l o elle est inapparente dans les petites choses de la vie les astuces de l agriculture et du commerce Un militaire un brave plut t un de ceux qui v curent profond ment la glorieuse aventure de Napol on sans doute la derni re pop e europ enne avoir pu enflammer une nation un continent cet homme apr s l ultime d faite du petit tondu cherche s tonner nouveau Si comme l crit Balzac 1833 l tonnement est une sensation que Napol on semble avoir d truite dans l me de ses soldats tant il sut les entra ner au del du fabuleux et faire de l extraordinaire une habitude c est pourtant vers une nouvelle dimension une nouvelle utopie que le m nent les pas de son cheval jusque l familier de la fougue des combats Il cherch
3. inverse par une pr sentation n gative parce que l effacement de l image soul ve plus que toute image m me la plus fortement marqu e l id e du sublime Il reprend l l enseignement des religions qui ont tout de suite compris que rien ne donne autant l id e de la transcendance que le n gatif Balzac religieux aussi catholique infid le que Freud pouvait tre juif infid le la fin de son roman crit la disparition des images et des idoles En nous pla ant devant cette tombe muette il sait se souvenant de Kant que la passion va ainsi se subtiliser au plus haut point Sans doute n y a t il pas de passage plus sublime dans le Livre de la Loi des Juifs que ce commandement Tu ne feras pas d idole ni aucune image Seul ce commandement peut expliquer l enthousiasme que ressentait dans sa p riode florissante le peuple juif ou l orgueil qu inspire la religion mahom tanef Ce qui vaut aussi pour la disposition en nous la moralit Il est tout fait faux de croire qu une fois la moralit d pouill e de tout ce qu elle peut recommander aux sens elle ne serait plus qu un consentement froid et sans vie et ne s accompagnerait d aucune force motrice ni motion C est pr cis ment le contraire car lorsque les sens ne voient plus rien devant eux il serait plut t n cessaire de mod rer l lan d une imagination illimit e Kant La mort du D B nassis est pr sent
4. aux sortil ges du langage pitaphique La savoir lui m me peut conna tre un tel destin Il remportait de cette visite sans le savoir toute la science humaine une nomenclature La science peut renoncer son invention elle d p rit et en m me temps s alchimise Alchimie sortil ge magie sont d excessives contraintes Sous leur empire la vie devient une obsession de la mort tout souhait plut t que de renouveler la dur e la r duit un espace de plus en plus restreint Freud lisant un roman pour passer de vie tr pas c est l inverse l exemple d un homme et d une science qui go tent encore et encore du transfert NOTES 1 Balzac a publi Le m decin de campagne en 1833 Le roman dont nous suivrons ici la trame a pour unique sujet la confrontation amicale de deux id aux celui d un militaire G nestas autrefois officier de Napol on et celui d un m decin le Dr B nassis tous deux hommes d actes et de passions 2 Balzac crit ailleurs La peau de chagrin 1830 Ces harmonies et ces discordances composent un spectacle o tout est grand o tout est petit L aspect des montagnes change les conditions de l optique et de la perspective un sapin de cent pieds vous semble un roseau 3 Une voie peut tre pour penser sous forme d incidence religieuse l obligation sugg r e par Freud de concevoir pour toute hallucination positive une hallucination n gative premi re 4 B
5. s plus dangereux que les humains est aussi en elle m me un d bat sur le cadre et ce depuis les d buts de la psychanalyse les ruptures du mouvement analytique dues aux modifications de la technique en sont la preuve toujours r actualis e Toute question adress e au cadre et quelle que soit la r gion de la topique analytique ainsi vis e les techniques th rapeutiques ou les th ories m tapsychologiques reprend la pol mique initiale du transfert et de la contrainte L analyse est comme cette vall e d crite par Balzac une somme de virtualit s conditionn es cependant par les accidents naturels 165 166 L EMPREINTE L EMPRUNT De m me qu on ne plante pas de vignes en Normandie de m me certaines interpr tations ne l veront pas au psychodrame de m me certaines interventions puiseront une analyse de divan Toute forme se diffuse elle m me dans ses contours mais destin des formes destin de l humain assujetti leur influence cette diffusion menace sans cesse d tre confondue avec un r glement L institution de la r gle interrompt la diffusion d s qu elle se prend elle m me comme but d s qu elle ordonne au travail qu elle devait promouvoir de convenir plut t ses dits En v rit la r gle a peur de l influence des formations g ologiques comme toute n vrose de contrainte est la base une phobie dont elle n est que la solide et gigantesque excroissance Le combat en
6. semblables que leur voie de transmission la lecture du roman et leur direction l accession d autres mondes d autres naissances Le partage de l exp rience analytique depuis les premiers balbutiements informels sur le divan jusqu aux grandioses symphonies m tapsychologiques est et doit tre de m me nature Faites une analyse Soyez analyste crivez toutes ces injonctions la formation analytique n ont de sens que si elles v hiculent d un analyste l autre non pas une exigence de soumission au semblable mais au contraire la promesse de la reprise absolument personnelle d un parcours d une lecture qui s ils ont t ind niablement accomplis par le premier n en gardent pas moins leur nouveaut pour le second si transfert il y a si ne subsiste la fin et pour les deux partenaires que la direction la m me forme et la forme m me du transfert alors n aura eu lieu que la transmission Lisez Le m decin de campagne 167 168 L EMPREINTE L EMPRUNT Fin Freud passionn de litt rature tout au long de sa vie s teignit en lisant La peau de chagrin Il entra dans la mort avec ce livre le plus faustien peut tre de l uvre de Balzac C est l histoire d un jeune homme qui ne croisera jamais de D B nassis ou de D Freud qui ne croit plus au transfert qui renonce la croyance elle m me pour se livrer la magie des signes ou comme dit le romancier
7. REINTE L EMPRUNT exemplaire une forme litt raire participant la formation analytique en lui rappelant son pass et peut tre en lui dessillant ses vidences En effet la sublimation devrait sans doute tre pens e comme transcendance ou comme passage ou encore comme un d placement d barrass de ses connotations ou m caniques ou linguistiques et qui r unirait dans son orbe toutes les figures de l au del ou de l en de toutes les bifurcations fondamentales de la pens e de Freud Et l introduction du narcissisme comme type m me de ces op rations de d gagement sur le sublime La sublimation comme le sublime a probablement un domaine d application beaucoup plus vaste que celui qui lui est habituellement et trop rapidement confi Pr sente dans les grandes r alit s culturelles en particulier selon un renversement qui convient bien l essence du sublime elle pourrait galement assister aux op rations de pens e les plus minuscules La le on du M decin de campagne irait dans ce sens d une moralisation des moindres actions humaines d s lors qu elles sont soutenues d s l origine par les passions Le passage de la pulsion la morale son acc s la valeur est au centre du roman de Balzac la visite de la vall e en reproduit le circuit La m decine la gu rison ne sont pas pr sent es autrement que comme une forme minente de cette transformation Il n y est pas dit et pour cause commen
8. alzac a constamment m dit comme ici dans Le m decin de campagne sur le personnage de Mahomet celui qui d robe sa mort aux yeux de tous et en particulier en l articulant aux pouvoirs n gatifs de la musique dans Gambara 1837 A sa suite et sur d autres voies Henry James ou encore plus pr s de nous Andr Green poursuivront cette m ditation 5 Lire ce sujet les uvres de Jean Gillibert le plus balzacien de nos auteurs BIBLIOGRAPHIE Balzac H de 1833 Le m decin de campagne Paris Le club fran ais du livre 1967 Kant 1790 Critique de la facult de juger Paris Gallimard 1985
9. ance qui peut aller jusqu la richesse la paix et m me l amiti le respect du divin et presque toujours sa suite la foi La visite de l officier de cavalerie qui nous a introduit dans cette exp rience vivante sera jalonn e d tapes successives qui chacune sa mani re et suivant les diff rents plans et degr s de l activit humaine sera l occasion de relever les traces de l influence maintenant accomplie du D B nassis Ressource inappr ciable de la litt rature sous nos yeux sous nos pas le miracle d une soci t heureuse existe enfin ou surgit dans laire des possibilit s de la vie cet homme qui a lui m me accompli des exploits et auquel l arm e fran aise et son malheureux empereur doivent une retraite hors de l enfer russe sinon glorieuse du moins assur e ce vieux grognard qui en a vu d autres comme ce lecteur qui lui colle la peau le m decin de campagne au terme de son propre itin raire propose une initiation une existence dirig e par des motifs qui se sont eux m mes d lest s des passions qui d embl e les habitent toujours L dessus un vieux docteur et un vieux soldat ne peuvent qu tre parfaitement d accord ils ont t les t moins privil gi s de toutes les urgences humaines des plus intimes aux plus spectaculaires Ils savent parce qu ils Pont palp e de la lancette ou du sabre la force souvent aveugle qui mobilise les actions de leurs semblables Circula
10. ar ailleurs Sans avoir marqu sociologiquement ou politiquement son si cle Le m decin de campagne contrairement d autres titres de La com die humaine a imm diatement conquis un public d admirateurs qu il a conserv depuis Qu est ce donc qui meut ainsi toutes ces mes et qui pourtant ne les porte aucun engagement visible Pourquoi lit on et relit on cette le on de vie individuelle et communautaire sans prouver la contrainte que la voix des proph tes vous sugg re partout ailleurs avec force Sans doute pour cette raison m me la lecture n est pas engageante et sa s duction est autre Elle n oblige pas tout au plus suscite t elle une promesse Cette d finition de la lecture d une uvre litt raire constitue d ailleurs elle m me une p rip tie du M decin de campagne Ainsi de la derni re sc ne du roman L officier lut en gros caract res ces mots grav s sur le bois D O M CI G T LE BON MONSIEUR B NASSIS NOTRE P RE TOUS Cette pitaphe n a pas t invent e c est dans le style proph tique une parole qui a t r p t e depuis le haut de ces montagnes jusqu Grenoble Apr s un silence elle provoque chez le vieil officier cette r ponse qui est galement la derni re phrase de l uvre D s que j aurai ma retraite je viendrai finir mes jours parmi vous FORME LITT RAIRE FORMATION PSYCHANALYTIQUE Une promesse ou un v u que le futur accomplira p
11. c tait une terreur humaine elle a pass Transcendance et terreur se poursuivent tout au long de l histoire la seconde d fie la premi re en la caricaturant La terreur passe parce que la barbarie le sadisme magnifique n atteint pas au sublime seule passerelle vers les r gions de l au del Ce m decin d une campagne au moins aussi militaire ou militante que bucolique n est pas seulement un savant qui dresse la nomenclature des affections qu il rencontre mais c est galement un th rapeute Pour soigner le positivisme rampant l int r t qui carie la Loi elle m me il faut que l Administration qui en est l application provoque en elle m me d abord un mouvement de d sint r t profond elle doit s loigner avant tout de sa propre g n ralisation elle doit renoncer s aimer au point de n gliger ses sujets si ceux ci s opposent au d veloppement pr vu de ses programmes C est d une semblable refonte seulement que l Administration qui s oppose ainsi la Loi peut retrouver sa valeur et FORME LITT RAIRE FORMATION PSYCHANALYTIQUE devenir parce qu elle les d passe sans les bafouer parce qu elle les transcende sans les r duire un mod le et un moteur pour les habitants de toutes les vall es du monde L utopie balzacienne est essentiellement locale En chaque affaire de ce genre il faut consulter l esprit du pays sa situation ses ressources tudier le terrain les hommes et les cho
12. cis ment plus une volont c est que la transmission du sublime ne se fait jamais par ses objets mais seulement par sa tendance manifest e L analyse ne peut elle m me avoir FORME LITT RAIRE FORMATION PSYCHANALYTIQUE d autre moyen d action ce serait l sa forme pure d influence L analyste n offre fondamentalement son patient que l exemple d une sublime aventure Ce savoir ultime doit m me d terminer la fin de l analyse Ce que les analystes ont d nomm identification narcissique et qui n est rien d autre que ce mode inconscient de transmission pr lude tout d gagement vers le sublime doit fonder initialement comme son terme la d marche analytique Le m decin de campagne est une le on pour l analyste m decin de ville exemple certes d une vie domin e par le souci d une gu rison morale pour soi comme pour autrui mais galement et plus imm diatement par l exp rience v cue de la lecture exemple d une forme le roman dont le mode de diffusion est analogue en son fond celui qui conditionne la transmission analytique La forme litt raire est une cole de transfert Enseignement gratuit il suffit de s inscrire la lecture d un livre qui vous a transport ne dit on pas ses amis Lisez le esp rant secr tement mais illusoirement qu ils conna tront le m me sentiment de d gagement qui f t le v tre les m mes moments de transfert qui n auront pourtant de
13. e par ses exigences et ses ordonnances Le dieu et p re n des religions doit tre ador maintenant ici bas et sans r pit c est pourquoi il suscite autant de vocations que de blasph mes Le m decin de campagne promu au rang de p re universel n induit quant lui que des projets ou un rite qui n en est pas un puisqu il est toujours et seulement probable La lecture doit tre un semblable rituel le seul qui lui convienne c est dire galement qu elle ne saurait jamais tre un devoir En somme et quels que soient nos regrets que les choses soient ainsi la le on du roman de Balzac ne s est pas r pandue dans l histoire parce qu elle ne cherche pas convaincre S adressant la facult de souhaiter du lecteur l entra nant dans cette vall e qui pourrait exister sur cette tombe qui par un proc d qu on dirait emprunt au r ve r duit la vall e voire le monde lui m me la taille d une pyramide qui pourrait tre celle d un p re 155 156 L EMPREINTE L EMPRUNT aimable le livre ne propose qu une seule utopie celle d un univers construit ou reconstruit m me la puissance de l utopie selon les principes du litt raire et de la lecture La le on Pour ces deux exp rimentateurs le m decin et l officier Napol on est un mod le Ce n est pas selon une perspective christique parce qu il a chou Sainte H l ne n est pas un Golgotha Ce n est pas plus en fo
14. e pour sugg rer la plus grande motion et la plus grande force morale la fermeture du livre comme son ouverture et leur contraste m me sont tous ensemble un formidable coup d acc l ration du mouvement d lucidation interne qui procure le sentiment du sublime Le sublime est une id e un sentiment et un lan que la lecture du roman de Balzac ainsi con u pour produire un tel effet doit impulser en nous Jouant des pr sentations positives comme des n gatives ainsi que de quantit s de syst mes de contrastes et de diff rences le roman cherche sans contrainte instaurer le proc s du sublime dans l esprit passionn du lecteur FORME LITT RAIRE FORMATION PSYCHANALYTIQUE Transfert et contrainte Sublime est il sublimation La lecture d un roman de Balzac la forme litt raire rencontre ici l un des n uds th oriques de la pens e analytique parmi les plus vidents mais en m me temps les plus vanescents Destin de pulsion plus souvent affirm accord que d crit dans l intimit de son mouvement la sublimation doit avoir des liens de parent avec la th orie du sublime Si pour Balzac Kant est une lecture de chevet pour Freud la pens e du philosophe de K nigsberg coule dans ses veines Cela ne suffit certes pas poser une identit entre ces deux concepts et sans doute pour bien mesurer leur rapport concordance ou contradiction faudrait il reprendre le d bat immense de Freud avec Kant Il est permi
15. e transfert excellente m taphore de la lecture d une uvre romanesque et si nous rencontrons galement une n vrose de contrainte l une et l autre s opposent et dans leurs manifestations et dans leur finalit La premi re est un pont la seconde un barrage Si l une d veloppe et ventuellement transforme la pulsion l autre s y renfrogne absolument et sous les d guisements les plus raisonnables qui soient La diff rence principale entre la forme romanesque et la forme analytique tient dans l extr me ind pendance que la premi re peut observer vis vis des contraintes que sa forme la loi d un genre peut lui imposer et lui impose effectivement Pour toucher les happy few de la lecture le romancier dispose de la plus grande diversit de moyens ou d acc s ce qui n est jamais par ailleurs l indice d une facilit Les limites que lui imposent son cadre n ont aucun caract re de s v rit et sont souvent m me l objet de l invention romanesque elle m me t moin cette multitude de romans qui ont fleuri en cet ge terrible qui est le n tre et qui doivent figurer plus qu une astuce le poids d une L gislation imaginaire La forme analytique alourdie de toute la r alit de la responsabilit morale qu on lui accorde spontan ment ou plus imm diatement encore qu au roman question d poque il y eut en effet des moments de notre histoire o les livres furent d clar
16. e une autre rencontre Dans la vall e l attend en effet un autre conqu rant une autre figure qui d porte l imagination au del de son territoire pour lui faire go ter l infini l au del des images Cet homme est un m decin le D B nassis conduit par le malheur dans ces lieux particuli rement sauvages et incultes avant qu ils ne soient anim s par son g nie Cet homme qui notre voyageur bient t dira Et tonnerre de Dieu la femme qui vous a pondu n a pas perdu son temps a r ussi avec autant de patience que de d termination A A s t4 LA gt a entrainer une population auparavant vegetative dans une aventure FORME LITT RAIRE FORMATION PSYCHANALYTIQUE coloniale o le colonisateur et le colonis ne font qu un Le miracle du m decin de campagne est l tout entier il a ouvert les yeux aux habitants de la vall e il s est fait l instrument de la r flexion de tout un groupe social Aussi la m re qui l a port comme toutes celles qui ont enfant des proph tes a t elle fait uvre utile elle a mis dans l uf plus que la nature tout le domaine de la morale Nombreuses et diverses ont t les r alisations du m decin de campagne l agriculture l levage l industrie le commerce mais aussi l administration la loi la religion sont autant de domaines o le sens inspir de sa parole et de ses actes a provoqu d abord une illumination qui s est bient t traduite par l abond
17. en quelque sorte de d saide pour amener ensuite la pens e des projets analogues de grandeur dans son propre champ La pens e prend appui sur la grandeur de l objet pour sa propre ascension Ce d gagement interne rend l me elle m me son libre jeu en l loignant d un combat aussi inutile que destructeur la pens e pourrait maintenant tre infinie ses projets illimit s Ainsi le sentiment du sublime ne s atteint qu au terme de ce processus inaugur par la contemplation de la grandeur naturelle ou morale suivie d un d plaisir imm diat ne pouvoir s y mesurer puis d un renoncement ne pouvoir s approprier l inappropriable auquel succ de bient t le plaisir conquis par l exp rience de l intimit inali nable et peut tre infinie de l me avec elle m me Balzac plus que tout autre sensible la pulsion ne pouvait qu tre attentif son destin le plus subtil Le m decin de campagne du d but la fin est non seulement une m ditation sur le sublime une le on mais la fois un 161 162 L EMPREINTE L EMPRUNT exemple v cu par le voyageur d un acc s r ussi la dimension du sublime et un entra nement du lecteur vers les m mes r gions int rieures Si Balzac dessine avec force et du trait le plus positif d s la premi re page un espace qu il serait vain de chercher ailleurs que dans le mouvement d puration auquel va se livrer le roman il le cl t l
18. eut tre le lecteur n en saura rien Par principe son c ur reste suspendu en m me temps qu il doit se d tourner des derniers signes crits sur la page Comme l officier il peut seulement vouloir revenir au livre comme une retraite ou pourune comm moration sur ce qui est maintenant une tombe La vall e au d but coinc e par les montagnes grandie par son exigu t s est r tr cie encore la dimension d une pyramide en terre haute d environ vingt pieds Le m decin de campagne qui y repose ensevelit avec lui la vall e qu il incarne Pyramide et pitaphe le livre est alors leur disparition apr s avoir t toute leur manifestation Cette mise sous terre cet effacement de l image provoque comme il se doit la derni re et la plus haute l vation le Dauphin terre d lection pour une pareille op ration voit la naissance d un nouveau p re universel Si un nouveau dieu appara t quoi de plus humain que de vouloir lui revenir un jour Mais c est admettre en m me temps et l uvre de Balzac ne nous laisse pas d autre choix qu il ne fait pas bon vivre aupr s des tombes Il vaut mieux penser voire promettre de retourner dans les vall es qu elles impr gnent de leur pr sence Ici le dieu paternel vous fait don de lavenir son culte est un souhait Dieu et p re de litt rature aussi conforme l essence et la pratique litt raires qu loign de la divinit en religion imposant
19. ion d autrui elle m me La passion dans tous ses exemples telle est l ambition de La com die humaine Et s il s agit d un roman et non d un trait de morale si la le on est enti rement fond e sur l exemple c est que ce genre litt raire plus que tout autre s est trouv profond ment en accord ou de conformit d essence avec une pens e de la force pulsionnelle extraordinairement pr gnante au d but de la modernit Le roman permet il n oblige pas comme le trait qui veut toujours peu ou prou convaincre entra ner enr ler en suscitant des buts ou des objets enviables le roman exemplifie une passion d abord et avant tout pour toucher celle du lecteur et cr er ventuellement une communaut passionnelle La premi re communication de passion passion ainsi r alis e est bien videmment celle de l criture elle m me tous les romans de Balzac sont ceux que j crirais moi m me ce sont ceux que j crirai peut tre ma retraite et avec toute l heureuse improbabilit li e ce souhait comme l a si bien compris notre officier de cavalerie au terme de son existence de personnage La le on du M decin de campagne exemplaire la fois par la s rie d exemples qu elle propose et par la pens e de l exemple qu elle suppose 157 158 L EMPREINTE L EMPRUNT va tirer toutes les cons quences de cette pratique litt raire appuy e sur une th orie des passions Le D B nass
20. ir provoquerait le sentiment du sublime sup riorit sans objet La pr sence d s l ouverture du M decin de campagne du paysage montagneux qui est en soi une chelle pour tous les contrastes est d autant plus marqu e qu elle doit susciter le passage une autre dimension en suivant une voie que Kant lui m me attentif aux montagnes trace en ces termes Le surplomb audacieux de rochers mena ants des nu es orageuses s amoncelant dans le ciel r duisent notre facult de r sistance une petitesse insignifiante compar e leur force Mais leur spectacle n en devient que plus attirant d s qu il est plus effrayant la seule condition que nous soyons en s curit et c est volontiers que nous appelons sublimes ces ph nom nes car ils l vent les forces de l me au del de leur niveau habituel et nous font d couvrir en nous une facult de r sistance d une tout autre sorte qui nous donne le courage de nous mesurer l apparente toute puissance de la nature Kant Telle est la marche du sublime Ainsi pourvu que nous soyons en s curit car le sublime ne prosp re pas sous la Terreur qu elle soit d un tat d une M re indigne ou encore d un auteur d nu d inspiration la vision d un rocher ou d un acte grandiose d un insecte ou d une bassesse insigne provoquera d abord et par comparaison une d ception initiale devant notre petitesse notre impuissance un sentiment
21. ire du Dauphin de Napol on au m decin de campagne ou encore de la vall e quelques mots crits sur une tombe pyramidale toutes ces r ductions sont en v rit tout aussi bien des l vations Les points de vue du haut ou du bas sont quivalents seul importe le brusque changement de perspective le contraste ou la bascule 159 160 L EMPREINTE L EMPRUNT qui est le lancer d un mouvement qui d couvre son terme la transcendance La vall e entour e de ses masses granitiques et le livre lui m me parce que les plus grandes choses ont lieu galement dans ces deux lieux resserr s installent dans les facult s de me un vertige Le lecteur est transport Il pourra se montrer ventuellement enthousiaste comme l est parfois l officier de cavalerie devant les succ s de son h te Mais en m me temps toujours sobre sera son d lire car le vertige le transport ou l enthousiasme sont ici engendr s par la simplicit m me La nature le paysage alpin est sans artifice les principes administratifs peu nombreux sont sans complication le plan du roman lui m me une promenade est sans astuce sans trouvaille narrative Cette simplicit affirm e d montr e v cue en accentuant les disparit s et les renversements conditionne la v ritable grandeur ou louverture la dimension de la transcendance au sens courant du mot car comme dit Kant dont Balzac suit ici la pens e la simplicit est Le s
22. is en effet d duira de ses propres r ussites en ce domaine et pour son h te une philosophie de l administration du monde En bon m decin d une re dor navant scientifique il identifie d abord la maladie de cette poque boulevers e qui est la sienne et sans doute la n tre La maladie de notre temps est la sup riorit Il y a plus de saints que de niches Les individus croient en eux L avenir c est l homme social nous ne voyons plus rien au del Cette c cit devant toute transcendance combien proph tique aurait pour cause une d perdition de la notion de valeur qui se voit confondue avec le seul int r t nous sommes dans le si cle des int r ts mat riels et du positif Ce dernier mot est celui de tout le monde Nous sommes tous chiffr s non d apr s ce que nous valons mais d apr s ce que nous pesons Le Ministre envoie une ch tive m daille au marin qui sauve au p ril de ses jours une douzaine d hommes il donne la croix d honneur au d put qui lui vend sa voix Ce positivisme effr n a musel la religion qui si elle ne comprend pas et loin de l toutes les acceptions de la transcendance en aura toujours t historiquement une excellente manifestation La cons quence de cette confiscation est la mesure de la dimension humaine qu elle pr tend ignorer En l absence de la Religion le Gouvernement fut forc d inventer LA TERREUR pour rendre ses lois ex cutoires mais
23. nction de son invraisemblable r ussite de petit Corse devenu empereur Ce dont les hommes de l Empire furent t moins c est d un rapport sexuel de leur chef avec le monde et cette vision fut pour eux une exp rience absolument d cisive Monsieur dit Genestas en arr tant le m decin par le bras je n ai qu une observation vous pr senter Je ne connais aucune relation des guerres de Mahomet en sorte que je ne puis juger de ses talents militaires mais si vous aviez vu l Empereur man uvrant pendant la campagne de France vous l auriez facilement pris pour un dieu et s il a t vaincu Waterloo c est qu il tait plus qu un homme il pesait trop sur la terre et la terre a bondi sous lui voil Le m decin contrairement Napol on et parce qu il est moins lourd et le th tre de ses exploits plus intime poussera jusqu sa conclusion la plus heureuse et la plus prolifique sa copulation clair e avec la vall e Ces m taphores de l treinte avec des objets aussi improbables que lunivers ou une myst rieuse vall e alpestre les poursuivre ind ment acquerraient une lourdeur suspecte Pourtant et afin de se mettre au niveau de la discussion entre le m decin et l officier qui vont ensemble extraire des exemples du minist re du premier dans la vall e une pens e qui deviendra peut tre une ligne de conduite pour le second il vaut de pr ciser que dans le monde de La com die humaine
24. nt allant d un champ richement sem une scierie prosp re en voquant leur aridit ou leur d labrement ant rieur ils tireront de tous ces exemples de l vidence de ces r ussites une le on sur la conduite des d sirs en vue du bonheur sur terre 153 154 L EMPREINTE L EMPRUNT Doit on juger de la valeur d une uvre romanesque et m me d une uvre litt raire en g n ral philosophie psychanalyse et sciences humaines comprises l influence de ses id es sur la marche du monde voire l am lioration de celui ci Peu de livres dans notre histoire pourraient subir l preuve d une telle question et de plus il n est pas m me certain que les cons quences qu on leur attribue trop rapidement d coulent de leur lecture effective Bien des livres phares ceux de Freud et de Marx inclus seront cit s au banc des accus s de tels ou tels bouleversements culturels et mondiaux sans avoir t lus La le on que tirent les deux protagonistes du M decin de campagne de Balzac en tout cas si l on en juge par l tat de notre monde et de notre histoire depuis la publication de ce roman en 1833 aura t suivie de bien peu d effets Mais malgr une opinion fort r pandue il n y a peut tre tout simplement pas de livres pernicieux ou difiants et il faut vraisemblablement chercher ailleurs que dans l emprise av r e d une id e sur une soci t la raison du succ s de l uvre qui la v hicule p
25. s cependant de noter quelques similitudes et la comparaison est d autant plus facile que nous l abordons ici du c t kantien c est dire partir d une th orie enti rement constitu e et non du c t freudien o pour des raisons complexes elle est demeur e l tat d bauche La sublimation se souvient du sublime Par son nom certes mais surtout par l accent mis par Freud sur la transformation de la pulsion elle m me Se sublimant la pulsion se dirige ailleurs Cette r orientation du flux pulsionnel due son propre mouvement est tout fait conforme l esprit du sublime kantien Qu il y ait le m me d plaisir initial un m me sentiment de d saide envahissant ou minime une tombe sur le chemin de la passion auquel succ de un plaisir d un autre ordre nettement int rioris d essence narcissique d un narcissisme d cid ment pulsionnel mais qui proc de sur lui m me cette op ration de d gagement c est ce qui para t aller de soi au vu des indications laiss es par Freud Que le passage la dimension du sublime ouvre un champ par d finition infini en tout cas incalculable est aussi fid le l esprit de la sublimation freudienne L op ration de sublimation n est pas pour autant d crite ou d mont e par un tel rapprochement Cette soudure partielle ne fait que nous rappeler notre question initiale en nous montrant l uvre et de mani re 163 164 L EMP
26. ses et ne pas vouloir planter des vignes en Normandie Ainsi donc rien n est plus variable que l Administration elle a peu de principes g n raux La loi est uniforme les m urs les terres les intelligences ne le sont pas or l Administration est l art d appliquer les lois sans blesser les int r ts tout y est donc local Le local qui est une attention n cessaire la particularit une obligation de consulter la Normandie avant d y planter des vignes assigne d embl e tout objet la valeur d un exemple La le on du M decin de campagne est un respect de l exemple et en ce sens les principes d administration qui y sont d velopp s sont les m mes que ceux qui pr sident la r daction des uvres du romancier qui sont chaque fois le r cit exemplaire d une passion En morale pratique comme en litt rature il ne suffit jamais d noncer une th orie ou une id e aussi grandiose ou g niale soit elle il faut absolument pour toucher autrui sans le blesser ou votre lecteur sans le lasser couler celles ci dans une mati re qui leur convienne Cette convenance est aussi la mesure du succ s de votre administration ou de votre roman La grandeur L administration du monde et la forme romanesque se rejoignent ici dans une m me consid ration de l objet promu dans les deux cas la valeur d exemple Descendre de l id e ou de la g n ralit au local passer de l Histoire cette communaut sans histo
27. t le m decin de ville qu est aujourd hui le psychanalyste procure ses patients la mobilit n cessaire pour modifier son administration interne Il est vident en effet qu il ne s agit jamais d imposer une r gle de conduite mais toujours de faciliter un mouvement Le D B nassis Kant Freud et tous les psychanalystes ne peuvent que s entendre l dessus tous les m decins ont tre des exemples et non des objets L art de gu rir tient dans cette facult du praticien favoriser sans garantie le sublime chez son patient en faisant le premier pas L analyse personnelle facilite certes la t che de cet administrateur de l me Par ailleurs s il est un lieu g ologique de sa formation de m decin de l me o la forme litt raire peut concourir son closion c est dans cette exp rience v cue par la lecture d une diff rence essentielle entre un passage A PL gt f3 la morale sugg r voire ordonn et un libre acc s aux dimensions FORME LITT RAIRE FORMATION PSYCHANALYTIQUE sup rieures Les concepts de transfert et de contrainte doivent reprendre dans le langage analytique cette m me opposition Le sublime comme la sublimation ont pour fondement la libert le libre usage Le transfert est de m me essence Tous sont cependant menac s par la contrainte qui peut se magnifier en Terreur et dont ils doivent se d lester pour acc der eux m mes S il y a effectivement une n vrose d
28. tout objet est dirions nous analystes digne d une pulsion Une terre une carri re une pi ce d or ou une id e sans compter les humains et les animaux on peut vivre au sens fort du terme avec un lion une passion dans le d sert tous sans exception sont FORME LITT RAIRE FORMATION PSYCHANALYTIQUE susceptibles d une liaison amoureuse Coucher avec son or a aussi toujours chez Balzac un sens litt ral La vertu unique de l exemple trouve l sa raison profonde Le m decin et l officier tudient un un en les visitant les sites piphaniques de la vall e o a germ la volont du r formateur en somme les objets de la passion du proph te Ce parcours ainsi que la disposition int rieure qu elle suppose chez les deux personnages leur change implicite absolument identique l attitude oblig e du lecteur devant et pendant le roman son rapport secret au romancier sont essentiellement d termin s par la notion d exemple et son corollaire sa cons quence imm diate tout objet hauss la valeur d un exemple d viera n cessairement de son apparence comme de sa substance le regard ou l envie qui l atteint pour les diriger vers ce qui l anime soit la passion comme telle qui l a choisi comme lieu de sa manifestation Tout objet est d sirable et supporte toutes les exactions l exemple au contraire est inappropriable moins de vouloir se rendre ma tre au del de ses objets de la puls
29. tre transfert et contrainte si facilement reconnaissable dans l institution des r gles ext rieures de la psychanalyse est pourtant et avant tout celui l m me que m ne int rieurement chaque analyste tous les moments de la cure Suivant Balzac nous allons du paysage alpin loquent par sa configuration dramatique la pyramide mortuaire et au soliloque silencieux qu il inspire au souhait final qu il produit Je reviendrai Cette forme la pierre tombale est de toutes celles qui pr c dent celle qui infuse le plus Son mutisme analogue par sa force celui auquel parvient un analyste dans les moments les plus intenses et les plus productifs d une cure sa discr tion sont entendus Cette communication avec les morts la plus haute de toute l uvre propose une sortie un passage au del en m me temps qu une raison du d bat entre transfert et contrainte Le fruit de cette passation inapparente est aussi la plus clatante contribution de la formation litt raire la formation analytique Au cours de ce dialogue rien n est dit tout est compris Il n y a pas d illumination les tables de la Loi ne sont pas transmises dans un tumulte de feu Le dieu ne s est pas non plus enfui dans l autre monde en emportant le mode d emploi Plut t le mort offre au vivant l exemple de sa vie non pas ses biens son image mais uniquement son aventure dirig e vers le sublime Sa le on derni re qui n est pr
30. tyle propre la nature et la morale dans le sublime Le m decin de campagneest drain par une r flexion sur la grandeur ou plus pr cis ment sur la sup riorit simplifi e d livr e d elle m me Le sublime n est pas autre chose que cette d livrance Un objet naturel ou moral une chose ou une personne peuvent tre grands infiniment ou infiniment petits tout fait sup rieurs ou tout fait inf rieurs ces qualit s ces mesures n atteignent jamais en elles m mes au sublime elles en sont seulement l occasion Pour Kant comme pour Balzac il n y a d objet sublime que secondairement apr s lavoir contempl l esprit ayant d gag en lui m me et par lui m me l affect sublime peut en retour et par reconnaissance qualifier cet objet ou cette circonstance de sublime Le m decin de campagne n est un roman sublime que par son aptitude diriger vers le sublime le branle de mes facut s ou de ce qui en termes analytiques en est l origine la pulsion Le sublime n est qu un usage interne de la facult de juger une disposition de l esprit qui le porte un moment de sa d lib ration consid rer son propre mouvement plut t qu prendre ses mesures de et par l objet Analystes nous dirions encore que le sublime est ce qui se rapproche le plus d un narcissisme qui se d gage du calcul des FORME LITT RAIRE FORMATION PSYCHANALYTIQUE petites diff rences Pareil d gagement pareil retrait du miro
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