Génocide et Psychanalyse Comment penser la violence ?
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1. e de la raison pure la n gation 14 et la destruction de l autre c est dire de tout ce qui n est pas soi alors m me que le ph nom ne est fr quent Ainsi se constitue une contradiction majeure o ce qui se pose comme acte se trouve exclu de toute parole Il n est pas tonnant que les bourreaux et criminels contre l humanit usent d un langage identitaire ou d ordre selon les circonstances il ny a pas de mots pour leur d sir ils n en ont aucun savoir Comment pourraient ils se renier Et comment entendre ce qui ne peut se dire Certes le psychanalyste poss de une chappatoire toute qualification d un acte sa description pure Encore faut il prendre le temps pour que ceci puisse un jour commencer se dire On imagine qu terme cela lib re de tout questionnement sur la d nonciation ou non d un criminel en analyse Encore n est ce qu terme et m me fort long terme D CROMPHOUT Aurons nous plus de facilit s du c t des victimes Elles peuvent d crire les tortures exactions brimades mutilations etc mais au del que peuvent elles en laborer Comment assumer des s quelles r veill es au quotidien et qu aucune justice ne pourra jamais apaiser On peut rep rer chez Sade le langage de la victime parce que son statut n est pas de r alit Lorsque ce statut change que devient le langage Notre situation y est encore moins ais e et on rappellera pour m moire le cas de ce relig2. ont provoqu Ce consensus de l indiff rence fabule l origine des massacres dans de lointains atavismes imaginaires dans des pass s reconstruits ce qui emp che de penser les massacres dans l actualit Penser l atavisme plut t que l actualit permet de se d douaner peu de frais Oublie t on que l analyse du pass se r duit souvent une projection dans le pass de ses probl mes d aujourd hui Enfin il est remarquable qu il s est toujours trouv des penseurs de G nocide et Psychanalyse Comment penser la violence renom philosophes scientifiques crivains pour d fendre ou cautionner l id ologie g nocidaire Heidegger Heisenberg Gottfried Benn Carl Schmitt Carl Gustav Jung et tant d autres ont ainsi accompagn voire 13 particip aux fastes nazis un moment ou l autre de leur vie Plus grave encore ils ne s en sont jamais d dits Cette derni re caract ristique nous emp che de suivre ceux et celles qui voquent l irrationnel et la pathologie Il nous para t au contraire n cessaire de repartir de la rationalit m me pour expliquer et rendre compte d un g nocide Il est manifeste que c est un acte d lib r pens voulu pr par parfois pendant des mois ou ann es en un mot que c est un acte profond ment d sir Et comment se d dire de son d sir Car si on identifie d sir et loi c est la loi de l acte et non la loi symbolique qui donne vie au d sir mais ne s
3. y confond pas Demander que l on reconnaisse son erreur par exemple d avoir t nazi c est introduire au sein du sujet une contradiction intol rable dans ses actes Qu est ce qu un acte en effet C est un ph nom ne plein en soi il est ou il n est pas Seul son dire le qualifie moral ou immoral vrai ou faux etc Le sens de l acte est dans son commentaire et donc dans ses circonstances et cons quences Comment parvenir le r cuser apr s l avoir accompli sinon pour complaire une justice du moment celle du vainqueur L acte g nocidaire appartient en ce sens ce qu il est impossible dire voire d crire apr s coup il est inommable dans nos cat gories de pens es actuelles Mais ici se produit un partage entre tortionnaires et victimes au d part du fait m me qui les lie de fa on imp rissable La m moire en est alt r e les uns poss dent l acuit des souvenirs de ce qui s est r ellement pass mais sans pouvoir rep rer aucun d sir sinon pisodique dans le chef de leurs bourreaux les autres oublient les actes pour ne rappeler que la loi et l ordre qui les animaient ce moment l c est dire le discours du pouvoir La violence est ce qui ne se dit pas dans nos soci t s elle est exclue comme acte peine tol r e comme parole Or elle constitue une part de notre rationalit et il y a lieu de la penser comme telle positivement Il nous est impensable d lever au statut d id
4. dire de ces preuves quel que soit le c t o l on se place Pr cision sans doute utile les v cus et pratiques des uns et des autres ne se conjoignent dans aucune bipolarit quelconque ils sont indiff rents les uns aux autres et il n y a pas de r gles de transformation Qu on ait t victime n implique jamais que l on deviendra bourreau ou tortionnaire contrairement une id e re ue tr s r pandue selon laquelle les enfants maltrait s deviendront maltraitants sottise m diatique qui 9 montre combien plus une id e est banale et vulgaire pr tant tous les fantasmes plus elle devient vulgarisable Le probl me de l extinction de tout un pan de l nonciation provient de ce que dans nos soci t s la violence ne se dit pas mais s ex cute mots et concepts font d faut la r alit Comment entendre ce qui n a pu se concevoir ou qu lire dans ce qui se dit pour que ce qui s est pass puisse s noncer dans toutes ses significations On croit un peu vite que les th ories qui structurent nos interpr tations c est dire leur donnent forme nous permettent de parler de tous les ph nom nes Mais s interroge t on sur notre impuissance penser hors description ce qu on appelait anciennement la n vrose actuelle et qui est devenue en m decine la n vrose traumatique Que faire dans notre praxis des cons quences directes du trauma physique ou psychique Une probl matique de deuil Et encore le deu
5. G nocide et Psychanalyse Comment penser la violence Le Bulletin Freudien n 30 Septembre 1997 G nocide et Psychanalyse Comment penser la violence Didier CROMPHOUT 7 Suffit il d couter pour entendre ou si l on y ajoute une connotation morale une bonne coute est elle suffisante Pour la plupart la r ponse appara t vidente et n gative Est on s r d en tirer toutes les cons quences Que faut il de plus Certains pr tendent qu un tri est n cessaire qu il y a lieu de rep rer les l ments qu on appelle importants structuraux ou signifiants Sans doute mais comment effectue t on ce tri sur quelle base et en fonction de quoi On oublie trop vite que le cadre g n ral de nos r flexions est fix bien avant que l on produise la moindre id e ou interpr tation Lorsque l une de ces derni res surgit elle se glisse au mitan du fleuve de nos pens es et peut m me nous appara tre g niale Elle a de fortes chances de n tre que naturelle et vidente on volue dans une telle logique conceptuelle qu elle 8 ne nous permet pas d laborer certaines r alit s a fortiori d entendre leurs sp cificit s On ne quitte gu re les rails d une pens e culturelle Un vaste domaine d interrogations rest es sans r ponses va nous aider introduire le probl me de nos limites actuelles tant au plan de la th orie que de la clinique psychanalytique celui du g nocide Et pourquoi pas celle du meurtre qui a
6. ant h breu ce qui induit une sacralisation religieuse L interpr tation large qui pr domine aujourd hui d signe par g nocide tous les massacres de grande ampleur Du coup ses caract ristiques propres tendent s estomper et on le d limite de fa on malais e On le confond en partie avec l expression plus large encore de crimes contre l humanit qui appara t pour la premi re fois en 1915 propos du massacre des Arm niens par les Turcs dans une d claration officielle de la France de la Grande Bretagne et de la Russie Cette expression de crimes contre l humanit sera codifi e en 1948 date o l on proscrit 11 l extermination de populations pour raisons ethniques religieuses nationales ou raciales il ny a pas de proscription pour raisons politiques culturelles ou conomiques C est le projet national socialiste contre les Juifs qui a t pris comme mod le de cette avanc e du droit p nal international D o perdure la question de savoir si le jud ocide par les nazis est le crime contre l humanit ou un parmi d autres Quelles sont les caract ristiques d un g nocide D abord c est un crime organis au sein et par un Etat contre une partie de sa population consid r e comme inassimilable ceci pouvant s tendre aux populations ou communaut s d Etats voisins Ce crime est organis et planifi par les dirigeants de l tat il est th oris philosophiquement par des intelligentsia en place q
7. ieux handicap et d figur par le fait des tortures subies qui finit par se suicider malgr des traitements psy On le voit le probl me du g nocide et de ce qu il a d expression du d sir en acte pose la psychanalyse un probl me majeur celui de sa conceptualisation La violence s exerce et ne s nonce pas Il semble qu en ce domaine l anthropologie ait commenc laborer des th ories qui la d crivent dans l ordre de notre pens e positiviste preuve le travail de Pierre Clastres sur l arch ologie de la violence Psychanalyse et psychiatrie qui ont voulu s accaparer le domaine de l homicide l gal d une pathologie se trouvent ici en d faut de pens e parce que ce n en est pas une 15 Essayons de terminer en voquant ses effets sur les g n rations qui suivent et sur ce qui s en crit Il est probable que les traumatismes dus un g nocide sont diff rents d autres et qu il s en transmet quelques probl matiques sp cifiques tant du c t des bourreaux que des survivants Mais qu est ce S rement de la culture mais au del Et d abord sait on en analyse ce qui se transmet ne fut ce que chez un sujet sans pass g nocidaire Que dire de ce qui s en crit Ni les d terminations culturelles ou socio conomiques droit du sol espace vital homog n it de culture etc ni les d terminations psychopathologiques ne permettent d expliquer le ph nom ne g nocidaire sans le r d
8. il de quoi D un pass irr cup rable d une impossible r paration en justice d une exp rience innommable dans nos cat gories Il est un peu difficile voire inqui tant que la psychanalyse se soustraie cette interrogation ou soit incapable d y apporter le moindre l ment de r ponse comment le sujet int gre ou appr hende l exp rience de la violence extr me Un autre ensemble de questions auxquelles on ne r pondra pas davantage porte sur la transmission du traumatisme aux g n rations suivantes Faut il le concevoir sur le sch ma de la n vrose selon Freud ou s agit il d un autre ph nom ne Certains livres r cents dans la droite ligne du culturalisme plaident pour une remise en situation dans les formes des cultures traditionnelles Si on reconna t dans cette d marche un questionnement sur ce qui ne prend pas place dans nos concepts actuels force est d admettre qu elle n a donn aucun r sultat probant au plan de sa praxis et que sa th orisation en est des plus fumeuses au plan de la rationalit Enfin il reste un probl me mineur mais qui est loin d tre inint ressant que faut G nocide et Psychanalyse Comment penser la violence il penser des tentatives d explication de type psychobiographique comme celle de Binion propos d Hitler La vie de ces personnages 10 est elle r ductible la probl matique oedipienne contrairement ce qu avance Lacan propos des g nies le fussent ils da
9. l avantage de nous maintenir au plan du sujet Parce que la radicalit de l acte g nocidaire oblige laisser ouvert le d sir de tuer sans pouvoir le refermer dans les m andres des motivations circonstances att nuantes et autres la parole permet de ne pas poser lacte C est tr s exactement le contraire la parole pousse lacte et de mani re si gigantesque qu il est impossible de proc der quelques r ductions ou att nuations de ce dernier D CROMPHOUT L engagement politique ou id ologique des psychanalystes n est en rien concern ici Ils forment un groupe social similaire aux autres on y trouve les m mes proportions de r sistants et de collaborateurs surtout beaucoup de personnes dites neutres voire quelques d lateurs et tortionnaires comme l ont montr certains pisodes de la guerre 40 45 ou de la dictature br silienne cf le livre d Helena Besserman Viana Le et la politique ne sont pas solubles dans la psychanalyse Les questions soulev es trouvent leur origine dans un constat assez banal l apr s coup d un g nocide entra ne le silence de ses bourreaux ou auteurs et l inextinguibilit de la plainte de ses victimes Comment penser ces ph nom nes car il n est pas unique dans la vis e de rendre terme une position de sujet ceux qui en ont t partie prenante volontaire ou forc e Ceci exclut toute prise de position morale et toute condamnation qui annulent certains aspects du
10. ns le mal On verra l erreur majeure qui s y produit quant la th orie psychanalytique Commen ons par essayer d appr hender le ph nom ne en lui m me Qu appelle t on g nocide Le terme est d invention r cente Il a t cr en 1944 par un professeur am ricain d origine polonaise R Lemkin en analogie avec celui d homicide C est l quivalent pour une communaut donn e de ce qu est le meurtre pour un individu Une gradation peut s tablir allant de l homicide de soi m me d nomm depuis suicide l homicide d une population ou g nocide en passant par le meurtre L interpr tation troite en est historique elle d signe le jud ocide par les nazis auquel on a conjoint l extermination des Tziganes de peuples slaves pr tendument inf rieurs et des malades mentaux Cette d signation est quelque peu tomb e en d su tude cause d autres massacres de populations enti res survenus depuis ou nomm s tels a posteriori La sp cificit des pratiques nazies c est dire l industrialisation des mises mort n a pas manqu de provoquer des d bats parfois vifs pour que le terme de g nocide soit maintenu pour ce seul cas Il a en d finitive t remplac par Shoah an antissement depuis le film de CI Lanzmann propos duquel Edgar Morin souligne l absence d images d archives et d images des restes actuels des camps l extermination des Juifs ne peut tre d sign e que par son signifi
11. parano aque o l autre qu il faut d truire n est ni un ennemi ni un adversaire Cet autre est inassimilable ses rep res identificatoires et doit tre arrach au corps social quelle qu en soit la d chirure ou la mutilation Le peuple dit Claude Lefort est devenu lui m me son propre ennemi et s engage dans une gigantesque crise sacrificielle C est une vision radicalement haineuse de lalt rit l autre n a plus d identit pour moi et donc pour lui non plus Tout g nocide est fond sur la construction durant des ann es d une r alit qui n est pas le r el o la victime devient de mani re ou d autre l agresseur On cr e de nouvelles repr sentations qui aggravent les frustrations Selon Fran oise H ritier il y aurait l une pathologie du signifiant face un signifi qui n existe pas Mais s agit il bien de donner une raison irraisonn e la violence Surtout il y a le silence du monde Le consensus de l indiff rence et de l aveuglement est universel Plus grave encore on fantasme des pr jug s faux mais qui exon rent le spectateur de sa culpabilit et de son impuissance En Afrique on parlera de tribalisme de haines ethniques pour l ex Yougoslavie on renverra aux haines s culaires de religion et de culture pour les nazis on renverra l anormalit perverse ou psychopathique etc Quant aux victimes en derni re analyse elles ne le sont que de ce que d autres parmi elles
12. uelquefois europ anis es et constitue un retournement de toutes les valeurs dites humanistes Il est le produit d une logique et d un endoctrinement totalitaire qui aboutit un D CROMPHOUT racisme non pas dominateur mais exterminateur C est en cela que la d mocratie toujours fragile appara t comme un recours contre ce risque Mais ce recours n est il pas un fantasme civilisateur de notre culture la mode de Saint Just pas de libert pour les ennemis de la libert I ne s agit pas d asservir ou d assimiler l autre mais de le d truire apr s lavoir avili Ce n est ni une guerre ni une guerre civile o si cruaut s il y a elles sont davantage factuelles qu organisationnelles dans ces deux derniers cas il ny a pas de registre universel des cruaut s et elles n ont pas la m me signification Au cours d un g nocide l ennemi doit mourir mais supplici d grad avili comme des poux ou des cafards afin que le meurtrier sente moins le poids de la culpabilit C est lunivers de la violence inutile ex cut e par des tres ordinaires qui y ont t duqu s contre une communaut pr cise Les penseurs en donnent le mot d ordre mais pas le mode d emploi Il y a une dimension collective de la cruaut la tuerie se fait en bande pas seul Il est tr s difficile si pas impossible de s parer petits et grands coupables ex cutants et concepteurs du projet g nocidaire 12 I1 fonctionne sur un mod le
13. uire de quelque fa on Aussi les essais psychobiographiques pr sentent ils la base un vice de raisonnement majeur ils m connaissent l effet sur le sujet de leurs tudes des actes que ce m me sujet a pos s lls ram nent au niveau du commun des mortels quelqu un qui s en distingue de fa on radicale L essai de Binion sur Hitler est exemplaire il adapte la r alit ce que produit son identification de type hyst rique son personnage c est dire qu il raplatit l interpr tation n tre au mieux que de l laboration secondaire On sait que Freud situait celle ci du c t de l analysant en ce qu elle ram ne du d j connu alors qu il posait celle l comme le travail de l analyste Binion pouvait il se tromper davantage Que conclure sinon que fait d faut au titre de la psychanalyse toute une laboration conceptuelle de la violence dans la dimension d sirante de son acte Ne serait il pas temps de retrouver la d marche freudienne celle qui s labora par la prise en compte de ce qui du d sir tait rejet dans la constitution de notre rationalit N est ce pas la seule possibilit de rendre une position de sujet d sirant ceux qui en ont t exclus pour une partie de leur vie surtout les victimes bien s r mais aussi un certain nombre de bourreaux
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