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Untitled - Papyrus - Université de Montréal

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1. il forme avec lui un syst me C est la composition de ce syst me deux temps que nous analyserons le sujet observant chez Merleau Ponty est inextricablement li au corps et la subjectivit dans le cas qui nous int resse le sujet observant est n cessairement Beauvoir et sa pr sence en tant que sujet observant dans le texte sera mesur e en tenant compte de la pr sence des pronoms personnels et des noms d signant l auteure L objet observ lui est l objet qui est r v l par la perception du sujet observant ici c est Am rique mais aussi toutes ses d signations possibles d une entr e l autre ce sera l emploi des noms propres et des noms communs faisant r f rence l id e de l Am rique qui nous permettra d en mesurer 3 Voir note 11 2 Maurice MERLEAU PONTY Ph nom nologie de la perception Paris Gallimard coll Biblioth que des id es 1945 p 246 7 Maurice MERLEAU PONTY Op cit p 235 14 importance Ces deux l ments mis en relation viendront distinguer le discours du r cit travers la prise de parole du sujet observant et mesurer l importance du d veloppement personnel de l auteure dans le texte par l importance accord e aux impressions du sujet observant en regard de l objet observ ou la description de l objet observ en regard des impressions du sujet observant De m me cette derni re mesure sera possible parce que Beauvoir conf
2. la fois Georges GUSDORF Op cit p 254 Georges GUSDORF Op cit p 265 183 Ibid 73 comme discours politique et comme r cit matrice dans l uvre de Simone de Beauvoir Chapitre 3 L Am rique au jour le jour et le discours politique Nous avons vu la fin du dernier chapitre que le genre hybride de L Am rique au jour le jour de Simone de Beauvoir relevait d abord d une construction d lib r e de l auteure r fl chie de mani re lui permettre d voquer des convictions personnelles qui seraient entendues en raison de la sinc rit du r cit par lequel elles sont v hicul es Dans ce chapitre nous nous attarderons d montrer la justesse de notre intuition quant au caract re r solument engag de L Am rique au jour le jour au premier chef en abordant un texte fondateur d une conception de la litt rature intime comme criture engag e puis en tudiant l volution m me de la notion d engagement de l crivain dans les autres r cits autobiographiques de l auteure Ensuite nous d montrerons comment s incarne l engagement dans le journal de voyage am ricain en tudiant deux discours sociaux pr sents dans L Am rique au jour le jour soit celui sur la condition des Noirs am ricains et celui sur l mancipation de la femme am ricaine 3 1 L autobiographie et l engagement 3 1 1 L autobiographie comme forme d engagement chez les crivains existentialistes Contrai
3. poque o Beauvoir effectue son s jour en Am rique elle n a pas encore entam les grands voyages qui la conduiront s journer dans des r publiques r volutionnaires comme la Chine le Br sil ou Cuba et elle ne peut pas non plus pressentir que cette croisade anticommuniste annonc e par Truman deviendra la Guerre froide N anmoins on comprend ce qui g ne l auteure confront e a une telle d saffectation des jeunes l gard des affaires publiques le r le d intellectuel dans la cit qu endosse Beauvoir la fin de la guerre a pour unique fonction nous l avons vu dans le premier chapitre de d voiler le monde pour exhorter les gens l action un monde o l individu a abdiqu son pouvoir agissant sur le monde laisse pr sager une bien mauvaise relation entre une soci t et ses intellectuels et bien peu d avenir pour le mod le social que ceux ci proposent De m me dans le passage pr c dent Beauvoir d crit l apathie des jeunes universitaires qui appartiennent d une certaine fa on aux couches les plus favoris es de la soci t Qu en est il des plus d munis Comment peuvent ils esp rer changer leur condition dans un monde o l immobilisme est roi Beauvoir remarque que les tudiants sont apathiques sans tre aveugles Ils savent quelle est la responsabilit de leur pays dans l avenir du monde mais eux m mes ne se sentent responsables de rien L Am rique est un corp
4. uvre Que signifie le surgissement d un discours sur l identit culturelle noire dans la litt rature fran aise de l apr s guerre De quelle fa on est ce que le voyage en Am rique influence l essai d j en chantier qui portera sur la condition des femmes Notre hypoth se est que L Am rique au jour le jour agit comme une uvre matrice dans la production litt raire beauvoirienne tel un laboratoire scripturaire et intellectuel jetant d j les bases et les fondements des crits venir Par la r daction du journal de voyage am ricain Simone de Beauvoir explore la fois les formes de l essai du journal forme qu elle pratiquait d j durant la Guerre et du r cit autobiographique ce qui lui donne une grande latitude au sujet de ce qui est dit mais aussi de ce qui est tu C est une forme qu elle ne pratiquera plus m me dans le livre jumeau de L Am rique au jour le jour La Longue Marche un journal de voyage portant sur son s jour en Chine qui portera cette fois le sous titre g n rique d Essai sur la Chine De m me la forme intime de L Am rique au jour le jour permet Beauvoir de prendre part certains d bats id ologiques en son propre nom t moignant du caract re d lib r de son criture et des balbutiements d un engagement qui deviendra entier au fur et mesure que sa conscience d tre femme agissant sur le monde s aiguisera Avant m me que Jean Paul Sartre n crive Qu
5. Sans cette v rit tout au plus assisterait on ce que Philippe Lejeune nommait l impression de v cu et de pris sur le vif que l autobiographe vise souvent sans arriver la donner Pourtant dans le cas pr cis de L Am rique au jour le jour il ne faut pas se concentrer sur l id e d chec que suppose la citation de Philippe Lejeune mais plut t sur cette notion d impression qui en ce qu elle est soit la repr sentation forte En opposition l autobiographie qui serait une seule prise de vue sur une certaine unit de temps v cu Jacques LECARME et Eliane LECARME TABONE L autobiographie Paris Collection U dition Armand Colin 1997 p 30 83 Jacques LECARME et Eliane LECARME TABONE Op cit p 31 Voir note 3 35 LPA p 232 37 dominante affective produite ou suscit e par la perception d un objet ou l exp rience d une situation ou la trace psychique laiss e par une sensation ou une perception rappelle tonnamment le projet beauvoirien de transmettre un v cu travers le filtre de sa propre subjectivit L impression de v cu que tente de transmettre l auteure donc n a peut tre pas tant voir avec la simultan it du r cit que suppose le journal m me si c est la forme mat rielle qui a t choisie plut t qu avec la fid lit ses propres perceptions ses propres impressions de l exp rience v cue Le mot impression dans l un
6. 180 71 compr hension clairante qu apporte la lecture du texte en regard du reste du corpus am ricain 2 5 L autobiographique comme mode de lecture plut t que comme genre Ces derni res observations nous poussent encore une fois constater l insuffisance des termes existants pour pr sider la classification du genre de L Am rique au jour le jour Ni tout fait journal intime ni totalement autobiographie ni parfaitement issu d un espace autobiographique organis le journal de voyage am ricain regroupe plusieurs caract ristiques des critures de l intime sans les pouser parfaitement M me en accordant une certaine souplesse aux cat gories d termin es par les tudes g n riques il n y en a aucune qui satisfait parfaitement la taxonomie du genre de L Am rique au jour le jour Cela tant l absence de syst matisation ici ne nous appara t pas non plus comme une absence de logique s il est une caract ristique de L Am rique au jour le jour que l on ne peut nier c est son appartenance au genre du r cit de soi peu importe la forme que le journal am ricain prend l int rieur de cette cat gorie Cette certitude en plus de la volont de Beauvoir d attester de la v racit de son r cit nous permet de consid rer le caract re d lib r et intentionnel des implications g n riques qui ont contribu la mise en forme du r cit Ceci nous ram ne au constat de Georges Gusdorf
7. auteur et de les relier la ph nom nologie de la perception de Maurice Merleau Ponty une influence d terminante dans le lien ind niable qui existe entre l autobiographie et l engagement Finalement l tude d l ments adjoints l espace autobiographique beauvoirien comme les Lettres Sartre et Les Mandarins nous aura servi examiner le caract re authentique du r cit et de rendre compte d un certain nombre de dissimulations dont Simone de Beauvoir a pu se rendre coupable dans son criture du journal de voyage am ricain Nous en sommes venue a la conclusion que le caract re singulier du genre de L Am rique au jour le jour rel ve d une construction d lib r e de auteure en ouvrant un espace intime particulier qui ne correspond pas aux normes fixes de la po tique des genres Beauvoir propose son lecteur une relation diff rente que celle qui est suppos e par le pacte autobiographique En lui donnant acc s son intimit Beauvoir s assure de rendre compte de sa place dans l histoire mais aussi de mettre en danger sa cr dibilit son capital symbolique donnant ainsi de la valeur son discours politique Ce sont l les conditions n cessaires l engagement de l crivain Une fois le caract re d lib r de la construction g n rique tabli nous avons cherch tudier plus en profondeur le lien qui existe entre les critures intimes et l engagement politique Nous avons d
8. criture intime et dans l engagement que nous verrons comment cette uvre en particulier est devenue une sorte de matrice pour la pratique autobiographique et scripturaire venir de l auteure ainsi que dans son engagement intellectuel Chapitre 2 L Am rique au jour le jour et la question du genre Authenticit exactitude v rit tels sont les mots qui sont toujours au c ur de la question du genre autobiographique et du r cit de soi Si cette probl matique d termine en grande partie la recherche d un code qui baliserait le genre dans L Am rique au jour le jour la question de l hybridit g n rique se pose d abord par la vari t et la complexit des m canismes d criture utilis s par Simone de Beauvoir Les probl mes d interpr tation sont nombreux et doivent tre abord s en deux temps Il y a d abord le r cit lui m me et les difficult s de classification qu il implique avec sa forme mi chemin entre l essai le journal et l autobiographie et il y a les r cits satellites qui transforment notre perception du travail sur le genre en y ajoutant la perspective de l auteure Cette seconde cat gorie de r cits est importante elle comprend notamment les articles crits par Beauvoir en anglais pour de grands quotidiens am ricains mais aussi les lettres Sartre et Nelson Algren en plus des diff rents passages de son autobiographie qui relatent le voyage en Am rique et la r daction de L Am
9. dans le sens de relation manuscrite ou imprim e qui rappelle la vie les v nements auxquels est associ e une personne dont d coule le terme g n rique de M moires En ce sens le mot factum refl te peut tre aussi bien le genre du r cit ou tout le moins le genre tel que le concevait Beauvoir que l intention programmatique de l auteure telle que conceptualis e par Gusdorf parce qu il traduit d une part la transparence et la v racit qui sont ch res Beauvoir mais d autre part il transcende aussi une intention qui tait rest e jusque l immanente au del du d sir de raconter LNA p 141 L existentialisme et la Sagesse des nations publi en d cembre 1947 LNA p 115 136 55 l Am rique la volont de d noncer les injustices et les in galit s De ce fait le choix du mot factum qui dans son sens le plus usuel signifie m moire virulent r cit pol mique que publie quelqu un pour attaquer une personne une association ou pour se d fendre est peut tre celui qui traduit avec le plus de pr cision les diff rentes implications du texte et ce malgr l ambigu t s mantique qu il soul ve 2 3 3 pitexte et conceptions intellectuelles Un probl me demeure toutefois si Beauvoir fait Nelson Algren le r cit d taill de la r daction de L Am rique au jour le jour elle n est pas tr s loquace quant la fa on dont elle a envisag ce livre ou les ch
10. elle FDC p 7 FDC p 8 205 Ibid 206 Ibid 207 208 209 84 aspire maintenant une recherche de v rit et une transmission de son savoir qu elle ne priorisait pas avant C est du moins ce qu elle laisse croire dans la pr face puisqu elle mentionne pour la premi re fois ses convictions politiques de mani re explicite tout en rappelant l influence qu elles auront sur ses propos Mes opinions convictions perspectives int r ts engagements sont d clar s ils font partie du t moignage que je porte partir d eux De ce fait cette d claration de Beauvoir situe parfaitement la surgissement de sa conscience d crivaine engag e Notre libert notre responsabilit j y crois Bien qu crit en 1963 ce constat a t fait en 1945 il y a donc fort parier que les crits qui suivront cette d claration seront teint s de ces nouvelles convictions En ce sens c est probablement l pilogue a La force des choses qui est le plus r v lateur de cette conscience nouvelle de la n cessit de engagement Apr s avoir r gl ses comptes avec certaines critiques qui lui reprochaient notamment de ne pas pratiquer la rigoureuse ind pendance l gard des hommes qu elle professait dans Le Deuxi me Sexe Beauvoir d clare Je suis de gauche j ai essay de dire des choses entre autres que les femmes ne sont pas des clop es de naissance Elle trace ici un pa
11. en pr cisant que son c ur ne peut suivre le rythme et d s lors le sujet observant redevient un filtre passif sujet d une transmission de perceptions Plus loin Beauvoir continue en annon ant Voil C est arriv Je vole vers New York C est vrai C est le constat de cette v racit de ce r el en train d tre consomm qui marque enfin la v ritable apparition de la subjectivit dans le passage C est vrai c est v rifiable tangible Beauvoir vole vers New York Il y a donc bien une identit derri re ce sujet observant identit qui peut finalement attester de l authenticit de ce qui est en train d arriver Et pourtant la subjectivit s efface a nouveau dans la narration Paris Marseille Paris Londres Paris New York Ce n est qu un voyage un passage d un lieu un autre II n y a qu un monde et New York est une ville du monde Ce passage gomme toute la singularit du sujet observant il y a un monde New York est une ville mais il y a dans ces espaces finis mais immenses peu de place pour l individualit Il y a bien quelque chose de diff rent mais cette diff rence ne surgit pas de la subjectivit de l auteure c est la ville elle m me qui produit la nouveaut D ordinaire voyager c est tenter d annexer mon univers un objet neuf l entreprise est d j passionnante Mais aujourd hui c est diff rent quelque chose va se AJJ pp 1
12. l crivain la cr dibilit n cessaire pour mettre des critiques qui valent d tre entendues dans la mesure o il a couru des risques pour les formuler En insistant sur l importance d affranchir tous les hommes l auteur souligne Leiris d montre bien le caract re universel de son criture et donc de son engagement Nous pouvons donc conclure que chez Leiris 189 Michel LEIRIS Op cit p 14 1 Ibid os Georges GUSDORF Op cit p 290 Michel LEIRIS Op cit p 21 Michel LEIRIS Op cit p 22 192 193 194 195 78 l autobiographie est n cessairement un crit engag crit qui qui plus est proc de de la notion sartrienne de l engagement Les rapprochements que nous pouvons tablir entre la pratique autobiographique de Leiris et la pratique autobiographique de Beauvoir sont donc assez nombreux d abord leur fa on d envisager l criture et l autobiographie nous le d montrerons au point suivant pour Beauvoir est transform e par la guerre Ensuite ils s inspirent directement du lexique sartrien pour expliquer leur conception de l engagement Finalement les deux auteurs aspirent l criture d un r cit sinc re et v ridique dans le but de transmettre leur conception du monde une conception de l criture qui s accorde bien avec les conclusions que nous avons formul es au deuxi me chapitre c est a dire que la construction g n rique de L Am rique au jour le jour
13. la probl matique du genre puisque l exp rience de la spatialit telle que conceptualis e par Maurice Merleau Ponty et Michel de Certeau passe n cessairement par l inscription d un sujet agissant dans le r cit tout en donnant la primaut l espace repr sent C est pourquoi dans ce m moire nous proc derons d une part une analyse g n rique de L Am rique au jour le jour tentant d abord de voir quels codes g n riques r pond l uvre avant de nous attarder aux codes qu elle brise et aux possibilit s d interpr tation qu offrent ces cassures comment elles fa onnent le texte et comment elles en modifient la port e Cette tude g n rique s appuiera sur les tudes qui font autorit en la fl mati re Georges Gusdorf Philippe Lejeune et Eliane et Jacques Lecarme en 11 Simone de BEAUVOIR La ph nom nologie de la perception de Maurice Merleau Ponty Les Temps modernes vol 1 no 1 1945 pp 364 365 a Georges GUSDORF Lignes de vie 1 Les critures du moi ditions Odile Jacob Paris 1991 oe Philippe LEJEUNE Le pacte autobiographique Paris Editions du Seuil coll Po tique 1975 D sormais cit comme LPA suivi de la page n Jacques LECARME et liane LECARME TABONE L autobiographie Paris coll U dition Armand Colin 1997 mati re d autobiographie et Fran oise Simonet Tenant dans le domaine du journal intime Ces tudes nous perme
14. Dans un deuxi me temps nous proc derons un recensement complet des caract ristiques g n riques de L Am rique au jour le jour afin de comprendre les diff rentes implications de cette hybridit g n rique sur le statut du texte Nous sa Fran ois SIMONET TENANT Le journal intime genre litt raire ou criture ordinaire Paris T tra dre L criture de la vie 2004 15 Michel LEIRIS L dge d homme Paris Gallimard coll Folio 1939 17 Jean Paul SARTRE Qu est ce que la litt rature Paris Gallimard coll Folio Essais 1948 8 Michel WINOCK Le si cle des intellectuels Paris Editions du Seuil coll Points 1997 1999 1 Beno t DENIS Litt rature et engagement de Pascal Sartre Paris ditions du Seuil coll Points Essais 2000 20 Simone de BEAUVOIR Le deuxi me sexe Paris Gallimard coll Folio Essais 1949 21 Stuart HALL Identit s et cultures Politique des cultural studies Paris ditions Amsterdam 2008 confronterons ce recensement aux autres crits intimes r dig s par Simone de Beauvoir qui entrent parfois en contradiction entre eux mais qui nous permettront de comprendre le projet derri re le journal am ricain et les motivations que suppose le travail sur le genre Finalement l tude des implications politiques du genre autobiographique nous servira de transition vers le troisi me chapitre de notre m moire qui portera sur les conceptualisations
15. abord choisi de faire tat de l existence de ce lien en analysant le texte d un contemporain de Simone de Beauvoir qui postulait la pr sence de l engagement dans l autobiographie d abord parce que cette forme litt raire suppose la mise en danger de l crivain puis parce que l engagement est la seule r ponse coh rente que puisse avoir l crivain dans une soci t d vast e par la guerre Nous avons ensuite montr comment Beauvoir 111 adh rait aux propos de Michel Leiris et la notion sartrienne de l engagement en tudiant la pr sence de ce topos dans les autres volumes de l ensemble autobiographique beauvoirien Finalement nous avons d montr la pr gnance du discours politique dans L Am rique au jour le jour en tudiant les critiques que Beauvoir formulait l endroit du consum risme am ricain de la condition des Noirs et de la condition de la femme La pr sence de ces critiques toutes formul es par le biais de la subjectivit beauvoirienne attestait du caract re engag de L Am rique au jour le jour et confirmait notre premi re hypoth se de recherche c est dire le fait que le genre singulier du journal am ricain relevait d une mise en place d lib r e qui avait t pens e pour la transmission des convictions personnelles de l auteure Il nous reste donc une hypoth se de recherche prouver c est dire le fait que L Am rique au jour le jour ait aussi jou le r le de r ci
16. auteur dans une authenticit premi re les textes pour lesquels l auteur utilise des mat riaux emprunt s sa vie personnelle comme Les Mandarins et les textes visiblement autobiographiques qui sont fond s sur un pacte de lecture clair que ce pacte soit transgress ou non en regard des informations qu offre l espace autobiographique En ce sens le genre de L Am rique au jour le jour n a pas qu tre compris de fa on singuli re dans son individualit et son hybridit mais aussi dans fonctionnement dans l espace autobiographique Il reste cependant au minimum un probl me que soul ve ce concept d espace autobiographique dans l uvre beauvoirienne c est qu il n y a pas dans l uvre LPA p 170 LPA p 182 LPA p 165 178 179 70 de Simone de Beauvoir d espace autobiographique englobant qui fonctionnerait pour l ensemble des textes produits par l auteur Comme Les M moires d une jeune fille rang e peuvent faire office de texte embrayant l espace autobiographique d un ensemble qui comprendrait aussi L invit e et le premier volume des Lettres Sartre L Am rique au jour le jour ne peut avoir cette fonction de texte embrayeur qu en regard des textes du corpus am ricain Cela ne change rien sur la fa on dont doit se lire le genre de L Am rique au jour le jour mais cela d montre qu il n y a pas d l ment unificateur pour l ensemble de l uv
17. autobiographe Cette parent n est pas anodine dans La litt rature envisag e comme une tauromachie Leiris voque le caract re universel de l engagement de l crivain et il en parle comme d une n cessit Forc ment ses contemporains et plus encore ses proches Leiris voque dans sa pr face L ge d homme Raymond Queneau Armand Salacrou et Sartre qui v curent tous au Havre plus ou moins en m me temps que lui sont susceptibles de mettre en pratique les pr ceptes profess s par Leiris Qu en est il donc de la revendication chez Beauvoir L tude de la pr face de L Am rique au jour le jour nous a permis d tablir avec certitude le d sir de v rit qui animait l auteure et ce malgr les diverses entorses qu elle fait au pacte de lecture en trafiquant l g rement la v rit Cependant les motivations politiques qui ont pu d clencher le d sir d crire ce livre sur l Am rique qui n tait pas pr vu au moment o elle a effectu son premier voyage aux tats Unis nous sont demeur es inconnues Malgr une certaine impr cision au sujet de ses motivations politiques Beauvoir manifeste un d sir de d voiler le monde ses lecteurs qui est explicite Cependant il ne m apparait pas inutile de raconter au jour le jour comment l Am rique s est d voil e une conscience la mienne Nous savons que pour les existentialistes cette fonction de d voilement du monde est
18. cit de voyage publi ind pendamment de son autobiographie c est dire La longue marche voyage effectu en Chine en 1955 la suite de l invitation de Zhou Enlai le premier repr sentant de Chine l tranger aux intellectuels du monde entier afin de rendre compte des progr s attribuables au r gime communiste Le livre a t publi en 1957 dans la Nouvelle Revue Fran aise et il porte le sous titre g n rique d Essai sur la Chine 102 Ibid p 29 101 103 43 trente sept occurrences de la ville de New York et de ses d nominations pr cises il y a donc quivalence l entr e du 27 janvier la subjectivit reprend ses droits cinquante six occurrences du pronom je et de ses reprises pronominales contre trente six occurrences de New York et de ses d nominations l entr e du 28 janvier c est cette fois l objet observ qui est plus souvent voqu que le sujet observant il y a vingt trois occurrences du je et de ses reprises pronominales contre vingt six de New York et de ses d nominations Nous pourrions continuer l inventaire mais ce travail de d nombrement est sans issue les proportions changent au fur et mesure que ce qui est d voil de la ville prend de importance pour Beauvoir et vice versa Dans un tel cas affirmer que L Am rique au le jour le jour est un r cit autobiographique au sens traditionnel du terme nous semble impossible puisqu au moins une des conditions essen
19. critures intimes Le caract re hybride du r cit vient compliquer la classification puisque nous le verrons certaines caract ristiques du r cit le mettent plut t en filiation avec le journal intime alors que d autres l associent au genre autobiographique et m me aux M moires Nous 10 tenterons donc de d terminer s il existe une tiquette g n rique plus appropri e qu une autre pour le journal de voyage am ricain cet effet en plus des tudes de Fran oise Simonet Tenant sur le journal intime et de celles d liane et Jacques Lecarme sur l criture autobiographique certains travaux de Philippe Lejeune et de Georges Gusdorf seront mis l avant plan dans notre m moire parce qu ils abordent des notions qui nous permettront de mesurer l appartenance du r cit des cat gories sp cifiques dans le genre des critures du moi en fonction de param tres bien d finis La premi re notion de ce type laquelle nous nous int resserons sera la notion de hi rarchie ou de proportion chez Philippe Lejeune comme entendue dans la d finition qu il labore de l autobiographie c est dire un r cit r trospectif en prose qu une personne r elle fait de sa propre existence lorsqu elle met l accent sur sa vie individuelle en particulier sur l histoire de sa personnalit Cette d finition formul e telle quelle en 1971 dans L autobiographie en France conf re au genre autobiogra
20. il y a lieu de se demander s il n y a pas aussi une part d nervement ou d excitation li e au voyage C est une hypoth se que nous pourrions valider en comparant L Am rique au jour le jour a un autre r cit de voyage beauvoirien et effectivement dans son journal de voyage chinois Beauvoir voque une semblable insuffisance du regard rendre compte de l objet observ le seul regard ne suffit pas tout d celer d un objet Il est vain de pr tendre d crire ce pays il demande tre expliqu Cependant la comparaison de L Am rique au jour le jour et de La longue marche est insuffisante ou insatisfaisante puisque ces observations sur la Chine semblent avoir t faites post riori pour se d fendre des critiques anticommunistes l endroit des t moignages favorables au r gime C est donc en examinant les autres entr es du journal de voyage que nous pourrions vraiment mesurer les proportions du texte Une analyse de la r partition de l entr e du 26 janvier r v le qu il y a exactement trente sept occurrences du pronom je et de ses reprises pronominales contre 100 AJJ p 17 Ils sont nombreux tre greff s aux autres volumes de l ensemble autobiographique beauvoirien dans lesquels elle rend compte notamment de ses voyages en Italie en Espagne en Gr ce en Su de au Br sil Cuba et en Russie mais nous faisons r f rence ici au seul autre r
21. l impression d une certaine r ussite sociale que suppose leur emploi alors que les termes woman et man font r f rence l tat adulte des individus dont le ph notype est habituellement d fini par les mots female et male Devant une AJJ p 284 Les informations lexicales sont puis es sur le Thesaurus du dictionnaire Merriam Webster en ligne http www merriam webster com dictionary lady Consult le 10 septembre 2011 249 Les informations lexicales sont puis es sur le Thesaurus du dictionnaire Merriam Webster en ligne www merriam webster com dictionary gentleman Consult le 10 septembre 2011 250 251 252 253 254 96 expression de la diff rence aussi manifeste Beauvoir a d abord le r flexe imm diat de reprendre le r le de l oppresseur C est d abord la premi re fois que nous voyons de nos yeux cette s gr gation dont nous avons tant entendu parler et nous avons beau tre pr venues quelque chose tombe sur nos paules qui ne nous quittera plus travers tout le Sud c est notre propre peau qui est devenue lourde et touffante et dont la couleur nous br le Cela tant au d but de son passage dans le Sud les remarques de Beauvoir sur la condition des Noirs rel vent souvent de l anecdotique ou de la constatation de la s gr gation Ainsi observe t elle qu il n y a pas d abri am nag pour les Noirs qui doivent attendre l autobus l ext rieur ou que les cha
22. peur Pas la mienne celles des autres la peur de tous ces blancs qui ne se risquent jamais dans Harlem M me si Beauvoir s empresse de d noncer les pr jug s am ricains l gard du district d Harlem son discours reprend essentiellement les termes de la relation d exclusion sur laquelle est fond e l identit noire Dans ce passage la ville noire s oppose aux blancs sur lesquels Beauvoir fait reposer l odieux de la marginalisation des Noirs sp cifiant du m me souffle qu elle ne peut tre associ e eux Mais affirmer cette diff rence ne suffit pas pour la faire exister si l identit noire est immanente en raison d une caract ristique physionomique pr cise la couleur de la peau il en va de m me pour l identit blanche Le r cit de Beauvoir refl te ce paradoxe m me en d non ant la peur d raisonnable que les Noirs inspirent aux Blancs une peur qui n est selon elle que l envers 234 d une haine et d une esp ce de remords elle ne peut s emp cher de noter p 51 p 53 93 que le Blanc qui s aventure a Harlem devient une figure odieuse d oppresseur d ennemi Elle explique Fich au c ur de New York Harlem p se sur la bonne conscience des blancs comme le p ch originel sur celle d un chr tien Parmi les hommes de sa race l Am ricain caresse un r ve de bonne humeur de bienveillance d amiti il met m me ses vertus en
23. rique de L Am rique au jour le jour serait finalement la fa on dont Beauvoir elle m me d signe son r cit lors de son laboration et du processus de publication En ce sens et m me si Beauvoir voque aussi la r daction de L Am rique au jour le jour dans La force des choses ce sont probablement les Lettres Nelson Algren qui constituent la source d information la plus riche ce sujet puisqu elle con oit son r cit de voyage en Am rique comme un texte destin Algren et qu elle prend ainsi soin de lui raconter toutes les tapes de production du livre de l criture la publication Or m me si dans ces lettres Beauvoir fait un suivi tr s fid le de la cr ation de ce qu elle appelle son Am rique les diff rentes d nominations qu elle emploie ne traduisent pas n cessairement une conceptualisation pr cise du genre qu elle adopte Cette faiblesse dans l laboration g n rique peut s expliquer en partie par le fait que ce champ d tudes n tait pas encore 12 Philippe RAYNAUD in AJJ p 1 Deirdre BLAIR Simone de Beauvoir Paris Fayard 1991 et Jean Pierre SACCANT Nelson et Simone Paris ditions du Rocher 1994 122 Philippe RAYNAUD in AJJ p Ill Voir note 56 121 123 52 compl tement d velopp l poque mais peut tre aussi parce que Beauvoir a sa propre conception de la terminologie g n rique et qu elle l emploie en ce sens Cela tant le seul term
24. rique et la r daction du journal de voyage am ricain L analyse des correspondances de l auteure notamment les Lettres Sartre et les Lettres Nelson Algren des carnets et du volume de l ensemble autobiographique beauvoirien qui porte sur cette p riode La Force des choses nous permettra de dresser un portrait d ensemble du mat riel am ricain et des choix effectu s par Simone de Beauvoir lors de la r daction de L Am rique au jour le jour C est partir de ce portrait que nous poserons la question de la n cessit de la mise en r cit du soi chez une auteure qui s tait jusque l cantonn e dans la fiction et la philosophie Il nous semble manifeste que le d sir de raconter au je est motiv chez Beauvoir par la libert d expression et la singularit que permet le genre hybride de L Am rique au jour le jour Cette analyse pr alable nous permettra ensuite de nous attarder l engagement de l auteure et l inscription d un discours id ologique dans son uvre puisqu il ne nous semble pas anodin Simone de BEAUVOIR Lettres Sartre 1940 1963 Paris Gallimard coll NRF 1990 D sormais cit comme LAS suivi de la page que le premier des r cits autobiographiques beauvoiriens soit aussi le premier livre t moigner manifestement de l engagement intellectuel de l auteure Que pouvons nous comprendre des discours id ologiques voqu s par Beauvoir Comment entrent ils en relation dans l
25. subjectivit Beauvoir atteste du m me coup de sa situation et de sa conscience du mouvement de l Histoire deux conditions inh rentes engagement sartrien et pour Beauvoir d terminantes de la pertinence de l criture Il y a donc derri re le choix de Beauvoir d utiliser la litt rature de l intime le d but de la construction d un systeme de d voilement du monde qui lui permettra d user de la litt rature comme un instrument d action politique un theme qui est en filigrane du r cit de L Am rique au jour le jour constamment pr sent quoique jamais lourdement appuy C est pourquoi malgr l insuffisance de la classification g n rique nous nous rangerons du c t de Georges Gusdorf qui confront la m me insuffisance dit de l autobiographie qu elle ne devrait pas tre envisag e du point de vue de la g n ricit Dans une telle perspective l autobiographie ne devrait plus tre consid r e comme un genre litt raire parmi les autres mais comme un mode de lecture applicable aux uvres litt raires les plus diverses Parce que l criture du moi met en cause la pr sence au monde d un individu donn qu elle implique conjointement la r alit du moi et la r alit du monde et que de ces deux conditions na t la litt rature engag e nous lirons L Am rique au jour le jour par le biais du mode autobiographique pour comprendre la valeur du journal am ricain
26. une volont de l auteur d inclure L Am rique au jour le jour dans l ensemble de ses textes qui se rapportent au genre des critures du moi nous consid rons que le journal am ricain devrait tre consid r comme le premier texte autobiographique de Beauvoir 81 conscience qui m ne une forme d engagement ce sont plut t les v nements qui fa onnent l existence de Beauvoir qui sont mis l avant plan plus tout le moins que ses actions en tant qu intellectuelle De m me au moment o se d roule le r cit des M moires d une jeune fille rang e l action politique n est pas encore vue comme une n cessit pour Beauvoir puisque c est une condition d criture qu elle s imposera apr s la guerre En ce sens l engagement peut difficilement tre observable autrement qu en filigrane du texte Le deuxi me volume de l autobiographie beauvoirienne change un peu la donne probablement parce qu il nous transporte dans l intimit du couple Sartre Beauvoir et dans celle de leur c nacle l heure d une des plus grandes crises de l humanit Impossible d s lors de nier la n cessit de l engagement de l crivain La pr face de La force de l ge t moigne de cette pr occupation chez Beauvoir mais pas encore de fa on r solument explicite Questionnant d abord l usage qu elle a fait de cette libert ch rement gagn e dans les M moires d une jeune fille rang e Beauvoir
27. CORPUS PRIMAIRE Simone de BEAUVOIR L Am rique au jour le jour 1947 Paris Gallimard coll Folio 1963 376 pages Il CORPUS SECONDAIRE Autre uvres de Simone de Beauvoir Simone de BEAUVOIR Les Mandarins Paris Gallimard coll COLL NRF 1954 579 pages La longue marche Essai sur la Chine Paris Gallimard coll COLL NRF 1957 484 pages M moires d une jeune fille rang e Paris Gallimard coll Folio 1958 472 pages La force de l ge Paris Gallimard coll Folio 1960 694 pages La force des choses Paris Gallimard coll Folio 1963 376 pages La force des choses II Paris Gallimard coll Folio 1963 508 pages Tout compte fait Paris Gallimard coll Folio 1972 634 pages La c r monie des adieux suivi de Entretiens avec Sartre ao t septembre 1974 Paris Gallimard coll Folio 1981 627 pages _ Lettres Sartre 1940 1963 Paris Gallimard coll COLL NRF 1990 456 pages Lettres Nelson Algren un amour transatlantique 1947 1964 Paris Gallimard coll COLL NRF 1997 610 pages lll Corpus th orique et critique Simone de BEAUVOIR La ph nom nologie de la perception de Maurice Merleau Ponty Les Temps modernes vol 1 no 1 1945 pp 364 365 117 ___ Le Deuxi me Sexe Paris Gallimard coll Folio Essais 1949 1976 409 pages L
28. LECARME TABONE Op cit p 47 La citation exacte se lit comme suit II faut assur ment dans le principe maintenir une opposition commode entre les m moires et l autobiographie les premiers concernant le monde l histoire et les autres c est dire une certaine objectivit de l v nement la seconde le moi ses sentiments ses souvenirs autant dire une subjectivation radicale des faits 1 Jacques LECARME et Eliane LECARME TABONE Op cit p 48 oe Georges GUSDORF Op cit p 252 45 2 2 4 Les M moires et la question du programme chez Georges Gusdorf S il y a un texte qui devrait tre envisag comme l nonciation du programme de L Am rique au jour le jour au sens o l entend Gusdorf ce serait sans doute la pr face que r dige Beauvoir lors de la publication en volume du r cit Or dans cette pr face Beauvoir qualifie le r cit qui va suivre de tableau en pied de l Am rique et de t moignage fid le de son voyage vocabulaire d notant d abord qu avant le d sir de raconter il y avait chez Beauvoir un d sir de rendre compte de faire le portrait des choses vues autant que des choses v cues en Am rique Toutefois parce que ses conceptions philosophiques l am nent penser qu elle ne peut faire abstraction de sa personne dans la perception qu elle aura de l Am rique elle prend garde de pr venir le lecteur de l importance qu aura sa subjectivit dans les pages qui vont
29. Les temps modernes des extraits de ma propre Am rique qui semble galement beaucoup plaire Entre ces deux constantes mon livre et mon Am rique le mot journal revient une derni re fois dans la lettre du 2 128 LNA p 37 LNA p 60 Notamment dans les lettres du 28 septembre du 3 du 9 et du 17 octobre du 15 et du 25 novembre et du 15 d cembre 1947 C est aussi l expression qu elle emploie dans La force des choses chaque fois qu elle voque L Am rique au jour le jour ve Employ e avec les diff rentes variations recens es dans les lettres du 28 septembre du 21 novembre du 1 d cembre 1947 ainsi que dans les lettres du 17 f vrier et du 14 mars 1948 Cette derni re occurrence est aussi la derni re vocation de L Am rique au jour le jour dans la correspondance entre Nelson Algren et Simone de Beauvoir ne LNA p 191 Beauvoir fait ici r f rence ce qu elle appelle les Lettres de Chicago articles crits par Nelson Algren pour Les Temps modernes dont le premier Du rire en bocaux reportage de Chicago venait d tre publi dans le num ro de janvier 1948 et avait remport un certain succ s Elle oppose donc sa propre Am rique a celle d Algren dont elle avait pris la traduction en charge 129 130 133 134 135 54 janvier 1948 pour annoncer la fin de l criture du r cit Mon journal de voyage am ricain est achev pas totalement il y
30. Noirs am ricains La citation de George Bernard Shaw plus haut illustre bien le caract re pervers de cette situation Et encore plus que le cercle vicieux cr par cette conception que les Blancs ont du syst me Beauvoir d nonce aussi le fait qu elle confirme la fausset des rapports entre les Blancs et les Noirs le Blanc adh re la s gr gation par souci de puret alors que le Noir lutte contre cette derni re dans le but d affirmer ses droits Les enjeux qui poussent le Blanc maintenir en place le syst me s gr gationniste n ont tout simplement aucune valeur aux yeux des Noirs Ce qu il tr s est important de noter c est que la possibilit des mariages mixtes vient au tout dernier rang dans les revendications des noirs la plupart ne s en soucient pas Ce qu ils r clament c est l galit sur le plan conomique devant les tribunaux sur le terrain politique puis dans les coles les glises les h pitaux et dans la vie sociale en g n ral Que tout le syst me s gr gationniste ne soit b ti que pour se d fendre contre le danger du mariage mixte dont l int r t est pour les noirs absolument secondaire c est une rationalisation qui ne tient pas debout Le message de Beauvoir est clair on ne peut tol rer une in galit sociale syst matis e en raison de principes factices quand elle suppose de priver une masse d individus de droits qui leur sont inali nables constitutionnellement et par n
31. Paris Editions du Seuil coll Points Essais 2000 p 76 18 Beno t DENIS Op cit p 91 186 187 76 comprendre quel r le joue l engagement politique dans la construction du genre de L Am rique au jour le jour Pour Michel Leiris l autobiographie est une forme litt raire capable de I exalter de lui m me et d tre entendue par les autres C est donc d j une forme de communication entre l auteur et le lecteur ne serait ce que par l intimit partag e qui en d coule On suppose aussi qu il y a fonction de d voilement du monde chez Leiris puisque la condition de l existence de l autobiographie est dans l acte de transmission c est a dire dans le fait d tre entendue par les autres En plus de cet acte de transmission Leiris formule un id al de v rit commun a la plupart des autobiographes ce qui est manifeste dans sa fa on de souhaiter parler de lui m me avec le maximum de lucidit et de sinc rit Il y a aussi chez Leiris une remise en question de la fonction de la litt rature en tant qu objet esth tique qu il n h site pas a qualifier d entreprise vaine Ce qui se passe dans le domaine de l criture n est il pas d nu de valeur si cela reste esth tique s il n y a rien dans le fait d crire une uvre qui soit un quivalent de ce qu est pour le torero la corne ac r e du taureau qui seule conf re une r
32. alit humaine a son artt l image de Beauvoir qui affirmera ne pas crire pour faire du style Leiris dans son questionnement laisse entendre qu il existe une hi rarchie favorisant l intention de l auteur au profit des qualit s esth tiques de l uvre La comparaison qu il dresse entre la litt rature et la tauromachie est stimulante tout en tant explicite l crivain doit se mettre en jeu prendre des risques a travers son uvre pour qu elle acqui re de l importance et de la valeur Or alors que Leiris crit cette premi re partie de La litt rature envisag e comme une tauromachie avant l clatement de la guerre la seconde partie de cette pr face est crite en 1946 au Havre devant les ruines d une ville d vast e par le conflit De ces circonstances na t une d finition beaucoup plus explicite du risque que doit prendre l crivain Faire un livre qui soit un acte tel est en gros le but qui Michel LEIRIS L ge d homme Paris Gallimard Coll Folio 1939 p 12 Michel LEIRIS Op cit p 10 188 Ibid 77 18 5 Cette action selon m apparut comme celui que je devais poursuivre Leiris s effectue en trois temps il y a d abord l engagement de soi dans le r cit du faiseur de confession qui en disant toute la v rit rien que la v rit se met s rieusement en danger la mani re du torero qui s expose la corne du taureau Cette mise en d
33. capital symbolique dans la lutte contre diverses formes d oppression ces pisodes d engagement intellectuel sont encore post rieurs au temps de La force de l ge qui s ach ve la lib ration de Paris Beauvoir toujours soucieuse d une certaine authenticit dans son r cit autobiographique n anticipe pas le r cit de sa propre vie et n voque donc pas des convictions qu elle aura adopt es apr s l pisode de sa vie qui est racont dans le livre Il n en demeure pas moins que la Simone de Beauvoir de 1960 qui r dige le r cit de sa vie entre 1933 et 1945 est p trie d un id al d criture engag e qui fa onne son propos Ainsi rend elle compte dans sa pr face des conditions n cessaires de engagement de l crivain souhaitant du m me coup faire de La force de l ge un livre qui t moignerait de sa situation dans le monde Un livre ne prend son vrai sens que si l on sait dans quelle situation dans quelle perspective et par qui il a t crit je voudrais expliquer les miens en parlant aux lecteurs de personne personne De ce fait les propos de Beauvoir se rapprochent de notre premier postulat l criture du moi est envisag e comme un instrument de contact avec le lecteur instrument qui donne acc s l intimit de l auteure et d s lors lui offre la cr dibilit n cessaire pour partager ses convictions politiques Ainsi ce projet de s ouvrir au lecteur explicite d s 1960 peut
34. ces journ es furent report s aux entr es du 25 26 et 29 avril D s lors il y a point de rupture si la chronologie pr sent e avant le deuxi me s jour Chicago semble relativement exacte celle qui le suit ne peut l tre Nous avons d taill plus haut les diff rentes entorses faites par Beauvoir aux entr es du 12 au 16 mai journ es qu elle a pass es New York avec Nelson Algren mais qui lui permettent de raconter son deuxi me s jour en Am rique fin septembre 1947 Selon L Am rique au jour le jour Beauvoir aurait quitt Chicago le 17 mai pour s envoler de New York vers Paris le 20 mais une lettre a Nelson Algren dat e du 17 mai confirme que son d part a eu lieu avant J tais tourdie pas m me capable de pleurer ce moment l juste tourdie Puis l avion a d coll La notion d exactitude a laquelle Beauvoir fait r f rence dans la pr face de L Am rique au jour le jour est ici mise l preuve puisque l o on croyait avoir 72 LNA p 15 73 Voir note 62 74 LNA p 17 34 affaire une chronologie exacte appuy e par des entr es dat es on assiste plut t un travail de reconstitution de la m moire o certains pisodes ont t retard s ou devanc s Ce proc d qui t moigne d une certaine conscience organisatrice chez Beauvoir ressemble ce que Philippe Lejeune remarquait chez Rousseau c est dire des erreurs de chronologie servant le r ci
35. coll Folio 1982 au sujet de ses Carnets de la dr le de guerre et des Lettres au Castor et quelques autres 199 Georges GUSDORF Op cit p 157 161 64 au jour le jour une certaine authenticit que la pr sence des diff rentes adaptations ne parvient pas effacer compl tement Cependant il n en reste pas moins qu en transgressant son propre serment d authenticit Beauvoir menace l int grit de son texte tout en d formant ses possibles ancrages dans le genre 2 4 2 Le non dit de L Am rique au jour le jour et Les Mandarins Dans Les commencements d une vie Fran ois Mauriac disait que seule la fiction ne ment pas Elle entrouvre sur la vie d un homme une porte d rob e par o se glisse en dehors de tout contr le son me inconnue Dans cette optique un autre texte qui pourrait contribuer la remise en question de la scrupuleuse exactitude invoqu e par Beauvoir dans la pr face L Am rique au jour le jour est son roman Les Mandarins publi en 1954 aux ditions Gallimard M me si Beauvoir s est toujours farouchement d fendue d avoir crit un roman cl la pr gnance du r el dans la trame narrative des Mandarins est un peu d routante le pav de presque six cents pages raconte les tourments d un petit groupe d intellectuels qui l heure de la Lib ration doit faire face l id e d un monde qui ne sera plus jamais pareil obligeant d s lors la remise en ques
36. consigne le syst me Cheer up Take it easy L optimisme est n cessaire la tranquillit sociale et la prosp rit conomique FDA p 575 LAS p 288 AJJ p 35 219 220 221 88 du pays Pour l auteure cet optimisme concert a un go t amer c est qu il na t d un besoin conomique et non pas de la r elle volont des hommes tre des alli s entre eux Si un banquier a g n reusement pr t cinquante dollars sans garantie un tel jeune Fran ais c est que cette confiance est exig e et impliqu e par une conomie bas e sur le cr dit et la d pense Ici le discours critique se fait double puisqu il concerne la fois l absence d authenticit dans les relations humaines et les dangers d une conomie bas e sur la consommation de biens non essentiels Et m me si Beauvoir consent dire que les Am ricains ne subissent pas passivement la propagande du sourire elle remarque n anmoins que leur acceptation tacite du syst me les rend complices L homme n est jamais passif dans l ob issance il engage sa libert et se soumettre au mal c est le reprendre son compte Dans cette citation on remarque la pr gnance du vocabulaire sartrien dans le discours beauvoirien ce qui d montre bien le caract re engag que Beauvoir accorde ses observations En effet en insistant sur le fait que l inaction est n anmoins une fa on d engager sa lib
37. d accident par opposition l essentialit du premier Il en va de 226 AJJ p 84 Jean Paul SARTRE Orph e noir in Situations III Paris Gallimard coll NRF 1949 pp 229 286 Jean Paul SARTRE Op cit p 252 Stuart HALL et Paul DU GAY dir Questions of cultural identity Londres Sage Pulications 1996 198 pages 20 Stuart HALL Qui a besoin de I identit in Identit s et cultures politique des cultural studies Paris ditions Amsterdam 2008 pp 271 272 227 228 229 231 Ibid 232 AJJ AJJ 234 Ibid 233 92 m me de la relation blanc noir o le terme blanc est bien s r quivalent tre humain 2 1 C est donc cette conception de l identit noire qui va habiter Beauvoir lors de son voyage en Am rique et c est encore cette conception de l identit qui va influencer son interpr tation de l in galit des conditions pour les Noirs am ricains Cela tant lorsque Beauvoir se prom ne dans Harlem et qu elle a ses premiers contacts avec la communaut noire malgr cette conscience de la diff rence qui est l uvre son r cit proc de n anmoins par la d nomination des deux p les de la relation identitaire noire J ai march vers Harlem mais mes pas m taient pas tout fait aussi insouciants qu l ordinaire Il y avait une force qui me tirait en arri re une force qui manait des fronti res de la ville noire et qui me refoulait la
38. de l engagement de l auteure et sur l analyse des manifestations de cet engagement dans L Am rique au jour le jour L analyse de passages consacr s la condition des femmes la condition des Noirs et l individualisme am ricain en les consid rant de fa on autonome c est dire comme des unit s textuelles qui se suffisent elles m mes nous permettra de comprendre la repr sentation de l engagement dans le journal de voyage am ricain Nous nous servirons de ces repr sentations pour voir comment elles font cho aux tudes sp cialis es qui abordent les m mes th mes dans ce cas ci les tudes f ministes et les tudes culturelles qui portent sur les questions de race et d identit culturelle et finalement pour voir ce qu elles traduisent de l engagement futur de Simone de Beauvoir Nous esp rons d montrer que l hybridit g n rique de L Am rique au jour le jour s impose comme une n cessit po tique Beauvoir pour qui l auteur engag se doit d agir par l criture Notre m moire s ach vera sur une relecture sociopolitique de l uvre de Simone de Beauvoir par laquelle nous souhaitons d montrer que la pratique autobiographique et l engagement intellectuel de l auteure ont eu le voyage en Am rique comme point de d part nous tenterons donc de retracer les th mes abord s dans le journal am ricain qui peuvent tre per us dans le reste de l uvre beauvoirien M thodologie Chapit
39. de La Longue Marche on classe ce dernier r cit dans la m me rubrique Essais Litt rature Philosophie mais on adjoint ce journal de voyage le sous titre g n rique d Essai sur la Chine sur la couverture 49 comme sur la quatri me de couverture sa classification se trouvant d s lors justifi e Dans les parutions plus contemporaines Lettres Nelson Algren en 1997 Correspondance crois e 1937 1940 en 2004 et Cahiers de jeunesse en 2008 la bibliographie a t d plac e en d but et fin de volume sur les pages de garde et la rubrique Essais Litt rature a perdu une d signation celle de philosophie L Am rique au jour le jour y figure toujours aux c t s des autres volumes de l ensemble autobiographique beauvoirien et des diff rents essais dont Pyrrhus et Cin as et Pour une morale de l ambigu t qui ont t r tablis dans la rubrique sans la mention de leur appartenance une collection pr cise et avec la correspondance les journaux et les cahiers de Simone de Beauvoir La sous rubrique T moignage ne contient qu un seul titre Djamila Boupacha publi en 1962 en collaboration avec Gis le Halimi II y a donc une sorte d indiff renciation dans le genre des critures intimes qu on m lange avec les essais sans distinction adoptant plut t l ordre chronologique pour la classification Ce brouillage g n rique n est pas particulier aux ditions Gallimard puisque les pratiques dans l
40. espace autobiographique est constitu par l effet de relief obtenu par la lecture d un 172 texte autobiographique par rapport un texte de fiction Cette mise en relief suppose une autobiographie incompl te fragment e trou e et ouverte et une certaine ambigu t romanesque c est dire un texte o l auteur n a pas de rapport d identit avec le narrateur mais o le lecteur cherchera toujours deviner le premier travers le second De m me l effet de relief de l espace 170 C est en g n ral le sous titre roman qui remplit aujourd hui cette fonction sur la couverture noter que roman dans la terminologie actuelle implique pacte romanesque alors que r cit est lui ind termin et compatible avec un pacte autobiographique LPA p 232 Dans le cas des Mandarins le sous titre de roman est effectivement pr sent sur la couverture mais il y a de plus pratique patente de la non identit c est dire que le personnage ne porte pas le m me nom que l auteure ce qui est la seconde condition de l existence du pacte romanesque On appelle cart esth tique la distance entre l horizon d attente pr existant et l uvre nouvelle dont la r ception peut entra ner un changement d horizon en allant l encontre d exp riences famili res ou en faisant que d autres exp riences exprim es pour la premi re fois acc dent la conscience Hans Robert JAUSS Pou
41. essentiel et n cessaire de la libert que d tre situ e Cette compr hension de la situation ne peut que passer par une extr me proximit entre l crivain et le lecteur Sartre est formel ce sujet on n crit pas pour aspirer l universalit puisque l universel ne s adresse personne en particulier Pour que la libert du lecteur soit d voil e elle doit tre situ e dans une contingence pr cise que l crivain peut d crire expliquer d voiler en somme et prendre pour appui lors de la revendication Il n y a pas de libert donn e il faut se conqu rir sur les passions sur la race sur la classe sur la nation et conqu rir avec soi les autres hommes Le r sultat de cette connaissance intime du lecteur et de sa situation est la cr dibilit qu il met en jeu lorsqu il l exhorte l action cette derni re tant le but de tout engagement M me si la perception m me est une action si pour nous montrer le monde c est toujours le d voiler dans les perspectives d un changement possible alors dans cette poque de fatalisme nous avons r v ler au lecteur en chaque cas concret sa puissance de faire et de d faire bref d agir L engagement suppose toutefois un certain nombre de probl mes pour l crivain Parmi eux l un des plus importants serait celui du risque et de la responsabilit c est dire le fait de devoir assumer l effet d entra nement que peut
42. est d lib r ment un jeu dans le genre des crits intimes pour permettre a Beauvoir de formuler une critique sur le syst me de valeurs am ricain 3 1 2 intention autobiographique dans l uvre de Simone de Beauvoir Avant m me de faire une lecture de L Am rique au jour le jour qui attesterait la volont de Beauvoir de mettre en place une criture autobiographique qui aurait comme chez Leiris une valeur d action il nous faut encore une fois revenir a ce que Gusdorf appelait l intention programmatique de l auteur Bien que Gusdorf pr cise que toutes les critures du moi ne r pondent pas a une intention identique il en arrive d terminer pour chacune d entre elles une constante qui motive leur existence Toute criture du moi du fait m me qu elle s affirme la premi re personne implique express ment ou non une revendication un 13 Chez Leiris cette revendication est claire et r solument li e appel d tre l action politique Il resterait n anmoins cet engagement essentiel qu on est en droit d exiger de l crivain faire en sorte que sa parole de quelque Voir note 29 Georges GUSDORF Op cit p 250 196 197 79 mani re qu il s y prenne pour la transcrire sur papier soit toujours v rit Encore une fois et comme dans la pr face L Am rique au jour le jour le souci de la v rit vient ici transcender les pr occupations de l
43. femme qui est une blanche de Brooklyn et elle me dit que lorsqu elle se prom ne dans le quartier avec sa petite fille elle entend quotidiennement les r flexions les plus d sobligeantes Et d ailleurs tandis que nous cherchons un taxi des hommes jettent des coups d il hostiles sur ce noir entour de deux femmes blanches Le fait d tre ainsi confront e au racisme latent qui subsiste dans la soci t new yorkaise qui est pourtant l une des plus lib rales en Am rique la perturbe mais jamais autant que le fait d tre une femme blanche qui en compagnie d un homme noir se transforme aux yeux des autres Blancs en femme disponible voire m me en prostitu e Tandis que Wright prend des tickets d entr e la porte du Savoy deux marins nous interpellent Ellen et moi Cet incident videmment plonge Beauvoir dans un profond malaise et elle se dit g n e comme elle ne l a jamais t et ce m me si Wright remet tout en ordre AJJ p 343 AJJ p 54 AJJ p 55 28 Ibid 102 d un mot et d un sourire Tout ceci transforme chez Beauvoir la conscience du regard de l homme sur la femme blanche am ricaine particuli rement dans le cas o elle entretient une relation avec un homme noir ce qui est vivement condamn dans toutes les r gions de l Am rique Nous avons d montr plus haut comment la peur du m lange des sangs tait la base du maintien de la
44. histoire sociale et politique peuvent y avoir aussi une certaine place C est l question de proportion ou plut t de hi rarchie Dans le texte de Lejeune l adverbe principalement semble tre employ pour signifier la majeure partie du texte mais d un point de vue s mantique c est un adverbe qui veut dire avant toute chose ce qui n est pas la m me chose puisque la majeure partie du texte impliquerait une notion de quantit alors que avant toute chose vise l essence du texte on devrait donc dire l autobiographie est essentiellement un r cit elle est essentiellement r trospective elle fait essentiellement l histoire de la vie individuelle la gen se de la personnalit cette derni re affirmation disqualifiant d s lors L Am rique au jour le jour qui est avant toute chose le r cit d un voyage Le fait que Beauvoir affirme que L Am rique au jour le jour n est que le r cit de ses observations telles qu elles se sont pr sent es elle ou au fur et mesure qu elles se sont pr sent es ne nous permet pas non plus de d terminer si l essence du texte est constitu e par la personne qui voit ou par ce qui est vu Forc ment il y a une des deux caract ristiques qui devrait l emporter sur l autre et c est peut tre ici que p 152 note 22 note 68 39 l id e de hi rarchie chez Lejeune serait utile le probl me tant que cette hi
45. journal intime L criture journali re in vitablement myope grossit parfois l infime et n glige l essentiel n vitant pas les erreurs de perspective et les pi ges de l illusion dont est victime celui qui se trouve au ras du quotidien Dans le cas 7 LPA pp 81 82 7 Fran ois SIMONET TENANT Op Cit p 111 77 7 Ibid 78 Note suivant la premi re partie de Si le grain ne meurt a la suite d un reproche de Roger Martin Du Guard sur l insuffisance du t moignage de Gide 7 Fran oise SIMONET TENANT Op cit p 110 35 pr cis de Beauvoir il ne s agit pas d un probl me d aveuglement li sa proximit avec le r cit impossible dans la mesure o ce dernier est r trospectif mais peut tre d un exc s de pudeur motiv par le d nouement inattendu de sa relation avec Nelson Algren N anmoins Beauvoir lors de la r daction de La force des choses probablement consciente des failles que pr sente la chronologie de L Am rique au jour le jour se montre elle aussi assez lucide sur ce d faut des critures intimes Dans l interm de qui s pare les deux parties du livre elle affirme elle aussi qu un d faut des journaux intimes et des autobiographies c est que d ordinaire ce qui va sans dire n est pas dit et qu on manque l essentiel Il n est pas possible de dire d s lors si elle tait d j consciente en 1948 de ce qu elle observe en 1963 apr s avoir r dig
46. l Alg rie et le Cameroun 215 86 3 2 L engagement intellectuel dans L Am rique au jour le jour 3 2 1 Impressions de l Am rique et critique du consum risme Quand Beauvoir arrive New York au d but de son voyage ses contacts avec la population am ricaine sont presque limit s aux rendez vous qu on lui a arrang s la plupart du temps avec des intellectuels ou des gens qui gravitent dans le milieu de l dition et de l information Cet isolement aura pour cons quence de la pr server du moins au d but de la constatation des diff rentes in galit s qui s vissent dans les couches inf rieures de la population Le d but de L Am rique au jour le jour refl te ceci lorsque Beauvoir transcrit ses premi res impressions de l Am rique elle voque d abord le faste et la richesse d une cit qui contraste avec celle qu elle vient de quitter marqu e par la guerre et encore affect e par les longues ann es de disette et de rationnement Ainsi ses premi res promenades sont marqu es par l merveillement devant l abondance des denr es et leur accessibilit Les drug stores entre autres me fascinent tous les pr textes me sont bons pour m y arr ter ils r sument pour moi tout l exotisme am ricain Tous les objets ont un air de famille le m me brillant bon march la m me gaiet modeste J ach te savons cr mes brosses dents Ici les cr mes sont cr meuses les savons savo
47. la derni re partie de la d finition n est pas anodine si engagement intellectuel implique d tre de son temps c est que l engagement est n cessairement 34 Beno t DENIS Litt rature et engagement Paris ditions du Seuil coll Points Essais 2000 p 30 Notion que l on pourrait d finir comme l ensemble des pratiques li es l honneur et la reconnaissance par la collectivit Du fait que le capital symbolique n est pas autre chose que le capital conomique ou culturel lorsqu il est connu et reconnu lorsqu il est connu selon les cat gories de perception qu il impose les rapports de force symbolique tendent reproduire et renforcer les rapports de force qui constituent la structure de l espace social Pierre BOURDIEU Choses dites Paris Minuit 1987 p 160 19 situ dans une historicit pr cise qui menace par l obsolescence la parole de l crivain L venement fondateur d une litt rature engag e moderne est le m me v nement qui donna naissance au r le social de l intellectuel il s agit de l affaire Dreyfus et de la publication en 1898 du J accuse de Zola C est en effet lors de l affaire Dreyfus qu un ensemble d acteurs sociaux issus de milieux h t rog nes mais pas li s la politique se m lent pour la premi re fois d une affaire publique en tentant d veiller la conscience de la population R unis par une m me aisance manier d
48. la possibilit d tre engag l crivain doit disposer de la libert d criture tout comme son public doit partager la libert de se constituer comme destinataire de la litt rature engag e Ces deux positions sont interreli es le fait d tre conscient de sa propre libert supposant aussi d tre conscient de celle des autres Car puisque celui qui crit reconna t par le fait m me qu il se donne la peine d crire la libert de ses lecteurs et puisque celui qui lit du seul fait qu il ouvre le livre reconna t la libert de l crivain l uvre d art de quelque c t qu on la prenne est un acte de confiance dans la libert des hommes De ce fait cette infinie conscience de la libert le fait que la litt rature ne peut que t moigner de la libert de l crivain et de celle des lecteurs la transforme en sujet absolu de la litt rature engag e Ainsi qu il soit essayiste pamphl taire satiriste ou romancier qu il parle seulement de ses passions individuelles ou qu il s attaque au r gime de la soci t l crivain homme libre s adressant des hommes libres n a qu un seul sujet la libert La libert chez Sartre est donc performative puisque le fait qu elle se manifeste dans l criture suppose qu elle d voile aussi la libert du lecteur Ce dernier point est important et fondateur de l engagement en d voilant sa libert au lecteur l crivain enga
49. le jour pour la critique beauvoirienne repose d abord sur l insaisissabilit de sa forme Si l criture autobiographique est indissociable d un pan important de l uvre de Simone de Beauvoir le premier Simone de BEAUVOIR La force des choses Paris Gallimard coll Folio 1963 p 173 D sormais cit comme FDC suivi de la page Simone de BEAUVOIR L Am rique au jour le jour Paris Gallimard coll Folio 1997 1954 541 pages D sormais cit comme AJJ suivi de la page 3 Simone de BEAUVOIR Lettres Nelson Algren un amour transatlantique Paris Gallimard coll NRF 1997 p 33 D sormais cit comme LNA suivi de la page des r cits publi s v ritablement autobiographique ne para tra que dix ans apr s la publication de L Am rique au jour le jour M me si ce livre porte le titre g n rique de M moires d une jeune fille rang e il est probablement celui qui se rapproche le plus de l autobiographie au sens strict du terme Pourtant le journal de voyage am ricain n en demeure pas moins empreint du d sir de Beauvoir de raconter le monde travers le filtre de sa subjectivit C est un d sir qui l poque n a pas encore trouv sa voix formelle mais qui semble d j tre influenc par les crits d intellectuels proches de Beauvoir dont Maurice Merleau Ponty et Michel Leiris De plus L Am rique au jour le jour est une sorte de curiosit dans l entreprise aut
50. les trois premiers volumes de son autobiographie mais il demeure qu elle semble au fait d une certaine d faillance de son r cit qu elle tente de racheter par l authenticit dont elle se r clame dans la pr face du journal En g n ral les crivains qui choisissent l ext riorit de la publication d un journal intime n ont pas besoin de doubler celui ci des artifices d un contrat de lecture puisque l id e m me d un journal intime implique une certaine authenticit Beauvoir elle a eu besoin de doubler la publication de son journal am ricain d un pacte de lecture attestant de son authenticit puisqu elle sait que la chronologie qu elle propose n est pas exactement fid le au r cit et qu elle souhaite n anmoins que son t moignage ait de la cr dibilit Agn s Laure Sauvebelle note d ailleurs que Beauvoir a besoin d enregistrer scrupuleusement son pass pour le faire revivre mais ce n est pas son pass entier qu elle nous livre c est le r cit qu elle a choisi d en faire Dans un tel cas le m canisme autobiographique devient n cessaire dans la mesure o le r cit que Beauvoir fait de son voyage en Am rique n a finalement que l apparence d un journal intime et de ce fait est lire comme un trompe l il dont il s agit de d couvrir la v ritable composition EDC p 371 81 Agn s Laure SAUVEBELLE Op cit p 36 36 C est d abord le probl me de la te
51. lieu des pisodes o Beauvoir traite son agente litt raire de vieille horreur ou se moque affectueusement du caract re volage d Albert Camus Je viens de finir ma conf rence devant un parterre de jeunes filles rendre Camus fou Ces passages soigneusement conserv s par Sylvie Le Bon de Beauvoir viennent d montrer que les lettres n ont pas t dit es avantageusement pour l auteure et que Sylvie Le Bon de Beauvoir a plut t cherch pr server l authenticit qui tait ch re sa Beauvoir Or les Lettres ne disent pas tout en observant les diff rentes lettres on peut constater d s la fin du mois mars une nette diminution du volume de l criture de Beauvoir qui admet elle m me avoir perdu le go t d crire Alors maintenant j ai de nouveau le go t d crire sinon en d tail du moins en gros ce moment du voyage en Am rique Beauvoir visite le sud des tats Unis en autobus et elle se plaint r guli rement de ne pas avoir de nouvelles de son cher petit tre malgr le soin qu elle prend de lui envoyer les adresses o crire et o t l graphier L irr gularit de la r ception des lettres de Sartre est caus e par le voyage que celui ci effectue en Italie avec Dolor s Vanetti sa derni re ma tresse en titre une Am ricaine qui l poque s journe Paris avec lui Les lettres qui suivront celles du 28 mars cons quemment avec les propos de Beauvoir ser
52. litt raire autonome fonctionnant part de la soci t et en retrait de celle ci donnant lieu un cloisonnement herm tique entre la soci t et l activit artistique S instaure donc vers 1850 une vision de la litt rature qui a pris nom de modernit en vertu de laquelle l crivain refuse de se sentir redevable ou solidaire de la soci t g n rale cette position s assimilant peu ou prou celle de l art pour l art Cette premi re conjoncture aura pour effet de cr er un anti mod le de la litt rature engag e auquel elle pourra maintenant s opposer La seconde conjoncture est la naissance en France au moment de l affaire Dreyfus du r le social de l intellectuel qui viendra doubler celui de l crivain pendant un temps jusqu l apparition d intellectuels qui ne sont pas issus de la sph re litt raire Ainsi concurrenc s les crivains intellectuels devront trouver une nouvelle fa on d investir le discours politique Dans ces conditions il s agit pour l crivain de savoir comment la litt rature avec ses moyens sp cifiques peut 38 Beno t DENIS Op cit p 20 21 reconqu rir le terrain de la pr dication sociopolitique Elle ne peut le faire qu travers l engagement Cette conjoncture donnera naissance un nouveau type d crivain que Barthes nommera l crivain crivant celui qui au lieu de partir de la litt rature pour s adonner a la
53. matiques sont quasi absents dans L Am rique au jour le jour seule l entr e du 14 f vrier est doubl e d une indication situant le r cit Washington mais l auteure prend toujours soin de d tailler la localisation des v nements dans les premi res lignes du r cit quotidien Cette fa on de proc der n est pas trang re la conception de l espace qui sous tend le t moignage de Beauvoir que Fran oise Gabaude d crit comme tant le produit d une configuration sociale et g ographique cr ateur d une r alit qui ne peut atteindre l existence que dans cet espace donn Le lieu est donc tout la fois l endroit o se d roule l action mais aussi 6 AJJ p 9 57 Fran oise SIMONET TENANT Op cit p 44 e3 Fran ois GABAUDE Op cit p 5 32 le pr texte la naissance de situations rendues possibles par la pr sence de Beauvoir dans le lieu Cela fait il de L Am rique au jour le jour un journal intime pour autant Philippe Lejeune dans sa pr face l tude de Fran oise Simonet Tenant rappelle que le journal intime est une criture ordinaire la port e de tout un chacun qui vaut parce qu elle est en prise directe sur l instant et sans arri re pens e de s duction Agn s Laure Sauvebelle dans son commentaire des journaux de Simone de Beauvoir et d Ana s Nin fait la m me r flexion Un journal intime s crit chaque jour et de la r gularit m
54. me de cette action spontan e d coule son int r t Ces notions de valeur et d int r t du journal ici posent probl me puisqu on sait que le journal de voyage am ricain est r trospectif mais le caract re chronologique de L Am rique au jour le jour semble confirmer sa nature de journal en tant qu crit accroch au temps Le rythme de l criture est en effet d une r gularit surprenante si Beauvoir ne s adonne pas un r cit litt ralement au jour le jour elle interrompt rarement le r cit plus d une journ e La plupart des entr es se suivent quotidiennement et lorsqu une ou deux journ es s parent ces derni res l auteure s assure de faire un bilan des pisodes pr c dents pass s sous silence une exception pres la plus longue ellipse temporelle dans le r cit s chelonne du 19 au 24 avril ce qui pourrait s expliquer par une s rie de conf rences donn es aux m mes dates Dans le r cit du 24 avril Beauvoir fait mention d une conf rence qui aurait eu lieu le mardi Yale le 22 avril si la chronologie de Beauvoir est fid le au calendrier et d une autre Princeton qui aurait eu lieu la veille Elle n explique pas n cessairement la raison de son silence sur les jours pr c dents mais dans une lettre Nelson Algren dat e de la m me journ e elle dit tre revenue New York apr s une tourn e de Voir note 60 2 Agn s Laure SAUVEBELLE Les Am riques a
55. mode de l engagement intellectuel Cela ne veut pas dire qu il soit d pouill de tout discours critique le premier volume de l autobiographie beauvoirienne constitue une d nonciation virulente de l ducation religieuse et conservatrice du d but du XX si cle ducation qui touffe la libert des tres en devenir plus particuli rement celle des jeunes filles C est du moins un th me r current des M moires d une jeune fille rang e que Beauvoir d veloppe travers la description de sa perte de foi et de son initiation la philosophie de m me qu travers le r cit d chirant de la mort d Elizabeth us e par les volont s d une m re oppress e par le d sir de respecter les convenances Cependant bien que les premiers m moires de Beauvoir s ach vent sur l vocation de leur lutte commune contre un destin r solu d avance et une libert que Zaza n aura jamais atteinte le texte en lui m me n est pas d crit comme un exercice d criture engag e c est dire qu il ne comporte pas de discours r fl chi qui exposerait le caract re engag du livre Ceci s explique peut tre par le fait que les deux premiers volumes de l autobiographie beauvoirienne visent d abord t moigner de la formation de la personnalit de l auteure et m me si le fait de t moigner suppose une prise de 198 ee 2 gt 2 2 Nous employons ici le mot d clar pour t moigner du fait que malgr l absence d
56. moi sur la foi de tous ces rapports je m tais imagin e que les femmes d ici m tonneraient par leur ind pendance femme am ricaine femme libre ces mots me semblaient synonymes Le premier sympt me de cette fausse libert r side pour Beauvoir dans la toilette des femmes qu elle d crit comme violemment f minine presque sexuelle C est en effet l une des premi res observations qu elle fait lorsqu elle arrive New York Les femmes me surprennent Sur leurs cheveux soign s aux mises en plis impeccables elles supportent des parterres de fleurs des voli res la plupart des manteaux sont en vison les robes aux drap s compliqu s sont sem es de paillettes brillantes et orn es de lourds bijoux sans valeur et sans fantaisie Toutes sont chauss es de souliers aux talons tr s hauts et largement d coup s Beauvoir associe imm diatement ces toilettes une forme de servilit en formatant son apparence selon les standards exig s par le bon go t et le statut social la femme am ricaine se conforme un ensemble de st r otypes sociaux qui l obligent tenir son rang dans la soci t c est dire faire plus ou moins Simone de BEAUVOIR Le Deuxi me Sexe II Paris Gallimard coll Folio 1976 1949 p 449 D sormais cit comme LDS2 suivi de la page 274 AJJ p 453 27 Ibid 276 AJJ p 28 104 ce que l on attend d elle s
57. n cessairement li e l exercice de la libert et l engagement de l crivain Comme il s agit d un premier crit autobiographique l engagement formul ici par Beauvoir est timide presque sous entendu mais cela ne veut pas dire qu il n est pas intentionnel En effet puisque nous avons d termin que L Am rique au jour le jour tait aussi un l ment d un espace autobiographique beauvoirien qui n est peut tre pas r fl chi de mani re globalisante mais qui surgit de l analyse de l uvre dans son entier il faut aussi voir comment volue cette conception de l engagement politique dans le reste de Michel LEIRIS Op cit p 22 AJJ p 9 80 l uvre autobiographique pour comprendre comment il se dessine dans le journal de voyage am ricain Le premier volume d clar de l entreprise autobiographique beauvoirienne celui qui correspond le plus au genre de l autobiographie tel que d fini par Philippe Lejeune mais qui porte curieusement le titre g n rique de M moires d une jeune fille rang e n est toutefois pas plus explicite que L Am rique au jour le jour en ce qui concerne l utilisation des critures du moi comme engagement politique Il ne comporte pas de pr face qui viendrait expliquer les enjeux politiques du texte et le r cit en lui m me n est pas non plus truff de passages empreints d un discours politique et d nonciateur qui embrayeraient les M moires dans le
58. obstin ment poursuivis travers mes livres La deuxi me c est que l criture est toujours li e au d voilement du monde une formule que Beauvoir utilise dans L Am rique au jour le jour dans La force des choses et m me dans l pilogue a La force de l ge Ainsi chaque livre me jeta d sormais vers un livre nouveau parce que le monde s tait d voil moi comme d bordant tout ce que je pouvais en prouver conna tre et dire La troisi me quoique formul e de fa on plus implicite dans les deux premiers volumes de l autobiographie beauvoirienne c est la n cessit de l engagement de l crivain dans une soci t ravag e par la guerre Si modeste que soit ma contribution leurs luttes elle me donne l impression de mordre sur l histoire Dans ces constantes nous reconnaissons clairement les diff rents postulats de la notion sartrienne de l engagement C est donc dire que sans jamais formuler pr cis ment ce d sir d crire pour agir Beauvoir labore une po tique d autobiographe qui est fond e sur la notion d criture engag e FDC2 p 496 Simone de Beauvoir Tout compte fait Paris Gallimard coll Folio 1972 p 632 D sormais cit comme TCF suivi de la page 213 214 FDA p 694 FDC2 p 499 Beauvoir fait notamment r f rence aux pays qu elle a pu visiter gr ce ses activit s d intellectuelle engag e citant le Br sil Cuba le P rou
59. pratique mais elles viennent mourir aux lisi res de Harlem En utilisant le concept du p ch originel c est dire la faute originelle la base de la corruption de la nature humaine dont tout tre humain est porteur Beauvoir semble faire r f rence une sorte d essentialit de l identit blanche qui la conduit endosser pour elle m me le r le de l asservisseur Stuart Hall explique aussi cette essentialit en disant que les identit s sont pour ainsi dire les positions que le sujet est oblig de prendre alors qu il sait qu elles sont des repr sentations La notion d obligation est importante c est pr cis ment parce que Simone de Beauvoir se sait dans une situation o une action impos e par les circonstances appara t comme la seule possible et parce qu elle a la conscience de ces circonstances qu elle adopte le point de vue de l oppresseur malgr son discours tr s critique l gard des Blancs Ainsi le fait de d noncer le manque de courage des Blancs qui ne souhaitent pas la fraternit ne l emp che ni de se sentir suspecte ni de ressentir cette esp ce de raidissement que donne une mauvaise conscience Il faut dire que quelques jours plus t t lors de sa premi re promenade dans Harlem Beauvoir elle m me s tait tonn e de croiser des enfants qui n avaient pas l air dangereux et du fait que le district f t si calme qu il
60. que malgr les id es qui sous tendent l criture de Beauvoir c est d abord la charge affective que laisse transpara tre le texte qui lui importe Ainsi une semaine avant d achever la r daction du journal de voyage am ricain elle crit Nelson Algren chaque mot que j crivais je pensais a vous j avais l impression d licieuse que j essayais de parler de vous de mon amour pour vous chose aussi excitante que 137 LNA p 65 Ibid Beauvoir justifie son refus la demande en mariage que Nelson Algren lui a faite lors du deuxi me voyage Chicago dont elle revient tout juste 1 Selon Beauvoir elle m me dans Que peut la litt rature Pour moi il s agit d une activit qui est exerc e par des hommes pour des hommes en vue de leur d voiler le monde ce d voilement tant une action Simone de Beauvoir et al Que peut la litt rature Paris 10 18 1965 P 49 61 C est une conception de la litt rature qui reprend grosso modo le premier postulat de Qu est ce que la litt rature c est dire que la litt rature sert r v ler le monde pour contrer l ignorance des hommes 138 140 57 difficile Ce dernier passage fait cho celui de la lettre du 7 juin 1947 alors qu elle affirmait vouloir crire son Am rique comme une longue lettre adress e Nelson Algren Il y a bien s r quelque chose de l ordre de l criture intime dans cette adresse un interlocuteur co
61. r trospectif ce journal reconstitu l aide de quelques notes de lettres et de souvenirs tout frais est scrupuleusement exact Le choix de ce mot reconstitu n est pas anodin puisqu il implique dans chacune de ses acceptions une certaine authenticit Qu il soit question de reconstituer nouveau ce qui est disparu ou de reconstituer l aide d l ments pars ce qui existe d ja la reconstitution suppose une mati re premi re dont l historicit attest e suppose la v racit D embl e donc Beauvoir insiste sur cette v racit en affirmant l exactitude de son r cit Devant cette d claration d authenticit le lecteur pourrait tre enclin lire le journal reconstitu comme s il tait simplement journal c est dire issu d une criture cumulative li e au calendrier Comme L Am rique au jour le jour est un journal qui fait le r cit d un voyage il y a lieu de se demander s il s agit d un journal intime personnel ou d un journal de id AJJ pp 9 10 C est nous qui soulignons Informations lexicales puis es sur le Portail Lexical du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales http www cnrtl fr definition reconstitution consult le 8 f vrier 2011 Fran ois SIMONET TENANT Op cit p 113 31 voyage o la chronologie devient pr texte l observation des lieux et l exp rimentation de l espace De p
62. s gr gation dans le Sud mais m me dans une soci t tol rante la mixit semble tre un enjeu qui enflamme les passions Les blancs s ent tent croire et dire que les noirs convoitent les femmes blanches avec une lubricit de b tes sauvages ici encore ils ne font que camoufler une toute autre crainte ils ont peur que les femmes blanches ne soient bestialement attir es par les noirs Ce que Beauvoir rel ve dans la bestialit qui sous tendrait suppos ment le d sir de l homme noir pour la femme blanche c est la volont de diff rence que recherche le Blanc En assimilant le d sir sexuel des Noirs quelque chose de bestial le Blanc en vient construire une image de l homme noir qui est inhumaine presque animale qui renforce l image d un tre infra humain Ce genre de diff renciation contribue cr er des rapports qui s organisent autour de la dialectique nous et eux et renforcent ainsi la fausset des relations entre les Blancs et les Noirs Quand la femme blanche est soup onn e de c der la tentation de la bestialit de l homme noir elle est imm diatement d clar e persona non grata et consid r e comme une gueuse ce qui explique peut tre le fait que la cavali re d un homme noir sera naturellement trait e avec irr v rence par les hommes de sa race Dans Le Deuxi me Sexe Beauvoir r fl chira longuement sur le r le des h
63. s interroge rapidement sur la l gitimit de son activit d crivain J avais d cid d crire j ai crit d accord mais quoi pourquoi ces livres l rien que ceux l justement ceux la7 Ce passage nous permet d j d observer la n cessit pour Beauvoir de mettre son criture en situation de lui donner une motivation qui serait autre que le simple d sir de s exprimer Ainsi poursuit elle en ce sens inutile d avoir racont l histoire de ma vie d crivain si je n essaie pas de dire comment elle s est incarn e Ici le d sir de Beauvoir de rendre compte de ses actions est d ja clairement formul m me si elle n voque pas sp cifiquement la port e que peut avoir le fait de rendre compte de cette incarnation a travers le discours autobiographique M me si 199 ei sa 7 A r Beauvoir ira jusqu se rendre responsable de la mort de Zaza cause de cette qu te de libert Ensemble nous avions lutt contre le destin fangeux qui nous guettait et j ai pens longtemps que j avais pay ma libert de sa mort Les M moires d une jeune fille rang e Paris Gallimard coll Folio 1958 p 503 20 Simone de BEAUVOIR La force de l ge Paris Gallimard coll Folio 1960 p 12 D sormais cit comme LFA suivi de la page 2 Ibid 202 Ibid 82 Beauvoir a d ja pu prouver en 1960 qu elle prenait a coeur le fait d engager son
64. suivre Comme une exp rience concr te enveloppe la fois le sujet et l objet je n ai pas cherch a m liminer de ce r cit il ne saurait tre vrai qu en tenant compte des circonstances singuli res personnelles o chaque d couverte s est effectu e l image de l impasse cr e par les notions de proportion et hi rarchie de Philippe Lejeune Beauvoir semble ici consid rer avec une importance quivalente l objet de son r cit et le sujet de son t moignage Par contre d un point de vue programmatique la r daction de L Am rique au jour le jour semble d abord avoir t motiv e par le d sir de t moigner de l Am rique telle qu elle l a vue Ici l emploi de l expression t moignage fid le n est pas anodin puisque le fait de t moigner implique une notion d authenticit plut t explicite En effet t moigner c est d abord attester ou donner des preuves tangibles de la r alit de la v rit ou de la v racit d une choset c est dire faire le r cit d une situation de fa on strictement exacte Les termes r alit v rit et v racit semblent ici s accorder avec l ambition de Beauvoir de faire un livre dont la valeur r siderait dans la v rit une notion qui rel ve de l criture intime mais pas n cessairement de 107 AJJ p 9 Informations lexicales puis es sur le Portail Lexical du Centre National de Ressources Textuelles et Lex
65. une certaine latitude est laiss e au classificateur dans l examen des cas particuliers l ext rieur de la communaut d identit onomastique entre l auteur le narrateur et le personnage qui est affaire de tout ou rien il n existe pas de structure rigide qui permettrait de juger formellement du caract re autobiographique d un r cit Cela tant dans la mesure o l adverbe employ par Philippe Lejeune principalement semble tre utilis de fa on quantitative on suppose qu il existe un certain nombre de facteurs mesurables permettant d arriver a une certaine vidence math matique qui ferait pencher la balance du c t du genre autobiographique C est du moins ce que laisse entendre Philippe Lejeune en disant qu il s agit l d une question de proportion Or la diff rence de certaines constituantes litt raires qui peuvent tre mesur es de fa on syst matique la narrativit d un r cit son caract re r trospectif et sa focalisation sur l histoire de la personnalit de l auteur sont des variables assez fuyantes qui peuvent se modifier au fil de l histoire et qui n ont pas de points d analyse fixes l ext rieur des d ictiques qui embrayent le texte dans le discours signifiant d s lors la fin de sa narrativit Dans ce cas comment mesurer les proportions r elles de ces param tres Dans les faits et c est peut tre dans cette optique que Lejeune se ravise en parlant fina
66. 1 12 7 Ibid 41 d voiler D ordinaire le sujet observant engloutit l objet observ pour le rendre intelligible mais aujourd hui c est l objet observ qui performera son propre d voilement videmment parce que d voiler c est rendre accessible aux regards une chose jusque l cach e c est une action qui implique la pr sence de la subjectivit mais elle est ici rel gu e la passivit New York prend toute la place Cela tant cette constatation ne suffit pas d terminer une hi rarchie pr cise dans le contenu de L Am rique au jour le jour Les notions de sujet observant et d objet observ semblent constamment oppos es mais sans vraiment se subordonner l une l autre Elles ne s ordonnent pas selon une hi rarchie distincte et observable Si l on s attarde plut t la notion de proportion de Philippe Lejeune nous nous retrouvons dans la m me impasse dans la seule premi re entr e de L Am rique au jour le jour nous avons recens quarante cinq occurrences du pronom je cinquante cinq en comptant les reprises pronominales par le me ou le moi contre quatorze occurrences du mot New York sept du mot Am rique et trois de Boston En comptant les d ictiques temporels deux occurrences du mot ici les d nominations que peut utiliser Beauvoir pour parler de New York ou de l Am rique ce continent ce monde ou cette v
67. 8 427 pages Jacques LECARME et Eliane LECARME TABONE L autobiographie Paris coll U dition Armand Colin 1997 Michel LEIRIS L ge d homme Paris Gallimard coll Folio 1939 214 pages Philippe LEJEUNE Le pacte autobiographique Paris Seuil coll Po tique 1975 386 pages Signes de vie Le pacte autobiographique 2 Paris Seuil 2005 273 pages 118 Philippe LEJEUNE et Christine BOGAERT Un journal soi histoire d une pratique Paris coll Textuel 2003 215 pages C line L ON Conf rences de Simone de Beauvoir aux tats Unis 28 janvier 8 mai 1947 Simone de Beauvoir Studies vol 19 no 1 2002 p 87 101 Fran ois MAURIAC Commencements d une vie in crits intimes Gen ve Paris La Palatine 1953 247 pages Maurice MERLEAU PONTY Ph nom nologie de la perception Paris Gallimard coll Biblioth que des id es 1945 531 pages Lori Jo MARSO et Patricia MOYNAGH Simone de Beauvoir s Political Thinking Urbana University of Illinois Press 2006 139 pages Toril MOI Meaning What We Say The Politics of Theory and the Responsibility of Intellectuals GROSHOLZ Emily R dir et pr face The Legacy of Simone de Beauvoir Oxford Clarendon 2004 p 139 160 Claudine MONTEIL Simone de Beauvoir modernit et engagement Paris Harmattan coll Espaces litt raires 2009 271 pages Gunnar MYRDAL An American Dilemma the Negro Proble
68. AJJ p 118 AJJ p 453 28 Ibid 284 106 valeur uniquement dans la vie de couple Beauvoir remarque n anmoins que cette attitude ressemble celle des jeunes hommes am ricains qu elle disait d sint ress s de l avenir mais elle a un effet plus pervers qui est de condamner la femme une mancipation qui ne passe que par l homme Or le fait que la femme doive s affranchir de l homme par son autonomie financi re et sociale c est l l une des deux grandes conclusions auxquelles arrive Simone de Beauvoir dans Le Deuxi me Sexe On peut comprendre que devant une g n ration de femmes qui ne cherchent m me pas essayer l auteure se soit sentie d munie Et on peut aussi supposer que ces femmes ont jou un r le dans la r flexion que proposera Beauvoir dans Le Deuxi me sexe deux ans apr s son voyage en Am rique 3 3 Au del de la critique pistes de solution Malgr les discours politiques qui traversent le texte la pr sence en filigrane d un sous texte revendicateur et militant n est cependant pas n cessairement au c ur de L Am rique au jour le jour Le livre demeure en effet un t moignage mi chemin entre l autobiographie les M moires le journal intime et l essai et en sa qualit de t moignage c est dire le fait de confirmer la v racit de ce que l on a vu entendu per u v cu les critiques que formule Beauvoir la fois l gard du capitalisme am ricai
69. Sartre Dans une certaine mesure ces informations d voilent nouveau certaines adaptations qui l image des adaptations temporelles analys e plus haut mettent mal la scrupuleuse exactitude que Beauvoir revendique dans la pr face L Am rique au jour le jour Malgr tout l utilisation des Lettres Sartre comme principal mat riel de L Am rique au jour le jour demeure d une richesse certaine dans la recherche du genre du journal de voyage am ricain puisque selon Sartre l criture de lettres rel ve de la transcription imm diate de la vie d un travail spontan Il y a donc dans l imm diatet dont t moigne Sartre une certaine prise directe sur l instant qui se rapproche de ce que devrait tre un journal intime De m me selon Gusdorf la correspondance est une criture qui rel ve ind niablement de l intime L criture de la lettre suscite un d centrement un changement de la perspective de soi sur soi en vue de l exposition l autre C est pourquoi les correspondances lorsqu elles consacrent l engagement pl nier de deux individualit s peuvent atteindre une intimit d une extr me richesse Ainsi donc la pr sence en filigrane des Lettres Sartre donne assur ment L Am rique 159 ne A r soe Fi PN Propos recueillis par Simone de Beauvoir dans La c r monie des adieux suivi de Entretiens avec Jean Paul Sartre Ao t Septembre 1974 Paris Gallimard
70. Universit de Montr al Autobiographie et engagement l ambigu t du genre et le discours politique de L Am rique au jour le jour comme laboratoire scripturaire dans l uvre de Simone de Beauvoir par Kim Raymond D partement des Litt ratures de langue fran aise Facult des Arts et Sciences M moire pr sent la Facult des Arts et Sciences en vue de l obtention du grade de Maitre Es Arts en Litt ratures de langue fran aise Novembre 2011 Kim Raymond 2011 Universit de Montr al Facult des Arts et Sciences Ce m moire intitul Autobiographie et engagement l ambiguit du genre et le discours politique de L Am rique au jour le jour comme laboratoire scripturaire dans l uvre de Simone de Beauvoir pr sent par Kim Raymond a t valu par un jury compos des personnes suivantes Catherine Mavrikakis pr sident rapporteur Andrea Oberhuber directrice de recherche Michel Pierssens membre du jury R sum L objet de ce m moire est d explorer le lien troit qui existe entre la pratique de l autobiographie et l criture comme forme d engagement dans l uvre de Simone de Beauvoir gr ce une analyse du genre ambigu de L Am rique au jour le jour et des discours politiques qu il renferme Bien que L Am rique au jour le jour constitue le corpus principal de ce m moire nous utiliserons aussi des textes contemporains la r daction du journal
71. a pratique autobiographique et scripturaire de Simone de Beauvoir ainsi que dans son engagement Mots cl s Simone de Beauvoir autobiographie r cits de soi po tique des genres engagement intellectuel litt rature engag e Abstract The main purpose of this master thesis is to explore the intimate connexion between the practice of autobiography and writing as a form of engagement in the work of Simone de Beauvoir through an analysis of the ambiguous genre in America Day By Day and the political views that the book puts forward Although America Day By Day is the basic corpus of this thesis other texts contemporary to the American travel log will also be used to guide our generic classification including Letters to Nelson Algren Letters to Sartre and The Mandarins and the volumes of Beauvoir s autobiography that deal with the post war period even if they were written after the American travel log Using concepts from genre theory including issues such as hierarchy proportion intent and program and the ethical commitment of the writer as defined in the Satrean concept of engagement we will attempt to demonstrate that the generic ambiguity of America Day By Day is a deliberate action by the author aiming to jeopardize her symbolic capital therefore ensuring the credibility of her intellectual engagement Once the concepts above have been defined the second chapter of our paper will focus on exploring all facets of genre ambigui
72. anger de l crivain est d ailleurs une cons quence attest e de l criture autobiographique Gusdorf dans Lignes de vie formulait une observation semblable sur le p ril de l criture L criture du moi parce qu elle pr tend entrer dans le vif du sujet est une criture au p ril de la vie Le plein emploi du journal intime ou de l autobiographie voque une vigilance vitale l criture vif met en question celui qui crit Dans cette mise en danger de soi l crivain aspire ensuite mettre en lumi re certaines choses pour lui en m me temps qu il les rend communicables autrui une intention qui se rapproche aussi de l engagement sartrien dans la mesure o communiquer autrui des choses qui se sont d voil es notre conscience c est pr cis ment d voiler le monde au sens sartrien du terme Finalement ce d voilement du monde doit aussi servir remettre en question l ordre social pour assurer un monde juste pour tous les hommes Il resterait qu il faut l crivain apporter des pi ces conviction au proc s de notre actuel syst me de valeurs et peser de tout le poids dont il est si souvent oppress dans le sens de l affranchissement de 133 Ici la conception leirisienne de l autobiographie est tous les hommes limpide parce qu elle exige de l auteur une sinc rit absolue qui le met en danger l autobiographie accorde
73. ans jamais d passer les balises impos es par le syst me En acceptant de suivre une mode qui la contraint l l gance la femme acquiesce tacitement au r le secondaire de parure qu on veut lui faire jouer II s agit pour Beauvoir d un frein vident leur libert Dans la rue par ce jour d hiver je mwai pas rencontr une femme aux souliers plats aucune n avait l allure libre et sportive que je pr tais aux Am ricaines toutes sont v tues de soie et non de lainage elles sont couvertes de plumes de voilettes de fleurs de falbalas La critique de Beauvoir n est pas voil e du tout en portant des tenues qui vont l encontre de tout sens pratique parce qu elles ne sont pas adapt es la temp rature ext rieure et aux activit s des femmes la femme am ricaine consent n tre qu un objet d coratif dont le r le social n est pas n cessaire la soci t Cette passivit donne naissance un autre probl me li la condition de la femme am ricaine l absence ou la faible importance de son d sir d mancipation M me si Beauvoir admet le fait que la femme am ricaine m prise la Fran aise en raison du rapport de force qui existe encore dans les relations de couple elle d plore que le fait d afficher un certain d sir d galit ne la conduise pas d passer sa condition pourtant similaire de femme au foyer Que les Am ricaines ne soient pas vraiment sur un
74. ature Or et c est peut tre la la faillite de L Am rique au jour le jour c est que m me si l on per oit le caract re inadmissible de la situation d crite par Beauvoir et que la critique qu elle en fait est on ne peut plus franche l auteure n arrive pas la d passer pour proposer une solution M me si cette solution a exist puisque les Noirs ont fini par obtenir l galit constitutionnelle la suite du Civil Rights Act 2 Aristote Parties des animaux Livre ll Chapitre 1 Texte int gral en ligne consult le 20 septembre 2011 264 AJJ pp 336 337 101 de 1964 il est vident que le statut d observatrice de Beauvoir ne lui permet pas de changer les choses Ainsi se contente elle de conclure que le probl me noir c est l un des probl mes auxquels l Am rique quels que soient les buts qu elle se propose ait faire face 3 2 3 Retour New York et critique de la femme am ricaine Cela tant il n est pas anodin que la critique que Beauvoir fasse de la condition des Noirs am ricains soit en partie focalis e sur la fa on dont s organisent les Blancs pour viter le mariage mixte La conscience qu elle a de cette r alit est aiguis e par le fait que son ami Richard Wright est mari a une femme blanche et par le fait qu elle a pu exp rimenter les situations conflictuelles suscit es par le mariage mixte lors des sorties avec les Wright Wright habite Greenwich avec sa
75. aura de petites am liorations apporter mais elles attendront la dactylographie car me relire en manuscrit un manuscrit de ma main est une preuve m me pour moi S il ne semble pas y avoir de conceptualisation g n rique pouss e derri re la fa on dont Beauvoir qualifie son texte il y a assur ment dans les diff rentes d nominations de L Am rique au jour le jour un mot qui d tonne que Beauvoir n emploie qu une seule fois dans sa lettre a Nelson Algren dat e du 25 novembre 1947 J ai dormi neuf heures plus deux au milieu de la journ e r dig une pr face pour mon recueil d articles relu tout mon factum sur Am rique et attaqu la derni re partie sept heures de travail environ aujourd hui ce n est pas malt Ce mot factum a une certaine dimension g n rique puisque dans un sens vieilli il signifie r cit de l une des parties destin aux juges exposant sommairement les faits d un proc s ou m moire exposant les d tails d un proc s reproduit en plusieurs exemplaires Bien qu elle soit cependant r serv e un usage juridique c est une acception du terme qui traduit l id e qui animait Beauvoir lors de la r daction du r cit c est dire rendre compte d informations factuelles le mot factum tant le substantif latin pour fait avec un grand souci de transparence C est aussi un mot qui est utilis comme synonyme du terme m moire au masculin
76. autobiographie Livre impr vu ou spontan Les diff rents crits intimes laiss s par Simone de Beauvoir ne permettent pas vraiment de savoir ce qui une fois de retour Paris a r ellement motiv la r daction de L Am rique au jour le jour mais la pr face qu elle adjoint la premi re dition de l uvre laisse entendre qu elle veut faire de ce livre un t moignage lucide de l exp rience am ricaine d un point de vue existentialiste R dig partir d agendas et de lettres qu elle avait fait parvenir Jean Paul Sartre L Am rique au jour le jour n est pas le r cit chronologique du premier voyage de Beauvoir en Am rique c est plut t le r cit amalgam des voyages aux tats Unis de janvier avril et de septembre et octobre 1947 Ainsi reconstitu le journal de voyage perd un peu de la v rit laquelle Beauvoir aspirait lorsque dans une lettre a Nelson Algren elle notait Or un livre de ce genre n a d int r t que par sa valeur de v rit Je m efforce de le faire vrai et parler de l Am rique c est parler de tout un ventail d Am ricains mais il n en est pas moins dans l uvre beauvoirienne un laboratoire important de la po tique de la mise en r cit du soi qui lui permettra aussi de rendre compte de ses aspirations et de ses valeurs t moignant ainsi de son engagement titre d intellectuelle dans la cit L int r t que repr sente L Am rique au jour
77. c situ au sens sartrien du terme ce qui correspond grosso modo au processus d engagement tel que d fini par Sartre Pour Benoit Denis cette globalisation de l criture passe aussi par le risque qu encourt l crivain en s tablissant comme fondateur de la vision du monde dont l crit est l objet L crivain se risque tout entier dans son texte en ancrant ses prises de position dans le concret d un rapport au monde personnel et situ Ainsi se donne voir cette pr sence totale de l auteur l criture qui est la condition premi re de l engagement De ce fait et m me si Beno t Denis ne mentionne pas un genre sp cifique quand il parle de cet investissement de l auteur dans son crit il expose n anmoins les conditions de l engagement qui peuvent toutes tre assur es par la litt rature de l intime C est d ailleurs pourquoi nous explorerons cette id e d autobiographie comme criture engag e chez Michel Leiris dans la pr face qu il crit L Age d homme il r fl chit ces conditions de l engagement en regard de l autobiographie et le fait qu il est un contemporain de Sartre et Beauvoir nous laisse croire que les conclusions auxquelles il arrive ont pu valoir aussi pour ses proches De plus en essayant de d montrer comment l autobiographie peut tre par essence engagement selon Leiris nous souhaitons 184 Beno t DENIS Litt rature et engagement de Pascal Sartre
78. constate aussi ce genre de neutralit l gard des autochtones du Far West attribuant derechef cette neutralit leur primaut sur le territoire et leur absence d importance d mographique On n a pas leur gard la m me hostilit que suscitent les noirs ils sont les descendants de peuplades qui n ont jamais connu l esclavage et surtout ni par leur nombre ni par leurs ambitions ou leur vitalit ils ne repr sentent un danger racial Ici l analyse de Beauvoir semble proc der par na vet s il est vrai qu il n existe pas de pers cutions raciales l gard des Am rindiens c est justement parce que leur faible repr sentation d mographique est le produit d un syst me d assimilation institutionnalis et complexe qui les a conduits vivre dans des r serves un mode de vie que l auteure elle m me compare celle d animaux bien soign s dans un parc d acclimatation L absence d hostilit donc ne r sulte pas n cessairement de l ouverture des AJJ p 52 AJJ p 134 AJJ p 158 AJJ p 263 26 Ibid 247 248 95 Am ricains ils ne ressentent pas le besoin d opprimer les Am rindiens puisque le gouvernement se charge de les maintenir distance et de r primer la menace qu ils pourraient repr senter pour l ordre public N anmoins nous comprenons pour l essentiel que la population am ricaine ne manifeste pas ouvertement d agressivit en
79. contrainte d avouer sous la torture apr s avoir t viol e et emprisonn e Ce qui demeure ind niable n anmoins c est que le statut particulier de srique au jou jou vi i u us avi ul L Am rique au jour le jour met en vidence ce lien que nous avions postul entre l criture autobiographique et l engagement intellectuel Le paradoxe voqu au d but de ce chapitre n tait qu apparent il s av re plut t que la litt rature de l intime est le lieu id al de l engagement en raison de la mise en danger que suppose le d voilement de soi De m me parce que le journal de voyage am ricain est une forme d essai de prototype dans l uvre beauvoirienne c est vraiment dans sa qualit de t moignage qu il rec le son engagement en s tablissant en tant que t moin Beauvoir prend en charge la prise de conscience n cessaire engagement la fois pour elle mais aussi pour le lecteur Le discours politique de L Am rique au jour le jour est donc r solument li sa subjectivit Alors qu elle commence tout juste explorer le r le d intellectuel dans la cit que supposent ses activit s d crivain engag les critiques que Beauvoir formule dans le journal de voyage am ricain sont toutes formul es par le biais de sa subjectivit c est elle qui voit qui entend qui sert d interm diaire entre le r el et la situation expliqu e sur papier La m diation qui s effectue ainsi entre l au
80. de voyage am ricain pour guider notre classification g n rique dont les Lettres Nelson Algren les Lettres Sartre et Les Mandarins ainsi que les volumes de l ensemble autobiographique beauvoirien qui portent sur l apr s guerre m me si ceux ci sont post rieurs la r daction du journal l aide de concepts issus de la po tique des genres comme les questions de hi rarchie de proportion d intention et de programme et de l thique de l engagement de l crivain telle que d finie par la notion sartrienne de l engagement nous tenterons de d montrer que l ambigu t g n rique de L Am rique au jour le jour rel ve d une action d lib r e de l auteure visant a mettre en p ril son capital symbolique pour assurer la cr dibilit de son engagement intellectuel Une fois les concepts pr cit s d finis le deuxi me chapitre de notre m moire s attardera a explorer toutes les facettes de l ambigu t g n rique du journal am ricain alors que le troisi me chapitre d montrera le lien entre les critures intimes et l engagement tout en explorant les formes que prend l engagement dans le livre Pour ce faire nous analyserons trois discours politiques tenus par Beauvoir dans son uvre la critique du consum risme am ricain la critique de la condition des Noirs et la critique de la femme am ricaine Nous conclurons notre m moire en d montrant que L Am rique au jour le jour est devenu une sorte de matrice dans l
81. des les plus nombreuses au demeurant s attardent surtout l imaginaire du mythe de l am ricanit et sa pr gnance dans le r cit de Simone de Beauvoir Cette incursion de la g ocritique dans le panorama critique au sujet de L Am rique au jour le jour n est pas d nu de sens travaillant d un m me souffle le caract re autobiographique du r cit ce que Fran oise Gabaude appelle repr senter sa pratique personnelle du lieu dans Une voyageuse derri re la vitre Simone de Beauvoir en Am rique et la repr sentation de l espace par Beauvoir par les concepts du r dage de la culpabilit et de la surface la g ocritique permet aussi de s attarder inscription d un sujet crivant et agissant dans le r cit Ce dernier concept n est 8 Pour un morale de l ambiguit paru en 1947 et Le Deuxi me sexe publi en 1949 Le terme est propos par Bertrand Westphal qui s inspire des travaux sur la repr sentation de l espace de Michel de Certeau Michel Foucault et Henri Lef bvre Dans son manifeste Pour une approche g ocritique des textes Bertrand Westphal d finit successivement la g ocritique comme l tude des espaces humains appr hend s dans leur globalit comme l ensemble des interactions entre espaces humains et litt rature puis comme l tude non pas seulement d une relation unilat rale espace litt rature mais d une v ritable dialectique espac
82. e ci est immanente en ce sens qu elle surgit du simple fait d tre noir la seconde est que cette identit se construit dans un rapport d opposition fond sur une lutte de pouvoir Le concept que Sartre dans Orph e noir appelle d chirure originelle en mentionnant qu il s agit de l ali nation qu une pens e trang re impose aux Noirs sous le nom d assimilation sera r cup r par les penseurs des identit s culturelles qui le concevront comme le point focal de l identit noire En effet dans le texte qui sert d introduction Questions of Cultural Identity Stuart Hall d montre clairement comment ce rapport d opposition d termine l identit Les identit s apparaissent en outre dans le jeu des modalit s de pouvoir et sont donc davantage le produit de la diff rence et de l exclusion Par leur capacit exclure mettre l cart rendre ext rieur les identit s peuvent fonctionner au gr de leur parcours comme des points d identification et d attache Stuart Hall voque galement la conception derridienne de l identit qui fonctionne aussi comme la r duction d un terme inf rieur un terme sup rieur Derrida a montr que la constitution de l identit est toujours bas e sur une exclusion et sur l tablissement d une hi rarchie violente entre les deux p les r sultants Ce qui est propre au second terme est alors r duit la fonction
83. e quivalence entre les deux variables de l exp rience v cue La deuxi me mention par Beauvoir d une conceptualisation intellectuelle du livre qu elle est en train d crire a lieu dans la lettre du 26 septembre 1947 alors qu elle indique Nelson Algren qu elle crit pour communiquer aux gens la mani re de penser qui est la sienne et qu elle croit tre vraie Plus loin elle ajoute qu elle ne pourrait renoncer travailler et crire dans le seul lieu du monde o ses livres et son travail ont un sens M me si l poque le texte qui la d finit est tr s r cent Beauvoir met d j en application les conditions qui d terminent le travail de l crivain engag selon la notion sartrienne de l engagement Pour Beauvoir crire c est d voiler le monde ce qu elle fait en transmettant sa mani re de penser par la litt rature Mais selon ce qu elle crit Nelson Algren crire c est aussi situer son action en tant qu auteure dans un contexte o elle s adresse ses contemporains ce qui reprend le troisi me postulat de Qu est ce que la litt rature c est dire la n cessit pour l auteur de viser la complicit avec le lecteur avant l universalit Au final ces conceptualisations intellectuelles et philosophiques de L Am rique au jour le jour ne donnent pas n cessairement plus d informations sur une potentielle conceptualisation g n rique du r cit C est
84. e examin e plus haut et celle de Gusdorf c est que l importance accord e l un ou l autre de ces sujets n est pas op r e par un choix structurel la quantification du contenu comme chez Lejeune elle proc de plut t d un parti pris de l auteur qui doit tre explicit dans le texte C est ici que la notion de programme qui vient doubler celle d intention nonc e au d part est int ressante pour comprendre ce que le lecteur recherche dans l intention de l auteur en effet selon le Portail Lexical du Centre National de Ressources Textuelles et Linguistiques le programme c est l ensemble des actions qu on se propose d accomplir dans un but d termin mais aussi l expos g n ral des intentions et des objectifs li s ces actions C est m me dans une acception r serv e aux beaux arts l ensemble des conditions remplir des contraintes respecter dans l ex cution d une uvre Ici la d finition de programme recoupe par circularit celle du manifeste tel qu envisag en litt rature c est dire la d claration crite dans laquelle un artiste ou un groupe d artistes expose une conception ou un programme artistique Ces d finitions se rejoignent parce qu elles reposent sur une id e de pr m ditation d action d lib r e et r fl chie puis expos e post riori la diff rence de la proportion ou de la hi rarchie ce n est donc pas une notion
85. e Chicago et qu elle a t mue de la gentillesse des gens tout partout C est finalement dans sa lettre du 8 mai qu elle mentionne une derni re fois Algren mentionnant que le type qu elle aimait bien Chicago la supplie de revenir et qu elle pense que ce sera bien Dans les faits ce second s jour Chicago a d j eu lieu et c est la visite d Algren New York qu elle attend Puis plus rien puisque Beauvoir ne reprend pas la plume l adresse de Sartre avant l ann e suivante Les d tails de la relation entre Algren et Beauvoir sont pass s sous silence un fait inusit dans le pacte d amour qui unissait les deux crivains encore plus inusit quand on conna t la translucidit que Lanzmann pr te a Beauvoir Au sujet des trois jours qu elle passe Chicago Beauvoir crit avoir travaill beaucoup et vu des gens pour des articles une description plut t avare de d tails pour une femme qui une semaine plus t t renouvelait son d sir de d crire chaque v nement avec minutie je sais que chaque mot est lourd de souvenirs et de sens pour vous et que s rement travers ces num rations vous reconnaissez la fi vre et l merveillement de la vie ici Manifestement il y a pour une fois une certaine r serve dans ce que Beauvoir livre Sartre une r serve qui peut s expliquer parce que chacun d entre eux est en train de vivre
86. e Deuxi me Sexe II Paris Gallimard coll Folio Essais 1949 1976 664 pages Simone de BEAUVOIR et al Que peut la litt rature Paris Union g n rale d ditions coll 10 18 1965 127 pages H l ne BENBARUK Beauvoir in America Beauvoir en Am rique Institut Simone de Beauvoir Institute Review Revue no 18 19 2000 p 129 136 Pierre BOURDIEU Choses dites Paris Minuit 1987 229 pages Jacques DEGUY et Sylvie LE BON DE BEAUVOIR Simone de Beauvoir crire la libert Paris Gallimard coll D couverte Gallimard 2008 127 pages Beno t DENIS Litt rature et engagement de Pascal Sartre Paris Seuil coll Points Essais 2000 316 pages Florence GABAUDE Une Voyageuse derri re la vitre Simone de Beauvoir en Am rique Women in French Studies vol 5 no 2 Hiver 1997 p 5 18 Georges GUSDORF Lignes de vie Les critures du moi vol 1 Auto bio graphie vol 2 Paris Odile Jacob 1991 430 et 370 pages HALL Stuart et Paul DuGay Questions of Cultural Identity London Sage Publications 1996 198 pages HALL Stuart dentit et culture politiques des cultural studies Paris ditions Amsterdam 2008 411 pages Hans Robert JAUSS Pour une esth tique de la r ception Paris Gallimard coll NRF 1978 305 pages Jean Louis JEANNELLE crire ses m moires au XXe si cle D clin et renouveau Paris Gallimard Biblioth que des id es coll NRF 200
87. e au jour le jour et l espace autobiographique DSU VOI efisen ess nee nn dead ets roi 68 2 5 L autobiographie comme mode de lecture plut t que COMME genre cccesesscessesssecesssecesseecesscesesessneceseeecesseeceeeescenes 71 Chapitre 3 L Am rique au jour le jour et le discours politique 05 74 3 1 L autobiographie et engagement ccseeeeecseeeeees 74 3 1 1 L autobiographie comme forme d engagement chez les crivains existentialistes 0 0 eseceeceecteceeceeeeees 74 3 1 2 L intention autobiographique dans l uvre de Simone de Beauvoir inerte 78 3 2 L engagement intellectuel dans L Am rique au jour 3 2 1 Impressions de l Am rique et critique du CONSUM FISME nn ie nine 86 3 2 2 Travers e du continent et critique de la condition des Noirs AMS riICAIN ses idnen nt nent 90 3 2 3 Retour New York et critique de la femme SALE ARR ER TE aes ewes 101 3 3 Au del de la critique pistes de solution c eee 106 Concl sion 2 2riunts imminent lin initi s 109 BIBIOGB ADRIAN een 116 Liste des sigles vii Dans le pr sent m moire seront utilis s pour les uvres de Simone de Beauvoir les sigles suivants AJJ L Am rique au jour le jour FDA La force de l ge FDC La force des choses FDC2 La force des choses 2 LDS Le Deuxi me Sexe LDS2 Le Deuxi me Sexe 2 LAS Lettres Sartre LNA Lettres Nelson Algren Et p
88. e consacrera sa vie est d j pr sent dans le journal am ricain Elle voque une parent certaine entre les tares attribu es aux Noirs et ce qu elle appelle les poncifs de l oppression Je remarque en marge de Myrdal qu il est frappant de retrouver ces poncifs dans la bouche de tous les oppresseurs propos de tous les opprim s noirs d Afrique Arabes Indochinois Indous Indiens tels que les voyaient les conquistadors espagnols ouvriers blancs du temps o la classe ouvri re tait sans d fense ces d fauts raciaux sont curieusement universels D j dans L Am rique au jour le jour la r flexion de Beauvoir passe du particulier la condition des Noirs a l universel l oppression et elle d fendit ensuite les 287 AJJ p 332 288 289 290 113 opprim s en toute coh rence avec la r alit dont elle prend conscience dans le sud des tats Unis Une autre des preuves du caract re matriciel du journal am ricain dans l uvre de Simone de Beauvoir c est l importance que ce dernier aura dans l criture du Deuxi me sexe l essai qui est encore aujourd hui consid r comme l uvre majeure de l auteure L tude sur la femme dont la r daction est provisoirement abandonn e lors du voyage en Am rique b n ficie grandement des observations que Beauvoir fera sur la soci t am ricaine et pas seulement de celles qui touchent la condition des femmes En effet Beauv
89. e de ses plus vieilles acceptions d crit l action de laisser une trace action qui se rapproche sensiblement du d sir de m moire que supposent aussi les critures du moi Ainsi la fid lit de Beauvoir sa perception en situation devrait assurer L Am rique au jour le jour la valeur de v rit subjective laquelle elle tait attach e 2 2 2 L Am rique au jour le jour face aux enjeux de l autobiographie S il n est pas journal donc qu est ce r cit dont la livr e est au jour le jour mais dont l criture fut r trospective au temps v cu Le probl me de classification g n rique se pose encore parce que le journal de voyage am ricain de Beauvoir n est assur ment pas un simple r cit de voyage ou m me un essai il y a bien criture de l intime puisqu il y a serment d authenticit condition m me de l existence du genre selon Eliane et Jacques Lecarme le genre n est rien sans all gation de v rit Cependant l association entre L Am rique au jour le jour et le genre de l autobiographie ne va pas de soi Si selon Philippe Lejeune 36 De m me la d finition d impression puis e sur le Portail Lexical du CNRTL a dans ce contexte une curieuse connotation existentialiste Ainsi la repr sentation affective produite ou suscit e par l exp rience d une situation pourrait tr s bien tre la description du projet de l crivain existentialiste et rappelle aussi la p
90. e l affirme Fran oise Simonet Tenant tenir un journal est une fa on de nier toute id e de fin il y a certainement une motivation affective derri re l id e de r diger le journal de voyage am ricain Cette motivation ne suffit toutefois pas Beauvoir Ce reportage m int ressait mais pas plus que mon essai sur la femme provisoirement abandonn il ne me donnait ce que j avais jusqu alors demand la litt rature l impression la fois de me risquer et de me d passer une joie presque religieuse Le coup de fouet EDC p 180 5 Ibid LNA p 33 57 Le terme est de Philippe Lejeune dans Philippe LEJEUNE et Catherine VIOLLET dir Gen ses du Je Manuscrits et autobiographies Le journal est virtuellement infinissable d s le d part puisqu il existera toujours un temps v cu ult rieur l criture rendant n cessaire une nouvelle criture Paris CNRS ditions 2000 p 213 gi Fran oise SIMONET TENANT Le journal intime genre litt raire ou criture ordinaire T tra dre L criture de la vie Paris 2004 p 111 EDC p 180 29 qui sera n cessaire la r daction du livre sur l Am rique ce sera le second voyage et l exp rience du temps pass avec Nelson Algren qui le lui donneront 2 1 2 Adaptations temporelles et classification g n rique Ce hiatus dans la r daction de L Am rique au jour le jour explique peut tre le choix qu a
91. e l engagement en litt rature 1 2 1 Histoire de l engagement Le fait de s engager en tant qu individu implique n cessairement de se constituer en tant que gage de quelque chose ou de donner sa personne ou sa parole en gage Parce que cette notion de gage implique celle de garantie Beno t Denis dans Litt rature et engagement propose une d finition de l engagement en litt rature qui implique un contrat entre diverses parties une forme d change ou de transaction socialement admise et fix e entre plusieurs instances mises en relation Cette transaction pourrait se d finir ainsi par la pratique de son art l crivain qui s engage dans l criture donne son statut et sa cr dibilit son capital symbolique en somme en gage ses lecteurs les lecteurs eux obtiennent de l crivain cette garantie d authenticit qui les conduira tenir pour vrai le discours de l crivain Dans cet change il y a une forme de risque qui est enti rement assum par l crivain son engagement tant total l crivain s expose au jugement de la collectivit par le biais de son uvre disparaissant ainsi derri re son engagement D o peut tre la d finition de l engagement intellectuel du Tr sor de la langue fran aise Participation par une option conforme ses convictions profondes et en assumant les risques de l action la vie sociale politique intellectuelle ou religieuse de son temps Ici
92. e litt rature espace qui implique que l espace se transforme son tour en fonction du texte qui ant rieurement l avait assimil Bernard WESTPHAL Pour une approche g ocritique des textes in La G ocritique mode d emploi Limoges PULIM coll Espaces Humains n 0 2000 pp 9 40 i Fran oise GABAUDE Une voyageuse derri re la vitre Simone de Beauvoir en Am rique Women in French Studies vol 5 1997 pp 5 18 pas tr s loign de la r flexion que faisait Beauvoir elle m me dans sa critique de La ph nom nologie de la perception de Maurice Merleau Ponty Il est impossible de d finir un objet en le coupant du sujet par lequel et pour lequel il est objet Inversement le sujet ne se r v le qu travers les objets dans lesquels il s engage De m me l exp rience de la spatialit c est l exp rience de notre situation dans le monde Il nous faudrait alors voir en L Am rique au jour le jour le compte rendu de cette exp rience in situ du monde qui ne peut que passer par la prise de parole au je N anmoins les tudes qui traitent de L Am rique au jour le jour demeurent limit es dans leur champ d action elles sont souvent courtes et n effleurent qu en partie les probl mes qu elles posent que ce soit au sujet du genre ou au sujet de l engagement de l crivain Il en va de m me pour la perspective g ocritique qui nous semble pertinente mais qui nous ram ne encore
93. e milieu ne sont pas soumises des r gles pr cises et il arrive que dans les catalogues des r cits autobiographiques bien identifi s se retrouvent dans la section Romans ce fut le cas des ditions Points avant existence de leur collection Points Autobiographies Comme les diff rents r cits autobiographiques beauvoiriens sont class s indiff remment des critures intimes sur lesquelles on ne suppose pas de travail de r flexion ou de r organisation de la m moire nous pensons ici aux correspondances publi es titre posthume par Sylvie Le Bon de Beauvoir et qu on semble les tenir pour litt raires autant que les essais philosophiques la classification effectu e par la maison d dition n a pas vraiment de valeur parce qu elle n est pas rigide ou du moins ne laisse pas transpara tre des facteurs clairs expliquant son fonctionnement En 1997 la r dition en format poche de L Am rique au jour le jour change un peu la donne en ce qui a trait la classification g n rique puisque Gallimard ajoute la 50 pr face de l auteure un avant propos sign Philippe Raynaud qui a pour but de pr senter les grands th mes de l uvre Or Philippe Raynaud n h site pas a qualifier d embl e le texte comme un essai bien qu il admette aussit t l hybridit de son genre Comme essai la valeur propre de L Am rique au jour le jour a sans doute t clips e par Le deuxi me sexe et comme t mo
94. e qu il est z Philippe RAYNAUD in L Am rique au jour le jour de Simone de Beauvoir Paris Gallimard coll Folio 1997 p T8 Assez curieusement d ailleurs dans la page de garde des Carnets de la dr le de guerre o on taye la bibliographie de Jean Paul Sartre Les mots sont assortis de la mention g n rique autobiographie preuve donc qu elle existe chez Gallimard mais qu elle n a pas t attribu e aux diff rents r cits intimes de Beauvoir 1 Jacques LECARME et Eliane LECARME TABONE Op cit p 120 51 contemporain de la liaison entre l auteur et le romancier Nelson Algren nouvellement re mise au jour par les biographies de Beauvoir de Deirdre Blair et 121 Ceci traduit videmment le caract re intime du journal de Jean Pierre Saccant de voyage am ricain mais ne permet pas de d terminer pr cis ment de quel type de r cit il s agit C est d ailleurs un probl me dont Raynaud est videmment conscient puisqu il emploie les guillemets pour encadrer le mot journal lorsqu il voque le journal compos apr s coup qu est L Am rique au jour le jour N anmoins pour Raynaud le texte semble avoir une valeur surtout pour son caract re essayistique ce qui peut expliquer son maintien dans la cat gorie Essais Litt rature de la classification g n rique chez Gallimard 2 3 2 Le paratexte auctorial La seule chose qui pourrait encore guider le classement g n
95. e que Beauvoir emploie pour d signer son r cit qui serait de prime abord de l ordre de la classification g n rique serait le terme journal le premier mot qu elle utilise pour mentionner son livre une fois qu il a d pass le stade de projet Je suis de bonne humeur parce que Sartre a lu le d but du journal am ricain journal de voyage fictif et il l a trouv bon alors j ai plaisir le continuer Ainsi d s le d but de la r daction Beauvoir est consciente d entamer l criture d un r cit qu elle consid re fictive mais dont elle revendiquera n anmoins l authenticit On peut penser que la remarque concernant le caract re fictionnel du journal est une sorte de pr vention l gard de Nelson Algren et une fa on de t moigner de son d sir de prot ger leur intimit mais le mot journal est n anmoins le terme qu elle utilise dans la pr face de L Am rique au jour le jour pour parler du r cit le qualifiant cette fois non pas de fictif mais de r trospectif et de reconstitu Il y a videmment une certaine contradiction entre les deux mentions la premi re supposant la mise en fiction du r cit et la seconde la mise en r cit d un mat riau r el mais l utilisation du terme journal permet de supposer que Beauvoir souhaitait avant tout chose que L Am rique au jour le jour soit lu comme un r cit chronologique proposant une succession de prises de vue imm diate sur l objet obser
96. e r veillait chaque matin toute rose et chaude en riant Je mordis la fleur j aurais voulu m vanouir dans son parfum mourir tout fait 97 La violence de l motion que Beauvoir attribue Anne diff re videmment de la tendresse qu elle d crit dans sa lettre Algren mais elle voque cet v nement a post riori six semaines apr s l avoir v cu La sc ne du taxi quant elle ressemble en tout point celle d crite dans les Lettres Nelson Algren Il a fait signe un taxi je suis mont e la porti re a claqu le taxi a tourn le coin de la rue Lewis a disparu C est votre mari m a demand le chauffeur Non dis je Il avait l air si triste 1158 p 534 165 2 7 A 5 Quelle bonne lettre vous m avez envoy e pleurer de tendresse comme j avais fait sur la fleur blanche LNA p 41 166 167 188 Ibid LNA p 16 Simone de Beauvoir Les Mandarins Paris Gallimard COLL NRF 1954 p 330 169 67 Cette correspondance entre les mots rapport s par Beauvoir dans sa lettre Nelson Algren et ceux qu elle emploie dans la fiction n est videmment pas anodine elle nous permet de conclure qu au moins une partie du mat riel ayant servi la r daction du Chapitre VI des Mandarins semble directement provenir des souvenirs de voyage de l auteure C est le cas tout le moins du r cit du premier s jour Chicago qui est dans Les Mandarins quasi ide
97. e son r cit dans sa pr face L Am rique au jour le jour ne laisse planer nul doute quant la source de la v rit dont elle t moigne elle est le seul filtre le seul point d origine du r cit et Am rique qu elle d crit n existe que par elle m me En ce sens pour d crire L Am rique au jour le jour le terme M moires est aussi insuffisant que celui d autobiographie Georges GUSDORF Op cit pp 251 252 Jacques LECARME et Eliane LECARME TABONE Op cit p 48 D fini par Jean Louis Jeannelle dans Ecrire ses m moires au XXe si cle D clin et renouveau Paris Gallimard Bibliotheque des id es coll NRF 2008 le pacte m morial serait la r ponse g n rique au pacte autobiographique tablissant ainsi les conditions essentielles l existence du genre des M moires 116 Jean Louis JEANNELLE Ecrire ses m moires au XXe si cle D clin et renouveau Paris Gallimard Bibliotheque des id es coll NRF 2008 p 372 48 2 3 Le genre de L Am rique au jour le jour selon son paratexte Comme le texte en lui m me ne suffit identifier avec certitude le genre de L Am rique au jour le jour il convient d examiner aussi le paratexte de l uvre pour y rep rer certains indices qui permettraient une classification plus rigide du texte 2 3 1 Le paratexte ditorial L Am rique au jour le jour r siste ind niablement la classification parce qu il est impossible de d terminer de
98. erres et Jean Paul Sartre de la Lib ration jusqu sa mort en 1980 Sartre qui reconna t que le social n est entr dans ses pr occupations qu au moment de sa mobilisation revient de la guerre avec l id e qu il faut r sister par l criture id e qu il va d velopper apr s la guerre en pourfendant 3 Beno t DENIS Op cit p 21 Michel WINOCK Le si cle des intellectuels Paris ditions du Seuil Points 1997 1999 p 7 22 l irresponsabilit de l crivain qui n a pas conscience du caract re engag de son criture Ainsi est n e la notion sartrienne de l engagement Si cette notion d coule en grande partie de la conscience de l engagement litt raire tel que pratiqu par les crivains intellectuels c est un concept qui va surtout s int resser la place de l crivain dans le monde et la situation de son travail en tant qu intellectuel dans la cit d o le titre choisi par Sartre pour ses recueils de textes de circonstances les Situations Cette importance accord e la place de l crivain dans le monde aura une influence marqu e sur la d finition de l engagement selon Sartre radicalisant au premier chef sa d finition m me de la litt rature qu il limite exclusivement la prose La po sie elle r cuse linstrumentalisation du langage au profit d un agencement esth tique des mots refusant la signification ce qui la disqualifie en tant que fait li
99. ert Beauvoir d plore au premier chef le fait que l Am ricain moyen en raison de son inertie consente implicitement aux d rives du syst me C est un motif qui reviendra plusieurs reprises dans L Am rique au jour le jour sans qu on ne sache trop si Beauvoir taxe d abord les citoyens am ricains de passivit ou si elle reconna t que leur passivit est priori le fait d un syst me qui bride leur mancipation Elle critique le d sint r t des Am ricains envers la vie politique plus particuli rement celui des jeunes scolaris s qui forment en quelque sorte la nouvelle lite am ricaine Ainsi apr s son passage Berkeley et UCLA Simone de Beauvoir remarque que les tudiants sont d pouill s de culture g n rale parce qu ils n ont aucune curiosit d esprit Ceci est d autant plus vident qu l aube d une importante crise politique tats AJJ p 39 AJJ pp 39 40 AJJ p 41 222 223 89 unienne ils ne semblent pas se pr occuper des mouvements politiques de leur gouvernement Mais l indiff rence des jeunes confond B Ce matin le pr sident Truman a prononc un discours o il explique plus imp rieusement qu il ne l a encore fait l ouverture d une croisade anticommuniste Regardez ces jeunes me dit B Pas un seul ne parle du discours Ils discutent comme d habitude les nouvelles sportives Ils ne s int ressent absolument pas la politique l
100. es dans les ann es soixante et soixante dix revendiqueront leurs droits sur la base de l galit de leur r le dans la soci t elles int greront peu peu le march du travail et se lib reront des contraintes li es l institution du mariage Les grandes conclusions auxquelles Beauvoir arrivait la fin du Deuxi me Sexe et qu elle reprend ensuite dans La force des choses et Tout compte fait sont devenues caduques et la lutte pour l galit des femmes dans les pays industrialis s est peu peu remplac e par une lutte pour le respect de la femme dans les r gions islamistes ou en voie de d veloppement Tout ceci ne signifie pas toutefois que la pens e beauvoirienne est n cessairement d pass e il existe encore aujourd hui des chos certains des critiques qu elle formulait l endroit d un syst me conomique bas sur le cr dit et l individualisme Les observations qu elle faisait a ce sujet sont non seulement LDS2 pp 429 430 115 toujours valables mais elles sont aussi r solument congruentes dans le contexte d une crise conomique annonc e Pour le reste les r cits autobiographiques beauvoiriens et la parole engag e qu ils renferment valent d tre lus parce qu ils permettent pour paraphraser Beauvoir au sujet de Sartre de suivre les m andres de sa pens e et d entendre sa voix vivante 22 Simone de Beauvoir La c r monie des adieux Op cit p 179 Bibliographie
101. es concepts et des id es ces acteurs sociaux avaient pour principale caract ristique d tre arriv s dans leurs secteurs d activit s respectifs un degr suffisant d autonomie et de prestige pour revendiquer un droit de regard dans les affaires publiques Cette remarque permet de rappeler quel point la notion d crivain ou d intellectuel engag est li e celle de capital symbolique mais aussi de comprendre qu au d part l crivain qui s engage est un intellectuel parmi les autres c est dire qu il met le prestige acquis de sa notori t litt raire en gage de son droit de parole Il n existe pas encore au tournant du XX si cle de litt rature qui absorbe l engagement la litt rature sert de catalyseur du capital symbolique de l crivain mais le champ litt raire est encore s par du politique L autonomie artistique de l crivain demeure totale puisqu il pratique chacun de ses r les sociaux ceux d artiste et d intellectuel de fa on ind pendante D s lors l crivain est gagnant sur tous les tableaux sur le terrain de la litt rature dont l autorit et l aura sortent non seulement intactes mais grandies de son intervention sur le terrain sociopolitique o il reprend pied apr s un demi si cle d absence C est aussi lors de l affaire Dreyfus que na t la conception du risque li l engagement puisque Zola est traduit en justice en raison de sa prise de position dans
102. est ce que la litt rature en 1948 Beauvoir d montre dans L Am rique au jour le jour par le choix d un r cit a la premi re personne ou elle partage ses convictions qu elle a d ja la conviction qu crire c est agir Peut tre consid r e comme une uvre mineure parce que publi e a l int rieur de la p riode de battement qui suivit et pr c da la parution de deux essais 7 Simone de BEAUVOIR La Longue Marche Essai sur la Chine Paris Gallimard coll NRF 1957 majeurs L Am rique au jour le jour de Simone de Beauvoir n aura certainement pas t l uvre beauvoirienne la plus abondamment comment e par la critique Il aura fallu attendre la traduction en fran ais des Lettres Nelson Algren pour que Gallimard r dite le journal am ricain en format poche et pour qu il y ait un regain d attention de la critique envers cette uvre Le corpus qui d coule de cette nouvelle parution est donc r cent et c est ce qui explique que les tudes qui contribueront ce travail sont presque toutes contemporaines de notre projet De m me ces tudes sont fortement loign es de la pens e existentialiste qui avait guid la r daction du r cit et elles ont m me d j pris leurs distances des tudes f ministes qui ont pourtant pris en charge la majeure partie de la critique beauvoirienne ce qui nous laisse croire que le champ critique autour de l AJJ est toujours restreint et incomplet Les tu
103. est qu il ne lui est permis de rien faire alors elle s ent te dans l impossible poursuite de l tre travers le 280 gt Quand la recherche de l amour tourne narcissisme l amour la religion l chec la femme am ricaine n a plus de possibilit s de r alisation Elle stagne Cette situation Beauvoir l avait d abord remarqu e chez les college girls de Vassar et de Macon College dont elle critiquait le passe temps principal c est dire la chasse au mari Pour cette cat gorie de jeunes filles riches et g t es le mariage appara t comme la seule destin e honorable le c libat est consid r comme une tare Mais la reconnaissance sociale qu implique une vie amoureuse remplie n est pas l apanage des frivoles jeunes filles des coll ges de l lite am ricaine Beauvoir constate chez des cons urs c libataires am re absence caus e par le c libat L appartement sentait le c libat V D tout en affirmant hautement qu elle se f licitait de n tre pas mari e se plaignait de sa solitude Son amie disait plus franchement qu elle d sirait de toute son me un mari On les sentait toutes les deux obs d es par cette place vide sur leur annulaire gauche Plus important encore m me pour la femme de carri re pleinement r alis e le c libat est grandement d consid r ce qui pousse les femmes rechercher leur LDS2 p 597 280 Ibid 281 282
104. fait Beauvoir de conserver la trame narrative du r cit tel qu il tait lorsqu elle en a d but la r daction m me si l authenticit de la chronologie s en trouvait affect e Sur un canevas d j labor elle a pu poursuivre ses r flexions et int grer de nouvelles observations qui lui auraient chapp lors de son premier voyage un travail ditorial qui nous loigne cependant de l criture en prise directe sur l instant que repr sente le journal C est ainsi que dans le r cit elle pr sente un portrait particuli rement d taill de ses premi res impressions sur la ville de Chicago impressions qu elle n aurait pas pu amasser durant les deux jours que dura son premier passage dans cette ville Dans La Force des choses Beauvoir confie qu elle a amalgam deux s jours dans le r cit celui de mai et celui de septembre Dans l intervalle entre les deux quatre mois se sont coul s et le temps du r cit s est tir puisque le retour Chicago s talera sur deux semaines et ce sont v ritablement ces deux semaines qui sont racont es dans les entr es du 11 au 17 mai C est pendant ces deux semaines que j ai d couvert Chicago les prisons les postes de police et les line up les abattoirs les burlesques les quartiers pauvres avec leurs terrains vagues et leurs orties Les pr cisions de Beauvoir sur ces adaptations temporelles sont plut t rares mais elles pr sagent d j un p
105. ffus e l ext rieur de l objet livre et deux natures ou deux sources d mission c est dire le paratexte ditorial qui est cr par le processus ditorial et le paratexte auctorial qui mane bien s r de l auteur nous souhaitons aussi pr ciser que c est le paratexte auctorial qui alimentera notre analyse donc dans ce cas ci la pr face pr c dant la premi re dition de 28 AJJ p 9 15 L Am rique au jour le jour de m me que le seul texte qui peut actuellement tre consid r comme de l ordre de l pitexte les Lettres Nelson Algren couvrant toute la p riode de la r daction et de la publication du texte En offrant un point de vue int rieur sur la conception que Beauvoir avait de son journal am ricain ces textes permettront d tablir ce qui rev tait le plus d importance pour l auteure au moment de la r daction du livre De m me le paratexte ditorial soit tout ce qui dans le livre n est pas issu de la plume de l auteur donc dans le cas de L Am rique au jour le jour presque exclusivement le contenu des couvertures et des pages de garde et pour l dition en format poche l avant propos de Philippe Raynaud nous permettra de guider la classification g n rique du texte 1 1 2 Programme et intention Finalement la derni re notion qui nous servira tablir la filiation g n rique de L Am rique au jour le jour c est celle de l intention ou du programme de
106. forc ment tre vu de fa on embryonnaire dans L Am rique au jour le jour puisqu il na t de l engagement intellectuel provoqu par la fin de la Deuxi me Guerre mondiale L apparition de la conscience politique de l auteure est assez drastique Alors que le r cit de La force de l ge s arr te la lib ration de Paris celui de La force des choses commence n cessairement tout de suite apr s et parce que la fin de la guerre correspond aussi la naissance du r seau de r sistance Socialisme et Libert de m me qu aux premi res parutions des Temps Modernes o Beauvoir agira titre de r dactrice en chef La force des choses est intimement li au surgissement de l engagement politique beauvoirien La pr face du r cit est donc 203 204 83 teint e de la conscience de cet engagement nouveau Beauvoir d abord r it re son d sir d expliquer sa situation dans le monde J ai voulu que dans ce r cit mon sang circule j ai voulu m y jeter vive encore et m y mettre en question avant que toutes les questions se soient teintes Pour la premi re fois cependant Beauvoir insiste sur le fait que sa situation dans le monde est maintenant troitement li e la politique M l e beaucoup plus que nagu re aux v nements politiques j en parlerai davantage je rendrai compte d un pr sent impr vu la mani re dont au jour le jour l histoire s est donn e moi est une aventure aussi sing
107. g lui donne le pouvoir d tre conscient lui aussi de sa situation dans le monde et de la possibilit qu il a de transformer sa situation crire c est donc une fa on de d voiler la libert mais c est surtout une fa on de la revendiquer et c est donc forc ment tre engag crire c est une certaine fa on de vouloir la libert si vous avez commenc de gr ou de force vous tes engag s Toutefois la libert seule ne peut construire l engagement puisque le d voilement de la libert du lecteur n est pertinent qu en situation La situation selon la philosophie existentialiste c est l ensemble des relations concr tes qui Jean Paul SARTRE Op cit p 69 Jean Paul SARTRE Op cit p 70 Jean Paul SARTRE Op cit p 72 24 d terminent l action de l tre humain un moment donn de son histoire Pour l crivain engag la situation se pr sente comme une sorte de territoire partag avec le lecteur qui va influencer la fois la production et la r ception de l uvre litt raire en lui attribuant les conditions sociohistoriques qui lui sont propres L crivain va utiliser la situation comme levier de l engagement En un mot l auteur est en situation comme tous les autres hommes Mais ses crits comme tout projet humain enferment la fois pr cisent et d passent cette situation l expliquent m me et la fondent C est un caract re
108. icales http www cnrtl fr definition t moigner consult le 15 f vrier 2011 108 46 l autobiographie L importance que Beauvoir accorde la notion de t moignage expliquerait aussi toute la dimension visuelle qui sature son r cit de voyage et cette fa on myst rieuse qu elle avait de le r sumer la toute fin de la pr face de L Am rique au jour le jour Voil ce que j ai vu et comment je l ai vu Je n ai pas essay d en dire davantage 1 De m me le verbe t moigner nous ram ne la notion de M moires et la d finition que proposait Georges Gusdorf si l criture de m moires c est t moigner de l histoire en tant que sujet observant ou de devenir historique il est ind niable que L Am rique au jour le jour peut aussi tre consid r comme tel 2 2 5 Pr sences et oblit rations de la subjectivit Reste cependant le probl me de la subjectivit C est Beauvoir et tout son v cu qui parlent lorsqu elle raconte l motion que lui am ne la visite de Walden et la mat rialisation d une image laiss e par une lecture de jeunesse et c est encore Beauvoir qui fait le r cit de l am re d ception que lui a caus e sa rencontre avec Charlie Chaplin il y a donc un ego marqu qui prend en charge l observation la diss que et t moigne non pas seulement de ce qu elle est mais aussi des motions qui accompagnent son exp rience M me si Gusdorf rappelle que le m mo
109. ie Chaplin AJJ p 411 1 113 114 115 47 sentiments attachements et haines partis pris en tout genre l importance de la subjectivit beauvoirienne dans le r cit cause encore des probl mes de classification Selon liane et Jacques Lecarme l auteur qui se constitue comme centre de toutes les perspectives est n cessairement autobiographe Or Beauvoir se constitue comme centre de toutes les perspectives parce qu elle y voit la condition de l existence de ces perspectives et non pas parce qu elle accorde plus d importance au devenir de sa subjectivit dans l espace qu l espace lui m me Le maintien de l identit beauvoirienne derri re la fonction de sujet observant est avant d tre l objet du r cit indissociable de la notion de v rit laquelle l auteure aspire puisqu elle assure une pr sence tangible v rifiable et questionnable qui peut attester de ce qui est racont Si les M moires peuvent bien tre le fruit d une subjectivation de l Histoire le probl me avec l importance de la subjectivit beauvoirienne c est qu elle invalide d s lors le pacte m morial qui tablit comme condition d existence du genre des M moires la transmission d une v rit dont le m morialiste n est pas le seul garant et qui rel ve directement de l Histoire le m morialiste n tant pas le libre propri taire de son pass mais son usufruitier La pr sentation que fait Beauvoir d
110. ignage il semble d abord prendre place dans la s rie de choses vues o le couple Sartre Beauvoir s effor ait de d finir une position politique progressiste 1 Cette affirmation quoique lucide au sujet de l ambigu t du genre de L Am rique au jour le jour est n anmoins curieuse parce qu elle semble admettre une participation active de Jean Paul Sartre aux choses vues alors que les v ritables t moignages de Sartre sont en fait au nombre de deux Les mots en 1963 et Les carnets de la dr le de guerre publi s apr s sa mort en 1983 N anmoins il est vrai que certains volets de l ensemble autobiographique beauvoirien peuvent tre vus comme une autobiographie de couple au sens o l entendent Eliane et Jacques Lecarme c est dire une autobiographie o l un des partenaires du couple prend en charge le r cit de la vie deux ce qui pourrait expliquer la confusion de Raynaud il n en demeure pas moins que la majeure partie de la prise en charge du t moignage est attribu e Beauvoir Une fois la parent des choses vues r tablies il reste que le mot choisi en lui m me choses vues pose encore un probl me de classification parce qu il traduit nouveau cette quivalence du sujet observant et de l objet observ Raynaud mentionne aussi que L Am rique au jour le jour ainsi que sa r dition en format poche a surtout suscit l int r t des lecteurs parc
111. ille et les lieux mythiques qu elle voque comme Broadway Time Square ou Central Park nous arrivons un total de trente quatre r f rences l objet observ ce qui d un point de vue proportionnel t moignerait de la pr s ance de la subjectivit sur l objectivit Pourtant dans le texte Beauvoir semble expliquer ce recentrement sur elle m me par le d faut de sa qualit de sujet observant bien rendre compte de l objet observ Me voil emport e aux c t s d une jeune femme que je n avais jamais vue travers une ville o mes yeux ne savent encore rien voir Ce motif de l impossibilit ou de l incapacit de rendre Informations lexicales puis es sur le Portail Lexical du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales http www cnrtl fr definition d voiler consult le 15 f vrier 2011 99 AJJ p 15 42 compte de ce qui est vu revient au moins deux reprises dans la seule entr e du 25 janvier o Beauvoir qualifie aussi sa pr sence New York de parfaite absence Je ne suis plus Paris mais je ne suis pas ici ma pr sence est une pr sence d emprunt Il n y a pas de place pour moi sur ces trottoirs ce monde tranger o je suis tomb e par surprise ne m attendait pas il tait plein sans moi il est plein sans moi c est un monde o je ne suis pas je le saisis dans ma parfaite absence videmment dans ce motif de l impuissance
112. ille rang e Paris Gallimard coll Folio 1958 Simone de BEAUVOIR La c r monie des adieux suivi de Entretiens avec Jean Paul Sartre ao t septembre 1974 Paris Gallimard coll Folio 1981 L Am rique au jour le jour jette donc d j les bases d une po tique de la mise en r cit du soi qui influencera l ensemble de l uvre autobiographique de l auteure De plus le statut particulier du livre de par son hybridit g n rique et la mise en place d un fort discours id ologique permet aussi une lecture plurielle et in puisable du t moignage am ricain laiss par Beauvoir C est pourquoi nous avons choisi dans ce travail d accorder d abord une attention soutenue aux diff rentes formes que pouvait prendre la mise en r cit du soi dans L Am rique au jour le jour formes qui posaient des probl mes pr cis quant la classification g n rique de l uvre et la filiation de celle ci dans la production litt raire de Simone de Beauvoir Il nous a sembl n cessaire de nous attarder certaines remarques laiss es par Beauvoir propos de son propre t moignage afin de comprendre de quelles fa ons conscientes ou inconscientes la pratique autobiographique beauvoirienne pouvait travailler le texte et l inscription du discours id ologique qui le sous tend ces fins nous avons choisi d adjoindre notre tude de L Am rique au jour le jour l tude des crits intimes portant sur le voyage en Am
113. interdits s explique et se justifie Il faut que la race blanche se garde pure 7 Pour Beauvoir il est vident que la conception qu a le Blanc de la n cessit de la s gr gation se fonde sur une sorte de supercherie morale Mais ce refus ne s explique que si la volont de s gr gation est d j pos e et non l inverse Les blancs ne refusent pas l assimilation pour viter le m lange des sangs ils r pugnent ce m lange parce que la volont de s gr gation est dans leur c ur Ce que Beauvoir voque ici est un v ritable dilemme de causalit est ce que la s gr gation na t de l inf riorit des Noirs ou est ce l inf riorit qui na t de la s gr gation En bonne philosophe existentialiste Beauvoir r sout ce dilemme en opposant la logique et la chronologie il est impossible que la s gr gation soit le produit de l inf riorit des Noirs puisque ce qui est post rieur AJJ p 335 336 AJJ p 336 100 dans l ordre de la g n ration est ant rieur par nature et ce qui est premier par nature est dernier dans l ordre de la g n ration Bien que la r alit chronologique suppose que l inf riorit des Noirs ait exist avant la s gr gation sinon pourquoi l avoir instaur e et que la s gr gation n en soit que le devenir la logique fait que c est la s gr gation et l in galit des conditions qu elle implique qui cr e l inf riorit de la situation des
114. ion puisqu il n y a dans L Am rique au jour le jour ni objectivit totale ni subjectivation radicale Ici la distinction entre sujet observant et objet observ nous am ne un autre probl me d ordre g n rique s il est admis que l autobiographie est le r cit d un auteur qui se constitue lui m me comme centre de toutes les perspectives et que les M moires sont plut t la chronique personnelle du devenir historique mettant l accent sur l ordre des choses plut t que sur la subjectivit propre du narrateur L Am rique au jour le jour se trouverait tre le point exact de la jonction entre les deux genres r sistant encore la classification Il n existe videmment pas de d limitation g n rique qui soit imperm able la nuance mais il nous semble impossible de concevoir un r cit qui puisse tre la fois histoire du sujet et histoire de l Histoire en tant parfaitement les deux En ce sens pour comprendre ce qu est L Am rique au jour le jour il faudrait peut tre tudier ce que Georges Gusdorf nomme le programme de l auteur C est une notion qui a d faut d tre mesurable comme celle de proportion et de hi rarchie voqu es par Lejeune serait tout le moins questionnable ce qui nous permettrait d apporter une r ponse nuanc e a notre question de d part de quelle nature est l appartenance g n rique de L Am rique au jour le jour us Jacques LECARME et Eliane
115. ique au jour le jour en 1948 t EDC p 178 EDC p 176 3 EDC p 173 28 elle d cide d crire le r cit r trospectif de ce p riple M me si les hypoth ses ne manquent pas Beauvoir dans son autobiographie consid re que les premiers vecteurs de l criture de L Am rique au jour le jour sont l chec des Bouches inutiles et la stagnation de son essai sur la femme Et aussi l incapacit vraiment revenir de ce voyage Je n avais pu me r soudre me d tacher de l Am rique je tentai de prolonger mon voyage par un livre De l affirmer que Beauvoir crit son journal de voyage am ricain pour perp tuer sa liaison avec Nelson Algren il n y a qu un pas cependant Algren est le premier apr s Sartre tre mis au courant du projet et il est pour Beauvoir le premier destinataire Dommage aussi de penser que vous ne lirez pas le journal J aurais aim le concevoir comme une longue lettre que je vous adresse Je wai plus qu le faire assez bon pour qu on le traduise chez vous Pour Beauvoir le journal de voyage est donc tout la fois le r cit d une exp rience existentialiste et le t moignage de l affection qu elle porte a Nelson Algren et par lui la culture tats unienne La forme choisie d s lors appara t comme naturelle puisque l une des motivations de l criture journali re r sulte du caract re infinissable de son criture Ainsi si comm
116. l auteur telle qu voqu e par Georges Gusdorf dans Les critures du moi Toutes les critures du moi ne r pondent pas une intention identique Il convient de prendre la question la source et de se demander quel est le programme de celui qui se d cide entreprendre la r daction d un r cit de sa vie En num rant certains m moires et r cits autobiographiques c l bres Gusdorf propose une s rie d intentions possibles allant du simple d sir de faire le point sur son existence jusqu au souhait de poursuivre l action politique travers une s rie de souvenirs historiques Il n existe cependant pas de compilation exhaustive de toutes les intentions possibles de l crivain qui pratique le r cit de soi c est souvent d une s rie de contingences sociohistoriques propres au v cu de l individu que na t le d sir de l criture du moi et c est l tude de ces contingences qui permettra de d terminer l intention de l auteur Pour arriver cerner correctement l intention de l autobiographe Gusdorf propose une premi re Georges GUSDORF Op cit p 253 16 m thode qui n est pas sans rappeler l id e de proportion et hi rarchie chez Lejeune En effet l auteur de Lignes de vie invite d abord le lecteur critique se demander si l auteur accorde plus d int r t l histoire de son poque qu son histoire personnelle La diff rence entre la proposition de Lejeun
117. l affaire et qu il meurt ensuite dans des circonstances n buleuses Les fondements de l criture engag e sont d j Beno t DENIS Op cit p 203 37 Beno t DENIS Op cit p 204 20 pr sents lors de l affaire mais c est la marche de l histoire qui fera en sorte que peu peu la fonction de l crivain intellectuel qui s engage de fa on sporadique dans les affaires publiques sera remplac e par celle de l crivain engag ou crivain crivant qui fera de l engagement son projet esth tique Avant d aborder la notion d engagement litt raire il importe de distinguer la litt rature de combat de la litt rature engag e la premi re est universelle et transhistorique c est la litt rature qui vise le politique ou la controverse Elle rassemble des crivains divers qui se sont tous occup s un moment ou un autre d noncer des id es politiques dans leurs uvres sans toutefois subordonner ce propos pol mique aux questions d esth tique La seconde na t dans un contexte sociohistorique pr cis et suppose un engagement total de l crivain c est dire que la pr occupation de l crivain est d abord celle d tre engag et il s oppose l id e qu il existe une forme d criture qui soit une finalit sans fins Selon Beno t Denis cet engagement total surgit de trois conjonctures historiques pr cises La premi re c est l apparition d un champ
118. la fin La c r monie des adieux est suivi d Entretiens avec Jean Paul Sarte dans lesquels Beauvoir souhaite permettre Sartre d exprimer une derni re fois ses convictions politiques Et dans la progression de leur conversation Beauvoir suivra le chemin qu elle avait trac pour elle m me elle demande d abord Sartre d num rer ses influences de t moigner du d veloppement de sa personnalit avant de le pousser d voiler le monde en formulant des critiques sur une vari t d enjeux sociaux et politiques Dans les pr c dents chapitres de ce m moire nous nous sommes d abord attard e tenter de faire la d monstration de la singularit du genre de L Am rique au jour le jour C est ce que nous avons fait en retra ant de fa on exhaustive les diff rentes particularit s g n riques du journal de voyage am ricain d une part son caract re chronologique et au jour le jour qui l associe en apparence au journal intime et d autre part le fait qu il soit en r alit 110 r trospectif et qu il soit donc plus probablement de l ordre de l autobiographie ou des M moires Nous avons aussi examin les notions de hi rarchie de proportion et de programme afin de comprendre quels taient les v ritables enjeux d un tel texte De m me l examen du paratexte et de l pitexte du journal nous aura permis d explorer les conceptions intellectuelles qui sous tendaient le r cit de l
119. le nom que Beauvoir lui donne dans les textes pr c dents sa publication FDC p 180 LNA p 119 291 114 raffin es de m me l existence d une caste de filles perdues permet de traiter l honn te femme avec le respect le plus chevaleresque L bullition intellectuelle cr e par le journal am ricain est ici manifeste non seulement les critiques formul es par l auteure seront elles pr sentes dans le reste de son parcours d crivain engag mais les r flexions qu elles suscitent chez l auteur influenceront d autres sph res que celles touch es par ces critiques au premier chef Il est donc ind niable que L Am rique au jour le jour fut pour Beauvoir un laboratoire la fois scriptural et intellectuel Une fois l influence d terminante de L Am rique au jour le jour dans l uvre de Beauvoir d montr e une question demeure dans un contexte o l engagement intellectuel est sans cesse menac d obsolescence et ne peut aspirer l universalit quelle pertinence le lecteur contemporain peut il trouver dans les r cits autobiographiques de Simone de Beauvoir Le fait que les positions intellectuelles d fendues par Beauvoir datent est ind niable le Civil Rights Act de 1964 aura mis fin a la s gr gation am ricaine en instituant l ill galit de la discrimination fond e sur la race le soleil des Ind pendances aura entra n la fin de la colonisation en Afrique Les femm
120. le theme de la r daction de L Am rique au jour le jour Ce sont des textes qui viennent confirmer ou infirmer la v racit des v nements relat s dans le journal am ricain ou qui les racontent autrement En ce sens les r cits satellites viennent doubler le texte de L Am rique au jour le jour d un tissu d authenticit particuli rement riche puisqu ils racontent LNA p 134 58 avec une parfaite transparence tout ce qui est pass sous silence dans le journal et leur analyse permettra de mieux jauger l exactitude et la v rit des propos de Beauvoir et donc de la g n ricit du texte 2 4 1 L Am rique au jour le jour confront aux Lettres Sartre probl mes d authenticit Le premier des r cits satellites devoir tre examin pour essayer de comprendre le genre exact de L Am rique au jour le jour est le deuxi me volume des Lettres Sartre dit es par Sylvie Le Bon de Beauvoir et publi es en 1990 chez Gallimard Au contraire des Lettres Nelson Algren qui font vraiment le r cit d taill de la r daction et de la publication de L Am rique au jour le jour sans s attarder au voyage proprement parler le contenu des Lettres Sartre couvre presque la totalit du voyage en Am rique du 25 janvier au 8 mai 1947 Ce sont des lettres denses et longues qui reprennent avec beaucoup de d tails et d indications temporelles et g ographiques l appui l essentiel du d roulement des jo
121. lement de hi rarchie principalement est un adverbe qui vise d abord d terminer la pr s ance d une variable sur une autre avant toute chose plus que toute autre chose C est donc dire que l autobiographie doit surtout tre un r cit surtout r trospectif portant surtout sur la formation de la personnalit de l auteur une diff renciation qui permettra de juger chacun de ces l ments de fa on globale sans tomber dans une certaine m trique de l autobiographie De cette fa on d envisager le genre na t une latitude beaucoup plus grande lors de la classification g n rique comme 12 le soulignait Philippe Lejeune Nous pensons n anmoins que la question de proportion ne doit pas tre cart e si rapidement elle peut tre utile dans les cas d quivalence lorsqu un jugement global du contenu nous laisse avec l impression qu il y a une certaine galit dans le traitement comme si le texte tait tout la fois discours et r cit ou r trospectif et simultan au temps de l criture Ces quivalences sont tr s peu probables et c est pourquoi la question de la proportion nous servira claircir de pareilles situations videmment en raison du caract re particulier de L Am rique au jour le jour la question du caract re r trospectif du texte ne pourra pas tre soumise ici une analyse proportionnelle ou hi rarchique probante Dans la mesure o le journal de voyage am ricain est u
122. lle y entrevoit mais ce n est pas tout Les th mes abord s dans L Am rique au jour le jour nous en avons parl bri vement la fin du pr c dent chapitre sont presque tous repris dans les combats que m nera Beauvoir durant le reste de sa vie Alors que dans le journal am ricain elle critique le consum risme am ricain elle incarnera les id aux de la gauche socialiste et t chera de vivre en accord avec ceux ci jusqu la fin de sa vie en ayant un train de vie humble et en r pugnant aux d penses extravagantes la plus extravagante qu elle se permettra tant l achat d une voiture pour faire ses habituels voyages en compagnie de Claude Lanzmann et de Sylvie Le Bon de Beauvoir Son appui public aux r volutions populaires comme la R volution cubaine ou les r voltes de mai 1968 d montre son souci de d fendre les id aux socialistes De m me la critique qu elle fait de la condition des Noirs am ricains engendrera chez elle une profonde r flexion sur la nature de l oppression et son travail aux c t s d Albert Memmi et Frantz Fanon lors de la Guerre d ind pendance d Alg rie notamment d montrera la pr gnance de cette r flexion d j amorc e dans L Am rique au jour le jour Parce qu en effet le lien qui se tisse entre l observation qu elle a faite de l in galit des conditions dans lesquels sont maintenus les Noirs am ricains et la d nonciation de toutes les formes d oppression laquelle ell
123. lui semblait aussi difficile de provoquer un 2 Ibid 236 237 238 AJJ p 53 Stuart HALL Op cit p 273 C est nous qui soulignons Informations lexicales puis es sur le Portail Lexical du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales http www cnrtl fr definition obligation consult le 8 septembre 2011 239 240 241 AJJ p 54 AJJ p 55 AJJ p 53 242 243 244 245 94 assassinat ou un viol qu au milieu de Colombus Circle en plein midi Les pr jug s qu elle d nonce sont plus tenaces qu il n y para t M me si la r flexion de Beauvoir sur la condition des Noirs am ricains est d j solidement amorc e lors de son passage New York c est v ritablement son exp rience du Sud qui transformera sa critique en indignation Avant de partir de New York Beauvoir voque l oppression de treize millions de noirs et la terrible mis re du Sud mais elle n en a pas encore fait l exp rience Los Angeles o elle s journe pendant un mois en compagnie de son amie Nathalie Sorokine elle ne semble pas observer de tensions raciales syst matiques Il y a peu de noirs Los Angeles et en revanche beaucoup de Mexicains qu on m prise plus ou moins qu on boycotte parfois mais pour qui les blancs n prouvent pas de haine raciale De m me alors qu elle amorce sa grande travers e du sud des tats Unis toujours en compagnie de Sorokine Beauvoir
124. m and Modern Democracy Stockholm Harper Brothers 1944 1483 pages Jean Paul SARTRE Qu est ce que la litt rature Paris Gallimard coll Folio Essais 1948 307 pages Jean Paul SARTRE Orph e noir in Situations III Paris Gallimard coll NRF 1949 312 pages Agn s Laure SAUVEBELLE Les Am riques au jour le jour de Simone de Beauvoir et d Ana s Nin Simone de Beauvoir Studies vol 21 no 1 2004 p 35 42 Fran oise SIMONET TENANT Le journal intime genre litt raire et criture ordinaire Paris T tra de coll L criture ou la vie 2004 191 pages Bertrand WESTPHAL Pour une approche g ocritique des textes in La G ocritique mode d emploi Limoges PULIM coll Espaces Humains n 0 2000 pp 9 40 Michel WINOCK Le si cle des intellectuels Paris ditions du Seuil coll Points 1997 1999 904 pages
125. mani re irr futable dans lequel des param tres du r cit la subjectivit de l auteure ou l objet historique dont elle t moigne r side l essence fondamentale du texte Pour qualifier le texte nos observations se sont r v l es tout aussi insuffisantes que les classifications g n riques d j existantes Le paratexte n est pas non plus des plus clairants la pr face de Beauvoir institue les deux param tres du r cit comme les variables essentielles d une m me homologie nous for ant d s lors les consid rer comme quivalents dans l intention de l auteure tout le moins La classification g n rique que propose la maison Gallimard ne r v le pas non plus une sp cificit du genre de L Am rique au jour le jour lors de la parution en volume du journal de voyage am ricain le r cit appara t en quatri me de couverture sous la rubrique Essais Litt rature Philosophie mais ind pendamment de la collection Les Essais dans laquelle sont publi s Pyrrhus et Cin as et Pour une morale de l ambigu t Cela ne suffit pas n cessairement d finir un caract re particulier du genre de L Am rique au jour le jour puisque lors de la publication des Mandarins en 1954 on a ajout Le Deuxi me Sexe la suite de L Am rique au le jour sans lui accorder le titre g n rique d essai ce qu il est pourtant sans ambigu t g n rique aucune Trois ann es plus tard lors de la parution
126. merican Dilemma the Negro Problem and Modern Democracy Stockholm Harper Brothers 1944 Texte int gral en ligne consult le 14 septembre 2011 258 AJJ p 328 7 Ibid 250 AJJ p 334 257 261 262 99 M me si Beauvoir fait preuve d un certain cynisme en racontant cette anecdote on comprend que sa critique prend peu peu la forme d une virulente d nonciation Ce qu elle constate de la situation des Noirs am ricains dans le Sud des tats Unis ce n est pas seulement une in galit des chances et des conditions fond e sur un am nagement archa que des rapports sociaux c est en fait une v ritable injustice rig e en syst me et ce m me si cette injustice est construite sur un ensemble de faux semblants Pour Beauvoir comme pour Myrdal le plus important parmi ces faux semblants est le fait que le Blanc revendique la s gr gation essentiellement pour viter la mixit des races pr textant que le m lange de sangs appauvrit la fois les Blancs dont les enfants appartiendront alors une caste inf rieure mais aussi les Noirs puisque la force de travail du mul tre est consid r e inf rieure celle du noir pur Beauvoir l explique ainsi Myrdal remarque que dans l ordre des discriminations r clam es par les blancs elle est la premi re et la plus importante de toutes On la pr sente comme la discrimination cl partir de laquelle la cr ation d un ensemble de tabous et d
127. mone de Beauvoir attribue plut t la m lancolie aux d fauts d primants de la civilisation europ enne qu elle va Voir note 51 Voir note 52 164 AJJ 66 retrouver en France Si en repensant toutes ces choses je formule nouveau tant de critiques pourquoi malgr tout m est il si douloureux de partir C est que d abord on pourrait formuler contre notre civilisation fran aise d autres critiques diff rentes mais aussi d primantes Dans les Lettres Nelson Algren Beauvoir raconte plut t deux v nements particuliers li s son d part elle 5 mentionne une fleur blanche qui aurait fait pleurer de tendresse et une conversation qu elle aurait eu avec un chauffeur de taxi en allant vers l a roport Le chauffeur de taxi m a demand C est votre mari Non Ah un ami et il ajouta d une voix pleine de sympathie Comme il avait l air triste Je n ai pas pu m emp cher de dire Nous sommes tr s tristes de nous quitter Paris est si loin Dans Les Mandarins les m mes v nements sont racont s avec une perspective diff rente Sous le papier de soie il y a avait une grosse fleur blanche au parfum tourdissant Je pris la fleur je l crasai contre ma bouche et je me jetai sur le lit en sanglotant Il ne faut pas la manger dit Lewis Est ce qu on mange les fleurs en France Oui quelqu un tait mort une femme joyeuse qui s
128. mporalit qui fait surgir l aporie de l association de L Am rique au jour le jour au genre du journal intime Si nous avons tent de passer outre le fait qu un journal doit avant tout tre une succession de prises de vue en supposant la bonne foi de Beauvoir lorsqu elle affirmait offrir une reconstitution scrupuleusement exacte de ce qu aurait t son journal de voyage si elle en avait tenu un la pr sence des adaptations temporelles dont nous avons fait mention invalide d s lors ce postulat et nous ram ne la case d part En effet selon Eliane et Jacques Lecarme le diariste dont la pratique de l criture a pour int r t la libert qu elle suppose a pour seule r gle de ne pas d former le pass par la r criture Mais pour le scripteur la regle du jeu est tres diff rente dans le cas de l autobiographie on construit et on reconstruit le sens d une vie sans craindre les risques d une d formation r troactive dans le cas du journal intime on s interdit ou on devrait s interdire de modifier leur date les inscriptions effectu es car on commet un v ritable faux en criture C est donc dire que si L Am rique au jour le jour tait consid r comme un journal intime au sens strict de la classification g n rique que peut impliquer ce terme il n aurait pas la valeur de v rit qui est pour Beauvoir l essence m me de son r cit et la condition de l existence de ce dernier
129. n de la condition des Noirs et du statut de la femme sont souvent de l ordre de l observation Elle ne propose pas de solution pr cise aux probl mes soulev s par ses remarques exhaustives sur chacune des situations pr c demment nonc es probablement parce que sa connaissance de ces enjeux n est encore que rudimentaire et parce que les r flexions qu elle fait la suite de ces observations n en sont qu leurs balbutiements Informations lexicales puis es sur le Portail Lexical du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales http www cnrtl fr definition t moignage consult le 15 octobre 2011 285 107 Il y a bien pour les Noirs am ricains une proposition qui ressemble a une piste de solution Beauvoir note qu il leur est imp ratif de combattre leur apathie politique et leur r signation pour s affirmer en tant que citoyens part enti re afin de revendiquer leurs droits et qu il s agit l de leur seul espoir de faire bouger les choses L Histoire lui donnera videmment raison c est par la lutte collective et relativement pacifique que les Noirs am ricains rassembl s autour de leaders charismatiques comme Martin Luther King Jr et Malcom X ont fini par obtenir l annulation des lois Jim Crow et la fin de la s gr gation raciale gr ce au Civil Rights Act de 1964 Il y a n anmoins dix sept ans qui s parent le voyage de Beauvoir en Am rique et la fin de la s gr gation et ces dix sept a
130. n r cit suppos ment au jour le jour le temps du r cit devrait presque toujours coller au temps de l criture Par contre le fait que le journal ait t r dig post riori tel que le mentionne Beauvoir dans sa pr face L Am rique au jour le jour invalide toutes observations que nous pourrions faire sur la temporalit du r cit qui est pour ainsi dire trafiqu e par l auteure Comme nous avons affaire un r cit reconstitu nous tiendrons pour acquis que le texte est principalement r trospectif tel que pouvait l entendre Philippe Lejeune en 1975 Nonobstant ceci la notion de la narrativit du texte et celle de la pr s ance dans l histoire du d veloppement de la personnalit de l auteure peuvent se soumettre une analyse proportionnelle ou hi rarchique Pour ces mesures nous utiliserons une dialectique labor e partir de la Ph nom nologie de la perception de Maurice Merleau Ponty c est dire que nous distinguerons deux variables dans le texte qui permettront de jauger l importance d un l ment par rapport un autre Ces variables sont le sujet observant et l objet observ Cette dialectique a t directement inspir e par la conception que Beauvoir avait de son journal de voyage am ricain En effet nous l avons vu d j la r daction de L Am rique au jour le jour est empreinte d une conception de la perception telle qu elle se trouve th oris e dans la Ph nom n
131. ne prise de position claire qui annonce d j le caract re engag de L Am rique au jour le jour 3 2 2 Travers e du continent et critique de la condition des Noirs am ricains Au fil des jours il y a au moins un groupe social que Simone de Beauvoir n accusera pas d tre immobile et scl ros ce sont les Noirs am ricains qui font face des in galit s sociales dont Beauvoir n avait pas conscience avant son voyage en Am rique Tr s t t dans son voyage alors que Beauvoir assiste un spiritual gospel en pr sence de Richard Wright elle est confront e au caract re in luctable et n cessaire de la conscience sociale des Noirs am ricains Cette r alit Richard Wright la lui explique en ces mots Il n y a pas une minute dans la vie d un noir qui ne soit p n tr e de conscience sociale de sa naissance sa mort il ne peut oublier qu il est noir et cela lui rend pr sent a chaque minute tout le monde des blancs duquel le mot noir re oit son sens Quoi qu il fasse un noir est engag Il 224 Ibid 225 AJJ p 93 91 n y a pas un crivain noir qui le probl me de l engagement ne se pose II est d avance r solu Dans cette conception de l identit noire que Jean Paul Sartre reprendra ensuite dans Orph e noir en l examinant du c t du blanc 7 Richard Wright distingue deux caract ristiques fondamentales de l identit noire la premi re est que cell
132. nexactement dans Les Mandarins cette r ciprocit atteste n anmoins la pr sence de ces trois couches interpr tatives analyser d abord s par ment puis simultan ment pour bien comprendre les enjeux que soul ve cette triple dimension g n rique 2 1 Remarques pr liminaires 2 1 1 Motivations derri re l criture Nous pouvons nous demander quelles taient les motivations qui ont guid l auteure lors de la r daction du texte Elles sont nombreuses et souvent contradictoires Pour ce que nous en savons Simone de Beauvoir ne souhaitait pas de prime abord crire un livre sur son voyage en Am rique Je ne pr m ditais pas d crire un livre sur l Am rique mais je voulais la voir bien je connaissais sa litt rature et malgr mon accent consternant je parlais anglais couramment Au moment du d part le 25 janvier 1947 Beauvoir ne part pas en Am rique pour amasser un mat riel litt raire mais bien pour y rencontrer des amis et des crivains am ricains pour y donner une s rie de conf rences que lui a organis e Philippe Soupault et finalement pour d couvrir le vrai jazz am ricain Le livre est si peu pr m dit qu elle ne tient pas de journal proprement dit agendas lettres ce sont plut t les souvenirs de son voyage qui lui serviront reconstituer le r cit de celui ci Que s est il donc pass pour que dans l intervalle entre son retour de voyage et la publication de L Am r
133. nger de l tat de pr carit dans lequel les maintiennent les propri taires frustrations qui sont la source de plusieurs explosions de violence raciale Il y a d s lors un renversement manifeste qui s op re dans la critique que Beauvoir fait de la condition des Noirs am ricains en comparaison avec le discours qu elle tenait lorsqu elle tait New York d une simple constatation fond e sur une observation des faits Beauvoir passe une critique sociale consciencieuse qui tient compte de facteurs socio conomiques pr cis Ce renversement il est principalement d au fait que Beauvoir a lu durant les derni res semaines de la r daction de L Am rique au jour le jour l analyse du probleme noir de Gunnar Myrdal conomiste su dois qui sera r cipiendaire du Prix Nobel d conomie de 1974 Beauvoir confie dans une Lettre Nelson Algren que son livre An American Dilemma the Negro Problem and Modern Democracy lui a fait une forte impression et qu il a consid rablement chang sa fa on de voir la situation des Noirs am ricains En revanche je suis plong e dans un gros machin sur les Noirs Le Dilemme am ricain qui lui m enthousiasme L auteur est intelligent il conna t il comprend des tas de choses il ne traite pas seulement de la question noire mais de beaucoup d autres probl mes am ricains Je lavale avec passion Ceci explique peut tre qu au moment o elle fait le r cit de son pa
134. nn es seront largement consacr es pour Beauvoir la lutte contre toutes les formes d oppression fond es sur la race notamment la lutte contre la colonisation Pour les femmes l issue est cependant moins certaine On pressent d j dans le discours de Simone de Beauvoir qu elle n entrevoit pour que les femmes am ricaines s mancipent et r alisent leur destin d tre lan expansion et conqu te que ce qu elle mart lera ensuite aux femmes europ ennes leur lib ration passe par l autonomie conomique et l affranchissement des obligations sociales qui incombent traditionnellement la femme Dans L Am rique au jour le jour Beauvoir n aborde pas vraiment le sujet de la maternit qui est l une de ces obligations qui seront d nonc es dans Le Deuxi me Sexe mais elle traite longuement du mariage et de la vie de couple l image de sa lutte contre le colonialisme Beauvoir poursuivra la r flexion amorc e dans le journal de voyage am ricain tout au long de sa carri re consacrant m me les derni res ann es de sa vie militer au sein du MLF Et dans sa vie comme dans L Am rique au jour le jour ces deux discours politiques ne seront jamais bien loin l un de l autre Ce fut le cas notamment lorsque Beauvoir s engagea aux c t s de Gis le Halimi dans la d fense de Djamila Boupacha cette jeune Alg rienne accus e d avoir pos une AJJ p 526 108 bombe Alger et
135. nnent cette honn tet est un luxe oubli Cette fr n sie consommatrice n est pas arbitrairement motiv e Simone de Beauvoir a durement prouv le manque durant la guerre et elle en parle longuement dans La force de l ge voquant tout la fois les efforts qu elle devait faire pour masquer l avarie de la nourriture et les crises d thique de Sartre lorsqu elle mettait la main sur du th ou du sucre de contrebande De mes soucis alimentaires je fis une manie dans laquelle je pers v rai pendant trois ans Je surveillais la sortie des tickets je n en laissais jamais perdre un dans les rues par dela les talages factices des magasins je cherchais d couvrir quelque denr e en vente libre cette esp ce de chasse AJJ pp 33 34 216 217 218 87 au tr sor m amusait quelle aubaine si je trouvais une betterave un chou 216 Il n est donc pas tonnant qu apr s avoir t de son propre aveu obs d e par la chasse aux denr es Beauvoir se sente interpell e par la prodigalit que lui offrent les drug stores am ricains Cependant m me si elle profite de cette prodigalit pour faire des tas de petits achats c est du moins ce qu elle confie Sartre dans ses lettres son naturel critique revient la charge et ce qui tait d abord un merveillement juv nile est rapidement remplac par une d traction lucide des effets pervers de cette abondance M me si sa criti
136. nnu d elle seule mais Beauvoir n labore pas plus longuement sur le sujet 2 4 Les r cits satellites de L Am rique au jour le jour M me si le texte en lui m me r siste la classification il n en demeure pas moins que L Am rique au jour le jour pr sente un ensemble de caract ristiques qui le lient inextricablement au genre des critures du moi Nous avons not parmi ces caract ristiques la forme du r cit qui s assimilait a celle du journal personnel mais aussi le propos qui oscillait entre la narration d un sujet observant en train de d couvrir le monde et la mise distance du r cit par la description de l objet observ une r partition du propos nous emp chant de d terminer avec certitude si le journal de voyage am ricain devait tre consid r comme un r cit autobiographique ou un pisode des M moires de l auteure De ce fait et m me si l affiliation g n rique de L Am rique au jour le jour n a pu tre tablie hors de tout doute il y a bien quelque chose de l ordre de l intime qui r side en ces pages L une des cl s de lecture du texte et de son affiliation g n rique pourrait donc r sider dans ce que nous appelons les r cits satellites c est dire les textes qui gravitent autour du journal de voyage am ricain parce qu ils racontent le voyage en Am rique mais qui ne peuvent tre consid r s comme pitextuels pour autant surtout parce qu ils n abordent pas
137. nt de l occasion pour rendre son verdict au sujet de Dolor s Je la trouve plaisante et sympathique comme tout juste un peu trop bonne femme mais si on est un m le et qui plus est anim d une passion imp rialiste de g n rosit on ne peut rencontrer de personne plus appropri e Ces propos un brin malveillants et tr s nettement sarcastiques d montrent bien la libert que s accordait Beauvoir dans sa correspondance en comparaison avec la retenue qu elle affiche dans L Am rique au jour le jour Un autre absent des Lettres Sartre est bien entendu Nelson Algren Il serait faux de dire que Beauvoir ne le mentionne pas du tout puisque d entr e de jeu dans sa lettre du 28 f vrier elle tisse un lien entre son appr ciation de la ville de Chicago et le fait qu elle l ait visit avec Algren D abord sachez que Chicago n a pas t terrible Au contraire j ai beaucoup aim Chicago peut tre parce que LNA p 33 LAS p 287 152 62 j aimais bien le type avec qui je lai vut Plus loin elle fait une description sommaire de la vie d Algren de ses ouvrages et de ses convictions politiques avant de mentionner qu ils se sont quitt s avec une motion partag e qui a donn Chicago un go t tr s vrai et tr s fort Dans sa lettre du 13 mars Beauvoir crit Sartre en post scriptum qu elle a re u un paquet de livres et une lettre de son ami d
138. ntique celui que raconte Beauvoir dans L Am rique au jour le jour Les choses changent ensuite malgr l exactitude voqu e par Beauvoir dans sa pr face au journal de voyage am ricain l vidence montre que le r cit du second s jour Chicago est trafiqu Ainsi alors que Beauvoir raconte dans les entr es du 11 au 17 mai le voyage qu elle a fait Chicago du 9 au 23 septembre 1947 dans Les Mandarins Anne Dubreuilh s envole peu avant son d part d Am rique pour un voyage clair de quatre jours a Chicago voyage que Beauvoir a effectu la fin du mois d avril 1947 mais qui est compl tement oblit r du r cit de L Am rique au jour le jour Si l on en croit La force des choses c est le r cit des v nements v cus par Anne qui est ici le plus pr s de la r alit Notre premi re journ e ressembla celle que passent dans Les Mandarins Anne et Lewis g ne impatience malentendu fatigue et enfin l blouissement d un accord profond Je ne restai que trois jours a Chicago j avais des affaires r gler New York je convainquis Algren de m y accompagner c tait la premi re fois qu il montait en avion Dans une certaine mesure non seulement la notion d exactitude est ici mise a mal mais il y a aussi une sorte de transfert d authenticit si le r cit de L Am rique au jour le jour n est pas faux il est assur ment inexact en contrepartie le r cit fictionnel des Mandarins e
139. obiographique beauvoirienne parce qu il n y a qu une distance tr s courte entre la p riode relat e et le moment de la r daction du r cit Les M moires d une jeune fille rang e publi s en 1958 s parent la Beauvoir auteure de la Beauvoir objet du r cit d au moins 30 ans C est une distance qui s amenuisera au fur et mesure que les volumes de l autobiographie se succ deront la publication de Tout compte fait faisant suite une pause d environ dix ans dans le cycle mais dans le cas de L Am rique au jour le jour le compte rendu est imm diat alors que Beauvoir rentre en France le 17 mai une lettre adress e Nelson Algren dat e du 17 juin voque d j l criture du journal am ricain Un seul autre r cit dans l uvre de Beauvoir sera aussi spontan La c r monie des adieux crit et publi peine quelques mois apr s la mort de Jean Paul Sartre S il ne faudrait pas lier l importance de l exp rience v cue et l urgence d crire la corr lation ne nous semble pas anodine l image de la mort de Jean Paul Sartre qui marquera un bouleversement dans la vie de Simone de Beauvoir le voyage en Am rique la rencontre avec Nelson Algren et surtout l exp rience des in galit s sociales auront un immense impact sur la pens e de l auteure tant au niveau des th mes qu elle abordera dans son uvre que sur le plan de son criture Simone de BEAUVOIR M moires d une jeune f
140. oir confie dans une lettre a Nelson Algren que la lecture qu elle fait du livre de Myrdal sur le probl me noir l inspire beaucoup pour son tude sur la femme et qu elle trace des liens importants entre ses observations sur le statut et la condition des Noirs et le statut et la condition de la femme dans le monde Tout en avan ant le gros Dilemme am ricain comme ma propre petite Am rique va vers sa fin je me mets r fl chir l essai que j ai commenc sur la condition des femmes J aimerais r ussir quelque chose d aussi important que le Myrdal il souligne d ailleurs quantit de tr s suggestives analogies entre le statut des Noirs et celui des femmes que j avais d ja pressenties La r daction du Deuxi me Sexe qu elle compl tera imm diatement apr s celle de L Am rique au jour le jour b n ficie d s lors de sa lecture de Gunnar Myrdal tant au point de vue de la structure qu elle imite que du contenu puisqu elle utilise les analogies mentionn es plus haut pour illustrer son propos C est ce qu elle fait notamment lorsqu elle compare l utilit pour le Blanc de l existence de l esclavage l utilit pour l homme de l existence de la prostitution Un des arguments des esclavagistes am ricains en faveur de l esclavage c est que les Blancs du Sud tant tous d charg s des besognes serviles pouvaient entretenir entre eux les relations les plus d mocratiques les plus C est
141. oix po tiques qui ont influenc sa cr ation il n est donc pas vident d tablir les r elles motivations qui ont guid le choix du genre supposer qu elles aient exist Dans sa longue correspondance avec l crivain de Chicago Beauvoir voque seulement deux reprises les conceptions philosophiques et intellectuelles prises en compte dans son processus d criture La premi re mention de ces conceptions se trouve dans la lettre du 7 juin c est dire la premi re lettre o elle parle de son id e d crire sur l Am rique et rend compte de mani re assez explicite de l influence sur l laboration du livre de la ph nom nologie de la perception de Maurice Merleau Ponty Je parlerai de l Am rique et de moi j aimerais voquer la totalit de l exp rience moi en Am rique que signifie arriver et partir traverser un pays que signifie l entreprise de regarder les choses d en saisir quelque 6 Sans noncer les termes explicitement Beauvoir rappelle chose etc exprim e en 1945 la suite de sa critique de l uvre de Merleau Ponty c est a dire le fait qu il lui est impossible dans l criture d un fait r el de dissocier l objet observant du sujet observ Cela nous ram ne aussi au probl me de proportion ou de hi rarchie pos par la d finition de l autobiographie de Philippe Lejeune LNA p 28 56 puisqu il y a encore ici une esp ce de souci d tablir un
142. ologie de la perception de Merleau Ponty Ainsi quand elle mentionne 13 dans les Lettres Nelson Algren qu elle veut faire un livre qui parlera de l Am rique et d elle elle fait cho la critique de l ouvrage de Merleau Ponty qu elle a publi e dans Les Temps modernes en 1945 dans laquelle elle statuait qu il tait impossible de d finir un objet en le s parant du sujet pour lequel il est objet En instituant sa corporalit et sa subjectivit comme organes perceptifs de Am rique en liant ces deux id es l une l autre par l expression moi en Am rique Beauvoir reprend l un des postulats de la partie sur le monde per u de la Ph nom nologie de la perception celui o Maurice Merleau Ponty affirme que l objet ne se d termine que comme un tre identifiable travers une s rie ouverte d exp riences possibles et n existe que pour un sujet qui op re cette identification Cette affirmation du philosophe confirme l impossibilit de s parer les deux termes de l exp rience de la perception ce qui explique le choix de nos variables dont la pr sence sera assur e dans le texte d une part parce qu elles sont indissociables et d autre part parce qu elles sont n cessaires l existence du syst me qui rend compte de cette perception Le corps propre est dans le monde comme le c ur dans l organisme il maintient continuellement en vie le spectacle visible il l anime
143. onsid rer la proportion et la hi rarchie tudi es pr c demment De m me pour retracer le r el programme derri re l criture de L Am rique au jour le jour nous nous appuierons aussi sur l pitexte du journal am ricain soit les Lettres Nelson Algren qui permettront de retracer les conceptions textuelles de Beauvoir au moment de la r daction du livre Une analyse rigoureuse de l intention ou du programme de l auteure m nera une classification g n rique plus juste tout en permettant de d montrer le caract re d lib r du positionnement dans le genre 1 2 Litt rature et engagement Une fois l analyse g n rique de L Am rique au jour le jour compl t e il restera examiner le lien qui existe entre le genre des critures du moi et l criture engag e Pour ce faire nous d finirons d abord l engagement en litt rature tel que conceptualis depuis l affaire Dreyfus puis nous nous attarderons sp cifiquement au moment de l engagement en litt rature c est dire la notion sartrienne de l engagement et la pratique engag e de l criture chez les crivains de l apr s guerre Ces deux grilles de lecture de l engagement litt raire serviront dans un premier temps d montrer le fait que chez Simone de Beauvoir la pratique autobiographique est intimement li e la litt rature Georges GUSDORF Op cit p 257 18 engag e puis exposer la conception beauvoirienne d
144. ont plus courtes mais plus fr quentes Et puis fin avril on d note un nouveau changement de rythme dans la correspondance alors que Beauvoir t chait d crire au moins deux fois par semaine elle laisse passer six jours entre les lettres du 24 et du 30 avril et un autre huit jours avant de reprendre la plume le 8 mai Sur les dix jours qu il lui reste a passer en Am rique Beauvoir gardera le silence ce qu elle lui disait et a lui tout ce que nous nous tions elle et moi Simone tait comme a elle voulait la transparence la translucidit Simone voulait tout savoir elle avait un c t haletant d angoisse Sartre l incisif entretien avec Claude Lanzmann in Lire hors s rie no 10 15 avril 2010 p 17 145 LAS p 283 LAS p 291 LAS p 334 C est nous qui soulignons 146 147 60 Dans la correspondance Sartre Beauvoir les lettres qui suivent datent de l ann e d apr s en mai 1948 alors que Beauvoir est en voyage en Am rique du Sud avec Algren Les Lettres n en font pas tat mais l espacement de la correspondance et le d lai de 10 jours entre la derni re lettre de Beauvoir et son retour vers l Europe s explique probablement par un certain refroidissement des relations entre Beauvoir et Sartre qui lui a demand deux reprises de prolonger son voyage en Am rique pour ne pas froisser Vanetti Ce refroidissement aura des cons quences notables sur le contenu des Lettres puisq
145. our l uvre de Philippe Lejeune LPA Le pacte autobiographique viii Remerciements La r alisation de ce m moire aurait t impossible sans la contribution de plusieurs personnes qui ont consacr temps et nergie a m appuyer dans mon travail Je tiens a remercier plus personnellement certaines d entre elles Merci d abord a Madame Andrea Oberhuber qui a accept de diriger ce m moire et dont les conseils et le support ont t pr cieux tout au long de la r daction de celui ci et sans lesquels il n aurait pu voir le jour Merci ensuite a Madame Lise G linas enseignante au College Jean de Br beuf collegue et sp cialiste de la relation pistolaire entre Simone de Beauvoir et Nelson Algren pour avoir lu ce m moire avec attention afin d y relever de potentielles erreurs factuelles Merci finalement a Hugo pour avoir tout relu pour avoir endigu quelques crises de larmes et un nombre incalculable de bouff es d angoisse et pour m avoir offert durant les deux derni res ann es et toutes les autres avant encouragement affection et inspiration Introduction Lorsque Simone de Beauvoir amorce le chapitre de son autobiographie qui traite de ses voyages en Am rique par la phrase Je ne pr m ditais pas d crire un livre sur l Am rique mais je voulais la voir bien elle bauche les grandes lignes d un projet qui verra le jour mi chemin entre l essai et l
146. our presque tous les v nements cl s du journal de voyage am ricain la d couverte de New York la visite des chutes Niagara les conf rences la travers e du continent 148 AJJ p 11 19 LAS p 276 150 151 61 d abord en train puis en autobus le s jour Los Angeles On retrouve dans L Am rique au jour le jour la plupart des anecdotes que Beauvoir raconte Sartre dans ses lettres ceci pr s que L Am rique au jour le jour est presque d pouill e de r f rence onomastique Beauvoir utilise dans le journal les initiales pour d signer les gens et elle pr serve leur vocation du cynisme et de l humour noir avec lequel elle les d crit dans les Lettres comme si elle avait senti le besoin de se censurer au moins au sujet de ce qu elle pense des gens C est d ailleurs une contrainte qu elle voquera regret dans une de ses lettres a Nelson Algren Quel dommage que je ne puisse parler tout fait librement des gens ce serait bien plus int ressant Par exemple je ne peux dire tout ce que je sais de Richard Wright il ne serait pas content malgr ma grande amiti pour lui M me chose pour d autres De m me la pr sence de Dolor s Vanetti est enti rement vacu e du r cit des premiers jours que Beauvoir passe New York m me si elle l a rencontr e plusieurs reprises avant que cette derni re parte pour Paris et qu elle fait le r cit de ces rencontres Sartre en profita
147. phique un ensemble assez rigide de caract ristiques formelles qui ne laisse pas transpara tre la possibilit de mesurer ces param tres Cependant lorsque Philippe Lejeune utilise cette m me d finition en 1975 dans Le pacte autobiographique il y ajoute aussit t une s rie de remarques mesurant importance de chacune des conditions d existence de l autobiographie offrant d s lors plus de souplesse dans la classification C est donc dans cette d finition nuanc e du genre qu apparait la question de la mesure de l autobiographie Le texte doit tre principalement un r cit mais on sait toute la place qu occupe le discours dans la narration autobiographique la perspective principalement r trospective cela n exclut pas des sections d autoportrait un journal de l uvre ou du pr sent contemporain de la r daction et des constructions temporelles tr s complexes le sujet doit tre principalement la vie individuelle la gen se de la personnalit mais la chronique et l histoire sociale et politique peuvent y avoir aussi une certaine place C est l question de proportion ou plut t de hi rarchie 7 2 LPA p 14 3 LPA p 15 Ibid 11 Il y a dans cette pond ration une certaine impr cision qui rend difficilement mesurable ce qu est ou n est pas l autobiographie c est ce que Philippe Lejeune voque lorsqu il conclut que dans l tablissement de la classification
148. politique investira le politique au coeur m me de sa litt rature pour que cette derni re devienne partie prenante du discours politique Finalement la troisi me conjoncture donnant naissance une litt rature engag e sera l mergence apr s la r volution d octobre 1917 d un tropisme r volutionnaire qui influencera toute la production litt raire de l entre deux guerres L mergence de ce tropisme aura pour cons quence du moins pour un temps d acc l rer la politisation du champ litt raire et la division des crivains en deux camps soit ceux qui sont engag s et ceux qui ne le sont pas chaque camp luttant pour la l gitimit de sa place dans le champ litt raire Cet ensemble de contingences donnera d abord lieu la naissance des avant gardes litt raires qui afficheront leur engagement en postulant une quivalence entre leurs pratiques artistiques iconoclastes et l thique r volutionnaire Malheureusement vacu es rapidement de la sph re politique par les communistes qui les accusent de faire de l art bourgeois les avant gardes laisseront peu peu place une deuxi me forme de r ponse aux contingences d crites plus haut celle de l engagement litt raire au sens sartrien du terme 1 2 2 La notion sartrienne de l engagement Selon Michel Winock trois hommes en France ont pu symboliser l engagement litt raire Maurice Barr s au moment de l affaire Dreyfus Andr Gide lors de l entre deux gu
149. produire son 47 Informations lexicales puis es sur le Portail Lexical du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales http www cnrtl fr definition situation consult le 27 juin 2011 8 Jean Paul SARTRE Op cit p 154 Jean Paul SARTRE Op cit p 75 Jean Paul SARTRE Op cit p 288 25 engagement et le risque d tre jug exclusivement en raison de celui ci Un autre probl me auquel se confrontera l crivain engag concerne les limites de son historicit parce qu elle est issue de circonstances imm diates la litt rature engag e peut tre rapidement compromise par la marche de l histoire L crivain qui choisit l engagement participatif est sans cesse menac d obsolescence et ne peut contrer ce ph nom ne qu en suivant au plus pr s le mouvement de sa situation Il y a un rapprochement ind niable faire entre le risque que court l crivain engag et celui li la pratique de l autobiographie et des critures intimes Dans les deux cas l crivain met en p ril sa propre identit en l asservissant une cause la libert ou un th me la v rit Cette ressemblance est l origine du postulat qui fonde notre m moire si le risque est homologue les crits intimes et les crits engag s le sont aussi forc ment puisque selon Sartre toute criture est engag e C est donc en retra ant le risque dans L Am rique au jour le jour la fois dans l
150. que nous avons cit en d but de chapitre Toutes les critures du moi ne r pondent pas une intention identique Il convient de prendre la question la source et de se demander quel est le programme de celui qui se d cide entreprendre la r daction d un r cit de 180 an PET sa vie Si nous avons d j explor le programme de Beauvoir en d tail il n en demeure pas moins que la v ritable intention qui pr sidait la r daction de L Am rique au jour le jour et les choix g n riques qui s ensuivirent ne peut qu tre pr sum e Nous avons voqu plusieurs possibilit s a ce sujet comme le Georges GUSDORF Op cit p 253 181 182 72 besoin de Beauvoir de comm morer sa liaison avec Nelson Algren ou son d sir d offrir un point de vue existentialiste sur l Am rique mais il n en demeure pas moins que la principale raison qui poussait Beauvoir crire tait la profonde conviction qu elle avait du pouvoir de la litt rature En ce sens L Am rique au jour le jour ne se diff rencie pas des romans et des essais produits par l auteur sa r daction t moigne du d sir de Beauvoir de d voiler le monde pour faire montre de la libert de ses lecteurs et pour les pousser l action Nous avons l intuition que c est pr cis ment pour cela qu est d terminant le choix d un r cit ancr dans les critures du moi en permettant aux lecteurs d avoir acc s une partie de sa
151. que porte d abord sur l in vitable manque de go t que rev tent les produits issus de l conomie s rielle son jugement glisse vite vers l absence de libert de choix que cela instaure pour les citoyens am ricains Et puis on s aper oit bient t que sous les papiers multicolores qui les enrobent tous les chocolats ont le m me go t de cacahu te tous les best sellers racontent la m me histoire Il y a dans cette profusion inutile un arri re go t de mystification Voici mille possibilit s ouvertes mais c est la m me Mille choix permis mais tous quivalents Ainsi le citoyen am ricain pourra consommer sa libert l int rieur de la vie qui lui est impos e sans savoir que cette vie m me n est pas libre Pour Beauvoir il est vident que l conomie de masse entra ne une distorsion de la r alit l o le consommateur a l impression d exercer sa libert en effectuant un choix dans l abondante vari t qui lui est offerte il se retrouve tre ali n par un syst me qui ne lui propose qu une variation sur le m me th me cette variation ayant toujours pour but de faire tourner la machine conomique qui garde le pays flot Beauvoir remarque rapidement que le consum risme am ricain pousse les citoyens pratiquer une sorte de chaleur humaine factice qui pervertit les relations humaines J ai lu sur une pancarte dans un drug store Not to grin is a sin On pressent la
152. qui se calcule ou se mesure elle surgit de fa on arbitraire et intuitive et doit tre d duite de l analyse minutieuse de ce qui peut tre consid r comme le texte programmatique du r cit Malgr le caract re arbitraire de la compr hension du programme de l auteur Gusdorf soutient que ce programme existe quel que soit le mode d criture intime choisi parce qu il est intrins que au Georges GUSDORF Op cit p 254 31 Informations lexicales puis es sur le Portail Lexical du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales http www cnrtl fr definition programme consult le 26 juin 2011 32 Informations lexicales puis es sur le Portail Lexical du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales http www cnrtl fr definition manifeste consult le 26 juin 2011 17 d sir de proc der l criture du moi La d cision initiale des critures du moi exprime le v u d une remise en jeu de l existence sous l effet d une n cessit intime d un d saccord entre le sujet et sa propre vie Ce besoin d un nouveau contact de soi soi correspond une intention critique Dans le cas de L Am rique au jour le jour le texte qui peut faire office de programme c est bien videmment la pr face au journal de voyage am ricain r dig e par Simone de Beauvoir C est donc d abord dans ce court texte que nous chercherons les motivations de l auteur sans n cessairement c
153. r gnance des travaux de Maurice Merleau Ponty dans la compr hension par Beauvoir de l criture en situation 87 Informations lexicales puis es sur le Portail Lexical du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales http www cnrtl fr definition reconstitution consult le 15 f vrier 2011 Le CNRTL date du 13 si cle l emploi du mot impression dans le sens de laisser une trace 88 Jacques LECARME et Eliane LECARME TABONE Op cit p 8 3 LPA Voir Ibid Voir 38 l autobiographie est une criture seconde toujours ult rieure plus f conde et plus complexe que le journal intime surtout parce qu elle met la th orie a l preuve du r el par la r flexion r trospective elle doit aussi tre toujours selon Lejeune le r cit du d veloppement de la personnalit de l auteur ce que n est pas d embl e le t moignage de Beauvoir et ce malgr les nuances que Lejeune apporte aussit t sa d finition de 1975 que nous rappelons ici Le texte doit tre principalement un r cit mais on sait toute la place qu occupe le discours dans la narration autobiographique la perspective principalement r trospective cela n exclut pas des sections d autoportrait un journal de l uvre ou du pr sent contemporain de la r daction et des constructions temporelles tr s complexes le sujet doit tre principalement la vie individuelle la gen se de la personnalit mais la chronique et l
154. r une esth tique de la r ception Paris Gallimard coll NRF 1978 p 53 172 LPA p 42 LPA p 43 LPA p 169 173 174 175 176 177 69 autobiographique est consid rablement augment lorsqu il se trouve doubl d crits intimes non autobiographiques o le je assum de l auteur contribue 175 j au jeu textuel global C est le cas notamment des lettres et des journaux intimes deux formes textuelles que nous pouvons consid rer comme faisant partie du corpus du voyage am ricain La condition n cessaire au fonctionnement de l espace autobiographique c est l existence d au moins un texte publi qui soit clairement fond sur le pacte autobiographique et qui ouvr e la perspective dans laquelle tous les autres textes doivent d sormais tre lus Dans le cas du corpus am ricain c est probablement L Am rique au jour le jour qui fait l office du texte embrayant l espace autobiographique parce qu il est fond sur un pacte autobiographique implicite attestant de l authenticit du texte En lisant le texte du journal am ricain en rapport avec les Lettres Sartre les Lettres Nelson Algren et Les Mandarins on forme un espace autobiographique o chacun de ces textes doit tre lu en regard des autres pour tre pleinement compris Ainsi cheminent c te c te les textes crits dans l instant comme les lettres qui fixent le discours de l
155. rall le entre son all geance politique et le fait de prendre la parole pour d noncer une situation comme si elle tenait pour acquis que les deux doivent aller de pair ce qui fut le cas au moins dans son uvre De m me voquant sa vieillesse et la peur de perdre peu peu le pouvoir d agir sur les choses elle explique que sa profession d crivain lui permet de lutter contre l inertie L crivain a tout de m me la chance d chapper la p trification dans les instants o il crit La cr ation est aventure elle est jeunesse et libert Le message est on ne peut plus clair la vie de l crivain est intimement li e la libert qui elle m me d coule de l engagement FDC p 10 FDC p 9 Simone de Beauvoir La force des choses Il Paris Gallimard coll Folio 1963 p 492 D sormais cit comme FDC2 suivi de la page 210 FDC2 p 504 211 212 85 Il y a donc plusieurs invariants que nous pouvons d gager dans l intention autobiographique de Simone de Beauvoir La premi re c est que le grand projet autobiographique est une d marche qui tend vers l authenticit C est ce qu elle dit la fin de La force des choses insistant sur le fait qu elle a crit ces M moires en grande partie pour r tablir la v rit et elle renouvelle ce serment la fin de Tout compte fait Dissiper les mystifications dire la v rit c est un des buts que j ai le plus
156. rarchisation semble absente de la conception textuelle de Beauvoir C est donc l analyse minutieuse de l crit qui pourrait nous aider la d terminer 2 2 3 La question de la proportion et de la hi rarchie selon Philippe Lejeune L entr e du 25 janvier 1947 la toute premi re de L Am rique au jour le jour et la seule donc qui peut tre consid r e comme l incipit du texte d bute ainsi Quelque chose est en train d arriver On peut compter dans une vie les minutes o quelque chose arrive Des pinceaux de lumi re balaient le terrain o brillent des feux rouges et verts c est un soir de gala une f te de nuit ma f te D embl e le texte ne nous plonge pas dans un univers subjectif Quelque chose est en train d arriver l emploi de cette expression de ce pronom en particulier t moigne d une ind finition d une mise distance comme si le sujet observant ici ne suffisait pas rendre compte de l objet observ Quelque chose c est une r alit que l on envisage et qui se manifeste mais qui chappe momentan ment notre compr hension ou notre capacit la rendre intelligible L expression r p t e deux fois transcende le caract re insaisissable de objet observ mais pas la sp cificit du sujet observant M me chose pour la phrase qui suit on peut compter dans une vie les minutes o quelque chose arrive Il n y a pas prise de possession du discours par le sujet obser
157. re l objet observ un certain pouvoir de se d voiler lui m me alors qu elle agit en tant que r ceptacle de signaux perceptifs C est du moins ce qu elle voque dans la pr face du journal am ricain quand elle mentionne qu elle souhaite raconter comment l Am rique s est d voil e une conscience C est donc ce basculement dans le r cit entre la conscience de ce qui est observ par le sujet observant et le d voilement actif de l objet observ qui nous permettra de juger de la proportion du r cit qui est accord e au d veloppement de la personnalit de l auteure La hi rarchie elle sera plus probl matique d terminer dans la mesure o une plus grande proportion textuelle ne signifie pas n cessairement une plus grande importance textuelle pour l auteure C est plut t l analyse du discours paratextuel qui servira d terminer l importance hi rarchique des variables nonc es plus haut Mentionnons ici au passage que nous entendons la notion de paratexte telle que d finie par G rard Genette dans Seuils c est dire l ensemble des l ments entourant un texte qui fournissent une s rie d informations au sujet de ce m me texte Comme le paratexte a deux constituantes le p ritexte qui regroupe toute l information ajout e l objet livre sans faire partie du texte en lui m me et l pitexte qui d signe l ensemble de l information qui porte sur l uvre mais qui est di
158. re 1 Parce que l organisation de notre m moire suppose deux formes d analyse distinctes de L Am rique au jour le jour une premi re qui s attardera la probl matique de l hybridit du texte et la classification g n rique et une deuxi me qui portera sur le caract re engag du texte et la forme que prend l engagement dans le texte nous devrons convoquer des approches sp cifiques chacune de ces analyses Ce chapitre de m thodologie sera donc divis en deux parties chacune d entre elles s attardant aux concepts et notions n cessaires chacune des analyses qui occuperont les chapitres 2 et 3 de ce m moire Ainsi la premi re partie de ce chapitre portera sur l analyse g n rique o nous nous attarderons aux diff rents concepts issus du classement g n rique des critures du moi ce qui nous permettra ventuellement de mieux cerner le genre singulier de L Am rique au jour le jour La deuxi me partie de ce chapitre d pouillera d abord la notion d engagement de l criture d un point de vue global avant de d tailler la notion sartrienne de l engagement qui nous appara t la plus juste pour t moigner de l engagement beauvoirien 1 1 Po tiques des genres 1 1 1 Hi rarchie et proportion l int rieur de l ensemble constitu de la po tique des genres et de la th orie de la r ception ce qui nous occupera sera de d terminer la place de L Am rique au jour le jour dans le domaine des
159. re de Beauvoir Cela suppose qu il ny a pas non plus de conscience organisatrice ou de construction d lib r e de l espace autobiographique beauvoirien il surgit fortuitement apr s un examen global du corpus et il demeure segment ou morcel fonctionnant par pisode plut t que comme un tout Cela ne veut pas dire que l organisation et le contenu du texte de L Am rique au jour le jour ne sont pas d lib r s seulement ils n ont pas t construits de fa on former ce syst me d interpr tation ils le produisent plut t Ainsi pour lire en L Am rique au jour le jour un texte embrayeur de l espace autobiographique il faut le consid rer a posteriori une fois l ensemble des textes publi s ce qui n arrive qu apr s la publication des Lettres Nelson Algren en 1997 Au moment de sa publication en 1948 le journal am ricain ne dispose pas des autres textes qui viendront tendre l espace autobiographique ou induire l ambigu t de l nonciation dans Les Mandarins Malgr cette appartenance vidente l espace autobiographique beauvoirien il faut d abord prendre L Am rique au jour le jour pour ce qu elle est en soi un r cit qui n est ni tout fait un journal ni tout fait une autobiographie mais qui pr tend l authenticit Cela nous laisse la latitude de naviguer dans l hybridit g n rique du journal am ricain sans nous priver de la LPA p 184 LPA p 185
160. rement certains pr jug s l criture du moi peut assur ment jouer ce r le d crit politique et Beauvoir n est pas la premi re se servir de la litt rature intime pour transmettre ses convictions politiques En effet selon Beno t Denis la litt rature engag e se d veloppe presque toujours l cart des genres litt raires traditionnels Il y a donc dans la d marche de l crivain une volont de transitivit qui l am ne au moins viser une ultime forme de transparence de l criture C est pourquoi la litt rature engag e tend se d ployer en dehors des 75 18 Ainsi sans mentionner explicitement la litt rature genres canoniques intime Benoit Denis voque une criture ax e sur la transparence donc sur l exactitude et la sinc rit notions qui sont toujours mises en jeu dans la d finition des critures du moi Ainsi malgr le caract re r solument intime du r cit de soi certains crivains ont aussi eu c ur de faire tat de leur vision du monde autant que du d veloppement de leur personnalit Il s agit n anmoins d un paradoxe l intimit que suppose le r cit de soi n est habituellement pas possible dans le discours qui aspire l universel Pourtant chez ces auteurs l autobiographie est n cessairement li e un engagement surtout parce qu elle implique un passage du singulier le v cu racont la globalit le d voilement du monde un publi
161. rialiste n est pas tenu l objectivit et qu il n a pas cacher ses 109 i x J oa Il y a bien s r tous ces marqueurs visuels qui balisent l espace les couleurs et les lumi res notamment et toutes les choses vues observables d signables mais la dimension visuelle la plus importante du r cit semble r sider dans le concept du d voilement D abord utilis dans la pr face pour d signer la pratique de l espace beauvoirienne l Am rique se d voilant la conscience du sujet observ le concept revient plusieurs reprises pour rendre compte de l aspect passif de la d couverte d un lieu qui se d voile avant d tre habit 110 AJJ p 10 11 aka f P A Je ne serai jamais blas e sur ces m tamorphoses et celle ci me touche et m tonne plus que beaucoup d autres le livre de ma jeunesse aux couleurs rouges et noires de la N R F c est un grand lac sauvage d un bleu ardois au milieu des bois d pouill s j ai lu Walden l ge o lecture est magie c est cette magie qui des ann es de distance arrache aux pages du livre un site que j avais vainement voqu et lui insuffle la vie AJJ p 393 112 ee i ee r Quand enfin il est rassasi de ses propres paroles il s en va Je le regarde partir avec un peu de regret il y a tant de charme dans son sourire dans ses gestes mais j ai seulement assist une m diocre repr sentation Je n ai pas vu Charl
162. rime abord nous pouvons penser qu il pourrait s agir d un m lange des deux genres en plus des observations que Beauvoir fait sur l authenticit du r cit l auteure dans la pr face de L Am rique au jour le jour insiste beaucoup sur le fait que son t moignage est d abord fa onn par son exp rience de l espace De m me elle d crit sa motivation faire le r cit de son voyage en Am rique comme tant le d sir de raconter au jour le jour comment l Am rique s est d voil e une conscience la sienne Cette insistance sur l importance de sa perception subjective dans le r cit rappelle la pr gnance de la ph nom nologie de la perception de Maurice Merleau Ponty dans la conception beauvoirienne de la pratique de l espace mais elle a aussi pour effet de lier de fa on ind niable l intime la pens e et les sentiments de Beauvoir l espace le voyage en Am rique proprement dit ce qui dans une certaine mesure traduit la double nature de L Am rique au jour le jour Il est donc certain que le journal de voyage am ricain de Simone de Beauvoir n est pas un journal de voyage proprement parler tel que le d finit Fran oise Simonet Tenant c est dire une criture au jour le jour d nu e d int riorit o la pr sence constante de rep res g ographiques vient doubler les rep res chronologiques et accentue l impression de lin arit descriptive Ces rep res syst
163. rique au jour le jour Il y a donc deux fa ons de lire le journal de voyage am ricain par le r cit en soi d une part et par l pitexte du r cit qui d autre part adjoint ce qui est dit une grande partie de ce qui n est pas dit rendant d s lors le travail d analyse plus complexe ces deux ensembles textuels distincts s ajoute un autre l ment qui contribue au r cit am ricain mais d une mani re plus floue Les Mandarins roman en deux tomes publi chez Gallimard racontant le voyage am ricain d Anne Dubreuilh et sa grande histoire d amour avec un crivain de Chicago S il peut sembler discutable de consid rer d s lors Les Mandarins comme un r cit satellite de L Am rique au jour le jour avec la m me cr dibilit que la correspondance de Simone de Beauvoir il n en demeure pas moins que l existence de ce roman offre une nouvelle perspective d analyse en cr ant une tension entre r alit et fiction 27 Dans La Force des choses Beauvoir admet elle m me une certaine r ciprocit entre le r cit qu elle fait de son voyage dans L Am rique au jour le jour et celui qu elle attribue Anne Dubreuilh dans le roman J prouvais alors cette nostalgie que j ai pr t e Anne dans Les Mandarins j en avais assez d tre une touriste je voulais me promener au bras d un homme qui provisoirement serait moi Bien qu elle affirme avoir racont cet pisode tr s i
164. robl me de classification g n rique le journal n est journal que dans l criture quotidienne Que devient il lorsqu crit et r fl chi post riori Philippe LEJEUNE in Francoise SIMONET TENANT Op cit p 8 ST EDC p 191 Le FDC Ibid Ces deux semaines dont parle Beauvoir sont les deux semaines qu elle a pass es a Chicago en septembre 1947 du 9 au 23 Dans L Am rique au jour le jour l entr e du 13 mai porte sur sa participation a un police show celle du 14 mai de sa visite d une prison et celle du 16 mai de sa d couverte des abattoirs Voir AJJ pp 486 524 30 2 2 Probl mes g n riques entre autobiographie et journal intime 2 2 1 L Am rique au jour le jour et le genre du journal intime Confront l objet mat riel que repr sente L Am rique au jour le jour la premi re impression du lecteur serait d avoir affaire un journal qui conjuguerait les fonctions de journal intime et de journal de voyage Dans sa forme le livre se pr sente effectivement comme tel bien que pr c d d une pr face pr cisant le caract re r trospectif du journal L Am rique au jour le jour est d abord et avant tout form d une s rie d entr es dat es qui suivent le cours d un voyage celui de Simone de Beauvoir en Am rique De m me la pr cision que fait Beauvoir au sujet du caract re r trospectif du journal s accompagne aussi du r cit de la reconstitution de celui ci quoique
165. s trop vaste trop lourd pour qu un individu puisse songer la remuer Beauvoir semble attribuer cette d mission au syst me qui inhibe la conscience sociale des citoyens en les poussant se concentrer sur leur r ussite individuelle AJJ pp 238 239 AJJ pp 134 135 90 En Am rique l individu n est rien Il fait l objet d un culte abstrait en le persuadant de sa valeur individuelle on arr te en lui l veil d un esprit collectif mais ainsi r duit lui m me on lui te tout pouvoir concret Sans espoir collectif sans audace personnelle que peut l individu Se soumettre ou alors si par un hasard tr s rare cette soumission lui est trop odieuse s en aller La conclusion de ce passage qui marque la fin du premier s jour New York de Beauvoir et qui est donc ant rieur ses premiers contacts avec la partie encore s gr gationniste des tats Unis est empreinte d un certain fatalisme qui ne ressemble pas l habituel optimisme de Beauvoir C est que m me si le syst me est con u de fa on endormir la population cette derni re n a finalement aucun d sir de d passer cette situation pour se r volter C est en ce sens que Beauvoir finit par croire a une certaine ali nation volontaire des Am ricains S adapter ici c est devoir se d mettre de soi m me tre heureux c est savoir s aveugler avec ent tement Cette affirmation quoique fataliste rel ve d u
166. ssage dans les tats s gr gationnistes elle reprend l analyse de Myrdal son compte expliquant justement la nature de ce dilemme am ricain L Am rique est id aliste Dans ses coles ses glises ses tribunaux ses journaux s affirme a travers toutes les r gions toutes les couches sociales un m me Credo celui qui s inscrit dans la d claration d Ind pendance et dans le Pr ambule de la Constitution Il pose la dignit essentielle de la personne humaine l galit fondamentale des hommes et certains droits inali nables la libert la justice des chances concr tes de r ussite Or ce Credo profond ment ancr au c ur de tous les blancs sans en excepter ceux du Sud trouve dans la situation faite au noir le LNA p 118 98 plus flagrant d menti personne ne pr tend qu ils ont avec les blancs une galit de condition ni de chances LA C est en raison du caract re flagrant de ce dilemme que dans son analyse Myrdal consid re essentiellement que le probl me noir aux tats Unis est avant tout un probl me de Blancs It is thus the white majority group that naturally determines the Negro s place All our attempts to reach scientific explanations of why the Negroes are what they are and why they live as they do have regularly led to determinants on the white side of the race line In the practical and political struggles of effecting changes the views and attitudes of the
167. st probablement celui que nous pouvons reconna tre comme tant le plus proche du r el Dans ce cas ci il y a une v ritable transgression du pacte de lecture d une part l auteure nous incite tenir pour vrai un r cit qui est contrefait et d autre part le texte qui est attest FDC p 178 68 comme fictif peut aussi tre lu comme un texte du corpus autobiographique ce qui produirait une sorte d cart esth tique donnant lieu un v ritable brouillage du genre En ce sens il convient peut tre de repenser notre lecture de L Am rique au jour le jour plut t que d essayer de d terminer l appartenance g n rique du journal de voyage am ricain il faudrait peut tre envisager de lire le r cit autrement non pas comme un texte autobiographique mais peut tre comme un l ment cl du grand espace autobiographique beauvoirien 2 4 3 L Am rique au jour le jour et l espace autobiographique beauvoirien En effet la lumi re des carts et des transgressions du pacte de lecture que d note l tude de l pitexte et des r cits satellites de L Am rique au jour le jour il nous semble imp ratif de changer notre lecture du journal de voyage am ricain qu il ne faut pas seulement consid rer comme un r cit individuel dont le genre hybride serait ind finissable mais plut t comme un l ment cl de la lecture de l espace autobiographique beauvoirien Selon Philippe Lejeune l
168. t Dans le cas de L Am rique au jour le jour ces erreurs de chronologie laissent transpara tre qu il y a bien une volont de donner forme au r cit ce qui s accorde avec notre hypoth se postulant que l ambigu t g n rique du journal am ricain est d lib r e M me s il semble aller l encontre des caract ristiques g n riques du journal intime ce genre de travail n est pas impossible dans le genre mais il est plut t r serv aux bilans que Fran oise Simonet Tenant d finit comme les pures d un destin reconstruit fruits d une m moire distance s lective organisatrice t moignant de l effort pour construire l image d un moi coh rent proc d par lequel le diariste aspire surplomber le temps Si l on s en tient cette d finition les adaptations temporelles beauvoiriennes ne rel vent pas vraiment du bilan en ce qu elles n offrent pas de vision globalisante de ce qui s est pass auparavant Au contraire elles servent plut t prot ger la vie priv e de Beauvoir choix curieux dans la r daction d un journal intime De l peut tre le mot de Gide dans Si le grain ne meurt au sujet des m moires qui ne sont jamais qu demi sinc res si grand que soit le souci de v rit tout est toujours beaucoup plus compliqu que l on ne le dit Fran oise Simonet Tenant pr vient qu il s agit l d une des difficult s de l analyse d un
169. t matrice dans l uvre de Simone de Beauvoir et qu il ait donn naissance une sorte d bullition intellectuelle qui aura influenc une grande part de ses crits Ce r le matriciel de L Am rique au jour le jour dans l uvre de Simone de Beauvoir est pour nous ind niable D j le fait que la publication du journal de voyage am ricain ne soit suivie que d un roman Les Mandarins contre sept r cits autobiographiques montre que Beauvoir a trouv dans l criture intime une forme qui lui permet de s exprimer tout en tant fid le a la n cessit de l engagement qu elle s impose depuis la guerre Apr s la publication des Mandarins et l obtention du prix Goncourt Beauvoir concentrera l essentiel de son activit litt raire dans le r cit de soi le reste de son uvre est r parti entre les essais Le Deuxi me Sexe Privil ges La vieillesse et les recueils de nouvelles Les belles images et La femme rompue qu elle fera para tre la fin de sa vie Le fait de se concentrer essentiellement sur les critures intimes apr s la r daction du journal am ricain d montre bien l importance que rev t ce mode d criture 286 l y a bien eu en 1979 la publication de Quand prime le spirituel mais il s agit l d un roman dont la r daction avait pr c d celle de L Invit e Ce livre l poque avait t refus par les diteurs 112 pour elle et les possibilit s d expression qu e
170. tagonistes et leur double r el peut laisser croire que dans le cas pr cis des Mandarins la fiction se m le au r el parfois de fa on assez indistincte C est tout le moins ce que laisse croire la remarque de Simone de Beauvoir lorsqu elle affirme dans La force des choses avoir pr t Anne Dubreuilh des 162 M me si Beauvoir laisse entendre que cet sentiments qui lui avaient appartenu pisode a t racont de fa on inexacte dans Les Mandarins le r cit du voyage d Anne Dubreuilh en Am rique est fortement influenc par sa propre liaison avec Algren et il permet justement de mettre en lumi re tout cet pisode pass sous silence dans L Am rique au jour le jour et dans les Lettres Sartre Ainsi toute l motivit de sa relation avec Algren qui est expurg e de L Am rique au jour le jour par pudeur et des Lettres Sartre par rancune est ici d voil e avec beaucoup de sensibilit La v racit du texte ou sa similitude avec le r el se v rifie par la comparaison du r cit des Mandarins et des autres crits intimes de Beauvoir Notamment certains extraits des Lettres Nelson Algren voquent des v nements qui sont racont s presque textuellement dans Les Mandarins et donnent l impression que tout n a pas t dit sur le voyage de Simone de Beauvoir en Am rique C est le cas par exemple du d part d Am rique qui est v cu comme une d chirure affective par Anne Dubreuilh et dont Si
171. taires en soci t et elle postule que la raison de la haine que leur vouent les hommes honn tes est probablement le fait que aucun homme n est d finitivement leur 2 Ibid 270 AJJ p 56 R gis DUBOIS Images du Noir dans le cin ma am ricain blanc Langres ditions de L Harmattan p 49 Nous comprenons que dans le langage beauvoirien la prostitu e est la femme qui est pay e pour les services sexuels alors que l h ta re est une courtisane de petite vertu qui attend de son amant une forme de r tribution symbolique une femme facile en somme 271 272 273 103 ma tre Il est possible que devant la femme blanche qui c de l homme noir la principale r crimination des hommes honn tes ce soit qu aucun homme blanc ne soit leur ma tre L absence de libert dans le choix du partenaire de vie n est pas la seule chose que Beauvoir d nonce dans la condition de la femme am ricaine En effet les observations qu elle fait sur la vie des femmes tats uniennes vont rapidement se transformer en critique qu elle adresse cette fois ci non pas seulement au syst me mais aussi aux femmes qu elle soup onne de faire perdurer la situation La premi re chose que remarque Beauvoir chez la femme am ricaine c est que celle ci ne vit que dans une apparente libert par rapport la femme fran aise une libert qu elle croyait pourtant naturelle chez les Am ricaines Quant
172. teure et le lecteur n tait donc possible que par l existence d une intimit que nous ne croyons possible que par l criture autobiographique De la l essence de L Am rique au jour le jour ce r cit la fois si autobiographique et si politique Conclusion Le paradoxe qui existait entre la litt rature et l engagement n en tait finalement un qu en apparence La lecture de L Am rique au jour le jour aura permis de comprendre que ce qui nous semblait contradictoire tait au contraire du domaine de l vidence l engagement par sa fa on de mettre en jeu la personne qui s engage n cessite un acc s l intimit de cette personne pour tre consid r avec s rieux La litt rature de l intime ici fait donc office de voie de communication parfaite entre l auteur qui s engage et le public auquel il s adresse En mettant l avant plan sa subjectivit l auteur engag s assure de la cr dibilit qui est n cessaire la performativit de son r le d intellectuel dans la cit Dans le cas de Simone de Beauvoir l engagement tout comme le processus autobiographique aura dur presque toute une vie Les deux se seront arr t s plus ou moins a la mort de Sartre alors que Beauvoir diminu e par la peine et us e par une vie de luttes sociales crit le dernier de ses r cits autobiographiques et d laisse peu peu la vie publique Chez elle litt rature intime et engagement auront t li s jusqu
173. tielles a existence de l autobiographie celle d un r cit faisant l histoire d une subjectivit n est pas vraiment remplie Il faudra d s lors aborder l objet de fa on nuanc e nous avons affaire un r cit qui emprunte certains traits l autobiographie comme la pr sence d un pacte autobiographique fond sur l authenticit et le r cit au je mais ce terme appara t insuffisant quand vient le temps de rendre compte de ce qu est exactement ce journal de voyage am ricain l insuffisance du terme autobiographie vient peut tre du fait que le mot en lui m me implique une notion assez restrictive de ce que doit tre le r cit autobiographique et suppose que la place la chronique et l histoire sociale et politique que lui conc de Philippe Lejeune doit tre r duite au minimum le mot ayant fait son apparition dans le lexique francophone parce qu il permettait de rendre compte d un certain nombre de m moires d pourvus d int r t historique n apprenant rien sur le si cle mais beaucoup sur la personne du m morialiste Or si l on ne s en tient qu la distinction entre m moires et autobiographie que faisaient Eliane et Jacques Lecarme c est dire une Jacques LECARME et liane LECARME TABONE Op cit p 7 44 objectivit de l v nement versus une subjectivation radicale des faits nous nous retrouverions nouveau dans l impasse de la classificat
174. tion de leur engagement politique et intellectuel Parmi les personnages qui voluent dans le r cit trois au moins ont des ressemblances particuli rement frappantes avec des gens qui voluent dans le c nacle beauvoirien Robert Dubreuilh d abord professeur de philosophie devenu crivain qui au lendemain de la guerre fonde un mouvement de r sistance dont l acronyme S R L n est pas sans rappeler le groupe de r sistance th orique de Sartre et Beauvoir le R seau Socialisme et Libert et qui tout au long du roman met en place une sorte de code de conduite de l crivain dont les fondements ne sont rien de moins que la notion sartrienne de l engagement Henri Perron ensuite journaliste et crivain franco alg rien directeur d un journal clandestin li la r sistance qui se brouillera avec Fran ois MAURIAC Commencements d une vie in crits intimes Gen ve Paris La Palatine 1953 p 14 162 163 65 Dubreuilh au sujet des camps de travail forc du r gime stalinien et finalement Lewis Brogan crivain de Chicago n d une m re juive et d un p re d origine finlandaise dont sera passionn ment amoureuse Anne Dubreuilh le personnage autour duquel s articule l histoire Il serait pr somptueux d affirmer que ces personnages repr sentent traits pour traits les Jean Paul Sartre Albert Camus et Nelson Algren dont ils semblent avoir t inspir s mais la forte ressemblance entre les pro
175. tranquille pied d galit avec les hommes leur attitude de revendication et de d fi en est la preuve Elles m prisent souvent bon droit la servilit des Fran aises toujours pr tes sourire leurs m les et supporter leurs humeurs mais la tension avec laquelle elles se crispent sur leur pi destal dissimule une faiblesse aussi grande Il y a pour Beauvoir une certaine vacuit dans la fa on dont la femme am ricaine revendique son statut statut dont elle affiche l importance en adoptant une sorte de froideur publique l gard des hommes Le fait est que depuis que les luttes des suffragettes et des f ministes de la premi re vague leur ont octroy le 277 Ibid 278 AJJ p 454 279 105 droit de vote et que la guerre leur a permis d acqu rir une certaine autonomie sur le plan social les femmes am ricaines ne font rien pour aller de l avant Elles se contentent des acquis de leurs a n es et cherchent en jouir dans la qui tude et immobilit Or Beauvoir le remarque dans Le Deuxi me Sexe la femme entretenue pouse ou courtisane n est pas affranchie du m le parce qu elle a dans les mains un bulletin de vote et les libert s que les femmes am ricaines ont acquises pendant la guerre elles les ont elles m mes rejet es en retournant au foyer Il en r sulte une classe de femmes consid rablement statiques et serviles La mal diction de la femme vassale c
176. tre 2 L Am rique au jour le jour et la question du genre o nnnnnnnnnnss000s0n 26 2 1 Remarques pr liminaires 27 2 1 2 Motivations derri re l criture 27 2 2 2 Adaptations temporelles et classification g n riques traitent han int aha led 29 2 2 Probl mes g n riques entre autobiographie et journal INTIME Es an ann nee datant de EE 30 2 2 1 L Am rique au jour le jour et le genre du journal INTIME sin scccsesieascccaesdouescl esabives riens nine 30 2 2 2 L Am rique au jour le jour face aux enjeux de autobiographie lente satan Biers 37 2 2 3 La question de la proportion et la hi rarchie selon Philippe L leun s street amsnusnanniniaudes 40 2 2 4 Les M moires et la question du programme chez Georges Gusdorf s sincrin ennnen a 45 2 2 5 Pr sences et oblit rations de la subjectivit 46 vi 2 3 Le genre de L Am rique au jour le jour selon son paratexte sise sevseties arena aaa aaa Aai aaaea aE 48 2 3 1 Le paratexte ditorial oe eceseseseeceeseceeeeeeeeees 48 2 3 2 Le paratexte auctorial 0 cscs cessestsesseseeesecseeseeees 51 2 3 3 Epitexte et conceptions intellectuelles ccce 55 2 4 Les r cits satellites de L Am rique au jour le jour 57 2 4 1 L Am rique au jour le jour confront aux Lettres Sartre probl mes d authenticit cece eeseerees 58 2 4 2 Le non dit de L Am rique au jour le jour et Les IVIL IPNS x iis adhoc US A Et ER elles 64 2 4 3 L Am riqu
177. tt raire Le po te est hors du langage il voit les mots l envers comme s il n appartenait pas la condition humaine et que venant vers les hommes il rencontr t la parole d abord comme une barri re De m me il n existe pas pour Sartre de litt rature qui serait d sengag e parce que la prose suppose un crivain qui utilise les mots pour construire un message et que cet acte rel ve de la communication la litt rature ne peut qu tre engag e Tout au plus existe t il une tension entre l crivain engag qui pratique et celui qui s abstient L crivain est un parleur il d signe d montre ordonne refuse interpelle supplie insulte persuade insinue S il le fait vide il ne devient pas po te pour autant c est un prosateur qui parle pour ne rien dire Il existe essentiellement deux conditions qui d finissent l engagement sartrien La premi re c est la conscience que l crivain a de sa libert La deuxi me c est l importance pour l crivain d crire pour un public situ afin de d voiler le monde ses contemporains La premi re condition est essentielle l existence de l engagement de l crivain la libert tant a la fois le sujet et l objet de la ds Op cit p 497 2 Jean Paul SARTRE Qu est ce que la litt rature Paris Gallimard Coll Folio Essais 1948 p 20 Jean Paul SARTRE Op cit p 25 23 litt rature engag e pour avoir
178. ttront d tablir un portrait de l uvre mais aussi de comprendre le fonctionnement de l hybridit g n rique telle qu tablie par Beauvoir Nous voulons ultimement lier le genre hybride de L Am rique au jour le jour au caract re engag de l autobiographie tel que conceptualis par Michel Leiris dans La litt rature envisag e comme une tauromachie C est analyse du lien entre criture intime et engagement qui nous permettra d aborder l engagement beauvoirien d abord par la notion sartrienne de l engagement puis par l tude de l engagement litt raire en g n ral travers les tudes de Michel Winock et de Benoit Denis Cette lecture de l engagement beauvoirien sera ensuite clair e par les l ments d analyse que lui apporteront les tudes f ministes et les tudes culturelles choisies en raison de leur filiation directe avec les manifestations de l engagement beauvoirien dans L Am rique au jour le jour Au final nous chercherons mettre en lumi re le lien qui unit l engagement intellectuel et le genre litt raire de fa on concevoir ce qui ultimement rend coh rente l analyse simultan e de ces deux aspects diff rents de l uvre Ainsi notre m moire se divisera en trois chapitres Nous t cherons dans un premier temps d expliquer la m thode utilis e dans chacune des parties de notre travail et la mise en uvre des possibilit s d interpr tation qu elles nous offrent
179. ty in the American travel log while the third chapter will seek to illustrate the intimate connection between creative nonfiction and intellectual engagement as well as exploring commitment s forms in the book To do this we will analyze three political discourses found in Beauvoir s work criticism of the American consumerism criticism of the Negro Problem and criticism of American women We conclude our thesis by showing that America Day By Day has become a sort of matrix in Beauvoirs autobiographical practice as well as in her intellectual engagement Keywords Simone de Beauvoir autobiography creative nonfiction genre theory intellectual engagement committed literature Table des mati res R SUM nent annee iii Abstract nn on aoa iv Table des mati res v Liste des sigles vii Remerciements viii Introductio Minien NS SR nt nee sfr lee tn Se eas 1 Chapitre 1 M thodologie cc ccececesseseesessesceeseecesseseeeaesaeaesaeseeeaeaeeeseaaeaeeeeeas 9 1 1 Po tique des genres ecececceseseseeeeeeceecseceessecessssescseeaees 9 1 1 1 Hi rarchie et proportion cece cece ccseesseeteseseseeceeeees 9 1 1 2 Programme et intention ce ceecececessecesseecseeeceeeees 15 1 2 Litt rature et engagement ou eee cece seeceeceteesteeseeeeees 17 1 2 1 Histoire de engagement ccececeeceectecsecsecseeeeeneees 18 1 2 2 La notion sartrienne de engagement 0 006 21 Chapi
180. u jour le jour de Simone de Beauvoir et d Ana s Nin Simone de Beauvoir Studies vol 21 no 1 2004 p 35 71 Fran oise SIMONET TENANT Op cit p 105 33 conf rences dans les coll ges et les universit s des environs bien que la lettre ait un intitul qui suppose que sa r daction ait eu lieu l Universit de Philadelphie Assez curieusement les entr es du 25 et du 26 avril relatent un s jour Boston et une autre conf rence qui aurait eu lieu Harvard ce qui s av re impossible si son retour New York date du 24 L horaire des conf rences donn es par Beauvoir est assez difficile tablir puisque certaines parmi celles qui ont t pr vues ont t annul es ou n ont jamais eu lieu et que les comptes rendus des conf rences n ont pas t syst matiquement repris par les journaux Or il semble plausible qu il s agisse ici d une autre adaptation temporelle qui serve dissimuler les d tails de la liaison de Beauvoir avec Nelson Algren En effet si on en croit le commentaire de Sylvie Le Bon de Beauvoir dans son dition des Lettres Nelson Algren apr s la lettre qu elle lui a adress e le 24 avril Beauvoir aurait rejoint Algren Chicago le 25 ou le 26 avril pour trois jours avant de revenir a New York o il la rejoindra le 10 mai jusqu son d part le 18 L hiatus du 19 au 24 avril s expliquerait donc par le fait que les d tails de ce qui s est pass durant
181. ue le seul moment du voyage en Am rique qui se trouve tre occult dans le r cit ce sont les trois jours que Beauvoir passera seule Chicago avec Nelson Algren du 26 au 29 avril et la semaine qu il passera avec elle New York avant son d part du 11 au 18 mai Hormis ces passages pass s sous silence les Lettres fourniront pour l essentiel la presque totalit du mat riel narratif qui servira fa onner L Am rique au jour le jour Certains passages des lettres sont presque litt ralement repris dans le journal ce qui d montre bien l importance que leur contenu a eu dans la r daction du livre Par exemple il y a une tr s grande similarit entre la description que fait Beauvoir de son d collage vers New York dans L Am rique au jour le jour Des pinceaux balaient le terrain o brillent les feux rouges et verts c est un soir de gala une f te de nuit ma f te et celle qu elle fait du m me v nement Jean Paul Sartre D abord il y a eu ce d collage dans la nuit que j ai trouv une splendeur ona l impression de tomber dans le ciel dans la nuit et Paris brillait de toutes ses lumi res au dessus desquelles clataient les rouges et les verts des balises c tait une f te au sens o Genet prend les f tes une f te de l homme et la nature ensemble et aussi une chose la fois humaine et contre nature Ce genre de correspondance entre les deux textes peut s tablir p
182. uffeurs de taxi noirs ne peuvent que travailler pour des clients de couleur Cependant la conscience des in galit s sociales prend rapidement le relais et elle ne tarde pas mettre en relation les reproches qu elle formulait l endroit du capitalisme am ricain et le r le que l esclavage a jou dans cette conomie Ce livre est consacr aux blancs Mais l immense majorit des travailleurs du coton sont des noirs et le r gime auquel tous sont soumis est un h ritage du r gime de l esclavage C est un trange paradoxe que la survivance d une conomie paternaliste au milieu de la soci t capitaliste moderne 7 Elle fait r f rence ici au statut des ouvriers agricoles du Sud dont le salaire qui n est pas fix par une norme correspond plut t un pourcentage des profits tir s de la vente des r coltes Cette pratique maintient les ouvriers dans une pr carit certaine d abord parce que les risques li s aux intemp ries et la fluctuation du prix qui sont normalement assum s par le propri taire leur incombent mais aussi parce que les propri taires sont responsables de la marchandisation des r coltes ce qui les pousse arnaquer leurs ouvriers puisque ce genre de vol 254 n est pas interdit par leur code moral Cette situation engendre ensuite des AJJ p 284 AJJ p 304 AJJ p 318 AJJ p 294 AJJ p 295 255 97 tensions qui poussent les Noirs vouloir se ve
183. uli re que mon volution subjective Ici Beauvoir reprend presque textuellement la formulation qu elle utilise dans sa pr face L Am rique au jour le jour ceci pr s que le mot d voilement est remplac par se donner et que l objet de ce d voilement n est plus l Am rique mais bien l Histoire au sens large que peut prendre ce mot On en revient donc la fonction de la litt rature selon la notion sartrienne de l engagement et selon Beauvoir elle m me Dans la mesure o Beauvoir tablit un rapport direct entre le fait de d voiler le monde et ses contingences ses lecteurs et celui d agir par la litt rature cette remarque a elle seule t moigne de la conscience qu elle a de ne pas crire en vain De m me dans ce passage Beauvoir confirme qu elle situe en 1945 le moment o elle commencera avoir une vision critique des affaires politiques ce qui concorde avec notre hypoth se que le r cit de L Am rique au jour le jour est l un des textes pr curseurs de son engagement intellectuel En mentionnant que le but de La force des choses ne sera pas de servir de pr texte des l gances mais de raconter sa vie dans ses lans Beauvoir rappelle que la primaut de son uvre ne sera plus le style ou l esth tique On peut donc supposer qu au contraire au moment o d bute La force des choses la perception qu a Simone de Beauvoir de son r le d crivain change et qu
184. un amour contingent qui menacera leur entente mutuelle d j LAS p 313 LAS p 315 LAS p 329 LAS p 357 LAS p 354 LAS p 347 348 153 154 155 156 157 158 Il existe de tr s nombreux commentaires sur le fonctionnement du pacte d amour entre Sartre et Beauvoir mais cette distinction entre amour n cessaire et amour contingent leur appartient Pour plus d tails consulter T te d t te Beauvoir et Sartre un pacte d amour un livre de Hazel Rowley qui retrace les d tails de cette entente expliqu s par les int ress s eux m mes Paris Grasset 2006 63 longue de dix huit ann es En effet Beauvoir se sent menac e par la relation que Sartre entretient Dolor s Vanetti avec raison puisque celui ci la demandera en mariage la fin de son s jour en France pour lui prouver son engagement envers elle Cette d ception ou trahison de Sartre poussera Beauvoir s engager peut tre plus qu elle ne l aurait voulu dans sa relation avec Nelson Algren ce qui se traduira par de profonds d chirements lorsque ce dernier lui proposera aussi le mariage afin qu elle puisse s installer en Am rique avec lui l heure o Beauvoir crit sa derni re lettre Sartre aucun de ces v nements ne s est produit mais le futur d nouement de chacune de ces liaisons laisse croire que pour cette seule fois Beauvoir transgresse son absolu et n cessaire besoin de transparence l gard de
185. ur Beauvoir utilise ponctuellement diff rents termes pour parler de son livre le 24 juin alors qu elle s appr te aborder le r cit de sa premi re visite a Chicago elle voque dans sa lettre son livre sur Am rique puis le 7 ao t elle mentionne son d sir de reprendre son crit sur l Am rique C est aussi le mot livre qu elle emploie le 18 ao t avec cette r currence du pronom possessif qui t moigne de la charge affective qu implique l criture du journal de voyage am ricain A l exception des journaux parus lors de sa premi re visite qu elle demande Nelson Algren la lettre du 18 ao t est aussi la derni re dans laquelle elle voque le projet de livre am ricain avant de retourner Chicago le 7 septembre M me si on sait que ce deuxi me s jour a implicitement modifi le contenu final de L Am rique au jour le jour la conception que Beauvoir a de son r cit ne semble pas en tre affect e Elle continue de faire le r cit de son criture Nelson Algren utilisant tant t le mot livre tant t l expression mon Am rique d nomination qui traduit toujours l attachement de Beauvoir envers le r cit et qui prend parfois d autres formes comme ma propre petite Am rique et ma propre Am rique cette expression tant la derni re employ e par Beauvoir pour voquer le livre dans leur correspondance le 14 mars 1948 Je suis contente car je vais faire para tre dans
186. urn es de Beauvoir en Am rique une fa on de raconter ch re Sartre du moins selon Beauvoir Je vous raconte en d tail parce que je sais que a fera des images tr s claires pour vous et que vous aimez tout a Elle semble prendre son r cit c ur car elle voque de multiples reprises la crainte d oublier ou d omettre des d tails Je voudrais tout vous raconter avec tant de d tails que jamais je n en viendrai bout je crains En plus de ce souci de vraiment tout dire le fait que Beauvoir s accorde une certaine licence dans les Lettres Sartre tend a confirmer chez Beauvoir ce que Claude Lanzmann appelait son besoin 2144 e d absolue translucidit Cette licence permet justement de d couvrir humour 11 Simone de Beauvoir Lettres Sartre 1940 1963 Paris Gallimard 1990 456 pages LAS p 281 LAS p 285 En avril 2010 dans le cadre d un num ro hors s rie de la revue Lire soulignant le trenti me anniversaire de la mort de Jean Paul Sartre Claude Lanzmann accorde un entretien qui a pour objet sa vie avec Sartre Alors que le journaliste cherche comprendre le trio qu il formait avec Sartre et Beauvoir Lanzmann explique en ses mots l absolue transparence de Beauvoir Elle me rapportait tout 142 143 144 59 caustique que ses contemporains reconnaissaient Beauvoir et qui est pourtant absent de ses crits publi s Pour le lecteur cela donne
187. v 124 R P s z z Il est probable que Beauvoir soit consciente lorsqu elle publie Les M moires d une jeune fille rang e en 1958 que le r cit qu elle pr sente ne correspond pas aux uvres exemplaires du genre des M moires en raison de l importance accord e au r cit d enfance et la formation de sa subjectivit Il n en demeure pas moins qu en 1958 le terme autobiographie n est pas utilis avec la m me lib ralit qu aujourd hui et il lui a probablement sembl inad quat voire pr somptueux Pourtant Les M moires d une jeune fille rang e est probablement le seul volume de l ensemble autobiographique beauvoirien ne pas vraiment tre de l ordre des M moires proprement dits et c est aussi le seul porter ce sous titre g n rique Il faut donc comprendre que pour Beauvoir l exactitude de la classification g n rique n est pas n cessairement une pr occupation et qu elle accorde plus d importance la transparence de son criture qu son appartenance un genre particulier 13 Elle parle auparavant dans la lettre du 7 juin 1947 de sauver son voyage au moins par des mots si rien d autre n est possible LNA p 28 et dans la lettre du 12 juin 1947 d une longue entreprise qui l empoigne LNA p 30 mais l criture ne semblait pas avoir d but 126 LNA p 33 127 Voir note 63 53 Apr s le d but de la r daction de L Am rique au jour le jo
188. vant la remarque demeurant ici de l ordre du commentaire Une vie mais ce peut tre n importe quelle vie ou toutes les vies la distinction ici n tant pas importante pour comprendre que ce qui importe c est que ce quelque chose qui est en train d arriver transformera une vie Le d voilement de l objet observ a la conscience du sujet observant n arrive finalement qu la troisi me phrase et pourtant les syntagmes un soir de gala et une f te de nuit traduisent toujours une certaine mise a distance comme si Beauvoir n avait pas voulu tout de suite int grer l objet observ comme si elle 3 AJJ p 11 Ibid Ibid 40 participait de loin ce qui se d roulait devant ses yeux comme si l importance de ce qui tait en train de se d ployer la d passait largement Et pourtant elle conclut que cette f te c est sa f te C est la premi re prise de contact entre le sujet observant et l objet observ prise de contact aussit t att nu e par une nouvelle mise distance Quelque chose arrive les h lices tournent de plus en plus vite les moteurs s emballent mon c ur ne peut pas les suivre D un seul coup les balises rouges s crasent contre la terre au loin les lumi res de Paris vacillent sobres toiles qui montent d un abime bleu sombre L attention du sujet observant se concentre nouveau sur l objet observ il participe la mise en distance de sa subjectivit
189. vers la population autochtone ce qui donne l impression de relations relativement pacifiques entre les Am rindiens et les autres Am ricains C est donc v ritablement en franchissant la limite territoriale du Texas que Beauvoir constate les affres de la s gr gation Au milieu du d sert la State Line tait invisible Mais quand nous descendons de l autobus nous comprenons que nous avons franchi une fronti re Sur les portes des rest rooms on lit d un c t White ladies White gentlemen et de l autre Coloured women Couloured men D s son arriv e au Texas Beauvoir est irr m diablement confront e au processus pervers la base de la s gr gation c est dire le fait de tenir pour vrai le postulat selon lequel les hommes de couleur ne sont pas des tres humains dot s d une valeur propre et qu ils ne m ritent donc pas le respect conf r aux Blancs Ainsi au Texas les Noirs ne sont pas des individus avec un titre qui voque un r le social adies gentlemen ils sont des personnes coloured people auxquels on attribue un caract re sexu d ordre biologique Les mots lady et gentleman sont en effet fortement connot s d une part par les qualit s humaines que supposent ces termes la lady est donc a well mannered and considerate woman with high standards of proper behavior le gentleman tant pour sa part a chivalrous courteous or honorable man et d autre part par
190. white Americans are likewise strategic The Negro s entire life and consequently also his opinions on the Negro problem are in the main to be considered as secondary reactions to more primary pressures from the side of the dominant white majority 7 C est donc ce que r sume Beauvoir lorsqu elle explique que ce sont les Blancs qui ont introduit l esclavage en Am rique que ce sont encore les Blancs qui se sont battus entre eux pour d cider de son maintien ou de son abolition concluant d s lors en citant Myrdal que le mode de vie des Noirs est une 259 r action secondaire a la situation cr e par la majorit blanche Beauvoir explique aussi que l inf riorit des Noirs du moins celle qui est tenue pour vraie par les Blancs d coule des rapports faux que les Blancs entretiennent avec ceux ci et d un ensemble de pr jug s qui ne sont pas scientifiquement fond s Les d fauts et les tares reproch s aux noirs sont pr cis ment cr s par le terrible handicap de la s gr gation et de la discrimination ils sont l effet et non la cause de l attitude des blancs leur gard C est ici un cercle vicieux que Bernard Shaw entre autres a d nonc dans cette boutade La hautaine Nation am ricaine oblige le noir cirer ses souliers et d montre ensuite son inf riorit physique et mentale par le fait qu il est un cireur de souliers 7 26 AJJ p 329 Gunnar MYRDAL An A

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