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1. engag dans une lutte sans piti Le mal que vous m avez fait est trop grand trop grand le mal que je vous ai fait R ciprocit sp culaire nouveau soulign e Vous autres vous avez march dans votre voie moi dans la mienne pareilles toutes les deux toutes les deux perverses N cessairement nous avons d nous rencontrer dans cette similitude de caract re le choc qui en est r sult nous a t r ciproquement fatal Ni les animaux ni l homme ne s y trompent d ailleurs ils savent reconnaitre en Mal doror leur propre image dont ils ne peuvent soutenir la perspective puisqu il est la projection du destin qu ils s attireront fatalement en pers v rant dans leur nature mauvaise leur comportement est lexpression d un nihilisme qui s ach ve n cessairement dans l an antissement Quelles impr cations quels d chirements de voix Ils m ont reconnu Voil que les animaux de la terre se r unissent aux hommes font entendre leurs bizarres clameurs Plus de haine r ciproque les deux haines sont tourn es contre l ennemi commun mol gt I 10 D monstration faite de son caract re symbolique Maldoror peut revenir la vie et repartir vers le r cit puisque la th se de Ducasse est maintenant pos e il est une certaine mani re de vivre qui joue avec la mort et avec le n ant Partie d un raisonnement d ordre moral cherchant un effet de m me nature la d monstration s est acc
2. STIE J JIUES EJ 9p oni gp urzaA M Keq Opep sinoO apas X X nv auva uo 1qdosonqd r ans so10NI rauanvag sond1euaAne A 1p IPAS JAX tp sip uraf soisijyraow so CSI ound uosiva vj ap 2nbt1114O e op uononpei1 6981 Tg op oto e BEES ESSI Hu p A BL SSSI ASH Op pet p EI ROMEO To zrst anbiurad uosiva vj ap anb11147 e op uononpe1 gpgI TuawiaBn np abita UE IP UONIMPEIL 9pg 8 8T 8I81 INwVg Sor SIPIT ANIN V t 0887 0H8T asuva uo 21qdosoltqd AAILOATIS HIHdV SOI II mm 9 9 4 4 lt nvf gt 1014 np uouifop D ANS 12 vA2u23 ua apoqiatu vj ANS uiriuapA W v saassa4pv s2437 OSSI 6881 984 T UJ 1092WAHH2 942121404 12 53120 PI sagdosonqd 12 aiqdosonaq 888I 3tastantsod 2j 12 241 W 881 Pas X X nv awsiuissed 27 8 81 LZ81 0Z81 aanasda p sanol s97 ILRI quasaad sd 2 ANS sajpaotu sapnja S JJIANON 6981 224212 V 12 2tusi mi42 Tt4 I7 98T 241207 ap aigdosongd PT 9981 P9 3 9Anou sanbu142 xnuraanou sos 12 NAJ IP 22pt V9 gIl 1uasa4d sua Ans sajvaot1u Sapn17 SSI 2p21s XIX 2 Ans saojp4014 s2pnij vggl sioduy xud sop 1ns1 lt pne ouisbndoos n gt 88I 9781 WN 3Wa ouv P9 57 2tqdosoyigd vj 2p 24101814 p SUONON 98T 4namop vj 12 4 51r d 21 S98I a1ursuad aw op anun aq 8S8T NYNA IP uononpead ajpauuos42dtut uosiva vj ap 21024 CHSI aiqdosopgd vj ap 24101514 IP jour vvgT 668 L I8 T JI 13111inog uouonput 6981 32U212 V 12 214
3. LAUTR AMONT 9 On faisait nagu re encore des th ses sur la r ception de telle ou telle uvre Il est surprenant qu on n ait pas encore song faire l analyse des effets de possession induits chez ses d v ts par le fant me de Lautr amont Je ne crois pas que l on puisse pourtant trouver pour l imaginaire qui en re oit la visite d exemple plus saisissant d orage d vastateur Seul Bryon peut tre a pu provoquer de pareils effets ce qui ne va pas sans une myst rieuse logique si l on se rappelle avec quel respect Ducasse se r sout le condamner dans les Po sies Depuis soixante ans le mythe Lautr amont nous agite Bien s r on a dress Fr de Ha s M Philipp Cl Bouch la recension des images que plusieurs g n rations d crivains et de critiques se sont faites de lui mais un immense travail reste entreprendre Il consisterait d une part rep rer quels d clencheurs ont pu dans les textes jouer de mani re r p t e pour relancer chaque fois l hallucination collective et tenter d autre part de faire abstraction du mythe pour en arriver construire une image moins fantasmatique de Ducasse Ceci impliquerait de r examiner son projet d cri vain sur lequel il est prolixe tout en le situant dans son con texte historique r el Mais il faudrait pour cela renoncer la fiction du m t ore et c est dire que tout reste faire ou presque Il ne s agira ici mais
4. Le chant premier r alise la mise l essai de cette tactique de mani re encore exp rimentale non sans quelques t tonnements puisque ce chant parut d abord s par ment et par deux fois pour n tre ensuite int gr l dition lt d finitive gt de l uvre que revu et corrig Ducasse souligne le statut liminaire de ce chant en deman dant classiquement l indulgence du lecteur dans la derni re strophe qui fait ainsi pendant la mise en garde non moins classique de la premi re lt Ne soyez pas s v re pour celui que ne fait encore qu essayer sa lyre elle rend un son si trange Cependant si vous voulez tre impartial vous reconnaitrez d j une empreinte forte au milieu des imperfections I 14 Le clivage fondateur que nous apprenons peu peu reconna tre 36 LAUTR AMONT au fil des Chants entre la m thode et les buts nous en trouvons ici l amorce Les lt imperfections gt que Ducasse admet volontiers rel vent du jugement esth tique mais une empreinte forte voil qui rel ve plut t du jugement moral Ducasse tient souligner sa vigueur pr t en change conc der l aveu de quelques maladres ses de r alisation Il s agit pour lui de produire un effet de servir une cause avec la plus grande efficacit possible les lettres nous l ont r v l L ouverture du deuxi me chant y revient pour confir mer la nature des choix op r s d s la mise en chantier de l ouvrag
5. nous ne sommes point encore arriv s cette partie de notre r cit et je me vois dans l obligation de fermer ma bouche parce que je ne puis pas tout dire la fois chaque truc effet para tra dans son lieu lorsque la trame de cette fiction n y verra point d inconv nient lt Alors le patient s tant aper u du craquement de ses os se tut Sc ne unique qu aucun romancier ne retrouvera gt lt Ai je besoin d insister sur cette strophe Eh qui n en d plorera les v nements consomm s Attendons la fin pour porter un jugement encore plus s v re Le d nouement va se pr cipiter et dans ces sortes de r cits o une passion de quelque genre qu elle soit tant donn e celle ci ne craint aucun obstacle pour se frayer un passage il n y a pas lieu de d layer dans un godet la gomme laque de quatre cents pages banales Ce qui peut tre dit dans une demi douzaine de strophes il faut le dire et puis se taire Pour construire m caniquement la cervelle d un conte somnif re il ne suffit pas de diss quer des b tises et abru 180 LAUTR AMONT tir puissamment doses renouvel es l intelligence du lecteur de mani re rendre ses facult s paralytiques pour le reste de sa vie par la loi infailli ble de la fatigue il faut en outre avec du bon fluide magn tique le mettre ing nieusement dans l impossibilit somnanbulique de se mou voir en le for ant obscurcir ses yeux contre son naturel
6. Ecrivains professeurs Si la nature du lien entre litt rature et philosophie ne change pas de mani re fondamentale pendant la plus grande partie du dix neuvi me si cle il n en va pas de m me pour ce qui est du lieu insti tutionnel d o la r flexion et la parole sont mises Si les discours continuent d tre indissociables au moins globalement les statuts des personnes qui les assument vont assez vite se diff rencier L bauche du type de l crivain tel qu il se forme vers le d but du si cle ainsi de Balzac implique encore un m lange de fiction et de r flexion mais un individu de type nouveau va peu peu se r pan dre dont l activit ne pourra plus tre class e que comme philoso phique Le champ unique que nous avons mentionn se scinde en deux secteurs assez nettement distincts ils restent confondus aux yeux de l crivain mais s opposent d sormais aux yeux d un nou veau personnage historique le professeur Pour la philosophie c est Royer Collard qui l inauguera propuls dans ce r le un peu malgr lui par Fontanes Grand Maitre de l Universit napol on nienne Apr s lui l arch type ce sera Victor Cousin suivi par la phalange des Jeunes philosophes ses disciples issus de l Ecole Nor male Sup rieure L exercice de l criture restera un engagement s culier tandis que celui de la philosophie ne pourra se faire que dans le cadre d un CONCLUSION 205 ordre r gulier Aujourd hui
7. J La soif de l infini La morale qui passait en cet endroit gt Si notre lecture des lettres de Ducasse ne nous trompe pas nous devons tenter une approche des Chants qui tienne compte des th ses explicitement formul es dans cette correspondance Elles sont sim ples il faut faire d sirer le bien et l on peut y parvenir par l emploi d une m thode plus philosophique et moins naive que celle qu utilisait l ancienne cole Cette derni re tait trop ouverte ment militante elle affichait trop et trop vite ses objectifs et ses ambitions et ne pouvait gu re convaincre que des lecteurs d j con vaincus La m thode de la nouvelle cole telle que l entend Ducasse requiert plus d habilet puisqu elle sait mettre son ser vice la ruse de la vertu il s agit d assumer le discours et le spectacle du Mal afin d attirer l me assez courageuse pour accepter de regar der la r alit en face La r alit c est la duplicit humaine Il ne s agit plus alors de la cacher il faudra au contraire insister sur les c t s n gatifs de la nature de l homme afin de mieux faire ressortir ce qui subsiste en elle de qualit s C est cette voie d tourn e et ce parti retors que Ducasse semble donc avoir retenus pour fonder en philosophie son entreprise litt raire moins qu il ne se soit agi de donner un cadre litt raire ce qui serait en fait et d s le d part d essence fondamentalement morale
8. Le diner du soir bien entendu a lieu dans la salle manger d cor e de portraits antiques sur la table des plats charg s de viandes succulen tes de fruits odorif rants tandis que les polychromes ruis sellements des vins du Rhin et le rubis mousseux du champagne sench ssent dans les troites et hautes coupes de pierre de Boh me apr s le diner on fait des lectures la lumi re des deux coupoles de cristal ros de la lampe de bronze Ducasse ne recule devant rien Au contraire il s applique de tou tes ses forces aller au devant de ce que peut d sirer tout lecteur de roman feuilleton Il ne s agit l que de mots en trompe l oeil dont l effet doit tre identique celui produit par les verbes au pr sent effet hyperr aliste de la fiction gr ce la caution du code qui sappule sur la redondance extr me des connotations L artifice vient alors crever l cran de r el qu il a pour mission de tramer Nous pourrions poursuivre la m me analyse sur le chapitre cinq dont l action se situe sur un banc du Palais Royal du c t gauche et non loin de la pi ce d eau etc Le chapitre six se r f re des codes tout diff rents mais le septi me revient ce qui se mettait en place auparavant gr ce un retour r aliste la topographie pari 178 LAUTR AMONT sienne boulevard de S bastopol fontaine Saint Michel quai des Grands Augustins quai Conti quai Malaqu
9. Lorsque son hurlement de la conscience pouvanta ble p n tre dans le coeur humain celui ci pr f rerait avoir dit on la mort pour m re que le remords pour fils Remords conscience spleen d sespoir vague autant de mythes m taphysiques et litt raires que Ducasse s attache brocher les uns aux autres dans son entreprise d oppression lib ratrice na a Fictions c lestes Le troisi me chant poss de cette particularit d tre le plus court des six ensembles que r unit le volume cinq strophes Encore sont elles de dimensions fort in gales la derni re strophe tant de loin la plus tendue De m me les th mes figuraux entretiennent peu de rapports vidents bien que les r seaux id ologiques soient ici r af firm s avec une nettet qui s estompera quelque peu dans les chants suivants O nous pourrons suivre l apparition d attitudes nouvelles dela part de Ducasse vis vis du travail auquel il se consacre Un certain basculement ou vacillement de sa strat gie philosophique et po tique se pr pare ainsi travers la r alisation de fictions qui comptent parmi les plus puissantes et les plus frappantes de tout l ensemble La premi re strophe comme toujours commence par une r flexion de nature litt raire sur la nature m me de ce qui se donne ainsi la lecture L adresse au lecteur est chaque fois reprise modul e mettant en vidence le sens dynamique de l labo r
10. Simplicit sinc rit absence de pose tel parait bien tre l id al en formation qui travaille les Chants dans le mouvement difficile qui cherche faire d boucher sur un programme positif leur n gativit anti romantique puis anti romanesque Sous la caricature ce CECI N EST PAS UN ROMAN 173 qui cherche percer c est un certain retour au s rieux sans phrases ni morosit Mais sachez que la po sie se trouve partout o n est pas le sourire stupidement railleur de l homme la figure de canard Ainsi se prolonge la condamnation du rire d j rencon tr e et cette condamnation se fait sur un terrain moral parce que le rire t moigne de m pris d une illusion de sup riorit Aussi rappelons nous lui faut il pour tre efficace et vrai pour devenir une arme dialectique authentique un accompagnement d humi dit gt Autre mani re de dire qu il ne faut pas voir lt un seul c t des choses mais toujours balancer les points de vue lire sur au moins deux plans faire jouer les voix les discours les styles mettre en mouvement le grand flux de la langue et des lettres pour y dissoudre les int r ts mesquins l orgueil d nonc dans les Po sies lt l goisme gt le lt rire gt m chant et b te ainsi que les fantasmes de l homme ali n de 1870 La suite du sixi me et dernier chant ne pourra donc tre qu une auto destruction de l pop e satanique byron
11. philosophique d cou verte par Ducasse n a pas su trouver les caract res qui auraient assur sa survie et la st rilit de cet embranchement a entra n sa fin Ni Cousin ni Jouffroy ni Villemain n ont eu de post rit mal gr leur emprise sur le syst me La vraie nouveaut philosophique ce sera celle que d couvriront d autres po tes et crivains de Vil liers de l Isle Adam Mallarm Hegel lt Panth istes gt et lt nibilistes gt Ce n est pas dire que Hegel ait t un inconnu pour les philoso phes dont nous avons parl et vrai dire Cousin a t un des pre miers parler de lui il lui avait d ailleurs rendu visite en Allemagne en 1821 au cours d une sorte de tourn e d information qu il y effec tua alors Mais la rencontre fut sans lendemain car dans la perspec tive des spiritualistes Hegel ne pouvait tre perqu que comme un panth iste Cf Gratry classer pour cette raison dans la m me cat gorie que Spinoza autre b te noire de l Ecole encore que bien mieux connu et donc bien plus vigoureusement combattu que Hegel L influence de Spinoza semblait alors avoir p n tr tr s profond ment les milieux litt raires Ainsi Nourrisson crit il Bref qu on le sache ou qu on l ignore qu on se le dissimule ou qu on se l avoue les maximes de Spinoza sont cette heure l me des th ories les plus en vogue et les plus bruyantes Ou encore Banni promptemen
12. s interroge Maldoror juste titre apr s avoir re u d un clair une lt longue cicatrice sulfureuse gt qui vient s ajouter la paralysie de ses doigts Comment mieux marquer la fois le carac t re sacr de l criture et le sacril ge qui consiste la mettre au ser vice du Mal Maldoror devrait donc ne pas pouvoir crire censur par la puis sance sup rieure Mais n oublions pas qu il y a dans les coulisses de cette sc ne un Ducasse qui tient beaucoup en fait ce que le dis cours du Mal puisse se d velopper pour faire en sorte que le lecteur oppress en vienne d sirer d entendre autre chose Question de m thode qui permet que soit atteint le but ultime en abandon nant un h ros imaginaire la responsabilit d un r cit qui pour tre efficace se doit d tre ouvertement blasph matoire Il est donc logi que que Maldoror persiste et s exclame J ai le droit comme un autre de me soumettre cette loi naturelle crire ma pens e j aurai cependant la force de soulever le porte plume et le courage de creuser ma pens e Qu a t il rapport au Cr ateur de me tracasser comme si j tais un enfant par un orage qui porte la foudre Je n en persiste pas moins dans ma r solution d crire Si Maldoror n assumait pas le r cit de ses propres mauvaises actions qu aurions nous donc Un livre dont l auteur pourrait tre soupconn d entretenir les m mes pens es criminelles
13. Cache toi guerre y est il dit De m me la derni re strophe du chant premier laissait para tre un tr s net d go t pour la guerre en vantant les deux peuples des rives de la Plata lt jadis rivaux gt qui lt s efforcent actuellement de se surpasser par le progr s mat riel et moral La guerre et sa d vas tation ne peuvent ici qu tre all goriques et d signer les ravages dont est susceptible l homosexualit Ainsi pouvons nous en arriver au second aspect du discours de Maldoror celui qui introduit une dialectique auto destructrice dans l apologie de tout l heure Si Maldoror refuse en effet d injurier les p d rastes il faut remar quer qu il n en souligne pas moins leur grande d gradation s il ne veut pas m priser leur anus infundibuliforme c est parce que les maladies honteuses et presque incurables qui les assi gent portent avec elles leur immanquable ch timent en outre la con duite des p d rastes se trouve interpr t e comme une vengeance qui a attach au flanc de l humanit une cou ronne de blessures c est une prostitution qui d fie la logi que des penseurs les plus profonds Si Maldoror s offre lt sus pendre sa bouche aux insignes de leur pudeur il en souligne avec force d tail les risques n oubliez pas chaque jour de laver la peau de vos parties avec de l eau chaude car sinon des chancres v n riens po
14. f t ce sous leur forme cor rig e dans ce texte qui dialogue ou pol mique avec elles tout instant Il a donc pu y avoir chez Ducasse p n tr des subtilit s et des richesses de tout ce qui touche au double la volont de r p ter Pascal en mimant le geste h roique qui consiste ne pas rechercher CONCLUSION 193 l ach vement Il a pu plus simplement se sentir autoris publier ses propres pens es un moment o la critique pascalienne se d ve loppait Ducasse pensait peut tre chapper par l au destin pos thume de son pr d cesseur dont les diteurs successifs ont choisi sa place l ordre jug logique des fragments qu il avait laiss s En se publiant lui m me il levait cette hypoth que Toutes ces hypoth ses ne reposent naturellement que sur une supposition fragile celle qui fait de Ducasse un homme press qui aurait consenti harcel par on ne sait quelles urgences livrer h ti vement des bribes somme toute mineures aux yeux de lecteurs non avertis secondaires en tout cas par rapport au magnum opus que sont les Chants ou encore par rapport l ouvrage qu elles semblent annoncer Mais c est l voir Ducasse dans la position d un homme sur la d fensive dans une posture de faiblesse telle que nous l avons d j voqu e plus haut L exact inverse est en fait tout fait conce vable car on peut au contraire imaginer que pour Ducasse lui m me les Po sies correspondent
15. pique du mal le roman Examinons de plus pr s ce que Lautr a mont nous dit des caract ristiques qu il reconnait chaque versant Quand il nous dit pour commerncer lt ne croyez pas qu il s agisse encore de pousser dans des strophes de quatorze ou quinze lignes ainsi qu un l ve de quatri me des exclamations et des gloussements sonores Lautr amont ne laisse pas de doute sur la nature de ses Chants tels qu il les per oit a posteriori quelque peu enfantins et comptant un peu trop sur le pathos exclamations gloussement Nous retrouvons dans les Po sies cet l ve de quatri me que des professeurs pervers obligent traduire en vers latins du Musset arch type de l aberration post romantique pour Ducasse mais d s cette pr face le th me aura t bauch Comme il le dira dans une lettre c est bel et bien un reniement du pass qui est en cours mais ce reniement s il porte sur la m thode litt raire ne touche en rien le fond de l entreprise et ses objectifs ultimes Pr tendriez vous donc que parce que j aurais insult comme en me jouant l homme le Cr ateur et moi m me dans mes explicables hyperboles ma mission f t compl te Non D sormais les ficelles du roman remueront les trois personnages nomm s plus haut il leur sera ainsi communiqu une puissance moins abstraite Le roman nous l avons dit c est le r alisme c est l abandon d
16. que son h ros Il faut Ducasse prendre une distance telle que seul Maldo ror puisse tre tenu responsable de ces pens es d autant plus choquantes qu elles sont au dire du chant premier dans tous les hommes telle encore que ce soit Maldoror qui en vienne se condamner lui m me en laissant p riodiquement le discours du bien faire retour dans la trame d un r cit d actions criminelles Mise distance double d tente Ducasse s efface derri re Lautr amont qui lui m me s efface derri re Maldoror La distance est aussi celle qui peut exister entre un premier essai et une ceuvre plus achev e le chant premier ayant fait l objet de plu sieurs remaniements avant que la formule d finitive n en soit trou v e L attitude de Ducasse envers ses crits tait alors assez diff rents de ce qu elle est devenue par la suite La quatri me strophe du chant premier que nous avons d j voqu e permet de mesurer l tendue du changement C est qu il s agissait alors pour Lautr a mont Ducasse dans son r le d auteur avant de se lancer dans la narration de donner au lecteur quelques indices sur la nature du raisonnement qui l amenait les crire Argument moral d abord Celui qui chante ne pr tend pas que ses cavatines soient une chose inconnue au contraire il se loue de ce que les pens es hautaines et LA MAXIME ET LE R CIT 59 m chantes de son h ros soient dans tous les hommes gt C tait l a
17. Je ne puis plus respirer Votre b n dic tion gt La mort est bien le seul aboutissement possible du mal la fin cach e de la tentation Avis aux jeunes mes mal d fendues S il est efficace le pouvoir que lui ont accord les puissances infernales LA SOIF DE L INFINI 47 ou plut t qu il tire de lui m me cet enfant avant que la nuit s coule ne devait plus tre gt Notons la correction apport e par Lautr amont sa caract risation de Maldoror il ne tient pas son pouvoir d une force ext rieure il provient enti rement de la part de m chancet qui est en lui Nulle intervention surnaturelle n est donc n cessaire pour que le mal fasse ses effets et tende son empire il suffit d couter ses lt mauvais instincts gt La douzi me strophe se fonde son tour sur une th matique voi sine mais en l inscrivant dans un contexte narratif moins romanes que Il y est encore une fois question du bien et du mal des desseins de Dieu et de l immortalit de l me mais la mise en fiction s effec tue cette fois ci partir des formes prouv es du dialogue philoso phique Comme on peut cependant l attendre de Ducasse les posi tions seront loin d tre tranch es les r les et les discours se modifie ront pour r pondre aux quivoques complexit s du but poursuivi Toute la sc ne est ainsi par exemple la fois un redoublement et un d tournement de la classique sc ne de Hamlet o le h ros et le
18. Le magn tisme et le chloro forme quand ils s en donnent la peine savent quelquefois engen drer pareillement de ces catalepsies l thargiques Elles n ont aucune ressemblance avec la mort ce serait un grand mensonge que de le dire La remarqe est int ressante parce qu elle prend le contrepied de l un des st r otypes romantiques les plus r pandus l assimilation du sommeil profond surtout quand il n est pas naturel la mort Peut tre m me a t il l une r futation plus pr cise adress e aux textes de Baudelaire Toujours est il que cette observation incidente s inscrit naturellement dans la campagne de rationalisa tion anti m taphorique entreprise par Ducasse appeler les choses par leur nom pour ne pas tout confondre et se laisser une chance sans renoncer au langage puisque le silence a t il d j observ est plus difficile maintenir qu on ne le croit de dire quelque chose de vrai sur la r alit Bien s r nous ne sommes l cependant que dans la fiction dans le langage Ducasse ne manque jamais de rappeler son lecteur les ambiguit s fonci res de tout r cit en ironisant par exemple sur ce que le lecteur naif attend Mais arrivons tout de suite au r ve afin que les impatients affam s de ces sortes de lectures ne se met tent pas rugir L ironie est plus vive encore quand la fin de la strophe voulant convaincre le lecteur de la r alit des larmes ver s es cause
19. Sais set 1859 Vacherot 1868 B nard in Franck 1844 Mais la d marche adopt e par Ducasse est elle d un bien plus grand raffi nement en ce qu elle utilise la fiction pour faire clairement aperce voir au lecteur quelles extr mit s le conduisent des r veries qui le charment par trop fascination pour le mal th ories sur l impasse sans solution de la nature humaine adoration de faux dieux Les Po sies r sumeront cet engrenage implacable la m lancolie et la tristesse sont d j le commencement du doute le doute est le com mencement du d sespoir le d sespoir est le commencement cruel des diff rents degr s de la m chancet On commet donc le plus grave des contre sens en prenant la let tre comme si Ducasse assumait ce qu il reprend chez Byron ou Musset ou d autres les blasph mes et les mal dictions que Lautr a mont est charg de pr ter Maldoror Etre de langage synth se lit t raire dans la fiction des multiples st r otypes cr s par un si cle de doute Maldoror est un pouvantail rapi c que Ducasse veut d mystifier Il exag re ses outrances au moment m me o il en mine l effet en lui faisant d une part tenir des discours contraires LA MAXIME ET LE R CIT 75 son caract re appels la foi etc et en lui pr tant d autre part une gesticulation verbale caricaturale charge stylistique faite de l accu mulation des poncifs romantiques Les Chants sont de c
20. Une lampe et un ange qui forment un m me corps voil ce que l on ne voit pas souvent L indication est claire toute la sc ne est certes symbolique mais ses significations comme les moyens textuels de la symbolisation sont parfaitement ma tris s et tenus distance Rappelons nous quels lecteurs Lautr amont adresse ses Chants des lecteurs tout de sang froid qui doivent savoir distinguer l l ment critique des r cits de leur habillage de convention la mesure d un h ros narrateur tel que le pr sentait la strophe l Oc an Je me propose sans tre mu de d lcamer grande voix la strophe s rieuse et froide que vous allez maintenant entendre Ce n est pas de tels lecteurs qui pourront prendre au pied de la lettre un r cit apolog tique La stro phe se conclut d ailleurs sur une cl sans quivoque il aperqoit dans les airs une forme noir tre aux ailes br l es qui dirige p ni blement son vol vers les r gions du ciel Ils se regardent tous les deux pendant que l ange monte vers les hauteurs sereines du bien et que lui Maldoror au contraire descend vers les abimes vertigi neux du mal Citations Il ne suffit pas Ducasse cependant de r affirmer une legon une morale L effet de distanciation critique doit chaque fois accom pagner le r cit pour qu il devienne d monstration Le moyen retenu pour obtenir cet effet nous l avons vu d j de nombreuses repri ses cons
21. de la po ti que nous reconnaissons la fois un lexique et une rythmique romantiques ostentatoires du c t de la science c est le concept classificatoire le raisonnement abstrait l insistance sur la logique Exemple heureux d une phrase o se marque cet effort de d s non ciation lt Suivant pas pas une hypoth se ant rieure j aurais de suite assign sa v ritable nature et trouv une place dans les cadres d histoire naturelle celui dont j admirais la noblesse dans se pose maladive L o cependant le proc d atteint le comble de son efficacit c est lorsque se trouvent pos s face face des termes ancr s dans deux types de discours r solument incompatibles nous voulons parler des beau comme Placer d un c t l adjectif qui r sume toute la beaut qui comme le rappelle R Barthes dans S Z se dit mais ne se d crit pas de l autre n importe quel fragment textuel pourvu qu il soit d une totale indiff rence esth tique c est videm ment d truire dans son principe m me l effet attendu d une compa raison D une part parce que ce qui est beau ne saurait se comparer quoi que ce soit geste d sesp r ou fou du discours suicide et d autre part parce que le registre de la science ou du constat des criptif chappe par essence la narrativit Il n y a plus de transiti vit du comme il ne peut plus faire signe vers un univers po tique id al c
22. l ternit o nous ne nous retrouverons pas ensemble gt Les der niers mots de Tremdall indiquent assez de quoi il s agit ici aussi ardente que soit sa fascination pour Maldoror il ne saurait tre question de le suivre L appel des Po sies la raison leur fondamentale sant leur opti misme sont ici d guis s mais reconnaissables sous les traits d une figure qui ostensiblement poursuit la tradition qu elle s efforce de d noncer Dialectique de la d construction figurale appuy e par une subtile pratique de la d construction stylistique Ce dont la strophe suivante repr sente une avanc e encore plus audacieuse fond e sur la m me strat gie Puisque le th me classique qui y est r inscrit est celui de la bassesse de Dieu Ducasse se devra natu rellement d aller plus loin dans cette voie que tous ses pr d ces seurs afin d avancer une perspective de renversement d autant plus radicale Dans cette strophe c lebre le d cor idyllique Tout travail lait sa destin e les arbres les plan tes les squales met en relief par contraste l avilissement du Cr ateur Il tait tendu sur la route les habits d chir s etc Il tait sao l Horrible ment gt Sc ne extraordinaire o comme dans la fable de La Fon taine qui a sans doute fourni le sch ma global de la strophe Le lion devenu vieux les animaux de la cr ation viennent se venger de diverses mani res de leur
23. tablir sa th orie Le raccourci axiomatique ne pr side plus l laboration des syst mes et la mise en ordre formelle ne doit tre encore que l aboutissement d une recherche qui pour avoir valeur scientifique doit d abord avoir sond l histoire Seule exception peut tre cette r gle l oeuvre de celui qui fut sans doute le plus authentiquement philosophe au sens moderne des penseurs de la premi re g n ration du si cle et l une des figures tut laires de l Ecole spiritualiste Th odore Simon Jouffroy 1796 1842 Normalien et professeur la Sorbonne selon le sch ma classique il fit connaitre en les traduisant les principaux auteurs de la philosophie cossaise d couverts d abord par Royer Collard On parle beaucoup de Dugald Stewart et de Tho mas Reid chez Jouffroy et l cho de leurs doctrines se rencontre jus que dans les Chants et les Po sies Disciples La premi re g n ration de ce groupe de philosophes Jouffroy Villemain Cousin Guizot eut son tour une g n ration de disci ples qui r percuteront leurs id es en les approfondissant ou en les am nageant Elles se trouveront mises ainsi la port e du vaste public de la jeunesse des lyc es dans les ann es pr cis ment o Ducasse y re oit sa formation C est dans les ouvrages de ces disci ples que nous pourrons le mieux rep rer et reconstituer les fils de la trame qui fait le fond de l entreprise de Ducasse sur le plan philos
24. Hobbes dans le De Cive puis dans L viathan cf B nard 1845 Franck 1844 Jacques 1846 C est nouveau sur un enfant qui cette fois encore ne doit pas avoir plus de huit ans gentil fragile enveloppe d une belle me que Maldoror met l preuve son syst me de pi ges m taphysiques Le r cit se subordonne ici peu pr s tout un dia logue surtout constitu en fait d nonc s typiquement form s sur le genre de la maxime et ceci afin dit Maldoror l enfant de te faire comprendre sur quelles bases est fond e la soci t actuelle Cat chisme du cynisme il va sans dire Voici donc quel sera le catalogue des prescriptions de cette morale moderne Il n est pas n cessaire que tu penses au ciel c est d j assez de penser la terre gt lt puisque le ciel a t fait par Dieu et de te faire justice toi m me la justice qu apportent les lois ne vaut rien sois donc le plus fort et la plus rus la ruse 68 LAUTR AMONT le plus bel instrument des hommes de g nie les moyens ver tueux et bonasses ne m nent rien le but excuse le moyen etc Tout ce discours est celui de l homme moderne oublieux de Dieu de la morale des premiers principes Maldoror permet Ducasse d en faire la citation et d en illustrer les effets sur la jeu nesse Nous sommes loin ici d un exercice purement litt raire comme on l a souvent cru Q
25. Janet 1865 40 LAUTR AMONT en sc ne attir une haine irr conciliable en attaquant l humanit qui se croyait invuln rable II 1 Ou fait il porter son attaque Comment p n tre t il les d fenses de l ennemi Par la br che d absurdes tirades philanthropiques elles sont entass es comme des grains de sable dans ses livres dont je suis quelquefois sur le point quand la raison m abandonne d estimer le comique si cocasse mais ennuyant gt II 1 Telle est toute la diff rence entre la nouvelle cole et l ancienne L ancienne se consacrait flatter l homme souligner ses vertus lui promettre le progr s en l assurant de sa perfectibilit La nouvelle cole au contraire d couvre dans ses discours des br ches o elle s installe pour partir de l d manteler tout le syst me des d fenses rig es par l humanit pour se d guiser elle m me sa propre v rit La r cusation de la m thode philanthropique s arme de la d rision en refusant son pathos d autre vertu que celle du comique Comment s tonner que la r ception faite au premier chant ait t rien moins que chaleureuse Le h ros qui en est le porte voix ne pouvait que s attirer la haine irr conciliable de l humanit Mais l inventeur de ce h ros sacril ge savait quoi il s exposait fort de ses analyses sans compromis Il l avait pr vu Il ne suffit pas de sculpter la statu
26. La pr minence de ma force physique tait plut t un motif de soutenir travers le rude sentier de la vie celui qui s tait donn moi que de maltrai ter un etre visiblement plus faible Ainsi Maldoror se condamne t il lui m me mettant en vidence les cons quences morales du crime Je m enfuis au loin avec une conscience d sormais impla cable en sentant le remords p n ter dans mon coeur On se rappellera la strophe o la conscience tait figur e poursuivant implacablement l antilope humain Le th me est ici identique on peut pratiquer le mal si l on coute la nature qui inspire tous les d reglements mais la punition est in vitable Le seul espoir alors est dans le pardon que les victimes de Maldoror pratiquent 134 LAUTR AMONT toutes g n reusement pr chant une fois de plus d exemple Le qua tri me chant se termine en effet sur cette possibilit toujours ouverte lt m a t il donc pardonn gt Maldoror s est donc trouv un double une fois encore un double n gatif dont le nom m me annonce le renversement de tout ce que Maldoror repr sente puisque lt Falmer gt c est lt mal faire Dans la lutte entre le bien et le mal entre les deux postulations de l me humaine le mal semble l emporter coup s r mais c est une fausse victoire puisqu il reste le remords et la conscience jamais inapai sables VI Ethique et fiction Le quatri me chant
27. Maldoror ayant r ussi faire tomber la lampe de son plafond elle se transforme d elle m me d veloppant ainsi ing nieusement les virtualit s de son intertexte Elle n est plus simplement un signal elle n est plus m me un symbole sa m tamorphose lui donne rang de personnage Le combat peut avoir lieu mise en fic tion qui va faire ressortir d abord la sc ne paradigmatique de la LA MAXIME ET LE R CIT 81 Gen se 32 23 o l on voit Jacob affronter l Ange moins qu il ne s agisse de Dieu lui m me Il saisit la lampe pour la porter dehors mais elle r siste et grandit Il lui semble voir des ailes sur ses flancs et la partie sup rieure rev t la forme d un buste d ange Le tout veut s lever en l air pour prendre son essor mais il le retient d une main ferme Ducasse prend soin ici encore de n utiliser qu un langage distanci ses apologues refusent les facilit s et les dangers du merveilleux Maldoror garde la t te froide et son dis cours demeure analytique Je n aime pas ce ph nom ne d opti que qui n est mentionn du reste dans aucun livre de physique sexclame t il devant les lt nuances blanches de la lumi re lectri que que la langue fait tout coup miroiter Souhaitant ensuite que la lampe s anime il remarque Mais le moyen qu une lampe se change en homme ce n est pas naturel et quand pour finir la lampe se m tamorphose quand m me il se contente d observer
28. cette seule conclusion le suicide Ducasse est donc oblig d effectuer une sorte de coup de force con tre la tradition et de d roger ses n cessit s le suicide est exclu a priori et cette exclusion fait l objet d un pacte dont on ne nous pro duit Jamais la justification Il s agit l d un axiome d un ind montrable qui ne rel ve pas du raisonnement et de la dialectique comme peut le faire la morale ou la philosophie Regle du jeu dont l urgence ne se soutient que d une conviction incapable de se prouver il ne faut pas se suicider voil tout ce qu elle peut dire Pour parler comme le Ducasse des Po sies c est l l un des lt premiers principes un axiome sacr En laissant affleurer de maniere disruptive ce roc de sa future morale Ducasse laisse apercevoir une fois de plus la couture de sa dialectique tout le discours romantique que tient Maldoror ou que servent ses compagnons est de nature purement citationnelle intertextuelle C est l le discours qu il s agit de d noncer pour par venir le d construire de l int rieur en fatiguant le lecteur Chaque adjectif parce qu il exhibe sa nature de st r otype se d nonce lui m me comme artifice d criture Notons cependant que ce qui nous apparait d s ce moment au niveau de ce que nous pourrions appeler le comportement du lan gage peut tre n est ce que nous qui le percevons comme lecteurs Peut tre Ducasse croit il encore lui m me la r
29. clectisme des tendances prononc es vers les id es auxquelles ces th ories ainsi que celles qui leur sont analogues paraissent devoir c der prochainement la place Au moment o s laborent donc les Chants et les Po sies la philo sophie a repris une forme institutionnelle forte qui fixe le cadre l int rieur duquel tout discours pr tention philosophique pourra prendre forme et sens Mais en m me temps d j des forces nou velles travaillent celles que Ravaisson discerne dans une nouvelle g n ration de jeunes maitres S agit il l de ces frissons nou veaux qui parcourent l atmosph re intellectuelle et que croit d ce ler le Ducasse des Po sies qui reprenait ainsi en le d tournant le mot utilis par Hugo pour parler des Fleurs du Mal Toujours est il que choisir le terrain de la philosophie vers 1868 c est reconnaitre certains enjeux prendre parti prendre rang pour s affirmer dans un d bat Quels enjeux Quel d bat Pour tenter de r pondre il faut d abord s assurer d un langage reconnaitre le discours charg de redire les vidences philosophi ques pour le public du temps Dans l architectonique de ce discours il faut le noter la morale et la psychologie entretiennent des rap ports troits l me tant le carrefour de leurs applications et toutes deux tant affect es d un m me rapport la logique La morale est une logique de l acte mais la psychologie a aussi sa partie p
30. dans la seconde n est plus ici qu un crapaud Maldoror s y adresse d abord l homme en lui d con seillant souvenir baudelairien Il sera question de l immortelle charogne dans les Po sies d tudier le chien mort retourn qu il rencontre ou de diss quer les vers qui sortent de son ventre gonfl Quel myst re cherches tu Ni moi niles quatre pattes nageoires de l ours marin de l oc an Bor al n avons pu trouver le probl me de la vie Lave tes mains reprends la route qui va o tu dors I 13 Mais l o Maldoror dans la strophe pr c dente offrait des paroles de consolation au fossoyeur angoiss c est main tenant un autre personnage qui vient le remplacer Maldoror deve nant son tour l objet de la sollicitude consolatrice Peut tre en LA SOIF DE L INFINI 51 tend il ainsi faire comprendre son lecteur par un retour en arri re l origine des discours tenus par Maldoror quelques pages plus haut L action n est plus au pr sent mais au pass sc ne de nostalgie m lancolique Mis face face avec le crapaud Maldoror se souvient Couvert d une gloire qui n appartient qu Dieu tu m as en partie consol I 13 La rencontre provoque un flash back un d senfouissement du pass ant rieur qui donne une autre perspective au portrait m taphysique de Maldoror suppl ant en partie ce que l ellipse anti anecdotique des premi res strophes nous avait d r
31. dans un d lire parano aque et criminel qui fait de lui en n gatif le v ritable gal de Dieu Peut tre est ce cause de cet exc s dans l emportement d bor dant les cadres de la th matique g n ralement poursuivie que Ducasse met ici un point final au deuxi me chant Le chant se ter mine en effet par une victoire du d fi adress Dieu r servant la possibilit d une poursuite du combat impliquant les hommes Qu il n envoie plus sur terre la conscience et sa torture J ai ensei gn aux hommes les armes avec lesquelles on peut la combattre avec avantage Ils ne sont pas encore familiaris s avec elle Ainsi apparait peut tre l annonce d un changement de probl matique qui sesquissera dans les prochains chants pour s panouir en se d mas quant tout fait dans les Po sies La strophe concluant ce chant nous annoncerait alors une prise de distance Non ne conduisons pas plus profond ment la meute hagarde des pioches et des fouilles travers les mines explosibles de ce chant impie Le contexte id ologique repris dans la trame des Chants se trouve d ailleurs r sum quand Maldoror nous dit les ailes se fati guent beaucoup dans un vol lev sans esp rance et sans remords Voil les st r otypes g n rateurs r affirm s comme ils l taient dans la strophe pr c dente Une place particuli re y est encore faite au remords dans ce passage plein d humour noir lin guistique
32. de l autre r or ganis es selon de nouveaux principes et une nouvelle histoire qui fait liti re d un si cle de litt rature pour s assurer d un retour doctri nal aux fondements thiques les plus exigeants du classicisme Si notre objet n est pas de tirer des Po sies tout l enchev trement de leur arch ologie pour le mettre au jour et en d ployer les articu lations secr tes la place de ce texte dans notre lecture des Chants aura cependant t d terminante mais plus parce qu elles auront jou le r le d un puissant auxilaire dans la recherche que par leur valeur intrins que Les complexit s des Chants c est bien cette pierre de touche que nous avons d de pouvoir en d m ler certai nes et en cela les Po sies apparaissent pour ce qu elles sont devenues pour de bon du jour de la mort de Ducasse centrales et marginales la fois Centrales parce que c est dans ces notes de Ducasse que sexplicite elle m me sa pens e impatiente que se d clarent ses choix ses go ts et ses d go ts Marginales dans la mesure o elles ne sont autres tout compte fait que des marginalia les reste d un travail dans la fiction les cristallisations prospectives d une pens e dont l effort premier est d instaurer quelque chose sur une autre 192 LAUTR AMONT sc ne que celle de la philosophie m me s il se r v le dans un iro nique apr s coup qu il n y a au fond jamais eu d autre sc ne que celle l Aussi les Po szes n
33. de ses principaux attributs etc 5 Histoire de la philosophie classification des syst mes philosophi ques biographie des auteurs etc Jacques 1846 H s agit l d une organisation de la philosophie qui a tenu une bonne centaine d ann es La th odic e seule a disparu tandis que les contenus et les r f rents se sont transform s mais au moment o Ducasse crit au moment o il cherche approfondir sa propre r flexion sur les rapports de l esth tique et de la morale il s agit encore de la doxa nouvelle qui r sume un demi si cle de philoso phie fran aise apr s l clipse due la r pression exerc e contre l Universit la suite du coup d Etat de 1852 Dans son rapport sur La Philosophie en France au XIX si cle paru en 1868 F lix Ravaison donne un aper u de la situation Il y a peu d ann es sur la proposition du pr sent ministre de l instruction LES DISCOURS DE LA M THODE 21 publique gt il s agissait de Victor Duruy lt dont ce fut le premier acte la philosophie reprit dans les coles de l Etat avec son ancien titre la place qu elle y avait autrefois occup e et un examen sp cial pour la r ception des professeurs charg s de l enseigner fut r tabli Dans les preuves publiques qui font partie de ces examens preu ves sur lesquelles plusieurs jeunes maitres ont jet un vif clat on a vu se produire au lieu des th ories qui seules avaient r gn depuis l av nement de l
34. es vers les r gions sid rales ou une plan te se mouvait au milieu des exhalaisons paisses d ava rice d orgueil d impr cation et de ricanement qui se d gageaient comme des vapeurs pestilentielles de sa surface hideuse Ces proph ties n est ce pas les Chants eux m mes pers v rant encore pour l instant tout au moins dans leur m thode Quand l homme qui se trouve ainsi jet sur une plan te immonde gt est il coupable est il victime L h sitation fort romantique devant cette question forme l un des axes majeurs des Chants la destin e humaine comme question lancinante sans r ponse jetant le doute sur le Cr ateur m me c est l ce que nous trouvons mis en scene dans cette strophe qui contrairement la plupart des autres vite le r cit et choisit le mythe parsem de frag ments philosophiques Les m taphores typiques de la rh torique des Chants ne man quent pas d apparaitre les deux fr res myst rieux vont parfois au fond de la mer pour reposer agr ablement leur vue d sillusion n e sur les monstres les plus f roces de l abime qui leur paraissaient des mod les de douceur en comparaison des b tards de l huma nit autre nom pour ces b tards des marcassins Nous l avons amplement d montr pensons nous nul arbitraire dans ce choix de termes construisant un monde animal qui sert de traduc tion lt po tique gt au monde humain En syst matisant l
35. et peut tre est ce l qu est la le on Qu est ce que l Hermaphrodite sinon le r ve d une impossible r conciliation Dans cette all gorie la question du sexe importe moins que l id e m me de r union des contraires comme recom mencement d une origine d voy e comme dans la version de Pla ton L Hermaphrodite de Lautr amont demeure un tre fort roman tique car il ne repr sente en rien une r conciliation heureuse En lui plut t qu unis ses deux versants restent contradictoires comme le bien et le mal l homme n est il pas un hermaphrodite moral Celui de la fiction est en tout cas et naturellement travaill dans son d sir par l nigme fondatrice de la ressemblance pos e ici partir de son inverse Fatigu de la vie et honteux de marcher parmi des tres qui ne lui ressemblent pas le d sespoir a gagn son me Comme un Ren qui n aurait pas appris savourer la d lec tation morose comme Adonis ce n est que dans le sommeil que l Hermaphrodite peut trouver une bauche de repos lt Il r ve qu il est heureux que sa nature corporelle a chang ou que du moins il s est envol sur un nuage pourpre vers une autre sph re habit e par des tres de m me nature que lui gt I faut noter que le mythe n est pas repris par Ducasse sous une forme tout fait classique il le christianise et de plus d une fa on Ce n est plus V nus qui a caus les maux dont souffre le h ros de la st
36. fossoyeur dialoguent autour d un cr ne symbolique Ici le fossoyeur trouve qui parler puisque son interlocuteur n est autre que Maldoror Mais ce dernier curieusement n inter vient nullement pour confirmer sa m chancet bien tablie Tout se passe au contraire comme si confront aux symboles des r sultats du mal il prenait le temps de se livrer sa propre angoisse et ses propres doutes Bien entendu il lui faut pourtant rester dans son caract re et ne pas laisser croire au lecteur qu il se serait tout coup converti au bien Ducasse s arrange donc pour affecter tout le discours que tiendra Maldoror d une modalit d incertitude c est le fossoyeur qui nous en avertit en remarquant que son interlocu teur lui dit ce qu il ne pense pas Il ne l en dit pas moins et l on peut supposer que Ducasse n a eu recours cet artifice de d n ga tion que pour mieux dire ce que lui m me sa mani re philoso phique et d pourvue de naivet il tenait nous dire Apr s avoir confront dans les strophes pr c dentes le mal au mal puis le mal au bien faisant succomber ce dernier en la per sonne d Edouard Lautr amont organise donc maintenant un tout autre type de rencontre un fossoyeur branl agit dialogue avec un Maldoror philosophe et bienveillant La situation de la strophe pr c dente est invers e c est cette fois ci le discours du bien qui fait irruption dans une conscience livr e
37. la morale dont le premier chant est d clar sans ambiguit le d fenseur nergique Mais la morale n aura peut tre pas su reconnaitre les signaux qu on lui adressait peut tre n aura t elle pas su identifier son alli paradoxal sous le d guisement trompeur qu il a pris Ne discernant pas les subtilit s tactiques d ploy es au titre de la m thode rete nue pour chanter le bien en paraissant vanter le mal la morale n a pas pr sag la vraie nature de son agresseur en d pit de ses clins d oeil complices Le lecteur non plus malgr le clair avertissement qui lui avait t d embl e signifi La premi re strophe du deuxi me chant se pr sente donc la fois comme un bilan de la premi re phase de l exp rience et un retour comment sur ses objectifs et ses pr suppos s esquisse de morale pour l bauche inaccomplie d une Morale mal comprise Mal comprise de la Morale mal comprise du lecteur mais fort bien entendue par l homme qui lui ne s y est pas tromp prouvant ainsi par la nature des effets l excellence de la cause tous les sens du mot Ce qui est du moins acquis la science c est que depuis ce temps l homme la figure de crapaud ne se reconnait plus lui m me et tombe souvent dans les acc s de fureur qui le font ressembler une b te des bois gt II 1 LA SOIF DE L INFINI 37 L homme le voil bien le v ritable h ros des Chants bien plus que Maldoror
38. la po sie comme avant Bien s r dans la pr face il nous tait dit que si les h ros devaient poser devant nous prosaiquement l effet lui devait en tre tr s po tique Mais d j s installe un malaise qui s accentuerait tr s fortement si nous en venions aux Po sies qui malgr leur titre seront qualifi es de prosaiques mor ceaux Ainsi la situation sera t elle renvers e ce qui est annonc comme prosaique sera po tique et r ciproquement Ce malaise sentiment de remarquable stup faction ne nous quittera certes pas de sit t puisqu il semble bien que Ducasse ait fait tous ses efforts pour le produire comme il tait dit un peu plus haut La question s claircira d ailleurs partiellement pour ce qui sera du rapport entre le titre et la nature des Po sies mais nous resterons sur ce myst re quant au dernier chant est il d j un roman de ceux qu annonce la pr face ou bien n est il que la suite de ce que nous avons d j lu la pr face n tant l que comme une sorte de motif publicitaire pour vanter non ce qu on va lire mais autre chose et qui en sortira D guisements Le texte parait r pondre par lui m me au dilemme sans exacte ment le r soudre ce que nous allons lire est bien de la prose prosai que r aliste naturaliste sans effets fantastiques caus s par Dieu ou son ennemi Nous serons dans le seul monde possible qui ait quel que ra
39. les po mes les l gies ne primeront plus Primera la froideur de la maxime PII 135 Mais on voit bien qu il ne s agit pas de devenir mora liste il s agit de transf rer la pratique de la po sie les vertus d une forme Le genre que j entreprends est diff rent du genre des moralistes PII 135 Ce genre ce sera encore de la po sie mais dense et intense et retremp e l preuve de ce qu elle ignore trop et qui est d essence plus haute plus philosophique Une philoso phie pour les sciences existe Il n en existe pas pour la po sie gt PII 138 Ainsi r form e la po sie sera devenue autre chose que ce qu elle est La science que j entreprends est une science distincte de la po sie Je ne chante pas cette derni re Je m efforce de d cou vrir sa source PII 155 et cette science son tour devra d abord sinventer une logique Une logique existe pour la po sie Ce n est pas la m me que celle de la philosophie PI 151 et elle lui est sup rieure Il s agit donc de tendre une lt science gt transparente et rigou reuse dont les cons quences morales d couleraient avec la force de l vidence cette clart qui exige et permet l action imm diate Science militante du seul fait de sa coh rence et qui bousculera les timidit s les goismes les peurs qui nettoiera les vices et ram nera l homme aux sources vives de son intelligence qu il bafoue tout instant dans l oub
40. mique philosophique qui a ses origines dans les ann es vingt du si cle se poursuit encore l encontre d une certaine image de la doc trine de Hegel que l on pr sente dans les rangs de l cole spiritua liste ou clectique comme une tentative de nier l existence des contraires il n y aurait plus ni bien ni mal ni v rit ni erreur etc Cf Saisset 1865 Caro 1864 ou Vacherot 1864 Mais rien dans les Po sies ne r v le la trace d un passage par Hegel bien au con traire Alors simple exercice dans le genre d sinvolte Retorse manipulation dict e par la mauvaise foi Manigance tr s litt raire Mais la m me question se pose nouveau pourquoi se mettre en frais pour un banquier qui n en a sans aucun doute que faire et que la litt rature ne touche ni de pr s ni de loin Il est noter que dans toutes ces hypoth ses on consid re comme acquis que la v rit de l entreprise de Ducasse ce sont les Chants qui la manifestent et l assument transgression passage la limite annongant tant t l onirisme surr aliste et tant t la subversion la mani re de Bataille ou d Artaud Dans cette perspective les Po sies n apparaissent de toute fa on que comme secondaires d riv es comme une sorte de suppl ment assez laborieux mal situ en porte faux par rapport aux Chants On ne peut alors concevoir la relation entre ces deux textes que de deux fagons ou bien il n existe aucun lien ni aucune c
41. nom nes Ce dernier ne pouvait donc que figurer le plus beau fleuron des collections ou du capharna m qui allaient remplir peu peu le mus e imaginaire du surr alisme avec ses reliques et ses ex votos Les symbolistes avaient eu des Esseintes et ses choix de livres d attitudes d objets Breton amplifiera le mod le en pr f rant l accumulation la raret Les Chants de par leurs dimensions qu aucune uvre surr aliste 200 LAUTR AMONT n atteindra comblait d embl e tous les d sirs et au del tout y tait La m prise dans ce nouveau contexte ne pouvait que s ten dre La r habilitation surr alisante du romantisme dans ses aspects les plus noirs et les plus fr n tiques ne pouvait laisser place la moindre h sitation critique comment Breton aurait il pu voir dans les r critures qu il admirait le travail d une recherche appliqu e ruiner les fondements m me sur lesquels le Surr alisme s tait lev Les grands objets m taphysiques que ce dernier r v rait ou combattait se trouvaient l dans le texte Dieu Satan le Mal l rotisme transcendant la r volte etc Tout s est pass comme si le mythe avait permis que vint la place de la grande oeuvre absente un texte miraculeux qui consolait de sa perte Ducasse au fond c tait Vach tel qu il aurait pu tre Jeux du double de la pr monition de l absence et du remplacement sur quoi toute cole s tablit avec son besoin d or
42. nous trouverons des phra ses extraordinairement proches des maximes essentielles des Po ses lt nous avons tous bien un vague sentiment qu il s l ve aujourd hui une philosophie nouvelle assez semblable celle du xvii si cle gt p 12 lt Tous les principes ayant t branl s il faut reprendre l tude des principes p 176 la philosophie ne doit pas oublier qu elle est une science et que le r le que le devoir m me de la science est le progr s p 197 Les savants dans les autres ordres de connaissances ne commettent pas une pareille faute c d vouloir tout de suite une synthese universelle Ils tu dient chaque question s par ment et l une apr s l autre p 176 Etc La phrase d ouverture du quatri me chant n a donc rien d une jaculation onirique venue sous la plume d un Ducasse en transe crivant sous la dict e d un inconscient qui exalterait une grande fraternit inhumaine et muette entre les r gnes de la nature ordinai rement s par s Ducasse inscrit au contraire cette phrase dans un contexte philosophique pr cis et ne laisse rien au hasard il lui faut faire de Maldoror ennemi intime de l homme un reflet v ridique de sa v rit qu occulte une obstin e d n gation Maldoror repr sentation de l homme est inhumain Toute la strophe d ailleurs confirme cette lecture en revenant de fa on insistante sur le m me th me quand on effleure peine le co
43. re de ce couple c est son unit et sa permanence sa cons FICTIONS C LESTES 99 cration un id al d autant plus lev qu il va servir Ducasse de repoussoir pour le tableau fort sombre qu il fait de la d sunion des humains lt ils ne se d cidaient qu avec peine rabattre l incli naison de leur vol vertical vers l orbite pouvant o tourne le globe humain en d lire habit par des esprits cruels qui se massa crent entre eux dans les champs o rugit la bataille quand ils ne se tuent pas perfidement en secret dans le centre des villes avec le poignard de la haine ou de l ambition et qui se nourrissent d tres pleins de vie comme eux et plac s quelques degr s plus bas dans chelle des existences Les th mes qui avaient clos le chant premier certains aussi appa rus sporadiquement depuis le d but sont ici repris avec force hor reur de la guerre horreur des conduites humaines incompr hensi bles Ce sont l les r actions qui motivent nous l avons vu de mani re tout fait typique les protestations et les attaques du romantisme contre un Cr ateur qui a aussi cr le Mal tout en con damnant ses cr atures aspirer un bien inaccessible Les deux anges sont ici incontestablement du c t du bien et de la rigueur parfois ils prenaient la ferme r solution afin d exciter les hommes au repentir par les strophes de leurs proph ties de nager en se dirigeant grandes brass
44. s agit plus comme aux beaux jours du Romantisme de rappeler sur un ton d faitiste les vices de l homme mais bien d insister sur ces vices pour faire trouver au spectacle de leur manifestation les res sources d une indignation qui doit amener une prise de conscience lib ratrice Voyageur de l imp riale Lombano est amen devant le miroir par un Maldoror qui joue tout au long au metteur en sc ne tout en se faisant le gardien paradoxal de la faible tincelle de bien apparue chez ce jeune homme qui parait ressentir de la piti pour le malheur Sans doute est ce parce que Lombano est ainsi diff rent des autres que ceux ci apparaissent unis par leur ressemblance C est par rapport ces semblables de Maldoror que la diff rence de Lombano d signe un id al impossible qui seul serait pourtant la normalit L omnibus parait ne ressembler aucun autre mais ses passagers se ressemblent entre eux faits semble t il d une mati re non humaine chtonienne l omnibus parait sortir de des sous terre gt animale ils ont lt il immobile comme celui d un LA MAXIME ET LE R CIT 65 poisson mort gt et ils sont engonc s dans leur lt go sme gt lt comme une tortue sa carapace gt ou encore min rale lt personnages de pierre gt lt Que doit tre cet assemblage d tre bizarres et muets Sont ce des habitants de la lune questionne Maldoror Etres sans ressort sans flamme san
45. t les conditions de possibilit de la mise en scene La narration n est l que pour permettre la signi fication pr inscrite d apparaitre sans r plique possible ruse avec l v nement du r cit l arbitraire apparent de l action Le hasard LA MAXIME ET LE R CIT 57 po tique se fait l otage d une conclusion tir e d avance car il faut qu v nement et action se d couvrent une loi pour qu une morale soit possible qui s identifie d s lors la loi morale La fin du texte est son commencement cach son d veloppement un m canisme d limination des hasards et des possibles une r duc tion une mise en impasse des ouvertures de la combinatoire narra tive pour qu une seule issue discursive soit coh rente Le texte s crit l envers devient miroir et leurre pour le lecteur en m me temps que reflet d un original qui ne se d voile que quand tout est fini quand les images tombent et se r solvent en mots chaque strophe est un r ve que travaille son auto analyse Le lecteur croyait tre au spectacle il est la le on Le dispositif est celui classique de l apo logue de la parabole ou du conte moralis dialectique du r cit et de la maxime de l v nement et du proverbe Des le d part Ducasse a repris cette d marche son compte h si tant vrai dire parfois entre l limination de la maxime et celle du r cit Jamais en tout cas le dispositif ne perd de sa pr gnance aucun moment de son tra
46. tique la partie synth tique de l uvre N oublions pas non plus pour compliquer les choses que la con ception que se fait Ducasse de la m thode qu il doit suivre se trans forme au fur et mesure qu il en tente l application M tamorpho ses et rectifications dont le texte porte n cessairement les traces ce qui fait des Chants un livre trange souvent d routant Au contraire de ce que nous attendons d ordinaire d un livre celui ci se remet en question chaque strophe ou se commente lui m me de mani re d lib r ment herm tique A moins donc d une tude tr s serr e des m tamorphoses du r cit il devient tr s difficile de retrou ver dans le d tail du texte ce que nous savons de ses objectifs glo baux Cela devient tr s vident partir du cinqui me chant mais nous en d couvrons des indices d s le second Certains th mes s effacent alors pour revenir plus tard et d autres s affirment un moment pour ne plus reparaitre par la suite En d autres termes Ducasse ne nous propose jamais en aucune facon le d veloppement lin aire d une histoire qui suivrait le pro gramme sous jacent d une intrigue ou m me d une rh torique phi losophique De l la fluidit des personnages commencer par celui de Maldoror Avec chaque nouvelle strophe toute l entreprise repart sur de nouveaux frais selon une d marche qui parait d abord capricieuse sinon totalement al atoire Notre seule certitude sera qu
47. tout le d veloppement programmatique positif dans les Po sies Nous n en sommes encore ici qu la premi re version de la pre mi re m thode qui n a pas encore choisi de jeter le masque pour pr cher sans d tour la pens e qui reste dissimul e dans les replis d une dialectique de la fiction m me si nous avons d j ren contr de multiples affleurements de maximes thiques articul es positivement mais toujours d plac es nonc es par des voix qui du m me coup r cusent les actes Enonciation et d nonciation vont de pair l une masquant l autre tout en la rendant possible sur le mod le du m canisme de la d n gation et les paroles de Maldoror ou du narrateur anonyme servent de contrepoint d nonciateur ce que la fiction nous produit comme ses actes il ne faut pas se suicider il faut aider les plus faibles il faut lutter contre l injustice il faut aimer et pratique la vertu et pour finir il faut croire en Dieu et en l immortalit de l me Ainsi se forme et prend figure le discours log au coeur de ce que nous avons appel le r cit mais ce n est qu une dimension de la strophe Comme la duplicit constante du travail dialectique de Ducasse nous a enseign le percevoir la position de th ses thiques ou m taphysiques ne se fait jamais sans un accompagnement parallele de th ses sur l criture la fiction la rh torique Nous ne pouvons ici que marquer une fois de plus l int
48. volu tion et le d veloppement de formes nouvelles apr s une longue his toire polymorphe Seul rameau t t form de cette g n alogie t t fix dans un quilibre longtemps stable jusqu au dix neuvi me si cle le genre de la maxime Genre encore quivoque pourtant puis que le roman classique en est sem et que cette forme en France ne perdra de son poids philosophique que quand la m thode inductive puis la m thode ph nom nologique viendront occuper le devant de la sc ne et monopoliser ceux qui d sormais se nommeront philo sophes pour se s parer des crivains mais rien n est jamais jou et o faudra t il aujourd hui classer un Derrida Pendant tout le dix neuvi me si cle subsistera donc un champ commun de pr occupations o se retrouvent ceux qu aujourd hui 1 On trouvera dans l annexe bibliographique des indications de date et de publication qui compl teront l esquisse pr sent e ici et qui faut il le souligner ne pr tend nullement l exhaustivit Pour une r flexion sur une tradition autrement riche d interrogation r ciproque de la litt rature et de la philosophie cf Poerigue n 21 Seuil 1975 204 LAUTR AMONT nous pouvons chercher distinguer Le romantisme est tout autant affaire de m taphysique que de style et les grandes pol miques autour de la po sie et du roman au moins jusqu l apparition des grandes mutations formelles de la fin du si cle touchent beaucoup
49. 108 LAUTR AMONT pour passer quelques moments d insouciance avec une de ces fem mes Litt ralement corch par le Cr ateur 1l se disait que son caractere tait plein de bont qu il aimait croire ses semblables bons aussi que pour cela il avait acquiesc au souhait de l tranger distingu qui l avait appel aupr s de lui mais que Jamais au grand jamais il ne se serait attendu tre tortur par un bourreau Sa torture est la punition d une double faute avoir c d l appel de la lanterne rouge drapeau du vice d une part et avoir cru la bont universelle d autre part Lue depuis la strat gie morale que nous avons mise en vidence la strophe devient donc l un des moments forts de la r affirmation de la loi sans recu ler devant le tableau le plus extr me des ravages que le mal peut exercer Il va de soi que la d monstration morale n a d int r t pour Lau tr amont et selon la logique de sa m thode que si elle s inscrit dans un r seau th matique et textuel pr construit qu il s agit de travailler en y faisant insister le discours du bien Perlaboration qui trans forme le r cit en apologue et ses personnages en all gories Sur le plan th matique on peut noter que la strophe met en jeu des topoi d j bien articul s tel celui qui pose le face face du Cr ateur et de la cr ature ou encore celui qui confronte le bien et le mal le vice et la vertu Nous sommes ainsi toujours r
50. 1869 au moment de la plus grande activit de Ducasse laisse percevoir travers un certain dur cissement des th ses la fin d une poque de la philosophie qui ne trouvera guere de prolongements mais tr s transform s que chez Ravaisson et travers lui Bergson Survivances id ologiques mais occupant encore le devant de la scene dans les ann es 1860 1870 gr ce l incrustation des profes seurs de philosophie dans le r seau des institutions Certains sont de fermes soutiens de l ordre nostalgiques d une restauration morale d autres poursuivent une fronde tr s mod r e dans la presse lib rale d autres encore auront extrapol leurs convictions pour fon der une politique oppositionnelle qui leur aura impos l exil Les CONCLUSION 211 mieux en place craignent pour l avenir qu ils voient livr aux bar bares qui menacent d j leur pr sent mais aucun de ces philoso phes n incarne une philosophie vivante et la plupart ne soup on nent gu re que ce sont les bases m mes de leur univers philosophi que scientifique ou litt raire qui sont en train de changer C est pourtant dans cette impasse que Ducasse a cru discerner le d but d une nouvelle route la faveur d une crise philosophique qui ne s est pas d nou e dans le champ traditionnel de la philosophie mais par une mutation advenue sous l effet des nouveaux d veloppe ments de l histoire et de la science En termes volutionnistes la vari t
51. Ch B nard ou Fr Bouillier Le prestige d orateurs comme Royer Collard 1763 1845 est l pour nous rappeler que l enseignement du xix si cle ob it encore en partie aux crit res rh toriques et esth tiques du si cle pr c dent Pour professer avec succ s il faut tre loquent au sens le plus classique c est encore ce qui fera la c l brit d un Michelet ou d un Quinet et leur malheur Cette loquence universitaire nous trouvons de multiples traces de son importance et de ses traits dans le style presque constamment oratoire des Chants et m me des Po sies ne serait ce que par la r f rence explicite aux discours de dis tribution des prix genre que les philosophes en place prati quaient assid ment et dont les produits taient imm diatement publi s Abel Frangois Villemain qui se m rita les appr ciations que l on sait de la part de Baudelaire cit avec r v rence dans les Po sies fut un de ces professeurs pairs de Cousin par la pr cocit et la carri re Bien qu on ne puisse pas proprement parler le classer parmi les philosophes il faut noter la tr s grande influence qu eurent ses Cours de Litt rature fran aise 1828 29 souvent r dit s ainsi que ses Etudes de litt rature ancienne et trang re 1846 o figure entre autre un essai important sur Byron Villemain s aligna sur les pou voirs tablis la diff rence de beaucoup d intellectuels gt r sis tants apres 1
52. Cr ateur qui tous trouvent quelque chose reprocher le h risson le kakato s le pivert l ne le cra paud d filent ainsi suivis par l homme qui aux applaudissements du morpion et de la vip re fienta pendant trois jours sur son visage auguste gt Deux exceptions cependant ce cort ge le lion d abord qui dit Pour moi je le respecte quoique sa splendeur nous paraisse pour le moment clips e Vous autres qui faites les orgueilleux et n tes que des l ches puisque vous l avez attaqu quand il dormait seriez vous contents si mis sa place vous sup portiez de la part des passants les injures que vous ne lui avez pas pargn es le mendiant ensuite Faites attention ce men diant qui passe il a vu que le derviche tendait un bras affam et sans savoir qui il faisait l aum ne il a jet un morceau de pain dans cette main qui implore la mis ricorde Du plus noble des animaux et du plus bas des humains vient ainsi l exemple d une charit tr s chr tienne remarquable contraste en tout cas avec l image d un Dieu avili qui tait la cons quence des tendances les plus noires du romantisme La protestation de Ducasse d tournant encore une fois le mythe est des plus vigou reuses O humains vous tes les enfants terribles mais je vous en supplie pargnons cette grande existence Oh vous ne saurez jamais comme de tenir constamment les r nes de l univers de
53. Est ce m me possible Tout indique que le labyrinthe est sans issue et que nous ne pouvons nullement ordonner aux savoirs de se dis poser selon le patron rationnel qui remplacerait nos confuses con victions par une logique qui ferait des choses de la lettre et du sens un double transparent des discours que nous croyons tenir Aussi faut il interroger de biais CONCLUSION 197 Le cas Lautr amont souligne toutes nos faiblesses il expose notre go t inv t r pour l auto mystification il montre la fragilit de nos prises sur ce qui serait l histoire des critures il brouille le rapport net du discours et de la fiction il amplifie le penchant spontan de toute lecture l abandon id aliste il raille cruellement l insuffisance de nos appareils de d chiffrement C est pour tenter de voir jusqu o peut aller l uvre paradoxale de cette faiblesse essentielle qui est la n tre devant tout texte un peu nigmatique que nous avons entrepris une relecture de Maldoror en prenant un peu abruptement ce chef d oeuvre contre fil Et c est maintenant enfin que nous pouvons peut tre en venir l essentiel non pas pour ajouter toutes les autres une interpr tation suppl mentaire qui se satisferait de les contredire Il s agit au contraire de retrancher ses conclusions pour pousser les autres dans leur retranchements et tudier la trace ainsi laiss e dans l appareil de lecture de nos pr d cesseurs par cette soustra
54. Je r serve une bonne part au sympathique emploi de la m ta phore cette figure de rh torique rend beaucoup plus de services aux aspirations humaines vers l infini que ne s efforcent de se le figurer ordinairement ceux qui sont imbus de pr jug s Sans doute la m taphore n est elle acceptable que parce que d une certaine mani re elle permet l analyse et qu elle peut tre d velopp e comme la maxime plus tard dans les Po sies L dessus Ducasse n a pas encore chang d avis La derni re strophe du chant se pr sente comme une sorte de pro longement d une discussion engag e dans la strophe pr c dente assorti d une moralit Nous y voyons Maldoror atteint d une de ces aberrations de la raison dont il tait question tout l heure puisqu il lui arrive parfois dans un acc s d ali na tion mentale de courir travers champs chants tout en serrant sur lui une relique de Falmer sa chevelure arrach e Maldoror a peut tre tu Flamer parce que ce dernier voulait l emp cher de commettre un crime geste de col re comme il tait d crit dans la strophe pr c dente Maldoror se qualifie donc ce sont les termes de IV 7 comme une d viation anormale dans le fonc tionnement latent ou visible des lois de la nature nature psycho logique ici il va de soi C est l occasion pour Ducasse d inscrire une telle d viation dans une perspective morale et m me moralisatrice
55. Maldoror esp rait apr s le meurtre de Falmer aussi peut il dire ici que le g n reux pardon du p lican lui avait caus beau coup d impression mais le cause profonde de cette impression doit tre soulign e je ne le trouvais pas naturel Nous retrouvons ici l image typique de la nature humaine que les Chants n ont cess de peindre fondamentalement l homme est poss d par le mal c est sa pente naturelle faire le bien ne peut tre qu une action impos e par la raison et appuy e de toute la force de la volont Alors s claire le pourquoi de cette figure composite et inattendue que forme l homme p lican Elle est videmment met tre en relation avec le th me classique de l imagerie romantique qui fait du p lican l incarnation de la g n rosit sans r serve Ducasse prendra de puissantes distances avec ce th me dans les Po sies en condamnant le po me de Musset comme g n rateur de d lire et de fi vre mentale chez les l ves de lyc e Sans doute n est il pas tr s loin de ce point de vue d j puisque la mani re dont le p lican est mis en sc ne gomme toute r f rence l imagerie du c ur arrach pour ne conserver que l allusion morale la plus abstraite En ce sens la strophe doit tre rapproch e du th me des Po sies que nous avons d j voqu plus haut puisqu il s agit avant tout de condam ner la conception romantique de la femme qui ne peut mener qu des d sastres mora
56. PAS UN ROMAN 175 2st devenu un lt roman gt L humour de ce qui est en fait un anti roman ne fait que dissimuler sous une apparente incoh rence une ligne morale qui elle est demeur e d une remarquable stabilit travers tout le livre qui n tait peut tre fait c est ce que nous avons voulu montrer que pour aboutir ce triomphe Triomphe du dis cours moral d gag des leurres de la fiction et demeurant en place apr s que tout ait t consomm de la ruine de la litt rature Ecrou lement qui trouve sa m taphore dans celui du ch teau pr sent dans le dernier chapitre Ainsi ne demeureront plus scories d une exp rience alchimique qui visait la transmutation de la litt rature que la voix de la science et celle de la morale d sormais en place pour tenter l alliage de leurs deux discours Nouvelle exp rience qui aura nom Po sies Si nous examinons d abord les composantes de la strate narra tive nous observerons que sur ce plan l ambition romanesque affi ch e par Ducasse parait en effet trouver sa r alisation Au moins dans les cinq premiers chapitres Mais il faut nuancer d s que l on entre dans le d tail Ainsi les trois premiers chapitres ne mettent ils en sc ne que des personnages pr sent s de mani re orthodoxe Maldoror d peint comme une sorte de r deur aux intentions lou ches Mervyn jeune proie dont il parait s agir d tudier la psycho logie dans une situation qui tout prendre
57. S2pHTT VOST 9 J2HOU JIUPAT vI 898I saugs among op 19 2nbinjod ap sirssq 981 2981 6S81 0181 6781 loqvuvd rsoA3a d 24491 v ans ALULUOG ap 22uusop r LOST D f LVuq sapuojy xHa sap auaay e SUEP so pruny xu2181 24 satugisKs sana 12 suimA0dtuo1uoo siw3uraf sagdosopiqd so T amp 9gT lj Anou 2987914 3948 p Z PI 8SSI Erei m a a a a e a a E a a a a od aa a A E R Ra a y a A a a a a a a G a mm vos a410151Q p 12 9HD11142 op S1PSST 8 81 POS XTX np siv uraf s qdosojidq 27 681 E68T 8781 ddiH ANIV T gara 271 998 a49144H0 1 981 9681I PISI NONIS SAHODSIP 12 SIUAUUSPAT DI 21qdosojiqd v ap a410181q 12 anbu pi JUVY PSV ewuapisauay 914S1911d95s 27 981I Soup gode pont sa14rosa ap so diosip 12 saHosaH224 79g Pzouidg ap sasana xuv anbi142 uoonpoau 0981 anbi45 ap 12 2 v4ot ap 2410114 p sa8urjayy pi 3552181124 214dosopiqd ap sivssT 698 anboda 23410u ap jro 17121 q OSSI uouns 19 sonboe y 3942 e qdosojyiqd op jonurn 9481 vzouidg ap SAAND XNP uouonpoau vgI auapisauav OpgT 98T FT8T d LASSIVS 34A1 np 3191 u3 3 trureI8oid 339AV lt 9gTp 2p urureI8oid NeJANOU ne Ju ul9UHOJuo 3 JBIPIJY gt aydosopiyd op snop i 9981 DUUSTJPUOIIPA 3 12 2tu8141d142 HO 2vgnpuo v9gIr CC8U I 380H I3 assaunal ap 12 aourfua p sau nno ggT TON ap 24740 27 CSST 2 PAOU 12 ajfoniogjosu1 914094 PT 8SI atusiurist4q2 HP souidi40 sap 241018 881 981I
58. a t assez vite connu comment enseign surtout par Wilm un am rician francis et par V ra qui l a traduit Hegel avait m me franchi les strictes limites d un cours de Sorbonne en recevant un traitement tout compte fait assez favorable dans le manuel de Ch B nard Traduc teur du Cours d esth tique dont il a aussi publi en volumes s par s le Systeme des Beaux Arts et la Po tique B nard manifeste une r elle con naissance de Hegel Chez lui se rep rent d ailleurs des changements id ologiques et discursifs qui font que son manuel tranche nettement sur celui d A Jacques et al citations abondantes effacement du paradigme kantien mise en avant du mod le scientifique rejetant toute conception a priori en faveur de la lt vraie m thode gt qui doit tre la fois exp rimentale et rationnelle La Crise Ainsi s esquisse donc une image du champ de dispersion des pro bl matiques philosophiques dans les ann es 1860 1870 Un com mun sentiment de d sarroi prouv avec angoisse par les uns et espoir par les autres contribue une mise en crise qui n est pas sans rappeler celle que nous connaissons aujourd hui Les contradictions sont alors partout visibles parfois violentes surd termin es par les enjeux politiques D un c t la tradition spiritualiste h riti re du courant classique fran ais fond sur la psychologie retrem p e au contact du moralisme rationaliste kantien
59. amor ait une transition plus de noirceur mais plus d humour plus de cruaut mais plus d appel aux forces du bien plus de discours sur la raison mais aussi plus de th ses sur l criture moins de spectacle et plus de logique La narration ten dait laisser paraitre les complexit s annexes de ses implications dans toutes les directions la structure profonde commengait envahir la surface la ligne du r cit Le chant V va approfondir ce tournant en faisant de plus en plus appel aux capacit s d abstrac tion du lecteur en allant toucher dans son imaginaire des zones de plus en plus troubles C est le traitement auquel Ducasse entend soumettre son lecteur jusqu au bout La strophe d introduction qui comme toujours pr face le chant en annon ant sa tonalit va le pr senter comme une nouvelle tape d une sorte de th rapeutique long terme Les Chants y apparai tront comme une preuve cathartique destin e soigner une mala die profonde par les m thodes les plus brutales Mais ceci ne peut se faire que sur des esprits consentants et collaborant activement la cure qu on leur impose Sur ce point nul changement depuis les avertissements du premier chant ce n est pas une me timide que ce texte est destin mais aux mes fortes profond ment trem p es mais aussi profond ment corrompues Simultan ment c est l occasion pour Ducasse de revenir sur sa po tique pour en situer nouveau la p
60. annoncer ses choix d couvert et sans ruse litt raire ces ruses auxquelles il ne croit plus Il suffit alors d y rep rer la mise en place plus syst matique de composantes rest es sous jacentes dans le processus de composition des Chants Mais il demeure qu un d placement d accent y prend place pour mettre de plus en plus nettement en vidence la structure hi rarchis e d duc tive a priorique de la philosophie dont les Chants ne cherchaient pas reproduire l articulation mais seulement d montrer la jus tesse et la validit On passe ainsi d un pluralisme th matique d multipli par la flexibilit et la vari t des choix stylistiques une sorte de centralisme logifi fond sur une axiomatique partielle ment explicite Les Chants avec leurs strophes peu pr s autono mes apparaissent alors comme une sorte d ensemble peu compact fait d l ments distribu s de mani re quasi al atoire Ce n est que par un effet de r trolecture que les Po sies permettent de reconnaitre ici et l les marques pointant l existence de r gles de formation Parall lement dans les Po sies l intertexte litt raire s efface pour laisser surgir depuis les en dessous du texte un intertexte essentielle ment philosophique qu il s agira alors de d crire Nous devrons tenir compte de toutes ces nuances de ces transfor mations des mutations hi rarchiques et des ruptures d ordre stylis tique sans jamais perdre de vue l unit de
61. attend de lui il lui faut de puissantes raisons Tout en s inter disant de chercher les lucider le fossoyeur ne les d signe pas moins Quoiqu il dise ce qu il ne pense pas je crois n anmoins qu il a des raisons pour agir comme il l a fait excit par les restes en lambeaux d une charit d truite en lui I 12 Que le ciel m te la pens e de l interroger Je pr f re rester dans l incertitude tant il m inspire de la piti I 12 50 LAUTR AMONT Une fois encore Maldoror appara t donc comme l image du d chirement humain de sa contradiction m taphysique et morale La m chancet n est que le masque de la souffrance traduction elle m me du combat engag entre le mal et le bien C tait tout l heure le fossoyeur que l motion treignait l vocation des doutes qui le tourmentaient au point qu il avait d laisser Maldoror creu ser le sol sa place c est maintenant ce dernier qui s est affaiss et qui doit tre secouru Le fossoyeur Mon devoir est de t offrir un lit grossier Aie confiance en moi gt Maldoror lt Je ne sens m me pas la reconnaissance pour celui ci Sur cette derni re r pli que tout rentre donc dans l ordre et les caract res sont nou veau ceux que la fiction avait auparavant labor s Mais Ducasse a pu d livrer son message Ruse complexe pour viter la d clamation et le sermon directs jug s incapables de convaincre Il fallait que c
62. bre tableau de Magritte Ceci n est pas une pipe De m me que la d n gation crite participe au tableau peinte comme la pipe dont elle d voile l tre de fiction de m me le commentaire de Ducasse parait il form d une mani re identique ce dont il s agit de d noncer la texture de dangereuse illusion En ce sens ce n est pas le discours seul qui CECI N EST PAS UN ROMAN 179 para t proclamer ceci n est pas un roman c est tout le roman lui m me qui en prononce l vidence La voix dela fiction dont nous avons dit qu elle constituait l une des strates du sixi me chant ne peut donc que tr s artificiellement tre isol e des autres strates du texte puisqu elle est ce qui assure la texture m me pour laquelle elle joue le r le d un moteur et d une fin La voix n est plus alors celle d un auteur r fl chissant sa pratique et son produit elle n est plus alors ce qui soutient l illusion sp culaire dont joue Gide elle est le proc s du fictionnement r sonnant travers le texte faisant parler ses d chirures Ce qui n emp che que se tienne ainsi un discours qui mime les sch mas de ce qui pourrait tre un art po tique corpus de maximes et de r gles pratiques Voix d outre texte modulant des simulacres Rappelons nous alors ce qu annongait la pr face du sixi me chant et nous comprendrons mieux ce qu il fallat comprendre Cette pr face hybride a t expos e d une mani re q
63. cartant l eau de ses nageoires Maldoror battant l onde avec ses bras et retinrent leur souffle dans une v n ration profonde chacun d sireux de contempler pour la premi re fois son portrait vivant gt Le mouvement romantique de recherche narcissique du sembla ble impossible s ach ve donc dans cette parodie transgressive tout enti re port e par la force du clich et du st r otype mais tout enti re aussi destin e renforcer la th se ducassienne de la nature animale de l homme qui ne sait pas reconna tre en lui la r alit du mal Et selon la technique prouv e de ces Chants nul besoin de pr che ou de d clamation la forme de la fiction pervertie avec m thode devient le meilleur v hicule d un enseignement qui dissi mule sa gravit sous l ironie et l image subversive des partages ta blis lt Enfin je venais de trouver quelqu un qui me ressembl t D sormais Je n tais plus seul dans la vie Elle avait les m mes id es que moi J tais en face de mon premier amour gt Prodi gieuse perversion de l image romantique de l amour o le quelqu un le elle les id es partag es ne peuvent r f rer qu P arch type de la sylphide introuvable extraordinairement tra vestie dans l image insupportablement concr te de l accouplement avec la femelle du plus redoutable animal marin On le voit th mes et th ses typiques de Ducasse s entrelacent ici de mani re particuli remen
64. cas partiellement voulu par l effet d une lecture des Chants qui portait au compte de Ducasse ce qui n tait qu Lautr amont fureurs et douleurs La rh torique de la solitude et du d sespoir de la mal diction assum e tout concourait faire voir en Ducasse un martyr volon tairement immol ce qui n tait plus litt rature mais m taphysique r alis e Auto d voration du vampire poussant la logique jusqu se faire disparaitre La philosophie mallarm enne de la rar faction et de l vanouissement si pr sente pour les premiers lecteurs des Chants trouvait ici son accomplissement dans ce que l on supposait d une vie imagin e partir de ses silences La violence de Maldoror devait hypnotiser un avant si cle quasi exsange pour avoir pouss la douceur mallarm enne jusqu aux finesses de la disparition vibra toire du mot aux fronti res du rien En ce sens Lautr amont n est 198 LAUTR AMONT pas un mythe parmi d autres mais le mythe m me de la po tique moderne qui a fait d Orph e l image d un sacrifice flamboyant Lautr amont est cet Orph e dont le chant est une destruction une consumation convulsive et spectaculaire du po te qui ne vit que pour sa mort Lautr amont c est le m t ore l clat d une trajec toire qui cherche sa fin Le culte de ce dieu r v le bien sa croyance centrale celle qui fit qu une g n ration enti re travailla d tacher la notion de litt ra ture ou de po sie de celles
65. constitue du m me coup une bauche d art po tique d guis en apologue Strophe r sistante au commen taire dans la mesure o elle est elle m me sa propre glose la glose envahissant peu peu le tout de la strophe devenue le texte qu elle aurait d commenter Essayons sinon de gloser notre tour tout au moins de d crire les articulations de l auto commentaire et des lecons qu il tire de lui m me Tout part d une simple phrase typiquement narrative pouvant appartenir n importe quel don de l poque Deux piliers s apercevaient dans la vall e Bien entendu cette phrase n est pas celle qui apparait puse dans le texte Celle que nous venons de citer n en est que le noyau avant toute expansion rh tori Que devient elle partir du moment o la comparaison die la litt rature s en m le Deux piliers qu il n tait pas difficile et encore moins possible de prendre pour des baobabs s apercevaient dans la vall e plus grands que deux pin gles En effet c taient deux tours normes Il suffit que le choix d un comparant s carte de mani re minime des paradigmes habi tuels pour que tout coup le m canisme lui m me fasse probl me C est ce probl me que la premi re partie de la strophe s efforce de discuter comment justifier cette comparaison comment faire qu elle maintienne la lecture dans les bornes de ce seul monde possi ble que nous connaissons le n tre Et cela sans pou
66. d abord vous n aviez cru voir que des entit s vagues appartenant au domaine de la sp culation pure d une part l organisme corporel avec ses ramifications de nerfs et ses membranes muqueuses de l autre le principe spirituel qui pr side aux fonctions physiologiques de la chair Mais comment comprendre l exc s que comporte la proclama tion quasi naturaliste de Lautr amont S agit il pour lui de s annoncer d sormais comme disciple des auteurs de Th r se Raquin ou de Germinie Lacerteux qui venaient d avoir un certain succ s Certainement pas malgr la r flexion que de tels exemples ont peut tre suscit s car comme de nombreuses reprises d j dans les chants pr c dents il ne peut s agir que de porter l attention sur l essence paradoxale du travail de la fiction quand elle se donne pour objet le r el Elle n y est au mieux qu asymptote et nous avons vu une fois Maldoror regretter l opacit curieuse plus d un titre de la feuille de papier qui la fois l unit au lecteur qui est l objet de son d sir pour s y comprendre peut tre et pour mon trer que si l on reprend les mots de Lacan le r el c est l impossible Et la fiction l criture le symbolique ne sont que par cette impos sibilit qu en retour elles constituent Ainsi peut on consid rer que tout ce qui apparait comme moire cette surface tress e de mots oscille sans fin comme entre signifiant et signifi entre chaos de signes et mond
67. dans ses j r miades puisqu il en fait un interlocuteur avec qui l change est d abord affectif d j romantique aux antipodes de ce que Ducasse nonce dans les Po sies Je me figure Elohim plut t froid que sen timental L animalit La treizi me strophe offre nouveau une m ditation narrative dont la th matique profonde s articule autour du discours sur le semblable Mais le d port de ce discours vers les registres inqui tants de l animalit dont le langage insiste et les figures s imposent introduit un exc s une d mesure qui traduit peut tre une ironie vis vis des pr misses sur lesquelles toute la strophe repose l homme lt mauvais gt est assimilable un animal f roce La relation antinomique du bien et du mal leur incompossibilit pour repren 88 LAUTR AMONT dre un terme que G Deleuze trouve chez Leibniz qui font aux yeux de Lautr amont l insoutenable de la r alit humaine orientent en effet comme toujours le cadrage thique de l apologue o Maldoror se donne pour plus animal que l animal m me devenu f roce au spectacle intol rable des humains Je n tais pas aussi cruel qu on l a racont ensuite parmi les hommes mais des fois leur m chan cet exer ait des ravages pers v rants pendant des ann es enti res Alors je ne connaissais plus de borne ma fureur il me prenait des acc s de cruaut et je devenais terrible pour celui qui s approchait de
68. de l crivain capable de construire un texte d une complexit aussi retorse dans sa clart Ne manquons pas enfin pour souligner une fois de plus les ressources de l ironie ducassienne de noter que le texte d veloppant le th me de la beaut du vol du milan n est rien d autre qu un emprunt l encyclop die du docteur Chenu sur les oiseaux En greffant un texte minemment prosaique qui s attache exclusivement la description d un ph nom ne purement naturel Ducasse prouve d un geste magistral sa th se puisque ce texte d sormais int gr un texte qui ne veut tre que fiction et ne rele vant donc par l que d un jugement esth tique change compl te ment de port e au point qu il a subi les commentaires des glossa teurs exactement dans le sens que Ducasse entendait leur sugg rer avec toute sa duplicit Sa narquoise comparaison devenait tout d un coup une preuve ironiquement silencieuse de l ignorance volontaire dans laquelle on croupit en r cusant la beaut du quo tidien au titre de sa quotidiennet m me On ne saurait porter plus loin la d construction des id ologies ni manipuler avec plus d habilet souveraine les leurres et les semblants qui pi gent l imaginaire d s qu il y a sur du papier des mots Cette strophe s est donc attaqu d un seul mouvement fort complexe tou tes nos croyances et tous nos doutes de l immortalit de l me notre id e du beau de la morale la rh toriq
69. de rien moins que d objet aim gt Autant de clich s de tics d cirture qui reconduisent le lecture tout la fois au registre du roman feuilleton et celui du roman sentimental Ils font du texte un collage ironi que qui a pour fin de faire ressortir les l ments automatiques de la narration pour mettre entre elle et nous tout le poids mort du code Maldoror demeure une caricature qu il nous incombe de reconnai tre pour telle et la t che nous est facilit e sollicitude toute paternelle dans la mesure o Lautr amont prend soin de ne construire son texte qu en voilant les clich s qu il mobilise en les r inscrivant en porte faux par rapport ce que nous pourrions prendre pour de simples r p titions l effet cherch n est pas le comique Un pastiche se contenterait par exemple d assembler des formules et des figures dot es du plus haut degr de probabilit dans les limites d un genre connu ou d une scene classique ce qui implique une uniformit au moins partielle de registre et donc la co pr sence d un grand nombre d l ments attendus confirmation plut t que d stabilisation des automatismes de la lecture Dans le cas de notre sc ne de naufrage la r it ration du st r otype m me pastich exigerait par exemple de Maldoror qu il se jette l eau pour aller secourir les survivants du naufrage or c est pr cis ment l inverse qui se produit Maldoror dot des pires instincts du h r
70. de sa raison car si l on en croit Lautr amont la raison demeure bien le principal moteur de l exp rience Mais pour qu elle soit efficace encore faut il que le lecteur accepte d aller l o le texte l emm ne et sans le diminuer il y aurait le danger de donner quelque chose d troit et de faux une conception minemment philosophique qui cesse d tre rationnelle d s qu elle n est plus comprise comme elle a t imagin e c est dire avec ampleur Ne pas rester au ras du texte lui pr ter le secours de fantasmes que la m connaissance ne transforme pas en forces mal fiques accepter de supposer que toute l entreprise repose sur un fondement rationnel et cherche respecter ou faire respecter une conception lev e de la po sie pour en persuader tout fait le lecteur r ti cent il faut avant tout lui donner le sens de cette ampleur en lui fai sant comprendre comment la disparate de chaque chant sinon de chaque strophe vise fondamentalement un m me but C est cette dialectique qui donne sens la m taphore des tourneaux et le discours scientifique plagi garantit la validit de l image qui devient ainsi plus qu un ornement un mod le au sens scientifi que du terme Caract ristique du vol des tourneaux leur instinct les porte se rapprocher toujours du centre du peloton tandis que la rapidit de leur vol les emporte sans cesse au del allant et venant sans ces
71. de son travail Il le dit d ailleurs et rien ne nous autorise le soup onner d affabulation Voil pour quoi j ai compl tement chang de m thode pour ne plus chanter que l espoir l esp rance LE CALME le bonheur LE DEVOIR On le voit la m thode occupe sans ambiguit possible la position cl et cela entraine quelques cons quences d importance En faisant d pendre de cette notion tout son projet d crivain Ducasse laisse clairement entendre qu il n est nullement question pour lui de s abandonner aux caprices de sa Muse l inspiration aux surprises de la spontan it cr atrice qui faisait le recours et l allure caract rielle d une bonne part de la critique romantique Pas de fantaisie telle que tentait de l imposer vers la m me poque un Catulle Mend s par de dict e de l inconscient comme le pratiquera plus tard Breton Nulle r f rence l intuition la sub jectivit sensible Contre les Romantiques et contre Vauvenargues qui les avait pr c d s en annon ant que les grandes pens es vien nent du c ur Ducasse prend parti pour la th se inverse que r sume la formule des Po sies Les grandes pens es viennent de la raison Mais a t il d attendre que finisse la travers e des Chants pour sinventer une m thode Il est clair que la r ponse est non Si Ducasse d cide de changer de m thode c est qu il en a toujours eu une et s il ne parle que de m thode ce ne peut tr
72. depuis l di tion de 1829 avait d abord t publi en plaquette en 1824 L influence de ce texte sur La chute d un ange et sur le Hugo de La fin de Satan est connue et ce po me fort notoire par cons quent faisait naturellement partie de la biblioth que romantique sur laquelle Ducasse travaillait Il faut cependant remarquer incidemment qu il n est nulle part question de Vigny dans les Po sies m me dans la liste des lt Grandes T tes Molles de notre poque gt Ce silence indique t il une relative approbation de la part de Ducasse L hypoth se est plausible puisque l attention port e par Ducasse Eloa para t exclure l indiff rence Tout comme dans les Chants c est d une lampe que dans Eloa surgit un ange Lampe faite pour recueillir une larme du Christ Il pleura Larme sainte l amiti donn e Oh vous ne f tes pas aux vents abandonn e Des S raphins pench s l urne de diamant Invisible aux mortels vous re ut mollement Et comme une merveille au Ciel m me tonnante Aux pieds de l Eternel vous porta rayonnante De l oeil toujours ouvert un regard complaisant Emut et fit briller l ineffable pr sent Et l Esprit Saint sur elle panchant sa puissance Donna l me et la vie la divine essence Comme l encens qui br le aux rayons du soleil Se change en un feu pur clatant et vermeil On vit alors du sein de l urne blouissante S lever une forme et blanche et grandissante Une voi
73. des plus imposant de consid rations rh toriques stylistiques logi ques L effet produit ne peut tre que celui d un r cit qui s expose et met au jour ses propres proc d s tout en proclamant en esp rant ne pas tre cru le caract re de r alit de ce quil rapporte La t che du lecteur est difficile puisqu il ne peut chapper un FICTION EN PARTIE DOUBLE 133 pi ge qu en tombant dans un autre Aussi Lautr amont peut il l admonester lt J avertis celui qui me lit qu il prenne garde ce qu il ne se fasse pas une id e vague et plus forte raison fausse des beaut s de litt rature que j effeuille dans le d veloppement excessivement rapide de mes phrases Et il revient une fois encore sur le double aspect de son entreprise la fois rh torique et logi que Je voudrais d rouler mes raisonnements et mes comparai sons lentement et avec beaucoup de magnificence gt lt raisonne ments d un c t comparaisons de l autre La difficult de la t che est de m me nature que celle qui caract rise le projet profond de chanter le mal pour faire d sirer le bien et sans doute peut on tracer un parall le approximatif si la raison et la logique sont net tement du c t du bien th se des Po sies d j esquiss e dans les Chants la rh torique a de fortes chances de se trouver du c t du mal Ducasse n est pas pr t cependant abandonner la rh torique
74. dix ans enfant l imagination inqui te et pr coce Mais l o Maldo ror d sireux d abord de tuer Lohengrin de peur qu il ne devint sem blable aux autres d cidait ensuite de l pargner par un reste d esp rance il en va tout autrement avec cette jeune fille Maldoror parait certes d abord sensible son inqui tude quand elle le suit dans la rue en silence mais tout se retourne soudain quand il d couvre que son interpr tation n tait peut tre pas la bonne Peut tre que cette jeune fille n tait pas ce qu elle se montrait Sous une enve loppe naive elle cachait peut tre une immense ruse le poids de dix huit ann es et le charme du vice Maldoror a beau se dire alors qu il pr f re aimer dans ce carac t re romanesque une me qui se d voile trop t t il se rend compte qu il a t tent Tentation du bien tentation de l humain lt je t engage ne plus para tre devant mes yeux Moi tre assez g n reux pour aimer mes semblables Non Non On voit ici travailler nouveau la question du semblable et du diff rent La diff rence c est le bien c est l tincelle qui parfois para t en l homme celle qui tourmente Maldoror En tant que personnage il doit demeurer accessible la tentation du bien pour que puisse nouveau s exposer l argument m taphysique fondamental la plainte sur le caract re fonci rement mauvais de l homme Jeune fille tu n es pas un an
75. du scepticisme et c est en ce sens sans doute qu il peut crire dans les Po sies Pour tudier l ordre il ne faut pas tudier le d sordre Les exp riences scientifiques comme les trag dies les stances ma s ur le galimatias des infortunes n ont rien faire ici bas PII 107 Moraliser la science c est faire qu elle se consacre souligner la beaut de l univers Moraliser l criture c est faire qu elle se voue l exaltation du bien 4 On trouvera de nombreux nonc s sur la question de la m thode dans B nard 1845 Bi chy 1868 B Saint Hilaire in A Frank 1844 R thor 1866 5 Cf Janet 1865 6 Cf Bi chy 1869 24 LAUTR AMONT Ducasse reprend donc dans une perspective d sormais archa que une probl matique qui m nera les philosophes et les savants r fl chir de plus pr s sur la m thode scientifique distingu e de la m taphysique probl me de l analyse et de la synth se probl me de l induction et de la d duction nature de l hypoth se Les travaux de Cournot 1851 1861 de Claude Bernard 1865 de Duhamel cf Ravaisson 1866 de Janet des math maticiens des physi ciens etc vont bient t transformer les conditions du dialogue entre la science et la philosophie qui ne pourra plus pr tendre dic ter ses lois la recherche Dans les ann es 1860 la m thode assume peu peu une fonction nouvelle dans la mesure o la v rit qu elle d
76. en un mot la d testable philosophie morale qui a fait depuis trente ans le fond de cette litt ra ture voil le principal objet que nous nous proposons O trouver au milieu de ces n gations et de ces doutes le point fixe o devra s attacher le premier anneau de la chaine des devoirs La confusion a t belle dans les id es morales la distinction du bien et du mal est devenue si obscure que romanciers et dramaturges en sont venus les m ler la plupart du temps ensemble et prendre presque indiff remment l un pour l autre chaque pas vous y rencontrez dans la litt rature contemporaine de ces h ros hasardeux archanges fou droy s empreints d une grandeur satanique filous magnanimes bandits g n reux assassins sublimes qui sor tent du bagne pour monter au Panth on t ce go t malsain de la r verie qui la longue nerve la pens e endort la volont et force de mettre des fant mes la place de la r alit conduit l oubli du devoir er au d go t de la vie lt l y a dans le spectacle seul du mal une influence funeste On dirait qu il s en exhale je ne sais quelles mana nons malsaines qui la longue ternissent les ames les plus pures comme les miasmes des marais inoculent lente ment la fievre gt 76 LAUTR AMONT Fait significatif les math matiques repr sentent chez Ducasse l argument de fond partir duquel il croit pouvoir reconstruire toute une mor
77. encore on ne forme pas les cri vains sauf aux Etats Unis peut tre on na t tel ce qui ne saurait tre le cas des philosophes que seule l Universit habilite La cr a tion de l Ecole Normale est videmment l origine de cette institu tionnalisation qui provoquera des m tamorphoses et des partages discursifs nouveaux C est elle encore qui sera responsable de la cr ation et du maintien d un courant philosophique puissant jusqu la fin du second Empire et dont l infrastructure scolaire d ailleurs contr l e par son chef Cousin assurera la fois la diffusion et la p rennit en m me temps que l tanch it l imper m abilit aux transformations survenues dans d autres domaines Philosophie avant tout universitaire acad mique li e de plus en plus aux cercles dirigeants et leurs int r ts avec de notables exceptions c est ce courant que les contemporains identifiaient sous le nom d Ecole Spiritualiste C est la philosophie de cette Ecole tout enti re constitu e de Normaliens entretenant des rela tions de ma tre disciples ou de condisciple condisciple que l enseignement officiel a sous l Empire impos e tous les l ves des Lyc es et Coll ges Parmi eux Isidore Ducasse Professeurs de philosophie Encore qu il n existe pas d tude compl te sur la g n alogie des professeurs de philosophie dans la premi re moiti du dix neuvi me si cle et bien qu il ne soit pas
78. est un court circuit de toute la rh torique qui d truit brutalement l effet de r cit et force la lecture renoncer une consommation esth tique passive Les beau comme de Lautr amont ont donc une vertu essentielle celle de n tre ni repr sentables ni sp cularisables ils exhibent la d sarticulation du lan gage ils d signent ses lignes de faille et pointent ce qui demeure en lui inarticulable C est la profondeur nulle du sens qui tout coup fait retour dans le m canisme de l illusion signifi e Seul moyen d ouvrir la narration la po sie l abstraction et la raison il me paraissait beau comme les deux longs filaments tentaculiformes d un insecte ou plut t comme une inhumation pr cipit e ou encore comme la loi de la reconstitution des organes mutil s et surtout comme un liquide minemment putrescible Dans un tel passage le discours s enfonce dans le non sens cal cul accru par la parodie de raffinement analytique et produit une puissante mission de plaisir la lecture typique de tout effet qui surprend l organisation signifiante en quelque sorte d nud e une fois le voile du signifi ou du spectacle retir La distanciation atteint l son degr le plus lev en autorisant tout coup tous les branchements imaginables en ouvrant la langue comme un r seau aux parcours ind finiment anamorphosables C est la langue comme illimitation hors sens qui fait ainsi reto
79. et action physique L me et le corps sont en r sonnance et se traduisent mutuellement leurs mouvements il y a interaction directe entre les pens es et les passions La morale de la strophe l tablit nettement en revenant une fois encore sur la diff rence de l enfant et de l adulte Lorsque dans l ge m r il est si difficile de ma triser les passions balanc entre le bien et le mal qu est ce dans un esprit encore plein d inex p rience et quelle somme d nergie relative ne lui faut il pas en plus Mais Maldoror aussi engag dans le mal qu il le soit ne cherche pas d truire celui qui lui a fourni les moyens et l occasion de sa d monstration Il lui a suffi de montrer ce qu tait l effet des passions inspir es l adulte par le mal qu il porte en lui sans vouloir le reconnaitre et quel effet d vastateur elles peuvent avoir sur de jeunes mes L enfant en r chappe donc comme l l ve de lyc e dont il est question la fin de Po sies 1 soumis lui aussi aux effets d une po sie que Ducasse condamne effets galement physiques Conclusion dans les Chants lt L enfant en sera quitte pour garder le lit trois jours Pl t au ciel que le contact maternel am ne la paix dans cette fleur sensible fragile enveloppe d une belle me gt Conclusion dans Po sies lt Je conseillai sa m re de le prendre quelques j jours chez elle en assurant que cela se passerait En effet j avais soin
80. fait encore rejoint ceux qui seront ses lt semblables l oeil froid gt pareils des cadavres Edouard tait le premier de ces innocents et sa parent est vidente avec le petit enfant de huit ans Lohengrin Lombano ou la jeune fille Dans la perspective de Ducasse nul doute que la jeunesse ne s oppose de mani re d cisive l ge adulte Le th me r apparaitra dans les Po sies qui auront d ailleurs pour d dicataire entre autres Alfred Sircos directeur d une revue qui sintitulait pr cis ment La Jeunesse Le probl me du semblable ne se pose donc pas de la m me maniere pour tous les ges la jeunesse est encore accessible l innocence et au bien mais l ge adulte est irr m diablement celui du mal Maldoror est un h ros de la jeunesse gr ce son statut de reflet il devient pierre de touche et sait faire la diff rence il n h si tera jamais commettre le mal de mani re spectaculaire devant les adultes ou leur d triment Quant aux jeunes m me s ils sont rare ment pargn s ils ont toujours le privilege d arr ter un instant la fureur de Maldoror et de lui faire connaitre le remords sinon le repentir Ses Chants sont leur mani re une p dagogie n gative l occasion comme le montre la sixi me strophe authentique le on de morale d veloppant les arguments de ce que l on appelait alors la lt morale de l int r t gt la suite des th ories avanc es d abord par
81. formes et les th mes de toute la fiction les Chants comme sa morale les Po sies est au contraire l expos de radicales certitudes Tout dans ces textes pointe la difficult de leur ach vement l instabilit de leur assise l lan parfois mal contr l de leur vis e et de leurs moyens mais nous avons trop l habitude des textes clos referm s sur leur loi Tout galement nous les montre engag s dans un d bat passionn avec leur temps litt rature philosophie sciences v nements En n gligeant la complexit de son ambition on a fait de Lautr amont ce qu il haissait le plus un hurleur maniaque Ce qui peut nous s duire aujourd hui dans l entreprise d une relecture ce sera donc d abord le d fi que Ducasse oppose notre rage de simplifier notre go t des saisies par tielles qui jouent l explication totalisante Il s agit l d une perspective qui se veut de m thode et de th orie sur quoi l on reviendra au fil de l essai Mais tout cela s ajoutera aussi l attrait pervers ou paradoxal peut tre que peut exercer sur nous aujourd hui ce qu il faudra bien consid rer comme une impasse historique Nous verrons en effet se former peu peu l image d un Ducasse en homme sans post rit engag dans des probl matiques philosophiques et esth tiques qui auront finalement avort faisant de lui le seul survivant d un mouvement qu il croyait plein d avenir loin d tre origi nal i
82. gl ZF8I 96 LI S H XOwW44nO aumoduauos asiw uvaf 1qdosonqd V7 6 81 appo PT v 91 ajvo ap AUIUI T OLST sapuojy xua T sap naay lt ure1oduio3uoo seue aumsienjuids ST gt 8981 P 2 4noquoq np arqdosojtdd 8981 104940 A 941117 UPUIY um WW onPiqdosongd osi42 PT 981 668I LTS8I d LaNv f lt Surg 3p SAMLA gt TS YYST xpue14 ud opv p s2nbigdosopiyd s 5u t5s sap o41muuonoi T I suep SIPNIY Uo oua4 ap 1a ztuqi T ap SUOHIPA svg ap anaay ul lt 0987 9 suep 19 ope eg sory ne suorsinoxq gt LBI 311v420149p V 12 AUSIUPIISUG IT I I uour f 19 Joss1eS 4 2948 21gdosojiqd ap janur 9vgI c9 c ISI Wy sanoov anbinao vj 19 s 1s1qdos s 7 98 224 08 SIT 79gI AUD ap aourssiruuo v A LEZI Jossieg 4 22A onbiwajod ooipuaddy joa Z 2nb1807 8I HOT ap JJUPSSIPUUOI i ap anrap S 8I 1019498 A JA t 31119 no suir4odtua1u02 satsiqdos saj ans opuiy I SI ZZ8I SO8I 10d V AULVHN o1gnof S y INS YON PAO ep RAOT IS SEE atur p SAJNIS sop INVAL TSI piy srwuog ap agdosopiqd vj op anbu QvgI F9QI IOSI AY H3INUVO aouanjfut anaj ap 12 suiAodua1u00 241P9ij1 np 12 urtu04 nq L681 sanaAvuaanrA ap 28017 SS8I I amp 8I 4 no ttod 214941 v 12 SUUSIUPISIUYI I 89981 UIPAO WIIUOS tust p4n1pu 2 12 VZOVidg 9981 auivtundq 24HIPU PT 981 AUIPUHG 225u2d v ap sa4804d sap nvajgvy ggg J NOSSTHUNON aiqdosojigd vj ap soavsaoapr so CP gt Z 41002p 27 OZ8I X9 000 P
83. honneur en le rattachant de nobles ant c dents comme Pyrrhon ou Pascal Mais on voit ce dernier exemple que l affaire des rapports de Ducasse avec la philosophie demanderait bien d autres enqu tes puisque c est pr cis ment Pas cal qui devient la principale victime du doute transcendantal ducas sien La critique mise en forme par Ducasse laisse deviner par la densit de tels rapports la profondeur de son sous sol philosophi que et le radicalisme d lib r de son propre pari qui consiste pr cis ment n en pas faire pour mieux adh rer par abandon de tout scepticisme quel qu il soit aux premiers principes Fiction philosophie science une mani re de fid isme radical CONCLUSION 191 tout cela contribue par la difficult que Ducasse lui m me prouve ressaisir synth tiquement ses principes faire des Po sies un ensemble dont la coh rence appara t chaque instant menac e Pour vouloir trop embrasser trop vite Ducasse perd une prise que ne compense pas la vigueur de l treinte L difice esquiss reste tr s largement virtuel s il est vrai que son but tait bien de construire apres avoir ruin Mais ce n est ici qu une hypoth se qui n a elle m me rien de d finitif et l on verra plus loin qu on peut galement voquer l hypothese inverse Ducasse court il vraiment trop de li vres la fois N a t il pas pu faute de temps sans doute se donner suffisamment son pr
84. ied og obe ut festa ete cie 81 Anna te ausu Ne a nes ea dta 87 CHAPITRE IV FICTIONS OELESTESN d emus ue vide edd debts 97 L eSDePaliCes or euch orm Nee iunii ni seat 103 CHAPITRE V LA FICTION EN PARTIE DOUBLE Vere Reus 111 L amit du vampire 1 52 inner 119 L explication des m taphores 126 CHAPITRE VI THIQUE ET FICTIONS cout CORE EAR AW S 135 Le sommeil de la raison 142 Outre tombe 153 Morale de la torture 159 CHAPITRE VII CECIN EST PAS UN ROMAN Set de ieo TIa eme ne 165 D BUISSMENES en sa ie Re Sn dud eed 170 BANC ROUE SSSR e OPER pou ee over 176 Hypnos Me SN SN une eire beg e ea udo Qua 181 CONCLUSION Po sies L meprise sise lt lt lt s a 5 9 xw lt v 9 4 lt 5 w 8 lt 4 s s lt lt t a 9 9 lt lt 4 esns lt 6 w k 4 s s 09 sv 9 s 08 t 5 bp 5 H Appendice Litt rature et Philosophie Ecrivains Professeurs wo 39 lt 9 s s c 8 h 9 4 2 8 9 o3 Professeurs de bhiosoDhie u out eder p pr ve DOS e ua ee aic woo G of o 8 o9 NO o9 US 3 4 c 5 4 3 v 9 59 Panth istes gt et Niulistes oes La cqrise BIBLIOGRAPHIE S LECTIVE Philosophie en France 1840 1880 gt p lt 9 gt x 0 s s 8 4 lt t5 B
85. l accusateur dit celui qui peut d s lors tre vu comme le Cr ateur ils ne s attendaient point que ta Providence se serait montr e ce point impitoyable Ces citations tendent prouver que se trouvent face face un homme et Dieu l un repro chant l autre se cruaut arbitraire Cependant quand il est dit Il a voulu devenir un objet d horreur pour tous les tres de la cr a tion et il a r ussi ou bien Lorsque tu passeras pr s de la tani re du tigre il s empressera de fuir pour ne pas regarder comme dans un miroir son caract re exhauss sur le socle de la per versit id ale nous pouvons y retrouver plut t l image satanique de Maldoror que celle m me n gative de Dieu L nigme devient encore plus difficile r soudre quand l impr ca teur re oit des attributs plus pr cis un contexte une histoire qui 148 LAUTR AMONT nous ram nent dans le r cit Nous nous retrouvons alors dans un d cor de roman gothique tout fait typique dalles de palais plei nes de ronces et de chardons vestibules l gants caveaux de plomb gt lt antique ch teau gt lt lambris d meraude gt lt armoiries fan es statues de marbre des anc tres etc C est l le folklore de Lewis ou d Ann Radcliffe Simultan ment l accus parait avoir perdu toute sa puissance pour tre soumis son tour la mal dic tion Je te condamne devenir errant Je te condamne
86. l innocence des anges Loin d tre un monstre l Hermaphrodite est bien l utopie d une huma nit r concili e retourn e aux conditions d avant la chute Quant nous lecteurs ne sommes nous pas ainsi sollicit s d avouer malgr notre duret d me notre nostalgie pour les douceurs de l ang lisme Le Cr ateur et la B te Nous pouvons sur l exemple de cette strophe dessiner avec plus de pr cision les grands traits du travail de Ducasse d j apparents dans les premi res strophes du chant mais appel s se renforcer au fur et mesure que celui ci se d veloppe Nous voyons que l engen drement du texte se fait partir de ce que nous pourrions d signer en termes approximativement chomskyens comme une structure profonde identique elle m me travers tout le chant Articul e comme un axiome elle pose la dualit constitutive de l homme dualit douloureuse dont le responsable pour Maldoror et seule ment en tant qu il repr sente les pens es m chantes des hommes ne peut tre que Dieu A partir de l la mise en r cit peut s effectuer par le recours toutes les figures narratives disponibles pourvu seulement que puisse y jouer la dialectiqe de la ressemblance et de la diff rence L intertexte de notre culture est riche de telles possibili t s figurales pr form es et la strophe sept vient de nous donner un exemple de cette r cup ration ou de ce r emploi syst matique qui finit par composer u
87. l une dimi nue qu une autre va sa rencontre en grandissant accompagn e du bruit m lancolique de l cume qui se fond pour nous avertir que tout est cume Ainsi les tres humains ces vagues vivantes meu rent l un apr s l autre d une mani re monotone mais sans laisser de bruit cumeux I 9 S il y a ainsi dans les Chants une pens e de l nergie il y a aussi sa complice une pens e de la mort et cette derni re n est jamais un apaisement une simple disparition mais toujours un combat une agonie Maldoror tant pour son compte un supp t du mal cette mort morale il est logique que le vrai r cit inaugur par la dixi me strophe commence donc par sa fin lt j cris ceci sur mon lit de mort Je veux mourir berc par la vague de la mer temp tueuse ou debout sur la montagne les yeux en haut non je sais que mon an antissement sera complet I 10 Cette mort n est bien s r qu un passage la limite deux pages plus loin Maldoror ressuscite je me sens avec d go t renaitre la vie De quelle limite s agit il l asymptote de quel parcours Celle qu entraine la nature peu pres entierement mauvaise de Mal doror la mort par le mal l an antissement pour cause de m chan cet irr m diable Toute la strophe n est que l expos des cons quences d un choix nihiliste provocation puissante adress e tout ce qui vit Maldoror mourant c est le d fi insoute
88. la litt rature Le cinqui me chant s expliquait d j on ne peut plus clairement l dessus pour pr venir le danger entrevu de donner quelque chose d troit et de faux une conception mine ment philosophique qui cesse d tre rationnelle d s qu elle n est plus comprise comme elle a t imagin e c est dire avec ampleur gt V 1 Ses Po sies n annoncent donc pas la substitution d une id ologie r actionnaire une pratique r volutionnaire car r actionnaire Ducasse l a toujours t Seul le r le tr s particu lier qu il avait r serv la lt m thode gt dans son entreprise r le insuffisamment compris et mal interpr t a pu pendant si long temps entretenir l illusion malgr le caract re lt rationnel gt de cette m thode et l ampleur de la conception d ensemble qu elle devait servir S il convient donc semble t il de saisir la port e conservatrice du changement de tactique op r par Ducasse il ne faut pas pour autant m sestimer la complexit de ce qu il implique Car il va plus loin il ne s agit pas tout fait de simplement produire une analyse critique des causes de l impasse philosophique o selon lui et quan tit s d autres par exemple E Poitou 1857 la litt rature se trouve LES DISCOURS DE LA M THODE 31 embourb e cette pause critique doit amener faire clairement et d finitivement table rase des fausses probl matiques dans
89. la pens e Il tait alors in vitable que tout le projet ducassien se r oriente en fonction de tout autres mod les un rationalisme et un logicisme au service d une morale pur e une sorte de positivisme moral qui prendra ses r f rences stylistiques dans la doctrine litt raire des classiques et ses r f rences conceptuel les dans les th ories philosophiques contemporaines En tournant le dos aux illusions dont avaient v cu les Chants Ducasse pousait enfin ce qu il croyait tre son siecle Dans ce sixi me et dernier chant morale et science ont bien leur place mais c est encore sur le mod le de ce que pr sentaient les cinq premiers leurs voix ne se m lent pas encore leur identit n a pas encore t reconnue Leur jonction reste faire La morale s adaptant aux conditions du roman prend des allures la fois plus pr cises et plus discr tes C est ainsi que Maldoror se trouve nette ment situ comme celui qui a tout reni p re m re Providence amour id al afin de ne plus penser qu lui seul Nous savions d j ce qu il en tait bien s r mais dans les chants pr c dents la forme lyrique qu exigeait le genre n autorisait qu une caract risa tion connotative de la perversion de Maldoror Ici c est sous la forme d un jugement qu il se trouve introduit puisque selon la r gle du roman toute l attention devra porter sur les v nements et non pas sur de quelconques consid rations de forme
90. le on d en rassembler les conclusions pour repartir d une plume plus ferme sur un terrain plus s r La structure que nous avons mise au jour dans la plupart des strophes soutiendrait CECI N EST PAS UN ROMAN 167 donc de la m me mani re l ensemble de l uvre la fiction s accom pagnait toujours d une lt morale gt qui en tirait la le on en termes fr quemment de maximes thiques Ce que nous aurions alors maintenant devant nous et prenant forme peu peu ce ne serait rien d autre que la morale de la fiction en g n ral lt mon opi nion est que maintenant la partie synth tique de mon ceuvre est compl te et suffisamment paraphras e mon intention est d entreprendre d sormais la partie analytique Rappelons nous ce que veut dire le mot analytique pour Lau tr mont quand il transpose pour ses propres fins les principes d pist mologie partag s par toute son poque il implique avant tout l introduction de la science et celle du r el dans les processus de la narration En cons quence la partie synth tique ce ne pou vait tre que la fiction en tant que telle les trucs d criture le fan tastique l horreur Ou pour r sumer si la synth se c est le travail du leurre dans l imaginaire l analyse en revanche ce sera avant tout la positivit de la raison Au satanisme po tique des pre miers chants s opposera le r alisme du dernier Apres le lyrisme
91. le pi ge desquelles il tait lui m me tomb L essentiel des Po sies et surtout de Po sies I c est cela le premier moment d une strat gie articul e en deux temps En premier lieu faire la critique de ce qui est d sormais jug caduc pour l tudier et le comprendre en d tail ce qui implique une auto critique Je ne chante plus que l espoir mais pour cela il faut d abord attaquer le doute de ce si cle m lancolies tristesses douleurs d sespoirs hennissements lugu bres m chancet s artificielles orgueils pu rils mal dictions cocas ses etc etc Ce n est qu en second lieu que quelque chose de nouveau pourra alors r ellement pr tendre l existence le volume annonc Darasse et dont peut tre Po sies II serait l esquisse demeur e sans prolongement Le programme et la fiction En axant la lecture des lettres de Ducasse sur le r le crucial que parait assumer la notion de m thode dans son entreprise il nous a t possible de restituer une certaine coh rence ses travaux et ses projets o c est avant tout la logique de ce qu il appelle son reniement qui prend une tout autre signification Logique qui r gle de mani re rigoureuse les transformations stylistiques et th matiques des textes depuis le d but ce qui se fait jour sous les errances de la forme c est la constance de choix philosophiques le terme revient souvent ou si l on veut id ologiques
92. le Cr ateur Le com mentaire donn par Maldoror cet v nement impr vu son tour ne manque pas d ambiguit C est ainsi que le Cr ateur conser vant un sang froid admirable jusque dans les souffrances les plus atroces sait retirer de leur propre sein des germes nuisibles aux habitants de la terre Comment cette morsure distillant du poison peut elle tre en m me temps le d bridement qui gu rit op ration inverse de celle qui nous est d crite Quels germes peuvent bien ansi tre retir s des corps Faut il comprendre que l homme se trouve par l soulag de ces germes qui l empoisonnaient Faut il entendre au contraire qu une fois extraits de son propre sein ils lui seront r inocul s pour mieux assurer sa perte Mais comprenons que c est ici la voix de Ducasse qui se fait entendre et non plus celle de Maldoror les douleurs inflig es l homme par la conscience produit du cr ateur ne sont qu appa rentes puisqu il en r sulte un plus grand bien Dans le discours du mal comme de nombreuses fois d j le discours du bien ferait donc retour ce qui expliquerait alors la clausule de la strophe J avais dit que je voulais d fendre l homme cette fois mais je crains que mon apologie ne soit pas l expression de la v rit et par cons quent je pr f re me taire C est avec reconnaissance que Phumanit applaudira cette mesure Autrement dit ou bien l homme n est pas d fe
93. le fossoyeur Maldoror nous est d abord pr sent dans un moment typique de m chancet se trouvant en Nor v ge aux iles Foero il assista la recherche des nids d oiseaux de mer dans les crevasses pic et s tonna que la corde de trois cents m tres qui retient l explorateur au dessus du pr ci pice f t choisie d une telle solidit Il voyait l quoi qu on dise en exemple frappant de la bont humaine et il ne pouvait en croire ses yeux Si c tait lui qui e t d pr parer la corde il aurait fait des entailles en plusieurs endroits afin qu elle se coup t et pr cipit t le chasseur dans la mer I 12 La continuit psychologique tant ainsi tablie la sc ne se transporte sans autre forme de transition dans un cimeti re Le Journal des Curieux s efface devant Shakespeare T moin privil gi le fossoyeur s interroge donc et de mani re fort philosophique dis tingue les faits qui s expliquent de ceux qui ne s expliquent pas Il est noter que les premiers rel vent tous de la psychologie s ils s expliquent c est parce qu ils reposent sur des m canismes simples et bien r pertori s la diff rence des contradictions plus retorses qu voquait l hymne l oc an Lorsque le sauvage p lican encore lui se r sout donner sa poitrine d vorer ses petits lorsqu un jeune homme trahi par une femme qu il id latrait se noue d une am
94. le m me th me qui est abord ici quand dans la description d un enterrement nous apprenons que lt le pr tre des religions gt tient d une main lt un embl me d or qui repr sente les parties de l homme et de la femme comme pour indiquer que ces membres charnels manipul s aveugl ment peuvent tre des instruments tr s dangereux lt au lieu d engendrer une opportune r action contre la passion con nue qui cause presque tous nos maux La pulsion sexuelle se trouve ainsi explicitement vis e mais cette fois ci dans sa variante h t rosexuelle Si nous nous rappelons les mises en garde beaucoup plus d taill es de la strophe pr c dente contre l homosexualit nous ne pouvons qu en conclure la d fini tive condamnation par Ducasse d une attitude qui laisserait le champ libre aux passions que cette pulsion inspire Il n est sans doute pas indiff rent de souligner le fait que cette admonestation se fait par l interm diaire d un pr tre au moment o il est question la fois dans les faits et dans le discours avant tout de la mort Mort physique morale m taphysique li e au probl me des pas sions tel est le complexe noyau qui anime la probl matique de cette strophe Distinguons d abord les diff rents moments du texte qui corres pondent diff rents accents dialectiques dont le tressage s effectue ici au niveau m me des mots c est le vocabulaire et la syntaxe ironiques sarcastiq
95. les Chants et les Po sies sur la ques tion de l criture Ce rapport de calme majest entre les deux ter mes de ma narquoise comparaison n est d j que trop commun et d un symbole assez compr hensible pour que je m tonne davan tage de ce qui ne peut avoir comme seule excuse que ce m me caractere de vulgarit qui fait appeler sur tout objet ou spectacle qui en est atteint un profond sentiment d indiff rence injuste Comme si ce qui se voit quotidiennement n en devrait pas moins r veiller l attention de notre admiration Deux choses sont ici souligner d une part une forte r valua tion de ce qui est ordinaire et d autre part un rappel plein de THIQUE ET FICTION 159 vigueur de la pr sence quotidienne du beau aupr s de nous Il faut mettre ces th mes en relation avec ce que les Po sies de leur c t et dans leur langage d barrass des roueries de la dialectique rediront puissamment le monde est plein de beaut l homme est bon il n est nul besoin d aller chercher l extraordinaire ou l horrible pour cr er de la beaut dans un crit Une pareille position prend de mani re violente le contre pied des st r otypes romantiques et post romantiques qui voulaient ne voir de source ou d occasion de beaut que dans le mal la perversion le doute ou l horreur Il faut admirer ici la fois le courage et la ma trise de Ducasse la puissance de ses convictions esth tiques et morales ainsi que la force
96. les manipulations qu il op re sur des concepts trouv s tout faits Les liens id ologiques et discursifs qu il conserve avec le contexte institutionnel n en deviendront que plus manifestes Car c est bien de ce contexte qu il apprend quelle d marche suivre dans la recherche et la propagande de la v rit G n alogie d une morale Redisons le s il a chang de m thode entre les Chants et les Po sies c est bien que Ducasse d j en crivant les premiers faisait d pendre son travail d crivain d une strat gie dont l objectif tait de parvenir faire triompher les v rit s auxquelles il croyait Mais notons bien qu en passant d un travail l autre il n en est pas sa premi re op ration de substitution sa premi re conversion m thodologique Il le dit il n a publi que deux livres mais le pre mier n tait nullement un commencement absolu l uvre irr fl chie d une pens e innocente ou d une spontan it cr atrice qui ne se connaissait pas encore il y avait d j m thode Bien plus il y avait d j changement de m thode d placement affectant tout un registre de discours et toute sa logique Ducasse avait d j analys et transform la m thode des autres Laissez moi d abord vous expliquer ma situation J ai chant le mal comme ont fait Miscki wickz Byron Milton Southey A de Musset Baudelaire etc Naturellement j ai un peu exag r le diapason pour faire du nou 26 LAU
97. m me qui n est que celui d pisodes o il joue les ser vitudes les r les de composition la fois sch matiques et mall a bles L homme lui est un personnage d une richesse incomparable foisonnant fascinant par l tendue des contradictions dont il ne sait sortir Lecteur de Pascal et des Moralistes tudi s vers la m me poque par Cousin qui meurt en 1867 et ses disciples Barni et Saisset Ducasse voit encore en l homme un personnage dans la mesure o celui ci vit en permanence dans le d guisement ou le tra vestissement C est pr cis ment cela qu il veut exposer mettre nu l aide de cette machine de guerre qu est l enfant de son imagi nation gt II 1 j arrache le masque sa figure traitresse et pleine de boue et je fais tomber un un comme des boules d ivoire sur un bassin d argent les mensonges sublimes avec lesquels il se trompe lui m me gt et il parlera encore dans Po sies II de lt l analyse des sentiments gt comme d une lt arme de combat gt II 135 Moraliste Ducasse renoue avec la d marche de ses pr d ces seurs travail toujours repris d un d voilement qui d couvre et carte des masques avec pour fin ce qui serait peut tre une saisie imm diate de la vraie nature de chaque homme t moignant pour toute la nature humaine car il faut tendre au g n ral II 164 il ne faut pas se laisser dominer par l accidentel II 129 Ducasse s in
98. mes yeux hagards si toutefois il appartenait ma race Si c tait un cheval ou un chien je le laissais passer avez vous entendu ce que je viens de dire La f rocit c est l animalit dans l animalit comme le souligne la r f rence ici ces animaux domestiqu s par excellence que sont le cheval et le chien D autant plus acharn contre l homme qu il lui ressemble plus Maldoror exhibera l inhumanit dont il est capable en tant qu homme en d pla ant les fronti res apparentes de l esp ce Path tique d sir de fuite transform en mouvement de transgression qui le jettera litt ralement dans les bras d une m ta phore pour y d signer l intensit d une reconnaissance Il n y parviendra comme au terme extasi de sa recherche et de sa fuite qu apres avoir d abord assum tous les dehors rh toriques de la cruaut h rit s peut tre de Sade et certainement du roman noir Le spectacle d un vaisseau qui sombre sera par exemple un specta cle gracieux par renversement du pathos g n ralement associ la scene classique en litt rature du naufrage Ducasse r crit le st r otype le mime pour le miner reprise nihiliste de Paul et Virginie dont la lecture aux effets d sastreux est voqu e dans les Po sies de Melmoth ou du Don Juan de Byron parmi tant d autres L identification spontan e au semblable en l occurence un naufrag se trouve radicalement refus e l horreur pro
99. mise en fiction qui conduit la figuration de l accouplement symbolique nous permet tra de le souligner Nous l avons dit en commengant la probl matique fondamentale que Lautr amont met en position d articuler le sens de toute la stro phe est une fois de plus celle du semblable Maldoror est ainsi la 90 LAUTR AMONT recherche de la bonne image de lui m me celle qui pourra effi cacement lui repr senter sa nature dans le geste d une sp cularisa tion litt raire qui se pr te la r criture des poncifs d riv s du lyrisme des affinit s lectives Je cherchais une me qui me res sembl t et je ne pouvais pas la trouver Il fallait quelqu un qui approuv t mon caract re il fallait quelqu un qui e t les m mes id es que moi gt Ainsi commence le r cit On mesure l ironie qui anime un pareil passage o Maldoror d finit sa qu te en termes sentimentaux voire spirituels quand on sait que l autre qu il trou vera pour supporter son d sir lui apparaitra sous la forme de la femelle du requin La violence de l effet surprise choc explosion d irrepr sentable s augmentera d ailleurs du fait que nous auront d abord t pr sent s les mauvais candidats au titre de sem blable Tous galement hyperboliques tous galement all gori ques naturellement et enti rement produits par la surcharge des signes d non ant leur origine intertextuelle Premier reflet offert voil
100. modele n gatif acharn poursuivre son combat sans espoir Il est glorieux d apres lui de vaincre t t ou tard le Grand Tout afin de r gner sa place sur des l gions d anges aussi beaux L ange lui chappe donc non sans lui t moigner son amiti nous l avons vu mais d une mani re qui rappelle le point de d part de tout l pi sode tel que Ducasse parait l avoir trouv dans Eloa lt Celui ci lui fait comprendre sans parler qu il reprendra sa forme primitive mesure qu il montera vers le ciel laisse tomber une larme qui rafraichit le front de celui qui lui a donn la gangr ne et dispara t peu peu comme un vautour en s levant au milieu des nuages Par le biais de ces images de cette figure qui reprend la scene vang lique de l Ascension nous comprenons quelle le on nous est donn e si Maldoror repr sente bien le mal qui habite l homme et que celui ci veut ignorer si l ange lui repr sente bien l autre dimen sion de lui m me la strophe tout enti re veut nous inciter nous aussi par l exemple de la charit incarn e par l ange monter vers le ciel vers les hauteurs sereines du bien Le second volet de la strophe ne fait d ailleurs que d velopper et renforcer l apologue Nous y voyons la lampe jet e la Seine par Maldoror naviguer dans le courant et s teindre quand il passe sur les ponts un tre humain qui a quelque chose sur la conscience Les menaces
101. ne va pas aussi loin mais sa performance est respectable L histoire lt Une potence s levait sur le sol un m tre de celui ci tait suspendu par les cheveux un homme dont les bras taient attach s par derri re Maldoror esquisse d abord le geste d aller d pendre le pantin ou morceau de lard attach au plafond Il en est emp ch par l arriv e de deux femmes ivres deux femelles d orang outang Leurs yeux brillaient d une flamme si noire et si forte que je ne crus pas d abord que ces deux femmes appartins sent mon esp ce La premi re s adressant l homme Est ce possible que tu sois encore respirant Tu as la vie dure mon mari bien aim gt La seconde lt Tu ne veux donc pas mourir mon gracieux fils Suit une scene de flagellation coups d un fouet aux cordes de plomb appliqu s sur le corps de la lt mortadelle gt enduit de goudron Fatigu es lt les femelles gt se retirent enfin et Maldoror peut aller secourir la victime qui lui raconte alors son histoire sa m re avait voulu qu il passe la nuit avec elle dans un lit avec la complicit de sa femme qui s tait berc e de l espoir d une r compense Il s agissait donc d une ven geance Maldoror confie alors le bless des laboureurs voisins en leur laissant sa bourse et leur disant Non non ne croyez pas que cela m tonne Comme la strophe pr c dente permettait de s y a
102. non recevoir oppos es ses avances par une science d sormais bien mancip e s est peu peu dilu en une doctrine prudente agnostique d cid e ne plus d plaire tout en ne renon ant pas un certain mordant pol mique qui lui conser 210 LAUTR AMONT vait un public celui par exemple de la Revue des Deux Mondes On y verra la signature des clectiques P lt clectisme gt tant devenu le nouveau nom du mouvement celles par exemple d Edme Marie Caro et E Vacherot penseurs officiels d une publication dont la collection figurait dans la biblioth que de M Ducasse p re Caro 1826 1887 normalien professeur la Sorbonne 1864 dans la chaire de Laromigui re et de Jouffroy est retenir surtout pour ses tudes morales d abord publi es dans la Revue des Deux Mondes puis en volume Leur style vigoureux contrastant sin guli rement avec la lourdeur rh torique de ses pr d cesseurs est leur seule caract ristique marquante outre des rencontres fr quentes avec Ducasse L Id e de Dieu et ses nouveaux critiques 1864 manifeste la fois la scl rose id ologique de l Ecole fig e sur des positions ressass es depuis un demi si cle et son attitude d fensive devant l assaut des nouvelles id ologies qui lui contestent aussi ses privil ges au sein des institutions Lyc es Sorbonne Institut Aca d mie revues et grands journaux C est le m me probl me et les m mes difficult s qu
103. ordinairement au mal Certes le bien ne triomphe pas de mani re d finitive il s agit plut t d une sorte de match nul la r affirmation d un statu quo mais sans doute est ce parce que le fossoyeur n est pas l une des ordinaires victimes humaines contre lesquelles d habitude Maldoror se d cha ne vivant aux portes de la mort il est au del de l agitation humaine d tach des illusions de l orgueil et des vanit s de l amour propre Les probl mes de la m taphysique sont pour lui des r alit s et il ne peut se satisfaire de r ponses improvis es Depuis sa position au bord de la tombe la vie et la mort le r ve et la r alit ne s opposent plus de la m me fa on que de l autre c t des murs du cimeti re Le fossoyeur est le t moin inquiet de ce qui se joue dans le jugement de 48 LAUTR AMONT la mort Minos ignorant demi dieu psychopompe Nous ne som mes plus l tout fait dans le r pertoire des questions traditionnel lement engag es par la probl matique morale Le ton risquait sans doute d tre trop na f Pour que Maldo ror reste dans son caract re comme nous l avons dit tout l heure Ducasse a pris quelques lt pr cautions gt Pour ne pas laisser s effa cer le caract re fonci rement mauvais de son h ros il a pris la peine de rajouter pour l dition lt d finitive gt un paragraphe qui ne figu rait pas dans l dition de 1868 Au lieu d engager d entr e de jeu la conversation avec
104. par la vengeance divine intervenant sous une autre forme Le moment du r cit coincide ici avec la lev e de la p nitence si douloureuse qu elle fait d sirer la mort mais dont m me la disparition n efface pas les effets nou veau capable de se lever Maldoror attend que le cr puscule du matin vienne apporter par le changement de d cors un d risoire soulagement son c ur boulevers Il n est pas indiff rent que ce soit sur une telle sc ne que se ter mine la partie po tique des Chants triomphe de Dieu punition du mal apoth ose de la vertu mais aussi possibilit du pardon L apologue met fin au cauchemar en ramenant l ordre moral avec le jour Cependant si la plus grande partie de la strophe joue le jeu du conte moralisant sans autre distanciation tout le d but reste mar qu par les pratiques d constructrices que nous avons vues l uvre dans de nombreux passages des strophes pr c dentes du cinquieme chant Outre l introduction d l ments ostensiblement st r otyp s que nous avons d j signal s outre l utilisation d un vocabulaire scientifique qui permet de faire osciller le cauchemar de THIQUE ET FICTION 163 Maldoror entre deux r gimes de langage radicalement incompatibles dans le cadre standard de la fiction les premi res pages sont plus parti culi rement charg es de la mise en relief des processus d criture eux m mes Ainsi l araign e chappe t elle d embl e la typolog
105. plus ou moins po tico morale Seuls les actes comptent Cela n emp che point qu l occasion Maldoror ne retrouve cer tains accents typiques des premiers chants Il me prenait pour un malfaiteur s crie t il lui c est un imb cile Je voudrais trouver un homme exempt de l accusation que le malade a port e contre moi Il est en effet dans le caract re de Maldoror de retourner aux hommes leurs accusations puisqu il doit tre nous l avons amplement discut leur propre image qu ils s efforcent de nier C est dans cette perspective qu il faut comprendre le sens du qua tri me chapitre qui parait tout d abord d plac dans le contexte d un roman Il n en est aucun trait en effet qui n en fasse plut t une strophe dans le genre exact des chants premi re mani re Contrairement tous les autres chapitres c est Maldoror qui y assume le discours sans presque de r f rence l intrigue en cours et la situation o il se trouve plac en rappelle en fait directement une autre d j rencontr e dont le trait majeur consistait en une contemplation par Maldoror de sa propre image qu il m connais sait Tout cela permettant une mise en r cit de la structure morale du personnage reflet sp culaire des vices de l homme ou plut t de sa double postulation Aujourd hui sous l impression des blessures que mon corps a re ues dans diverses circonstances soit par la fatalit de ma naissance soi
106. prof r es par Maldoror son encontre dans la premi re partie sont reprises ici textuellement mais et c est l que r side l insistance qui re marque la le on laquelle nous devons tre attentifs elles sont reprises en autant seulement qu elles ne sont pas r alis es En promettant la lampe de la jeter dans la Seine Maldoror lui avait dit L je te permettrai de briller autant qu il me sera agr able l tu me nargueras avec un sourire inextinguible l convaincue de l incapacit de ton huile crimi nelle tu l urineras avec amertume Or c est tout le contraire qui se produit si Maldoror esp rait bien par l mettre la lampe en position de vaincue Ses lueurs blanches comme la lumi re lec trique effacent les becs de gaz qui longent les deux rives et entre lesquels elle s avance comme une reine solitaire imp n trable avec un sourire inextinguible sans que son huile se r pande avec amer tume Soulign dans le texte quivalent on le sait dans la prati que typographique du dix neuvi me si cle une citation entre guil lemets Ainsi la lampe est elle confirm e dans sa signification m taphysi 84 LAUTR AMONT que elle symbolise l univers o r gne le bien et dans sa significa tion morale elle est la pierre de touche lumineuse de la mauvaise conscience Ducasse d montre une fois de plus par l sa maitrise dans le maniement d une rh torique double d tente fond e su
107. pygargue roux II 2 Ce performatif est une double signature puisqu il d signe le sujet de l nonciation et lui attribue par la voie de la connotation une personnalit qui con firme l identit du signataire Maldoror n ach te pas ses plumes il les arrache et non pas une oie mais un pygargue roux il reste ainsi dans son caract re Mais il ne s en tient pas ces quelques marques anecdotiques il lui faut aussi r affirmer son appartenance l univers m taphysique hors de quoi la fiction per drait son sens Maldoror est en lutte contre Dieu ce dernier faisant pour la premi re fois son entr e sur la sc ne des Chants Le terrain de l criture est de tout vidence un lieu d affrontement particuli rement d cisif dans la mesure o dans toute la tradition 58 LAUTR AMONT jud o chr tienne c est Dieu qui la monopolise Dieu qui grave de traits de feu les Tables de la Loi crit sur les murs des palais dans les c urs et les consciences etc Jamais on n a vu Satan en scripteur de sa loi n gative malgr les M moires du Diable Le Mal ne s crit pas il se fait Maldoror voulant crire c est un d fi que Dieu ne peut ignorer tout de m me que la morale ne peut accepter le d tournement de la litt rature pour peindre le vice Est ce un avertissement d en haut pour m emp cher d crire et de mieux con sid rer ce quoi je m expose en distillant la bave de ma bouche car r e gt
108. qu mes yeux se l ve aussi un jeune homme dont la pr sence engendrait des fleurs sur son passage Il S approcha de moi et me tendant la main Je suis venu vers toi toi qui me cherches B nissons ce jour heureux gt Comme on pou vait s y attendre ce n est pas de cette idylle vang lique que Maldo ror peut se satisfaire lt Je n ai pas besoin de ton amiti gt Deuxi me essai plus subtil celui d une femme Que peut elle offrir Maldoror apr s qu il a repouss l amiti sinon l amour Le type de f minit romantique qu elle incarne ne saurait de toute vidence convenir un monstre avec une d marche modeste et les yeux baiss s elle foula l herbe du gazon en se dirigeant de mon c t D s que je la vis Je vois que la bont et la justice ont fait r si dence dans ton c ur nous ne pourrions pas vivre ensemble mets te le dans la t te pour ne jamais l oublier les loups et les agneaux ne se regardent pas avec les yeux doux gt Ni l amiti ni l amour ne sont ce qui convient Maldoror Il n est ni homme ni femme qui saurait leurrer son d sir dont nous savons depuis le d but des Chants qu il s origine dans la soif de l infini lt Que me fallait il donc moi qui rejetais avec d go t ce qu all y avait de plus beau dans l humanit Ce qu il me fallait je n aurais pas su le dire Nous ne sortons pas jusqu ici des conventions du genre romanti que avec son a
109. qu on est parvenu la faire passer moralement O Nuits d Young vous m avez caus beaucoup de migraines gt PI 11 Les Po sies m nent cette attaque avec la plus extr me nettet On ner ve que lorsque l on dort Ce sont des mots comme celui de r ve n ant de la vie passage terres tre la pr position peut tre le tr pied d sordonn qui ont infiltr dans vos mes cette po sie moite des langueurs pareille de la pourriture Passer des mots aux id es il n y a qu un pas PI 12 Ce pas Ducasse veut le franchir rebours et c est Maldoror qui en exemplifie le refus hyperbolique et litt raire comme les Po sies le font de leur c t dans le registre pol mique Dans la longue liste des perturbations PI 13 nous trouverons pr cis ment tout ce que Maldoror combat en renon ant volontairement au sommeil les abrutissements les hallucinations servies par la volont l ino culation des stupeurs profondes ce qui est somnambule nocture somnif re etc Maldoror h ros de la r sistance anti romantique L o le romantisme voyait une dimension essen tielle de la vie de l esprit Maldoror ne voit que lt l an antissement intermittent des facult s humaines quoique votre pens e pen ch t supposer ce ne sont pas l des mots Du moins ce ne sont pas des mots comme les autres On voit o se placera l accent fondamental de l argumentation sur la car
110. quelle heure du jour exhaler comme un souf fle artificiel le flot de mensonges que ta gloriole exige s v rement de chaque tre humain Pri re du bout des l vres dont Maldo ror livre m me un exemple Oui c est toi qui as cr le monde et tout ce qu il renferme Tu es parfait aucune vertu ne te manque etc La conduite de Maldoror envers Dieu on le notera ne diff re en rien de celle qu il proclame volontiers vouloir suivre envers l homme mais c est que chez lui le proc s du Cr ateur n a de sens que par celui qu il intente la cr ature Reprenant sa maniere le mot de Voltaire selon qui si Dieu a cr l homme son image l homme le lui a bien rendu Ducasse insiste sur le jeu des ressem blances qui font que chacun de ses h ros l homme Maldoror et Dieu sont des images les uns des autres Maldoror c est l homme r el qui a projet par d n gation sa propre essence dans la construc tion d un Dieu imaginaire auquel il pr te ses propres d fauts pour les lui reprocher lt Les hommes eux mettent leur gloire timi ter c est pourquoi la bont sainte ne reconnait pas son tabernacle dans leurs yeux farouches tel pere tel fils Lautr amont reprend l le grand axe th matique des Chants et Maldoror n est sa mani re qu un portrait de cet homme que Ducasse condamne cet homme qui rejette sur une divinit qui n en peut mais sa propre res ponsabilit tout en feignant de lui adresse
111. r gulier de tous les pr c d s l giti mes de l intelligence dont les principaux sont l exp rience et la rai son s appuyant l un sur l autre s clairant et se contr lant mutuel lement Ch B nard 1845 Incidemment on ne peut manquer de remarquer ici que quelque chose de nouveau s introduit dans le sens donn au mot m me de m thode car en d pit du contexte plus ou moins n o kantien exp rience n a plus tout fait la signification que pouvait encore lui don ner Kant C est plut t l h ritage de Bacon qui perce ici retravaill par les nouvelles sciences Claude Bernard et la m decine exp rimentale par exemple Cl Bernard 1865 qui ne se con oivent plus simple ment comme des d pendances de la m taphysique pour ce qui est de leurs crit res de v rit L exp rience en changeant de sens change aussi le sens donner la science Ducasse quant lui ne parait nullement aller dans ce sens et c est l un des points qui permettent de penser qu il a cherch des solutions au probl me de l thique de la litt rature dans des voies plus r actionnaires que progressistes Vers 1860 regarder du c t des sciences exp rimentales gt Cest parier sur l avenir Ducasse pr fere s en tenir des positions plus classiques tout en cherchant leur insuffler une nouvelle jeunesse Les sciences exp ri mentales ne sont en effet rendues possibles que par la syst matisa tion
112. s au del du simple plaisir de d fier des nigmes car les rapports de ces deux textes diversement interpr t s placent l ensemble de la d marche et de l oeuvre de Ducasse dans une lumi re qui peut immens ment varier Sur lequel de ces deux textes faire porter l accent Comment valuer l incidence de leurs rapports chronolo giques sur leur sens m me et leur port e Il faut choisir Choisir comme ici de tenter d clairer le sens des Chants par l existence des Po sies c est d cider de rompre avec la tradition en effectuant un d placement o toute l conomie des lectures re ues se trouvera boulevers e Faisons donc ce sera notre point de d part comme si Ducasse n acc dait la compr hension de sa propre entreprise qu partir du moment o il en vient d noncer le pseu donyme qu il s tait form la travers e des Chants lui aura tenu lieu d exp rience analytique le mettant enfin m me de disposer de son nom propre pour noncer ses col res et ses croyances Croyons le quand il parle avec fureur et embarras de son sacr bouquin souhaitant peut tre m me ne l avoir jamais crit Reniement comme d un destin trop lourd Il croyait s tre dit il ne s tait que travesti Le post scriptum n ajoute pas la grande ceuvre il s en retranche mais sans pouvoir faire qu elle n ait pas t il la transforme au contraire en un avant texte ineffa able dont tout devient plus opaque encore Le
113. s de son chec L chec de Lautr amont Mais pourquoi donc parler d chec propos d un livre dont l tonnante post rit parait avoir cautionn la r ussite D abord parce que tout de ce qu a tent Ducasse est rest sus pendu et inachev inaccompli parmi le d sordre de l histoire a vie n aura t qu une pr paration une attente et se sera sold e par une mort peu patiente lest e d quivoques Le trouble des choses se sera charg d paissir le myst re de transformer cette fin en question interminable sans conclu sion possible Les textes eux m mes premiers essais mal publi s mal ficel s pour le go t du temps se savaient reprendre mais furent laiss s en plan pour toujours sans mode d emploi L entreprise enti re quant elle malgr son effort d clar vers la clart la rigueur la logique se sera d ri soirement offerte tous les irrationalismes successifs insensi LAUTR AMONT 13 bles aux complexit s du projet et aux arcanes de sa r alisation suspendue Le monument r v par un Ducasse encore adoles cent n est que ruines pr matur es qu aucun plan subsistant ne permet plus m me d imaginer l uvre n aura pas eu lieu et il ne nous reste d chiffrer qu un multiple avant texte des prol gom nes sans hi rarchie un embarras d bauches et de brouillons h tifs de moments forts ou faibles m lant obscuri t s et illuminations Rien dans notre culture critique ne nou
114. seul moyen qui paraisse subsister pour transformer ce handicap en sup riorit c est d aller chercher les images dans un nouveau registre le langage des sciences Ducasse semble ainsi r pondre sans peut tre le savoir l appel d un Quinet qui vers la m me poque voit dans la science nouvelle la ressource future d une po sie adapt e ce qu il appelle avant Apollinaire l esprit nouveau Nous confondons volontairement ici m taphore et compa raison comme le fait Ducasse lui m me et nous ne pouvons que lui donner raison puisqu il situe le probl me non pas sur le plan technique de la formulation mais sur celui de l essence logique de toute l op ration Un gouffre s pare le langage exact du langage visant l effet po tique La comparaison la m taphore sont des trouble style des facteurs de d sordre qui brouillent la rigueur de l analyse moins que le choix des comparants ne s effectue dans des conditions s v res de recherche de la v rit Nous reviendrons sur cette question La strophe suivante n est pas sans liens avec celle que nous venons de discuter dans la mesure o ce qui s y joue c est bien encore une m taphore mais une seule Je r vais que j tais entr dans le corps d un pourceau Nous avons maintenant assez de familiarit avec les proc d s de Ducasse pour comprendre de quoi il retourne Maldoror image de l homme se cherche pour lui m me une image u
115. soit Le test de toute m prise ne pourra provenir si elle se produit jamais que de la d couverte de nouveaux documents En l absence de ceux ci il faudra toujours en revenir une critique interne des textes qui puisse peser les coh rences contre les incoh rences Ceci ne peut se faire qu travers la lecture compl te des Chants en ne n gligeant rien de ce que les autres textes nous apprennent et en cherchant dans les champs discursifs contempo 196 LAUTR AMONT rains des r sonnances aussi amples que possible Si l organisation propre des textes demeure entach e d obscurit s il n en va pas tout fait de m me de celle qui leur donne un intertexte philosophique entre autres dont les affleurements apparaissent clairement tout moment Organisation mais non pas syst me Car Ducasse n a pas de syst me il n a que des principes et ceux ci sont les r ac tifs qu il fait venir au contact des r alit s contemporaines pour les juger les r former ou les condamner Il y a en ce sens un devenir philosophe de Ducasse mais qui s accompagne d un demeurer crivain C est la conjonction de ces deux imp ratifs qu il voit au fondement de la po sie telle qu il l entend et les maximes qu il for mule n ont donc de sens que parce qu elles accompagnent sa traver s e de la fiction Les Po sies sont le produit des Chants comme les Chants ne sont pensables en tout point que par r f rence aux Po stes Double tour dial
116. soit la mati re Seule voix discordante celle de Bi chy celui l m me dont Ducasse cite le trait sur l Induction La m thode si admirablement appliqu e dans les sciences exp ri mentales est encore peu pr s inconnue la d finition et les descrip tions en tant galement inexactes Malgr les mises en garde de Bi chy et quelles que soient les m tamorphoses en cours dans la structure m taphysique pr valente aux alentours des ann es 1860 on voit cependant qu existe un tr s large accord sur la place et la port e r serv es la m thode ind pendamment des caract res propres de chaque discipline scientifi que ou philosophique Ducasse ne fait donc que se conformer une regle bien tablie du discours philosophique et pist mologique en reconnaissant la pr minence du choix m thodologique dans son propre travail qu il place sous le signe de la rigueur En pensant en changer il ne fait que tirer les conclusions de ce que la philoso phie lui enseigne quant la mutabilit de la m thode et il laisse clairement voir par l comme les Po sies le confirmeront chaque LES DISCOURS DE LA M THODE 25 ligne qu il s agit bien pour lui d aligner la pratique de la po sie sur le mod le d une science encore plus ou moins p n tr e de l esprit du kantisme Science qu il interpr te bien s r non pas partir du laboratoire mais partir des manuels et des trait s des philosophes
117. son d faut en ce lieu o le texte d faille La force des Chants est faite de cette faiblesse convertie en sombre rayonnement Dieu au bordel radicalise la sale question des cour tisanes et fait de la chair ici celle du jeune homme qui croit la bont une lt viande gt obsc ne tra n e dans le sperme et couverte de sang caill Quand Ducasse parlera dans les Po sies propos des Grandes T tes Molles de cas pathologique d un goisme formidable il faudra prendre cette pathologie au FICTIONS C LESTES 109 s rieux le pathos romantique est une maladie dont les pustules et les chancres ne sont autres que les textes que ronge secr te ment leur beaut v n rienne la lt po sie gt est une prostitu e Lautr amont renverse donc ici la tradition que depuis le d but 1l s applique ruiner celle qui chantait la po sie de la prostitution de Balzac Dumas en passant par Baudelaire Il n est que ce dernier pour garder encore que non exempt de bl me l admiration d un Ducasse qui respectera son immortelle charogne Pourquoi Sans doute parce que les Fleurs du Mal auront malgr tout d montr qu entre la litt rature et son lecteur la morale se trouve toujours en tiers NV Lees La fiction en partie double Le quatri me chant auquel nous arrivons maintenant esquisse dans le travail de Ducasse un tournant qui deviendra manifeste dans le chant suiv
118. susaf ap 210 YT 9g8I 0681 u 2rqnd aouaps vj ap au nV 7T 8p81 C681 C81 d NVNi3M u tu ddns COST uompo c 981 SUIVLO WIIUOD SIP Jasaaotun 41puu01121 SS8I 9061 6181 0 AVIAIJYA awisippuitadg HVIANON 2T v8gl 2242125402 V 12 92u919 PT OLSI uo131j2 J vT 8981 2 D11142 anqdosopad ap sivssT YIRT IPLT VT 6S81 NAI PI Z E98T 222215 v 12 anb skqdrizW YT 8S8I aupurxojy p 21022 9p 9nb11149 34101S51H S8I 9t81 L681 6081 WA LOWu3HOVA 22U9817j91U1 2 OLSI asivjdur 2410191117 Y 2p 23410151H 981 Table des mati res AINT PROPUSO w pei Mendes 7 Les vampires meurent 30881 sed Nes dau ess 7 L chec de Lautteamgutose eene xe bed oto morte 12 CHAPITRE LES DISCOURS DE LA M THODE oe 15 La m thode et les moyens 18 G n alogie d une morale 25 L programm et fictions Ee Eh pat he 31 CHAPITRE II LA SOIF DE L INEFINI 35 EXOFPCISIBW S c acce qv a eoe acere a e E te a X rat n 40 Ang lisme et satanisme 4r RETO pP t sa 42 Douleur et m chancet 50 CHAPITRE III 12 MAXIMEE TTE REGIT xiii ettet anite 55 E GJOCOHIA e ise for ui INDIES upa 2 didi oxi arx det 56 Dialecthique d TUTO siepe Re eR SEE 61 Puissances de l parole sorei cese ea 67 Le Cr ateur et la B te 70 Math matiques de la vertu 77 CATON 2 Zura dw AUC
119. t au ciel qu en effet ce ne f t l que de l imagination etc Autre moyen de distanciation destin provoquer la suspension de la cr dulit du lecteur Lautr amont rappelle fr quemment la situation m me o s op re l effet de lec ture rendant ainsi impossible la d r alisation de la situation au profit de la pseudo r alit po tique qui de toute fa on nous est pr sent e de mani re trop insistante pour pouvoir se former libre ment Que voulait il faire de cette grosse boule noire O lecteur toi qui te vantes sans cesse de ta perspicacit et non tort serais tu capable de me le dire Mais je ne veux pas soumettre une rude preuve ta passion connue pour les nigmes ce myst re ne te sera r v l il te sera r v l que plus tard la fin de ta vie et peut tre m me la fin de cette strophe Epoche de la fiction par d tournement de l nigme Enfin dernier moyen de d gonflement de la fiction et de ses effets le brusque changement de tonalit Apr s nous avoir main tenus en arr t devant un spectacle peu peu d structur Lautr a mont laisse ainsi Maldoror conclure en revenant sur la premi re image de la strophe Un scarab e roulant sur le sol avec ses mandibules et ses antennes une boule dont les principaux l ments taient compos s de mati res excr mentielles s avangait etc Apr s toute la s rie d v nements de toutes sortes qui const
120. uvre dans son sein gt I 12 Les r sonances n o kantiennes spiritualistes d j rep r es plus haut dans les Chants s amplifient ici jusqu ne plus pouvoir tre ignor es avec leur refus de la dramatisation leur appel la conscience et la raison pour fonder la certitude et la loi morale Le discours de Maldoror identique celui de Ducasse dans les Po sies est tel point en rupture avec le discours romantique qui lui est habituellement pr t qu il convient de citer le passage en entier pour bien s en assurer Pourquoi ces larmes pareilles celles d une femme Rappelle toi le bien nous sommes sur ce vaisseau d m t pour souffrir C est un m rite pour l homme que Dieu Pait jug capables de vaincre ses souffrances les plus graves Parle et puisque d apr s tes v ux les plus chers l on ne souffrirait pas dis en quoi consisterait alors la vertu id al que chacun s efforce d atteindre I 12 Maldoror en consolateur c est bien ainsi qu il apparait alors au fossoyeur Je sens un souffle puissant de consolation effleurer mon front rass r n Mais il faut revenir aux conventions de la narration et ne pas oublier les r les assign s chacun en vitant de jouer plus long temps des techniques de la vieille cole Lautr amont doit retourner son h ros qu il a d fini comme symbole du mal que l homme refuse de reconnaitre en lui S il ne tient pas le discours qu on
121. uvre propre du romancier La dimension philosophique d une ceuvre reste ind pendante de son inscription dans un genre ou un autre y compris la po sie La litt rature vite le pur r cit qu elle abandonne par exemple au roman anglais pour s ouvrir continuement sur l all gorie l apologue la parobole qui s en ser vent sans s y soumettre moins qu elle ne d bouche sur l essai qui n y renonce pas tout fait et qui en tout cas pr fere la dissertation complaisante sur les subtilit s du moi la s v rit impersonnelle de l abstraction Il faudra attendre que se r pande en France l influence h g lienne pour qu apparaissent des ouvrages purement techniques de philoso phie dont la valeur d passe celle de simples compilations acad mi ques Du r cit simple la technicit m taphysique le spectre est continu avec une forte concentration vers le centre l o ni l un ni l autre ne domine vraiment M me chez Descartes m me chez Pas cal le r cit impr gne le raisonnement discursif ne serait ce que sous la forme de l autobiographie intellectuelle o l v nement sub jectif affectif n est jamais s par de l v nement conceptuel au point parfois qu ils se confondent comme les Pens es le montrent l vidence L arch ologie du discours philosophique fran ais ne per met donc pas de rep rer des diff renciations d cisives ce n est que bien tard que le tronc discursif commun laissera reconnaitre l
122. val la trahison de Maldoror donne Elsseneur l envie de rechercher la mort sur les champs de bataille en cava lier style Moyen Age Comme il se doit Elsseneur se retrouve bien t t face face avec un autre cavalier qui finit par relever sa visi re et n est videmment autre que R ginald Dans quelles circonstances nous nous retrouvions Mais ton nom ne fut pas prononc Lui et moi nous nous jur mes une amiti ternelle mais certes diff rente des deux premi res dans lesquelles tu avais t le principal acteur Dans ce premier volet du r cit ce qui parait tre en jeu une nou 162 LAUTR AMONT velle fois c est la d nonciation des amiti s douteuses susceptibles de troubler les jeunes adolescents na fs et facilement blouis Rien n est pargn par Lautr amont pour souligner les deux p les du contraste entre un Maldoror vou au mal agent de destruction inhumain et des adolescents pleins d une confiance solide dans la vertu et encore anim s par une foi primitive R ginald par exem ple ne manque pas de faire une courte pri re au Seigneur pour lui recommander son me au moment o il se voit perdu Elsseneur lui m me signale au moment m me o la s duction op re une tenace terreur gt qui le saisit lt Pourquoi gt ajoute t il lt n ai je pas cout ces avertissements de la conscience gt 2 D ailleurs le secours d aux mes pures n a manqu ni
123. vers les bas fonds en face de l cueil de la haine la m chancet noire et hideuse Avec cette arme empoisonn e que vous me pr t tes Je fis descendre de son pi destal construit par la l chet de l homme le Cr ateur lui m me Le paradoxe prend toute sa dimension quand Ducasse rev t cet hymne aux math matiques de tout l humour sup rieur dont est capable sa m thode de r cup ration et de d tournement stylisti ques rien de plus litt raire que la d clamation que Maldoror leur adresse sem e de st r otypes de tics le mot apparait dans les Po sies de poncifs sous la forme de m taphores et d adjectifs rebattus qui font des math matiques une triple et f minine all gorie la mani re des mythologies de version latine lt l aide de votre lait fortifiant mon intelligence s est rapidement d velopp es Le comble de l ironie est atteint quand Ducasse les fait merger en pleine litt rature r crivant Musset pendant mon enfance vous m appar tes une nuit de mai aux rayons de la lune sur une prairie verdoyante aux bords d un ruisseau limpide toutes les trois gales en gr ce et en pudeur toutes les trois pleines de majest comme des reines Vous fites quelques pas vers moi avec votre longue robe flottante comme une vapeur et vous m attir tes vers vos fi res mamelles comme un fils b ni Alors j accourus avec empresse ment mes mains crisp es sur votre manne f c
124. 0201 S T 898I uoorvg ap opoqiatu v ans wss 8TI V AHO3IQg apiuawunadxo 20u2129 VT 9 91 ajuawunaadxo aU123patu v p uouonpo4iu 981 8 8I ISI 179 uv Nag saqdosojiqd 12 52151740 SI sno anod 3JP10W 8981 OA 9 sanbiqdosoniqd sa uaios sap oamuuono TS bp8I 681 608 1 ay XONVHJ puasamufui nojy ap sjuat2 1 OSSI 8981 uossreAew ied 319 JUIUUIUUOSIYA ap s32U23105 2 SUPP sapogiau saq OA Z CP oc 2 biuroauu ap sano v sgl J 13Wvunq SUBIO M N 20uz4J fo Cnsaaaiun agi fo Kgdosopiqd agi uO v48T S A3SWO SINOD lt auiseisnoujua T gt 98 o1jjno ap sadurjats xnv aanoN sop NPJ v 8I o1jjno ap 25124152 p sanon np NPA Zr8I aigdosopiqd ap sano 9 8I IE8I apats XIX nv Uri ua 1qdosonqd vj ap 24101514 ANS PSS gC8I C98 I P6L T Hq f Nouiwv q CP p 678 L 878T 100 eiqdosopigd v op 24101814 p UOHDHpOAIU 1981 uaig np nvaq np nao nq EGBI jury ap 21440504 tr8I OT8I SISI SMOD ataapou argdosopqd v ap 24101 14 1 ap SANON TpgT aiqdosoniqd v ap 24101814 p SANO gcgI aiqdosojqd ap siuawusr4T 978I 1981 2641 A NiSnOO AUUSIJPUOTJPA uu 1 P10 OUUSI PUIIPN SLSI sapriuatuvpuoj saapi sap 1u2142u10q2u2 IP 211A TOSI saourssiPuuo2 sou ap sjuatuapuof S ANS PSSI IST sa11 1qrqo4d sap 12 sa2urqo sap Pura v ap uoinsodxq pgI 95 24214 sap 3140241 v ap Sanbirusogru sadiouiAd s3 ans 24242422J 8 8I LL81T I08 I V LON3InOO uptung opuiisap v ap wu jqosd 27 O
125. 1 Maldoror Lucifer le Tentateur le S ducteur qui pr tend d voiler la sagesse quand il entraine en fait vers la Chute Maldoror c est le go t de l Enfer qui habite l homme le doux d sir de c der sa pente Ducasse joue de la dialectique Voici le vrai visage du mal dit il en montrant Maldoror apprenez le reconnaitre pour reconnaitre la puissance qu il exerce sur vous mais ne lui c dez jamais Il joue de la dialectique mais il sait qu il faut en Jouer avec prudence Sans doute per oit il d j cette tape de son tra vail la nature largement sophistique de ses arguments En d pit des mises en garde en d pit de la r serve qu en tant qu auteur il annonce lui m me comme constitutive de sa fonction et de son entreprise il sait quoi peut entrainer la lecture un oubli de la dialectique et de la distanciation une mise entre parenth ses de la raison Il n y aurait plus alors place que pour l identification pure et 42 LAUTR AMONT simple aux jouissances du h ros noir C est pourquoi il lui faut insister Sa place est depuis longtemps marqu e l endroit o l on remarque une potence en fer laquelle sont suspendus des chaines et des carcans Quand la destin e l y portera le fun bre entonnoir n aura Jamais go t de proie plus savoureuse ni lui con templ de demeure plus convenable gt H 1 On ne saurait prendre plus de pr cautions marquer avec plus de force les int
126. 2 Z PI 6981 je np 2w2j404d 27 8981 ajpu4a12 910 PT 981 uvg op ouyy LEST 6061 9181 3THAVN SAGTIUPUO4 79 sa8An1PluTA 0681 6Y8I 100 ST sopuopy xnaqq sop anao lt opots X X HP 2 PAOU 91PPJPU v T 6v8I S681 SZ81 4 In531NOJA ruseg f 1ed pea senatu sap anbistadriaw v op siuowdpuoj sap a3poo21d owburad uosivs rj ap anbin4 gvgI uisno Ip q Iureq f Ied per oA Z aweajqus np 12 nr q Hp 1u21u11U0s 2 ANS SUOTJPAAISGO Sap AANS u21428An np anbu 9ypgI bOSI T ZI INVM anbijqisap sno vgI ja ni u 1104 ap 5407 vC gI JEN np 12 uag np aureurnu aure 3p Sai n2ej sop nbra o ou sd aouaros e ap 3ursipud 5s nq senbigdosojyiqd so8uviaw ESI a eu Var a elc SZ ee ed 9708 UG AILES OR CR VA ee RC SIG UW eee ki QE OA z lt assaunol ep op nbiudosoriud snbayioriqig gt 11qeIN H d 99921 led sa8elano s s op ouraixo pry sptuuoq op 21qdosoliq q 9y vv8I Ko1gno 1ed p 5272 41402 s24242 9 81 878I lt pai j oo A jn mou gt syto 241 981 96LT 0LZT HI anu sJULUBPA 19 anbiydosopiqd 1ualuvIS2 apois X X MP IIUVAJ u2 aydosopyd r 9981 2Ph1QPY 2d 8E8T 3101814 V p nbisKqdrl tu v Hs SIPSST 9p LEBT 006L IS I NOSSIVAVM 0110243 PT OLSI uoimjoaa4 f 98I suoid1ja4 sap 2192 21 lv8T 22412404q BEGI SNAIASPUY 8I anmupumq ap 2410114 ap owjdosopugd r ams opp 18PIOH 9p uononpei 781 781 081 4 LINN siv uraf sajsiyraogy 52 ANS
127. 20 Parmi les disciples de Cousin nous avons d j cit Philibert Damiron Outre son Essai il faut mentionner son M moire sur Dumarsais qui t moigne de la permanence de la tradition rh tori que de m me que de l int r t constant qui par ailleurs fut accord par l Ecole la r flexion linguistique et logique de Port Royal dont la Logique et la Grammaire sont fr quemment cit es par nos auteurs Jules Barni d j cit pour ses tr s courageuses et exactes traduc tions de Kant s est signal par ses synth ses didactiques du kan tisme mais aussi par un ouvrage qui r v le l une des tentations de l Ecole d sireuse de fournir des fondements non seulement la morale priv e mais encore la morale publique dans la lign e de Kant d ailleurs La Morale dans la d mocratie Tentative d j ren due archa que d une certaine fa on par le d veloppement contem porain en Allemagne de la th orie de l Etat d lib r ment ignor e en France par l enseignement officiel comme tout ce qui pouvait se rattacher de pr s ou de loin Hegel philosophe asiatique pro pagandiste du n ant Barni collabora lui aussi La Libert de penser et se retrouva galement en exil D autres disciples du courant inaugur par Cousin feront des choix diff rents En vieillisant le spiritualisme durement malmen par la concurrence d autres philosophies conqu rantes comme le Positivisme ou par les fins de
128. 851 et son esth tique sombra dans l acad misme mais ses principes n en resterent pas moins dominants dans l enseigne ment qui recevait par ailleurs l influence persistante des th ories sur le Beau que l on pouvait d duire des th ses de Kant De m me pour la question du go t vieille notion h rit e du 18 si cle mais demeur e jeune au moins dans les manuels qui lui font r gu li rement une place importante Les Chants et les Po sies n chappent pas ces probl matiques Villemain qui fut lu l Acad mie en 1821 y pr c da son con temporain Guizot 1784 1874 lu en 1836 mais arriva apres lui la Sorbonne Guizot en 1812 et Villemain en 1816 Le nom de Guizot bri vement rappel ici doit souligner les parent s qui exis tent encore gr ce sans doute au syst me de l loquence entre les divers enseignements du temps philosophie litt rature histoire Sans que nous puissions y insister il convient de ne pas oublier que C est sur le terrain de l histoire que beaucoup de recherches conver 208 LAUTR AMONT gent alors histoire de la philosophie enseign e par Cousin histoire de la litt rature donn e par Villemain histoire tout court avec Gui zot puis Michelet Quinet Taine ou Renan sans oublier la linguis tique historique triomphante Ce n est donc pas un hasard si Ducasse lui aussi passe par le paradigme dominant quand dans Po sies il se fonde sur une r capitulation historique afin d
129. Alors comment lire Une seule ressource nous reste le d pouillement de la patience c est dire le refus de la h te interpr ter Aller aux textes l intertexte l histoire l archive des discours prendre les mots au mot essayer des prises Renoncer poser d embl e des coh rences symboliques trop massives ou anachroniques ne pas h siter d signer les lacunes les obscurit s les obstacles mais en soulignant les rencontres ventuelles quand elles parai tront clairantes Dans un temps f ru d incompl tude quel autre texte mieux que les Chants de Maldoror nous ram nerait alors aux premiers principes 2 Les r f rences aux Chants de Maldoror seront indiqu es d sormais de la fa on suivanre un chiffre romain ren verra l ordre des diff rents chants des chiffres arabes l ordre de chaque strophe l int rieur d un chanr donn Pour les Po sies nous indiquerons Po sies par PI et Po sies I par PII respectivement Ces sigles seront sui vis de chiffres arabes norant l ordre des diff renrs paragraphes Les renvois la bibliographie seronr indiqu s par un nom suivi d une date Les discours de la m thode Vous savez j ai reni mon pass 21 II 1870 Voil pourquoi j ai compl tement chang de m thode 12 III 1870 Les Chants et les Po sies ont une histoire Embrouill e confuse v ritable mati re de roman Mais les enjeux de l intrigue vont tr
130. I 1 Nul homme ne saurait suppor ter sans r agir de se trouver d masqu il est alors compr hen sible qu il n ordonne pas au calme d imposer les mains sur son visage m me quand la raison disperse les t n bres de l orgueil II 1 La conception globale de l homme que se fait Ducasse est donc avant tout d essence morale puisqu un certain dosage de bien et de mal suffit la caract riser C est sur la base de cette v rit qu il d p che son lt h ros gt charg de la rappeler l homme de mani re insistante militante et pol mique Ducasse ne se trompe pas sa d marche s accorde merveille avec la th orie r gnante chez les 7 Sans omettre Baudelaire lt Au lecteur gt Hugo Pr face de Cromwell Gautier Mademoiselle de Maupin etc LA SOIF DE L INFINI 39 crivains contemporains depuis Baudelaire qu il d noncera dans les Po sies mais non sans un reste de tendresse admirative dont il ne fait que reprendre l argumentation de l adresse au lecteur lt mon semblable mon fr re gt jusqu aux pr curseurs du naturalisme peindre le mal ce n est tout prendre que repr senter la r alit et l artiste ne saurait tre tenu responsable des aberrations de la nature humaine telle qu elle s exprime dans la vie sociale On voit cependant que Ducasse s en tient des consid rations d essence m taphysique son objet c est l homme en g n ral d ter min en fonction de son rapport au b
131. LA MAXIME ET LE R CIT 69 d arriver chaque jour pendant quelques heures et cela se passa gt La strophe s ach ve donc en parabole comme presque toujours en soulignant ainsi le caract re minemment id ologique de l entre prise alors qu il ne s agissait premi re vue que de fiction Le r cit marche au pas de la le on qu il porte Autre lecon celle de l hermaphrodite de la strophe sept lecon dont Lautr amont nous laisse entendre qu il ne fait ici que l esquis ser sans pouvoir la d velopper dans toutes ses cons quences Peut tre un jour l aide d un livre volumineux raconterai je ton histoire pouvant de ce qu elle contient et des enseignements qui sen d gagent Mais pourquoi cette pouvante Peut tre parce que cette histoire oblige contempler l impossible r fl chir sur ce qu il en est de l irr ductible diff rence qui fait la contradiction sans solution de la nature humaine On pense ici souvenirs classiques qui ont pu tre ceux de Ducasse Endymion Adonis et sa r incarnation dans la Zambinella de Balzac plus sans doute qu l hermaphrodite princeps des M tamorpboses d Ovide IV 383 Chez Lautr amont pourtant le d cor est l c est dire le bosquet le gazon et la lumi re de la Lune comme dans la tradition alexan drine Mais il s y ajoute dans les Chants la dimension nouvelle et moderne de l interdit et de l horreur qu il sugg re tout en faisant d sirer
132. LAUTR AMONT Ethique Maldoror MICHEL PIERSSENS LAUTR AMONT Ethique Maldoror PRESSES UNIVERSITAIRES DE LILLE PIERSSENS Michel Lautr amont thique Maldoror Michel Pierssens Lille Presses Universitaires de Lille 1984 228 p 14 x 24 cm Objet Bibliogr ISBN 2 85939 255 6 LAUTREAMONT Isidore Ducasse dit le comte de 840 lt 18 gt Du m me auteur La Tour de Babil Ed de Minuit coll Critique gt Parus 1976 Je tiens remercier ici tous ceux qut ont rendu possible la r alisation du pr sent travail en particulier C DUCHET et PH BONNEFIS C LANGLOIS et IBM J CARDUNER et la Rackham School of Graduate Studies de l Universit du Michigan Ann Arbor dont le g n reux soutien a permis les recherches effectu es en vue de cet essai ainsi que sa publica tton O Presses Universitaires de Lille ISBN 2 85939 255 6 Livre imprim en France Avant propos Les vampires meurent aussi L criture est toujours de quelque mani re marqu e d un rapport au pass et se fait volontiers disposition m me du pass soit qu il s agisse de s en d barrasser soit qu on le r ordonne Ecriture m moire am nagement des territoires du souvenir collectif ou silencieux travail de l oubli La criti que traditionnelle traduisait trop simplement cette complexe relation en faisant la chasse ce qu elle nommait les influen ces La g n alogie des
133. M thode Morale Po sie tels sont les termes de l quation qu il se propose de r soudre et en vue de quoi il lui faut trouver le moyen de r orienter de mani re rationnelle la pratique d criture La maxime contre les diables en carton Sans doute Ducasse n est il pas proprement parler un philoso phe Il est clair que pour lui la po sie garde la premi re place au point m me en certains passages des Po sies de se voir attri buer un r le fondateur y compris l gard de la logique et de toutes les sciences dites alors sp culatives ou appliqu es Une logique existe pour la po sie Ce n est pas la m me que celle de la philosophie Les philosophes ne sont pas autant que les po tes Les po tes ont le droit de se consid rer au dessus des philosophes PII 151 Il n en reste pas moins que les instruments intellectuels avec lesquels il op re demeurent ceux que l cole ou ses lectures lt sauvages gt lui ont appris reconnaitre pour essentiels ll en bou leverse jusqu un certain point les relations il n en pr serve pas moins la liste S il existe une lt r volution gt ducassienne elle se d roule tout enti re sur le terrain de la philosophie traditionnelle et n en transgresse aucun moment les bornes On comprend par cons quent qu il faudra prendre au s rieux la terminologie utilis e par Ducasse une terminologie qu il n invente pas tout seul Il faudra tenter de saisir
134. Mais ce qu il nous reste maintenant reconstruire c est la facon exacte dont l id ologie structure effectivement et conjointement en d pit des apparences la fois les Chants et les Po sies travers toutes leurs contradictions Nous ne saurions d ailleurs trop insister sur ces con tradictions ces flottements ces bavures Leur pr sence est vi dente surtout dans les Chants car il est clair qu ils n ob issent pas sans t tonnements ni peu pr s la strat gie qui oriente le d velop pement global du texte C est dire que les d terminations id ologi ques ou philosophiques de chaque strophe ne sont pas imm diate ment transparentes ce que suffirait prouver l extraordinaire diversit des commentaires suscit s par la lecture des Chants depuis un demi si cle Pratiquement le statut de chaque strophe consid r e comme traduction dans le langage de la fiction d une strat gie discursive sous jacente devrait tre chaque fois lucid de mani re sp cifique Certaines strophes se contentent peu de chose pr s de d calquer les sch mas extrapol s d oeuvres pr existantes qui servent alors de mod les pour ce que nous appellerons la mise en fiction du th me Il s agit alors d oeuvres que Ducasse a coopt es en leur reconnaissant un statut identique la sienne elles rel vent de la nouvelle m thode oppos e celle de la vieille cole En les imitant de loin Ducasse se contente de f
135. Maldoror depuis le d but du livre Mais quand l homme reprend la parole nous d couvrons une tout autre perspective qui complique de beaucoup l attribution des identit s Reprenant son attaque l homme y ajoute une r cusation des pr tentions de celui qui se pr sente comme son cr ateur et son bienfaiteur Non non je ne me trompe pas et malgr les m tamorphoses multiples auxquelles tu as recours toujours ta t te de serpent reluira devant mes yeux comme un phare d ternelle injustice et de cruelle domination Plusieurs hypotheses sont possibles partir de l le serpent ainsi attaqu peut tre une nouvelle incarnation de Maldoror la fin de la strophe lui attribuera des crimes typiques ce peut tre Satan il en a tous les attributs mais ce peut tre tout aussi bien le Cr a teur lui m me et dans ce cas son interlocuteur ne serait autre que Maldoror Le Cr ateur parce qu il est nouveau accus des m mes faiblesses et cruaut s que dans certaines strophes des chants pr c dents Quand l accusateur s exclame Il a voulu prendre les r nes du commandement mais il ne sait pas r gner Il a voulu prouver que lui seul est le monarque de l univers et c est en cela qu il s est tromp nous croyons entendre nouveau les invectives et les sarcasmes adress s au Cr ateur sao l Quand il s agit de rap peler un crime commis sur sa Jeune pouse et son fils en bas ge
136. N EN PARTIE DOUBLE 123 incompris et crucifi D abord c est l homme qui l a poignard lt quand il a su que j avais fait v u de vivre avec la maladie et l immobilit jusqu ce que j eusse vaincu le Cr ateur Mais si l homme a ainsi perfidement attaqu Maldoror c est en se m pre nant sur son compte et ici nous retrouvons une th matique qui tait largement pr sente dans le premier chant lt pour t instruire et te pr server r fl chis au sort fatal qui m a conduit la r volte quand peut tre j tais n bon Maldoror n est pas radicalement vou au Mal s il s y est engag c est parce que ses semblables lui ont montr la voie par leur inhumanit il ne fait donc que leur rendre ce qu ils lui ont donn En attaquant Dieu c est au cr ateur de l homme que Maldoror sattaque pour revendiquer contre lui les droits d une humanit authentique non d raisonnable non pervertie Maldoror n est que l ange r volt par exc s d id al d u Aussi dans la pr sente strophe aspect christique toujours Maldoror veut il r chauffer sa t nacit la flamme du martyre volontaire Ducasse exploite vi demment ici l image st r otyp e de Job demandant Dieu des comptes sur l injustice qui lui est faite pour mieux mettre en vi dence la profonde m chancet humaine Le mal qu a fait l homme ne peut plus se d faire gt Tout le texte n est donc qu un apologue servant renforcer
137. OR o9 oa WU 9 09 NU G S 903 W 9 5 595 5 5 R 1 5 5 189 189 196 203 204 205 208 211 212 215 Collection OBJET Titres parus Comme Maupassant par Philippe Bonnefis Voltaire soi disant par Jean Michel Raynaud Proust et ses lettres par Alain Buisine Villiers le Taciturne par Jean Decottignies Francis Ponge lt Actes ou Textes gt par Jean Marie Gleize C Bernard Veck Sterne ou le vis vis par Jean Claude Dupas Titres d para tre Stendhal Armance L auteur encombrant par Jean Bellemin No l Quelqu un danse Les noms de Franz Kafka par Jean Michel Rey La collection OBJET est dirig e par Philippe Bonnefis ACHEV D IMPRIMER SUR LES PRESSES DE L UNIVERSIT DE LILLE 3 OUVRAGE FA ONN PAR L IMPRIMERIE CENTRALE DE L ARTOIS RUE Ste MARGUERITE A ARRAS D P T L GAL 4 TRIMESTRE 1984
138. Sur les trois esp ces d vidence vidence de fait vidence de rai son vidence d analogie 4 Sur les trois esp ces de certitude certitude physique certitude m taphysique certitude morale 5 Enfin sur les trois objets de la connaissance humaine substan ces modes rapports ou ce qui signifie la m me chose probl mes faits et lois A Jacques 1846 La m thode autrement dit jouit du statut de la servante mai tresse pr sente dans tous les actes de la pens e d s qu il y a mouve ment vers la connaissance elle reste pourtant dissimul e offusqu e par les vidences clatantes qu elle permet d atteindre Si le jeu phi losophique ne poss de qu une r gle elle n est d couvrir nulle part ailleurs que dans le maniement de cet auxiliaire modeste mais tout puissant En faisant l analyse de sa m thode pour d cider d en changer Ducasse se place donc de mani re d cisive dans le champ du discours philosophique m me s il ne s agit de r former qu un domaine assez restreint celui de ce qu on appelle alors la morale particuli re ou appliqu e pour montrer que la litt rature en rel ve n cessairement Science pratique tout comme la morale et soumise au r quisit de la m thode tout comme elle La m thode poss de ainsi en quelque sorte une immanence structurelle du moins aux yeux des p dagogues r dacteurs de programmes officiels Mais ils ne font sur ce point que reprendre
139. TR AMONT lieu tres diff rentes il s agit tant t de lt cath drales gt tant t de basiliques tant t encore d glises ou m me de mosqu es sacr es sinon de mis rable pagode Peut tre faut il en conclure que Ducasse entend s en tenir des allusions d ordre g n ral une divinit indiff rente aux confessions qui pr tendent la repr senter Fid lit une position que l on ne peut qualifier que de spiritualiste sans plus Ducasse fera en effet toujours la diff rence entre la croyance en Dieu dont il affirme la n cessit et celle qui s attache des dogmes trop sp cifiques Il le dira tr s directement dans les Po sies alors qu il y appelle ne pas renier la sagesse de Dieu il pose que les religions sont le pro duit du doute de m me que le principe des cultes est l orgueil H attribuera d ailleurs la divinit un nom nouveau lt Elohim gt qui vite les r f rences quelque culte particulier que ce soit Le cadre th ologique dans lequel il faut situer la strophe et les v ne ments qu elle contient n est donc pas celui qu une religion sp cifique aura pos d avance Seuls certains l ments textuels ou figuraux se trouvent repris la tradition chr tienne mais c est pour tre mis aussit t au service d une d monstration de port e philosophique tout fait g n rale Nous constatons ainsi que la lampe rencontr e dans cette strophe s
140. TR AMONT veau dans le sens de cette litt rature sublime qui ne chante le d ses poir que pour opprimer le lecteur et lui faire d sirer le bien comme rem de Ainsi donc c est toujours le bien qu on chante en somme seulement par une m thode plus philosophique et moins na ve que l ancienne cole dont Victor Hugo et quelques autres sont les seuls repr sentants qui soient encore vivants M thode plus philosophique et moins naive Pensons la grue de la premi re page des Chants qui parce qu elle n est pas b te prend ainsi un autre chemin philosophique et plus s r C est donc le progr s d un raffinement au niveau des principes directeurs que Ducasse cherche souligner en faisant porter toute l attention sur la variabilit essentielle de la tactique par rapport un objectif fondamentalement moral qui lui n aurait jamais vari Simple question de chemin La d couverte de ce niveau o la m thode s articule avec une relative ind pendance transforme le tra vail de l crivain la spontan it aveugle du d sir du bien succ de le raffinement d un art de persuader Ducasse ne se sera pas pour rien montr le lecteur attentif de Pascal litt rature et philoso phie prennent ici la mesure l une de l autre Les Chants nous dit Ducasse ont t conqus et r alis s en fonction de principes d j am lior s gr ce une m thode moins simplette que l ancienne Les Po sies devraient fa
141. a ainsi m diter sur notre temps comme sur le sien tous deux hant s par la menace de la lt crise gt et de ce que les Po sies appellent les caducit s Ducasse a donc connu une forme trange de survie son uvre traversant successivement toutes nos modernit s une fois ramen e l tat de morceaux choisis Il faut r fl chir le processus de ce d pe age car rares sont les textes qui ont ce point subi une pareille dislocation effectu e sous la pres sion d une m moire s lective Tout s est pass comme si l uvre totalit complexe et pourtant articul e n existait pas dans un ailleurs qui demeure explorable une distance qui demeure mesurable D v ts du surr alisme ou supp ts de Tel Quel les lecteurs ont pr f r voir en Lautr amont un m t ore surgi d une alt rit radicale porteur d une sub version sans compromis poseur de bombes messager de la Diff rence absolue Ne rien chercher savoir de Ducasse tel fut m me l imp ratif surr aliste tant il fallait pr server la nuit blouissante d ou l ange avait surgi Le texte ne pouvait deve nir proph tique que s il demeurait inexplicable toute coh rence d truite toute continuit irrecouvrable La th orie sur r aliste de l image s appliquait ce point trouver sa confir mation dans les Chants qu elle fit de ceux ci un grand champ de fragments chaotiques n entretenant entre eux que le c l bre rapport de la machin
142. a m ta phore animale Ducasse soutient la rh torique discursive imma nente ses Chants qui y voit le seul moyen d entrer dans les contra dictions humaines pour les faire clairement saisir par l effet d estrangement de mise distance transgressive ainsi op r e La recherche du choc se veut strat gie du salut appel la raison au travers des spectacles insupportables de l imagination pros lytisme paradoxal Une telle strat gie ne peut se construire que sur une tactique de 100 LAUTR AMONT l exc s Chaque mise en sc ne doit forcer tous les traits le bien doit tre ang lique le mal satanique la contradiction une torture C est l univers romantique traduit en hyperboles simplifiantes o les discours sont devenus m taphores Ainsi des deux fr res venant sur terre anim s de d sirs vang liques pleins de leurs proph ties ils ne manquaient pas de trouver des occasions o ils se repentaient am rement de leur bienveillance m connue et conspu e Nous les voyons suivre ainsi le sch ma biblique mieux qu aucun autre h ros romantique Leur amiti est elle m me un mod le idyllique chacun prend autant d int r t la vie de l autre qu sa propre vie maxime d j prouv e II 14 l occasion de la tentative de suicide de Holzer sauv par Maldoror C est bien en effet le m me d sespoir qui se rencontre chez ces figures id ales auxquelles Maldoror tente d insuff
143. a th orie philosophique ainsi d fendue apr s avoir montr qu une tactique bien d termin e r pondait aux besoins de la strat gie question de m thode avons nous dit la suite de Ducasse dans ses lettres Le chant second doit maintenant nous tre l occasion d un approfondisse ment du rapport tr s sp cial qu entretiennent dans toute l uvre l imp ratif philosophique et limp ratif litt raire Comment Ducasse fait il de la litt rature avec ses id es Comment parvient il faire passer son message tout en respectant les r gles d un genre de lt po sie gt qu il s attache d voyer subvertir de l int rieur Il nous faut convenir que de telles questions sur lesquelles la notion de plagiat n est pas sans incidence n engagent pas le m me type d investigation th orique que celles pos es par un texte qui ne se donne pas a priori pour objectif de propager des id es bien arr t es l avance Dans ce dernier cas l inscription id ologi que n occupe pas de position topique alors que les Chants tout l inverse sont un texte programme une uvre th se fond e sur une articulation explicite de repr sentations qu il ne s agit pour Ducasse que d illustrer pour les d montrer Sch matiquement l op ration se ram ne ceci les premiers principes de la philosophie de Ducasse se trouvent soumis par lui 56 LAUTR AMONT la ruse d une lt m thode gt qui cons
144. a vraie force du myst re de l crit Grande toile des textes toujours reprise que chaque texte nouveau d fait et refait au long de ses nuits en attente Maurice Blanchot Georges Bataille sont de ceux qui ont su faire entendre cette f conde inqui tude qui fait de l uvre gt et du lt d soeuvrement gt une seule r alit probl matique Mais c est plus g n ralement tout notre si cle en tant qu il s est voulu moderne qui s est fait m fiant devant les gloires trop lumineuses les vidences trop indiscu tables des histoires bien ordonn es Chaque g n ration d cri vains a ce faisant renvers le sens de la belle ordonnance classique en refusant les anc tres que la g n ration pr c dente lui proposait pour aller choisir elle m me d j illustre ou encore inconnu tout son lignage Le nouveau s invente d sormais un pass plein d nigmes de torts redresser de textes perdus reconqu rir sur la m connaissance obtuse des pr c desseurs D j en inventant Ossian un certain roman tisme manifestait la dynamique d un mouvement qui poussait ses ruptures jusqu se refaire un pass quelque part dans l imaginaire M moire blouie de ce qu elle s invente la litt rature se joue contre de nouvelles profondeurs Le surr alisme aura t le degr extr me de cette fi vre Sa r volution aura d capit en masse les locataires du Panth on installant leur place des figurants nouveau
145. act re humain de l homme identifi sa capacit de faire fonctionner ses facult s au maximum de leur rendement Or ces facult s sont essentiellement celles qui d finissent la conscience et l veil de la raison Tout le th me de cette strophe pourrait ainsi se r sumer une paraphrase de la c l bre gravure de Goya Le som meil de la raison engendre des monstres gt Lautr amont est d accord sur ce point avec l analyse que fait du sommeil la psycholo gie classique celle qu expose entre autres le Manuel de Philosophi que que nous avons d j cit Ainsi quand la conscience d faut l approche du sommeil par exemple mesure qu elle s teint par degr s la pens e s obscurcit avec elle et le sentiment expire p 56 Contre l abandon aux forces du sommeil et du r ve Lautr a mont pr ne donc la r sistance par le renforcement de la volont et du libre arbitre il m arrive quelquefois de r ver mais sans perdre un seul instant le vivace sentiment de ma personnalit et la libre facult de me mouvoir atome qui se venge en son extr me faiblesse le libre arbitre ne craint pas d affirmer avec une autorit puissante qu il ne compte pas l abrutissement au nombre de ses fils celui qui dort est moins qu un animal ch tr la veille On ne saurait faire avec plus de force le partage entre l humain et l inhumain du sommeil ni opposer avec plus de brutalit le concept dassique de la con
146. agistrale dans la mesure o elle reste fid le au st r otype tout en le gauchissant de maniere grin ante Oui je sens que mon me est cadenass e dans le verrou de mon corps et qu elle ne peut se d gager pour fuir loin des rivages que frappe la mer humaine et n tre plus t moin du spectacle de la meute livide des malheurs poursuivant sans rel che travers les fondri res et les gouffres de l abattement immense les isards humains Mais je ne me plaindrai pas J ai re u la vie comme une blessure et j ai d fendu au suicide de gu rir la cicatrice Je veux que le Cr ateur en contemple chaque heure de son ternit la crevasse b ante C est le ch timent que je lui inflige Notons ici comme nous l avons d j fait propos de II 14 que la th matique du suicide est curieusement d tourn e par Ducasse Dans le courant romantique le d sesp r joue avec l id e de sa pro pre suppression sans en faire l enjeu d une possible r volte contre Dieu ou la Providence c est le suicide lui m me qui est la marque FICTIONS C LESTES 101 d une telle r volte Ce fait transforme en sympt me la d viation que Ducasse fait subir au st r otype et il laisse apercevoir par l ce qu est fondamentalement sa position r cup ration de la rh tori que romantique et d tournement au profit des forces du bien Mais l insistance sur l exc s de la douleur sur la pr valence universelle du Mal etc ne devrait pousser qu
147. ailleurs pas l et il ne se contente pas de cette d rogation d j consid rable aux r gles du genre qu il cherche renouveler Il ne lui suffit pas en effet de mettre en sc ne les aventu res de deux forces monolithiques dans leurs affrontements specta culaires ces forces ne sont d ailleurs monolithiques qu en appa rence puisqu elles se ressemblent Mais l une Maldoror 38 LAUTR AMONT avoue son m lange inextricable de cruaut de m chancet sponta n e et d aspirations simultan es vers le bien tandis que l autre l Homme refuse de se reconnaitre une pareille nature compo site et rebelle l analyse Il lui faut encore intervenir lui m me dans les enjeux et gloser sur le produit qu il pr sente Cette premi re stro phe du chant deuxi me est ainsi le d ploiement d un g n rique complexe o se tressent un bilan les grandes lignes d une th orie morale et m taphysique une glose d auteur et une apostrophe directe de cet auteur l Homme hypostasi en lecteur d lite rap port d tape qui enregistre les effets produits sur l homme par le chant premier L analyse de ces effets conduit alors une explicitation des causes qui les ont produits Elles r sident tout enti res dans le traumatisme d une r v lation morale L homme dit Lautr amont ne se reconnait plus lui m me gt mais ajoute t il lt Ce n est pas sa faute Dans tous les temps il avait cru les paupi
148. aines raisons doivent videmment tenir la nature m me de l engagement de Ducasse du c t du bien la violence de son reniement atteste r trospectivement que c tait l le moteur authentique et premier de son entreprise S il en vient abandonner m thode apr s m thode c est qu il s estime Jou aucune ne r pond aux ambitions qu elle affiche Il devient d s lors vident pour Ducasse que ce qu il faut r former ce n est plus tant une m thode que l conomie m me de la litt rature dans son rapport aux pre miers principes gt la lt logique gt la science C est l le texte et peut tre le sens des Po sies D autres motivations tiennent sans doute des r alit s moins le v es Elle n en sont pas moins d une grande force puisqu il s agit d argent Au d part du fait m me de son adh sion une m thode dont il pouvait voir tous les jours le succ s Ducasse n entretient aucun doute sur la valeur commerciale de l ouvrage qu il est en train d crire ni sur la r ception que le public pourra lui faire C est dans cet esprit qu il crit Verboeckhoven le 27 octobre 1869 Puisque les circonstances ont rendu l ouvrage digne jusqu un certain point de figurer avantageusement dans votre catalogue je crois qu il peut se vendre un peu plus cher je n y vois pas d inconv nient M me perspective lorsqu il entremet la criti que dans sa strat gie puisque dans une lettre au m me corres
149. ais Louvre Carrousel puis quelque abattoir recul Quant au huiti me et dernier cha pitre on sait assez qu il a pour quasi personnages la colonne Ven d me et le D me du Panth on Les personnages qui apparaissent dans ces chapitres ne peuvent cependant plus se ranger dans des cat gories accept es du roman feuilleton l exception peut tre du fou Aghone La fiction d tra qu e machine devenue folle fait alors intervenir un coq un crabe tourteau un hippopotame divin etc L hyperr alisme s abime dans sa propre caricature et l auto d nonciation Le r cit en poursuivant sa course acc l r e vers l ach vement transf re peu peu toute l attention du d cor et de la psychologie la n cessit strictement combinatoire de la r solution des nigmes Ce qui pouvait passer pour les contenus des r cits s efface devant la transcendance r v l e de ce qui n est plus que forme en tant que telle Du m me coup les conventions du r cit lieux temps personnages psycho logie dont les processus d criture paraissaient avoir pour charge de naturaliser l arbitraire s exhibent tout coup pour ce qu elles sont codes et formalismes que Ducasse ne s efforce que de d non cer pour tels gr ce une analyse en acte de leur puissance d ali na tion Ce que Ducasse met au jour c est l id ologie romanesque comme fonction des formes machine cr er de l illusion Un gouffre se creuse entre le r cit et l a
150. al fique Ducasse se d bat avec cette incontournable obsession dont il veut retourner les effets arriver un tel exc s que le mal s y puise de lui m me pour se sublimer comme en un processus alchimique dont le lecteur serait le premier mat riau La fiction poss de ses yeux une vertu d effacement des m diations qu il s efforce de raffi ner C est pour cela qu il en vient pratiquer une mise en fiction qui se creuse d une distance soi m me par l effort de la purification il s agit de distiller le poison le plus puissant possible De l l apparition de formes qui rel vent en fait de la m ta fiction d nu dement des formules des trucs effet en tant qu armes morales sup rieures Si Ducasse en vient donc manipuler avec brutalit les formes fonctionnelles qu il h rite de ses devanciers commencer par Byron ce n est d abord comme l a cru Tel Quel ni par d rision ni par volont de r cusation critique qu il les violente ainsi c est pour faire qu elles agissent avec plus d efficacit Voil le carrefour de la premi re et la plus radicale des m prises comprendre le m canisme de la d formation des sch mes post romantiques op r e par Ducasse mais n y voir que le travail d une ironie rageuse L ironie viendra bien vers la fin mais ce qui aura tout mis en mouvement c est le tremblement moral du sujet Ducasse son effroi devant les nigmes avec lesquelles joue la litt ra tur
151. ale et toute une esth tique La dixi me strophe des Chants tente cette d monstration d ailleurs devenue classique chez les philosophes du temps h ritiers de Kant sur ce chapitre Bien entendu l hymne fameux aux math matiques n est pas offert tel quel si la ruse m thodologique de Ducasse doit rester fidele ses pr misses il lui faut travailler l ins rer dans le contexte satanique qui a produit jusque l la tonalit caract ristique des Chants Fait absolument insolite pour un h ros romantique m me vou au mal c est Maldoror lui m me qui se fait ici le porte parole de la rationa lit lt Arithm tique Alg bre G om trie trinit grandiose triangle lumineux Celui qui ne vous a pas connues est un insens gt Le paradoxe de l entreprise ducassienne est ici son paroxysme nulle fr n sie vague n est l origine de la haine de Maldoror pour l humanit nulle blessure secr te qui s exprimerait par l incoh rence d affects violents ou des fantasmes d autant plus destructeurs qu ils seraient moins pr cis Maldoror n est pas un nouveau Ren poursuivant des fant mes qui lui chappent et son but est remar quablement pr cis faire mal aux hommes cause de leur goisme cause de leur m chancet et pour ce faire les math mati ques seront la ressource morale o puiser la volont d agir A l aide de cet auxiliaire terrible je d couvris dans l humanit en nageant
152. alit et l efficacit de sa m thode et peut tre n en viendra t il l abandonner que sous la pression des m canismes de langage auxquels sans trop les ma triser il aura donn lieu Pour l heure de tels fragments fonc tionnent comme des sympt mes qui mettent clairement au jour la probl matique sous jacente en d chirant de leur tranget le tissu du d j vu effet d Unbeimlichbe qui tout coup creuse le discours du M me qui n a que provisoirement le dernier mot ne pense qu aux marcassins de l humanit le degr d intelligence qui les s pare des autres tres de la cr ation ne semble t il pas ne leur tre accord qu au prix irr m diable de souffrances incalculables Imite mon exemple et que ton peron d argent s enfonce dans les flancs de ton coursier Nos chevaux galopaient le long du rivage comme s ils fuyaient l oeil humain gt La strophe la plus conforme au st r otype est donc en m me temps celle qui amorce le plus fermement sa d sagr gation De cela peut tre un autre signe en est il l apparition du premier des beau comme rarement not je ne vois pas des larmes sur ton visage beau comme la fleur du cactus La strophe suivante va elle aussi travailler au triomphe in AM des forces du Bien dans leur travail de reconqu te d un terrain domin par le d sespoir les th ories sur l indiff rence ou la cruaut de Dieu Dans le contexte d un r cit qui parait
153. and Ducasse utilise ainsi des termes ou des syst mes de comparat FICTION EN PARTIE DOUBLE 117 son d allure scientifique pour d crire des ph nom nes lt naturels gt la fiction il ne fait pas qu appliquer un nouveau langage ou un nou veau discours des structures classiques en toute po sie il cherche r int grer cette derniere dans l intelligibilit rendue possi ble par les r volutions pist mologiques de son temps telles qu il les comprend Pour Ducasse des probl mes tels que celui de la comparaison ou de la m taphore sont des probl mes essentiels qui requi rent toutes les ressources de la litt rature elle m me pour pouvoir s explorer sans pourtant que ces probl mes soient de nature fondamentale ment diff rente de ceux que la science rencontre ne voit on pas que le laborieux morceau de litt rature que je suis composer depuis le commencement de cette strophe serait peut tre moins go t s il prenait son point d appui dans une question pineuse de chimie ou de pathologie interne Autrement dit comparaison et m taphore sont des choses s rieuses m me quand elles ont une apparence bouffonne et la solidit de leurs fondements est plus pr cieuse que l clat vasif dont elles se contentent parfois Voil donc le premier versant de la r ponse de Ducasse aux ques tions soulev es par un cart rh torique qu il a exp rimentalement exag r dans la premi re phrase de la stro
154. ans les nombreux moments de son enseignement consa cr s Kant Cousin fera bien voir comment la psychologie appuy e sur les r gles de la raison peut unifier la recherche et la connaissance de l homme et ce malgr le lt scepticisme gt qu il reprochera Kant tout en en vantant la m thode qui survit aux vices de ses applications 2 Victor Cousin en continuant de s opposer l empirisme se r ciame de plus en plus de Descartes ou plut t d un cart sianisme allant se confondre avec celui de Bossuet gt M Vallois La Formation de l influence kantienne en France CONCLUSION 207 L homme est un univers en abr g la psychologie est la science universelle concentr e La psychologie contient et r fl chit tout et ce qui est de Dieu et ce qui est du monde sous l angle pr cis et d ter min de la conscience tout y est l troit mais tout y est Introduction l histoire de la philosophie lecons de 1828 et 1829 La tradition psychologique fran aise fondue la raison pure kantienne tel est le fondement de la doctrine de Cousin dont nous retrouvons de nombreux chos chez Ducasse Maine de Biran et Cousin aussi importants qu ils soient pour notre sujet ne sont pas cependant les seuls auteurs dont la pens e ait exerc une influence sur la formation de la philosophie universi taire qui trouve son aboutissement canonique dans des ouvrages comme les manuels scolaires d A Jacques de
155. ans un peu de vertu m me si le mal domine largement Au moins existe t il une lueur d espoir et seule la raison qui ne laisse rien dans le vague pourra tirer les le ons qui conviennent parce qu elle ne s en laissera pas imposer par des simulacres Le secret est d couvert Tout est expliqu les grands comme les plus petits d tails Nous ne laisserons pas cette strophe sans noter que la pratique mise au point d s le d but du chant trouve ici son prolongement car l analyse gt y a sa place Elle porte d abord bien s r sur le style lui m me Commentant sa propre question l ombre qu il aper oit Maldoror pr cise c est moins pour la majest de la forme que pour le tableau de la r alit que la sobri t du style se conduit de la sorte gt Nous l avons d j vu l affinement des formes d expression est affaire de v rit de respect de la r alit Mais la r alit n est pas pour Ducasse simplement ce qui est l Comme l homme comme tout dans la nature cr e elle est contradictoire Pour dire le vrai sur le r cit il faut donc passer par une complexifi cation linguistique qui est d abord une machinerie logique il ne faut laisser chapper aucun des possibles Le probl me du style devient alors celui d une lutte contre la lin arit narrative qui ne veut consid rer qu une seule chose la fois un seul c t des 126 LAUTR AMONT choses Ducasse cherche au contraire ouvrir s
156. ant Texte de transition donc et qui pour cela logique ment participe la fois des deux grands moments qu il articule De la premi re partie du livre ce que nous retrouvons dans ce chant cest videmment la critique de l homme et la mise en accusation de Dieu la d monstration des puissances du mal De la seconde partie ce qui s annonce au contraire c est un certain mouvement de recon qu te de l esprit positif une venue au Jour de ce qui a toujours anim l entreprise profonde de Ducasse mais ne s est encore mani fest que de mani re allusive ou parabolique appel la raison prise de contr le de la part du scripteur sur les moyens m mes de l cri ture Restauration philosophique d un c t profonde mise en ques tion de la rh torique de l autre Ces deux versants finiront par se fondre dans l unit d un art po tique qui voudra assurer le triomphe de la raison du beau du bien Cela ce sera le retourne ment gt des Po sies Simultan ment la distance qui permettait de distinguer sans ambiguit entre Ducasse et Lautr amont se brouille quelque peu dans le discours de Maldoror plusieurs voix se profilent mainte nant chacune selon son rythme ses ent tements le bien et le mal la raison l criture et la po sie Il deviendra de plus en plus difficile de les d m ler mais cette st r ographie est l annonce d une redistri bution des enjeux et des th ses de l effacement de la dialectique qui anima
157. antique qui a voulu faire par crit l exp rience d une r volte dont son personnage seul doit souffrir En d pit de ces myst res il est clair que le geste de Maldoror est avant tout un geste de d fi adress Dieu ou plut t une certaine id e du rapport entre Dieu et les hommes entre la conscience et ce qui n est pas elle jamais la blanche catacombe de mon intelligence n ouvrira ses sanctuaires aux yeux du Cr ateur u moins il est av r que pendant le jour chacun peut opposer une r sistance utile contre le Grand Objet Ext rieur mais la nuit notre porte est ouverte la curiosit farouche du C leste Bandit Dieu prend ici tous les dehors de Satan son aspect nocturne son c t vampiri que Comment comprendre cette d nonciation Nous croyons qu il faut en saisir le sens partir de ce que nous savons par ailleurs de la position de Ducasse D j dans le chant premier nous apprenions que les hallucinations dangereuses peu vent venir le jour mais elles viennent surtout la nuit remarque minemment anti romantique puisqu elle prend le contre pied de toute une veine th matique essentielle ce mouve THIQUE ET FICTION 143 ment Comme Musset fatigu d une certaine mode disait en avoir assez des amants de la nuit Lautr amont en devenant Ducasse se d chaine contre ce culte mais avec infiniment plus de force Ce n est qu en admettant la nuit physiquement
158. arablement Ducasse pariait sur l inach vement de l criture comme instrument et preuve d une authenticit en devenir D s uvrement rendant toujours 190 LAUTR AMONT plus lointain un toujours plus beau Livre Le livre lui est toujours entach de facticit tandis que l criture en recherche br le de v rit empreinte emport e d un fi vreux questionnement L affirmation qui soutient l lan ravageur des Po sies est en effet une interrogation radicale qui sollicite toutes les assises toutes les certitudes les r putations paresseuses et les pens es indolemment assur es ffirmer pour Ducasse c est acc l rer la corrosion des discours p rim s Quelque chose de dur de cristallin doit se d gaer de la gangue des alluvions trompeusement litt raires une sagesse aux formulations tendues indiscutables faites de mots aux vibrations s ches Affirmations et refus scandent donc les Chants mais plus encore les Po sies Dans ce dernier texte ces deux mouve ments contrast s se font le moteur rythmique de l criture et consti tuent la loi d une rh torique coupante car c est d un m me geste nerveux que Ducasse d nonce l erreur et prof re sa v rit lui L aboutissement le plus singulier peut tre de cette d marche n cessairement double ce sont les r critures de Pascal et de Vauvenargues qui le manifestent tandis que le texte corrig demeure reconnaissable puisqu il continue vivre
159. athique qui puise ses panac es naturelle ment dans le registre des causes du mal fantasmes et maladies v n riennes Le chant comportera en effet de ces rem des sous la forme de fantasmes plus typiquement sexuels qu auparavant Mais tout en promettant la gu rison Lautr amont n en suppose pas moins avec bon sens que son lecteur aussi docile qu il l ima gine ne sera pas sans r ticence devant ces nouveaux d veloppe ments de la cure Aussi lui faut il apporter outre les promesses quelques claircissements En bon m decin en analyste qui sait imaginer l autre qu il traite en ami Lautr amont se met en quelque sorte sa place pour d sarmer ses in vitables inqui tudes Ce qui lui permet d approfondir le sens de toute l entreprise Que le lecteur ne se f che pas contre moi si ma prose n a pas le bonheur de lui plaire gt Le lecteur part sans doute d une conception assez diff rente de celle de l auteur Sans doute entre les deux termes extr mes de ta litt rature telle que tu l entends et de la mienne il en est une infi nit d interm diaires le lecteur ne doit pourtant pas supposer qu il y a l une diff rence irr ductible mais bien plut t une diff ETHIQUE ET FICTION 137 rence de degr qui situe l exc s un autre point de l chelle N est il pas vrai mon ami que jusqu un certain point ta sympathie est acquise mes chants Or qui t emp che de fran
160. ation en train de se faire Ducasse insiste sur la dimension exp ri mentale de son uvre qui doit se construire peu peu chaque chant est une nouvelle tape et non pas le d veloppement en quel que sorte contingent d une m me vision sans cesse r p t e L id e d un progr s en train de se faire forme la base de la r flexion ducas sienne sur le texte telle au moins qu il la pr sente au lecteur Ce fai sant Ducasse r sume les pisodes pr c dents en en exposant l un des aspects majeurs Ainsi nous dit il dans cette strophe que ces tres imaginaires rencontr s au cours du deuxi me chant poss dent une nature d ange Et c est bien ainsi que nous avons pu lire les pisodes met tant en scene L man Lohengrin Lombano Holzer Paradoxaux fare valoir du d moniaque Maldoror mais tentateurs eux aussi puisqu ils sollicitent de lui un certain nombre d aveux qui font apparaitre la nature complexe de son caract re Ce personnage satanique s acharne bien perdre l homme fustiger le Cr ateur mais non pas tant parce qu il serait des le d part vou au Mal que 98 LAUTR AMONT parce que sa passion du bien et de l id al se serait trouv e confron t e aux contradictions de la nature cr e pr tendument issue de la source de tout bien mais pr sentant simultan ment d irr ductibles penchants au Mal Maldoror Lautr amont s adressant ses cr ations imaginaires pr c dentes leur dit maintenan
161. attention par ce qu elles permettent de r v ler de la nature morale d un tre Sur ce terrain plus encore que sur les autres Ducasse se situe aux antipodes du syst me romantique pour lequel l amour de la femme n tait rien moins qu un avant go t de l amour de Dieu Il ne prend pas parti sur cette question ici mais les Po sies feront bien voir de quoi il retourne La femme est mes pieds dira t il ce qui est r soudre le probl me moindres frais L important reste donc ici la dimension morale des sentiments r veill s par la trahison Chez le scarab e la vengeance l emporte sans aucun doute caus e par la rage et par plus profond encore Le p lican humain l affirme en tout cas ce n est plus de la jus tice car l goisme cach dans les t guments de ton front soul ve THIQUE ET FICTION 139 lentement comme un fant me la draperie qui le recouvre Remarque qui a le don de susciter la lt fureur gt du scarab e Nous avons d j rencontr plusieurs reprises des mises en accusation de ceux qu animent la vengeance la colere l orgueil nous en trouvons une autre version dans les Po sies surtout pour ce qui concerne la condamnation de l orgueil et selon ce qu exige la dialectique morale nous devons trouver en face l oppos C est ici le r le de l homme p lican que de l incarner Toi lui r plique le scarab e ta nature magnanime te permet de pardonner Le pardon c est ce que
162. au go t du jour par les d bats sur l induction cf Bi chy et la science allemande contemporaine bien comment e par Gratry dans sa perspective tres personnelle Lorsqu il est par ailleurs question de probabilit s Cournot 1843 est videmment l autorit majeure FICTION EN PARTIE DOUBLE 127 n est pas simple La diff rence entre la po sie et Ducasse insiste c est bien l ce quoi il se livre en crivant les Chants et le discours scientifique c est la m taphore Par essence la m taphore trouble la vigueur du style puisqu elle fait pr valoir le langage sur la v rit elle introduit dans le monde le monde des repr senta tions un d sordre irr parable C est ce que la strophe IV 2 donnait entendre en notant que l utiliser constituait un lt emploi criminel criminel en se placant momentan ment et spontan ment au point de vue de la puissance sup rieure d une figure de rh torique que plusieurs m prisent mais que beaucoup encensent Sans doute la puissance sup rieure en question n est elle qu un nom pour Dieu celui ci ne pouvant se situer qu au dessus de la m ta phore Qui d autre d ailleurs pourrait bien tre m me d en inter dire l emploi Mais peut tre Ducasse voulait il simplement indi quer ainsi la connaturalit de la m taphoricit et du langage impo s e par les ans les habitudes etc La m taphore est une certaine forme de d sordre donc et le
163. buts poursuivis depuis toujours pourront s annoncer enfin par l aveu sans d tour de leur v rit ce qui ne vise que l assomption d une structure morale rigoureuse pour la litt rature Je remplace la m lancolie par le courage le doute par la certitude le d sespoir par l espoir la m chancet par le bien les plaintes par le devoir le scepticisme par la foi les sophismes par la froideur du calme et l orgueil par la modestie La nouveaut de cette m thode reste toute relative bien entendu D abord parce qu il ne s agit encore que d un programme prol gom nes une lt po tique future gt telle que l annongait le sixieme chant en reprenant l esquisse de F nelon Ensuite il faut bien constater que cette nouveaut venir parait avant tout se d fi nir comme un retour en arri re qui cherche mettre entre parenthe ses tout le dix huiti me si cle et presque tout le dix neuvi me Ducasse parait ainsi s aligner sur les positions parfaitement conser vatrices de ceux qui la m me poque souhaitent ardemment un retour aux th ses de l cole lectique ou spiritualiste tout en essayant d y int grer les d veloppements r cents de la science condition bien s r de n en retenir que ce qui confirme leurs pr sup pos s Cf P Janet 1865 Ducasse quant lui cherche fonder la possibilit de construire une po tique rationnelle scientifique au service des fins mora les de
164. casse finira par ne plus y croire ou en tout cas y croire moins Il conce vra bient t peut tre au moment o il crit cette strophe a t il d j con u le programme g n ral des Po sies un autre r le pour la po sie C est une esquisse de cette nouvelle attitude qu il n est pas impossible de lire sous cette phrase L homme et moi claquemu r s dans les limites de notre intelligence comme souvent un lac dans une ceinture d iles de corail au lieu d unir nos forces respectives pour nous d fendre contre le hasard et l infortune nous nous car tons avec le tremblement de la haine en prenant deux routes op FICTION EN PARTIE DOUBLE 115 pos es N est ce pas dire clairement qu une autre attitude est souhaitable qui r concilie l homme et les h ros qu il se donne autrement dit qu il se r concilie avec lui m me Quoi qu il en soit la strophe se termine sur un rappel insistant de la nature litt raire de toute l entreprise le combat sera beau moi seul contre l humanit Je ne me servirai pas d armes construi tes avec le bois ou le fer je repousserai du pied les couches de min raux extraites de la terre la sonorit puissante et s raphique de la harpe deviendra sous mes doigts un talisman redoutable Et pour que l on n ignore pas l enjeu m taphorique du r cit la nature sp culaire des h ros leur profonde identit l absurdit de leur lutte Cette guerre terrible jettera la do
165. cela ne va t il pas de soi que d une bauche de r alisation d un pareil programme Mais pourquoi demandera t on s attacher une telle entreprise Notre ge cynique et d sabus n a t il pas besoin de romantisme de myst re d exc s La critique puis e par vingt ans de mirage scientifique n a t elle pas besoin du traitement de choc que peut lui repr senter le grandiose d ses poir du vampire Pourquoi vouloir faire rentrer dans le rang celui qui bouscule si bien le sage d fil des gloires de la litt rature La principale justification qu il soit possible d avancer se fonde sur une constatation que personne ne dispute les Chants de Maldoror et les Po sies sont parmi les textes les plus complexes que nous puissions aborder Or cette complexit s est constamment trouv e soumise des lectures excessive ment simplificatrices au nom m me de cette complexit lectures recourant des principes explicatifs monolithi ques qui nivellent tous les reliefs aussit t recouverts des s di ments d un discours intol rant le d fi Dieu pour les surr a listes l absence d auteur pour M Blanchot P lt criture gt pour Tel Quel la mise en bo te pour R Faurisson etc L ensemble Chants Po sies se voit ainsi toujours ramen un principe unique une obsession comme si les textes ne por taient pas chaque ligne les marques des multiples incertitu 10 LAUTR AMONT tudes qui hantent les
166. cessus est bien le m me Il s agit de changer l autre et radicalement Les changements de m thode successifs en reviennent toujours cela ruiner le con fort quivoque d un lecteur enlis dans ses perversions Il y a du proph te chez Ducasse qui n tait pas pour rien lecteur de l Apocalypse Il y a chez lui du visionnaire mais sa vision n est pas comme ont pu le croire certains une hallucination Le mod le de la Cit C leste connait chez lui un r pondant cit terrestre b tir toujours sous l nvocation des premiers principes gt l homme doit s occuper de la terre Comme souvent chez les visionnaires de grandes r formes ont pour point de d part de peti tes choses comprises tout coup comme symboles des plus gran des Pour Ducasse tout aura commenc par des mots mal employ s chargeant de leur duplicit des po mes qu ils transfor ment en sophismes par des trucs des tics qui ruinent la cr dibilit et l efficacit des romans La langue maltrait e la fiction manipul e il n en a pas fallu plus son imagination pour qu elle s enflamme Indignation col re destruction utopie en ont tout naturellement proc d reconstruire la logique qui a pu commander l volution de Ducasse et sa d marche surprenante nous risquons cependant d oublier qu il ne s agit en tout cela que d hypoth ses parmi d autres Il ne saurait en toute rigueur tre question de prouver quoi que ce
167. chants puisqu il y en a eu un enfin qui a su attirer de force vers soi les r pugnances d fiantes de ma sympathie am re Telle est la dupli cit dela m thode Maldoror sera le meilleur propagandiste du bien puisqu il est celui qui a le plus p ch Le message d esp rance apparait dans toute sa force sous la plume de Ducasse il suffit d un seul juste pour que tous soient sauv s Maldoror le blasph mateur permet paradoxalement de faire revenir au premier plan des notions que l on croyait radicalement exclues d une fiction aussi sombre La po sie du doute se discr dite elle m me en laissant le dernier mot au discours qui peut le mieux subvertir ses effets Dialectique du miroir En formant l infrastructure de tout le r cit la m taphysique et son discours sont les forces qui mod lent les actants principaux Dieu l Humanit Maldoror puisque c est leur rapport respectif la contradiction qui oppose le bien au mal qui d termine la nature des relations qu ils peuvent avoir entre eux Mais ces relations ne se trouvent pas traduites telles quelles dans le r cit Pour les rendre productrices de fiction Ducasse utilise un dispositif particulier qui 62 LAUTR AMONT lui permet de d velopper toutes les combinaisons possibles Le pre mier ressort de cette mise en r cit est une figure abstraite celle que constitue la dialectique de la ressemblance et de la diff rence Nous avons d j vu comment cette logiq
168. chir les autres degr s La fronti re entre ton go t et le mien est invisi ble Lautr amont insiste et pour cela n h site pas ramener le probl me une question de cuisine le go t dont il parle avec ses diff rences est assimilable celui qui peut faire aimer des plats plus ou moins pic s 1 tu as un penchant marqu pour le cara mel admirable farce de la nature personne ne le concevra comme un crime mais ceux dont l intelligence plus nergique et capable de plus grandes choses pr f rent le poivre et l arsenic ont de bon nes raisons pour agir de la sorte s il d clare une pareille th o rie insiste t il ce n est pas pour jouer ici le r le de provocateur Il faut cependant des arguments plus convaincants pour surmon ter les objections qu il imagine Pour cela il lui faut donner des gages au lecteur et l assurer que celui qui crit partage ses aspira tions fondamentales sois persuad que les accents fondamen taux de la po sie n en conservent pas moins leur intrins que droit sur mon intelligence son id al intellectuel et psychologique ne diff re pas de celui de son lecteur Tu sais allier l enthousiasme et le froid int rieur observateur d une humeur concentr e enfin pour moi je te trouve parfait surtout le lecteur doit bien se p n trer du s rieux de l oeuvre qu on lui propose en lui demandant l adh sion simultan e de son imagination et celle
169. ci tels nous serons jusqu au moment o nous recevrons de toi l ordre de quitter cette terre Face cet extr me de soumission et de foi Maldoror ne peut moins faire que d assumer la posture d un ange infernal C est le p re d Edouard qui le peint ainsi en rendant compte des hypoth ses qui courent sur l origine de ce qui pousse celui qui trouble mainte nant le sommeil de ses semblables folie originelle cruaut extr me et instinctive dont il a honte lui m me dignit bles s e cause d un surnom le vampire l amour quel que crime enseveli dans la nuit de son pass myst rieux Mais il est clair qu aucune de ces hypoth ses n est la bonne parce qu elles restent toutes anecdotiques et ne rel vent que d une simple explica tion causale centr e sur le traumatisme de l v nement Ducasse va donc prendre la peine d insister sur la nature v ritable de son h ros sur la dimension m taphysico morale qui lui donne son vrai sens dans tout le texte Mais le plus grand nombre pense qu un incommensurable orgueil le torture comme jadis Satan et qu il voudrait galer Dieu 1 11 La dimension non narrative des Chants s affirme dans de tels 46 LAUTR AMONT passages qui transforment la fiction en apologue mis au service d un pr che qui va tourner ici autour de la notion du ch timent de l orgueil L exemple de Maldoror doit servir d avertissement au lec teur ten
170. confondent autori sant ce glissement que nous avons signal en commengant D un c t le narrateur nous donne donc des informations biographi ques sur le d funt D abord la vie parut lui sourire sans arri re pens e mais cette vie s est arr t e six ans Sur ce fond anecdotique se greffe alors une m ditation qui le prend pour motif Le rappel biographique n est donc que prol gom nes d une rigoureuse d monstration de nature philosophico morale dont l v nement mort sans raison d un enfant n est plus que le pr texte La mort est incompr hensible t n breux myst res par lesquels un tre humain disparait de la terre aussi facilement qu une mouche ou une libellule sans conserver l esp rance d y revenir et devant elle le narrateur ne peut que construire l aveu complet de son impuissance radicale quand il s agit surtout comme pr sent de cette imposante et inabordable question Premier moment de la d monstration inutile de questionner la mort son arbitraire est au del de la compr hension Mais il y a un deuxieme temps et c est celui dont le pr tre des religions est charg d articuler l argument en pronongant quelques paroles pour bien enterrer le mort davantage dans l imagination des assis tants la mort est un acte marqu d insignifiance et serait m me plut t un incontestable bonheur seule justif
171. crivains tenait alors beaucoup du mod le que la science du xvi si cle proposait avec la grande chaine des tres ou encore plus obscur ment du modele de l attraction universelle qui fait les astres solidaires Influence et magn tisme c est l la post rit brouill e de Platon et des th ses du Ion dont Lautr amont se souviendra peut tre lui aussi propos d androgynie Elle permet ici de se rassurer quant la permanence ontologique de la litt ra ture gr ce la r duction de ses devenirs une temporalit du pi tinement dans chaque crivain toute la litt rature recom mence et chaque po te est le retour de l aube l piphanie d une origine et d une v rit toujours redites La beaut ne pouvant tre que redondante l histoire litt raire ne pouvait tre que le r cit des avatars du M me Au Panth on des gloi res de la plume le Temps n existe pas ni la mort ni la r sur rection La m moire n est qu absolue pr sence n cropole sans secret chacun son buste identique tous les autres Grande T te Molle ou pas Hom re Virgile Shakespeare tous sont nos contemporains quel que soit notre temps Ainsi disposait on du pass La critique moderne a fait justice de cette nostalgie de l immobile en remettant l histoire en mouvement en d si gnant des difficult s des complexit s des obscurit s dont on 8 LAUTR AMONT est venu comprendre que l peut tre r sidait l
172. ction sceptique Peut tre s agit il au fond d une op ration thique quelque chose comme la revendication pour reprendre les termes de Paulhan d une hygi ne des lettres qui trouverait sa ressource dans un lien trouble avec ce que pouvait tre l ambition de Ducasse d senchant mais trouvant dans sa d sillusion une force d affirmer que nous ne poss dons plus Son mergence sans racines nom vide de tout cho livrait d embl e Lautr amont aux puissances du mythe Auteur r duit son livre les circonstances de son effacement comme celles de son retour ont fait de lui la concr tisation imaginaire du sans origine Les Chants sortirent des caves de Lacroix comme un fossile des abysses oubli s mais vivants tous liens rompus avec ce qu avait t leur source La guerre la mort la fin d une poque toutes ces rup tures avaient fait leur ceuvre pour d tacher les textes de tout con texte intelligible Le sens qui leur fut donn est une mesure exacte de la distance intellectuelle qui s parait 1870 de la g n ration de 1890 distance encore amplifi e par de nombreuses autres ruptures quand les Chants prirent leur rang de f tiche pour les Surr alistes maintenu tel quel jusqu aujourd hui en d pit m me des trouvailles d archives et de l accumulation documentaire Cet arranchement de fait un contexte hors des livres hors d une vie devait natu rellement tre interpr t comme un geste sinon d lib r en tout
173. d j expos de la logique profonde qui articule la tactique dialectique des Chants et leur strat gie moralisatrice Sans doute Lautr amont n est il pas Ducasse et sans doute aussi laisse t il la parole au pr tre pour formuler la conclusion de sa rigoureuse d monstration Bien s r l id e de l immortalit ne figure t elle prima facie qu au titre d une consolation pour ceux qui surv curent Il n en reste pas moins que le parall le entre le mort et Maldoror se pr sente avec force et sans plus de distanciation Maldoror reste le miroir v ridi que de l homme et le discours qui l expose ne saurait vouloir dire sur lui que le vrai le Mal c est la Mort Les th ses des Po sies resteront relativement discr tes sur cette question mais il est remarquer que pas plus que cette strophe elles ne condamneront la vision religieuse de l homme Il y sera fait une distinction soigneuse entre les cultes et les v rit s m taphy siques et morales et il est vident que le pr tre des religions dans cette strophe neutralise les d nominations possibles pour ne retenir que le d nominateur commun toutes les religions sans autre signe distinctif et en particulier sans r f rence chr tienne Au contraire la philosophie qu il incarne cherche soigneusement semble t il ne se marquer du c t d aucun culte pr cis et ne retient de tous que l id e m me de l immortalit Nous trouvons d ailleurs dan
174. d sesp r e comme les Po sies le diront sans d tour et comme cette strophe nous le fait entendre dans le langage figural du mythe r sonnances bibliques transform en combat d all gories un dragon attaque le Juif Errant Maldoror devenu aigle et ce dragon c est L ESP RANCE Combattre la seconde des vertus th ologales c est s en prendre Dieu et au salut directe ment On ne saurait tre plus explicite En Maldoror se ramasse la mul tiple famille des h ros noirs et des vies r v es par un public de romans feuilletons de plaquettes et de drames fr n tiques De l l aspect quelque peu d sincarn de Maldoror il ne s agit jamais de faire de lui un personnage cr dible dot d une psychologie subtile Maldoror est bien une all gorie exhib e en tant que telle sous divers travestissements narratifs rh toriques stylistiques Maldo ror c est l esprit du temps le Mal du Si cle en personne d nonc dans ses cons quences inaperques mais mortelles Passons sur les d tails du combat dont on ne finirait pas de met tre au jour l intertexte essentiellement biblique Dans cette strophe il semble que se pr cise la prise de distance que nous signalions tout l heure Tremdall personnage qui assiste au combat et en fait le reportage ne dit il pas Puissant dragon je t exciterai de mes cris s il est n cessaire car il est de l int r t de l aigle qu il soit vaincu Et pourtant Tremdall est pr
175. d un arc en ciel elle se fond celle que Jean d crit dans le m me texte comme la prostitu e fameuse qui se sao lait du sang des saints et du sang des martyrs de J sus Ducasse va ici jusqu au bout de sa d nonciation Voil semble t il dire ce que vous faites de Dieu gt Il s empare ainsi de l un des th mes favoris du romantisme d sesp r et pousse sa conclusion ce qui y est impliqu Le Cr ateur n est autre que la B te de l Apo calypse ce monstre irresponsable arbitraire et cruel qui se joue de la souffrance des hommes Le blasph me s en trouve pouss bien au del de ce que sugg rait la tradition ou de ce que pouvait admettre la censure imp riale Cette figuration traduit pourtant une certaine id e de Dieu fort r pandue cf Caro 1864 en l interpr tant graphiquement Mais au contraire de ce qui aurait pu tre le cas dans un texte qui n aurait fait qu amplifier un th me ressass de la litt rature des ann es trente du si cle toute cette repr sentation n est pas ici don n e pour elle m me Elle n est qu un moment le moment d cependant d un d veloppement narratif qui doit r inscrire le mythe dans l histoire propre du personnage de Maldoror Le r cit de cette vision restera subordonn celui de la description des effets qu elle produit d voilement mais ironique de la v rit supr me Le choc est rude puisque il fait brusquement passer le jeun
176. de ce prologue nous parvient d un lieu d nonciation beaucoup moins net s agit il de Ducasse de Lautr amont ou de Maldoror lui m me La question est d avance r cus e lorsque la voix anonyme et multiforme nous avertit que ce sentiment de remarquable stu p faction qui est le n tre il a mis tous ses efforts pour le pro duire gt Les enjeux s claircissent mais il faut encore brouiller les cartes Ce qui nous int ressera d abord dans la Pr face c est le retour qu elle effectue sur les cinq premiers r cits qui sont nettement class s au pass Lautr amont ne manque pas d tablir le parallele entre ce qui a d j t accompli et ce qu il entreprend maintenant Les cinq premiers r cits n ont pas t inutiles ils taient le fron tispice de son ouvrage le fondement de la construction l explica tion pr alable de ma po tique future Si nous entendons explication au sens de d veloppement le rapport des cinq premiers chants ce qui va les suivre sera le rap port d une pratique une th orie nous avons d abord eu P exp ri mentation la production et nous aurons d sormais ce qui d habitude les pr c de une th orie une doctrine un art po tique N est ce pas dire de mani re profonde que les Chants ont t avant tout une recherche une aventure une exploration empirique dans plusieurs directions la fois et que ce dont il s agit pr sent c est d en tirer la
177. de Musset de Byron et de Baudelaire et je les cor rige dans le sens de l espoir j indique comment il aurait fallu faire Jy corrige en m me temps 6 pi ces des plus mauvaises de mon sacr bouquin Si les Po sies telles que nous les connaissons ne sont bien que des pr liminaires l expos des motifs devant introduire ce texte inconnu et non pas ce texte lui m me il faut alors reconnaitre que le probl me de l espoir ainsi que l id e d une correction apporter des textes classiques taient depuis longtemps pr sents dans la r flexion de Ducasse et probablement aussi dans sa pratique Les Chants en sont marqu s vers la fin et les Po szes en font l expos id o logique expos qui aurait d se poursuivre par livraisons p riodi ques Un ouvrage s par d exemples pratiques une sorte de contre anthologie attaquant le romantisme tait donc en chantier pour r pondre la n cessit perque comme urgente d opposer le bon exemple au mauvais Oui Ducasse a bien reni son pass comme il l annonce mais prenons garde qu il faut alors comprendre ce reniement comme un processus complexe non comme un retournement bru tal Ducasse aurait il d ailleurs pu passer d un extr me l autre en l espace de quelques mois Ce d lai lui aurait il suffi pour changer non seulement de sentiment mais encore de syst me de registre 18 LAUTR AMONT de style de r f rences L quilibre de sa pens e et la dynamiq
178. de l impossibilit de retrouver l tat de pourceau Mal doror dit lt Si vous ne le croyez pas venez me voir vous contr le rez par votre propre exp rience non pas la vraisemblance mais en outre la v rit m me de mon assertion Le d fi est subtil dis tinguant entre le vraisemblable et le vrai ce que ne sait pas faire la lecture naive qui confond l apparence construite dans la langue avec la r alit ce qui n est pas la v rit telle que Ducasse entend l atteindre Il n y parviendra qu en sabotant par l exc s la rh torique du vraisemblable exc s des m taphores exces de pr ci sion analytique et lexicale C est encore sur les ambiguit s de la r alit quand elle pr tend se maintenir dans la fiction que se concentre la strophe sui vante Mais prenons avant d en venir cette question le motif qui sert de noyau narratif Maldoror un soir d t voit sur la mer un amphibie de nouvelle esp ce de larges pattes de canard la place des extr mit s des jambes et des bras porteur d une nageoire dorsale proportionnellement aussi longue et aussi effil e que celle des dauphins L apparition d un tel ph nom ne soul ve un certain nombre de questions mais peut tre pas de celles que l on pourrait croire Une lecture r aliste d une semblable stro phe se demanderait que signifie cet amphibie Nous croyons que cette question tant donn la nature d
179. de labeur ou de production Le po te symboliste tait un mage il n aurait pu tre un artisan et sa sorcel lerie n tait telle que parce qu il tait lui m me l enjeu risqu dans une prof ration qui pouvait tre mal fique Le po te se d couvrait sujet c est dire vague remous la surface du n ant Lautr amont en tant que mythe fait flamber ce n ant et l illumine en exposant par son absence m me de vie la consubstantialit de l oeuvre et du rien La radicalisation du romantisme qui hante la mentalit symboliste et celle qui lui ont succ d s ach ve dans une caricature obs dante qui lit dans les Chants pr cis ment le contraire de leur le on Mais c est que Ducasse avait trop bien compris par la violence de son raffinement critique le d lire qu il voulait condamner la reconstruction analytique qu il en donne dans ses fictions n en aura que mieux concentr la vertu provocatrice d hallucinations Le dou ble aura port son mod le au niveau de la transcendance et de l id alit F condit des restes le mensonge de Ducasse lib re les frayages d une v rit qui avait besoin de se figurer pour se dire v rit du travestissement Le sujet ainsi touch ne pouvait avoir rien de commun avec le sujet imagin par Ducasse la suite des Id ologues corrig s par le n o kantisme cousinien et celui de ses disciples Cette r f rence l nul symboliste ne pouvait litt rale ment la lire L affirmation
180. des cours profess s devant un public tenu sous le charme de son loquence par un jeune homme de vingt trois Victor Cousin Ces cours comme en t moigne le titre de 206 LAUTR AMONT l ouvrage qui rassemblera ceux de 1815 1820 paru en 1841 Cours de l histoire de la philosophie moderne ne portent pourtant que sur l histoire de la discipline et ne s offrent pas comme l expos d une doctrine personnelle Ce qui en fait pourtant alors l extr me originalit en m me temps que la s duction dans une poque qui aspire un nouvel ordre c est le sujet la philosophie de Kant De ce moment et jusqu la fin du deuxi me tiers du si cle Kant restera la r f rence philosophique fondamentale Cousin lui m me encore que sa fid lit Kant aille peu peu en s moussant 2 aura largement contribu faire de la terminologie kantienne un recueil de mots d sormais connus Qu il suffise d voquer ici son livre vedette Du Vrai du Beau du Bien 1853 S il ne fut pas le premier traducteur de Kant il en donna dans ses cours une adaptation qui devait s imposer reprise dans les traductions des principaux textes de Kant procur es s par ment par deux de ses disciples et sous son impulsion J Tissot et J Barni C est dans la traduction de ce der nier qu on lit d ailleurs encore aujourd hui Kant en dition de poche Barni qui avait commenc tudier Kant en 1837 et devint le secr taire de Cousin en 1841 donna par ail
181. destie Maldoror nous le dit Moi je ne sais pas rire Je n ai jamais pu rire quor que plusieurs fois j aie essay de le faire C est tr s difficile d appren dre rire Ou plut t je crois qu un sentiment de r pugnance cette monstruosit forme une marque essentielle de mon caractere Si un philosophe dit on a pu clater de rire en voyant un ne manger une figue Maldoror lui a vu une figue manger un ne sans rire u contraire Le besoin de pleurer s empara de moi Seul moyen pour Maldoror d accepter le rire mon trer en m me temps par un signe de nature oppos e que l on est sen sible l autre face de tout v nement ou proposition qui parait d abord risible Riez mais pleurez en m me temps Si vous ne pouvez pleurer par les yeux pleurez par la bouche Est ce encore impossible urinez mais j avertis qu un liquide quelconque est ici n cessaire pour att nuer la s cheresse que porte dans ses flancs le rire aux traits fendus en arri re Nous sommes avertis Par ce FICTION EN PARTIE DOUBLE 119 d tour philosophique psychologique stylistique nous en revenons naturellement Maldoror lui m me D une certaine fa on toute cette argumentation peu pr s ency clop dique n tait peut tre qu une pr paration une compr hen sion plus profonde de Maldoror Ce personnage lui aussi est un tissu de contradictions Cela ne doit pas en faire un bouffo
182. dit lui m me dans ses po sies de sa po tique de la m me mani re que la tradition dont il se r clame d ailleurs voulait des Arts Po tiques qu ils fussent eux m mes po mes Il s agit avant tout d une po tique critique qui refuse les d finitions reques Pour Ducasse la question de la po sie ne peut se poser que par rapport celle de la philosophie entendue son tour essentiellement comme Morale nous en avons ample ment discut plus haut C est ainsi qu il peut crire Les juge ments sur la po sie ont plus de valeur que la po sie La philosophie pourra se passer de la po sie PII 30 Aussi trouve t on plu sieurs reprises l nonc de la sup riorit aux yeux de Ducasse de la forme dense utilis e par les moralistes sur la forme diffuse et vague coutumi re en po sie il n y a pas lieu de d layer dans un 194 LAUTR AMONT godet la gomme laque de quatre cents pages banales Ce qui peut tre dit dans une demi douzaine de strophes il faut le dire et puis se taire Chants VI 7 Comme si la clart ne valait pas le vague PII 210 Une trag die n est pas un pr cepte Pour un m me esprit un pr cepte est une action plus intelligente qu une tra g die PII 131 Les genres litt raires traditionnels sont donc appel s s effacer la po sie finissant par emprunter la philosophie sa meilleure forme L id e de la po sie changera Les trag dies
183. du c t de la paradoxale concision analytique jusqu ici Je n ai t que concis ce que m me plusieurs n ne pas cause de mes longueurs qui ne sont qu imaginaires puisqu elles remplissent leur but de traquer avec le scalpel de l analyse les fugitives apparitions de la v rit jusqu en leurs derniers retranchements gt En tout cela dans la morale de l histoire comme dans l thique de l criture Ducasse annonce ses choix qu il s agisse de parler ou d agir un seul guide doit pr valoir la raison Nous l avons vu c est le mot de la fin pour le r cit c est le ma tre mot pour l criture il est bon si l on poss de des facult s en quilibre parfait ou mieux si la balance de l idiotisme ne l emporte pas de beaucoup sur le plateau dans lequel reposent les nobles et magnifiques attributs de la raison si l intelligence pr domine suffisamment sur les d fauts sous le poids desquels l ont touff e en partie l habitude la nature et l ducation de revenir au sujet dramatique ciment dans cette strophe Strophe bipolaire ce texte donne le ton et la formule sur quoi se b tira lar gement le reste des Chants assurer l empire de la raison en en d montrant par la pratique la n cessit N cessit et d s qu il y lan gage car seule la raison peut guider l analyse vers la v rit Mais la raison n est pas moins indispensable dans la pratique de la vie car elle seule peut sub
184. e O Cr ateur de l univers Je ne manque rai pas ce matin de t offrir l encens de ma pri re enfantine Tu es le Tout Puissant je ne te conteste pas ce titre Je pr f re plut t te faire entendre des paroles de r verie et de douceur Oui C est toi qui as cr le monde et tout ce qu il renferme Tu es par fait Deux th mes s entrecroisent donc dans la strophe le pre mier se rapporte toute une tradition romantique reprise par Vigny et le second amorce un raisonnement qui ne sera pleinement soulign que dans les Po sies Dans un premier temps le Cr ateur se trouve mis en accusation Dieu est le grand responsable de l existence du mal lt Si quand il te plait tu envoies le chol ra ravager les cit s ou la mort emporter dans ses serres sans aucune distinction les quatre ges de la vie je ne veux pas me lier avec un ami si redoutable Ces actions sont les jeux inconcevables d une imagination de tigre Maldoror veut bien admettre jusqu un certain point l inconscience ou l irres ponsabilit limit e de Dieu puisque il peut se faire que le mal etle bien unis ensemble se r pandent en bonds imp tueux de ta royale poitrine gangren e comme le torrent du rocher par le charme secret d une force aveugle mais rien ne m en fournit la preuve Mais cette concession n est que de rh torique La vraie conviction de Maldoror s exprime tout autrement La bont n est qu un as
185. e lt O est il pass ce premier chant de Maldoror depuis que sa bou che pleine des feuilles de la belladone le laissa chapper travers les royaumes de la col re dans un moment de r flexion O est pass ce chant On ne le sait pas au juste Ce ne sont pas les arbres ni les vents qui l ont gard Et la morale qui passait en cet endroit ne pr sageant pas qu elle avait dans ces pages incandes centes un d fenseur nergique l a vu se diriger d un pas ferme et droit vers les recoins obscurs et les fibres secr tes des consciences II 1 Tout est dit l pour nous assurer de la rationalit de l entreprise et nous mettre en garde contre une lecture trop naive du premier chant Le texte n en est nullement d la divagation arbitraire d un esprit gar puisque c est un Maldoror en traitement qui en est res ponsable traitement par la belladone r serv la lutte con tre les ali nations Le chant est n dans un moment de r flexion et la d marche de celui qui l a prof r n a par cons quent rien de la vati cination al atoire propre au po me romantique quand il pr tend jaillir du sentiment ou de la contemplation du sacr puisque son pas est au contraire ferme et droit ce n est d ailleurs pas au coeur qu il d sirait parler puisque c est aux recoins obscurs et aux fibres secr tes des consciences qu il adressait son message Message qui voulait d abord r affirmer un soutien d termin
186. e coudre et du parapluie la dissec tion par la lecture non critique fait du texte un corps irr m diablement morcel et de son auteur un ectoplasme miracu leux Tel Quel n a pas manqu de pratiquer la m me d n ga tion en se f licitant de d couvrir sous Lautr amont une entreprise de dissolution de l auteur qu on ne pouvait pas ne pas y trouver puisque c tait l le seul trait qu on voulait y chercher C est en ce sens qu on peut dire des Chants et des Po sies qu ils ont fonction pour leurs lecteurs les plus fanati s s de souvenir cran produit fantasmatique de la non lecture formation de compromis entre un texte r el qui insiste et le refoulement que lui oppose le d sir de ne pas l entendre Mais il serait absurde de s indigner de cette situation car c est toute l histoire de la litt rature qui s est faite de telles non lectures ou de ces refus de lire d guis s en d votion p m e Peut tre s agit il m me d un mode de relation fonda mental incontournable et il n y aurait alors de progr s que par le malentendu et les filiations postiches La critique de son c t serait gravement dans l erreur en croyant pour 12 LAUTR AMONT suivre la mise au jour d une v rit exclusive l enchainement des uvres est un d fil de masques auquel crivain ou criti que chacun son tour fait jouer le sc nario d une nouvelle fiction Parlons donc comme les analystes de construction et co
187. e Il s agit l en fait du seul trait qui distingue les chapitres des strophes dont taient compos s les chants pr c dents Il est clair que pour Ducasse la notion du roman se ram ne au seul principe de l enchai nement des pisodes Mais on voit bien alors qu il fait tout pour simultan ment mettre en avant sa connaissance et sa maitrise du principe et en d montrer l insignifiance D calage dont il faudra trouver la raison en un rigoureux contrepoint dans ce que dira 176 LAUTR AMONT lt l auteur gt au fur et mesure que se met en place le r seau des nigmes Ducasse anti romancier comme il tait anti po te traite les conventions du genre comme il traitait celles du po me byronien dans les chants ant rieurs En analysant les interventions du narra teur nous reviendrons sur les implications de ce geste de destruc tion Examinons maintenant la strate o se rep rent les codes dont Ducasse se sert pour en quelque sorte habiller le squelette de son roman Le premier chapitre orthodoxe sur le plan de la narration respecte galement les conventions dont il se r clame d s qu il s agit de situer l action dans un cadre donn Les lieux sont d crits Les magasins de la rue Vivienne talent leurs richesses aux yeux mer veill s etc le temps pr cis Huit heures ont sonn l horloge de la Bourse D une mani re g n rale aucun d tail de topogra phie n est n glig pu
188. e La poitrine effectue des soubresauts r p t s et se gonfle avec des sifflements Le poids d un ob lisque touffe l expansion de la rage Le r el a d truit les r ves de la somnolence Dormir ou ne pas dormir r ver ou ne pas r ver Maldoror choisit plut t mourir que se lais ser aller au sommeil Qu il arrive ce jour fatal ou je m endormi rai Au r veil mon rasoir se frayant un passage travers le cou prouvera que rien n tait en effet plus r el La r alit du r ve si elle triomphe ne peut tre nouveau limin e que par la suppres sion du r veur Telle est la d termination anti onirique de Lautr a mont Peut tre la strophe suivante V 4 est elle un prolongement assez indirect de cette proclamation en faveur de l veil Nous pourrons en effet l interpr ter tout enti re comme un r ve ou un cauchemar qui se termine par un d sir d en finir avec les tourments que l onirisme implique mes poumons moiti touff s demandent grands cris un spectacle plus tranquille et plus ver tueux que le tien Mais ceci n est pour l instant qu une hypothese La strophe se pr sente essentiellement comme un dialogue entre deux tres de fiction dont les caract res en font des constructions fort voisines l une de l autre Seule la fin de la strophe apporte cette indistinction des crit res de diff renciation qui permettent de briser le miroir Le dialogue se divise en trois r pliqu
189. e d abord Rosario et Cordoba autres liens ducassiens 2 puis Buenos Aires o il devint rapidement la figure dominante de la r forme de l instruction publique Directeur du Colegio Nacional de Buenos Aires en 1863 il eut alors une influence extraordinaire sur le d veloppement de l ducation en Argentine o il mourut sans tre retourn en France en 1865 On conna t videmment la carri re de J Simon apr s la chute de l Empire mais il fut aussi un historien de la philosophie avec des travaux sur Malebranche et Bossuet et un propagandiste de la variante sociale du mouvement spiritualiste Des ouvrages comme L Ouvri re ou Le Devoir d veloppent une th matique dont bien des accents trouvent des chos dans celles de Ducasse sans pourtant qu il soit question d aller jusqu y voir l une des lt sources gt de ce dernier Il s agit bien plut t de la commune inscription dans un cou rant de pens e dont les grands axes rest rent peu de chose pr s les m mes travers tout le si cle Emile Saisset lui restera un historien de la philosophie tout en approfondissant dans ses recherches la compr hension d un courant contre lequel l Ecole lutta avec le plus de d termination et qu vo que le titre de son principal ouvrage Le Scepticisme C est de ce th me que Ducasse fera l un des points d terminants de sa strat gie anti romantique c est avec les pieds que je foulerai les stances aigres du scepticisme PI
190. e de sang en bullition Le Dieu sanguinaire dont la r v lation est ainsi donn e Maldoror constitue lui m me une figure complexe form e par reprise et d tournement selon la tactique de r inscrip tion citationnelle habituelle Reprise d abord parce que nous reconnaissons sans peine en lui le Dieu l indiff rence cruelle que certains romantiques ont repr sent lt Quelquefois il s criait Je vous ai cr s donc j aile droit de faire de vous ce que je veux Vous ne m avez rien fait je ne dis pas le contraire Je vous fais souf frir et c est pour mon plaisir Et il reprenait son repas cruel Dieu caricatural cependant car le ton se veut d nonciateur d une certaine absurdit en soulignant la trivialit du raisonnement d ivrogne pr t par la lt po sie du doute gt l ternel gt Mais Ducasse ne s en tient pas la citation de cette vision moderne de Dieu il en poursuit la reconstruction en montrant de quelle inter version d images elle peut naitre Deux sources bibliques sont ici fondues pour d noncer cette repr sentation sceptique du Cr ateur D un c t elle voque en effet l attitude classique qui est celle des visions proph tiques de l Apocalypse de Jean Voici qu un tr ne tait dress dans le ciel et si geant sur le tr ne Quelqu un mais d un autre c t au lieu que la vision soit de jaspe vert ou de cornaline ou d me raude envelopp e
191. e des Chants r side notre sens dans cette duplicit constitutive du personnage de Maldoror travaillant sur plusieurs fronts la fois Logiquement nous devrons pouvoir trouver dans cette m me strophe la fois les marques de l engagement de Maldoror dans le mal et les affleurements discursifs d une apologie de la vertu Notons d ailleurs que le mal n existe jamais dans les Chants que comme spectacle tandis que le parti du bien ne se manifeste quant lui que dans le discours discours tenu par celui dont la con duite parait le plus le contredire du fond de son d sespoir puisque c est un romantique Maldoror adresse au lecteur un avertissement qu appuie le triste spectacle des contre exemples qu il ne peut s emp cher de fournir Vanter le mal tout en mettant le lecteur en garde contre lui telle est effectivement la d marche que suit cette strophe Premier aspect donc l apologie des p d rastes sous la forme rh torique de la d n gation lt ce n est pas mol qui vous lancerai des injures gt ce n est pas moi qui viendrai jeter le m pris sur votre anus infundi buliforme L apologie peut prendre aussi des formes plus directes encore qu opacifi es par la surcharge baroque de la forme discur sive Soyez b nis par ma main gauche soyez sanctifi s par ma main droite cristallisations d une beaut morale sup rieure leur c ur oppress rec le des tr sors de tend
192. e hyperbole et du pathos pour Lautr amont d une certaine mani re c est la science il est pr f rable de prouver par des faits les propositions qu on avance disait il en critiquant les strophes gloussements sonores faciles rendre aussi grotesques qu on serait capable de l imaginer Lautr amont d veloppe d ailleurs ce parall lisme tout au long ses pr c dents personnages ceux qu il avait appel s des id aux n taient que des anath mes posses seurs de la sp cialit de provoquer le rire des personnalit s fictives qui auraient bien fait de rester dans la cervelle de l auteur ou des cauchemars plac s trop au dessus de l existence ordinaire c est en tout cas ce que ses personnages ne seront plus et sans doute l al 168 LAUTR AMONT lusion aux lt cauchemars gt concerne t elle avant tout Maldoror lui m me Ainsi il n est donc pas encore question en ce point d aban donner le champ d exp riences que repr sente la fiction il ne s agit que de la d mythifier en lui insufflant ces caract res qui la rendent vraie Vous toucherez avec vos mains des branches ascendantes d aorte et des capsules surr nales et puis des sentiments Remarquons bien en effet que la r alit telle que le nouveau romancier se la repr sente reste analytique on ne saurait par exemple confondre simplement le corps et l esprit aussi rencontrera t on nous dit il l o
193. e mal diction car le voile de sa pudeur re oit de cruelles d chiru res La r volte contre le C leste Bandit prend d ailleurs une tour nure d lib r ment philosophique quand Maldoror s crie Je n ai pas m rit ce supplice inf me toi le hideux espion de ma cau salit 1 j existe je ne suis pas un autre Je n admets pas en moi cette quivoque pluralit Je veux r sider seul dans mon intime rai sonnement Ma subjectivit et le Cr ateur c est trop pour un cerveau Au del du th me proprement litt raire nous percevons ici l essor d une attaque pol mique contre une certaine conception de Dieu Ce dernier n est plus seulement le myst rieux responsable de l an antissement de la conscience dans le sommeil il est plus g n ralement l image violemment refus e d une divinit la Rous seau Pour Lautr amont une pareille notion ne saurait qu tre per nicieuse l id e que Dieu parle en nous habite notre me de quel que mani re c est la lt profession de foi du vicaire savoyard gt c est ce que Lautr amont Ducasse avec son sens aigu des ressources de la raison ne saurait accepter Pour lui si Dieu existe et les Po sies nous montreront bien qu il y croit il ne saurait en aucune mani re interf rer avec le fonctionnement de nos facult s c est le fantasme des religions que d avoir imagin cette fusion de l humain et du divin il faut laisser Dieu l o il est di
194. e quel que soit le th me trait il sera r ductible une organisa tion th matique construite comme un r pertoire de probl mes d essence philosophique Ajoutons cela pour ne rien nous dissimuler des ambiguit s de la t che que ce que nous venons de dire des strophes peut se redire propos de chaque phrase tout moment plusieurs arguments du programme peuvent merger et venir s inscrire la surface du texte comme alt ration stylistique incise parenth se glose m ta commentaire ou d rapage g n ralis par anaphore r cursive en boucle de r troaction les beau comme ou mise en abime LES DISCOURS DE LA M THODE 33 En outre la forme globale qui structure l activit de traduction charg e de convertir un argument philosophique en fragment litt raire en lui assignant des marques de litt rarit sp cifique cette forme peut se transformer sans que cela implique en changement du systeme philosophique de r f rence On pourra par exemple passer du genre po me dramatique byronien au roman feuilleton ou la prose lyrique sans que cela soit rien d autre qu une mise l preuve des vertus philosophiques d un style Les diverses formes appliqu es des sujets diff rents peuvent fournir un rendement moral impr visiblement divers Le cas des Po sies est infiniment plus simple puisque le change ment de m thode op r par Ducasse l am ne alors se d clarer ouvertement
195. e Mal doror de la surdit au mutisme N sourd On raconte que je naquis dans les bras de la surdit c est au spectacle de la LA MAXIME ET LE R CIT 73 cruaut de ce Dieu apocalyptique qu il recouvre temporairement la voix je poussal un cri un cri si d chirant que je l entendis gt Temporairement car ce cri le condamne aussit t au silence pour deux raisons La premiere c est que la voix humaine f t ce la sienne propre lui devient aussit t insupportable cause de ce qui s est associ ce premier son D sormais le son humain n arriva mon oreille qu avec le sentiment de la douleur qu engen dre la piti pour une grande injustice La seconde raison pr visi ble tient au fait que ce cri pouss par Maldoror avait videmment un timbre identique celui de ses semblables auxquels on le sait il refuse cat goriquement de s identifier Plus tard quand je connus davantage l humanit ce sentiment de piti se Joignit une fureur intense contre cette tigresse mar tre dont les enfants endur cis ne savent que maudire et faire le mal Audace du mensonge Ils disent que le mal n est chez eux qu l tat d exception Nul myst re on le voit dans cette strophe si souvent glos e Il ne s agit que de r inscrire le mythe dans la fiction pour mettre en place les rapports d un h ros romantique caricatural avec Dieu et ses sem blables cruaut de Dieu m chancet fonci
196. e consiste en un appel la raison mais une raison qui fait sa place la foi Comment s tonner d s lors que dans les Po sies il en vienne pr ner un retour Corneille Racine pour annuler les effets d sastreux d un Musset ou d un Bau delaire dont il ne continue pas moins admirer les qualit s N o classicisme prenant tous les dehors d une nouvelle avant garde il s agit la suite de mouvements id ologiques qui s expri ment vers 1860 dans certains secteurs de la philosophie et de la science de combattre le doute en affirmant les droits de la libre pens e 9 Caro 1855 c est un d lire qui soigne l pith te c est un r ve qui calcule le mot effet c est une halluci nation qui pr pare une grande surprise de style c est la coin die de la grande inspiration c est le jeu simul de la sibylle Hl semble que l crivain fr misse sur le tr pied et que l oracle chappe avec conviction de sa plume Que le na f lecteur se rassure Tous les frissons de l inspiration sybylline sont compt s d avance et toutes ces convul sions de style sont des artifices pr m dit s Voici aussi quelques uns des rr s nombreux moments o Ducasse rencontre Poitou Notre litt rature con temporaine est marqu e d un caracr re particulier c est que le mal chez elle au lieu d tre l exception a t la regle mmoralit syst matique d pravation calcul e Mettre nu
197. e crois pas que le lecteur ait lieu de se repen tir s il pr te ma narration moins le nuisible obstacle d une cr di bilit stupide que le supr me service d une confiance profonde qui discute l galement avec une secr te sympathie les myst res po ti ques trop peu nombreux ses yeux que je me charge de lui r v ler gt En distinguant cr dulit et confiance Ducasse diff rencie deux types de lecture l une ne s en remet qu l imagination l autre fait intervenir la raison guid e par des lois lois de la logique lois du genre peut tre Aussi fait il d sormais comprendre si nous vou lons approcher de ce lecteur id al dans quel sens le texte nous ram ne au r el comme l argument ultime une fois de plus ce n est l que trompe l il puisque nous sommes par avance avertis que ce n est l que rh torique et que notre cr dulit ne serait que m connaissance du travail po tique 1 Ducasse nous rappelle sans cesse la r alit c est pour mieux prouver notre sens de la fiction car la lecture est toujours double et devrait sans cesse avoir en vue la fois le spectacle produit et les lois qui le permettent T che diffi cile et c est pour cela sans doute que les Po sies renonceront l ambiguit pour d finitivement prendre parti contre la fiction en faveur de la logique Pour l heure Ducasse est mi chemin et n a rien trouv d autre que d envelopper ses apologues dans un r seau
198. e de la bont sur le fronton des parchemins que contiennent les biblioth ques II 1 Conclusion cynique mais lucide Et d ailleurs le but fix n est il pas atteint Tous les masques sont arrach s et la sup riorit de la nouvelle m thode peut donc tre consid r e comme exp rimentalement tablie Le chant premier mal gr toutes les apparences contraires est un succes O tre humain te voil maintenant nu comme un ver en pr sence de mon glaive de diamant II 1 Voil donc l homme expuls de son paradis goiste et artificiel par un Ducasse triomphant dans son r le d ange extermina teur surgi des manigances de la fiction Exorcismes Rien ne nous permet de supputer sur quels faits Ducasse peut bien fonder l assurance de sa r ussite Peut tre lui a t il suffi de quelques r actions n gatives ou de quelques chos d favorables sus cit s par la pr publication du chant premier pour qu il estime avoir atteint son but Sans doute l humanit n est elle cependant pas tout fait parvenue jusqu au bout des conclusions que Ducasse voulait l amener d duire d elle m me toujours est il qu il prend les devants en explicitant les prochains d veloppements de sa manceuvre Il faut constater que ce quoi il fait aussit t allusion cest une nouvelle fois la m thode Mais changement de perspective c est de celle de l homme qu il va tre question M thode contre m thode combat de pui
199. e de tout l heure et repris ensuite non sans gaucherie d ailleurs C est cause de Lohengrin que ce qui pr c de a t crit revenons donc lui Suit l explica tion de ce cause de en deux temps Premier temps Cons quence logique de sa position telle du moins qu il l exposait dans son r quisitoire contre Dieu Maldoror avait d abrod voulu supprimer Lohengrin encore l ge d inno cence dans la crainte qu il ne devint plus tard comme les autres hommes j avais d abord r solu de le tuer coups de couteau Ce premier temps ne fait qu esquisser le sc nario d un r cit qui serait tout fait acceptable dans la logique qui est celle de Maldoror et de son nihilisme Mais nous soup onnons bien en nous rappe lant les objectifs nonc s par Ducasse qu il ne peut simplement vouloir le spectacle d un crime Il ne s agit l que d un d tour par la logique du pire Et en effet coup de th tre pour le lecteur naif Maldoror renonce son projet D s lors deuxi me temps toute la situation se retourne c est Maldoror qui s offre aux coups de Lohengrin Dans la noirceur g n rale de l humanit une petite lueur s est allum e qui a suffi tout changer et tout racheter en ramenant l esp rance vertu cl radicalement oppos e au doute Oui c est encore beau de donner sa vie pour un tre humain et de conserver ainsi l esp rance que tous les hommes ne sont pas m
200. e de toute l entreprise qui passe elle aussi d un maximum de narrativit un maximum de discursivit en passant des Chants aux Po sies Pour tenter de comprendre le sens de cette mise en place respec tive du discours et du r cit pour en d nouer l nigme insistante sans doute convient il de rapporter la strophe la strat gie dont nous avons qu elle articule un moment Il faut par cons quent la lire de telle sorte que viennent au jour les points d appui de sa structure argumentative Consid rons les choses ainsi dans l ensemble des Chants l enjeu essentiel nous a paru se ramener ceci qu il faut pour que l humanit soit la hauteur de l id al qu elle peut suppor ter que cet id al demeure sauf m me au milieu du naufrage qu est la r alit humaine Id al et r alit se nient l un l autre et cha FICTIONS C LESTES 107 cun ne peut s affirmer que s il prouve l inanit de l autre La contra diction constitutive du probl me humain est l d un c t l homme est faillible l che d bauch et cruel mais cela ne l emp che pas par ailleurs de se former une repr sentation id ale du bien de la vertu etc D un c t un d sordre sans loi de l autre une Loi Morale transcendante Le probl me de Lautr amont est de d gager l imp ratif de cette transcendance et de la sauver Chaque strophe des Chants s y applique en faisant face et en posant que oui le mal domine ce monde mais que l exigence tran
201. e discours de la morale et le pathos de la fiction se tressent en un texte o le destina taire doit apprendre distinguer les marques qui le constituent tan t t comme tre moral aspirant au bien tant t comme consomma teur de fictions qui peuvent entrainer sa chute La fiction critique labor e dans les Chants est un appel la raison qui sollicite la m diation de l imaginaire pour bien souligner l irr m diable dan ger de la fascination exerc e par le mal Pour le d montrer Maldoror se fait voyeur offrant au lecteur le point de vue du Mal sur le Bien Que signifie ce spectacle sexclame t il en voyant la famille d Edouard lt Il y a beaucoup de gens qui sont moins heureux que ceux l Quel est le raisonnement qu ils se font pour aimer l existence Toute son action va alors viser prouver que ce bonheur n est pas l abri des atteintes du mal le fid isme n est pas une garantie La simple pression du ques tionnement le d mon est celui qui questionne suffit engendrer le chaos Je ne sais comment cela se fait mais je sens les facult s humaines qui se livrent des combats dans mon c ur Mon me est inqui te et sans savoir pourquoi dit la m re Chez le fils plus directement attaqu par Maldoror les effets de la tentation sont plus radicaux M re je respire peine Quelque chose se retourne en moi que je ne saurais expliquer M re il m tran gle P re secourez moi
202. e et formelle par laquelle les seuls nonc s vrais seront les maximes fond es sur les premiers principes La science de Ducasse est bien plut t une sapience en acte un gal Savoir critique M prise donc chez les lecteurs les plus attentifs et non pas erreur car il y a dans les lectures de Ducasse de par la forme de leur m compr hension pourtant pleine de sens une n cessit nous sommes radicalement impuissants pouser la cause de Ducasse m me si nous parvenons nous la repr senter Cette cause propagande du bien lutte contre le mal si r elle pour Ducasse elle fait trou dans le r el de ses lecteurs modernes Elle fait que Ducasse puisqu il s y identifie tout simplement n existe pas Dans notre variante d univers il ne peut avoir de place car il est impensable temporairement peut tre on relit bien d j les P res de l Eglise qu une th orie de l criture puisse tre d essence d inspiration et de destination morales Mais il ne s agit nullement de le d plorer La probl matique de Ducasse nous est d finitivement trang re nous ne pouvons la res saisir que comme un artefact arch ologique dans le r seau d une reconstruction abstraite et nous ne pouvons tre sensibles qu ce que notre m prise fondatrice nous permet d appr cier la fiction d chain e ou l imp ratif de la formalisation La le on n est pas pour nous qu il faut en revenir aux Classiques ou Victor Cous
203. e expia toire Vois il n est pas reconnaissant ce manitou horrible des lar ges coupes de sang et de cervelle que tu r pands sur ses autels L homme pers v re pourtant dans ce culte absurde pourquoi ton raisonnement s appuie sur cette consid ration qu une divinit d une puissance extr me peut seule montrer tant de m pris envers les fid les qui ob issent sa religion Dans le discours de Maldoror s entend d j ici la voix du Ducasse des Po sies mais il n est encore question dans les Chants que de pousser l extr me le personnage du h ros maudit repoussoir du bien Fid le son r le de provocateur Maldoror ne peut que pren 74 LAUTR AMONT dre ostensiblement le parti du dieu pou pour le mal qu il fait l homme lt Je te salue soleil levant lib rateur c leste toi l ennemi invisible de Phomme gt Mais comprenons bien ce que Ducasse sugg re par l l homme poss de un ennemi mortel qu il s est lui m me cr un dieu qu il a charg de toute sa propre cruaut facteur de mal sa ressemblance dieu d indiff rence et d arbitraire m l s Aussi Maldoror est il le mieux m me de par la lucidit que lui conf re sa haine pour l homme de d voiler ce que devrait tre la conduite de ce dernier s il voulait se d barrasser enfin de sa trom peuse conception et y substituer les lt id es justes gt que les Po sies finiront par livrer sans ruses ni d guisements litt raires S
204. e fait un tonnant mus e critique un catalogue minutieux des lieux communs dont il s agit de d noncer l effet pervers premiere forme du lt plagiat gt th oris e par la suite dans les Po sies o l on verra explicitement apparaitre l id e selon laquelle la critique de l id olo gie passe par une linguistique on ne r ve que lorsqu on dort Ce sont des mots comme celui de r ve n ant de la vie passage terres tre la pr position peut tre le tr pied d sordonn qui ont infiltr dans vos mes cette po sie moite des langueurs pareille de la pourriture Passer des mots aux id es il n y a qu un pas Ou encore Ne flattez pas le culte d adjectifs tels que indescriptible in narrable rutilant incomparable colossal qui mentent sans ver gogne aux substantifs qu ils d figurent ils sont poursuivis par la lubricit La strophe suivante nous fera comprendre que l asc se linguisti que dont les Po sies pr neront la n cessit tout en offrant l exemple de leur concision et de leur vivacit elliptique cette asc se n est pas le seul but poursuivi c est la pens e elle m me qu il s agira de r former C est une pens e de la mesure de l ordre un refus de bru meux et du m taphysique dont il recherche la victoire en bataillant de mani re ironique et pol mique contre ce qui lui r pugne le plus la d lectation morose et l asservissement passif au mal Fondamen talement la d marche de Ducass
205. e forme imp rative et non pas un ordre for mel est il pr cis Pr cision qui n est peut tre pas sans port e dans une strophe o il va tre question de croyances et de foi car la nuance ainsi apport e ne peut tre qu un accent mis sur la tol rance C est encore cet esprit de tol rance et de respect de l opinion de l autre que nous trouvons aussit t apr s le narrateur tout en se disant certain que nous pourrons en nous agenouillant r jouir extr mement l me du mort conc de je ne dis pas que votre opinion ne puisse jusqu un certain point tre contraire la mienne Cependant l aspect de simple politesse impliqu par ce respect ostensible re oit aussit t une interpr tation qui nous am ne dans le domaine de l thique dont nous avons vu que pas une strophe ne s abstient d y retourner Cela se traduit g n ralement par le rappel 154 LAUTR AMONT plus ou moins transform de quelques pr ceptes simples et c est encore le cas ici de mani re peut tre plus nue que dans aucun autre passage Jusqu maintenant et dans une forme nettement kantienne ce qu il importe avant tout c est de poss der des notions justes sur les bases de la morale de telle mani re que cha cun doive se p n trer du principe qui commande de faire autrui ce que l on voudrait peut tre qui f t fait soi m me L introduction de la strophe se termine donc comme nombre de strophes apr s avo
206. e gu pes se sont empar es des rigoles et des corniches Elles voltigent autour des colonnes comme les ondes paisses d une chevelure noire Seuls habitants du froid portique ils gardent l entr e des vestibules comme un droit h r ditaire Je compare le bourdonnement de leurs ailes m talliques au choc incessant des gla cons pr cipit s les uns contre les autres pendant la d b cle des mers polaires Mais si je consid re la conduite de celui auquel la providence etc Le je compare performatif insistant effectue une mise dis tance de l op ration de comparer Il en fait une op ration analyti que parce qu il la d sautomatise Le langage est ainsi tenu sous un regard qui en scrute les mouvements en met plat les complexit s Ce que Ducasse entreprend donc c est une v ritable anatomie com par e des m taphores Chaque tape m taphorique sera motiv e chaque mot s il n est pas pourvu d une vidence suffisante devra justifier de son apparition et de ses fonctions de ses titres logiques l emploi qu il postule Nous verrons plus loin des cas particuli re 116 LAUTR AMONT ment frappants de cette exigence d asc se qui voudra couper court au bavardage et aux enjolivements immotiv s l horizon de cette d marche l id al de la lt nouvelle gt science o diront les Po sies tout vient sa place La strophe suivante fournit une premi re d monstration des effets de telles exigences et
207. e gymnastique de la rai son Lautr amont ne se contente pas ici de faire un rappel contin gent aux st r otypes de la discipline intellectuelle il fait au con traire de leur r affirmation le moment antith tique d un raisonne ment global dont la th se est un condens de ses positions m taphy siques Il ne s agit de vanter les math matiques que pour d crier l homme Pour une lt imagination gt sup rieure une question fon damentale se pose en effet Elle se demande pench e vers le pr cipice d un point d interrogation fatal comment se fait il que les math matiques contiennent tant d imposantes grandeurs et tant de v rit incontestable tandis que si elle les compare l homme elle 78 LAUTR AMONT ne trouve en ce dernier que faux orgueil et mensonge Avec emphase avec la grandiloquence affect e qui souligne le caract re citationnel du texte Lautr amont d veloppe le th me en particulier quand il s agit de faire porter l antith se sur la tempora lit propre l homme face l ternit dont jouissent les math mati ques Vous vous restez toujours les m mes Aucun changement aucun air empest n effleure les rocs escarp s et les vall es immenses de votre identit la fin des si cles les verra si ger la droite vengeresse du Tout Puissant tandis que l humanit grima cante songera faire ses comptes avec le jugement dernier Les math matiques poss dent u
208. e imaginaire Aussi Lau tr amont peut il dire un moment que son livre attaque l homme le Cr ateur et lu1 m me et dire le moment suivant que d sor mais les ficelles du roman remueront les trois personnages nomm s plus haut Curieux paradoxe la limite de l oxymore qui fait de l homme du Cr ateur et de l auteur des entit s vagues mais des personnages de roman des tres dou s d une nergique vie qui poseront prosaiquement devant votre visage Chaque moment de la fiction est donc marqu de sa d n gation et ne peut jamais se soutenir dans un r le d finitif Peut tre est ce par le malaise qui apparait ainsi que Lautr amont peut esp rer ramener son lecteur un sens plus aigu des logiques diff rentes l uvre dans l criture et dans le mode r el en jouant les confondre Toujours est il que qualifiant lui m me sa pr face d hybride il insiste pour nous pr venir de ce que ce sentiment de remarquable stup faction auquel on doit g n ralement chercher soustraire ceux qui passent leur temps lire des livres ou des brochures j ai fait tous mes efforts pour le produire Quoiqu il en soit l objectif d clar reste m taphysique et moral Lautr amont Maldoror transposant le dilemme du r alisme cette CECI N EST PAS UN ROMAN 169 sph re lui donne galement une dimension analytique I faut je le sais tayer d un grand nombre de preuves l arg
209. e lui m me en est un agressif reflet qui pouse contre l homme la cause de toute la nature Or cette strophe reviendra en effet sur la question du semblable nous le ver rons Mais peut tre est il possible de trouver d autres justifications cette sorte de charade qui se formulerait alors ainsi mon pre mier est un homme mon second est une pierre mon troisi me est un arbre et mon tout est tout ce qui n est pas l homme On peut bien s r penser un certain nombre de l gendes classi ques sur l origine de l homme puisque c est lui qui se trouve ici vis et qui le font provenir tant t du ch ne tant t de la pierre Hom re Odyss e XIX v 163 H siode Opera et Dies v 145 Pindare Olympiades IX autist 2 Juv nal Satires VI v 12 etc mais un tel rappel pourrait difficilement prendre assez de sens dans le contexte des Chants pour devenir tout fait vraisemblable Au contraire si l on rapproche la phrase de Ducasse de la phrase sui vante les choses prennent un tout autre aspect Dieu n est ni un FICTION EN PARTIE DOUBLE 113 homme ni une plante ni une pierre gt C est P Janet qui s exprime ainsi dans un ouvrage dont le ton g n ral est tr s proche du Ducasse des Po sies La Crise Philosophique 1865 Comment inter pr ter un tel rapprochement Si l on suppose que Ducasse comme il le fait syst matiquement dans les Po sies a lt corrig gt la phrase de Paul Janet en
210. e m ritent elles pas plus que de se faire pingler fragment par fragment la marge du grand texte dont elles ne sont tout prendre que le satellite un peu extravagant Elles en ont pous les mouvements elles sont n es de sa naissance et ne se sont condens es l cart que de fa on artificieuse en suppl ment inattendu de leur rassemblement se d gagent les grandes lignes d une doctrine en train de se faire avec violence et non sans obscu rit s une doctrine dont l essentiel se r v lait d j nous l avons vu la lecture attentive des Chants Il n en reste pas moins qu en prenant forme imprim e ces margi nalia soul vent de nouvelles questions Le geste m me de leur publi cation avec son c r monial un peu solonnel et qu on sait r gl par Ducasse avec une attention tr s pr sente aux d tails ce geste donne d embl e une autre signification aux pages de notes ainsi rassem bl es Mais quelle signification au juste Tenter de le pr ciser ne va pas sans risques de graves approximations d multipli es par la n cessit ou nous nous sommes d j trouv s de construire des hypo theses ne reposant leur tour que sur d autres hypoth ses Souli gnons alors au moins un point qui parait lui bien assur Ducasse n a pas voulu ne voir dans ces notes que des brouillons impr senta bles des restes sans commune mesure avec ce qu il vise C est donc qu il leur reconnait une valeur qui r side pour une large par
211. e qu il connait qui l a lui m me form et dont la d sinvolture philosophique l indigne profond ment Effroi redoubl quand il s aperqoit que ce qu il croyait maitriser le maitrise souverainement 202 LAUTR AMONT Il pensait avoir dompt les monstres et se voit tout coup dans leurs griffes Maldoror lui chappe lui l apprenti sorcier devenu Frankenstein Ses propres fictions l ont jou Et c est alors que son effort de maitrise m ta fictionnelle les Chants ayant chou il se voit pouss changer de niveau pour renouveler sa tactique non plus la fiction mais la logique non plus la m ta fiction mais la reprise m ta discursive et m talinguis tique de toute la probl matique morale Ici se situe alors la seconde m prise celle qui ne laisse voir dans les Po sies qu un essai de saisie scientifique de l criture selon 7e Quel un reniement assum selon Breton Comme pour les Chants l enjeu essentiel c est pourtant bien encore la lutte du bien et du mal Si Ducasse veut supprimer toute fiction r former le langage faire une critique du discours C est pour chapper d finitivement au pi ge des mots pour avoir tout enti re la langue en face de lui sans craindre qu elle ne le ligote nouveau par le jeu incontr lable de ses involutions et de ses retournements Ducasse refuse d tre dupe une nouvelle fois et craint pourtant de duper encore La seule approche qui lui reste est donc l approche conceptuell
212. e que parce que son but est demeur le m me Selon toute apparence l criture tra vaille pour lui d embl e comme une pratique d ploy e sous le con tr le d un ensemble de proc dures r gl es La fiction r pond des imp ratifs t l onomiques elle est la traduction langagiere d un r seau de calculs et de d cisions d fini dans le ressort d une strat gie Quelle strat gie en vue de quels objectifs nous le verrons Pour l instant il faut d abord insister sur un point la place assi gn e par Ducasse la m thode est une indication importante quant aux ancrages qui sont les siens dans les syst mes de pens e contem porains Les grands principes sans cesse r p t s en sont connus de 20 LAUTR AMONT tous ou tout au moins de ceux qui dans les ann es 1850 1870 font leur apprentissage philosophique dans les manuels courants suivent les d bats d actualit ou tout simplement feuillettent de temps en temps la Revue des Deux Mondes D une mani re g n rale depuis Descartes la m thode r f re avant tout la strat gie fondamentale de la raison dans son proc s de d voilement de la v rit d acc s l vidence Ducasse lui aussi veut amener son lecteur se rendre une certaine vidence Rien de moins litt raire rien de moins po tique En mettant la m thode en position de pivot dans la conception de son uvre Ducasse se soustrait dans une large mesure aux id ologies stricte me
213. e reconnaissance humaine D un c t quand Maldoror est vu sous l angle de sa m chan cet il est radicalement mauvais Dangereux et destructeur un regard de ses yeux suffit an antir un village D j les mana tions des cadavres viennent jusqu moi pire m me mon regard peut donner la mort m me aux plan tes qui tournent dans l espace D un autre c t cependant quelque chose travaille le personnage dans un sens tout diff rent qui d ment son apparent monolithisme C est ce que va confirmer la suite quand m connais sant sa propre image Maldoror va esquisser une sorte de parade destin e la s duire Parade de langage lest e d un d sir d une demande d amour qui peu peu donne consistance au fantasme qu il va s offrir servir La dialectique lacanienne d crirait ce mouvement s il ne s agis sait pas de fiction dans la fiction Ducasse l anticipe et nous nous FICTION EN PARTIE DOUBLE 125 contenterons de ses mots lui lt Je ne suis pas si m chant que toi voil pourquoi ton g nie s incline de lui m me devant le mien gt De Maldoror tel qu il se pense Maldoror tel qu il se projette fan tasmatiquement le mot de projection figure dans le texte une distance se forme il n est pas identique lui m me car son appa rence d tach e de lui le fait diff rent de ce qu il est ou de ce qu il s prouve Ainsi donc et malgr tout ce que le rappel de ses crimes a
214. e soit le h ros noir lui m me qui s ali ne jusqu se faire le porte parole d un discours qui le met totalement en question Ducasse a si bien r ussi brouiller le lieu d nonciation du discours du bien que nul ne peut lui reprocher d tre tomb dans les naivet s de l ancienne cole Quant au fos soyeur rass r n il peut nouveau rendre la mort accueillante et sereine son tour d mythifi e Elle est la justice m me comme dans la plus pure des traditions chr tiennes lt J ai vu se ranger sous les drapeaux de la mort celui qui fut beau celui qui apr s sa vie n a pas enlaidi l homme la femme le mendiant les fils de rois les illusions de la jeunesse les squelettes des vieillards le g nie la folie la paresse son contraire celui qui fut faux celui qui fut vrai le masque de l orgueilleux la modestie de l humble le vice couronn de fleurs et l innocence trahie I 12 La Roue de la Fortune solde tous les comptes et la mort n est un myst re effrayant que si l on n glige de prendre son compte sa v rit dans le contexte d un plan divin Les vivants ont pour devoir de vivre il faut laisser les morts ensevelir les morts Douleur et m cbancet L inspiration de cette strophe se maintient en grande partie dans la suivante o il s agit encore d un dialogue mais l interlocuteur de Maldoror apr s avoir t Dazet dans une premi re version de ce chant et simplement D
215. e toute ambiguit deux discours se fondent port s par une seule parole et jouent se contredire jusqu ce que toujours le bien ait le dernier mot hommage du vice rendu la 152 LAUTR AMONT vertu Nous croyons aussi et r ciproquement que seule la logique que nous avons mise en vidence peut autoriser une lecture sans reste qui n ait pas faire silence sur des pans entiers du texte pour se soutenir d une apparente coh rence La coh rence de ce texte ne r side pas dans un discours monologique soit celui du mal soit celui du bien mais dans un tra age dialogique emportant dans un seul mouvement d criture des th ses contradictoires dont l une d bouche toujours sur un d sordre et une destruction tandis que l autre se ramasse infailliblement dans la rigueur d une maxime triomphante En passant des Chants aux Po sies la premi re volx tombera pour ne plus laisser le champ qu une tentative de moralisation int grale de tout discours La strophe qui suit V 6 revient un sch ma beaucoup plus complexe apr s la parenth se relativement simple sur les p d ras tes Elle la prolonge cependant au moins sur un point dans la stro phe pr c dente Maldoror nous peignait les ravages caus s par l attrait de ses lt gouttes s minales gt sur tout ce qui poss de des nerfs olfactifs guerre et massacres en r sultent qui t moignent de la force d vastatrice de la pulsion libidinale C est
216. e trompe pas Comme elle est souvent impuis sante pr venir le mal elle ne cesse de traquer homme comme un renard surtout dans l obscurit Nous avons l un embryon de ph nom nologie de la conscience morale mais qui passerait par la fable et la m taphore excentrique de pr f rence l introspection analytique que pr naient les psychologues du d but du si cle les Maine de Biran ou Jouffroy dont les spiritualistes seront les h ritiers La conscience et ses tortures ne peuvent avoir t envoy es sur la terre que par le Cr ateur acharn contre l homme et ce qui devient tout coup pour Maldoror son innocence Ennemi de l homme mais plus encore ennemi de ce Cr ateur impi toyable pour sa cr ature Maldoror doit ici prendre parti pour l homme dans la mesure o celui ci est son tour pers cut par 94 LAUTR AMONT l ennemi commun source ultime de tout mal mais surtout de la souffrance humaine injustifi e telle que le romantisme l a mise en vidence L pisode n est cependant pas des plus clairs puisque c est en attaquant le Cr ateur pour d fendre l homme que Maldoror tire de Dieu des cris qui Modo en serpents finissent par empoisonner l homme de leur morsure des fois l homme aper oit le poison s introduire dans les in DN de sa jambe par une morsure presque imperceptible La d fense de l homme r sulte donc dans une plus grande souffrance inflig e celui ci par
217. e trouve interpr t e par Maldoror comme une sorte de dispositif de d tection du mal et nullement comme l indice d une pr sence divine quand mes pieds foulent le basalte des glises dans les heures nocturnes pourquoi te mets tu briller d une mani re qui je l avoue me parait extraordinaire Et quand je me retire apr s avoir blasph m tu deviens inaper ue modeste et p le s re d avoir accompli un acte de justice Cette fonction de signalisa tion apr s les m tamorphoses dont le r cit permet la mise en fiction particuli re la strophe la lampe la retrouvera mais ses manifesta tions seront cod es de fagon inverse ce qui pr valait d abord Quand il passe sur les ponts un tre humain qui a quelque chose sur la conscience elle teint subitement ses reflets En passant de l int rieur qu elle d signe comme espace sacr l ext rieur profane la lampe symbole change d exposant mais elle n en demeure pas moins le signifiant du bien On voit donc que m me sous cette premi re forme l adversaire auquel se mesure Maldoror n est pas des plus communs mais il sait tout de suite y reconnaitre ce que le lecteur a peut tre quelque peine identifier Je ne pr tends pas que lorsque je ne te fais rien tu te comportes sciemment d une mani re qui me soit nuisible gt lt Il croit voir une espece de provocation dans l attitude de cette lampe qui l irrite au plus haut degr
218. e une place minente dans la suite du chant La strophe commence pourtant de mani re nigmatique C est un homme ou une pierre ou un arbre qui va commencer le quatri me chant Sans autre explication Celui qui se donnait volontiers jusqu alors pour l auteur de ses propres aventures Maldoror ne se nomme plus en tant que tel C est pourtant bien lui nous nous en assure rons tout l heure qui tient la harpe la sonorit puissante et s raphique Pourquoi Maldoror se pr senterait il lui m me ainsi voix assez plastique pour articuler tous les discours de la nature cr e Peut tre parce que par l m me l homme peut tre ramen au rang d un existant comme les autres changeable pour un arbre pour une pierre Peut tre aussi pour en quelque sorte d naturaliser Maldoror pour dissoudre inqui ter interroger sa nature de per sonnage litt raire Il passerait alors d un r le purement rh tori que crit au r le de porte parole ou de repr sentant de toute la nature en tant que se pose elle le probl me de l homme Car cette voix elle va encore s attaquer Phomme bien que ce soit aussi un homme qui puisse en tenir le discours Mais cela ne nous tonne pas nous avons vu quel point la dialectique du semblable dominait l existence litt raire de Maldoror faisait m me en r alit la seule dimension stable de son caract re Si Maldoror peut attaquer l homme c est parce qu
219. econduits une m taphysi que qui ne peut s appuyer se fonder que sur le paradoxe d une incompossibilit double v rit intenable dont il s agit de r duire l antinomie On le verra avec les Po sies la solution ducassienne est d une grande simplicit puisqu il ne s agit au fond que de faire silence sur les difficult s les myst res les incertitudes pour pro mouvoir en r gle unique le respect de l ordre et l ob issance la loi d o le rappel insistant la seule consid ration des premiers principes et des axiomes sacr s En ce sens les Chants ne s attardent donc l expos narratif des antinomies cit es que pour mimer par l en la d voilant la struc ture m taphysique dont la lt po sie du doute gt fait toute sa res source traduites dans les termes lyriques d un pathos de l ind cision douloureuse h sitation prolong e entre Dieu et l homme le bien et le mal le vice et la vertu l ang lisme et la tentation lucif rienne En portant leur comble les exces inscrits dans la logique du roman tisme d sesp r Lautr amont d chire les d guisements dont elle se voilait et expose en spectacle l insoutenable des repr sentations qu elle dissimule Dieu vautr dans la fange ignoble et avili La fantasmatique de l abaissement horreur et s duction m l es ne saurait mieux se traduire que par l articulation de cet impronon cable du romantisme son soleil noir le sexe log en
220. ectique qui invente parall lement la fiction et la pens e qui la r cuse Pris dans les complexit s de cet trange processus corrig s Pascal ou Vauvenargues rendent un son bien bizarre mais c est parce que nous n avons l habitude que de la critique du constat sceptique et non celle de l affirmation positive forcen e pr te m me nier la r alit pour forcer l imaginaire s ouvrir sur ce qu il ne saurait concevoir La m prise D o vient ce besoin de ne chercher le vrai qu au niveau de l anecdote et par le faux du pittoresque Certes nous le savons chacun de nous est menac par son Golem grossi re image d argile notre dou ble erreur la d risoire idole qui nous rend visibles et contre laquelle vivants il nous est donn de pro tester par la discr tion de notre vie mais voici que morts elle nous perp tue M Blanchot L entretien infini Lautr amont n aura donc t qu un mythe Le constater n implique ni soulagement ni condescendance Cela n implique pas non plus qu partir de l une autre v rit soit possible Tenter de vivre notre litt rature sans ce Lautr amont l exigerait en fait que se d nouent d abord de mani re intelligible les n uds que forment nos croyances et les liens qui nous retiennent en elles pas seule ment celle qui nous fit croire Maldoror mais bien toutes celles qui hantent des mots tels que litt rature po te ou v rit
221. ement qui permet d expliciter les liens que son exp rience de contre r cit entretient avec le projet moral que nous avons mis en vidence tout au long de cette tude C est en effet tout le d bat propre Ducasse qu il est possible de voir affleurer Il nous assure d une part de son opposition ce type de po sie qui va chercher ses effets dans une contre nature et une anti morale d autre part cependant il recon nait qu il ne suffit pas de recourir ces deux moyens pour tre assur du r sultat N est ce pas l la cl de toute l exp rience des Chants telle qu elle culmine dans ce roman final Ducasse croyons nous est parti d une conviction la n cessit de restaurer une po sie accord e la raison l ordre de la nature et au bien Mais sa m thode nous y avons insist innovait dans le sens o il ne s agissait pas pour lui de mener contre la litt rature romantique une pol mique ext rieure abstraite mais au contraire concr te et int rieure d valorisation et destruction du genre par lui m me Pour y parvenir encore fallait il en maitriser la technique et les effets T che dont Ducasse reconnait qu elle ne fut pas facile mais qu il estime avoir men e bien puisqu il s agissait pour lui de con vaincre son lecteur sur deux plans la fois apparemment inconci liables d une part il lui fallait r ussir son simulacre de roman noir devenu roman feuilleton mais en m me temps il fa
222. en de celui qu on violente Vautrin Herrera aurait pu dire Lucien ce que le narrateur des Chants enseigne l tre humain Avec des pr cautions il est possible d apprendre celui qui croit l ignorer que les loups et les brigands ne se d vorent pas entre eux ce n est peut tre pas leur coutume Par cons quent remets sans peur entre ses mains le soin de ton existence illa con duira d une mani re qu il connait II 1 Maldoror le Brigand contre et avec l homme loup En attaquant l homme Maldoror ob it un dessein profond d une grande com plexit dont les ruses r pondent la n cessit en ces mati res de prendre des pr cautions afin de faire passer la le on Travail paradoxal d dification ou d exorcisme dont la voix narrative s efforce de souligner les aspects retors en prenant elle m me des distances vis vis du personnage et l on pourrait dire que c est dans ces distances que consiste finalement toute la le on Il s agit en effet de bien faire comprendre au lecteur qu il doit d masquer Mal doror dans le temps m me o Maldoror le d masque Ne crois pas l intention qu il fait reluire au soleil de te corriger car tu l int resses m diocrement pour ne pas dire moins Mais c est qu il aime te faire du mal dans la l gitime persuasion que tu deviennes aussi m chant que lui et que tu l accompagnes dans le gouffre b ant de l enfer quand cette heure sonnera II
223. en La quatorzi me stro phe repr sente l un de ces moments d enseignement d couvert sans passage par le n gatif ou tout le moins celui ci ne prend il alors qu une forme tr s att nu e Cette strophe traite en effet de maniere elliptique et sobre de l un des probl mes dominants dans la dialectique romantique celui du suicide Le vers de Mallarm Victorieusement fui le suidice beau pourrait r sumer ce moment des Chants o Ducasse prend nettement parti contre la mode trop bien install e depuis le Werther de Goethe Le suicide est pourtant bien pr sent dans le droit fil du romantisme comme un geste de protestation philosophique contre la nature de ce monde o il nous faut vivre Un jeune homme s est jet dans la Seine et des badauds se rassemblent autour du corps du noy On plaint le jeune homme qui s est sui cid on l admire mais on ne l imite pas Et cependant lui a trouv tr s naturel de se donner la mort ne jugeant rien sur la terre capable de le contenter et aspirant plus haut Ce jeune homme pourrait tre le Maldoror de la strophe pr c dente aspirant lui aussi autre chose Mais Maldoror trouvait effectivement dans cette strophe ce qu il cherchait son image une d finition m taphorique de sa nature en tant qu homme tel que la litt rature le constitue Ici c est le jeune homme qui trouve Maldo ror mais tout coup devenu consolateur O toi Holzer qui te croyai
224. en d autre que la marque de notre essence divine Alors cherche nous faire entendre Ducasse il faut cesser de rem cher nos souffrances et nos doutes il faut cesser de contempler un seul c t des choses comme il le dira dans les Po sies S abandonner cette pratique d sastreuse en hurleurs maniaques c est folie ou maladie Tout l effort de l crivain qu il veut tre consistera donc par les moyens de la fic tion tenter de convaincre le lecteur endurci dans ses habitudes mauvaises de changer de chemin tout comme lui m me voulu changer de m thode Il y a d j une immense douleur cha que page Est ce le mal cela Non certes aucun moment de cette d marche Ducasse ne s carte de maniere essentielle de l ordre philosophique et moral qui soutient la production litt raire du si cle Dieu et Satan sont l le bien et le mal double postulation qui aura beaucoup servi de Byron Baudelaire la douleur l interrogation humaine devant la mort le ciel apparemment vide le scepticisme le doute Comme de nom breux h ros romantiques qu il est l pour imiter et d passer Mal doror r sume ces interrogations et d fie la fiction d en autoriser la dramatisation L o cependant Ducasse s carte r solument de ses pr d cesseurs c est dans l attitude philosophique qu il adopte vis vis de tous ces probl mes il ne saurait plus tre question pour lui de s attarder dans le dou
225. engrin dans la strophe pr c dente la marque de Lombano est de diff rer des autres Lau tr amont ne manque pas de r inscrire cette diff rence pr cieuse dans le contexte id ologique dont elle est issue le romantisme Il se d m ne mais en vain dans le si cle o il a t jet il sent qu il n y est pas sa place et cependant il ne peut en sortir Prison terrible Fatalit hideuse De Rousseau Chateaubriand de Jean Paul Musset le th me possede une longue et riche histoire Lautr amont n innove videm ment pas en le reprenant son compte Il le sait et il le fait sans dis cr tion en pesant sur des st r otypes pour que le lecteur le sache aussi Les phrases que nous avons cit es ont dans le texte m me une allure d j citationnelle Telle est la m thode des Chants dans son aspect le plus insidieux La prise de distance s effectue ainsi par l usage de guillemets invisibles Elle se fait aussi en for ant le trait par exemple lorsque Maldoror communique une nouvelle fois le contenu moral du programme de Lautr amont Ma po sie ne consistera qu attaquer par tous les moyens l homme cette b te fauve et le Cr ateur qui n aurait pas d engendrer une pareille vermine Nous sommes loin de ce que les Po sies traiteront de pleurniche ries il s agit ici de ne pas se laisser aller aux lamentations aux contemplations d sesp r es ou aux d sespoirs trop abstraits Il ne
226. ent descendu jusqu vivre le tout de la condition humaine lui aussi crucifi le clou de forge Mais au lieu de venir sauver l homme en accep tant de mourir pour lui Maldoror s engage dans un vang lisme autrement actif et qui tient plus de la loi du talion selon l Ancien Testament que de la charit chr tienne Maldoror est sans ambi guit un g nie du bien attach sa mission mais il est r solu la poursuivre par ses propres moyens non plus pr chant parmi les hommes mais agissant contre eux pour leur imposer de venir r sipiscence que ma guerre contre l homme s ternise puisque chacun reconnait dans l autre sa propre d gradation puisque les deux sont ennemis mortels N oublions cependant pas que Maldoror est un double reflet s il est l image de l homme il est aussi l image de l homme romantique dans la litt rature D un c t bien s r fid le sa premi re m thode Ducasse d cha ne un h ros mal fique acharn mettre l homme devant ses fautes et ses crimes pour l amener au repentir Mais d un autre c t dans la mesure o il ne fait ceci qu en exa g rant le diapason Maldoror reste toujours un personnage qui n chappe aucun moment son cr ateur En un sens Maldoror est donc aussi une analyse du romantisme de la lt po sie du doute du d sespoir Et par l m me il incline d j Ducasse vers sa seconde m thode trop outrer son personnage Du
227. ent sacr s de la famille ne suffisent pas arr ter les ravages du mal C est donc un homme revenu de tout ayant quitt tout espoir et toute croyance qui vit d sormais parmi les poissons dans les grottes de cristal de l oc an D une telle exp rience ne peut se d duire qu une nouvelle accusation contre l homme en g n ral Quelle devint ma haine g n rale contre l humanit confie t il Maldoror tu le devines La morale du conte est celle que nous pouvions attendre puisque chaque strophe y revient inlassablement lt D go t des habitants du continent qui quoiqu ils s intitulassent mes sembla bles ne paraissaient pas jusqu ici me ressembler en rien s ils trou vaient que je leur ressemblasse pourquoi me faisaient ils du mal dit l homme cygne il ne lui restait plus que la mort Mais la mer FICTION EN PARTIE DOUBLE 131 ironie de l homonymie se r v la un asile accueillant Devant une telle image de lui m me Maldoror ne peut ressentir qu amiti gt et lt v n ration gt Nous avons dit lt image gt et ce n est bien l en effet qu un reflet de lui m me que Maldoror rencon tre puisqu il est seul pouvoir voir le ph nom ne de mani re sym trique l aventure qui lui tait auparavant survenue l incapa cit de reconnaitre sa propre image L amphibie n est autre que Maldoror tel qu il cherche ne pas se voir ou plut t cette partie de lui m me qui est la cause de
228. entions retorses des choix retenus pour faire d sirer le bien au lecteur Chaque moment de l argument et chaque pi ce de la fiction se trouvent marqu s et remarqu s chaque intention soulign e Ducasse n a t il pas alors pleinement raison quand il con clut lt ll me semble que je parle de mani re intentionnellement paternelle et que l humanit n a pas le droit de se plaindre gt Il 1 Ang lisme et satanisme Il a fallu neuf strophes sur les quatorze que compte le chant pre mier pour que se mette en place le dispositif complexe qui doit g n rer la fois la structure s mantique des Chants l algorithme de leur mise en scene ainsi que la forme rh torique de leur argument m taphysique et moral Sans oublier le narrataire id al exig pour qu ait lieu l exact d chiffrement des textes ainsi produits lecteur d lite l me forte on s en souvient Pendant toute cette tape c est le discours qui a largement domin qu il s agisse de s lection ner le lecteur ad hoc par un discours destin carter le plus grand nombre ou qu il s agisse de pr senter de mani re aussi organis e que possible le type de raisonnement philosophique qui autorisera la fiction la mise en texte Personnages en miroir Maldoror et l homme formeront partir de l les p les discursifs et narratifs entre lesquels se d ploiera un texte o le r cit ne pourra jamais tre dissoci de la pens e sous jacente qu il lui faut histor
229. erche des yeux la carafe de cristal il ouvre les contrevents de la fen tre Il s appuie sur le rebord Il contemple la lune qui verse sur sa poi trine un c ne de rayons extatiques o palpitent comme des phal nes des atomes d argent d une douceur ineffable Tous les d tails sont choisis pour inscrire le r cit dans une typolo gie d lib r ment post romantique roman feuilleton entretenant le fantasme aristocratique de lecteurs que Lautr amont dira plus loin bien cr tinis s par le fait m me Cependant ce n est l qu un aspect de la strophe le plus spectaculaire sans doute mais non pas celui qui frappe le plus L aspect fantastique du r cit sa complexit typique du style dominant des Chants nous les retrouvons dans le noyau narratif de la strophe Maldoror de vampire qu il tait sou vent se trouve son tour vampiris par lt une vieille araign e de la grande esp ce Elle m treint la gorge avec les pattes et me suce le sang avec son ventre Pendant cette op ration qui se reproduit chaque nuit Maldoror est r duit l impuissance moi qui fais reculer le sommeil et les cauchemars nous trouvons ici un prolongement de V 3 je me sens paralys dans la totalit de mon Corps gt Ce ph nom ne de paralysie provoqu par l araign e re oit diff rentes d nominations plus ou moins scientifiques charme atonie enc phalique charme magn tique pesant
230. erp n tration des deux ver sants en nous tournant vers le discours th orique ench ss dans cette strophe que nous analysons Il se pr sente sous la forme d une parenth se qui introduit ainsi au milieu du r cit une sorte d anaco luthe de la construction narrative signe manifeste de son impor tance Disons tout de suite que le d veloppement ainsi ench ss de par son th me op re une mise en abyme qui donne un relief tout particulier l architectonique de la strophe comme la philo sophie stylistique des Chants Nous venons de voir que le r cit devenait herm neutique et didactique dans la mesure m me ou il donnait lieu la mise en parall le de deux figures qui par le fait m me se d voilent comme all gories Maldoror et l enfant mort C est ce geste m me du rap prochement qui a d j fourni plusieurs reprises l occasion de d clarations sur la m taphore et c est encore ce th me qui sert de motif ici On voit ainsi qu il ne s agit nullement d un ajout postiche ou d une greffe plus ou moins artificielle d un discours sur l autre mais bien au contraire nous devons y voir une mise en parall le de deux autres s ries ayant chacune son domaine d application m taphysique d un c t rh torique de l autre Il faut donc entendre ce que dit ici Lautr amont en tendant notre coute tout le registre dissimul des harmoniques invisibles qui font de ce texte une poly phonie un polylog
231. erspective et en d fendre les proc d s Voyons com ment ces diff rents objectifs trouvent leur expression dans l ouver ture de ce chant Tout d abord il est clair pour Lautr amont que son entreprise vise toucher un malade Si tu n es pas en bonne sant suis mon conseil et va faire une promenade la campagne Bien s r la maladie en question est certainement ambigue et il est difficile de d celer d o elle tire son origine est elle due un tat ant rieur la lecture est elle caus e par la lecture elle m me Les deux la fois sans doute car si les textes des Chants peuvent provoquer le malaise cela n est d qu la faiblesse dans laquelle une certaine lit 136 LAUTR AMONT t rature entretient les sens les alanguissant tout en les fascinant par des spectacles troubles Lautr amont veut aller jusqu au bout dans le m me sens et ne pas s en tenir une demi mesure qui ne fait qu imposer des compromis o bien et mal deviennent indistincts o sant et maladie finissent par se ressembler Il faut regarder les cho ses en face lib rer le fantasme pour enfin par une r action hom o pathique ramener la sant une sant qui ne pourra tre que morale Lautr amont n a pas tort sans doute quand s adressant au lec teur il l estime d j moiti gu ri s il a pu le suivre jusque l lt puisque la r pulsion instinctive qui s tait d clar e d s les premi res pag
232. es a notablement diminu en profondeur en raison inverse de l application la lecture comme un furoncle qu on incise il faut esp rer quoique la t te soit encore malade que ta gu rison ne tar dera certainement pas rentrer dans sa derni re p riode Pour moi il est indubitable que tu vogues d j en pleine convalescence Lautr amont retrouve tout naturellement les accents de 1 1 pour souligner la nature du rem de qu il propose en rappelant au lecteur qu il lui faut assimiler avec pr caution l cre s rosit suppurative qui se d gage avec lenteur de l agacement que causent ses int res santes lucubrations question d habitude par l dit il je ne d sesp re pas de ta complete d livrance pourvu que tu absorbes quelques substances m dicamenteuses qui ne feront que h ter la disparition des derniers sympt mes du mal La pharmacie de Lautr amont est ce que l on pouvait atten dre s adressant comme elle le fait un lecteur malade de la t te il ne peut s agir que de prescriptions de fantasmes tuer sa m re la d pecer la manger ou sa soeur autre sujet chirurgi que plus jeune et plus frais La potion la plus l nitive cepen dant sera un compos de pus blennorhagique noyaux de lt kyste pileux de l ovaire additionn d un chancre folliculaire d un pr puce enflamm et de trois limaces rou ges Sorcellerie hom op
233. es qui mar quent chacune un moment de la dialectique agonistique ou s chan gent de vives accusations et des impr cations Ainsi pouvons nous distinguer d un c t un homme frapp de malheurs et de l autre un personnage qui lui rappelle sa culpabilit Mais c est l homme qui aura le dernier mot en faisant de ce personnage ce que Maldo ror en fait souvent un criminel un monstre qui ressemble en tout point au portrait classique du D mon Examinons la mani re dont chacun apparait dans le discours de l autre Celui qu on accuse est pr sent sous la forme typique du serpent excentrique python boa basilic dot d une t te trian gulaire Pour celui qui l accuse trait int ressant ce serpent vient chercher aupr s de sa victime quelques paroles de consolation il parait tourment par un remords Mais pour celui qui l atta que il reste un criminel pour lequel il ne veut rien faire Il est n cessaire que tu cherches ailleurs la triste ration de soulagement que mon impuissance radicale te retranche malgr les nombreuses protestations de ma bonne volont Une autre remarque est une indication suppl mentaire sur la nature de celui qui se trouve ainsi attaqu Oh quelle force en phrases exprimables fatalement t entraina vers ta perte gt C est bien l le discours qu on peut attendre d une invective adres s e au repr sentant du Mal Mais celui ci contre attaque de
234. es cons quences qu ils ne soup onnent pas tromp s par les attraits superficiels du vice la d marche typique de Ducasse se montre ici dans toute sa clart et sa rigueur dialectique Il faut croire Maldo ror incarnation du vice condamn quand il dit celui qui le lit visage s raphique dont le s pare la page l opacit remarqua ble plus d un titre de cette feuille de papier est un emp chement des plus consid rables l op ration de notre compl te jonction Pourquoi fr missez vous de peur adolescent qui me lisez Vous avez raison m fiez vous de moi surtout si vous tes beau Quant au Dieu de Maldoror il ne fait que rester dans son caract re de complice du Mal quand nous apprenons que Pendant que la bise sifflait dans les sapins le Cr ateur ouvrit sa porte au milieu des t n bres et fit entrer un p d raste Cette strophe est notre sens celle qui r v le avec le plus de net tet la dialectique qui permet l application des d cisions m thodo logiques de Ducasse chanter le Mal pour faire d sirer le Bien puisqu il nous a suffi d op rer en quelque sorte le d pli d un dis cours essentiellement marqu par la duplicit pour en faire apparai tre les deux voix tress es en un seul r cit Nous croyons que cette op ration de dissection du signifiant selon une ligne de clivage continue permet la mise en jour d une logique fondamentale d pourvue d
235. es phrases de l int rieur vers le dedans par ench ssements parenth ses incises Tentative pour inventer une langue avant la lettre dialogique Un exemple au hasard d tach arbitrairement mais ma pens e s arr tant une simple constatation qui n est pas d pour vue d apr s le peu que j en aper ois d une volupt norme ne va pas m me dans ses cons quences les plus hardies jusqu aux fron ti res d un v u pour ta gu rison et reste au contraire fond e par la mise en ceuvre de sa neutralit plus que suspecte regarder ou du moins souhaiter comme le pr sage de malheurs plus grands ce qui ne peut tre pour toi qu une privation momentan e de la peau qui recouvre le dessus de la t te La phrase de Ducasse ne peut pas simplement se d crire comme amphigouri comme parodie latinisante ou comme traduction d une confusion mentale d essence pathologique Nous croyons qu elle est dans sa structure m me la traduction d une authentique philosophie du style entierement analytique qui a compris que le probl me de la r alit est avant tout une question de logique et de grammaire Les Po sies donneront de cette perception une vigou reuse formulation abstraite C est ainsi qu il faut comprendre aussi les choix lexicaux de Ducasse quand par exemple il parle des lt vert bres lombaires gt de lt l ombre gt ou lorsqu il cite les lt physio logistes qui ont d couvert que m me les cer
236. et formaliser une tradition Sans m me remonter Descartes qui reste sans conteste la r f rence majeure dans ce domaine cf par exemple l article m thode dans le classique Dictionnaire des sciences philo sophiques d Adolphe Franck 1844 52 expression doctrinale de LES DISCOURS DE LA M THODE 23 l cole spiritualiste anim e par les disciples de V Cousin les id es sur la m thode prennent forme canonique dans l oeuvre de Kant qui demeure l un des fondements les plus fermes de la doctrine La traduction de la Critique de la raison pratique par Jules Barni publi e en 1848 tait encore r cente et voici par exemple ce que l on pouvait y lire la m thode est un ensemble de proc d s fon d s sur des principes de la raison et destin e r unir en un syst me les divers l ments d une connaissance A la suite de Kant Cousin lui m me avait contribu pr ciser l importance de la m thode comme l ment cl de la philosophie en affirmant que dans tout inventeur dans tout penseur original c est la m thode qu il faut avant tout rechercher car cette m thode est le germe de tout le reste souvent m me elle survit aux vices de ses applications Cou sin 1844 gt C est le type de conception qui s installe dans la p da gogie nous l avons vu en non ant galement que la m thode est la marche que suit avec r flexion l esprit humain dans la recherche de la v rit que c est l emploi
237. eul Mal doror pouvait adresser au pou l invocation suivante O pou la prunelle recroquevill e tant que les fleuves r pandront la pente de leurs eaux dans les abimes de la mer tant que les astres graviteront sur le sentier de leur orbite tant que le vide muet n aura pas d hori zon tant que l humanit d chirera ses propres flancs par des guer res funestes tant que la justice divine pr cipitera ses foudres venge resses sur ce globe goiste tant que l homme m connaitra son cr a teur et se narguera de lui non sans raison en y m lant du m pris ton regne sera assur sur l univers et ta dynastie tendra ses anneaux de si cle en si cle C est bien l un appel la reconnaissance du vrai Dieu dont il s agit puisque le pou n est qu un dieu de substitution engendr par la m connaissance du vrai comme son n gatif Dieu imaginaire qui n engendre que des discours sans substance Quand il meurt pour rena tre aussit t d ailleurs dans sa famille innombrable on combine des phrases multicolores sur l immortalit de l me sur le n ant de la vie sur la volont inexplicable de la Providence Discours auxquels on peut pr f rer le silence comme Maldoror dans la strophe pr c dente La le on de ce chant sur le plan religieux est loin d tre originale si l on consid re le contexte id ologique et les d bats d poque visant la r futation du scepticisme Cf Gratry passim
238. evenir folle ne connaissait encore que la coupe prismatique de la vie pas encore le fiel Romantique la folle l est encore par le tableau que nous donne Ducasse de son rap port sa fille Apr s bien des ann es st riles la Providence m envoya une fille Pendant trois jours je m agenouillai dans les glises et ne cessai de remercier le grand nom de Celui qui avait enfin exauc mes voeux Etc Parfaite image de la maternit id ale telle qu on la trouverait par exemple chez Balzac dans son portrait de Ren e dans les M moires de Deux Jeunes Mari es FICTIONS C LESTES 103 Maldoror est celui qui vient ainsi briser l idylle qui pouvait faire croire que le Mal n existait pas La folle ne cesse pourtant pas d tre un mod le de caract re romantique apr s que sa fille unique a t viol e et tu e par Maldoror et son bouledogue r action tonnante elle ne maudit pas elle prend piti et en quelque sorte absout le cri minel en voyant en lui un fou ou une victime Je plaignis l insens qui avait commis ce forfait que le l gislateur n avait pas pr vu et qui n avait pas eu de pr c dents Je le plaignis parce qu il est proba ble qu il n avait pas gard l usage de la raison Je le plai gnis parce que s il n tait pas fou sa conduite honteuse devait cou ver une haine bien grande contre ses semblables On ne saurait pousser plus loin la charit chr tienne Le plus int re
239. evoyait qu il fallait prendre au s rieux ses invocations la science Tout y tait donc sauf le projet sauf le sujet dont rien n est imaginable sans la mobili sation d sirante qui fait son entreprise et donne un sens toute son exp rience vie et criture m l es Nous ne pouvons acc der aux orages d affects qui furent ceux de Ducasse mais son empreinte son sceau comme sujet marque de sa d coupe vide le profil de ses textes y tablissant un r seau de connections discursives qui per mettent de percevoir o se concentrent les flux les intensit s o s articulent les hi rarchies de pr occupations et l int r ts Tout ce que nous avons lu dans la lettre des textes d signe comme leur labo ratoire central l nigme du bien et du mal C est l le choc m me dont Chants et Po sies sont la r verb ration selon les deux versants possibles Le premier c est la fiction qui consiste d abord pour Ducasse dire Voil il y a du mal certain et le bien n est que possible je ne peux rien faire d autre que montrer cette v rit la r p ter sur tous les tons parce que sa r p tition infinie est la r alit m me insoutenable mais irr cusable et la fiction r p tition de la r p tition ne peut qu approfondir le myst re sans le r soudre Au vrai d s qu il y a fiction j ajoute au monde myst rieusement le mal qui y est d j je le rends plus puissant encore j tends son regne La fiction est d embl e m
240. faisant disparaitre le nom de Dieu tout en trans formant les n gations contenues dans la phrase en affirmations nous en d duirons que celui qui parle et va commencer ce chant est tout ce qui n est pas Dieu Maldoror c est ce qui en l homme refuse Dieu La suite de la d finition de Janet nous parait confirmer cette lec ture De Dieu il est dit lt Il est le d fini et le parfait indivisiblement unis gt Or nous l avons vu mille fois si Phomme est un lt mons tre semblable aux b tes des bois c est avant tout cause de sa duplicit fonci re de son instabilit de son d sordre int rieur La strophe l Oc an tait l expos le plus net de ce th me l Oc an image de l identit de l unit de la perfection de l quilibre miroir de Dieu face l homme tre d inconstance et de misere Le th me est pascalien bien s r et tout cela se retrouve dans le travail des Po sies sur les Pens es Les Chants sont cet expos d une vision pascalienne que les Po sies de fa on volontariste s efforce ront de corriger pour laisser le d sespoir en arri re Le c t pas calien de cette vision que nous d couvrons sous une phrase est ici fondu la th matique physique de Janet et si son premier versant porte l ouverture de cette strophe vers un pessimisme traditionnel et jans niste un second aspect claire des perspectives optimistes et rationalistes Dans le m me livre en effet
241. fiction titubant la recherche d un impos sible quilibre entre la trou e vers le r el et le repli dans l imagi naire La critique r ciproque de ces deux instances que devait met tre en acte une lecture rigoureuse s est dissoute offusqu e par la violence spectaculaire des fictions martel es par le r cit L o aurait d se d gager avec force l image fondamentale de la contra diction et de la confrontation entre le bien et le mal c est une s rie de lt diables en carton gt qui s est install e sa place comme s ils n eussent pas d tre que les formes provisoires et vulgaires d une v rit plus abstraite et plus haute La fiction qui devait mettre fin la fiction n aura r ussi qu r affirmer sa pr gnance incontournable possibilit inscrite dans tout acte de langage f t il le plus d pouill d attaches concr tes Les Po sies rompent radicalement cet enchainement cet asservis sement de la pens e qui affirme quand elle s en remet aux moyens douteux de la fiction Il ne s agit plus alors de ruser mais de frapper avec d cision Sans doute ces deux fascicules que nous poss dons n ont ils qu apr s coup rev tu la forme et par cons quent la force d un livre mais si les fragments qui le composent ont pu former un tel ensemble lapidaire et saisissant c est bien qu ils sont issus d une m me recherche obstin e tendant vers un m me but En renongant au livre d finitif clos sur lui m me irr p
242. formulation int grale que dans les Po sies mais rappelons qu il y a toute raison de penser que les deux textes ont pu tre crits simultan ment pour ce qui concerne les deux derniers chants tout au moins Strophe moderne enfin dans la mesure o elle laisse d lib r ment le Romantisme en arri re pour embrasser des positions id ologiques qui sont celles du ratio nalisme contemporain tol rant un certain th isme condition que l id e de Dieu n interf re pas avec les notions fondamentales de la science contemporaine surtout celles de la psychologie telle qu on entendait alors La fiction n en reste pas moins pr sente dans la strophe sous la forme des m taphores et des hyperboles qui constituent une appa rence de r cit dans le style romantique que la th matique sous jacente s efforce pourtant de combattre selon la logique que nous avons vu s exposer plusieurs reprises ce lit attirant contre son sein les facult s mourantes n est qu un tombeau compos de plan ches de sapi quarri Le corps n est plus qu un cadavre qui respire mais comme toujours un tour de phrase distancie bru talement l effet fun bre que d nonceront les Po sies typique du rap prochement sommeil mort tel que le romantisme dans certaines de ses variantes l a parfois pratiqu Baudelaire entre autres Et remarquez je vous prie qu en somme les draps ne sont que des lin culs Voici la cassolette o br le
243. ge et tu deviendras en somme comme les autres femmes La jeune fille c est Lohengrin mais presque d j devenu ce qu il devait devenir dans les craintes de Maldoror qui cette fois ci prend les devants H la menace d horribles tortures mais ce sera pour effrayer les hommes et mettre devant eux l exemple de sa m chancet Tentation vit e de justesse Mal doror ne sera pas meilleur que ses semblables Miroir r v lateur du mal dont l homme est habit Maldoror s efforce d incarner ce mal en entier pour le faire bien voir Il reste cependant toujours la limite de la trahison vis vis de son r le toujours au bord de la tentation presque s duit par le peu de bien LA MAXIME ET LE R CIT 67 encore non touff par la vie que certains tres sp ciaux toujours jeunes laissent entrevoir Le p ch de Maldoror comme l impose la logique de son statut d image renvers e c est l esp rance au point qu il devra lutter contre elle plus tard transform e en Dragon mais pour mieux tenter de la r veiller dans l me du lecteur effray ou s duit Puissances de la parole Il est clair que pour Lautr amont dans ce subtil combat dialecti que fond sur un art de persuader par la fiction l unit de l homme n est pas sans faille si du moins l on consid re l esp ce ses diff rents ges L enfance l adolescence la rigueur restent les moments privil gi s o l tre humain n a pas tout
244. ge transmis par la g n ration pr c dente Au del de l anecdote il faudrait analyser en profondeur le sens qu a pu avoir par exemple la position de R de Gourmont dans ce processus compliqu ce qui clairerait bien des aspects encore peu clairs des origines du Surr alisme Il n en reste pas moins qu une fois int gr son patrimoine le mythe Lautr a mont y a pris des formes quasi d finitives Le mythe symboliste avait suffi son emploi en offrant la fascination de l an antissement r alis Pour Breton le Comte de Lautr amont c est autre chose c est l explosion en clats bouleversants d intensit d un univers enfin r v l Ducasse a disparu en se sacrifiant une d marche qui nous offre le r cit d insoutenables et splendides cauchemars qui lui ont co t la vie mais ce sont les visions qui comptent et non le sujet consum dans l exp rience D un coup les Chants de Maldoror ouvraient sur l autre monde l o les efforts de moindres m diums n bauchaient que de fugitives chapp es ils confirmaient donc par avance ce que la doctrine laborait cautionnant par l m me tout ce qui en d coulerait Les Chants taient un t moignage qui valait preuve irr futable d finitif Positiviste malgr lui Breton croyait la force de v rit du docu ment la forme probante de l exp rience toute l affaire des haricots sauteurs le montre l vidence celle que Ducasse nomme l vidence des ph
245. gr ce son supr me chic et non par une lutte titanesque Le seul reste de cette re des grands monstres que nous avons con nue dans les chants pr c dents fait d ailleurs plut t figure de symbole en renversant l ordre des dimensions nous ne sommes plus dans la sph re du grandiose du cosmique quand nous appre nons N avez vous pas remarqu la gracilit d un joli grillon aux mouvements alertes dans les gouts de Paris Il n y a que celui l c tait Maldoror R duit au rang de l insecte Maldoror n a pas l avantage de la hideur du pou qui lui avait m rit un hymne dans le premier chant Nous en sommes moins aux grandes m tamor phoses du d but charg es de signification thique qu l apoth ose du costume tel que le roman feuilleton a pu l utiliser sans r serve pour ses coups de th tre Et c est bien l le paradigme o Ducasse inscrit d lib r ment Maldoror d sormais en vantant ses d guise ments sup rieurs son ubiquit Aujourd hui il est Madrid demain il sera Saint Petersbourg hier il se trouvait P kin et ses exploits de po tique Rocambole De l Apocalypse au roman feuilleton le chemin parcouru est impressionnant L auteur n oublie pas cependant la logique profonde qui reste la sienne travers les concessions au nouveau go t litt raire jugeant les m tamorphoses de Maldoror il a ce mot D guisements sup rieurs si je parle en artiste Acc
246. hauteur de son front un regard irrit de tout obstacle je lui ferai comprendre qu il n est pas le seul maitre de l univers que plusieurs ph nom nes qui rel vent directement d une connaissance plus approfondie des choses d posent en faveur de l opinion contraire et opposent un formel d menti la viabilit de l unit de la puis sance Ducasse pousse ici leurs extr mes cons quences les tendances latentes dans la litt rature du si cle et fait surgir dans la fiction la 184 LAUTR AMONT logique profonde qui s y manifestait avant lui de mani re beaucoup moins nette La m thode choisie par lui prend alors tout son sens ainsi que le retournement imminent des Po sies En passant d une uvre l autre Ducasse ne renie rien de son manich isme de sa croyance la v rit du mal faisant concurrence au bien en tout homme il ne prend pas son parti de la situation qu il a fait tous ses efforts pour changer au contraire Dans les Po sies au lieu d insis ter sur le combat du bien et du mal pour en montrer comme un spectateur les effets il se jettera r solument lui m me dans la bataille en partisan radical du bien De narrateur spectateur il devient acteur dans un combat r el agissant d sormais en son pro pre nom Les armes de la fiction s av rant impuissantes la th orie fond e sur elles s prouvant sans effet c est la r alit morale elle m me qu il s attaquera en faisant table rase de to
247. i parce qu apr s tout son reniement ne porte que sur la m thode employ e jusque l ce qui lui permet de r affirmer sa poursuite d un but qui lui demeure fondamentalement identique celui qu il s est toujours fix Ses convictions profonde peuvent rester intactes seule la tactique qui les sert demande tre r vis e Les Po sies ne repr sentent alors par rapport aux Chants ni un reniement brutal et total ni un simple d guisement de la tactique Il ne s agit ni tout fait de tout changer ni de s ent ter dans un diabolisme abstrait passion secr te qui devrait momentan ment s occulter Ducasse demeure parfaitement sinc re en affirmant la fois que son but reste le m me et qu il se renie Son but reste bien celui des deux 30 LAUTR AMONT g n rations de lt pr d cesseurs gt qu il s est choisis chanter le bien Apr s avoir r cus la m thode de la vieille cole au nom de l efficacit suppos e de l cole nouvelle dont il a repris les techni ques en se contentant de les accentuer pour faire du nouveau Ducasse doit finalement se rendre l vidence la nouveaut a vieilli et ce n est plus d une simple remise jour qu on peut attendre le maintien d une certaine efficacit morale de la po sie mais bien d une transformation radicale de ses moyens C est une d marche authentiquement nouvelle qu il faut substituer aux vieilles recettes une m thode mieux tudi e gr ce laquelle les
248. i que la strophe suivante l une des plus fameuses des Chants devra paradoxalement se laisser d chiffrer dans notre lecture comme un nouveau plaidoyer en faveur de l ordre moral et du retour la raison Cette strophe est de loin la plus longue et la plus complexe de ce troisi me chant mais aussi la plus subtile dans son m canisme rh torique en particulier par l effet de l ench ssement de diff rents dis cours les uns dans les autres D une part c est Maldoror qui fait le r cit des v nements de la strophe mais l int rieur de ce premier r cit un autre est son tour ench ss celui du cheveu un troi si me r cit enfin compl te le tout celui de Dieu racontant son cheveu son humiliation Notons encore que ce dernier r cit ench sse son tour un discours celui de Satan qui n est pas pro prement parler un r cit sauf si l on consid re que ce discours tant rapport participe du r gime du r cit Dans cette mise en abyme tous les r cits n ont pas la m me tendue ni la m me importance ni le m me statut Ils diff rent en particulier par leur degr de discursi vit Celle ci est nulle sauf le texte grav dans la pierre dans le r cit premier mais s accroit de beaucoup dans le second pour atteindre un maximum dans le discours de Satan apr s avoir quelque peu d cru dans le r cit de Dieu lui m me L quilibre dynamique ainsi r alis nous permet de voir dans cette strophe comme un microcosm
249. i qui dit Chassez le mal de vos chaumi res et laissez entrer au foyer le manteau du bien ou encore lt Que la pudeur se plaise dans vos cabanes gt etc Et c est bien pour cela que Maldoror peut d cider contre toute attente peut tre je jure de ne jamais r v ler ce dont j ai t t moin car il sait bien que les hommes ont besoin d un juge f t il imaginaire ou d finitive ment muet pour que s impose eux l ordre moral qui peut les sau ver du crabe de la d bauche du poulpe de la faiblesse de caract re du requin de l abjection individuelle du boa de la morale absente ou du colima on monstrueux de l idiotisme Cest Dieu lui m me qui l affirme Comment les hommes voudront ils ob ir ces lois s v res si le l gislateur lui m me se refuse le premier s y astreindre Les Po sies concluront sur la n cessit qu il y a mettre Dieu en r serve faire en quelque sorte comme s il n existait pas C est bien ce qu sa fa on nous dit encore cette strophe le mal existe Dieu y est pour quelque chose ou peut tre n y est il pour rien mais l important demeure de faire face tout en pr servant sauve la conscience de la loi quelle que soit la r alit du mal ou sa force N est il pas tout fait significatif que dans cette strophe la seule victime de la cruaut divine soit l tre le plus innocent un jeune homme qui tait venu dans cette maison
250. i sont voqu s dans La Crise philosophique de P Janet cet ami de Caro que nous avons d j cit Chez tous les deux la r probation envers les cou rants nouveaux surtout dans la litt rature se joint des admones tations ce qui subsiste de l cole spiritualiste pour l exhorter faire front sur le terrain de la philosophie Leur rh torique et leurs b tes noires sont celles l m mes que nous retrouvons dans les Po stes exactement la m me poque Le cas d Emile Vacherot poste abandonn la suite d une pol mique retentissante avec l Abb Gratry polytechnicien aum nier de l Ecole Normale et restaurateur par la suite des Oratoriens est assez semblable dans la mesure o lui aussi pousse un cri d alarme pour avertir de l tendue de la lt crise philosophique gt Il diff re de Caro cependant dans la mesure o sa culture au moins autant scientifique que morale lui sugg re des formules d ouver ture en direction de la science contemporaine ce que ne manque pas de faire Gratry de son c t aussi mais en se diff renciant du panth isme de Vacherot Partisan d un spiritualisme revigor par les apports de la science ne renongant pas traduire ceux ci en termes du systeme kantien plus ou moins am nag Vacherot reste moins brillant que Caro mais beaucoup mieux inform solide et rigoureux La Science et la conscience 1870 recueil d articles parus dans la Revue des Deux Mondes en
251. ication pour lui de son mandat Mais il est conscient qu il faut adresser aux nombreux parents et amis du d funt des consolations ne f t ce que celle qui ferait entrevoir l espoir d une prochaine rencon tre dans les cieux entre celui qui mourut et ceux qui surv curent Alors apparait enfin dans cette strophe la figure de Maldoror gard en r serve jusque l il s enfuyait au grand galop en parais sant diriger sa course vers les murailles du cimeti re fournissant 156 LAUTR AMONT ainsi au pr tre l occasion d un parall le qui lui permet de clore son hom lie sur une p roraison de grand style qui ramasse tout le sens de la strophe et celui peut tre de toute l uvre Tout d abord tel qui croit vivre sur cette terre se berce d une illusion dont il importerait d acc lerer l vaporation et donc celui que la fosse vient de recevoir dans son sein est l indubitable vivant tandis que Maldoror lt quoiqu il ait beaucoup v cu est le seul v ritable mort Ainsi disait il un peu plus t t on comprendra mieux qu auparavant quel sens il fallait attacher la s paration tempo raire de l me et du corps Les Chants d boucheraient donc sur une vision m taphysique fai sant place la croyance en l immortalit de l me Aussi sacril ge que cette conclusion puisse para tre nous croyons qu elle est vraie parfaitement consistante avec ce que nous avons
252. iction apparente entre un Cr ateur suppos infiniment bon et un monde cr par lui o le Mal a libre cours Maldoror r agit cette contradiction par la phi losophie du pire Dieu est une idole barbare assoiff e de sang et l homme n est que son digne reflet en d pit de l id e flatteuse qu il se fait hypocritement de lui m me Th me us s il en est Mais nous savons depuis le d but que Lautr amont n a pas t invent pour le ressasser son tour il s agit pr cis ment pour lui d en exploiter l usure jusqu l absurde afin d amener le lecteur crier gr ce Le r cit va ainsi s ing nier ouvrir des breches dans le discours afin que toute cette rh torique en vienne se disloquer d elle m me min e de l int rieur d plac e par les effets de sa r inscription dans les formes d un nouveau romanesque La tirade philosophique de Maldoror sur la cruaut inexpli LA MAXIME ET LE R CIT 61 cable de Dieu que nous avons cit e plus haut nous fournit un exem ple de cette d marche le r cit dans lequel elle se trouve ench ss e la d samorce et la r cuse en la plagant entre un d but narratif et une conclusion qui fera retour au r cit Ouverture de la strophe Qu il n arrive pas le jour o Lohengrin et moi nous passerons dans la rue l un c t de l autre sans nous regarder en nous fr lant le coude comme deux passants press s D but de r cit sus pendu pour laisser place la tirad
253. ictionnaire de la po sie Le jeu des miroirs ouvre ici sur une perspective plus obs cure en allant tudier la naissance du sens au ras des mots les Po sies seront une critique du langage et de la litt rature D abord d cid parier sur les ruses les faux semblants les s ductions ambigu s mises au service de la bonne cause Ducasse finira comme Lombano par avouer avec franchise son erreur Le chant second pose des jalons en pr figurant une mise l arri re plan de l abstraction et du lyrisme flou le r alisme du d cor de la strophe t moigne de ce qu il y a de contemporain et d imm diat dans la critique de l homme puisque celui qu il s agit d attaquer n est que le premier bourgeois venu rencontr dans la rue le voyageur de l omnibus nouveaut moderne du Paris de Ducasse La pr sence dans la strophe d un petit enfant de huit ans ajoute d ailleurs ces notations une dimension suppl men taire puisque cet ge attribu l enfant tait alors la limite l gale au dessus de laquelle on pouvait mettre les enfants au travail ainsi que le rappelle le titre d un livre c l bre de Jules Simon L Owvrier de buit ans C est dire que loin d tre perdu dans un univers stricte ment livresque m moire entour e de livres selon l expres sion de M Blanchot Ducasse a pour dessein de passer par la cri tique des livres pour viser le pr sent tout comme cette critique elle m me traverse la
254. ie puisque c est l que les Chants et les Po sies se trouvent travers s par un tout autre r cit discours arguments notions exemples m taphores etc constitu de mani re plus ou moins anonyme par la rumeur d une poque aux prises avec une crise qui la frappe de plein fouet Il arrive que les Chants parlent ce discours il arrive aussi que ce dis cours se disloque sous la pression du texte nouveau en train de s crire Loin de se refermer sur des probl matiques condamn es il arrive alors parfois que le travail de Ducasse fasse effraction dans notre propre pr sent De cela aussi il nous faudra tenir compte La le on L analyse du chant second va maintenant nous permettre de ten ter la mise en place des ressorts principaux du processus d engen drement de la narration partir de sa base axiomatique ce que les Po sies d signent comme premiers principes soulignant qu ils doivent tre hors de discussion Il ne s agit pas d un processus s miotique simplement assimilable celui que d crit g n ralement l analyse du r cit Il faut tenir compte du fait qu ici chaque strophe vise illustrer une signification discursive et que cette signification est la fois ce qui sert de pr texte la mise en fiction et apparait de maniere d clar e comme le produit net de chaque s quence Ce qu engendre le processus d engendrement ce n est donc pas la signi fication en tant que telle mais plut
255. ie fantasti que par une remarque la fois litt raire et scientifique Vu sa conformation d insecte elle ne peut pas faire moins si elle pr tend augmenter de brillantes personnifications les tr sors de la litt rature que d attribuer des mandibules au bruissement Maldoror r fl chissant sur la conduite de l araign e envisage deux explications qu il rejette en un mouvement impossible chez un h ros romantique puisqu il est rationnel Ces deux hypoth ses sujettes caution ne sont pas capables de soutenir un s rieux examen L effet de blocage du pathos apparemment in vitable avec un tel sujet digne de Poe indique assez que nous sommes ici encore dans un texte dont la strat gie n est pas une simple entreprise d crivain cherchant le spectacle pour lui m me une pens e anime cette d marche auto destructrice ce mouvement contradictoire d un r cit qui ne progresse jamais dans l horreur sans l accompagner des instruments qui permettent de la d samorcer en en comprenant les fins Comme tout auteur de parabole ou d apologue Lautr a mont ne met pas l accent sur le r cit pour le r cit lui m me l his toire n est pas son souci majeur L essentiel de son propos reste l issue morale qu il veut ouvrir au lecteur qu il suppose la fois cor rompu et suffisamment logique pour comprendre dans quels d tours on le conduit Pareil au Maldoror mis en p nitence le lecteur doit en passer par le doulo
256. ielle ment bien entendu une queue de cheval aux crins pais qui balaie la poussi re du sol De m me que la parenth se bien entendu permet d exposer le proc d en tant que tel sans chercher l occulter par une simple ostention d objet fantastique la phrase suivante met en vidence la dimension didactique de l image ainsi produite ou plut t celle de sa fabrication elle m me Elle signifie la queue de prendre garde de ne pas nous ravaler au rang des animaux Un tel rappel ne fait que prendre la suite de tout un versant des Chants celui qui traduit syst matiquement la dimension du Mal par une figuration animale cas de Maldoror s accouplant avec la femelle du requin op ra tion profond ment parente de celle qui consiste attacher une queue un pr tre ou une t te de p lican un homme mais dans ce dernier cas le symbolisme ou l all gorie thique change de signe le p lican connote le bien et la charit Si les animaux en tant que symboles le pourceau incarnait cette pratique symbolique dans toute sa force doivent nous rappe ler ce qu il y a d irr ductiblement bas en nous cela ne signifie pas qu ils ne puissent cependant figurer dans le r cit rev tus d autres fonctions Ainsi dans notre strophe les grillons et les crapauds suivent quelques pas la f te mortuaire d abord pour introduire THIQUE ET FICTION 155 une premi re allusion la vie du d funt lt qu ils
257. iement de la comparaison ce qui pouvait accuser Lau tr amont d incoh rence se trouve r appropri par lui et retourn comme un puissant argument contre l exercice traditionnel de la po sie au nom duquel on a voulu le condamner Mais Ducasse ne en tient pas l Le probl me lui parait porter infiniment plus loin puisqu il va en venir faire intervenir dans la discussion des consi d rations de pure psychologie Avant d en arriver l une premi re tape se pr sente legon morale encore puisqu il va s agir de fustiger ceux trop immodes 118 LAUTR AMONT tes qui ont pris pour de la bouffonnerie ce qui tait au fond fort grave lt C est ainsi que ce que l inclinaison de notre esprit la farce prend pour un mis rable coup d esprit n est la plupart du temps dans la pens e de l auteur qu une v rit importante proclam e avec majest De l c est tout naturellement une auto justification du style des Chants que nous nous trouvons conduits Mes raisonnements se choqueront quelquefois contre les grelots de la folie et l apparence s rieuse de ce qui n est en somme que gro tesque quoique d apr s certains philosophes il soit assez difficile de distinguer le bouffon du m lancolique la vie elle m me tant un drame comique ou une com die dramatique Souvent il m arrivera d noncer avec solennit les propositions les plus bouf fonnes Cette philosophie ce n est rien d autre en som
258. ien et au mal Dieu et Satan Le mod le byronien est encore tout proche et cela au moment m me o dans la litt rature contemporaine la question proprement m taphysique se trouve d plac e par l impact de la question sociale Dumas fils veut sans aucun doute moins peindre l homme dans son essence que les hommes tels qu ils fonctionnent en soci t Sociologisme dont Ducasse parait avoir refus de suivre les intuitions nouvelles sur le ressort historique et non plus m taphysique de la nature humaine La psychologie dont Ducasse fait accompagner sa m taphysique accuse de son c t un d calage comparable par rapport aux id olo gies qui avaient cours dans la litt rature contemporaine l opposi tion entre le bien et le mal correspond sur le plan de la psychologie une opposition que nous retrouverons plus loin entre la raison et l orgueil Entre ces deux forces se fait jour par ailleurs une instance au statut encore impr cis la volont 5 Si l homme r agit en lt b te des bois l exposition de sa v rit c est que vient s ajouter en lui au r gne presque exclusif du mal la pr dominance d un orgueil auquel la volont d missionnaire renonce s imposer Il est clair alors que Ducasse ne con oit pas son action d crivain autrement que comme l entreprise de r conciliation de la po sie et de la morale Po te moraliste il ajoute la connaissance du bien et du mal la science de la psychologie G
259. ienne au profit du surgissement dialectique d un id al de logi que de raison et d humanit En abordant le texte m me du sixi me chant les grandes lignes de la strat gie que nous avons cru d celer au travers de manifesta tions discursives d une voix qui n est pas sans liens encore que fort complexes avec l auteur gt ces grandes lignes perdent de leur net tet D abord parce qu il n est pas tout fait vrai que nous serons d sormais dans le roman il sera encore question de stro phes le rapport du narrateur sa narration pourra difficilement tre rapport un quelconque arch type le r alisme proclam sera fortement battu en br che par de puissantes injections de mer veilleux les solutions des nigmes seront encore plus obscures que ces nigmes elles m mes etc Ensuite parce que la perspective morale en d pit d aperqus d allusions d incidentes dispers es sera loin de faire le poids devant la force du spectacle lui m me Enfin il nous faudra noter la pr sence d un processus d acc l ra tion de la narration qui coincide avec un retour partiel au fantasti que alors que le d but du roman parait donner des gages au genre la fin accumule plaisir les v nements comme pour se d barrasser au plus vite de ce qu un programme pr tabli tenait en r serve Peut tre faudra t il voir l une dimension nouvelle de la lutte de Ducasse contre la litt rature puis
260. ier Tout discours d allure philosophique sera dela m me fa on pris dans le syst me des nonciations fictives celles ci pla ant toujours la force qui conclut du c t de Maldoror Rappelons nous en effet qu il s agit de forcer l homme se com prendre en contemplant un reflet de lui m me qui ne retient que les traits les plus sombres les moins supportables pour le dispositif de d fense par lequel l homme tente d risoirement de prot ger ses illu sions Les Chants ne seront donc pas simplement et platement comme tant de textes difiants du dix neuvi me si cle des changes de dis cours parfaitement pr visibles ils seront le lieu narratif d un com bat la mise en scene de forces affront es l pop e d une lutte tou jours reprise S il y a bien un enjeu philosophique dans les Chants il se dispute alors coups de marteau selon l expression de Nietzs che dont Le Cr puscule des idoles ne va pas sans parent s avec Po sies I Effort volontariste pour faire merger la v rit m taphysique qui atteint de son mordant l imaginaire le corps la langue et sans se restreindre aux Jeux de figure du logos qui n ont jamais entrain que des convictions verbales et des conversions superficielles De l LA SOIF DE L INFINI 4 3 les multiples sc nes de luttes f roces qui animent le r cit des Chants entre des instances qui h sitent tout moment entre l animalit dia bolique et l ang lisme vanescent Apocal
261. igine f minine naturellement Quatre personnages outre le narrateur suffisent la sc ne voqu e un scarab e un homme t te de p lican un grand duc de Virginie et un vautour des agneaux il est en effet assez difficile de parler de person nage propos du poly dre amorphe qui avait t une femme et cependant c est elle qui permet de comprendre les relations existant entre les personnages du r cit C est le scara b e qui nous le fait comprendre en rappelant l homme p lican Cette femme nous a trahis l un apr s l autre Toi le premier moi le second Il me semble que cette injure ne doit ne doit pas dispa raitre du souvenir si facilement La r v lation de cette double tra hison permet aussit t au narrateur de comprendre la nature des relations hostiles qui unissaient le vautour des agneaux et le grand duc de Virginie Vous autres cessez votre discorde Vous avez raison tous les deux car chacun elle avait promis son amour par cons quent elle vous a tromp s ensemble Mais vous n tes pas les seuls En s attaquant un tel sujet Lautr amont aborde pour la pre mi re et unique fois la question de l amour th me romantique par excellence pourtant mais il ne semble pas que ce th me lui ait paru dot d une dignit m taphysique suffisante pour m riter d tre analys en soi et pour soi seules ses cons quences sont dignes d un peu d
262. igines d institutions de rites Vertige aussi de la rupture que les Surr alistes voulaient absolue com pens e par l invention de liens sacr s avec quelques figures lointaines d crivains sacrifi s la figure tragique la l gende inachev e Oeu vres encercl es menac es maudites Incompl tes sans archive elles devaient en outre tre fragmentaires Pour Breton Lautr amont se r duisait ainsi l clat sulfureux de quelques phrases imp n trables l effet de choc de quelques sc nes en pleine veine d irr alit Il tait donc impensable qu il p t rechercher dans les Chants les indices d une coh rence ou dans l environnement de 1870 les termes d une probl matique voisine de celle de Ducasse Le Surr alisme met plat l histoire des textes et s enchante des discontinuit s ainsi engendr es puisque les rapports qui en mergent ne sont plus que ceux du r ve Vision anhis torique qui fait l aveuglement de la lecture Derri re chaque m prise il y a une th orie Dans le cas de la th orie surr aliste la m prise s est ajout le m pris envers in vitable du culte d mesur rendu aux idoles lectives La lecture de Lautr amont faite par Tel Quel aura connu les m mes impasses en reconduisant la m prise pour la radicaliser Comme sur beaucoup d autres points l id ologie telquelienne des ann es soixante peut s analyser comme une s cularisation des th ses surr alistes et au del romantiques et
263. in Vauvenargues ou Naville Elle est dans l attention que nous som mes oblig s de porter au m canisme de la m connaissance en tant que telle la facon dont elle nous joue tout instant Il faut admet tre que nous ne savons pas ce que c est que lire et que ce que nous appelons de ce nom recouvre l nigme de la formation m me du sens Au del de l motion particuli re que nous causent les Chants peut tre faut il chercher en eux de par leur approfondissement propre des logiques de la duplicit un premier guide sur la voie d une saisie de ce qui fait de nous des lecteurs CONCLUSION 203 Appendice litt rature et philosophie Litt rature et philosophie m l es Si Hugo peut ainsi lt m ler gt litt rature et philosophie c est parce qu au dix neuvi me si cle au fond tr s peu de traits les distinguent La tradition fran aise au contraire de la tradition allemande n a jamais tabli avec pr cision une typologie des discours qui permettrait de classer d un c t le philosophe et de l autre crivain Le seul crit re d cisif c est l exercice de l criture De Montaigne Val ry l histoire de la litt rature regorge d auteurs et non de sp cialistes de la fiction distin gu s des sp cialistes de la pens e et ce n est que par l application r trospective de cat gories relativement r centes que nous sommes tent s d isoler chez Pascal le noyau philosophique ou chez Rousseau l
264. ion de l inoui partir du d j vu typi que de la litt rature vis e M me remarque pour ce qui est des personnages famille anglaise dont le p re un Commodore abaisse sur les assistants un regard plein d autorit tandis que chacun l coute dans un religieux recueillement La m re est effac e et douloureuse sou hait comme sont pittoresques l exces les fr res de Mervyn tous la toque surmont e d une plume arrach e l aile de l engou levent de la Caroline avec le pantalon de velours s arr tant aux genoux et les bas de soie rouge etc Il ne manque cette scene d int rieur anglais ni la servante ni les sels pour l vanouissement ni la soie ni les parfums ni l p e du commodore ni m me un cacato s des Philippines Consciencieusement Ducasse accumule plaisir les traits obligatoires I n est pas jusqu au discours du Com modore qui d livr dans une langue trang re ne paraisse litt ralement adapt de l anglais Le troisi me chapitre qui nous pr sente Mervyn retir dans sa chambre poursuit dans la m me veine en insistant sur les rayons de soleil qui refl tent leurs prismatiques irradiations sur les glaces de Venise et les rideaux de Damas sur les livres tranche dor e et les albums couverture de nacre parsem s sur le cuir repouss qui recouvre la surface de son pupitre d colier sur le piano aux touches d ivoire et aux cordes de laiton
265. ion des pr sents qui la fois suscite et frustre l affect d urgence dont l effet est de nier la litt rarit du r cit Le second chapitre comme il convient d marre sur un geste que la fin du chapitre pr c dent avait opportun ment suspendu Il tire le bouton de cuivre et le portail de l h tel moderne tourne sur ses gonds Ce second chapitre poursuit sur les m mes principes que le premier mais nous avons droit cette fois apres la description diagrammatique d un quartier hyper r alisme effet de fiction la pr sentation non moins minutieuse et non moins excessive d une famille et de sa maison Mais il est clair alors que l objectif de Ducasse n est nullement de faire concurrence au r alisme du r el CECI N EST PAS UN ROMAN 177 mais celui de la fiction conventionnelle Les d tails qu il fournit ne visent qu homologuer le r cit gr ce l exc s m me qui permet de lui assigner un genre d fini Nous sommes d sormais dans la r a lit telle que l entend la fiction la cour de l h tel est parsem e de sable fin deux statues gardent le perron huit degr s le salon du rez de chauss e est orn de boiseries de cornaline et d un parquet d b ne le parc de l h tel poss de une pi ce d eau et des all es de platanes on monte l tage par un escalier en spirale etc Aucun clich ne manque l appel le texte mimant alors la product
266. ir commenc comme toutes celles qui servent d introduction aux diff rents chants r cit suivi d une glose moralisatrice Mais ce n est l que le patron qui va modeler les pisodes suivants leur tour structure typiquement didactique dont le c t herm neutique n a pas besoin d tre soulign Si le r cit n avait qu une place modeste par rapport celle de la morale dans ce premier discours le second para t renverser les proportions nous sommes l avant tout dans la narration celle de la sc ne d enterrement avec tous ses accessoires pr tre des reli gions parents et amis du d funt et m me grillons et cra pauds mais cette narration est son tour glos e d incises mora les explicites Tout d abord il faut mentionner l quipage peu orthodoxe du pr tre tenant la main un drapeau blanc signe de paix et de l autre un embl me d or qui repr sente les parties de l homme et de la femme Nous avons d j discut cet embl me singulier et le drapeau blanc apparait accompa gn de son commentaire Mais il est un autre ornement qui vaut d tre mentionn parce qu il met encore plus nettement en vidence la technique de fabrication symbolique que nous avons d j rencon tr e par exemple avec l homme p lican ou encore de maniere un peu diff rente avec le cheveu de Dieu qui permettait tout un dis cours m tonymique Au bas de son dos est attach e artific
267. ire encore mieux en repr sentant un stade d int gration sup rieur de l criture et de la dynamique morale et philoso phique les deux livraisons que nous connaissons contiennent les prol gom nes d une science nouvelle lt La science que j entre prends est une science distincte de la po sie PII 155 En suivant Ducasse nous pouvons donc reconstituer l esquisse d un r seau sch matique de notions maitresses la fois g n alogie d une pens e et catalogue des ressources d une strat gie de l criture envisag e sous l angle de son utilit Utilit morale bien entendu comme le veut l usage du mot depuis le dix septi me si cle F nelon l envisa geait d j ainsi dans son Projet pour une po tique par exemple et Ducasse n est apr s tout que son distant h ritier sa th orie n est que le nouvel enfant d un si cle dont la philosophie se m tamorphose En th orisant sa propre rupture dans le champ de la tradition qu il veut cependant continuer Ducasse recense donc tr s naturellement ceux qu il appelle ses pr d cesseurs en fonction de la m thode dont il suppose qu ils se sont servi pour donner de l utilit leurs crits Tout d abord nous suivons la chronologie lt ancienne cole Victor Hugo et quelques autres Si l on en croit Ducasse cette cole se donnait pour fin la promotion ouverte du bien et n avait d autre m thode pour ce faire que de dire ce qu elle vou
268. isque l ensemble de la filature exerc e par Mal doror est rep r en fonction du plan exact du propre quartier o vivait Ducasse lui m me rue Vivienne la Bourse la Place Royale le boulevard Montmartre la Madeleine la barri re du Tr ne la rue Colbert le boulevard Poissonni re le boulevard Bonne Nouvelle la rue du Faubourg Saint Denis l embarcad re du che min de fer de Strasbourg la rue Lafayette L incboatif Quel sens faut il attribuer cette m ticuleuse mise en sc ne Il ne peut s agir selon la logique dont a vu qu elle animait l ensemble des Chants que de la volont de surcoder le r cit en soulignant gros traits une convention fondamentale du genre Le r alisme de la fiction se garantit d une accumulation de r f rences un hors texte qui en cautionne l effet sensationnel Il en va de m me du temps verbal choisi par Ducasse le pr sent puisque le r cit feint ainsi une imm diatet sans t l ologie Contrairement au mode nar ratif qui exige imparfaits et pass s simples le roman feuilleton se nourrit de l inach vement des inchoatifs La limite n en est alors que le pur performatif du reportage En revanche et par voie de cons quence les nigmes condens es en quelques lignes herm tiques la fin de chaque feuilleton d multiplient brutalement l effet du direct en le cadrant tout coup dans un autre pr sent encore venir Ainsi s op re en quelque sorte une multiplicat
269. iste construire un texte enti rement citationnel qui mette en jeu le processus de reconnaissance partir de quoi la lecture devient consciente des regles qu elle applique sa propre labora tion Au del donc du rappel id ologique sur la lutte du bien et du mal ce qui insiste dans ce texte c est l apport propre de ce que nous avons nomm les figures de mise en fiction qui ajoutent la signification globale de la strophe leur contribution propre 8 2 LAUTR AMONT Nous avons insist sur la figure classique de la lutte avec l Ange la uerni re scene de la strophe nous reconduit plut t la fiction hugolienne de La Fin de Satan Elle est vidente et nous ne nous y arr terons pas car il existe une autre couche intertextuelle plus riche encore rep rer dans la reprise par Ducasse d un po me de Vigny revu et lt corrig gt selon l expression des Po sies Il s agit d Eloa dont le sous titre ou la soeur des anges nous rappellera encore un autre passage des Po sies II ou Ducasse corrigeant Pascal qui voulait faire que l homme comprenne qu il est un monstre incompr hensible lui oppose qu au contraire il parvient com prendre qu il est la s ur de lange gt Arr tons nous donc un peu longuement sur ce texte pour montrer avec quelque d tail la techni que appliqu e par Ducasse dans le proces de correction qu il lui fait subir Eloa qui fait partie des Po mes antiques et modernes
270. iste faire l inverse de ce qu on attend d elle puisqu elle lt chante le mal pour faire d sirer le bien gt Le tout repose sur une conception pr cise de l toffe morale du lec teur il faut le supposer perverti par les s ductions du mal n ayant pr serv en lui que juste assez d aspiration plus lev e pour qu il soit m me de vouloir chapper l exc s des vices que le texte lui offrira en spectacle Ducasse sp cule donc sur les ressources d une certaine conomie morale pour donner un sens sa litt rature Le texte aura par cons quent tous les dehors de la tradition byronienne pour ce qui est de la narration mais on y verra faire retour au niveau du discours toute une apologie du bien affect e de l indice ostensible de la d n gation Le lecteur perverti se trouve ainsi expos un traitement hom opathique le mal portera en lui son propre remede Ce que nous venons d esquisser se rep re au niveau le plus mani feste dans la structure m me des diff rentes s quences narratives dans leur rh torique ironique dans les discours tenus par les diff rents personnages et soigneusement pourvus par Ducasse de signaux permettant de les d crypter Mais il existe bien entendu un niveau plus profond o celui qui manipule ainsi le travail du r cit est lui m me manipul par une machinerie qui en partie lui chappe Ce n est qu propos de cette autre couche discursive qu il sera possible de parler d id olog
271. it la premi re partie du livre avec son satanisme d clar son horreur syst matique ses d calques voyants de textes romantiques connus Maintenant le texte va gagner une nouvelle paisseur devenir plus nigmatique l criture va laisser derri re elle la limpi dit spectaculaire des p riodes d clam es pour se concentrer sur les replis inextricables des phrases devenues conscientes de leurs entra ves du c t du r el comme du c t de l imaginaire ou de celui de la simple rh torique Les clairages vont donc de plus en plus souli 112 LAUTR AMONT gner les ficelles mettre plat les d cors ce sera la fin du flou du brumeux du sfumato romantique qui permettait de donner ce que les Po sies appelleront des diables en carton une apparence momentan e de v rit fantastique Comme si peu peu Ducasse s tait r solu jeter le masque mais il le fait avec lenteur comme un effeuillage progressif qui laisse tout le loisir de comprendre que l on a t leurr pourquoi et comment Ebauche d un change ment de m thode qui fera bient t tout basculer La premi re strophe du chant 4 comme toutes les strophes d ouverture jusqu alors reprend le th me de base et le reformule d une fagon qui donne le ton de l ensemble du chant Mais ici pour la premi re fois peut tre les choses seront dites avec une plus grande nettet et dites de telle sorte que le style lui m me en vien dra prendr
272. iti indissoluble avec la douleur quand un l ve interne dans un lyc e sent les flots tumul tueux d une haine vivace monter comme une paisse fum e son cerveau qui lui parait pres d clater tout cela dit le fossoyeur se comprend Mais quand il voit lui le soir devant lui crit en lettres de flammes sur chaque croix de bois l nonc du pro bl me effrayant que l humanit n a pas encore r solu la mortalit ou l immortalit de l me c est alors tout autre chose Le fossoyeur se fait le porte voix de l inqui tude romantique dans la mesure o il s arr te l incertitude Les classiques auraient r pondu sans h siter sa question l me est videmment immor telle Les sceptiques plus modernes sans plus h siter auraient imm diatement conclu l inverse Mais le fossoyeur shakespearien demeure dans le doute attentif au clair obscur de ph nom nes inclassables Il est caract ristique que le pr texte qu il donne son interrogation soit celui minemment romantique des fant mes Il s interroge en effet en ces termes Si apr s la mort nous ne devons plus exister pourquoi vois je la plupart des nuits chaque tombe s ouvrir et leurs habitants soulever doucement les couvercles de plomb pour aller respirer l air frais Etre au statut incertain suspendu entre la vie et la mort objet de m ditation pour le doute LA SOIF DE L INFINI 49 sujet d angoisse
273. itt rature qui lt ne chante le d sespoir que pour opprimer le lecteur et lui faire d sirer le bien comme rem de On peut bien s r se demander o est la na vet dans un tel cas puisque Ducasse avoue ici avoir cru aux d clarations de ce qu il finira quand m me dans les Po sies par qualifier de pr faces absurdes Il a bel et bien cru que cette rh torique tait une m thode au service du bien Pour le Ducasse premi re mani re Lautr amont c tait cela l avant garde le vrai modernisme en lit t rature Il refl te alors fid lement les discours des quelques grands noms du roman et du th tre de l poque dont la sinc rit n est pas toujours aussi vidente que la sienne fort pris s d un public qui ne sy trompait pas mais ardemment combattus par les chiens de garde de la morale officielle qui ne s y trompaient gu re non plus S il en est bien ainsi on peut alors se demander pourquoi Ducasse a finalement d cid de faire s cession en se retournant contre le clan des romanciers de cour d assises Alors qu il paraissait avoir trouv sa voie il le dit en passant au fur et mesure que se d veloppaient les Chants du style byronien au style roman 28 LAUTR AMONT noir gt ou lt roman feuilleton gt pourquoi n a t il pas pu ou voulu s y tenir 2 Bien des raisons sans doute dont nous ne pourrons Jamais appr cier et saisir pleinement la logique profonde faute de t moignages directs Cert
274. ituent la strophe nous revenons donc tout coup Maldoror qui a enfin compris que la boule n tait autre chose que ce qui restait d une lt magicienne sombre gt lt Et moi qui croyais que c taient des mati res excr mentielles Grande b te que je suis va Le dynami tage est complet Faisant de la strophe un tissu carnavalesque au sens de Bakhtine cette derni re phrase effectue une d s nonciation radicale qui se ram ne une v ritable d construction du person nage de Maldoror et par l de tout le discours de fiction qui est sa seule chance de faire sens La fiction a travers toutes les phases de l auto destruction ne laissant en vidence qu une le on morale indiscut e et le m canisme qui pour avoir t analys en acte en devrait perdre ses dangereuses facult s d ali nation 142 LAUTR AMONT Le sommeil de la raison La strophe qui suit V 3 laisse de c t momentan ment le r cit pour se pencher sur un probl me qui pour simple qu il apparaisse possede des ramifications d une grande complexit qu il s agisse de rapports th matiques avec d autres lieux des Chants ou des Po sies ou qu il s agisse plus g n ralement du contexte philosophique et lit t raire du si cle le probl me du sommeil Lautr amont nous pr sente le discours d un Maldoror r solu ne jamais fermer l oeil Les raisons les circonstances le discours qui cadre cette r solution demandent une analyse aussi exac
275. ivraisons des Po sies certes imparfaites par rapport ce mod le vir tuel qu elles sont encore assez loin de r aliser mais il aurait pu y en avoir une infinit d autres la logique de leur production l aurait voulu Ducasse devenait bien par l le g rant d un p riodique o ne pouvait plus avoir de place la fiction mais seulement la po sie qu il visait faite de critique sup rieure de science de morale mais peut tre plus encore de vision Ducasse n est pas l si loin de Pascal une fois encore dont le mode de d coupage de ses Pens es devait autoriser une mise en r seau dont l interconnection permettrait de tout penser Dans les deux cas il est clair que la v rit est trouv e le seul probl me r soudre demeurant celui de la logique que devrait mettre en uvre un art de persuader qui joue comme le r le d un suppl ment la v rit Dans les deux cas on finit par pr f rer une violence qui bouscule la patience du cheminement didactique qui ne garantit nullement la conviction ni la conversion Pascal s en remet la ful guration du fragment sans achever son art de persuader Ducasse fait des po sies apres avoir abandonn la retorse p dagogie des Chants apolog tique fond e sur la fiction Pour l un comme pour l autre il y avait urgence et tous deux visent sans plus tergiverser l essentiel Que le but final ait chez Ducasse une coloration reli gieuse ou non il demeure que le pro
276. l pour ce qui est des rela tions entre les personnages mais s inscrit nettement par ailleurs dans la s rie dialectique typiquement ducassienne des r flexions sur le semblable Le h ros du r cit est en effet affect d un double double radical puisque c est un fr re jumeau Comme dans tou tes les autres histoires impliquant un doublet chez Ducasse nous trouvons ici une relation intense qui ne peut tre que d amour ou amiti ou de haine chaque acteur dans la relation peut alors pren dre une dimension symbolique et incarner l une des postula tions antagonistes qui font la nature contradictoire de l homme bien mal g n rosit cruaut beaut laideur Cette s rie de dichotomies fournit un r pertoire tout fait pour celui qui veut par tir d elles g n rer des r cits difiants Ainsi dans le cas de la pr sente strophe Parce que j tais le plus beau des deux et le plus intelligent mon fr re me prit en haine Les parents d abord port s par compensation mieux aimer la victime finissent par adopter les sentiments de son pers cuteur gr ce aux lt calomnies gt de celui ci D o s questration de quinze ans tortures supplices auxquels il chappe finalement en s vadant lt par la ruse gt Ainsi l homme cygne apparait comme une preuve de plus de la m chancet fonci re de l homme l instar de l homme tortur par sa m re et sa femme M me les liens les plus traditionnellem
277. l encens des religions L ternit mugit ainsi qu une mer lointaine et s approche grand pas Lautr amont ne laisse jamais son lecteur trop longtemps victime des s ductions de proc d s dont il a trop l habitude la maitrise de l crivain sur ces proc d s qu il d cha ne ou subvertit volont nous renseigne avec vidence sur le sens de son entreprise l humour intense de sa critique et l quilibre parfait de sa raison L onirisme sans frein que l on a cru pouvoir parfois attribuer Ducasse est un pur fantasme de lecteurs encore sous le joug de ce qu il s est efforc de d truire Ducasse ne manque pas bien videmment de rapporter sa dia lectique du r ve celle qu il laborait un peu avant propos de la r alit r alit qu il donne avec ostentation pour le fond de sa fic tion mais de fa on troubler la lecture La rencontre des deux th mes r ve et r alit prend une port e pol mique et quasi philosophique d s lors qu il s agit de contrer la rh torique romanti que dont on sait qu elle a toujours jou le r ve ou le cauchemar contre le principe de r alit Aussi Ducasse parvient il jouer l ima gination romantique quand i suspend de maniere d clar e les limi tes entre le r el et la fiction comme nous le lui avons vu faire plu 146 LAUTR AMONT sieurs fois d j Ici c est un cauchemar qui envahit tout coup le r el Le sang coule larges flots travers la figur
278. l n aura r ussi qu devenir monstrueux tout cela parce que 1870 aura marqu l croulement d un certain uni vers intellectuel dont l apr s guerre et l apr s Commune auront peu pr s tout oubli 1 Ducasse jouait perdant et n a d de survivre qu une faute de lecture qui aura d un bout l autre m connu le sens de son effort Le vertige de l inac compli et la fascination de l chec nous requerront donc en exigeant la reconstitution d une histoire effac e Enfin et cette dimension sera la plus inattendue parce que la plus inactuelle peut tre dans le contexte d aujourd hui celle qui se manifeste surtout dans les Po sies mais anime ga lement les Chants comme volont d laborer une thique de la litt rature Ethique fond e sur l limination radicale du ver balisme sur une critique de l arbitraire des effets de langue le refus d une marginalisation de la litt rature promise au con traire de grandioses retrouvailles avec toutes les autres manifestations de l intelligence Guerre au bavardage et au bluff litt raires confiance dans la science et dans la 1 Pas tout fait cependant si l on en croit D Janicaud Une g n alogie du spiritualisme fran ais de Ravaisson Berg son La Haye Nijhoff 1969 LAUTR AMONT 11 raison retremp es au contact d une exigence morale Tout ceci accro t consid rablement la distance d j norme qui nous s pare de Ducasse et nous donner
279. l un ni l autre puisqu la suite de leurs retrouvailles inattendues ils se trouvent m tamorphos s en agents de la vengeance divine Un archange descendu du ciel et messager du Seigneur nous ordonna de nous changer en une araign e unique et de venir chaque nuit te sucer la gorge jusqu ce qu un commandement venu d en haut arr ta le cours du ch timent Le myst re se trouve expliqu all gorique pisode de la lutte entre le bien et le mal assorti d un apologue moralisateur sur la dif f rence entre la v ritable amiti et les amiti s trompeuses Comme Satan Maldoror est avant tout le S ducteur qu il convient de fuir Le supplice de la sucion par l araign e n tait donc que le ch timent inflig Maldoror pour sa conduite Il faut noter qu il a lui m me consenti cette punition c est au moins ce qu il finira par com prendre apr s avoir t remis par les deux formes c lestes au fait de ses engagements sa r solution de ne pas fermer les yeux et de lutter contre l araign e est en effet toujours d truite par l inex plicable image de sa promesse fatale Elsseneur l clairera La promesse vague dont tu parlais ce n est pas nous que tu la fis mais bien l Etre qui est plus fort que toi tu comprenais toi m me qu il valait mieux te soumettre ce d cret irr vocable Le Mal a donc pu s exercer mais comme toujours il est puni soit par les pers cutions de la conscience soit
280. la maniere la plus classique en retournant purement et simplement l accusation Le mirage fallacieux de l pouvantement t a montr ton propre spectre Quelle monstrueuse aberration de l imagi nation t emp che de me reconnaitre Qui est il donc Le Cr a teur en personne du moins est ce ce qu il cherche laisser enten THIQUE ET FICTION 147 dre Tu nete rappelles donc pas les services importants que je t ai rendus par la gratification d une existence que je fis merger du chaos Pour celui qui parle son interlocuteur son attaquant l a trahi renon ant au lt long hymne d adoration gt qu il lui adressait tant encore enfant La th matique nous rappelle celle qui sous tendait plusieurs des premi res strophes des Chants o Lautr amont opposait l inno cence de l enfance et la perversit de l adulte Grandir dans les Chants c est toujours devenir m chant les Po sies condamne ront elles aussi ce qui ne pense pas comme l enfant Le sch ma reste le m me ici La reconnaissance a vu ses racines se dess cher comme le lit d une mare mais sa place l ambition a cr dans des proportions qu il me serait p nible de qualifier gt Apr s cet change nous croyons pouvoir tre assur s de la nature des person nages d un c t l homme attir par le mal de l autre Dieu m connu attaqu peut tre pour de bonnes raisons comme a cherch nous en convaincre
281. la positivit critique la port e recons tructrice de l effort de d blaiement entrepris par Ducasse rien de tout cela ne pouvait chapper l obfuscation par ce qui seul pouvait Offrir aux lecteurs l amorce d un sens En cette fin de si cle en ce d but du n tre la lecture de Ducasse devait tre parall le celle qui fut faite de Nietzsche quand elle eut lieu Car Ducasse est bel et bien par certains aspects un n gateur mais nietzsch en et l auteur des Po sies n est pas sans parent avec celui du Cr puscule des idoles l un et l autre laborent une lt g n alogie gt Il y a donc eu m prise d s le d part Mais cette m prise n est jamais une simple erreur un accident ou l embrayage al atoire comme d un m canisme mal r gl La m prise est le r v lateur qui trahit une v rit avou e dans le moment de la fausse reconnais sance elle met quelque chose l o il n y avait rien mais o devait se produire une rencontre C est le rendez vous que se donne le d sir pour faire jouissance de cet aveu tout en faisant de sa fatalit des tin Chaque poque court au fant me pourvu qu il soit la fois lu sif et complaisant qu il laisse lire de lui ce qu on veut dire de soi et se refuse pourtant jamais trancher Ce qui ferait du Sphinx un monstre serait qu il ne r pondit pas voil le Dieu de Vigny comme celui de Baudelaire comme la chim re de Mallarm CONCLUSION 199 bouche d ombre o le po
282. lait dire sans autre d guisement en chantant le bien tout bon nement Charmant archaisme intentions excellentes mais pauvre r sultat Cette m thode dit il a fait son temps il n est plus que quelques attard s pour la pratiquer encore Contre cette technique d pass e s est donc affirm une m thode plus philosophique et moins naive Ducasse ne pr tend pas l avoir invent e pour la rai son qu il l a trouv e toute faite dans l id ologie et la pratique de la plupart des litt rateurs qu il a pris pour premiers mod les voir les innombrables pr faces de textes post romantiques qui d velop LES DISCOURS DE LA M THODE 2 7 pent cette rh torique I ne se permet d infid lit la m thode que pour mieux en mobiliser les ressources pour en d gager un suppl ment d efficacit lt j ai un peu exag r le diapason pour faire du nouveau gt Il s en explique sa fa on dans les Chants eux m mes en reprenant la m me id e dans un autre langage lt Il y en a qui crivent pour rechercher les applaudissements humains au moyen de nobles qualit s du c ur que l imagination invente ou qu ils peu vent avoir Moi je fais servir mon g nie peindre les d lices de la cruaut C est donc au coeur m me des Chants que se trouve pr sent le d bat sur la m thode dans la texture m me de la fiction Nous pourrons ainsi suivre la trace de son frayage conflictuel dans les textes car il est clair dans les Cha
283. lamme latente et lancent des tincelles doulou reuses Mais probl me ces sympt mes n apparaissent pas dans le cas o la musique est le fait d un instrument Pourquoi Un mythe apocalyptique apportera la r ponse cette question et nous y reconnaitrons l enchainement de quelques th mes typiques maintes fois rencontr s D abord ang lique et heureux Maldoror en vient peu peu grandir et semblable en cela aux adolescents dont il nous a d j parl il finit lui aussi par aborder aux parages dangereux o r de le doute destructeur Parcours connu apr s l insatisfaction devant l univers avec sa vo te toil e de globes impassibles et aga ants vient la fatigue romantique force de talonner du pied le sentier abrupt du voyage terrestre et de m en aller en chan celant comme un homme ivre travers les catacombes obscures de la vie Mais sur ce d but conventionnel se greffe alors un d velop pement mythique qui l est moins Je soulevai avec lenteur mes yeux spleen tiques cern s d un grand cercle bleu tre vers la conca vit du firmament et josai p n trer moi si jeune les myst res du ciel gt y LAUTR AMONT Suit le passage c l bre o Maldoror peut voir lt celui que s inti tule lui m me le Cr ateur assis sur un tr ne form d excr ments humains et d or d vorant les hommes qu il va p cher avec les deux premi res griffes du pied dans une vaste mar
284. le caract re paradoxal de Maldoror son statut sp culaire vis vis de l homme Ducasse ne se contente d ailleurs pas de cette forme peut tre trop apolog tique trop purement litt raire Il y ajoute un appendice qui reformule le message implicite de l apologue en en proposant un second d pourvu de spectacle Tu raconteras ton fils ce que tu as vu et le prenant par la main fais lui admirer la beaut des toi les et les merveilles de l univers le nid du rouge gorge et les temples du Seigneur Tu seras tonn de le voir si docile aux conseils de la paternit et tu le r compenseras par un sourire Mais quand il apprendra qu il n est pas observ jette les yeux sur lui et tu le ver ras cracher sa bave sur la vertu Le pessimisme maldororien prend ici une dimension pascalienne en soulignant la puissance spontan e du mal l existence de l hypocrisie jusque chez ceux qui paraissent le plus innocents les enfants D j le premier chant nous avait pr sent de ces h ros adoles cents dont Maldoror d sesp rait par avance Et pourtant ce n est que chez ces adolescents qu il trouve une raison fort timide d esp rer Ici cependant cette esp rance n est pas m me voqu e il t a tromp celui qui est descendu de la race humaine mais il ne te trompera plus tu sauras d sormais ce qu il deviendra Ce qui l attend c est l chafaud tandis que le p re infortun vieil lard est promis a
285. le fant me r sume lui seul tout un versant du rapport nou entre litt rature et m taphysique depuis la fin du dix huiti me si cle de Young dont les Nuits seront voqu es dans les Po sies Poe comment lui aussi par Ducasse Il est d autant plus remarquable qu la question du fossoyeur et contre la tradition romantique prise de n cromancie Maldoror oppose l attitude faite de foi et de rationalisme m l s caract ristique des spiritualistes lt modernes gt lt Il ne faut pas qu un doute inutile tourmente ta pens e les hallucinations dangeureuses peuvent venir le jour mais elles viennent surtout la nuit Par cons quent ne t tonne pas des visions fantastiques que tes yeux semblent aper cevoir I 12 Si l on doutait que Maldoror se fasse ici le porte parole de Ducasse il suffirait de se reporter aux premi res pages des Po sies Ce n est qu en admettant la nuit physiquement qu on est parvenu la faire passer moralement O Nuits d Young vous m avez caus beaucoup de migraines I 11 On ne r ve que lorsque l on dort I 12 C est dans le m me sens qu il faut com prendre le conseil que Maldoror donne au fossoyeur Pendant le jour lorsque l esprit est au repos interroge ta conscience elle te dira avec s ret que le Dieu qui a cr l homme avec une parcelle de sa propre intelligence poss de une bont sans limite et recevra apr s la mort terrestre ce chef d
286. le mal trouve donc s incarner dans Maldoror dont toutes les actions en font un signifiant pour ce signifi Face cette premi re entit le bien se trouve lui aussi per sonnifi il devient personnage Rien l que de tres banal encore le th me de la lutte entre le bien et le mal ne manque pas de mod les paradigmatiques et il s agit peut tre m me du paradigme le mieux pourvu de tous gr ce de multiples textes sacr s produits par toutes les traditions religieuses sans compter leurs versions profanes Th me f cond s il en est Mais nous pouvons attendre de Ducasse qu il se distingue une fois de plus de ses pr d cesseurs dans la reprise qu il op re de ce motif rebattu Maldoror ne se trouve pas confront d embl e un adversaire symbolique encore qu il y ait bien symbole mais plus complexe qu une simple all gorie Il va avoir affaire une lampe mais pas n importe laquelle lt On dit que tes lueurs clairent pendant la nuit la tourbe de ceux qui viennent adorer le Tout Puissant et que tu montres aux repentis le chemin qui m ne l autel Nous recon naissons bien s r dans cette lampe celle qui dans les glises signale la pr sence dans le tabernacle du Saint Sacrement Notons cepen dant que Ducasse vite les pr cisions qui situeraient de mani re trop univoque l adversaire de Maldoror Il ambiguise la r f rence trop manifeste en multipliant au cours de la strophe les d signations de 80 LAU
287. le pacte ph m re conclu entre ces deux puissances malheureusement d pass e par la pres sion nergique de la volont mais la plupart du temps aussi par l absence de sa collaboration effective gt Les deux exemples donn s par Ducasse sont ceux que nous avons d j cit s la col re et l orgueil L orgueil pour l auteur des Po sies ce sera le p ch supr me celui dont il accusera syst matiquement romanciers et po tes romanti ques ou assimil s Quant la volont nous saurons alors que sa corruption est la base du mal du si cle et rappelons que pour Kant interpr t par les spiritualistes il y a une corr lation intime entre la loi et la v rit Cousin 1841 Pour Ducasse modestie et ferme volont il nous a d j parl de la modestie de son propos sont les seuls rem des au doute et au d sespoir et les seuls moteurs d une litt rature enfin assainie Il est clair alors que ce qu il nous pr sente dans cette strophe c est un exemple m me de ce qu il ne faut pas faire Pourtant il prend bien soin d inscrire au coeur m me de la strophe par ses r f rences insistantes la science la r alit les moyens logiques d une distanciation que devrait savoir op rer le lecteur pour reconnaitre les lucubrations flagrantes de son ima gination Plus nettement encore dans une formule qui rejoint l avertissement au lecteur du premier chant il s efforce de mettre en garde son client Je n
288. lecture de Lautr amont le tressage de plusieurs regis tres philosophiques plus ou moins neufs plus ou moins mourants avec leurs r gularit s discursives leur rh torique et leur argumenta tion propres La crise et ses descriptions rituelles y jouent un r le majeur amenant une analyse qui porte essentiellement sur l tat de l esprit public et la litt rature qui en est l expression D o des ten tatives plus ou moins contradictoires esquiss es ici et l partir de terrains tres diff rents la morale la psychologie la science pour soigner un si cle que l on voit malade et qui l on propose une id ologie clectique unifiante apolitique Car de fait il n est jamais question dans tous ces d bats dans tous ces projets d autre chose que d une r forme intellectuelle et ou morale L impens du si cle dans les instances id ologiques dominantes malgr Fou rier malgr Comte malgr Proudhon c est toujours et encore le probl me tabou de l ordre politique et social bien timidement abord par les r publicains du second Empire IPNI INOU ap SMOD ne sasipun no SAW SANN s anb Dr PIANO au u CPU y SUEP so puury lt aureum HUNSA LJ Iq gt 19 lt EN nq gt 2931u2uiane p 7 214dosonqd ap suousont o gI anbisspp uotronpa suvp augdosopqd vj a c98I 282H ap nbuaod TRI 83u14 Lpgl aiqdosopqgd ap 241n1u 149 9 SANOI UN P S1924 SH8T 8H ap anbupqisa p sano TS8I Ob8T 8681 8081 HO quy Nad
289. lent sommaire de ce que l on pouvait trouver dans J r me P turot la recherche d une position sociale Cinqui me voix ensuite celle de la science qui intervient dans ce roman de mani re quelque peu diff rente de ce que nous avions rencontr dans les chants pr c dents Il s agissait alors d intervenir dans une dialectique qui devait aboutir remettre en question le naturel du style romantique en s attaquant sa rh torique ses codes m taphoriques etc Ici encore que l objectif reste certainement le m me l effet produit est avant tout g n rateur d humour La rh torique narrative ne parvient pas ce que faisait parfois la rh torique po tique s assimiler les fragments de discours scientifiques constamment rapport s et qui finissent par se substi tuer presque totalement la logique strictement narrative Les der ni res sc nes du dernier chapitre repr sentent en fait l aboutisse ment d une g om trisation peu pr s totale de la narration le voca bulaire de la m canique portant tout le poids de la vraisemblance La mim sis romanesque s absorbe pour de bon dans un discours qui lui paraissait irr ductible Ainsi s annonce d j ce que les Po sies mettront en maximes la po sie est la g om trie par excellence Sixieme voix enfin celle de la morale Apr s avoir tress la trame r elle des Chants cette voix se fait entendre nouveau dans ce qui CECI N EST
290. ler la force de r sister J aper ois que son visage porte le poids des terribles impressions qu y a grav es la r flexion constamment pench e sur les sphynx qui d routent avec un il oblique les grandes angoisses de l intelligence des mortels Mais la consolation adress e par Maldoror Mario est impuissante calmer l angoisse Mario son tour remontre Maldoror ce qu il en est de son propre destin celui d un enfant du siecle kd un fragment manifestement d riv du grand mod le de Musset les ann es de mon propre prin temps ont pass tristes et lacrsles comme un r ve implacable qui prom ne sur les tables des banquets et sur les lits de satin o som meille la p le pr tresse d amour pay e avec les miroitements de l or les volupt s am res du d senchantement les rides pestilentiel les de la vieillesse les effarements de la solitude et les flambeaux de la douleur Hyper romantique la rh torique d un tel passage qui oscille entre l arch type et la parodie am ne n cessairement l image outr e du Cr ateur cruel le Tout Puissant m apparait rev tu de ses ins truments de torture dans toute l aur ole resplendissante de son horreur Mais puisque c est la volont de la Providence je veux m y conformer gt Le portrait ne serait pas complet si ces allusions cod es ne venait s ajouter l in vitable analyse en forme de confession lyrique Elle est ici particuli rement m
291. leurs puisqu il finit par sortir de ce r ve il doit bien en venir admettre que La Provi dence me faisait ainsi comprendre d une mani re qui n est pas inex plicable qu elle ne voulait pas que m me en r ve mes projets sub limes s accomplissent L action moralisatrice du r cit est vidence ici puisqu elle renverse le r ve d ang lisme tel que le romantisme a pu le porter et en mettant au jour la r alit de ce qui devra attendre Freud pour chapper aux moralistes et devenir l inconscient dans sa pol mique avec la Loi Si l exploitation morale du r cit prend la premi re place dans cette strophe la dimension critico stylistique n en est pas absente encore que plus discr te que dans les strophes pr c dentes et sur tout moins int gr e la partie apolog tique L ouverture de la stro phe offre pourtant un ventail de comparaisons longuement pr ci s es pour donner au lecteur une id e du sommeil qui s appesan tit sur Maldoror fatigue du chasseur d autruches assoupiss ment des sens du naufrag effets engendr s par le magn tisme et le chloroforme Mais il ne s agit l apr s tout que d une s rie de superlatifs pr sent s en quelque sorte la carte comme plus tard les lt beau comme gt Ces alternatives offertes sont en fait avant tout l occasion d une remarque qui nous int ressera Dans sa troi FICTION EN PARTIE DOUBLE 129 si me comparaison Ducasse dit
292. leurs de longues et con sid rables tudes sur Kant une fois devenu professeur Geneve exil comme tant d autres pour cause de coup d Etat Notons que c est Gen ve encore que professait Naville qui fut l diteur des uvres de Maine de Biran 1766 1824 en m me temps que Cousin avant de donner Le Probl me du mal qui figura dans la biblioth que de Ducasse semble t il C est chez Maine de Biran qu il faut d ailleurs aller chercher la source de l clairage particulier que Cousin apporta dans sa lecture de Kant marqu qu il fut par cet h ritier de la tradition philosophi que du xvni si cle toute pr te accueillir la r volution kantienne surtout dans la mesure o elle paraissait offrir les moyens de fonder enfin fermement la doctrine morale gr ce aux puissantes ressources de la Critique De l que chez Cousin ce soit avant tout la perspec tive morale de l uvre de Kant qui retienne l attention parce que la psychologie y devient enfin une science Psychologie fond e sur la r flexivit et qui permet de poursuivre sur de nouvelles bases l oeuvre des moralistes fran ais du 17 et du 18 si cles parce qu elle se trouve d sormais garantie dans son rapport la v rit Ainsi plus que la Critique de la raison pure c est la Critique de la raison pra tique ou m me les Fondements de la m taphysique des m urs ainsi que la Critique du jugement qui resteront les principales r f rences de l Ecole D
293. li des axiomes sacr s et de sa nature d ange On comprend alors qu une po sie produite selon cette volont de r formation de conversion violente au sens o Pascal entendait ce mot ne peut en rien ressembler ce que nous connaissons il s agira plus d un coup de fouet laconique ou v h ment que des langueurs et des mollesses de nagu re La th orie et la pratique la science et le po me ne feront alors plus qu un En d autres termes et dans un sens tout moderne chaque frag ment est un l ment de programme et contient f t ce en une ligne pr misses d veloppement et conclusion Telle est la logique qui fait ceuvre de chaque texte la forme du syllogisme tant d ailleurs pour Ducasse ce qu il peut concevoir de plus intransigeant On saisit d s lors quelle force peut rec ler l agencement s riel des Po sies il ne s agit pas d un ordre lin aire qui serait le fil conducteur de la v rit qui ne se r v lerait dans toute son ampleur qu la fin Non chaque fragment du fait qu il est admis dans l ensemble s riel est lui seul la v rit et toute la v rit puisque chacun d rive sans d vier des premiers principes On peut parcourir les textes en tout sens ils feront toujours s rie tout y est indispensable tout en tant mini mal telle est la marque de leur absolu Chaque bribe est elle seule un compendium du savoir entier Nous ne connaissons que deux CONCLUSION 195 l
294. lisme de cauchemar et d horreur que Maldoror voque g n ralement La chose est des plus claires tout le r cit n a t invent ou repris de quelque livre ou fait divers atroce que pour faire honte l homme du reniement de sa raison Comme le diront les Po sies lt Les notions de la simple raison sont tellement obscurcies l heure actuelle gt Ce sera le fondement de leur argumentation Nous sommes donc en pr sence d un texte provocateur pol mi que un apologue destin nous pr cher le retour au bien l quilibre du jugement Seule l analyse nous dira Ducasse est m me de d velopper la raison en l entrainant la gymnastique men tale qui lui permettra de dissiper les illusions C est quoi il veut ini tier son lecteur d s cette partie des Chants dans cette strophe m me en y ins rant un long fragment m tadiscursif Tout part d une alternative devant laquelle se trouve plac le nar rateur raconter la totale v rit ou garder le silence sur les tortures inflig es par les deux femelles leur fils et mari C est bien entendu l hypoth se du silence qui am ne les plus grandes explications Elles se pr senteront sous la forme d une s rie de bran chements effectu s sur une ligne discursive unique tant t par l interm diaire de car tant t par l ench ssement de simples parenth ses ou bien encore par des cependant certes etc La vari t des fo
295. llait trou bler le lecteur au point qu il soit en quelque sorte m r pour accepter de rejeter ce type de litt rature tout en accueillant les le ons que Ducasse pr parait en sous main Il lui fallait donc rendre convain cants la fois l histoire de Maldoror et sa r cusation le simulacre et la v rit cach e il lui fallait simultan ment cr tiniser son lec teur dans les formes et l amener pouser ses vues sur le respect de CECI N EST PAS UN ROMAN 181 la marche ordinaire de la nature et les v rit s absolues En pronon ant son propre loge fun bre en forme de satisfecit Ducasse se donne acte lui m me de sa r ussite et ne peut plus crire autre chose que les Poesies o se d voileront pour de bon ses batteries La promotion du bien gr ce au spectacle excessif du mal lui para tra maintenant pouvoir c der la place une lutte qu il pourra d sormais mener visage d couvert Peut tre triche t il un peu avec lui m me pourtant puisqu il parait admettre que ce n est qu en changeant de terrain vers les deux tiers du parcours qu il a pu donner toute sa force sa dialectique autrement dit en abandon nant le domaine du po me byronien pour celui du roman noir Sans doute a t il compris qu avec sa premi re m thode il avait trop bien r ussi car l op ration dialectique est en partie manqu e la lecture ne parvient pas se d tacher du simulacre pour entendre la rumeur n gative et sarcas
296. lle que nous venons de commenter encore que ces rapports ne s tendent pas la th matique profonde mais seulement quelques l ments narratifs De m me que Holzer dans la strophe pr c dente s tait 10 Sur le suicide romantique cf L Maigron Le Romantisme et les m urs Paris H Champion 1909 LA MAXIME ET LE R CIT 93 jet l eau dans une tentative explicitement suicidaire de m me Maldoror ici se jette dans le vide Mais l o Holzer accomplissait avec tout le s rieux du d sespoir romantique une authentique tenta tive de suicide Maldoror commet lui une parodie qui est ouverte ment un geste de d fi lt j ai d fi la mort de la vengeance divine par une hu e supr me et me suis pr cipit comme un pav dans la bouche de l espace Le geste ainsi mim par Maldoror est com prendre dans le contexte de la strat gie d finie dans cette strophe Eh bien je me pr sente pour d fendre l homme cette fois moi le comtempteur de toutes les vertus En effet le geste de Holzer doit tre reli ce qui s expose dans la premi re partie de la stro phe si l homme est pouss au d sespoir c est cause de sa cons cience cadeau empoisonn de la divinit il y a des heures dans la vie o l homme la chevelure pouilleuse jette l oeil fixe des regards fauves sur les membranes vertes de l espace car il lui sem ble entendre devant lui les ironiques hu es d un fant
297. logue consiste pr cis ment mettre l homme en face de ce m me d sir que Maldoror gr ce un r ve r alise Le r ve de Maldoror pour Ducasse c est au fond le r ve le plus secret de tout homme qui connait ses besoins intimes ou la cause de ses joies pestilentielles Ecoutez moi donc et ne rougissez pas in puisables caricatures du beau qui ne compre nez pas pourquoi le Tout Puissant dans un rare moment de bouf fonnerie excellente qui certainement ne d passe pas les grandes lois g n rales du grotesque prit un jour le mirifique plaisir de faire habiter une plan te par des tres singuliers et microscopiques qu on appelle humains et dont la mati re ressemble celle du corail ver meil gt Dialectique du ciron gt la Pascal pour humilier l homme le mettre en face de son orgueil de ses contradictions de ses petitesses Le r ve de Maldoror est la r alisation fantasmatique des souhaits profonds de tout homme ainsi mis nu La duplicit de l apologue est d ailleurs soulign e par l erreur de Maldoror sur la cause de son r ve D abord dit il je recherchais activement quel acte de vertu j avais accompli pour m riter de la part de la Providence cette insigne faveur Mais il finit par comprendre que la cause de ce bonheur n est pas dans ses vertus mais dans ses vices cette d gradation n tait probablement qu une punition r alis e sur moi par la justice divine D ail
298. lus conforme notre force Elle consiste rendre notre race heureuse Formidable changement de m thode on le voit Ducasse d senchant et ayant compris les ambiguit s de sa premi re mani re en arrivera donc pr ner une position tout fait contra dictoire par rapport ce que Lautr amont aura fait dire Maldo ror La vertu pol mique de ce personnage sa fonction critique s en trouvent clair es puisqu il s agit alors d une reprise caricaturale de l id ologie sceptique pr dominante dans tout un courant du roman tisme Si la strophe visait bien le po me de Vigny que nous avons rappel elle ne se proposait de le critiquer que comme un des mod les quasi arch typaux de ce qui tait devenu un lieu commun de la m taphysique litt raire La grande pens e de Ducasse travers ces diverses manifestations peut se r sumer ainsi Phomme d abord Dieu retrouve sa dignit et sa non intervention dans les affaires humaines cesse d tre per sonnalis e elle ne sera plus interpr t e comme de l indiff rence ou de la cruaut De l la condamnation que passent les Po sies contre la pri re en faisant un choix d exemples tr s significatif Job est vi demment l exemple le plus classique du dialogue avec Dieu nous le retrouverons plus loin dans les Chants devenu figure intertex tuelle et J r mie apparait sans doute lui aussi dans la liste en rai son de l extr me humanisation de Dieu
299. m taphysique en s y attardant mais pour mieux toucher l homme concret Tout s inverse cet homme c est le lec teur du dix neuvi me si cle en marche vers la d cadence l imagi 66 LAUTR AMONT naire satur de fictions ces fictions dont il faut selon Ducasse de toute urgence combattre l influence d bilitante sur la moralit La cinqui me strophe est amplement marqu e par toutes ces pr occupations avec ses allusions l actualit un d bat la fois litt raire et moral la sale question des courtisanes diront les Po sies cf Caro 1855 par exemple avec son amplification de la dialectique du semblable et du diff rent Prolongement des strophes pr c dentes elle en reprend le motif en en transformant le d velop pement L engendrement du r cit passe cette fois en effet par un ensemble de permutations et de m tamorphoses appliqu es aux l ments narratifs des strophes qui pr c dent Les personnages de Lombano et de Maldoror y changent ainsi leurs caract res c est maintenant Maldoror qui se d crit lui m me comme celui qui ne paraissait pas s inqui ter des maux ni des biens de la vie pr sente cherchant la proie sanglante de l espoir ballott e continuelle ment travers les immenses r gions de l espace par le chasse neige implacable de la fatalit Dans le m me temps le caract re qui tait celui de Lohengrin se trouve maintenant transf r une Jeune fille svelte de
300. me Il chan celle et courbe la t te ce qu il a entendu c est la voix de la cons cience Ce th me ne manque pas d ant c dents travers tout le si cle romantique mais Ducasse va plus loin en poussant la rh to rique de la mise en sc ne jusqu repr senter la conscience comme une sorte de poursuivant cruel qui pousse aux abois l antilope humain Hyperbole de l aeil hugolien qui dans la tombe lt regardait Cain gt Le d cor lui m me est hyperbolique transposition rotico cosmique de l atmosph re infernale du Satan de Hugo si souvent d calqu dans ces Chants les anges y sont devenus des poulpes ou des spermatozo des dans un passage exercice de style qui accumule plaisir ces adjectifs dont les Po sies diront qu ils lt mentent aux substantifs qu ils d figurent gt lt le caillou l oeil sombre gt regarde les grandes l vres du vagin d ombre d o d coulent sans cesse comme un fleuve d immenses spermatozoi des t n breux qui prennent leur essor dans l ther lugubre en cachant avec le vaste d ploiement de leurs ailes de chauve souris la nature enti re et les l gions solitaires de poulpes devenues mor nes l aspect de ces fulgurations sourdes et inexprimables gt je souli gne La conscience est ici videmment li e au th me polaire du bien et du mal La conscience juge s v rement nos pens es et nos actes les plus secrets et ne s
301. me que la th orie de la Pr face de Cromwell de Hugo Mais on voit que chez Ducasse cette conception forme une tres profonde armature pour sa pens e m me de l criture et de la po sie de ce que sont ses moyens ses pouvoirs et ses droits Si la po sie parait contradictoire paradoxale c est parce que la vie elle m me est ainsi parce que le langage nous y pousse et parce que l esprit humain est lui m me plein de contradictions l omis sion de quelque l ment annonc dans la strophe pour la circons tance n tonnera pas ceux qui ont tudi fond les contradic tions r elles et inexplicables qui habitent les lobes du cerveau humain Rien n est indigne pour une intelligence grande et simple le moindre ph nom ne de la nature s il y a myst re en lui devien dra pour le sage mati re r flexion N est ce pas l un avertissement fort clair adress au lecteur S il rencontre dans les Chants quelque chose qui lui para tra invraisem blable inacceptable grotesque ou simplement comique il lui fau dra aussit t interroger son premier r flexe qui le porterait rire Le rire pour Ducasse consiste avant tout ne voir qu un seul c t des choses le rire simplifie alors que la contradiction le para doxe la caricature ont la noblesse de la complexit Le rire ne doit jamais tre seul parce qu il est renoncement la dignit abandon de l intelligence trahison de la raison et de la mo
302. mes se trouvent alors traduits en termes d actants dans le r cit Maldo ror reflet v ridique de l homme est lui m me d chir entre les deux p les de sa double nature tant t pr chant la bonne parole et tant t Sacharnant dans une lutte pique contre Dieu Les v nements eux m mes portent la marque de ce d doublement c est ainsi que le Tout Puissant en visant Maldoror a envoy la foudre de 60 LAUTR AMONT mani re couper pr cis ment son visage en deux gt lt non con tent commente Maldoror d avoir plac son me entre les fronti res de la folie et les pens es de fureur qui tuent d une mani re lente L criture traduit elle aussi cette loi du d doublement puis que l auteur se divise en deux instances distinctes Maldoror et Lau tr amont cette derni re n tant son tour que le produit de la division affectant Ducasse Toute la strophe peut en fait se lire on le voit comme un rappel des regles fondamentales qui structurent le texte dans son entier et se traduisent simultan ment sur tous les plans du r cit depuis la constitution des personnages jusqu la logique de leurs rapports La troisi me strophe approfondit cette disjonction fondamentale qui fait la formule de l ensemble mais reprend et prolonge gale ment le r cit amorc dans la seconde celui qui mettait en sc ne l affrontement de Maldoror et de Dieu sur la question de l criture Maldoror fait donc d abo
303. mie peut tre emprunt e quelque trait travers tous les Chants alternent ainsi les passages insistant sur l exactitude terminologique et ceux qui au contraire accumulent plaisir les adjectifs d pourvus de signification pr cise autre que celle qui les d signe comme appartenant au langage de la po sie Le travail sp cifique des Chants r side pr cis ment dans cette rencontre de deux langues inconciliables que Ducasse s efforce pourtant de tresser installant au c ur de la d mesure et des lans purement verbaux un principe de distanciation qui en ruine les effets La folle est ici une figure bien romantique celle de la femme bri s e par les malheurs Elle va devant soi comme la feuille du peu plier emport e elle sa jeunesse ses illusions et son bonheur pass qu elle revoit travers les brumes d une intelligence d truite par le tourbillon des facult s inconscientes Les br ves gloses qui mail lent discr tement le r cit forment un contrepoint attendu dans la ligne que ce que nous avons constamment rencontr Si les hom mes taient heureux sur cette terre c est alors qu il faudrait s ton ner les hommes sont une race qui a tendu une domination injuste sur les autres animaux de la cr ation id e voisine de celle que nous avons rencontr e plus haut dans le deuxi me chant propos des hommes qui se nourrissent de la chair des animaux La fille de celle qui allait d
304. morale et de la th orie de la litt rature qui a pu librement s ployer en constituant un texte au dialogisme irr ductible n buleuse brutalement contract e en un ordre nouveau dans les Po sies qui nonceront les r gles toutes neuves d un dis cours qui aura cru laisser le dix neuvi me si cle derri re soi VII Ceci n est pas un roman Le cinqui me chant avait mis en place peu peu le champ mou vant des contradictions d une entreprise qui s tait donn la contra diction m me pour sujet et pour m thode Contradictions de l me humaine rejet e sans terme possible du mal au bien et de Dieu au Diable contradictions dans la m thode qui joue le mal pour faire advenir le bien qui joue la fiction pour que prenne forme une science de l criture A travers la caricature le comique dissi mul du style des exigences s taient fait jour mais en se neutrali sant les unes les autres n cessit de construire une syst matique morale n cessit d laborer une stylistique n cessit d une p n tra tion de la sph re morale par la science Nous avons vu dans le cin qui me chant plus particuli rement quelles complications la mul tiplicit d objectifs simultan s peut mener la fiction sans cesse retourn e contre elle m me Il est difficile alors de juger chaque strophe pour en appr cier ce qui serait sa r ussite ou son chec Sans doute si l on s en rapporte l accueil de la post rit Duca
305. mpo s e des deux forces primitives etc Derni re tape sur la voie 186 LAUTR AMONT d un radical nettoyage du langage qui impliquera la disparition de la fiction en tant que telle prouv e par Ducasse comme une efflo rescence verbale incontr lable perverse et corruptrice Nous avons d j rencontr certains efforts spectaculaires de Ducasse dans ce but lorsqu il s est appliqu lutter contre ce qu il appelle lt la sapo nification des obligatoires m taphores en substituant syst mati quement dans un grand nombre de comparaisons au second terme attendu au comparant st r otyp un fragment textuel d origine radicalement extra litt raire totalement neutre du point de vue des effets esth tiques traditionnels Dans l esprit de Ducasse il s agit l sans aucun doute d une arme destin e permettre au coeur m me de la fiction son sabotage int gral en interdisant l expansion d un s mantisme vague et trompeur C est la s rie des beau comme dont nous trouvons dans ce sixieme chant quelques uns des exemples les plus fascinants Beau comme le vice de conformation cong nital des organes sexuels de l homme consistant dans la bri vet relative du canal de l ur tre et la division ou l absence de sa paroi inf rieure de telle sorte que ce canal s ouvre distance variable du gland et au dessous du p nis ou encore comme la caroncule charnue de forme coni que sillonn e par des rides tra
306. n il est une des innombrables modifications intellectuelles que Dieu sans sortir d un type primordial cr a pour gouverner les charpentes osseuses gt Et c est ici que se rencontrent les deux th matiques sous jacentes de la strophe celle qui permet d articuler une sorte d art po tique et celle qui permet d avancer un certain nombre de theses d essence philosophique et morale Leur rencontre se fait naturelle ment par une comparaison La po sie nous l avons vu n a pas t modeste avec Maldoror elle le devient Phomme non plus n a pas t modeste avec Mal doror il doit le devenir Moi je veux montrer mes qualit s mais Je ne suis pas assez hypocrite pour cacher mes vices Le rire le mal l orgueil la folie para tront tour tour entre la sensibilit et l amour de la justice et serviront d exemple la stup faction humaine chacun s y reconnaitra non pas tel qu il devrait tre mais tel qu il est Ainsi arrive enfin l existence d clar e le prin cipe dont nous avons maintes fois d sign l affleurement dans les contradictions des actes et des discours de Maldoror l homme croit qu il n est compos que de bien mais Maldoror lui montre en s exhibant comme reflet v ridique qu il est la fois bon et mauvais et peut tre plus mauvais que bon sauf dans la jeunesse D o toute la dialectique du semblable et tout le ressort de la m thode du mal pour le bien peu
307. n a rien que d assez ordinaire les parents de celui ci ainsi que leurs autres enfants famille m diocrement exceptionnelle Ces trois chapitres sont assu m s par un narrateur omniscient fort classique si l on excepte cer tains traits dont nous reparlerons plus loin Le quatri me chapitre forme avec ce d but un important con traste puisque ce n est plus le narrateur qui parle mais le h ros lui m me Maldoror Le cinqui me chapitre est son tour construit sur une formule diff rente puisqu un nouveau personnage y est intro duit dont le r cit ench ss occupe presque toute la narration D s le sixi me chapitre le roman r aliste est d laiss au profit d un retour en force du fantastique gr ce l intervention du Cr ateur l apparition de l archange crabe tourteau la m tamorphose de Maldoror en cygne noir Le septi me chapitre effectue lui un retour au r cit quasi naturaliste mais c est pour mieux laisser la place dans le huiti me et dernier chapitre un feu d artifice d v nements arbitraires o l on voit apparaitre une symbolique queue de poisson ail e une poutre anim e un coq pythonisse et le Tout Puissant lui m me d guis en rhinoc ros Tout compte fait s il est quelque chose qui justifie de voir dans cette s rie de r cits une certaine continuit qui puisse lui m riter le nom de roman ce n est que la suite d nigmes pr sentes la fin de chaque chapitre qui est m me de le fair
308. n contraire Ce que cette strophe redit ainsi Quelques unes soup onnent que j aime l humanit comme si j tais sa propre m re et que je l eusse port e neuf mois dans mes flancs parfum s Ces happy few ne pourront tre que les lecteurs qui apporteront leur lecture une logique rigoureuse et qui sau ront assez bien lire pour ne pas se mettre rire comme un coq qu il soit maudit par ses enfants et par ma main d charn e celui qui persiste ne pas comprendre les kanguroos implacables du rire et les poux audacieux de la caricature La strophe qui suit peut s entendre comme une mise l preuve du lecteur nouvellement averti un test de sa capacit passer au del des apparences pour comprendre les le ons dissimul es dans les replis d une histoire ou d un discours Simultan ment et comme en change de cet effort qu il demande Ducasse offre avec clart une image de Maldoror qui insiste moins comme il tait dit dans la strophe pr c dente sur ses vices que sur ses vertus Le sujet apparent de la strophe a pourtant tous les dehors de l horreur maldororienne torture cruaut inceste etc Ces horreurs on peut m me dire qu elles sont ici cumul es plaisir et comme syst matiquement de la m me mani re que Sade pouvait inventer une histoire telle qu un nombre maximum de crimes y seraient perp tr s d un seul et m me geste viol sodomie inceste et sacril ge Ducasse
309. n visage divin face la petitesse de l humanit et son incomparable folie La raison et la rigueur d un c t l humanit morale livr e ses passions de l autre depuis Pascal l antith se est devenue lieu commun pr sente qu elle tait d j dans notre culture depuis l antiquit Mais il fallait Ducasse pour que ce topos discursif actif dans la philosophie devint le moteur intellectuel d une fiction d un mythe passage du logos au mythos mais il ne fait en cela qu extrapoler une tendance pro fonde de l id ologie romantique pour qui la po sie ne saurait se con tenter des beaut s r gl es du langage elle veut encore se m ler de philosopher en revivifiant la rh torique par l ontologie Il est donc clair que le travail des Chants consiste dans une large mesure rendre possible l inscription d un certain discours philoso phique dans un univers de fiction Dans la strophe l Oc an nous avions d j vu s esquisser une th matique tr s voisine mais elle s inscrivait tr s naturellement dans une tradition lyrique d j bien fournie en m ditations sur les enseignements tirer de la contem plation de la mer Ici au contraire Ducasse centre sa po sie de mani re ouverte sur un objet les math matiques que la tradition lyrique a bien rarement voqu m me au dix huiti me si cle Et ce n est pas le moins tonnant de ce passage que le choix fait par Ducasse d un style ostensiblement d clamat
310. nable du n ant un spectacle que l homme ne peut contempler La strophe pose donc le rapport du h ros et du monde insuppor tables l un l autre C est ainsi que Maldoror quelques moments avant l agonie se fait porter par les vents travers le monde 44 LAUTR AMONT impatient de sa mort Un pr texte Je jouirai encore en secret des exemples nombreux de la m chancet humaine Mais ce pr texte ne sert qu r affirmer la nature sp culaire du rapport qu entretiennent Maldoror et l homme un fr re sans tre vu aime voir les actes de ses fr res La sc ne prend une dimension cosmique quand viennent leur tour s en m ler les figurants du drame humain c est dire les animaux qui incarnent symbolique ment la complexit de la cr ation v ritable arche de No en route vers sa perdition Tous les r gnes d filent Habitants des airs lt l aigle le corbeau l immortel p lican gt clin d oeil litt raire sur lequel reviendront les Po sies lt le canard sauvage la grue voya geuse habitants de la terre et des eaux la vip re l oeil gros du crapaud le tigre l l phant la baleine le requin le mar teau l informe raie la dent du phoque polaire gt Mais toute cette parade animale n est qu une fois de plus pour Maldoror l occasion de r affirmer son statut de r v lateur m taphy sique et moral Oui je vous surpasse tous par ma cruaut inn e
311. ndable ou bien ses plaintes sont mal fon d es puisque d un mal semble sortir un bien Dans les deux cas la tentative d apologie fait long feu puisqu elle finit par prouver le contraire de sa th se H est certain qu une telle strophe pr te beaucoup de force aux interpr tations qui veulent voir en Lautr amont un pr curseur assez d lirant du Surr alisme les images s enchainant selon une logique qui parait tout devoir l onirisme Il nous semble pourtant que des l ments discursifs bien reconnaissables contribuent donner une certaine coh rence ce texte en le reliant clairement la probl ma tique que nous avons reconnue comme formant la base de l entre prise des Chants en g n ral La question de la conscience participe videmment du r pertoire d arguments romantiques mettant en vi dence l absurdit et en m me temps le caract re unique de la vie humaine D autre part au niveau stylistique ou plus g n ralement au niveau intertextuel la pol mique avec le romantisme apparait travers l emploi hyperbolique d un lexique extr mement marqu de m me que dans le recours figural des l ments de mise en sc ne typiquement hugoliens Mais emport par le mouvement m me qui le constitue comme ennemi privil gi de Dieu Maldoror passe au LA MAXIME ET LE R CIT 95 del il subit une v ritable apoth ose une transfiguration qui le montre triomphant invuln rable inaccessible la revanche divine plong
312. ne traduction parlante Nous avons vu tout l heure que sa propre image sp culaire d j le montrait pire qu il n est Cette fois ci l image devient un simulacre puissant susceptible de d veloppements car si l image du pourceau est bien une m ta phore c est une m taphore qui ne d range pas l ordre des choses au contraire elle en dit la v rit C est par l m me une fois de plus une auto accusation en forme de portrait chinois si Maldo ror peut r aliser son souhait en devenant en r ve pourceau ce n est que dans la mesure o lui aussi est homme qu il peut en avoir le d sir La m taphore critique en se concr tisant dans une image se fait r v latrice d une v rit Objet de mes voeux je n apparte nais plus l humanit 128 LAUTR AMONT La transmigration est totale et permet de montrer diff rentielle ment ce qui fait en principe l humanit de l homme lt il ne restait plus la moindre parcelle de divinit L plus de contrainte Quand je voulais tuer je tuais mais ma conscience ne me fai sait aucun reproche L apologue est clair la libert des passions l touffement de la conscience le crime font de l homme un ani mal par le reniement de ce qu il peut avoir de divin Ce fut alors que je me r veillai et que je sentis que je redevenais homme Il ne faudrait cependant pas croire que l homme est n cessaire ment humain un second aspect de l apo
313. ne v ritable mosaique figuralement disparate mais th matiquement uniforme Nous avons ainsi vu ici apparaitre les figures de la mythologie classique Hermaphrodite V nus S l n etc les figures romanti ques clich s sur la solitude la Providence le secret le d sespoir l amour les figures romanesques plus modernes proches d j du roman feuilleton Un Jour quatre hommes masqu s qui avaient re u des ordres se jet rent sur lui et le garrot rent solidement gt Le tout napp jet dans la forme classique de l apologue ou de la parabole Avec une diff rence toutefois qui constitue toute la pointe et la signature particuli re de Ducasse nous avons le conte mais nous n avons pas la morale peut tre un jour raconterai je LA MAXIME ET LE R CIT 71 ton histoire pouvant de ce qu elle contient et des enseignements qui s en d gagent gt laiss e l imagination du lecteur que vient ainsi tenter le r ve d une r conciliation au beau milieu d un texte o partout ailleurs le mal parait triompher La porte de lt l esp rance gt n est que d sign e par Ducasse issue rencontr e au plus noir du labyrinthe mais ce n est pas lui qui la pousse nous lecteurs cor rompus de refaire l unit de l homme au del des partages destruc teurs dont nous rendons trop facilement responsable le Cr ateur L innocence est possible nous sugg re Ducasse il arrive m me qu elle existe dans la fic
314. nit Telle est du moins la r flexion paradoxale qu il cherche introduire dans son esprit mais elle ne peut en chasser les enseignements importants de la grave exp rience De l enchev trement des th mes contradictoires qui peuvent s extrapoler partir de cet apologue se d gage donc une certitude celle des cons quences morales de toute l aventure il existe une parfaite quivalence entre folie et indiff rence thique Celui qu il Maldoror a trouv couch sur le banc ne sait plus depuis un v nement de sa jeunesse reconnaitre le bien du mal C est Aghone m me qu il lui faut gt Ainsi se trouve r affirm e la pr occupation de Ducasse en face du probl me de la jeunesse en quoi il retrouve tous les moralistes et leurs derniers h ritiers un Janet ou un Simon Nous avons vu Maldoror lui m me faire cet ge de la vie la d cou verte du mal et de l hypocrisie naturelle l homme ce sont des CECI N EST PAS UN ROMAN 185 adolescents qui lui fournissent ensuite les meilleurs sujets les plus r ceptifs ses tentatives de corruption Mervyn en tant le der nier exemple et c est encore l adolescence qui aura la vedette dans les Po sies sans compter les liens de Ducasse avec le groupe qui publiait le journal pr cis ment intitul La Jeunesse Le probl me moral se pose par cons quent pour Ducasse de moins en moins en termes ontologiques g n raux mais de plus en plus en termes de p
315. nous a prouv jusqu ici qu elle existe mais qui se d robe parfois comme dans le cas pr sent Cela n est certes pas assez pour soup conner Ducasse de confusion mentale ou de schizophr nie il faut voir l bien plut t un rappel quant la nature profond ment ambi tieuse des buts et de la strat gie du texte que nous lisons Comme si Ducasse conscient de ce que la mention du mot roman peut apporter d obscurcissement l intelligence il le d montrera plus loin avait voulu opacifier d autant les pr liminaires afin que notre attention reste en veil La t che qu il s est assign e est sans aucun doute beaucoup plus difficile accomplir quand il se donne pour moyen de lutte ce qui a une telle prise sur les lecteurs que lorsqu il s attaquait l pop e de style byronien dont tout le monde pouvait comprendre quelles allusions y taient faites et quels trucs d constructifs lui taient appliqu s Le po me byronien tait cette poque depuis long temps d j sorti de l id ologie pour n tre plus que forme dans l his toire le roman au contraire est la forme m me par laquelle les lecteurs du temps cherchent mod liser leur ancrage dans leur r el S attaquer au roman c est s attaquer au noyau le plus vif des forces jug es par Ducasse ali nantes Nul doute que ce soit pr cis ment pour cela qu il a d cid d y transporter ses machines L apparente facilit du roman Ducasse le sait est en fait ce qui to
316. nsversales assez profondes qui s l vent sur la base du bec sup rieur du dindon ou plut t comme la v rit qui suit Le syst me des gammes des modes et de leur enchainement harmonique ne repose pas sur des lois naturelles invariables mais il est au contraire la cons quence de principes esth tiques qui ont vari avec le d veloppement progressif de l humanit et qui varieront encore et surtout comme une cor vette cuirass e tourelles Quelques autres comparaisons plus br ves diss min es ici et l ajoutent au fantastique de cette op ra tion stylistique Maldoror recule sur lui m me comme le boom rang d Australie dans la deuxi me p riode de son trajet ou plut t comme une machine infernale quand je pense vous ma poi trine s agite retentissante comme l croulement d un empire en d cadence Etc H n est pas sans ironie que ce soit pr cis ment ces passages qui aient fait le plus pour la gloire posthume de Ducasse par un malen tendu radical L o il ne voulait que couper court toute po tisa tion parasite on a vu au contraire les seuils ouverts un imaginaire fantastique Ce qui tait dans son entreprise la marque la plus audacieuse de son retour un asc tisme stylistique asservi des fins morales est apparu ses lecteurs comme la promesse d une totale d bauche du langage Ce dernier chant est peut tre celui pour tant o les contrdadictions de Ducas
317. nt dans l ensemble des Chants Chacune des deux victimes a donc d abord t autrefois un ami de Maldoror Je vais te raconter dit Elsseneur un pisode de ta jeunesse et te remettre dans le chemin de la m moire Amiti avons nous dit mais il s agit bien plut t d amour R ginald lt taima beaucoup fut le premier de nous deux auquel tu donnas ton amour rappelle Elsseneur Maldoror Mais comme il est naturel avec Maldoror un tel amour ne pouvait qu tre trahi et R ginald l prouve durement poignard par lui pendant une sc ance de natation R ginald apparemment limin Maldoror con ut lt plus tard gt lt des remords dont l existence devait tre ph m re ainsi que le lui rappelle Elsseneur sa seconde victime tu r solus de racheter ta faute par le choix d un autre ami afin de la b nir et de l honorer Cet ami ce sera Elsseneur lui m me ga lement fascin par un Maldoror qui ne ressemblait pas aux mar cassins de l humanit au cours d une tr s belle sc ne voquant le coup de foudre qui inaugura les relations intimes qu Elsseneur disait d sirer d avoir avec Maldoror son tour il sera condamn mort entra n pour cela par son bourreau la lisi re d un bois pais mais l approche d un troupeau lui permettra d tre sauv ne perdant dans l affaire que sa main droite Le r cit partir de ce point prend une dimension de conte m di
318. nt latent ou visible des lois de la nature et c est par ces mots qu il commence la stro phe exposant avec soin les diff rents points de son argumentation consid ration des d viations objectives pluies de crapauds etc et subjectives caus es par les emportements de la col re et les maladies de l orgueil Ducasse donne donc son r cit des fondements la fois objectifs et subjectifs puisque comme nous l avons vu l amphibie est le produit d une mutation adaptative d un part et que d autre part Maldoror affirme avoir seul pu voir le ph nom ne Dans un cas comme dans l autre sa conclusion si lon en accepte les pr misses scientifiques gt et lt psycho logiques ne peut tre discut e je m inclinai comme dans un r ve devant une noble et infortun e intelligence Cependant tout tait r el dans ce qui s tait pass pendant ce soir d t Notons pourtant que les aberrations subjectives sont celles qui de loin retiennent le plus l attention de Maldoror Ducasse La maniere m me dont il en est question annonce nettement la logique qui sera celle des Po sies quand elles mettront face face imagina tion et raison Sans aller jusqu parler d une aberration de la rai son dit il on peut observer un tat inaccoutum assez souvent 132 LAUTR AMONT tr s grave qui marque que la limite accord e par le bon sens l imagination est quelquefois malgr
319. nt litt raires c est bien de philosophie qu il va s agir Mais nous est il possible de parler de la culture philosophique de Ducasse en tant que telle Probablement pas Encore que nous puissions certes reconstituer des s ries de notions les rapporter tel ou tel discours il ne pourra s agir au mieux que de reconstruction c est l h las le seul moyen dont nous disposions pour appr cier jusqu quel point Ducasse aura pens avec son temps Notre r cit sera donc double puisqu la reconstruction d une id ologie il join dra la d construction d un univers de discours nomm par conven tion Isodore Ducasse Notre lecture n aura de sens que par la traduction r ciproque de ces deux textes pour y d chiffrer la signa ture d un seul acte de fiction Qu est ce que la philosophie en France vers 1860 Un ensem ble de disciplines de discours qui forment globalement un domaine strictement d limit Sous sa forme canonique c est dire sous la forme d un programme scolaire sans r plique la philosophie se r partit en cinq grands ensembles comme suit 1 Psychologie tude de l me de ses attributs essentiels de ses facult s des op rations de ces facult s et du produit de ces op ra tions 2 Logique science des lois de la pens e dans la recherche et la d monstration de la v rit 3 Morale tude du devoir et des devoirs 4 Th odic e d monstration de l existence de Dieu num ration
320. nt prendre quelques pr cautions suppl mentaires Passer la plume Maldoror de mani re ostensible est de celles l Ainsi peut il gr ce la deuxi me strophe de son deuxi me chant sautoriser les recherches les plus p rilleuses rappeler le contexte de la lutte qui oppose Maldoror Dieu souligner le caract re sacr de l criture en g n ral et insister sur l habillage de fiction dont il lui faut en d pit de tout envelopper ses le ons si elles doivent avoir le moindre effet de redressement moral Sur ce dernier point la stro phe est g n reuse puisqu elle introduit deux personnages muets que n taient pas indispensables le chien Sultan et le serviteur L man allusion au lac qui a vu Mary Shelley composer Frankens tein ou simple jeu de mots sur mal n fournissent les acces soires d une sc ne r aliste ou interviennent en outre un balai deux seaux d eau et une blanchisseuse Ce n est pas encore le roman comme Ducasse en fera la d couverte vers la fin des Chants mais c est d j plus que la stricte mise en sc ne de la philoso phie D licat quilibre entre le m taphysique et le romanesque Maldoror joue sur les deux tableaux La strophe ob it donc de ce fait au dispositif g n ratif dont nous avons plus haut esquiss le sch ma Nous trouvons au point de d part des axiomes d essence morale ou m taphysique l homme est double et Dieu est le responsable de cette duplicit Ces axio
321. nterrement Comme dans les stro phes les plus complexes nous avons affaire dans celle ci un systeme d ench ssements multiples entre des textes typologique ment diff rents Nous pouvons ainsi distinguer un texe que nous appellerons herm neutique et qui consiste en une interpellation directe adress e au lecteur ouvertement didactique un autre texte plus nettement narratif le r cit mais qui ne manque pas d inci ses herm neutiques et finalement un texte consacr au pro bl me de la comparaison texte th orique non d pourvu de connotations morales d ailleurs Notons que la technique de l ench ssement est ici compliqu e d une sorte de glissement qui transf re la dimension herm neutique attach e d abord au pre mier discours au discours du pr tre qui conclut la strophe apr s n avoir t d abord qu une composante de ce que nous avons appel le r cit Outre tombe En s adressant directement au lecteur dans la forme de l interpel lation le premier discours reproduit en quelque sorte la structure qui ouvre chaque chant Cependant nous nous trouvons ici aussi t t en tant que lecteurs inscrits dans l action qui sera d crite plus en d tail tout l heure il passe un cort ge fun raire c t de vous ce qui nous vaut d tre invit s incliner la binarit de nos rotules vers la terre ainsi qu entonner un chant d outre tombe simpl
322. nts qu en d pit de sa prise de conscience tr s ferme Ducasse reste bien loin de maitriser dans sa propre criture la dialectique de l ancien et du nouveau A la suite de cette tentative qu il consid re comme un chec et tout comme la grue du premier chant nouveau apr s avoir de sang froid regard plusieurs fois de tous les c t s avec des yeux qui renferment l exp rience il peut enfin prendre lui aussi un autre chemin phi losophique et plus s r gt celui des Po sies et de son ouvrage perdu mais il lui aura d abord failu errer faire erreur sur la m thode Erreur de m thode que la technique des Chants Mais cette tech nique ne diff rait nullement quant l essentiel de celle qu appli quaient des auteurs aussi divers que Balzac Dumas fils Eug ne Sue ou m me Baudelaire sans oublier avant eux Laclos ou Sade On verra que consid r s d un point de vue critique par une philosophie fond e sur la propagande du bien ils sont tous coupables des m mes fautes ce que Ducasse longtemps align sur eux ne manquera pas de leur reprocher lorsqu il aura lui m me effectu la troisi me conversion m thodologique qui le fera revenir dans une large mesure la m thode qu il trouvait d abord si naive Mais il l aura entre temps passablement transform e sinon dans ses fins du moins dans sa logique Pour en rester la m thode des Chants celle de la nouvelle cole gt il s agit de faire une l
323. nvenons d avance que notre lecture aussi nouvelle qu elle soit ne peut pr tendre annuler celles qui l ont pr c d e Il ne peut gu re s agir que d enrichir la fiction en propo sant une nouvelle variante du conte en lui ajoutant d autres chapitres ou en pointant d autres myst res mais sans oublier pour autant que le roman que nous crirons en con voquant de nouveaux acteurs ne pourra de lui m me renon cer au leurre de la v rit Toute tentative de lecture s expose donc son risque Double prise de la critique qui sait son arbitraire mais croit en ce qu elle nonce Elle doit parler mais se sait faillible Scepticisme et conviction forment un douloureux m nage Faut il pour autant toujours se retenir d affirmer L tranget de l acte de parole qu accomplit la critique plonge celle ci au coeur m me des insolubles dilemmes pos s par le langage et r percut s travers toutes les formes de discours La question qui se pose alors n est plus celle de la validit de la critique ou des limites de son efficacit op ratoire mais bien celle de la position d un sujet face aux difices du langage et leurs qui voques Le probl me n est pas d pist mologie mais d thique Si Lautr amont ne devait servir qu cela il accomplirait d j beaucoup puisque par lui et quelques autres la litt rature se r vele depuis trois quarts de si cle comme le malaise m me de notre civilisation C est le succ
324. o phique Le Manuel de philosophie d A Jacques J Simon et E Saisset 1846 nous parait particuli rement caract ristique du travail de synth se scolaire que nous voquons Des trois auteurs A Jacques est celui qui a connu la carri re la moins heureuse mais la plus int ressante dans la perspective d une recherche sur Ducasse N en 1813 normalien en 1832 professeur Louis Le Grand puis l Ecole Normale il dita Clarke F nelon et Leibniz collabora au Dictionnaire d A Franck puis fut le fondateur avec J Simon tou jours de La Libert de Penser Cela lui valut d tre destitu en 1850 Ayant fond la Librairie R publicaine il dita Le Gouvernement direct de Renouvier d inspiration franchement socialiste Interdit d enseignement apr s le coup d Etat il ne lui restait plus que l exil Avec pour tout viatique une lettre de recommandation de Hum boldt et quelques instruments de physique il d barqua en 1852 Montevideo Y fit il la connaissance de Frangois Ducasse alors qu il cherchait y tablir une institution d enseignement C est probable et l on ne peut s emp cher de supposer que ce contact avec un esprit id ologiquement proche proche aussi de celui des CONCLUSION 209 Dazet chez qui fr quentera Isidore aura pu avoir une influence sur la formation ult rieure du fils du Chancelier du consulat de France L exp rience de Mont vid o fut peu fructueuse pour Jacques qui passa ensuite en Argentin
325. ob Comme alors je pensais l infini en m me temps qu ma faiblesse Ange gardien et sauveur le crapaud Dazet assume un r le nettement christique Tu descendis d en haut par un ordre sup rieur avec la mission de consoler les diverses races d existants et son caract re surnaturel fait plus que troubler Mal doror lt Ma raison chancelante s abime devant tant de grandeur gt Les termes et les personnages de l pop e chr tienne ne sont pas loin et nous verrons par la suite comment Ducasse s en emparera mais le moment n est pas encore venu pour lui de mettre en sc ne directe ment les acteurs du drame m taphysique il demeure en effet une touche d humanit chez Maldoror comme chez le crapaud C est qu ils ne sont encore que des entit s litt raires assez classiques mal gr leur tranget et en sus de leur fonction de d l gu s la repr sentation du bien et du mal ils pr servent une histoire personnelle une sorte de biographie un pass sur lequel r fl chir et un avenir encore ouvert Le travail d adaptation que Ducasse a d faire sur cette strophe pour en faire disparaitre les allusions trop directes Dazet n a pas t complet en d pit du lyrisme impersonnel des d clamations vang li ques le contexte d origine a laiss des marques Cela ne veut pas n cessairement dire que la premi re version de cette strphe ait t strictement autobiographique comme les commentateurs sont sou
326. ogique Mais on comprend pourquoi le fondement officiel de la philosophie demeure le privil ge de la conscience processus d auto connaissance de l me spirituelle C est de cette source qu en principe tout d coule L homme est un univers en abr g la psychologie est la science universelle concentr e La psychologie contient et r fl chit tout et ce qui est de Dieu et ce qui est du monde sous l angle pr cis et d termin de la conscience tout y est l troit mais tout y est Cousin 1861 L homme se connait lui m me dans la conscience qu il a tout le temps de la veille de ses pens es de ses sentiments et de ses actes A Jacques 1846 La m thode en tant que telle ne saurait donc d rober la conscience ce privil ge ontologique elle ne doit poss der de statut qu instru mental la fois d terminant et contingent Contingent parce que l on reconnait un pluralisme m thodologique on distingue la m thode rationnelle de la m thode exp rimentale ainsi que de la m thode inductive d terminant cependant parce que la distinction de trois m thodes diff rentes n est pas une division arbitraire elle est fond e sur la nature m me des choses 1 Sur les trois op rations principales et irr ductibles de l intelli gence percevoir concevoir et induire 2 Sur les trois tats qui succ dent dans l me ces trois op rations savoir croire et douter 3
327. oire et romantique pour chanter un sujet dont la premi re vertu est de combattre ce qui fait les traits les plus typiques de la po sie romantique O trouverait on chez Byron un h ros susceptible de se servir d une telle arme empoisonn e dans sa lutte contre l homme Et c est pourtant bien l inspiration romantique qui s exprime ici avec ses formes con venues sa m taphorique cod e Je m en servis pour rejeter avec d dain les jouissances ph m res de mon court voyage et pour ren voyer de ma porte les offres sympathiques mais trompeuses de mes semblables vrai dire tout est fait pour nous tromper dans un tel texte car Maldoror n est nullement un vrai h ros noir S il a choisi le mal c est pour nous difier pour mieux nous alerter sur les dangers qui nous guettent et nous amener pr f rer la logique du bien qu il se charge d ailleurs lui m me de nous inculquer pour peu que nous soyons attentifs son discours Maldoror n est pas l manation d un d sespoir litt raire mais le leurre d une pens e de la raison et de l esp rance La d clamation n est jamais dans les Chants le signal cod d un panchement sinc re de l me transport e la m taphore LA MAXIME ET LE R CIT 79 n est jamais le symbole d une soumission l cole d clamation et m taphore sont toujours des citations Pour Ducasse la critique et le renversement du nihilisme plus ou moins explicite qui anime le roman
328. oit aider cher cher n est plus tant m taphysique que physique Le positivisme imposera peu peu le divorce mais pour les p dagogues de la phi losophie qui puisent leur inspiration aux m mes sources que Ducasse les cons quences de ce changement sont encore assez loin d tre perceptibles et leur enthousiasme pour la m thode n est pas encore refroidi par la perspective des conclusions que le mat ria lisme qu ils combattent par ailleurs pourra en d duire leur d sa vantage Fr R thor 1866 manifeste bien cet tat d esprit lt La m thode est aux sciences en g n ral ce que le levier est la m cani que en particulier Si nous consultons l histoire nous verrons que le progr s des sciences a toujours t subordonn au perfection nement des m thodes B nard en tombe d accord Qu une science r forme sa m thode ou qu une m thode soit abandonn e pour une autre cela s est vu et se voit dans l histoire de toutes les sciences M me le g om tre Duhamel dit la m me chose bien qu en annon ant un transfert du privil ge m thodologique de la logique aux math matiques C est dans les sciences math mati ques qu on peut le mieux tudier et le mieux comprendre les m thodes soit de d monstration soit de recherche ou comme on le dit plus souvent soit d enseignement soit d invention mais dans toutes les sciences de raisonnement les m thodes sont les m mes qu elle qu en
329. ojet pour en tirer l esp ce de trait dont on devine qu il aurait pu tre l un des aboutissements de sa recherche c t peut tre de po sies d un genre tout nouveau La forme m me des Po sies pr sent es comme livraison p riodi que t moigne peut tre plus d une faiblesse que d une d termina tion demeurer pr sent et parler co te que co te Faiblesse d une pens e qui n aura pas eu le temps ou la ressource d une nouvelle entreprise de grande ampleur et qui n aura pu laisser que les traces imparfaites d un cheminement en train de se faire et dont le but ne se sera pas concr tis Les Po sies ne sont donc qu un ensemble de positions et de formulations provisoires h tivement m lang es apres coups de telle ou telle rencontre faite l occasion des Chants ou pierres d attente pour le livre futur Cet ensemble h t rog ne et m me h t roclite trouve cependant une sorte d quilibre du fait de la r partition des fragments en deux fascicules distincts et c est partir de l partir d une valuation de la port e et du sens de ce regroupement que l on pourrait peut tre par l tude de son conomie baucher une reconstitution fine de la pens e de Ducasse un syst me en train de se d faire une culture en train de crouler de mani re obsc ne sous ses contra dictions Ducasse oppose un syst me laconique et brutal qu il la bore sobrement en choisissant parmi les chutes
330. oman Encore faut il entendre ceci sans n gliger les limites assign es Aujourd hui je vais fabriquer un petit roman de trente pages cette mesure restera dans la suite peu pr s stationnaire Trente pages c est en effet la dimension approximative du sixi me chant avec son d coupage en huit brefs chapitres Mais ce premier roman parait bien avoir t sans post rit Y en eut il d autres et qui auraient disparu Au bout du premier Ducasse aurait il t incapable de poursuivre Ou bien ce roman lui a t il suffi pour le confirmer dans sa conviction croissante de la fausset radicale de toute cette litt rature po sie et roman qui ne chante le mal que pour faire d sirer le bien Comme il le dit ailleurs la transition se perd Nos assurances quelque r ponse que nous donnions ces ques tions ne sauraient tre que fragiles puisque rien ne nous permet de croire une voix plut t qu une autre Et en effet si nous avons pu faire l ellipse du probl me concernant le sujet de l nonciation de la pr face en d cidant d y entendre le discours de Lautr amont Ducasse la derni re phrase peut nous troubler ce n est que plus tard lorsque quelques romans auront paru que vous com prendrez mieux la pr face du ren gat la figure fuligineuse C tait donc Maldoror qui parlait Mais comment savoir Et puis que la s rie de romans promise s est interrompue apr s le premier pe
331. ompagn e de la mise en fiction des limites qu elle d signe Mal doror peut alors constater que son agonie n tait malheureuse ment qu une maladie passag re et conclure Oui disparaissons peu peu de leurs yeux t moin une fois de plus des cons quences des passions compl tement satisfait I 10 L exp rience est pleinement concluante l homme est incapable de soutenir le regard que le Mal porte sur lui du sein de son propre aveuglement Figure du d sespoir exp rimental D ailleurs je n aurais pas de gr ce esp rer Maldoror a pu en v rifier les effets sur l homme cathar sis r v latrice du d bordement des passions mauvaises La cure peut commencer LA SOIF DE L INFINI 45 La complicit de la Mort et du Mal solidement tablie la fois par le discours et le spectacle de la fiction demeure le grand th me qui sous tend les deux r cits sur quoi s ach ve le chant premier Deux dialogues plut t Le premier strophe 11 est un peu plus complexe que le second puisqu il assume la forme d un drame plusieurs personnages le p re la m re le fils Maldoror Mais le triangle familial n est l que pour planter le d cor de l all gorie le moment dramatique se r sumant au dialogue d Edouard et de Mal doror qui court secr tement entre les plates r pliques du p re et de la m re Il y a une fois encore affrontement combat Mais ici le combat est double D une part Maldoror lutte con
332. once sans oublier une cons quence plus subtile mais non moins vidente si l on extrapole quelque peu l effondrement de la d mographie Effondrement trop lent encore au gr de Maldoror Malheureusement que de si cles ne faudra t il pas encore avant que la race humaine p risse enti rement par mon pi ge perfide C est ainsi qu un esprit habile et qui ne se vante pas emploie pour atteindre ses fins les moyens m mes qui paraitraient d abord y porter un invincible obstacle Apr s un tel tableau des cons quences de la p d rastie si cr ment d crites il est difficile de croire que l apologie qui parait d abord en tre faite puisse tre la pens e de qui que ce soit hors Maldoror incarnation du mal r pandu dans la nature et dans l homme Selon la dialectique habituelle s il est une partie du texte que nous pouvons attribuer Ducasse dans les replis de sa rh tori que strat gique c est bien celle ci prof r e par l interm diaire comme toujours de Maldoror lui m me ne r v lez mes con fidences personne Ce n est pas pour moi que je vous dis cela Cest pour vous m me et les autres afin que le prestige du secret retienne dans les limites du devoir et de la vertu ceux qui aimant s par l lectricit de l inconnu seraient tent s de l imiter Dire le vrai sur le Mal afin d en d tourner ceux qui risqueraient d en tre tent s au besoin en les terrorisant par l expos sans fard d
333. onde Le discours de La nuit de Mai pouss jusqu la caricature se trouve d tourn des fins sans rapport avec celles de Musset Tout le texte est ainsi fait d images dont chacune fait ressortir le clin quant artificiel de l autre LA MAXIME ET LE R CIT AT Math matiques de la vertu La le on que ce travail stylistique est charg de faire passer est quant elle parfaitement orthodoxe De toutes les vertus recon nues aux math matiques sciences peu romantiques la premi re est d apporter de la clart aux esprits qui les fr quentent lt Il y avait du vague dans mon esprit un je ne sais quoi pais comme de la fum e Vous avez mis la place une froideur excessive une pru dence consomm e et une logique implacable Comme le Pr cis de Philosophie de B nard Lautr amont croit que les math matiques d veloppent l esprit philosophique B nard 1845 cf aussi Cournot 1851 1861 En effet la terre ne montre l homme que des illusions et des fantasmagories morales l o les math matiques font luire aux yeux blouis un reflet puissant de cette v rit supr me dont on remarque l empreinte dans l ordre de l uni vers Les Po sies diront de leur c t Ne reniez pas l immortalit de l me la sagesse de Dieu la grandeur de la vie l ordre qui se manifeste dans l univers Ducasse accepte sans r serve dans de telles d clarations ce que dit Bi chy dans
334. ons au positif d auteurs pourtant peu sus pects de diabolisme ou de faiblesse pour le Mal comme Pascal ou Vauvenargues Sans compter tout ce que l on y devine d autres emprunts rectifi s bien difficiles reconnaitre apr s la cor rection que Ducasse leur a fait subir Des Chants aux Po sies le contraste est si flagrant si violent dans les uns on assiste au viol d une fillette par un bouledogue et dans les secondes on peut lire je veux que ma po sie puisse tre lue par une jeune fille de quatorze ans qu il semble d abord n y avoir place que pour une seule explication les Po sies comme Ducasse l affirme ne peuvent tre qu un reniement pur et simple de ce qu il avait tent dans les Chants Abandon brutal d une carri re encore br lante trop br lante Ducasse serait ainsi pass en un temps tr s bref des positions radicalement oppos es celles dont il avait fait jusque l les principes de son entreprise d crivain S il y a eu LES DISCOURS DE LA M THODE 17 r forme ou conversion il faut admettre qu elle a t extraordinaire ment rapide Sauf imaginer Ducasse tombant comme d autres genoux derri re un pilier de Notre Dame cela ne va pas sans pro bl me Pour tenter de clarifier un peu le myst re il faut commencer par une mise en ordre de la chronologie des derniers mois de sa vie Il parait en effet fort probable que Ducasse a travaill simultan ment aux derniers Chants et la p
335. ontinuit de l un l autre ou bien leur rapport en est un de destruction r ciproque La m tbode et les moyens Pour chapper ces impasses et surmonter les difficult s et les in LES DISCOURS DE LA M THODE 19 vraisemblances il faut reposer le probl me d une tout autre mani re ne plus supposer que les Chants sont la cl des Po sies mais l inverse Ne plus supposer que les th mes des Po sies sont des d couvertes advenues une fois les Chants termin s mais supposer au contraire qu ils taient toujours d j l dans les Chants eux m mes Partons du principe suivant ce que Ducasse avance d couvert dans les Po sies il l a toujours pens et ces derni res ne sont que la continuation des Chants mais par d autres moyens Ce n est qu ainsi que la correspondance de Ducasse ce qu il en reste prend quelque sens Ce n est qu ainsi que l ensemble du mouvement narratif des Chants eux m mes peut chapper la ratio nalisation par l arbitraire Les questions de m taphysique et de morale dominent les Po sies on le sait tress es la fiction c est encore elles qui forment galement l infrastructure des Chants selon des dispositifs renouvel s de strophe en strophe Continuer les Chants par d autres moyens cela ne veut dire qu une chose pour diverses raisons tenant la nature m me de son projet et qui s claireront par la suite au fil de notre lecture Ducasse a t amen r viser les moyens
336. orcer certains traits et d en gommer d autres en condensant parfois dans un m me morceau plusieurs textes pr curseurs estimant sans doute qu ils se situent dans une 32 LAUTR AMONT m me perspective par rapport ce qui lui importe c est dire l effi cacit morale D autres strophes se situent un niveau d lib r ment r flexif m ta textuel il en accentue le fictionnement mais la trame discursive sur laquelle elles sont brod es ne s en montre pas moins de fa on distincte D autres encore se contentent de mettre en images comme des apologues ou des paraboles telle argumenta tion ou telle r futation de th mes d essence logique morale ou m taphysique Certaines aparaitront enfin comme de v ritables exp rimentations dans la fiction mise l preuve de telle ou telle th se nouvelle ou classique Tout ce que permet une philosophie dont la probl matique est organis e de mani re syst matique nous le trouverons dans les Chants traduit en litt rature en po sie Et cette philosophie pos s de une opinion sur tout des math matiques la question du bien et du mal de la nature de la m taphore la signification du som meil ou du r ve en passant par toute une gamme de probl mes moraux et scientifiques Les Po sies tenteront une mise en ordre plus ou moins explicite de ces probl matiques mais c est leur involution que nous trouverons d ploy e dans les Chants en un vaste spectacle po
337. ort ambigu s Un exemple lt Un jour tu m appelas le soutien de ta vie Depuis lors je n ai pas d menti la confiance que tu m avais vou e gt D autres mentions pr sentes dans la premi re version et gomm es dans les versions suivantes ne se pr tent pas des interpr tations d cisives Comment comprendre la disparition de cette r plique Adieu donc n esp re plus retrouver Dazet sur ton passage Il va mourir dans la connaissance que tu ne l as pas aim Rien ne nous permet dans ces corrections nigmatiques de conclure des certitudes biographiques Ce qui importe en revanche l crivain que veut tre Ducasse c est l enjeu litt raire et philosophique du mat riau qu il organise sous le nom de Lautr amont en proc dant des transpositions de son v cu personnel Ce qu il nous importe de comprendre plus que l histoire jamais perdue d une vie qui s est dissimul e c est le dis positif complexe de cette machine de fiction et de r flexion que sont les Chants Plus donc que le rapport affectif hypoth tique de Ducasse et de Dazet ce qui nous retient ici c est la nature de l change qui lie Maldoror et le crapaud en leur qualit de person nages de fiction Le crapaud est un consolateur un intercesseur un ange protecteur d p ch par une instance sup rieure qui reste innomm e Maldoror n est qu une me gar e peine humaine encore acharn e faire le mal mais inconsciente peut tre Le disco
338. os noir mais rev tu de tous les attributs textuels du h ros romantique se doit de renverser les sch mas tablis afin de manifester son polymorphisme transgres sif figure hyperbolique de la nature humaine d voy e et d voy e par la litt rature il ne peut que tuer les hommes et sauver le requin Plus semblable que le semblable humain la femelle du requin hypostasie la m chancet que Maldoror retourne contre l homme pour la lui d signer comme sa v rit La rencontre est une piphanie en m me temps que l inscription impossible d un irrepr sentable sous la forme d une union monstrueuse accouplement long chaste et hideux Figure composite le couple ainsi r a lis gt appara t comme un oxymore produit par le r cit et permis par la m taphorique de l animalit L accouplement traduit de mani re doublement transgressive transgression du pudendum sexuel et transgression de la barri re qui s pare l homme de l animal ce qu il en est de la nature humaine telle que cherche la repr senter en lit t rature la manipulation textuelle o Lautr amont inscrit son thi que Ducasse se d tournera par la suite de cette t che m thodique en reconnaissant l ineptie et l arbitraire strictement litt raires de tels exercices Les Chants et cette strophe en particulier n en auront pas moins montr qu en certains cas il y tait pass maitre L exa men des moyens par lesquels le r cit organise la
339. outrements d un effet r ellement m diocre quand je songe la morale Est ce une auto critique Lautr amont aurait il perqu lui m me que ses cr ature frapperaient bien plut t l artiste en nous que la cr ature morale Ou bien le jugement ne porte t il que sur la nature du personnage non sur son cr ateur Les rapports entre eux ont toujours t obscurs et com plexes Ici nouveau l ambiguit se fait jour et tout coup l on ne sait plus du tout qui parle quand le texte dit depuis les jours de ma naissance ou je vivais avec les premiers aieuls de notre race etc La fusion de Lautr amont et de Maldoror parait complete quand la voix qui narre voque les ravages le carnage la guerre civile que celui qui parle se vante de provoquer on pense la strophe des p d rastes nouveau ou quand cette vocation d bouche sans aucune transition sur une question de style Pour le ratissage de mes phrases j emploierai forc ment la m thode natu relle en r trogradant jusque chez les sauvages afin qu ils me don nent des le ons Lautr amont parlait plus haut dans les Chants du regret que lui donnait le d veloppement excessivement rapide de ses phrases 172 LAUTR AMONT c est ici pour nous l occasion de faire de m me Il arrive qu en l absence de mise au point syst matique nous en soyons r duits conjecturer les articulations d une logique sous jacente dont tout
340. par hyst r sis comme mergeant d une m moire culturelle qui en respecte la syntaxe et la fait insister une nouvelle syntaxe soigneusement d ca l e par rapport l autre propose un sens radicalement divergent qui ne consiste pas pour autant en un renversement m canique Un gauchissement mineur qui respecte les rythmes discursifs du modele entraine donc un d voiement La force de l empreinte cul turelle qui immobilise notre compr hension du texte transform est d ailleurs telle qu elle provoque une r sistance violente au simple d chiffrement ce qui nous rend difficile d peler m me le contenu assertif du nouveau texte produit comme dans le cas de ces figu res double lecture que proposent les psychologues ou des artistes comme Escher pour mettre en vidence ce qui se joue dans la recon naissance des formes ambigu s Ducasse proc de exactement de m me et construit donc des artefacts syntaxiques destin es stimu ler chez le lecteur l exercice d un doute critique dont Ducasse a lui m me peu peu d couvert les principes et qu il a maitris s jusqu en faire toute la ressource de son artisanat d auteur de fictions Ce doute n est pas un simple scepticisme c est tout au con traire une discipline active dont la premi re cible est d ailleurs le scepticisme o les contemporains reconnaissaient la marque d une d cadence et auquel des philosophes clectiques tels que Saisset faisalent beaucoup d
341. par la fixit des v tres Je veux dire afin de ne pas me faire mieux compendre mais seu lement pour d velopper ma pens e qui int resse et agace en m me temps par une harmonie des plus p n trantes que je ne crois pas qu il soit n cessaire pour arriver au but que l on se propose d inventer une po sie tout fait en dehors de la marche ordinaire de la nature et dont le souffle pernicieux semble bouleverser m me les v rit s absolues mais amener un pareil r sultat conforme du reste aux r gles de l esth tique si l on y r fl chit bien cela n est pas aussi facile qu on le pense voil ce que je voulais dire C est pourquoi je ferai tous les efforts pour y parvenir Si la mort arr te la maigreur fantastique des deux bras longs de mes paules employ s l crasement lugubre de mon gypse litt raire je veux au moins que le lecteur en deuil puisse se dire Il faut lui rendre justice Il m a beaucoup cr tinis Que m aurait il pas fait s il e t pu vivre davan tage c est le meilleur professeur d hypnotisme que je connaisse On gravera ces quelques mots touchants sur le marbre de ma tombe et mes m nes seront satisfaits Je continue gt Ces passages que nous venons de citer longuement repr sentent galement la derni re prise de parole de l auteur dans les Chants et elle m rite que nous nous y attardions un peu dans la mesure o Ducasse cette fois ci donne sa pens e un d velopp
342. phe Le deuxi me versant de sa r ponse nous entraine vers des cons quences peut tre plus inattendues puisqu elles concerneront la fois la logique et la morale D une part en effet on ne peut pas se passer de la m ta phore m me si une puissance sup rieure nous ordonnait d y renoncer cela serait impossible Les responsables les habitudes contract es par les ans les livres les contacts de ses semblables et le caract re inh rent chacun D autre part quelque chose de grave se trouve en jeu et qui met en cause l irresponsabilit morale de la po sie la po sie n a pas fait l effort de se connaitre elle m me Jusqu nos temps la po sie fit une route fausse s le vant jusqu au ciel ou rampant jusqu terre elle a m connu les prin cipes de son existence et a t non sans raison constamment bafou e par les honn tes gens Elle n a pas t modeste Qualit la plus belle qui doive exister dans un tre imparfait Ce ton est celui par avance des Po sies Il y a donc une dimension morale non seulement dans le contenu de la po sie mais dans le maniement m me de sa forme qu il s agisse de po sie lyrique ou de po sie ordi naire rampant jusqu terre Le choix des mots l commence le travail de la v rit dans l criture Nous avons donc trouv jusqu maintenant dans le texte m me une premi re s rie de r ponses aux probl mes soulev s par l appa rent d vo
343. plus la philosophie qu l esth tique C est la lt philosophie gt qu on pr te Balzac ou Flaubert que leurs censeurs condamnent C est sur sa propre philosophie que Zola entend faire porter le d bat encore que les paradigmes auxquels il se r f re tendent d sor mais chapper aux syst mes classiques au moment o la science s mancipe et entreprend de se penser elle m me en chappant enfin la tutelle des penseurs Homme du dix neuvi me si cle Ducasse ne peut pas donner son entreprise un cadre intellectuel bien diff rent de celui o ses contemporains agissent La litt rature qu il ne nomme pas ainsi mais plut t po sie la le on de Flaubert n est pas encore apprise la r flexion de Mallarm s amorce peine et Verlaine oppose l une l autre la po sie donc pour Ducasse ne se distin gue pas de la philosophie et philosopher c est d abord crire A la fois crivain et philosophe crivain parce qu il admire entre toutes ses d buts la philosophie de Byron philoso phe gt parce qu il veut r former la fiction Ducasse op rera peu peu un d placement interne ce qui reste pour lui un champ unique de r flexion et de pratique l criture en passant des Chants aux Po sies C est en cherchant approfondir le sens et les formes qui articu lent ce champ complexe que nous pouvons mieux saisir ce qu il en fut du cas Lautr amont
344. pon dant dat e de la semaine pr c dente il crit Ainsi donc ce que je d sire avant tout c est tre jug par la critique et une fois connu a ira tout seul gt Sans doute les difficult s que fait l diteur inquiet les d lais qu il demande les arrangements peu glorieux qu il propose tout cela a t il quelque peu d courag Ducasse en le for ant renoncer un succ s qu il croyait imm diat assur d avance gr ce au choix d une m thode qu il croyait infaillible sur le plan moral comme sur le plan financier La d ception a n cessairement jou un r le dans l examen de conscience d o est sortie la conviction qu il fallait d autres moyens pour r ussir dans ses entreprises En ce sens l utili sation du param tre conomique par Ducasse transforme le succ s en un indicateur de l efficacit morale des textes C est sur ce critere qu il condamne ceux de ses principaux inspirateurs S adressant au banquier Darasse le 12 mars 1870 soit plusieurs mois apr s avoir connu ses premiers d boires Ducasse montre que c est bien l qu en est arriv son raisonnement Faisant allusion aux Chants il lui dit en effet L dition avait co t 1200 F Mais le tout est tomb dans l eau Cela me fit ouvrir les yeux Je me disais que puisque la po sie du doute des volumes d aujourd hui il ne res tera pas 150 pages en arrive ainsi un tel point de d sespoir morne et de m chancet th orique par cons quent c es
345. port si lointain qu il soit que Je signale entre la beaut du vol du milan royal et celle de la figure de l enfant s levant doucement au dessus du cerceuil d couvert Mais nous voyons que comme dans un certain nombre d autres cas la comparaison ne nous est pas offerte comme un simple spectacle d coratif ornement contingent du style elle est accompagn e de sa morale rappel de celle que Lautr amont tirait plus t t de sa recherche des pith tes convenant la fois aux tours et aux pingles Comme dans ce cas l il ne s agit pas d un mis rable coup d esprit mais de quelque chose qui recou vre une v rit importante proclam e avec majest Bien plus encore il s agit de la v rit elle m me v rit d un rapport fond dans la signification universelle et unique de la beaut La beaut n a ni genre ni esp ces elle est on ne peut que l affirmer D s lors toute comparaison entre des choses objectivement belles ne peut tre que vraie Mais il y a plus la comparaison entre le vol du milan royal et la lt figure de l enfant gt sous le rapport de leur commune beaut autorise une critique du go t litt raire perverti qui demande en fait de style de l extraordinaire ce qui a pour cons quence lt un sen timent d indiff rence injuste pour ce qui est tout simplement vrai Nous citerons tout ce passage en raison de son importance pour la compr hension du rapport entre
346. pose ainsi humble reflet d une essence qu il fabrique de toutes pi ces pour s xon rer lui m me Une autre philosophie voit les choses de mani re toute diff rente et se pr sente d abord comme une critique de la pr c dente en d nongant cette illusion int ress e du jeu de miroirs ontologique Elle s efforce de reconnaitre l existence du mal dans son ind pendance instituant ainsi une puissance rivale de Dieu devenu figure r gionale dans une m taphysique d moniaque C est l le sens de Maldoror qui n est nul autre que l autre de l homme son reflet vrai image insistante qu il s agit pour Ducasse de promener travers tout le paysage moral du si cle gr ce la lit t rature Il s agit pour lui de d voiler comme ceux qu il reconnait pour ses pr d cesseurs ces v rit s occult es la v rit du mal pour obtenir par la violence de son exhibition ce qui ne peut tre qu une conver sion au bien toutes illusions d truites Cette analyse que nous avons d j pu produire propos de nombreuses sc nes des Chants sapplique galement ce monologue quasi faustien de Maldoror au miroir Provocation gigantesque qui doit faire percevoir sous l inocuit apparente d une fiction banale de roman feuilleton la v rit active d un manich isme sans solution Je n envie rien au Cr ateur mais qu il me laisse descendre le fleuve de ma destin e travers une s rie croissante de crimes glorieux Sinon levant la
347. pparaitre progressif d constructeur de ses artifices de tous ordres C est l dans ce qui devient le moment d une diff rence int rieure au proc s d criture que peut prendre forme un discours celui que porte une voix mergente dont le mes sage attentatoire se confond avec un art po tique port par le sarcasme Ducasse comme critique de la fiction n est que cette voix apparue dans la d chirure d un roman travaill par son propre exces Le roman s abime dans la n gation n e de lui m me le vide de la fiction fait irruption dans son trop plein Dans ce sens l intervention de la voix de l auteur va infiniment plus loin dans ce texte que dans ceux de Sterne ou de Gide que nous avons vo qu s Chez eux il s agit d un commentaire d un accompagnement discursif dont la port e n interf re pas avec l ensemble de la poly phonie narrative Ici c est le jeu m me de l criture conventionnelle qui para t prendre la parole fiction ventriloque dont le discours blasph matoire para t ne surgir de nulle part Tout se passe comme si la fiction elle m me dans le processus de sa d gradation s inventait une pens e critique La voix de la fic tion d truite ne se contente pas de tirer la le on des v nements ni de juger le donn de leur ench ssement ou celui des actes de per sonnages qui resteraient libres malgr tout Ce sixi me chant se construit d une mani re parfaitement homologue au c l
348. pport avec le n tre univers concret du Paris de 1870 dont nous aurons connaitre surtout la rive droite ce qui d ailleurs en dit long sur les choix id ologiques de Ducasse Ce faisant Mal doror s humanise au moins dans les formes puisqu il lit les villes pour r sidence nouvelle il r solut de se rapprocher des agglo m rations humaines persuad que parmi tant de victimes toutes pr par es ses passions diverses trouveraient amplement de quoi se satisfaire Maldoror reste quant lui domin par le minotaure de ses instincts pervers Fid le lui m me s il migre vers les vil les ce n est pas sous le coup d une passion quelconque mais apr s CECI N EST PAS UN ROMAN 171 s tre aper u lt qu il transgressait les r gles de la logique gt lt en fr quentant les cavernes et prenant pour refuge les endroits inaccessi bles Passion du mal d un c t logique rigoureuse de l autre le caract re est rest le m me Ce qui change ce n est donc pas Maldo ror mais le d cor D abord il n est plus question qu il se fasse pour suivre par les l gions c lestes ni qu il devienne dragon pour combattre l esp rance et encore moins qu il se mette escalader le ciel pour d tr ner Dieu Le voil r duit au simple statut d ennemi public num ro un recherch avec pers v rance par la police lt ce bouclier de la civilisation gt Bien s r il lui chappe mais
349. pr cis ment apporter un t moignage de plus au dossier de l injustice divine la folle dont la fille a t viol e ven 102 LAUTR AMONT tr e par Maldoror puis achev e par le chien de celui ci pour finir cette folle nous pr sente un mod le tout chr tien du pardon un pardon qui n est pas sans effet sur Maldoror lui m me comme nous le verrons Le r cit lui m me ne va pas sans parent avec les innombrables histoires de viol et de meurtre que distillaient apr s 1830 le roman et surtout le th tre Seule la pr cision du vocabu laire chez Lautr amont va au del de ce qui se pratiquait alors moyen pour Ducasse de d voiler l absurdit fondamentale de cette litt rature en refusant de gazer Si le personnage de Maldoror est monstrueux au del de ce qu on connaissait d j c est parce qu il apporte ses crimes une minutie et un sang froid que le Romantisme cartait les h ros noirs de celui ci agissaient en tat de fureur de passion d emportement Maldo ror lui agit avec une calme pr cision il lt s appr te sans p lir fouiller courageusement le vagin de la malheureuse enfant De ce trou largi il retire successivement les organes int rieurs les boyaux les poumons le foie et enfin le coeur lui m me sont arra ch s de leurs fondements et entrain s la lumi re du jour par l ouverture pouvantable La sc ne la maniere de Jack l Even treur se transforme en le on d anato
350. prend une force nouvelle qui opacifie le personnage car Maldoror y acquiert une personnalit plus int rioris e moins figurale au sens que nous avons dit Il parait tre maintenant sur la d fensive et les combats sont de moins en moins de son fait C est ce que parait indiquer par exemple la strophe suivante o nous apprenons tout coup que Maldoror n est autre que le juif errant En effectuant ce d tournement du mythe trouv peut tre chez Quinet Ahasv rus 1833 plut t que chez Sue Le Juif Errant 1844 45 Ducasse inscrit intelligemment son propre h ros dans le contexte romantique soulignant par l les ambiguit s du person nage ainsi que ses ancrages litt raires profonds Absence de but spleen aspirations vagues fatalit destin e c est bien tout cela qu incarnent simultan ment le h ros de Quinet et celui de Ducasse 104 LAUTR AMONT Mais cette parent soulign e par l change des noms donne tout coup une autre dimension au mythe Lautr amont attire ainsi notre attention sur ce qui en fait le fond et d ailleurs claire peut etre les raisons qui ont fait que toute une g n ration s en soit prise Quel meilleur moyen que cette identification pour faire percevoir le caract re composite de Maldoror qui doit incarner pour avoir un sens le h ros romantique par excellence et peut tre plus encore l me romantique elle m me se d battant avec ses cauchemars Ame profond ment
351. qu il s agira d un v ri table et raisonn sabotage de ce qui fait le charme au sens hypnotique du mot des r cits Peut tre aussi pourrons nous y voir une impatience croissante engendr e par le d sir d en finir une bonne fois avec une dialectique laquelle Ducasse ne croit plus Apr s avoir sabot la m canique litt raire les Chants finiront donc par un radical sabordage Dans un premier temps essayons donc de marquer comment Lautr amont met en application les r gles du roman Notons tout d abord que de m me qu il tait apparu impossible de r duire les stuctures de chaque strophe de tous les chants pr c dents un mod le unique il est impossible ici de traiter les huit chapitres de ce dernier chant comme si une m me formule en informait la produc tion Ce serait l tout au contraire m conna tre l essence m me de 174 LAUTR AMONT la d marche ducassienne qui fait du travail de la contradiction le ressort de sa liquidation de la litt rature En ce sens nous devrons avant tout souligner l effet d humour suscit par la d rive des proc d s romanesques incessamment bouscul s par des vagues textuelles appartenant des projets diff rents Un rythme souterrain diff rent de celui du d veloppement de l intrigue gt en tant que telle fait de ce dernier chant un quivalent de l Art de la fugue Polylogue scriptural dont les diverses voix dominent tour tour la parti tion
352. question pour nous d en donner une laboration compl te nous pouvons cependant tenter de reconsti tuer dans une certaine mesure l histoire des figures les plus mar quantes de ce corps universitaire retenues en fonction de ce qui reste notre objet principal la formation intellectuelle de Ducasse Le r seau serr des d dicaces des remerciements des discours des loges fun bres des notes accompagnant de pieux recueils de cours nous permettant de nous faire une id e de la logique du d veloppe ment de l Ecole Spiritualiste depuis le moment de sa formation jusqu celui de sa d cadence soulign e en 1865 par Paul Janet dans La Crise philosophique Ce n est rien proposer de t m raire que de convier l cole spiritualiste s imiter elle m me se rappeler ses commencements obscurs et glo rieux ou dans le silence de l Ecole Normale elle tudiait avec passion les lois de la perception ext rieure les origines de nos id es l autorit de la connaissance humaine les fondements de la psychologie Le jugement de Janet galement auteur d un ouvrage sur Victor Cousin et son oeuvre contraste singuli rement avec le ton du r cit mu des d buts de l cole qu a laiss Jean Philibert Damiron lui m me disciple fid le de Cousin dans son Essai sur l histoire de la phi losophie en France au XIX si cle paru en 1827 Les vrais d buts de l cole spiritualiste sont en effet marqu s par l extraordinaire influence
353. qui ne forme qu une seule v rit En ouvrant les Chants c est lui m me que le lecteur est partout condamn retrouver puisqu l n a fait que s ent ter me endurcie x par le mal faire le monde son image De l cette horreur qui le LA MAXIME ET LE R CIT 63 saisit quand il contemple ce qu il croit lui tre le plus tranger alors m me qu il devine combien tout cela ne lui parle que de lui m me Maldoror Dieu ou la nature Dans les Po stes Ducasse indiquera sans d tour comment en sortir comment chapper l enfer des reflets au d fil des miroirs Il faudra alors rompre la sp culation circulaire renoncer au narcissisme l goisme mettre Dieu distance d truire les images commencer par celle l m me dont il croit dans les Chants encore pouvoir faire une arme la po sie que ce chant second fait donner du double tranchant du semblable et du diff rent La troisieme strophe d j s organisait sur la double base d une th matique du bien et du mal et d une logique de la ressemblance si Maldoror veut d abord tuer Lohengrin c est que tous les hommes sont m chants et que Lohengrin en tant un il ne saurait manquer de le devenir son tour Mais nous l avons vu ce syllogisme se grippe quand Maldoror reconnait qu il existe encore un espoir et de ce fait renonce tuer L armature th matique de la strophe soumise la logique du miroir la ressemblance entre Lohengrin et le
354. r ce aux puissances de la fiction il peut alors se livrer une authentique exp rimentation dix ans avant Zola et le Roman exp rimental une v rification dans les faits de la justesse et de la port e de ses th ses l criture y acquiert une efficace qu il ne peut s agir d abandonner au hasard Ecrire ne se limite pas noncer le connu je ne lui apprends rien de nouveau mais permet de tester l effraction du d j connu dans le m canisme de d n gation caract ristique de l homme L auteur n en a nullement fini avec son livre quand il l a termin c est au del du point final qu il trouve au contraire son ach vement dans la puissance plus ou moins grande de ses effets dont il doit tre m me d expliquer la nature Dialectique fort complexe puisqu elle ne se contente pas de pro clamer ce qu elle sait sur le bien et le mal sur l orgueil et la faiblesse humaine Elle fait travailler son savoir en jouant de la ruse et du d guisement retournant contre l homme son propre proc d Mas qu Maldoror d masque En courant le risque d attirer sur lui les fureurs de l orgueil bless C est pourquoi le h ros que je mets en 8 La d faillance de la volont figure dans les pr occupations de tous les clectiques qu inqui tent la crise du si cle et sa menace pour l avenir c est que cette facult demeure la cl de vo te de la psychologie au sens de la tradition fran aise Cf A Franck 1844 52
355. r f rence de tous ces v nements de surface qui ont pris la forme textuelle d routante que nous connaissons Unit que nous pourrons assimiler pour nous assurer d une premi re prise la conformation d une probl mati que unique celle de la Morale Car c est bien l que Ducasse a choisi de situer son activit d crivain sur le terrain de ce que l po que s accorde reconnaitre comme une crise philosophique Janet 1865 Mont gut 1849 Gratry 1864 Caro 1869 Saisset 1865 Cette crise Ducasse cherche pour son compte et par ses moyens propres la r soudre par la r forme de la po sie C est le sens et les conditions de la crise que Ducasse approfondit entre l chec des Chants et le nouvel lan des Po sies Parti d une conception morale relativement peu structur e lest e d illusions litt raires Ducasse a tent de faire face et de confronter la crise id ologique qui affectait toute l poque comme en t moigne de mani re privil gi e la litt rature Crise de soci t nous le savons aujourd hui mais seulement parce que nous avons sur Ducasse la sup riorit de savoir comment le Second Empire a fini Pour lui il 34 LAUTR AMONT est clair qu il n y avait pas d issue historique aux contradictions du temps et c est pour cela qu il a pu se tourner vers la recherche de solutions abstraites susceptibles de fonder de facon coh rente la fois ses convictions et sa pratique d crivain
356. r autant ne rien nous apprendre que nous connaissions d j ou qui ne soit pas beau de telles questions Ducasse donne une r ponse complexe qui se d veloppe simultan ment sur deux plans Tout d abord nous passons sur le d tail du raisonnement qui ne pourrait pas se s parer de celui de la phrase nous contentant de souligner les articulations logiques de l argument Ducasse va montrer que la comparaison piliers baobabs est justifi e lt un baobab ne diff re pas tellement d un pilier ce sont tous deux des formes lev es et massives de quelque point de vue que l on se place g om trique architectu ral etc Je viens de trouver je n ai pas la pr tention de dire le contraire les pith tes propres aux substantifs pilier et baobab Simultan ment le deuxi me volet de la comparaison celui qui implique des pingles se trouve lui aussi justifi deux pages plus loin apr s une suspension dont nous reparlerons tout l heure quand au commencement j ai compar les piliers aux pingles avec tant de justesse je me suis bas sur les lois de l optique qui ont tabli que plus le rayon visuel est loign d un objet plus l image se refl te diminution dans la r tine L incoh rence de la premi re phrase ne faisait donc que recouvrir une v rit plus profonde sous la surface du langage au del d elle c est dire dans un autre langage celui de la science Et en effet qu
357. r des hymnes qui ne refl tent nullement sa pens e Domin par le mal l homme se condamne lui m me au mensonge de la pri re en contradiction avec ce qu il sait de son propre caract re Dans les Po sies Ducasse y insistera avec une grande force voyant l le pi ge hypocrite des religions Il rejoint ainsi en partie la conclusion de Vigny mais il fait un pas de plus un tr s grand pas en affirmant que l abstention ne suffit pas qu il faut tirer un trait sur toute la rh torique issue du doute en en prenant franchement et LA MAXIME ET LE R CIT 87 d lib r ment le contre pied De l ce qui ne peut se d crire que comme un v ritable volontarisme de la vertu et du bien Je n accepte pas le mal l homme est parfait L me ne tombe pas Le progr s existe Le bien est irr ductible Les ant christs les anges accusateurs les peines ternelles les religions sont le produit du doute C est toute la pri re de Maldoror qui se trouve r cus e et le personnage de Maldoror lui m me en tant qu il figure le dernier des ant christs Les hymnes Elohim habituent la vanit ne pas s occuper des choses de la terre Tel est l cueil des hymnes Et plus nettement encore Le principe des cultes est l orgueil Il est ridicule d adresser la parole Elohim comme ont fait les Job les J r mie les David les Salomon les Turqu ty La pri re est un acte faux La meilleur mani re de lui plaire est indirecte p
358. r les ressources du d placement et de la r inscription intertextuelle sil nous pr sente d un c t le spectacle du mal dans toute sa cruaut symbolique c est pour mieux faire passer de l autre la le on philo sophique o triomphe son exact contraire C est encore Vigny que nous ram ne la douzi me strophe en m me temps qu elle pointe par anticipation du c t des Po sies offrant sur un m me th me des positions contrast es Notons que Vigny ne jouera peut tre ici que le r le d un lt souvenir cran gt simple rep re mais qui permet de situer la s rie th matique tradi tionnelle laquelle le texte de Ducasse se rattache en laissant ainsi nommer son intertexte Le th me g n ral de la strophe parait en effet tr s voisin de celui que traite Le Mont des Oliviers D abord parce qu il s agit dans les deux cas d une pri re pri re adress e par un Maldoror enfant Dieu et rapport e par un Maldoror pr sum adulte aux fins d expliquer au lecteur son caract re Apr s ces commencements tonnez vous de me trouver tel que je suis pri re aussi le discours qu adresse Dieu le Christ de Vigny vrai dire il s agit plut t dans le cas de Maldoror d un r quisi toire qui n est qu ench ss dans une adresse qui se contente de res pecter explicitement les formes cod es de la pri re consid r e comme un acte d pourvu de sens et n anmoins exig par Dieu de la mani re la plus instant
359. ra Ducasse A bien des gards cette strophe est donc remarquable D abord parce qu elle s carte r solument de la vision romantique du r ve Maldoror ne s y abandonne pas il arrive m me la susciter par l effet de sa volont sachez que le cauchemar qui se cache dans les angles phosphoriques de l ombre la fi vre qui palpe mon visage avec son moignon chaque animal impur qui dresse sa griffe san glante eh bien c est ma volont qui pour donner un aliment stable son activit perp tuelle les fait tourner en rond On ne peut que reconnaitre l une d claration de l crivain Ducasse qui tient ce que son lecteur ne se fasse pas d illusions et nous avons souvent vu comment tout en pr sentant des cr atures et des sc nes de cauche mar 1l fait tout pour assurer une distanciation qui nous avertit que THIQUE ET FICTION 145 ce n est l que fiction et qu il y a une le on entendre une le on qui s adresse notre raison avant tout C est le second aspect souli gner dans cette strophe ce qu il faut pr server tout prix dit Lau tr amont c est la puissance consciente du jugement Dernier trait majeur enfin laissons Dieu sa place pour qu il nous laisse la n tre Strophe puissamment anti romantique puisqu elle prend sur chaque point le parti oppos celui de la tradition Strophe nette ment en avance sur l ensemble des Chants dans la mesure o le type de th se qu elle pose ne trouvera de
360. rati que son art c est la logique Or toutes ces disciplines de la psychologie la morale en passant par la logique toutes sont d fi nies comme des sciences La psychologie a pour but de d crire les facult s de l me d expliquer leur nature leur origine leur d velop pement leurs rapports La logique consid re ces m mes facult s non en elles m mes comme la psychologie mais dans leurs relations avec la v rit La psychologie et la logique sont donc deux sciences que l on peut la rigueur r unir en une seule ou du moins si on les distingue on doit reconnaitre qu elles ne sauraient tre compl tes l une sans l autre car il faut d abord connaitre nos facult s pour d terminer scientifiquement leur rapport la v rit et tant que ces rapports n ont pas t d termin s la connaissance de nos facult s est st rile A Jacques 1856 Qu est ce qui unit donc principiellement la psychologie la morale et la logique pour en faire ainsi et au m me titre des scien ces Bien que ceci ne soit que rarement th matis rarement pos de mani re explicite dans les textes didactiques il est clair que ce qui tablit ces sciences en tant que telles c est la m thode La question de la m thode est ordinairement trait e de fa on 3 Lectre pr face la plaquette de Baudelaire sur Th Gautier 1859 22 LAUTR AMONT secondaire par les manuels et en g n ral dans le cadre des chapitres sur la l
361. rd allusion l pisode qui pr c dait Tu me feras plaisir Cr ateur de me laisser pancher mes senti ments Il a manifest l incapacit d arr ter la circulation de mon sang qui le nargue Ne tarira point ma verve pouvanta ble Elle se nourrit des cauchemars insens s qui tourmentent mes insomnies gt Ce n est qu apr s avoir ainsi r affirm sa d termina tion d crire que Maldoror va maintenant s expliquer avec un peu plus de d tail sur les raisons d une r solution qui va jusqu d fier le Tout Puissant Le vrai responsable n en est autre que Dieu lui m me les impr cations de Maldoror n ont d autre origine que sa conviction que le Mal vient de Dieu ce n est pas moi qui commence l attaque c est lui qui me force le faire tourner gt Qu a t il donc fait La r ponse est celle que fait tout le romantisme la m me question l Eternel a cr le monde tel qu il est mais sans nous r v ler les myst res au milieu desquels notre existence touffe Ce n est pas assez que l arm e des douleurs physiques et morales qui nous entoure ait t enfant e le secret de notre destin e en haillons ne nous est pas divulgu Dieu rus bandit a cach dans ses boyaux des parcelles d intelligence qu il n a pas voulu don ner l homme gt Une tr s longue tradition d apologistes chr tiens avait bien avant Ducasse pos le probl me de la contrad
362. re de l homme hypocri tement ni e Il ne reste donc au h ros pris de bien que la haine pour ce Dieu et pour cet homme ainsi que le retrait dans le silence depuis longtemps je n adresse plus la parole personne L infrastructure id ologique demeure la m me que celle que nous avons peu peu mise en vidence seule la mise en fiction varie dans ses moyens Ducasse poursuit son dessein de redressement moral en extrapolant de mani re frappante la m taphysique dans laquelle doit se reconnaitre la litt rature que de toutes ses forces il tient d noncer tout en l utilisant pour faire d sirer le bien comme rem de ces aberrations La m thode de mise en fiction retenue pour la neuvi me strophe n est pas moins originale que celle de la pr c dente tout en s appuyant son tour sur la m me th matique et la m me strat gie Maldoror y fait nouveau entendre ses impr cations contre l homme et c est encore un tableau apocalyptique qui se trouve offert notre m ditation Le texte proph tique de Jean fournit cette fois ci un nouveau modele l homme se perd car il coute le faux proph te il v n re un faux dieu le pou Dieu de d rision sembla ble dans son attitude au Dieu sanguinaire et indiff rent de tout l heure Jusqu quand garderas tu demande Maldoror l homme le culte vermoulu de ce dieu insensible tes pri res et aux offrandes g n reuses que tu lui offres en holocaust
363. regard rent plus d une fois courir travers les prairies verdoyantes mais aussi pour introduire en passant une notation morale suppl mentaire ces animaux se parlent dans leur pittoresque langage ne soyez pas assez pr somptueux permettez moi de vous donner ce conseil non int ress pour croire que vous seul poss dez la pr cieuse facult de traduire les sentiments de votre pens e Outre leur dimension symbolique leur fonction naturalisante les ani maux jouent donc aussi le r le d ouverture vers la r alit hors fiction celle des sciences naturelles qui travaillent sourdement et en profondeur tout le proc s du fictionnement que Ducasse met simul tan ment l preuve de l thique et celle de la logique du r el Les plagiats emprunts l encyclop die du docteur Chenu jouent pr cis ment le m me r le peser sur la frontiere insaisissable o deux r gimes du sens naissent dans le mouvement d un m me discours fiction d un c t science de l autre la possibilit de la morale n tant que le ressourcement du discours sur la ligne de par tage de ces eaux s articulant dans le non sens de la b ance tout coup ouverte dans l criture Fiction morale fiction contre morale c est ce que peut tre la suite du r cit qui s inscrit d s lors dans une typologie qui en fait plus une oraison fun bre qu une simple narration De ce point de vue la voix du narrateur et la voix du pr tre se
364. remi re lt livraison gt des Po sies A tout le moins le travail sur les Po sies ou leur pr face cf infra a suivi de tr s pr s l ach vement des derniers chants On sait que ces derniers ont t compos s et tir s pendant l t de 1869 Or c est dans une lettre dat e du 21 f vrier 1870 que Ducasse annonce Verboeckhoven lt Vous savez j ai reni mon pass Je ne chante plus que l espoir La description qu il donne alors d un ouvrage qu il portera Lacroix aux premiers jours de Mars ne correspond cependant en rien aux Po sies que nous connaissons Celles ci paraissent pourtant peine plus d un mois plus tard en avril Raison de plus pour croire que les actuelles Po sies ont t compos es bien avant et sans doute dans le temps m me o Ducasse achevait les Chants Rien n interdit de penser qu elles ne seraient alors rien de plus que la pr face un ouvrage qui lui n aura jamais vu le Jour Pr face h tive sans doute ou plut t recueil de notes prises au fil d une relecture des Chants et m l es des r flexions issues d autres lectures o Ducasse cherchait alors de quoi confirmer le tour nouveau pris par sa d marche en attendant d aller plus loin Une question se pose alors que devait tre cet ouvrage que les Po sies ne sont peut tre pas Il nous fournit lui m me la r ponse Je prends part les plus belles po sies de Lamartine de Victor Hugo d Alfred
365. res ployant sous les r s das de la modestie qu il n tait compos que de bien et d une quan tit minime de mal Brusquement je lui appris en d couvrant au plein jour son c ur et ses trames qu au contraire il n est compos que de mal et d une quantit minime de bien que les l gislateurs ont de la peine ne pas laisser vaporer II 1 Mettre le doigt sur les maux et les vices inh rents la nature de l homme c est l le programme dont se justifie face la critique toute la g n ration d crivains que Ducasse classe parmi la nou velle cole telle qu il l entend peindre le mal est juste parce que c est la r alit et que seul le spectacle sans fard de la r alit peut susciter par r action un effort moral vers le bien et la vertu Celui qui fait la peinture du vice n est nullement condamnable puisqu il n assume en somme qu un r le passif il se contente comme le miroir de Stendhal de donner voir Lautr amont rejoint ici entre autres les pr faces d Alexandre Dumas fils qu il jugera absur des gt dans les Po sies redevenu Isodore Ducasse en proclamant sa neutralit voire sa bienveillance fonci re vis vis de l homme attaqu par son h ros Je voudrais qu il ne ressente pas moi qui ne lui apprends rien de nouveau une honte ternelle pour mes am res v rit s II 1 Mais ajoute t il la r alisation de ce souhait ne serait pas con forme aux lois de la nature I
366. resse et de chastet Maldoror va jusqu regretter de n avoir pas connu plus t t les p d rastes puisqu il aurait ainsi pu trouver un moyen radi cal d tre heureux en sodomisant l univers Encore aurait il fallu que celui ci ne f t pas ce qu il est Oh si au lieu d tre un enfer l univers n e t t qu un c leste anus immense j aurais d cou vert l endroit souterrain o git la v rit endormie Maldoror 150 LAUTR AMONT n L site pas se ranger parmi eux lt Moi je n aime pas les fem mes Ni m me les hermaphrodites Il me faut des tres qui me res semblent sur le front desquels la noblesse humaine soit marqu e en caract res plus tranch s et ineffa ables etc Du d sir l acte du regret de n avoir pas connu plus t t les ressources morales de la p d rastie aux effets de sa pratique la strophe ne nous laisse pas attendre Nous d couvrons alors quel effet les gouttes s minales de Maldoror produisent sur l humanit guerres universelles et des truction g n ralis e Le th tre du combat n est plus qu un vaste champ de carnage quand la nuit r v le sa pr sence et que la lune silencieuse apparait entre les d chirures d un nuage En ce point il est difficile de prendre encore le fantasme de Mal doror pour la r alit de Ducasse ne serait ce pour commencer que parce que les Po sies auront au contraire un ton r solument pacifi que et m me pacifiste
367. rester seul et sans famille Traverse les sables des d serts jusqu ce que la fin du monde engloutisse les toiles dans le n ant Une telle impuissance ne peut tre ni divine ni satanique mais elle nous rap pelle en revanche la strophe o Maldoror n tait autre que le Juif Errant Quelle que soit l identit de l accus il lui est avant tout reproch d avoir caus du mal ce qui justifie la menace de vengeance brandie contre lui Si tes yeux sont enfin d ssill s juge toi m me quelles ont t les cons quences de ta conduite Le on de morale adress e au Cr ateur Maldoror quelque autre personnage encore Il est difficile de conclure en l absence de preuves d termi nantes Nous en sommes donc r duits juger du sens et de la port e de la strophe par rapport ce que nous avons d j mis au jour de son infrastructure philosophique Dans cette perspective il para t raisonnable de supposer que se trouvent face face le Cr a teur et Maldoror criminels tous deux et fort semblables l un l autre L un est anim par une cruaut arbitraire et injustifiable marque de sa divinit d voy e en m me temps que des fragilit s de sa puissance l autre non moins criminel se pose n anmoins en victime de l arbitraire du premier tout en soulignant ce qui peut passer pour l aspiration essentielle de sa nature au bien lt mes poumons moiti touff s demandent grands c
368. rgument du r alisme dont nous avons d j soulign que Ducasse le reprenait son compte en d sirant s aligner sur les positions d une lt cole gt qu il consid rait alors comme nouvelle H y ajoutait aussi un argument m taphysique ll y en a qui crivent pour rechercher les applaudissements humains au moyen de nobles qua lit s de coeur que l imagination invente ou qu ils peuvent avoir Moi je fais servir mon g nie peindre les d lices de la cruaut D lices non passag res artificielles mais qui ont commenc avec l homme finiront avec lui Le g nie ne peut il pas s allier avec la cruaut dans les r solutions secr tes de la Providence Ducasse retrouvait la probl matique minemment moderne laquelle Baudelaire avait donn toute sa port e La r alit morale et m taphysique occupait le premier plan Sans avoir renonc ce dis positif qui lui permet de justifier ce qu il crit Ducasse ressent sans doute le besoin de lui donner une assise plus ferme un moment de son travail le chant second ou il s engage dans une voie de plus en plus d licate C est qu aux tableaux de vices relativement b nins va succ der maintenant une galerie de crimes et de blasph mes de plus en plus provocants de plus en plus inqui tants Pour explorer ces jungles infernales comme il entend bien le faire et en mettant cette investigation au service des m mes fins que pr c demment il lui faut par cons que
369. ris un spectacle plus tranquille et plus vertueux que le tien Maldoror reprend alors sa pose initiale de semblable de l homme mais en tre plus atteint que lui par l injustice divine et surtout plus d sireux du bien La strophe suivante V 5 compte parmi les morceaux les plus comment s des Chants et a fourni la mati re de multiples extrapola tions en raison du caract re subversif de son sujet dont la premi re phrase indique la port e O p d rastes incompr hensibles ce n est pas moi qui lancerai des injures votre grande d gradation De cette invocation et de quelques autres contenues dans la suite de la strohe on a cru pouvoir en conclure sans autre pr caution une apologie de l homosexualit par Ducasse lui m me Les choses ne sont pas aussi claires et bien qu une telle hypoth se ne soit pas carter d embl e il convient d abord d tudier la logique m me du texte ne serait ce que pour ne pas confondre l auteur et ses person nages Lorsqu il s agit de Lautr amont ces acquis l mentaires de la cri tique litt raire paraissent tout coup caducs mais il faut pourtant noter que rien dans le texte de la strophe ne nous permet d affirmer que c est Ducasse qui sans pr venir y aurait tout coup pris la parole D ailleurs il n existe pas de pr c dent dans le reste des THIQUE ET FICTION 149 Chants si parfois nous avons pu d celer un changement de lt VOIX gt supposer que ce ne soi
370. rmes syntaxiques introduisant des propositions incises est extr me dans ces deux pages Ft c est en effet plut t la d monstration de cette aptitude formelle dont est dot le langage de pr ciser sans terme possible tout terme nouveau selon le principe de la r currence infinie qui fournit Ducasse le terrain de son argu ment Tout ceci pour en arriver dire que peut tre le silence est pr f rable ne pas discuter cela est plus difficile mettre en pratique que ne le veut bien penser g n ralement le commun des mortels Eviter la diffusion l emphase le flou donner son texte la plus grande densit possible de silence pour que seules apparaissent les ar tes vives de la pens e c est ce but que se donneront les Po sies travers une critique radicale du langage quoi aura men une analyse de la langue romantique Ducasse met l en vidence ce mouvement de suppl mentarit ind finie qui affecte toute parole la 122 LAUTR AMONT m taphoricit qui porte toujours plus loin du but en voulant l approcher D portement d centrement exc s de la parole d s le premier mot Seule exception ce jeu du langage qui en fait une vaine d pense analyse Exception qu il ne faut pas confondre avec la r gle encore que l une et l autre se traduisent par la longueur L analyse possede en effet ceci de commun avec le bavardage qu elle entraine d infinies complications Ducasse sans este se range
371. rophe et Salmacis a dis paru Si on lui demande pourquoi il a pris la solitude pour com pagne ses yeux se l vent vers le ciel et retiennent une larme de reproche contre la Providence Job et Christ la fois l Hermaphrodite vit une sorte de calvaire dont il est facile d accuser Dieu comme dans la rh torique romanti que Mais c est surtout ici la dimension vang lique que Ducasse souligne quand il adapte par exemple le topos de J sus parmi les docteurs Un jour que pris pour un fou on avait emmen de force 70 LAUTR AMONT lHermaphrodite Bic tre il se mit sourire en recevant les coups et leur parla avec tant de sentiment d intelligence sur beau coup de sciences humaines qu il avait tudi es et qui montraient une grande instruction dans celui qui n avait pas encore franchi le seuil de la jeunesse et sur les destin es de l humanit o il d voila enti rement la noblesse po tique de son me que ses gardiens pouvan t s jusqu au sang de l action qu ils avaient commise d lierent ses membres bris s se tra n rent ses genoux en demandant un par don qui fut accord et s loign rent avec les marques d une v n ra tion qui ne s accorde pas ordinairement aux hommes ses propres yeux l Hermaphrodite est un monstre tout comme l homme quand Maldoror le contraint faire face son image mais i est pour Lautr amont une incarnation de la pudeur une image parfaite de
372. rps humain avec la main la peau des doigts se fend Tant l homme inspire de l horreur son propre semblable Rien 114 LAUTR AMONT n est plus terrible insiste Maldoror que le caract re trange de l homme gt rien ne provoque une douleur en lui plus grande que de consid rer lt la conduite de celui auquel la providence donna le tr ne sur cette terre gt lt je m absorbe dans les r ves de la com passion et je rougis pour l homme Pour amorcer ce nouveau chant il fallait Maldoror cet quivalent d un r sum des chapi tres pr c dents c est dire ici la r p tition des enjeux de la mise en scene m taphysique et morale que le texte traduit pour nous en r cit Apr s le rappel de l horreur qu prouve Maldoror pour son sem blable l homme Ducasse attire nouveau l attention de son lecteur sur la dialectique tr s particuli re qui soutient l entreprise de son h ros L id e que je suis tomb volontairement aussi bas que mes semblables et que j ai le droit moins qu un autre de prononcer des plaintes sur notre sort qui reste encha n la cro te durcie d une plan te et sur l essence de notre me perverse me p n tre comme un clou de forge Il faut prendre garde ce volontaire ment qui nous permet de nous repr senter Maldoror non plus comme ce h ros noir et satanique qu on voit toujours en lui mais bien comme une sorte de Christ n gatif volontairem
373. rtexte litt raire aussi important qu il soit laisse une tr s large place sinon la premi re l inter texte biblique trait de sa mani re tr s particuli re par un Ducasse arm de la logique du miroir et de la th orie du reflet La quatri me strophe en est une autre d monstration Dans cette strophe Lohengrin aurait fort bien pu figurer la place de Lombano puisque ce dernier manifeste au cours du r cit des qualit s qui sont celles l m mes pour lesquelles Maldoror avait pargn Lohengrin charit et piti La strophe ne se justifie que d ajouter un r cit d allure plus d cid ment romanesque mais 64 LAUTR AMONT qui demeure pourtant r aliste ce qui restait dans la strophe pr c dente nonc sur le mode pico lyrique Les vertus de Lombano ne se r v lent pas au cours d changes hautement spirituels mais dans l action et dans un d cor quotidien Assis l imp riale d un omnibus allant de la Bastille la Made leine Lombano r agit vivement au spectacle d un petit enfant de huit ans qui poursuit en courant le v hicule press d arriver la derni re station Le coude appuy sur ses genoux et la t te entre ses mains il se demande stup fait si c est l vraiment ce qu on appelle la charit humaine Aucun des passagers de l omni bus ne fait en effet le moindre geste pour venir au secours de l enfant qui finit par s crouler Comme Loh
374. s Chants s taient fix un but Malgr leur ampleur leur force leur complexit quelque chose dans la politique m me de leur projet a fait qu ils ont mal tourn et de l avis m me de leur auteur Etrange force se d veloppant au fil d un texte qui voulait la d mentir une fois cr e la fiction va son propre chemin L crivain qui l aura lib r e s en trouve du m me coup d poss d de la maitrise qu il croyait exercer Ducasse travail lait devenir crivain dompteur de sortil ges mais il se d couvre pris son propre pi ge r ve infernal r v par sa propre cr ature Les Chants devaient mener une le on limpide et celle ci a fini par 16 LAUTR AMONT s effacer recouverte par leur opacit impr vue Il s agit donc d abord de tirer les choses au clair et pour cela regardons y de pr s Les Po sies d Isidore Ducasse se pr sentent pour nous aujourd hui comme deux minces fascicules nigmatiques Pour leur auteur il ne s agissait que d un d but il ne dit pas fascicule mais livrai son gt Ill annon ait ainsi une lt publication permanente gt qui avouait son ambition de se poursuivre publication qui ne verra sa fin videmment que plus tard lorsque j aurai vu la mienne gt Ducasse se faisait journaliste compte d auteur pour ne rien laisser ignorer de ses positions esth tiques et philosophiques en y misant sa vie En t te du premier fascicule il place en lieu d pigraphe quel q
375. s entrant dans l laboration du texte Le prologue du sixi me chant par exemple va recueillir surtout les nonc s portant sur l art po tique les probl mes d criture les m ditations r trospectives sur le premier volet de l oeuvre La suite o nous n aurons plus des strophes align es les unes la suite des autres de mani re arbitraire mais des chapitres num rot s et li s au niveau de la trame fictionnelle la suite sera largement domin e par l exercice de la narration en tant que telle non sans quelques infractions d importance Enfin puisqu il n y aura plus eu de place dans ce dernier chant que pour la narration et la rh tori que la morale d plac e se r fugiera tout enti re dans un texte tout diff rent o elle pourra r ordonner selon ses propres exigences tout ce qui ne lui laissait auparavant qu un tr s empirique et tr s herm tique mot de la fin les Po sies Le sixi me chant s ouvre donc comme toujours par un prolo gue Ou plus exactement par un double prologue dont une partie est qualifi e de pr face et l autre sans d nomination pr cise s attache moins que la Pr face des consid rations g n rales et s attarde au contraire sur le h ros Dans la pr face c est Lau tr amont qui parle en tant qu auteur mais il est difficile de ne pas percevoir dans sa voix des r sonnances qui font de lui le porte parole d un certain nombre d id es de Ducasse La seconde partie
376. s gestes ce sont des morts ils paraissent avoir perdu la vie ils ressemblent bien plut t des cadavres gt S ils se ressemblent donc c est par le caract re inhu main dont ils renvoient l image leur semblable hypocrite le lec teur en qui Lautr amont voudrait susciter une r action pareille celle de Lombano Parlant ici de semblables et de diff rence on comprend qu il ne s agit nullement d un exercice stylistique ou de variations oblig es sur d anciennes m taphores C est une authentique logique du semblable qui est en jeu et qui articule en profondeur le choix des images qui opposent aux illusions de l homme sur lui m me le spectacle de son inhumanit traduite en m taphores animales ou min rales Tout le bestiaire des Chants on le voit est un blason de l me humaine et non comme le pensait Bachelard la traduction d un univers pulsionnel individuel Par cette br che ouverte dans le semblable la fonction sp culaire de l criture joue de l occultation et du d voilement Les Po sies reviendront avec plus de pr cision sur ce qu il en est des mots pris dans ce rapport sp culaire puisqu ils sont leur tour ou peuvent tre de par leur essence le miroir trompeur de la v rit Passer des mots aux iode il n y a qu un pas C est ce que dit cette stro phe sa fa on la charit humaine Il reconnait alors que c est un vain mot qu on ne trouve plus m me dans le d
377. s hommes peut mar cher dans les deux sens permet d laborer une figure qui se pr te imm diatement la mise en r cit gr ce sa r inscription dans les formes narratives traditionnelles Maldoror et Lohengrin en tant que personnages viennent occuper des positions pr alablement tiquet es qu ils changent L agresseur menace sa victime mais sa victime est innocente l innocence d sarme l agression l agresseur offre de retourner la situation en devenant lui m me son tour vic time On reconnait l sans peine les structures du th me christique clas sique partiellement r utilis es si la strophe ne va pas jusqu faire de Lohengrin une victime sacrificielle typique r demptrice elle sugg re fortement cette possibilit d volution narrative quand elle fait le d tour par l esp rance en faisant advenir Maldoror comme substitut Si la strophe commen ait donc comme le r cit de la vengeance d un Dieu de col re contre Sodome et Gomorrhe elle en corrige la conclusion et pour ainsi dire t lescope les le ons de l Ancien et du Nouveau Testaments d faut de pouvoir d crire une religion de Ducasse on n en voit pas moins clairement ici dans quel sens va le pros lytisme retors de Lautr amont Qu il s agisse des th mes ou de ce que nous avons appel des lt figures gt le texte des Chants puise tout instant dans le r pertoire religieux traditionnel encore que sans r f rence doctrinale L inte
378. s les Po sies des nonc s qui paraissent suivre tout naturellement d une telle position Le malheur devient auguste par la volont imp n trable de Dieu qui le cr a PI 38 Ne reniez pas l immortalit de l me PI 39 On n ose pas atta quer Dieu on attaque l immortalit de l me Mais l immortalit de l me elle aussi est vieille comme les assises du monde Quelle autre croyance la remplacera si elle doit tre remplac e Ce ne sera pas toujours une n gation gt PI 42 Y a t il une lt religion de Ducasse gt Soulignons simplement pour l instant le caract re particulier de cette religion si elle existe c est une religion sans culte et sans dogme et peut tre moins une religion au sens propre qu une croyance unique et fonda mentale Comme le diront encore les Po sies d non ant ainsi d couvert tout ce que les Chants tentaient de d truire mais par un proc d dialectique dont l instrument n tait autre que la fiction lt Je n accepte pas le mal L homme est parfait L me ne tombe pas THIQUE ET FICTION 157 Le progr s existe Le bien est irr ductible Les ant christs les anges accusateurs les peines ternelles les religions sont le produit du doute P2 65 La foi en lohim appellation qui elle aussi neutralise les diff rences entre croyances institutionnalis es suf fit donc fonder toute la philosophie de Ducasse et nous en voyons
379. s pr pare lire de tels textes composites et incertains fonctionnant sur de telles discontinuit s Pascal m me offre des cl s moins incertaines Quant aux textes contemporains consacr s la c l bration et l exploration de la rupture au renversement des cl tures et la multiplication des quivoques m me ces textes l sont des machines fortement homog nes contr l es rabattables sur des m talangages pr ts rendre compte de tout Nos artistes ne travaillent pas sans filet et nos lectures dessinent leurs arabesques sans grand risque d errer Mais Lautr a mont Rien ne nous enseigne suivre les m andres de cette volution haletante ces changements de plan de direction de m thode de genre de langue de style etc survenant d une strophe l autre ou m me d une phrase l autre sans pr ve nir ou en ne nous avertissant que de mani re amphigourique ind chiffrable Paille et grain la vol e papillons et chrysali des le texte de Lautr amont va rebours de la maxime telle qu il l entend Un raisonnement se compl te mesure qu il s approche de la maxime Devenu maxime sa perfection rejette les preuves de la m tamorphose gt P II 99 2 Le commentaire va donc immanquablement vers sa d route les disciplines de la critique leur d b cle puisqu elles ne sau raient traiter des Chants comme d un tout le ton change le pro jet aussi Maldoror ici n est plus le m me l
380. s si raisonnable et si fort n as tu pas vu par ton exemple m me comme il est difficile dans un acc s de d sespoir de conser ver le sang froid dont tu te vantes J esp re que tu ne me causeras plus un pareil chagrin et moi de mon c t je tai promis de ne jamais attenter ma vie Cette strophe n est certes pas sans myst re ne serait ce que parce qu elle ne parait tre qu une bauche fait tr s rare dans les Chants la mise en sc ne est tr s rapidement esquiss e le message nonc sans d tour Doit on supposer que Ducasse attribuait la question du suicide une urgence particuli re Le ton m me de la strophe et du discours tenu par Maldoror Holzer a quelque chose de trop naturel de trop peu litt raire compar tous les autres pas sages des Chants d j tudi s pour ne pas laisser soup onner l affleurement de d bats qui peut tre touchaient Ducasse de plus pr s que la rh torique assez abstraite du bien et du mal Quelque soit le sens personnel de ce passage pour Ducasse il suffit croyons nous d mentir les sp culations sur un ventuel suicide de Ducasse lui m me Tout ce que nous comprenons de sa dialectique nous le montre au contraire avec vidence comme un fervent partisan de la vie un ennemi d cid de la rh torique romantique qu il passe son temps d construire pour la r cup rer ses propres fins toutes positives La strophe suivante I 15 n est pas sans rapports avec ce
381. sa douleur l homme n bon que ses semblables n ont pas su reconnaitre et en qui ils ont encourag le d veloppement du mal qui a fini par prendre toute la place en ne laissant au fond de lui qu une lueur refoul e Maldoror c est dire l homme est tout cela la fois aspiration au bien et prati cen du mal Maldoror n est qu un double de l homme pour lui montrer sa duplicit Mais il n est pas que l homme pour tre d doubl refendu ench ssable sans fin dans des moiti s de lui m me qui jouent tre son tout pour un moment La m me logique sous tend la dialecti que de la r alit et de la fiction Le m canisme de l ench ssement se trouve soulign par Ducasse lui m me quand il fait allusion l occasion qui lui est offerte de discuter des myst res po ti ques intimement p n tr e des toniques senteurs des plantes aquatiques que la brise fraichissante transporte dans cette strophe qui contient un monstre qui s est appropri les marques distinctives de la famille des palmip des R alit et fiction s ench ssent et se d mentent r ciproquement par le seul effet des mots C est cette oscillation qui pour l heure int resse Ducasse et dont il tudie les effets Ou plut t il en joue pour rendre toujours plus sensibles les paradoxes dont se tressent ses r cits Ainsi il insiste lt I n est pas impossible d tre t moin d une d viation anormale dans le fonctionneme
382. sant les lecteurs Le pour quoi de Vigny aussi sinc re qu il puisse tre poss de tous les traits reproch s par Ducasse au scepticisme dont il reprend le dis cours dans les Chants Et pourquoi pend la mort comme une sombre p e Attristant la Nature tout moment frapp e Si le Juste et le Bien si l injuste et le Mal Sont de vils accidents en un cercle fatal Ou si de l univers ils sont les deux grands p les Soutenant Terre et Cieux sur leurs vastes paules Et pourquoi les Esprits du mal sont triomphants Des maux imm rit s de la mort des enfants L accord de Maldoror et du Christ de Vigny s arr te cependant cette liste des reproches traditionnellement faits Dieu Dans la c l bre strophe ajout e son po me le silence Vigny pr coni sait en effet une sorte de rupture S il est vrai qu au Jardin sacr des Ecritures Le Fils de l Homme ait dit ce qu on voit rapport Muet aveugle et sourd au cri des cr atures Si le Ciel nous laissa comme un monde avort Le juste opposera le d dain l absence Et ne r pondra plus que par un froid silence Au silence ternel de la Divinit Maldoror ne pr tend pas lui au titre de juste Bien qu il paraisse d abord approuver cette position en reprenant la forme du conditionnel Si par une seule manifestation de ta pens e tu peux d truire ou cr er des mondes mes faibles pri res ne te seront pas utiles son attitude se jus
383. scendante d une morale ne nous en requiert pas moins voire dautant plus et jusqu au sein du crime qui hante notre imaginaire Maldoror image magnifi e de l homme en ses contradictions vivant de cet effroi est l piphanie du d chirement et de l h sitation d autant plus cruel dans le crime qu il place plus haut la rigueur et le bien dont il r affirme chaque instant la pr cellence La strophe pr sente pose ce m me dilemme et le r sout dans le m me sens quelle que soit la pr gnance du mal aussi tendu qu on puisse en imaginer l empire il reste en d pit de tout quelque chose sauver la loi morale Ducasse n h site pas recourir des extr mi t s Le Dieu sao l de la strophe pr c dente n tait d j apparu que comme pr texte la r affirmation de la n cessit de la vertu Dans celle ci c est un autre type de d bauche et d avilissement qu on lui suppose mais pour qu apparaisse mieux encore la fragilit imp rieuse d un devoir humain qui apr s tout peut se passer de la garantie d un Dieu juste Autrement dit Dieu f t il encore plus mauvais que sa cr ature que cela ne serait nullement un pr texte recevable pour justifier les faiblesses de cette derni re M me si le Cr ateur pouvait en venir se dire comme ici je suis le Grand Tout et cependant par un c t je reste inf rieur aux hommes que j ai cr s avec un peu de sable cela ne dispenserait en rien les hommes d ob ir la lo
384. science la notion romantique fort diffuse de l me Cr ce qui est en jeu c est avant tout la raison lt Qui ne sait pas que lorsque la lutte se prolonge entre le moi plein de fiert et l accroissement terrible de la catalepsie l esprit hallucin perd le 144 LAUTR AMONT jugement Rong par le d sespoir il se complait dans son mal jusqu ce qu il ait vaincu la nature et que le sommeil voyant sa proie lui chapper s enfuie sans retour loin de son c ur Sans cette r sistance la volont se retire insensiblement comme en pr sence d une force invisible Le moins curieux de la these de Lautr amont n est pas son assignation des forces mal fiques du sommeil un Dieu perfide violeur de consciences qui utilise les fai blesses de l homme comme un ignoble ch timent contre lequel ne peut que r clamer la justice Sans doute une telle personnifi cation ne sert elle en partie qu permettre l insertion de cette prise de position anti romantique dans le cadre de la fiction maldororo rienne la lutte contre Dieu car pour l essentiel le passage est crit sur le ton de la g n ralisation analytique et se pr sente comme la description de ce qui avec l offensive du sommeil arrive tous en d pit du je qui s exprime ici oh voir son intellect entre les sacril ges mains d un tranger Un implacable scalpel en scrute les broussailles paisses La conscience exhale un long r le d
385. scrit tout naturellement dans cette tradition avec laquelle il manifestera ses liens troits dans les Po sies quand il lui arrivera de corriger Vauvenargues ou La Rochefoucauld Il s en carte pourtant par un aspect essentiel L o les moralistes se livraient une recherche aust re qui garantissait la v rit de ses diagnostics par l universalit du type sur lequel elle les produisait en d robant toutefois le lieu d origine de ce questionnement Ducasse interpose au contraire dans les Chants les Po sies y renonce ront une mise en sc ne et une mise en langue qui personnalisent dramatisent romancent m me la recherche morale Il ne s agit plus d laborer analytiquement un catalogue de traits combinatoi res mais bien d organiser un combat de produire le spectacle et le pathos d une lutte dont les acteurs plus ou moins all goriques Mal doror l Homme permettront une catharsis plus efficace parce qu elle violente l imaginaire en premier lieu l imaginaire du corps car c est bien le corps qui fait irruption au premier plan quand l homme devient lt animal des bois gt une fois son travestissement perc jour En introduisant sous le couvert de la fiction une fan tasmatique du corps li e la question du bien et du mal Ducasse va plus loin que les moralistes ses pr d cesseurs les scenes de viol de torture de meurtre etc seront une analyse des effets du mal m me l image du corps Il ne s en tient d
386. se circulant et se croisant en tous sens cette multitude for me une esp ce de tourbillon fort agit ce qui ne l emp che pas d avoir un centre Le lecteur doit se p n trer dela rationalit profonde de ce qu il peut d abord prendre pour un tourbillon 138 LAUTR AMONT peu po tique lt ne fais pas attention la mani re bizarre dont je chante chacune des strophes gt Comme le lecteur lt ami gt de Lau tr amont id alement plein d enthousiasme gt et de lt froideur gt nous devons nous efforcer de ne pas faire attention la bizarrerie apparente du texte mais nous devons au contraire tenter de faire honneur sa rationalit profonde en restant attentifs ne pas per dre de vue le centre que nous devons supposer toujours pr sent bien que jamais saisissable Ainsi les tourneaux gagnent sensible ment chaque seconde un terrain pr cieux pour le terme de leurs fatigues et le but de leur p lerinage Tout naturellement c est dans le r gne animal que Lautr amont va une fois de plus prendre les acteurs de V 2 Si l on distingue comme il nous y invitait ou ouvrant le nouveau chant le centre et le tourbillon o celui ci se trouve envelopp nous aurons moins de peine d crire le premier que le second La th matique habituelle y prend une nouvelle figure en d veloppant une nouvelle variante th me de la vengeance et du pardon propos de trahison d or
387. se prennent leurs traits les plus nets puisque nous avons pu y reconnaitre une sch matisation m taphysique plus explicite que dans la plupart des autres strophes du livre et que nous pouvons y percevoir l effet de l introduction d une terminologie scientifique de la facon la plus frappante Ce vocabulaire prend en effet une place d terminante dans la narra tion pour mieux contraster avec elle et en rendre insoutenable l arbitraire la destruction des conventions de la fiction atteint l un comble auquel cette derni re ne pourra plus survivre CECI N EST PAS UN ROMAN 187 Qu il suffise de citer certains passages lt tu ferais mieux de refer mer le conduit de tes glandes lacrymales gt conseille le commodore sa femme Maldoror diagnostique chez Mervyn une simple hal lucination hypnagogique les professeurs de ce dernier peuvent constater que le voile de la r flexion excessive s est abaiss sur la r gion p ri orbiculaire le regard de Maldoror parcourt la superficie du rectangle constitu par le Palais Royal Aghone maudit son p re lt que le bec du canari lui ronge ternellement l axe du bulbe oculaire un chiffonnier de son c t aper ut avec horreur l horizon de sa pens e s largir confus ment en cercles concentriques l apparition matinale du rythmique p trissage d un sac icosa dre contre le parapet calcaire du pont du Carrousel Quant au dernier chapitre il faudrait no
388. semblage de syllabes sonores je ne l ai trouv e nulle part Tu laisses trop percer ton caract re il faudrait le cacher avec plus d adresse LA MAXIME ET LE R CIT 85 Vigny d veloppait de son c t des arguments assez voisins dans son Mont des Oliviers paru dans la Revue des Deux Mondes du 1 juin 1843 sauf la derni re strophe dat e de 1862 ramenant les mis res terrestres des causes typiquement ducassiennes Le Christ de Vigny s adresse ainsi Dieu Mais je vais la quitter cette indigente terre N ayant que soulev ce manteau de misere Qui l entoure grands plis drap lugubre et fatal Que d un bout tient le Doute et de l autre le Mal Mal et Doute En un mot je puis les mettre en poudre Je les avais pr vus laissez moi vous absoudre De les avoir permis C est l accusation Qui p se de partout sur la Cr ation Mal et Doute ces deux termes peuvent sch matique ment r sumer le premier les Chants le second les Po sies Ils peuvent eux deux rendre compte de la dialectique immanente toute l entreprise de Ducasse Si les Chants se pr occupent en effet de met tre en vidence le mal pr sent dans l homme pour amener celui ci sexaminer enfin sans complaisance les Po sies d placent l accent et tentent de mettre fin l exploitation de ce qui n est plus devenu dans la litt rature contemporaine qu un clich un tic le doute machine faire des succ s en pervertis
389. sent comme un ami de Maldoror Cette pens e ce souhait c est celui l m me qu a suscit tout le courant anti romantique qui r sistait la fascination litt raire pour le mal le d sespoir la douleur Mais il y a quelque chose d irr m diable dans le destin d un personnage tel que Maldoror cela aussi Ducasse devait le montrer car la promotion du bien sup pose la d monstration des dangers de l engrenage du mal Comme le diront les Po sies apr s les Confessions d un enfant du si cle lt la pente est fatale Ce que l on prenait pour un revirement ou une obscure contradic tion entre les Chants et les Po sies ne se r v le donc ici que comme une continuit profonde de pens e avec les moyens de l imagerie romantique elle m me Lautr amont Ducasse veut en montrer les cons quences Ainsi donc Maldoror tu as vaincu l Esp rance D sormais le d sespoir se nourrira de ta substance la plus pure D sormais tu rentres pas d lib r s dans la carri re du mal Voyez voyez dans le lointain cet homme qui s enfuit Sur lui terre excellente la mal diction a pouss son feuillage touffu il est 11 Cf sur tout cela J l Steinmetz La France fr n tique de 1830 Ph bus FICTIONS C LESTES 105 maudit et il maudit O portes tu tes sandales O t en vas tu h sitant comme un somnanbule au dessus d un toit Que ta desti n e perverse s accomplisse Maldoror adieu Adieu jusqu
390. son livre sur Induction 1859 cit dans les Po sies Les ceuvres les plus pures les plus parfaites de l esprit sont les sciences math matiques les sciences exactes par excellence et c est dans l tude des proc d s qu il y suit que se d couvrent le mieux les lois qu il suit soit dans la conception des id es et les jugements de la raison soit dans les proc d s du raisonnement inductif Ces qua lit s intellectuelles sont pour Ducasse indissociables des vertus morales qu elles engendrent Maldoror remercie donc ces sciences pour les qualit s trang res leur dit il dont vous avez enrichi mon intelligence gt mais surtout ajoute t il lt vous me donn tes la froideur qui surgit de vos conceptions sublimes exemptes de pas sion sans compter la prudence opini tre qu on d chiffre cha que pas dans vos m thodes admirables de l analyse de la synth se et de la d duction le tout couronn par la logique qui est comme l me elle m me de vos enseignements pleins de sagesse gt avec ses syllogismes Le sixi me chant appliquera ces id es en affirmant la partie synth tique de mon uvre est compl te et suffisamment paraphras e mon intention est d entreprendre d sormais la partie analytique Froideur prudence sagesse logique telles sont donc les vertus premi res qui peuvent s acqu rir dans le commerce des math mati ques P dagogie de la vertu fond e sur un
391. spiration un autre monde un id al un tre qui soit image et double vague des passions de Ren qui ne peut trouver sa sylphide Sehnsucht fondateur de tout un lyrisme de l exception malheureuse intiment li la th matique du mal et celle de l imperfection de la Cr ation avec Dieu pour principal res ponsable du sentiment d abandon chez l me douloureuse Mais C est en fait pr cis ment en ce point que Lautr amont fait basculer le st r otype l expose en tant que tel car il ne va pas poursuivre la peinture d un Maldoror proie sanglante de l espoir gt il va tout au contraire d signer avec pr cision la figure que I homme supp t du mal d couvre comme derni re hypostase au bout de son d sir Nous ne serons plus l dans la psychologie romantique mais bien dans la m taphysique encore que mise en sc ne selon les lois du LA MAXIME ET LE R CIT 91 genre dans l un des tableaux les plus conventionnels qui soient la sc ne de temp te et de naufrage que nous avons d j voqu e C est l qu appara t Maldoror cette fascinante image de son d sir comme autre lui m me que sera la femelle du requin Ils tournent en rond en nageant ne se perdant pas de vue et se disent part soi Je me suis tromp jusqu ici en voil un qui est plus m chant Alors d un commun accord entre deux eaux ils gliss rent l un vers l autre avec une admiration mutuelle la femelle du requin
392. ssance puissance pens de part et d autre en termes d un certain calcul Abandonne ta m thode enjoint Lautr amont l tre humain il n est plus temps de faire l orgueilleux j lance vers toi ma pri re dans l atti tude de la prosternation Il y a quelqu un qui observe les moindres mouvements de ta coupable vie tu es envelopp par les r seaux subtils de sa perspicacit acharn e Il est difficile de supposer LA SOIF DE L INFINI 41 que touchant les ruses et la m chancet ta redoutable r solution soi de surpasser l enfant de mon imagination gt II 1 En tant qu il appartient l humanit le lecteur est pr venu Il n est plus question pour lui d assister en spectateur passif la repr sentation des ravages de la cruaut Il ne peut demeurer dans sa pose de consommateur pervers jouissant d un douteux plaisir car le texte des Chants se propose de franchir les limites de la repr senta tion La lecture quivaut en fait un traitement de choc violence contre violence hom opathie seul le mal peut d busquer et d truire le mal C est la logique des bagnards policiers de Balzac ou Hugo personnages n s d un univers o la lutte contre le mal con siste faire que se range sous le regne de la visibilit totale afin qu il ne reste la loi qu surveiller et punir la moindre fibre secr te de la conscience Mais la violence est aussi le ressort de la p dago gie pour le bi
393. ssant de l int r t que je vous porte en faisant assister votre pr sence aux scenes th trales qui me paraissent dignes d exciter une v ritable attention de votre part car qui m emp cherait de garder pour moi seul les v nements que je raconte 164 LAUTR AMONT Dans cette menace de retrait du leurre qui supprimerait du coup la prime de plaisir nous saisissons la profonde intuition de Lautr a mont sur l essence libidinale de l op ration de lecture Et c est cette r alit incontournable du contrat de fiction qu il s attache r cup rer d tourner aux fins d une moralisation qui ne se dit pas mais veut se faire entendre Les Chants ne sont pas une bouteille la mer leurs destinataires sont cod s dans le texte qui leur est adress la fois comme groupe sociologique les lecteurs post romantiques type moral lecteurs avides de r bus d fendus comme diront les Po sies et type intellectuel c est notre intelli gence que le discours moral adresse toujours ses appels Nous trouvons bien s r dans les Po sies la formulation abstraite de cette strat gie mais devenue plus troite en m me temps que plus logique des Chants aux Po sies ce que la strat gie abandonne c est le leurre c est la fiction elle m me Alors nous comprenons que Maldoror n tait au fond que la fiction d une fiction et que dans la b ance entr ouverte par ce d doublement c est tout l espace de la philosophie de la
394. ssant de cette strophe r side cependant dans le fait que Maldoror trouvant par hasard cette confession manuscrite de la folle selon un sch ma fort romanesque sort tout fait de son caract re par la mani re dont il r agit ce qu il a lu A la fin de cette lecture l inconnu ne peut plus garder ses forces et s vanouit Il reprend ses sens et br le le manuscrit Il avait oubli ce souvenir de sa jeunesse l habitude mousse la m moire et apr s vingt ans d absence il revenait dans ce pays fatal Il n ach tera pas de boule dogue Il ne conversera pas avec les bergers Il mira pas dor mir l ombre des platanes C est donc un Maldoror pris de remords que nous d couvrons tout soudain Mais notons que d j vingt ans plus t t au moment du crime sa satisfaction n tait pas ce qu on aurait pu attendre qu elle soit L esprit m content il se rhabille avec pr cipitation une fois le viol accompli L esp rance Quelque chose de nouveau apparait donc un Maldoror travaill par le mal qu il commet attaqu pour ainsi dire par le bien qui malgr tout fait que sa victime ne le maudit pas A partir de ce moment le caract re de Maldoror commence perdre de son tran chant Dans les deux premiers chants il tait le mal triomphant d sormais des arri re pens es d j rencontr es de mani re fugitive une certaine tentation du bien affleurent parfois dans ses actions Tout cela
395. sse a t il trop pr sum des capacit s dialectiques de ses lecteurs puis que tous n ont pas su apporter la lecture le sang froid la logique rigoureuse ni la tension d esprit qu il en demandait En voulant faire une po sie qui parle la fois l imaginaire et la raison au c ur et l esprit au lecteur et l crivain en nous Ducasse n a r ussi qu d sorienter ses lecteurs qui ne savent lire que sur un seul plan la fois Nous avons vu quel travail d analyse exige chaque strophe si l on veut en saisir tous les mouvements sans ignorer la logique qui les articule l o ils ne paraissent que juxtapos s En particulier le rapport du noyau de fiction au noyau moral de chaque strophe nous a paru souvent tortueusement pos encore que toujours retra cable En abordant le sixi me chant Ducasse ne renonce pas tout fait cette criture en partie double comme une comptabilit qui dresserait au fur et mesure l inventaire de nos illusions et de nos passions mais il cherchera am liorer la formule sans cependant abandonner tout fait le principe du m lange L extrapolation mo 166 LAUTR AMONT rale va d sormais se faire plus discr te tandis que les r flexions sur l art po tique vont se multiplier assez soigneusement distingu es des pisodes purement narratifs Tout se passe comme si le d pli des enjeux strat giques allait permettre une s paration plus nette des composante
396. stituer aux aberrations du sentiment et des pas sions une conduite ordonn e qui distingue l homme de l animal en lui rendant le sens du crime la science du bien et du mal La quatrieme strophe nous introduit son tour un spectacle des plus tranges et qui a donn lieu d j bien des commentaires un Maldoror nouveau s adresse nous au passant Il ne subsiste rien de lui des animaux ont pris la place de ses diff rents organes d vo r s Ce qu il y avait d homme en lui a t totalement limin son corps est devenu le logis de toute une faune parasite et sa colonne vert brale est devenue un glaive Le spectacle qui en r sulte suscite l horreur Je suis sale les poux me rongent Les pourceaux quand ils me regardent vomissent Les cro tes et les escares de la l pre ont caill ma peau couverte de pus jaun tre Les analyses des strophes pr c dentes doivent nous avoir rendu prudents le spectacle n est pas le tout de l entreprise et chaque sc ne est en fait une mise en sc ne qui transforme le r cit en apologue et les person nages en all gories Qu en est il ici Pour tenter de r pondre il faut comme toujours revenir l armature philosophique et morale de la narration qui ne manque jamais d affleurer Dans cette strophe la morale est tout fait explicite Bien s r Maldoror se pr sente la fois comme l adver saire de Dieu et la victime de l homme arch type romantique FICTIO
397. sur le mode du conte fantasti que assez court ou du roman feuilleton L int r t de cette strophe r side ailleurs non pas dans le truc de romancier qui lui sert de pr texte mais bien dans la dialectique qu elle permet d instaurer entre Maldoror et lui m me Qui mieux que Maldoror saurait reconnaitre le mal Nul autre que lui m me ne pourrait le peindre objectivement Nous apprenons d abord ainsi que les yeux de Maldoror paraissent arrach s une femme blonde crime qu il n aurait commis que pour faire croire sa beaut Aussi t t apr s nous d couvrons que Maldoror est chauve ou plus exactement qu il a t scalp L encore le fait ne vaut pas en lui m me mais parce qu il permet d clairer un crime de plus En outre si Maldoror est dans un tel tat c est du fait de la vengeance de celui qu il avait gard pendant cinq ans prisonnier pour tre t moin du spectacle de ses souffrances Mais pourquoi ce catalogue de crimes Pour compl ter le tableau et parfaire le personnage Non Tout cela ne nous est racont que pour amener cette r v lation qui forme le vrai coeur profond de la strophe si Maldoror a emprisonn cet homme c est nous dit il parce qu il m avait refus juste titre une amiti qui ne S accorde pas des tres comme moi gt Toute la strophe vise donc en fait permettre sur fond d auto accusation l aveu d un d sir d amiti d une demande d
398. sur son systeme c r bro spinal et la strophe va consister en une expli THIQUE ET FICTION 161 cation des causes de cette situation l occasion d un v nement qui permet simultan ment de faire retour en arri re de mettre fin la paralysie de Maldoror et d en donner le spectacle Autrement dit comme dans de nombreuses strophes d j nous avons affaire un r cit accompagn de discours ench ss s dans un autre r cit Le premier r cit se r sume quelques l ments assez nets outre la sc ne li e au coucher et au lever de Maldoror et que nous avons pr sent e El ment principal l araign e Nous en apprenons qu elle n est autre que le produit d une m tamorphose par laquelle deux victimes de Maldoror se sont unies pour venir chaque nuit lui sucer la gorge Quelle impression la figure d Elsseneur fait elle dans ton imagination Tu l as oubli Et ce R ginald la d mar che fi re as tu grav ses traits dans ton cerveau fid le Regarde le cach dans les replis des rideaux L important dans cette his toire bien s r c est sa dimension morale comme toujours mais elle ne nous est pas d livr e sans une complexe mise en sc ne narra tive que le texte nous offre comme une sorte de prime de plaisir et comme dans le masochisme nous acceptons d tre tanc s en fai sant le n cessaire pour supposer de l avoir m rit c est au moins le calcul que para t faire Lautr amo
399. sur un tempo qui va s acc l rant toujours Nous pourrons ainsi reconnaitre une strate qui serait celle du pur r cit consacr e au simple d veloppement d une intrigue dont elle ne marque que les transformations essentielles en rep rant les interac tions entre les acteurs Une autre voix largement fondue la pre mi re serait celle qui met en place le d cor et qualifie les acteurs en les d crivant Elle se distingue de celle qui pr c de du simple fait qu elle apparait volontairement citationnelle r f rant au del des n cessit s du r cit des codes imm diatement identifiables roman oir roman gothique etc Une troisi me voix peut tre distingu e lorsque le narrateur sortant de son r le traditionnel se m le de juger ses personnages ou de commenter la fabrique du texte en tant que telle L effet est alors tr s voisin de celui qu avait inaugur Sterne ou de celui qu obtiendra Gide dans un texte comme les Faux Monnayeurs la tonalit de l humour ainsi obtenu est tr s proche alors de ce que nous trouvons parfois chez ce continuateur inat tendu de Lautr amont Quatri me voix assez semblable encore celle du journal d Edouard dans le m me roman la foi de Ducasse lui m me dans son nouveau r le de romancier en train au fur et mesure du d roulement de son texte d expliciter les r gles et les trucs de sa nouvelle discipline Art po tique en quelque sorte dont tout le contexte fait l quiva
400. sychologie concr te En ce sens Aghone est sans ge et ne figure plus que la caricature de l homme d avant la chute avec sa royaut d risoire Pour Ducasse il n y a d humanit qu apr s la connaissance du bien et du mal vouloir nier la chute C est folie c est renverser les choses de m me qu Aghone s efforce de marcher sur la t te dans son palais imaginaire royalement m tonymique En face de lui Maldoror incarne au contraire toute la ressource de la raison et de la volont ainsi que le repr sente l archange d guis en crabe tourteau l autre personne ne sait d o il vient et quel est son but final A son nom les arm es c lestes tremblent et plus d un raconte dans les r gions que j ai quitt es que Satan lui m me Satan l incarnation du mal n est pas si redou table S il en est ainsi la sup riorit de Maldoror sur l archange Moi je ne suis qu une substance limit e et sur Satan la fois n est elle pas due sa double connaissance du bien et du mal Ce d veloppement extr me de la port e philosophique du person nage de Maldoror marque en m me temps l extinction de ses res sources litt raires pour Ducasse De m me qu il passe peu peu de la grandiloquence et de la rh torique morales la logique thique bien plus affirm e des Po stes il fait revenir ses personnages dans le septi me chapitre des myst res de la th ologie aux r alit s les plus simples Mervyn aurait bea
401. symbolistes Le geste par lequel l auteur se fait dispara tre n est plus tant un sacrifice m taphysique que le froid constat de l ext riorit de l criture dans son mouvement propre par rapport celui qui s y pr te sans jamais la poss der Par le relais philosophique de Blanchot puis de Fou cault et faisant entrer en jeu Marx et Freud 7e Quel donnait ainsi la version moderne de conceptions issues du dix neuvi me si cle romantique la r volte m taphysique s effa ant par exemple devant la transgression de la loi paternelle la remise en cause des codes devenant r cusation dialectique de la loi signifiante La disparition de Ducasse n tait ainsi qu une marque suppl mentaire de la consis tance de sa logique ses textes offrant par ailleurs un mod le d orga nisation soulign e d sign e d autres textes h t rog nes Le proc s sp cifique de la textualit s y d voilait donc de mani re exemplair lt plagiats gt incises th oriques d constructions refus de l id a lisme romantique tout y tait CONCLUSION 201 En faisant cette lecture Tel Quel faisait faire un grand pas cepen dant la compr hension des processus d criture mis au point par Ducasse on pouvait mieux ainsi saisir le statut des fragments tex tuels r employ s on voyait mieux sa position pol mique vis vis du romantisme on comprenait que son travail tait domin par un souci th orique critique philosophique on entr
402. t vous devez c der la place d autres substances peut tre moins belles qu enfantera le d bor dement orageux d un amour qui a r solu de ne pas apaiser sa soif aupr s de la race humaine Amour affam qui se d vorerait lui m me s il ne cherchait sa nourriture dans des fictions c lestes C est bien dire que ces fictions ont pour origine la contradiction constitutive de l homme et pour but de les explorer sinon de les r soudre La dialectique romantique est encore l pr sente dans toute sa pl nitude dont nous avons amplement discut C est d ailleurs l image typique que se fait le Romantisme de l inspiration qui se trouve r utilis e au d part de cette strophe l image flottante du cinqui me id al se dessine lentement comme les replis ind cis d une aurore bor ale sur le plan vaporeux de mon intelligence et prend de plus en plus une consistance d termin e Mario produit de cette inspiration cinqui me id al h g lien permet une r inscription particuli rement coh rente des figures romantiques telles que la tradition les accumule en un tr s riche intertexte o il serait bien s r illusoire de chercher des sources pr cises Au con traire avons nous dit si Ducasse se saisit de ces arch types c est parce qu ils sont tels inscriptibles dans une rh torique qui se sou vient de ses ant c dents tout en ayant rompu ses attaches particuli res Figures des lors expos es dans le
403. t de se croire exempt des atteintes du Mal et des entreprises de Satan comme les premi res strophes y avaient d j insist en condamnant l orgueil et l amour propre typiques de l aveuglement humain th me que les Po sies reprendront avec une force accrue Que Maldoror re oive ici le surnom de lt vampire gt encore n est ce qu une des hypoth ses mentionn es par le p re pour expliquer Maldoror n est qu un artifice commode pour entretenir la dimen sion narrative du texte en r utilisant des marques de genre parfaite ment conventionnelles Ducasse joue des go ts d une poque pour lui faire mieux comprendre ce qui la tente et la corrompt En con cluant le chant premier Ducasse reviendra d ailleurs ce surnom mais dans un passage ou il d signe ce que doit tre le mode d emploi de son personnage Toi Jeune homme ne te d sesp re point car tu as un ami dans le vampire malgr ton opinion contraire Comment mieux dire que toute cette mise en sc ne n est comman d e que par un dispositif qui chappe la pure fiction Sous le r cit quelque chose d autre se donne entendre une lecon se donne d chiffrer Savoir lire le texte comme le lecteur en a t surabondamment averti d s les premi res lignes implique une distanciation une d sambiguisation attentive appliqu e ce qui se pr sente d abord comme une histoire faire peur mais doit tre recu comme m ditation discours faire penser L
404. t tre que ce simple id al conqu par mon imagination surpassera cependant tout ce que la po sie a trouv jusqu ici de plus grandiose et de plus sacr Car si je laisse mes vices transpirer dans ces pages on ne croira que mieux aux vertus que j y fais resplendir et dont je placerai l aur ole si haut que les plus grands g nies de l avenir t moigneront pour moi une sinc re reconnaissance Ainsi donc l hypocrisie sera chass e carr ment de ma demeure ll y aura dads mes chants une preuve imposante de puissance pour m priser ainsi les opinions reques L amiti du vampire Tout s explique philosophie profonde morale po tique stylis tique des Chants et c est pourquoi il fallait un Maldoror et un texte d allure r solument exceptionnelle pour aller jusqu au bout d une entreprise qui prend sur tous les plans le contrepied des th ories et des m thodes usuelles y compris celles pourtant plus respect es des pr d cesseurs que Ducasse veut bien se recon naitre Maldoror n est donc nullement un de ces h ros sataniques habi tuels destin s flatter nos faiblesses en nous donnant le spectacle de la pure m chancet Sa nature contradictoire est faite pour nous avertir de la n tre de m me que son discours est une incitation 120 LAUTR AMONT mettre de la raison dans les n tres N est ce pas ce qu apprend le lecteur d s le d but des Chants tu as un ami dans le vampire malgr ton opinio
405. t dans leur forme m me Une forme qui se veut proche c est clairement dit des nonc s du type maxime la Rochefoucauld Vauvernar gues Chamfort peut tre constituent ici un paradigme bien carac t ris Malgr tout l n est sans doute pas le mod le exact de Ducasse il le dit les moralistes ne font que constater le mal Il veut lui aller plus loin et n utiliser la forme pr f r e des moralistes que pour lui donner la force de redresser l erreur Corriger les textes mais pour corriger les hommes c tait d j l ambition des Chants c est plus encore celle des Po sies quoi il s en adjoint une autre tra vailler la langue pour parvenir la maxime c est effectuer une recherche c est se tenir sur l ar te la plus vive d un questionnement le plus aigu possible c est investir enti rement dans le travail d une formulation qui n aboutit pas simplement au bonheur d une for mule Ducasse accepte c te c te des nonc s achev s et des frag ments t tonnants des esquisses critiques et des affirmations souve raines Cette forme inqui te ce n est pas celle des Maxzmes c est celle des Pens es Avan ons donc une nouvelle hypoth se Ducasse a voulu refaire Pascal c est dire le devenir le transformer le Jouer aussi Il n y a dans cette rencontre des Po sies et des Pens es jusque dans leur consonance rien de fortuit Qu il suffise d ailleurs de rappeler la pr sence constante des pens es
406. t des sph res sup rieures de la science le Spi nozisme a p n tr dans les basses et moyennes r gions des lettres et de l utopie 1866 Spinoza provoque alors des sentiments beaucoup plus violents que Hegel mais dans la mesure surtout o lu par Saint Simon par Fourier par Proudhon son ath isme ne parait d guis en pan th isme que pour mieux proposer une politique radicalement sub versive Il parait d ailleurs bien avoir t purement et simplement annex par un certain courant r volutionnaire et transform en phi losophe de gauche pr curseur de la R volution fran aise C est ce qu indique par exemple l dition de ses Oeuvres compl tes tradui tes et annot es par J G Prat 1863 1872 qui d accord avec tous les observateurs de l poque pour d noncer la crise philosophique crit en effet Puissent la lecture de la vie de ce grand homme et la m ditation de ses ouvrages sortir enfin notre p le jeunesse du lourd marasme o elle semble plong e de nos jours 212 LAUTR AMONT Si tous les philosophes traditionnels sont d accord pour condamner les lt philosophes du n ant gt qu ils voient p n trer rapidement les milieux litt raires ils ne traitent cependant pas Spinoza et Hegel sur le m me pied en d pit de leur pr sum e filiation Spinoza se trouve r guli rement et d finitivement condamn tandis que Hegel n est que r fut ou ignor Il faut en effet reconnaitre que Hegel
407. t incisive gr ce au maintien constant des liens th matiques et stylistiques avec tout l intertexte romanti que La le on est passablement claire plus claire peut tre encore que pr c demment Maldoror hyperbole du h ros noir figure de la mani re la plus oppressive la plus choquante possible tous les traits n gatifs de l me humaine ceux que l homme refuse de recon naitre malgr les efforts d ploy s par les po tes Ducasse repre nant cette tradition en change quelque peu les m thodes et renonce surtout tenir des discours explicites dont on sait qu ils res tent toujours sans effet de l encore une fois l id e d un chan gement de m thode Maldoror image de l homme repr sentera sans cesse celui ci sa vraie nature mal fique par le biais d une lit t rature prouv e afin de lui faire d sirer le bien Au point o nous en sommes Ducasse croit manifestement encore l efficacit de la m thode mais nous pouvons d j perce voir que sa maitrise des formes purement rh toriques et stylistiques de son raisonnement croit en pr cision et en virtuosit Ce qu il ne con oit encore que comme l instrument d une entreprise de morali sation il ne tardera pas le percevoir comme une technique de cr tinisation contre laquelle il se retournera des le cinqui me chant Il lui arrive pourtant d j d essayer d autres moyens pour 92 LAUTR AMONT poursuivre sa propagande en faveur du bi
408. t les deux piliers de la po sie du doute et cette po sie qui ne peint le doute que par m thode est fausse et la bonne m thode reste donc trouver telle est la r volution qu op re Ducasse en abandonnant courageusement ce qu il per oit d sormais comme une fausse piste ou un garement de la raison l erreur est la l gende douloureuse Les Po sies se trouvent ainsi dans une relation de d pendance tr s troite par rapport aux Chants puisqu elles repr sentent la fois la lecon et la cons quence de leur chec Tout ceci concourt pr ciser l image des Chants pour leur propre auteur exercice d cole fonc tion d un syst me id ologique et esth tique bien d fini La rigueur de l exercice ne l a pas pr serv de son vice fondamental et toute l exp rience aboutit une impasse Faut il renoncer tout pour autant Non Ducasse sera le pre mier tirer la conclusion de ses propres erreurs sans c der au d pit Voil qui en dit long sur la vigueur de son caract re et la force de son engagement puisque aucun moment il ne se laisse aller au d couragement Il aurait pu tout abandonner il se livre au con traire une analyse minutieuse de ses difficult s sans reculer devant des cons quences qui ne sont pas minces puisqu elles impli quent la d nonciation de sa premi re ceuvre et la mise en chantier d un syst me enti rement r nov Si Ducasse survit son chec peut tre est ce auss
409. t par le fait de ma propre faute CECI N EST PAS UN ROMAN 183 accabl par les cons quences de ma chute morale quelques unes ont t accomplies qui pr voiera les autres spectateur impassi ble des monstruosit s acquises ou naturelles qui d vorent les apo n vroses et l intellect de celui qui parle je jette un long regard de satisfaction sur la dualit qui me compose et je me trouve beau gt N est ce pas le discours cynique et na f la fois de l homme tel que Ducasse veut le montrer lui soufflant sa propre d noncia tion Nous devons comprendre ici ce qu il en est de la nature essen tielle du personnage de Maldoror All gorie morale d un c t nous venons de la voir il est en outre le h ros d une fiction et dans cette mesure m me son discours doit se prolonger dans une action son caract re doit devenir un temp rament Etant donn l enjeu ontologique de la narration Maldoror ne peut avoir d autre interlocuteur que Dieu lui m me dans la mesure ou ce dernier peut figurer une m taphysique toute diff rente Dans le combat o s affrontent de multiples reprises Maldoror et le Tout Puissant il ne faut voir rien d autre que l affrontement de deux philosophies oppos es L une veut ne voir dans le monde que le Bien et pour cela s efforce de poser Dieu dans un r le central de telle sorte que l Homme image de son Cr ateur ne puisse tre lui m me con u que fondamentalement bon L homme se sup
410. t pas Maldoror lui m me qui joue les ventriloques tout au plus est ce Lautr amont qui peut tre d sign comme sujet de l nonciation dans de tels cas Bien entendu de Lautr amont Ducasse il n y a pas loin mais Lautr amont est plus et autre que Ducasse dans la mesure pr cis ment o il se met lui m me en sc ne dans le mesure auss ou ce qu il produit c est une dialectique qui sert avant tout ne pas dire directement ce qu il pense puisqu il lui faut obtenir une sorte de conversion du lecteur par saturation de mal Rien ne nous permet donc de penser que la strophe des p d rastes s carte radicalement de la strat gie suivie jusqu ici chanter le mal pour faire d sirer le bien Le mouvement profond de ce passage nous parait en outre tout fait comparable celui de la strophe sur la prostitution o il s agis sait de vanter celle ci pour mieux la condamner de m me pour l ode au pou Toute la dialectique des Chants repose sur ce pieux artifice de la morale progresser par provocations et d fis non sans en tirer peut tre un plaisir particulier mais d douan du fait des fins vertueuses auxquelles il est li Posons donc que celui qui parle cest Maldoror et qu il reste ce faisant fid le aux principes de son action et la logique de sa croisade moralisatrice Cette logique implique rappelons le que le mal y soit certes pr sent vant m me mais qu il y soit en m me temps d nonc Tout le myst r
411. t qu elle est radicalement fausse Le raisonnement conomique ne fonctionne donc ici que comme r v lateur des directions prises par l poque L chec de la publica LES DISCOURS DE LA M THODE 29 tion des Chants am ne un examen de conscience qui exige de r va luer les pr misses m mes de l uvre d sespoir morne m chancet th orique La premi re expression poss de quelque chose de pl onastique mais c est pour mieux souligner le divorce entre le substantif et l adjectif le premier d crit un genre le second d crit les arri re pens es et les motivations cach es Les litt rateurs qui font dans le genre d sesp r n y croient plus ils crasent lugubrement leur gypse litt raire diront les Po sies Ducasse n est que l un d entre eux malgr ses raffinements de lt m thode et il juge cette situation d sormais intol rable A quoi bon s efforcer de produire un certain effet si c est sans y croire et sans r sultat Lorsqu il parle de lt m chancet th orique gt le pro cessus est identique ce n est pas la th orie qui est perverse c est le spectacle de la m chancet et du mal donn dans les textes qui ne correspond plus rien dans la r alit de leurs auteurs Cette m chancet reste toute th orique et de parti pris il ne s agit que d un choix esth tique et id ologique dont l chec prouve Pina nit D sespoir et m chancet son
412. te d un miroir qui doit annuler la d formation des images que l homme regoit commun ment de lui m me Maldoror est tr s logiquement presque tout vice et m chancet l exception d une infime parcelle de bien et c est cette parcelle qui constitue le leurre o l homme pourra se prendre Narcisse pi g son d faut L homme doit en quelque sorte c der l attrait de son image n ga tive et positive la fois pour en venir inverser ces valeurs et mer ger en homme nouveau de sa travers e du miroir maldororien Cette dialectique ne se limite pas aux rapports de Maldoror avec l homme car l homme lui m me est un miroir miroir cette fois de la divinit Image m connue ou trop connue car en se supposant un Dieu bon l homme croit s assurer hypocritement de sa propre per fection Ballet d images o l authenticit se trouve toujours d cal e d port e d plac e par la m connaissance et la vanit Quand Lau tr amont laisse alors Maldoror le soin de d voiler la persona lit r elle de Dieu un Dieu absurdement cruel n est ce pas en fait l image d un miroir dont il leurre encore l homme L homme s est fait un Dieu l image de sa v rit lui celle qu il refuse de reconnaitre d o la tr s puissante parabole du pou invent e par Ducasse un Dieu qu il peut la fois prier et bl mer de ce qu il ne r pond pas aux pri res Entre Maldoror l homme et Dieu nulle diff rence triple image
413. te doit se jeter pour trouver la voix qui lui demeure jamais trang re C est Ulysse selon M Blanchot d si rant la chant des Sir nes Se d robant au po te son chant ne se fait sien que par la d possession Il faut pour dire cela un mythe les romantiques avaient eu Ossian comme les Grecs avaient eu Hom re Les po tes fin de si cle et leurs successeurs eurent Lau tr amont que la m prise convertit en leur propre fant me oracu laire Ce n est pas l affaire de doctrine mais peut tre le fait d une exp rience collective de ce qu Artaud nommera un effondrement central de l tre et que les philosophes du temps de Ducasse ne d signaient comme il le fait lui m me leur suite que comme un scepticisme qui aurait perdu le contr le de son instrument le doute avait cess d tre analytique pour devenir d vorant Devenue illisible du fait des circonstances l uvre de Ducasse s offrait point nomm au d sir de n ant prouv par une g n ration pour que celle ci fit de Lautr amont le mythe qu il est rest la m prise n est que l un des visages de la n cessit S il en va bien ainsi quelle est donc la n cessit qui fit que les Sur r alistes leur tour reconnurent un appel dans le silence nomm Lautr amont Encore qu ils aient apport son culte toute la force de leur extr misme forcen il reste qu ils ne sont nullement les inventeurs du mythe il faisait partie de l h rita
414. te et la souffrance Ce qu il veut propager tout au contraire c est une vision qui privil gie un volontarisme de la vertu et du bien mais sans cl ricalisme sans bonne conscience aveugle ou hypocrite Il ne s agit pas de dissimuler quoi que ce soit et de chanter de naifs cantiques mais bien plut t de prendre les pro bl mes bras le corps pour partir des choses telles qu elles sont et attaquer les id es fausses c est l expression des Po sies en leur faisant face sur leur propre terrain l o elles b n ficient du maxi mum de publicit c est dire dans la litt rature Ducasse est un pros lyte qui a lu la fiction pour terrain de mission III La maxime et le r cit Nous avons insist jusqu ici exclusivement sur la dimension id o logique du travail de Ducasse en soulignant quelques donn es du texte sans doute trop simples au gr des lecteurs qu un demi si cle de critique des Chants a habitu s voir en Lautr amont le nec plus ultra d une improbable avant garde toujours diff rente d ailleurs C est qu il fallait d abord montrer avec quelque minutie en fonction de quelle strat gie l entreprise tentait de s difier de l aveu m me de l crivain soit sur le terrain d une r forme morale soucieuse d viter le sermon tout en r cup rant son profit le travail r alis par un si cle de litt rature Par l analyse du chant premier nous avons essay de mettre en lumi re les grandes lignes de l
415. te que pos sible lt Depuis l impronon able jour de ma naissance j ai vou aux planches somnif res une haine irr conciliable Maldoror en nous faisant cette confidence insiste bien sur ce que cette entreprise ce d fi a de raisonn C est moi qui l ai voulu que personne ne soit accus Une telle attitude demande pourtant tre condamn e et c est paradoxalement Maldoror lui m me qui propose des compa raisons auto accusatrices jugeant excentrique celui qui prierait quelque bourreau de l corcher vivant ou celui qui offrirait volontairement sa poitrine aux balles de la mort cela ne saurait tre Juste N est ce pas qu un homme amant d un pareil martyre ne se trouverait pas dans l univers entier Aussi tout en soulignant le c t volontaire de son martyre Maldoror n en remarque pas moins Ce qu aucun ne souhaiterait pour sa propre existence m a t chu par un lot in gal Mais qui a fait le tirage au sort Nous ne le saurons pas aussi nous faut il suppl er cet anonymat peut tre le responsable est il la Providence souvent accus e d j La Providence qui a fait de Maldoror un homme plus que ressemblant ses semblables et par cons quent plus impatent devant le mal plus r tif devant Dieu et port l agresser pour simultan ment d fendre l homme et l attaquer Mais peut tre la Providence n est elle que l autre nom de l auteur cet anonyme rom
416. ter les lois du r el il d couvre que ce contre quoi il aurait d en fait lutter c tait autre chose qu il d signe comme hypnotisme et qui n est rien d autre que la fiction en tant que telle soit le pouvoir de tout r cit quelles qu en soient les r gles D s qu il y a narration il y a diffusion de ce bon fluide magn tique qui provoque l impossibilit somnan bulique de se mouvoir En ce sens il n y a pas de bonne fiction Le mal est dans les mots dans chaque phrase et l espoir de faire servir la description du mal la promotion du bien est enti rement illu soire l effet de fiction court circuite toute cette dialectique en cap tant la toujours disponible cr dubilit du lecteur Po sie ou roman toute criture est condamner puisque c est le langage m me qui est coupable Au lieu donc de mettre en place de complexes strat gies et des dialectiques plusieurs regis 182 LAUTR AMONT tres de n gativit c est au ras des mots qu il faudra tout reprendre pour les ordonner une tout autre logique dont l objectif premier sera de traquer le moindre d part de fiction Comment mieux faire des lors que de reprendre tout le probl me depuis le d but ou mieux partir des fondements les premiers principes et la logique elle m me L id e des Po sies ce sera cet impossible un lan gage nettoy de tout ce qui ne sert pas la v rit et ne serre pas au plus pr s l ordre de
417. tient encore soli dement les institutions d un autre c t des courants nihilistes asiatiques m lant plus ou moins confus ment Spinoza Hegel les doctrines orientales produisent des variantes tant t subversives et tant t contemplatives voire mystiques d un autre c t enfin mergent les indices d une redistribution des pouvoirs de la philoso phie peu peu mise en minorit par la philosophie des savants qui d sire ignorer les pr tentions h g moniques des spiritualistes et pro pose de nouveaux paradigmes pour la philosophie elle m me Ces contradictions cependant et c est en cela qu elles nous int ressent n agitent pas seulement les chaires d loquence et les laboratoires elles int ressent en effet tout le domaine public et avant tout son expression la plus controvers e la litt rature cf ce qu en dit E Poitou par exemple Si crise il y a il faut bien voir qu il ne s est nullement agi d une crise passag re mais qu elle a au contraire pratiquement occup la plus grande partie du si cle depuis Musset et sa Confession d un enfant du si cle Toute la th matique que ce livre a mise en place nous la retrouvons de livre en livre d article en essai et c est tout naturellement dans les Po sies que nous pouvons en trouver un dernier cho le plus aigu peut tre et le plus r v lateur CONCLUSION 213 Voil donc ce que nous avons pu entendre par philosophie dans notre re
418. tifie semble t il par la prudence Non pas que la haine conduise le fil de mes raisonnements 86 LAUTR AMONT mais j ai peur au contraire de ta propre haine qui par un ordre capricieux peut sortir de ton c ur gt Pure d n gation en r alit car c est bien la haine qui la motive et non la stoique indiff rence de Vigny Je ne d sire pas te montrer la haine que je te porte et que je couve avec amour L arrangement que Maldoror propose alors au Cr ateur va d sormais tre l expression de l attitude pro fonde de l homme vis vis de Dieu telle que Ducasse la d noncera dans les Po sies doute hypocrisie duplicit C est un pacte de non agression fond sur la m fiance r ciproque les deux contractants s obligeant dans l imagination de l homme Maldoror quelques concessions Maldoror refuse d avoir quoi que ce soit faire avec Dieu un Dieu qui sonderait les reins et les coeurs Sache que je pr f rerais me nourrir avidement des plantes marines d iles inconnues et sauva ges que de savoir que tu m observes et que tu portes dans ma conscience ton scalpel qui ricane En change de cette abstention de la part de Dieu de sa renonciation son r le traditionnel de juge Maldoror l homme consent respecter les formes ext rieures de la pri re A part ces r serves faites sur le genre de relations plus ou moins intimes que je dois garder avec toi ma bouche est pr te n importe
419. tion ou dans le r el privil ge de l imagi naire qui d sire ou de la jeunesse qui n imagine pas encore L adulte seul invente ce qui l opprimera La strophe suivante cela ne nous tonnera pas est son tour construite partir d un dispositif fondamentalement identique celui que nous avons reconnu dans toutes les strophes qui pr c dent La parent entre Lohengrin Lombano l Hermaphrodite et le nouvel avatar de Maldoror que nous rencontrons ici un Maldo ror enfant est particuli rement frappante Je grandissais en beaut et en innocence et chacun admirait l intelligence et la bont du divin adolescent On ne s approchait de lui qu avec v n ration parce qu on remarquait dans ses yeux le regard d un ange Ducasse insiste donc une fois de plus sur les valeurs positives asso ci es la jeunesse du point de vue moral en d taillant avec com plaisance les roses heureuses de l adolescence Et une fois de plus il va nous d crire les horreurs de la Chute Pour ce faire il donne la strophe cependant une organisation quelque peu plus complexe bien qu il continue la fonder toujours sur les m mes postulats Le point de d part demeure classique puisqu il s agit de poser nouveau la r pulsion qu prouve Maldoror pour son semblable Quand une femme la voix de soprano met ses notes vibrantes et m lodieuses l audition de cette harmonie humaine mes yeux se remplissent d une f
420. tique moralisatrice la mani re de Job qui aurait d tre la vraie lt voix gt du texte Toute la post rit des Chants est l pour manifester cet chec surench res maldororiennes incapables de faire leur place aux d rapages du texte que d s lors elles censu rent pour ne retenir que la premiere lecture Hypnotisme L chec des Chants c est leur succ s l incapacit de la morale comprendre qu elle avait dans ce texte un vigoureux d fenseur C est ce que d plorait d j l introduction au deuxi me chant Apr s tre pass avec peine plus de succ s d un genre l autre Ducasse se convaincra qu il ne lui faut plus parler mots couverts et chan ger enfin de m thode Il ne s agira plus alors de compter sur la subti lit du lecteur mais d attaquer ses perversions de front Les Po sies seront donc le positif que les lecteurs n avaient pas su tirer partir du n gatif qu taient les Chants Mais s il y a eu chec C est aussi Ducasse vient de s en rendre compte parce qu il tait parti d une conception insuffisante des causes de la cr tinisa tion par la litt rature En effet en composant les premiers chants il croyait que l effet obtenu ne reposait que sur une po sie en dehors de la marche ordinaire de la nature et des v rit s abso lues gt qu il appellera dans les Po sies lt premiers principes gt En passant au roman qui parait au contraire respec
421. tisme passent avant tout par le d litement de son signifiant Nous assistons un d placement g n ralis d une doxa charg e d amener sa propre perte par l inversion du signe de ses contenus Seul un recours au mythe au r cit la fiction peut op rer sans lourdeur dogmatique une telle subversion Il fallait donc un h ros qui puisse agir des concepts il fallat un sujet autre que l auteur v ritable pour lui faire tenir au moment voulu des discours inassignables un r el Maldoror est ce h ros de langage et ce supp t d ambiguit traquant une conception d voy e de l homme au fil d une narration qui ne parait capricieuse que parce que son auteur n y croit pas et veut qu notre tour nous cessions d y ajouter foi Le proc d qui cherche r aliser la fusion d un discours et d un r cit d une le on et d une fiction se trouve appliqu de mani re particuli rement complexe dans la onzi me strophe Au niveau id ologique nulle surprise c est une fois de plus l op rateur de dis jonction bien mal qui pose les enjeux ultimes de la narration mais ces deux instances ne s inscrivent dans le r cit qu apres avoir subi des manipulations transformationnelles dont la strophe est pour l essentiel le r sultat partiellement aussi la repr sentation Une premi re transformation consiste tr s simplement en une personnification de ce qui ne resterait qu un concept si nous demeu rions dans un genre discursif
422. tre la r sistance que lui oppose un enfant mod le en tout point exemplaire et dont la conduite morale est exempte de reproche Mais il s agit d autre part aussi d une lutte port e plus g n rale entre une instance qui se charge d incarner tout le Mal et une autre incarnant une modalit socialement valoris e du Bien la famille id ale qui craint Dieu Il s agit pour Maldoror d un d fi majeur parvenir inqui ter ce qui l ignore si absolument parvenir ranimer chez celui qui croit l avoir touff e la plus petite trace r siduelle du Mal r ussir une tentation Le paradigme chr tien oriente manifestement de nom breux aspects de cette strophe image pieuse de la famille pr pon d rance de la pri re soumission un Dieu qui ne peut qu tre bon comparaison entre Maldoror et Satan mise en scene de la tentation strictement parall le celle du Christ par le D mon Les r les sont sch matiques et purement fonctionnels Dieu y apparait comme la grande force organisatrice par rapport laquelle se d termine toute la vie de la famille comme le veut la litt rature difiante Chaque jour nous b nissons la Providence de ses bienfaits Ayons confiance en Dieu en lui est le supr me espoir Eternel cr ateur de l univers tu montres ta bont in puisable jusque dans les plus petites choses Toute notre vie s est puis e dans les cantiques de ta gloire Tels nous avons t jusqu i
423. ttendre le sujet dramatique ciment dans cette strophe n en forme que 12 Peut tre faut il supposer ic la transformation d un texte crit en anglais ce qui expliquerait certaines tran get s linguistiques lt encore respirant gt lt still breathing gt lt gracieux fils gt lt gracious son gt La mention du goudron ferait d ailleurs plut t penser un texte am ricain qu un texte anglais FICTION EN PARTIE DOUBLE 121 l argument l occasion de deux d veloppements parall les l un qui concerne la m chancet de l homme et l autre la nature de l analyse Mais ces deux expansions restent tres fortement li es en d pit de l incompatibilit apparente de leurs th mes Ce qui les unit c est leur commune r f rence la raison Commengons par le cas le plus simple celui de la morale explicite de la strophe qui la con dut le loup lui m me dit Maldoror prend la fuite quand il voit l horizon cette chevelure noire balanc e par le vent Pour quoi cette mention Maldoror r pond il me semble que l animal a compris ce que c est le crime Comment ne le comprendrait il pas quand des tres humains eux m mes ont rejet jusqu ce point indescriptible l empire de la raison pour ne laisser subsister la place de cette reine d tr n e qu une vengeance farouche Le moins que l on puisse dire est que cette morale est fort peu conforme l image d irrationa
424. u d but de la strophe laissait supposer Maldoror n est il pas l incarnation du mal absolu il en est un degr en de lt tu me reconnaitras comme ton disciple respectueux dans la perversit Puisque je ne te dispute pas la palme du mal je ne crois pas qu un autre le fasse il devrait s galer auparavant moi ce qui n est pas facile Nous ne sommes plus dans l absolu qui ne connait pas de degr s mais dans la contingence Un peut quelque chose fait que Maldoror n est peut tre pas la hau teur de lui m me gal son 1d al du moi Sa petite diff rence lui c est la petite tincelle de bien qui survit en lui et que traduisait peut tre son offre d amiti celui qui deviendra sa victime pour l avoir refus e Duplicit de Maldoror dualit plut t d un c t incarnant le mal de l autre ne l incarnant qu avec r serve tout le moins n a t il pas tous les vices mais nous le savions d j puisque il n est pas hypocrite Je ne jetterai pas tes pieds le masque de la vertu pour pu tes yeux tel que je suis car je ne l ai jamais port Maldoror est une image rien d autre qu une image mais FUA paradoxe une image sans masque Ducasse ne cher che pas mystifier son lecteur le fasciner paralyser son juge ment il lui donne au contraire la chance d utiliser toutes les armes de l analyse pour comprendre que la vertu ne va pas sans vice ni le vice s
425. u travail de Ducasse n aurait guere elle m me de sens Le personnage de l amphibie en tant que composite repr sente sans doute un quivalent anim d une m taphore en lui les deux termes d une comparaison se sont fondus pour rendre sa survie possible de fa on parfaite ment logique dans l l ment marin oblig de vivre dans l eau il s y est adapt 130 LAUTR AMONT Ducasse ne nous renvoie nullement une quelconque logique du r ve ou de l imagination mais aux sciences naturelles lt Que l on sache bien que l homme par sa nature multiple et complexe n ignore pas les moyens d en largir encore les fronti res il vit dans l eau comme l hippocampe travers les couches sup rieures de Pair comme l orfraie et sous la terre comme la taupe le cloporte et la sublimit du vermisseau Raisonnement confirm au tr s rationnel Maldoror par l amphibie lui m me La Providence comme tu le vois m a donn en partie l organisation du cygne Une fois le sens de cette mutation fort spectaculaire r solu nous nous trouvons nouveau et comme toujours devant les vraies pr occupations de Ducasse le probl me moral et le probl me du style Le sens moral de la strophe est chercher dans l apologue ench ss en elle que repr sente l histoire de l homme cygne racon t e par lui m me Les lignes g n rales de ce r cit en font un quasi d marquage de l histoire de Cain et Abe
426. uand Ducasse fait dire Maldoror qu il faut savoir embrasser avec plus de grandeur l horizon du temps pr sent en r p tant cette maxime du cynisme sceptique que le roman redit depuis Balzac il ne fait que souligner la dimension sociale et politique de sa critique de l homme Mais il faut videmment se rap peler que dans le contexte id ologique qui est le sien Ducasse ne peut produire une th orie de la soci t qui ne soit pas d abord une th orie de la nature humaine Critique sociale et critique morale vont de pair et sont indissociables La r forme de la soci t passe par la r forme de l homme et l action transformatrice ne peut tre d abord qu une op ration dans le discours critique du langage reconqu te des moyens d analyse de la raison subversion de la litt rature Ces th mes majeurs des Po sies sont pr sents dans les Chants sous une forme que nous avons d j pu dire exp rimentale puisqu elle r alise une mise en sc ne de la m taphysique tout personnage tend vers l all gorie tout r cit vers la d monstration Il en est bien ainsi dans cette strophe qui nous montre les effets du discours de la morale de l int r t sur l enfant encore innocent Maldoror s aper oit que le sang bouillonne dans la t te de son jeune interlocu teur ses narines sont gonfl es et ses l vres rejettent une l g re cume blanche La parole n est pas un change indiff rent elle est action
427. uche au plus profond Par cons quent en se mettant crire comme un romancier sa lutte entre dans une phase plus dure M emparant d un style que quelques uns trouveront naif quand il est si profond je le ferai servir interpr ter des id es qui malheu reusement ne paraitront peut tre pas grandioses En devenant romancier Ducasse change donc de tactique mais nullement de strat gie Le style pour lui ne saurait jamais tre que d emprunt d tournement retournement Ce qui montre quel point sa libert et sa maitrise ont pu aller dans le sens d une lib ra tion des st r otypes d une rupture des identifications d une sub version des r seaux de l imaginaire Nul n est moins que Ducasse f tichiste de l criture Et sans doute est ce pour cela qu il peut s annoncer comme disciple des sauvages dans le domaine du style Gentlemen simples et majestueux leur bouche gracieuse ennoblit tout ce qui d coule de leurs l vres tatou es mais c est aussi une pr figuration de la critique du style qui prendra toute sa force dans les Po sies pour condamner pr cis ment ce qui n est pas naturel ce qui ne raisonne pas comme l enfant Ducasse se pr sentera donc comme une sorte de Huron de l criture convaincu que la simple raison est universelle et que le reste est mystification Faut il que J crive en vers pour me s parer des autres hommes Que la charit prononce gt diront les Po sies
428. ucoup mieux fait de consulter ses parents avant de r pondre l amiti de l inconnu D sormais sur le plan de la dialectique morale tout au moins l affaire est jou e Mervyn est perdu et il ne reste plus Ducasse qu en finir et ex cuter Mervyn victime de son propre aveuglement La cervelle m canique du conte s en charge en reprenant litt rale ment la m canique les lois de sa narration c est la c l bre sc ne du lasso gr ce auquel Maldoror exp die depuis le cercle de l ex statue de Napol on au sommet de la Colonne Vend me le corps de Mervyn contre le d me du Panth on Ainsi se r alise la myst rieuse sentence lt Il n y a pas si loin que l on pense de la place Vend me au d me du Panth on nous soulignons L apoth ose presque litt rale acc s au Panth on de Mervyn dont le nom anagrammatise par ailleurs celui de Minerve est donc galement l apoth ose d une recherche qui tout au long des Chants nous l avons souvent remarqu a travaill le travail du style lui m me Tentative de rapprochement de la rigueur des scien ces et de l errance de la po sie Dans le dernier chapitre nous venons de le voir c est le langage de la m canique qui fournit l armature enti re du plan purement narratif les th or mes de la m canique me permettent de parler ainsi h las on sait qu une force ajout e une autre force engendrent une r sultante co
429. ue Et qui plus est elle nous prouve comment l thique comme le style la philosophie comme le go t participent d une m me logique qui signe notre ali nation dans l id ologie Ce que Lautr amont nous d montre par l c est que s il existe un style de l thique et un go t de la philosophie il doit exister en outre une thique du style et une philosophie du go t Morale de la torture Nous savons qu avec la fin du cinqui me chant une nouvelle tape de l entreprise de Ducasse va voir le Jour ax e sur l exploita tion d une nouvelle m thode celle du roman Aussi la derni re strophe du chant V 7 prend elle un relief particulier d tre en quel que sorte l adieu de Lautr amont la po sie Un adieu mar qu par une sorte de r capitulatif des th mes souvent rencontr s travers toute l uvre mais portant d j les marques du lt romanes que qui va devenir le r gime officiel des strophes et la ressource ostensible de leur logique 160 LAUTR AMONT Bien entendu rien ne nous permet d affirmer que cette strophe est bien la derni re qu ait compos e Ducasse dans la veine po tique ni m me que sa position ait t d s le d part au prin cipe de sa composition En l absence de toute r f rence ext rieure ou de tout t moignage rien ne nous permet de d cider si l ordre dans lequel nous lisons comporte un lien quelconque avec l ordre r el de composition Il est toutefois
430. ue charg de r affirmer dans une formule forte ment d termin e l un des principes absolument essentiels qui fon dent toute la d marche d criture et de pens e dont naissent les 158 LAUTR AMONT Chants comme texte dialectique C est g n ralement parlant une chose singuli re que la tendance attractive qui nous porte rechercher pour ensuite les exprimer les ressemblances et les diff rences qui rec lent dans leurs naturelles propri t s les objets les plus oppos s entre eux et quelquefois les moins aptes en appa rence se pr ter ce genre de combinaisons sympathiquement curieuses gt etc Au rebours de la d marche habituelle aux Chants qui pr sente d abord un apologue pour n en tirer qu ensuite et parfois comme en passant la morale qui en est pourtant le g n rateur nous avons ici d entr e la lt maxime gt une observation de port e g n rale et ensuite seulement l exemple gt au sens de l exemplum de la rh torique que cette observation abstraite d veloppe en une maxime C est l image du lt milan royal gt qui nous est alors pr sent e avec abondance de d tails comparant dont le compar sui vant la logique de l inversion qui semble ici pr valoir n est r v l que tout fait en fin de passage Chacun a le bon sens de confes ser sans difficult quoique avec un peu de mauvaise gr ce qu il ne s aper oit pas au premier abord du rap
431. ue chose comme un programme une d claration de guerre non c e au pr sent comme les professions de foi Je remplace la m lancolie par le courage le doute par la certitude le d sespoir par l espoir la m chancet par le bien les plaintes par le devoir le scep ticisme par la foi les sophismes par la froideur du calme et P orgueil par la modestie Comment comprendre une pareille proclamation La r ponse d pend avant tout de ce que nous supposerons que Ducasse voulait changer par les substitutions qu il voque De prime abord tout para t indiquer qu il veut renier les pr misses des Chants de Maldo ror puisque de fait nous y avions assist une grande parade diabo lique qui mettait tout en uvre pour susciter chez le lecteur post romantique la fois horreur et jouissance de multiples sc nes de transgression y assuraient le va et vient le fort da entre ces deux puissances qui se partagent le royaume de la fiction Rien en effet ne nous avait t pargn du meurtre l inceste en passant par les sc nes du sadisme le plus tudi Le texte n allait il pas jusqu pro poser des perversions imaginaires Raffinement supr me de l ima ginaire pervers impossible sans l criture Dans les Po sies au contraire toute la figuration s vanouit plus de personnages ni d accessoires rien que du discours Ce n est plus que sermons pr ches et tirades agressivement anti romantiques assorties de transformati
432. ue de son effort d criture aboutissant un livre de quatre cents pages pouvaient ils se renverser de mani re radicale en un temps aussi bref supposer toujours que Chants et Po sies n aient pas t compos s en partie au cours de la m me p riode Supposer un reniement brutal qui serait intervenu apr s la publication des Chants entraine trop d invraisemblances la fois chronologiques psycho logiques et esth tiques Comment alors surmonter la difficult Comment accepter la th se du reniement puisque c est Ducasse qui en parle pourquoi le suspecter mais sans retomber sur des impossibilit s Plusieurs hypoth ses se pr sentent La premi re elle a tent cer tains commentateurs ne consisterait voir dans le reniement annonc par Ducasse qu un simple artifice destin lui permettre de soutirer quelque argent un banquier devenu de plus en plus r ticent sur instructions de M Ducasse p re Mais pourquoi alors se serait il donn la peine d utiliser une part importante de ces fonds faire imprimer un texte de fa ade o il ne se reconnaitrait pas Autre hypoth se il ne s agirait dans les Po sies que d une entreprise subtilement ironique une caricature un passage narquois et per vers par la position adverse une sorte de jeu avec les extr mes qui serait une exp rience de la dialectique des limites ou des limites de la dialectique Il est vrai que dans les ann es o crit Ducasse une pol
433. ue se faisait jour plusieurs reprises dans le chant premier mais nous allons maintenant la voir pleinement l uvre dans l ensemble du chant second Au del de la contradiction purement th matique qui oppose sur fond de probl matique m taphysique et morale le bien au mal la dialectique de la ressemblance et de la diff rence se traduit tr s sim plement sous forme figurale par l apparition du miroir dans la nar ration Maldoror se pr sentait d j au lecteur comme le reflet non censur des r alit s cach es de la nature humaine l o l homme cherchait au contraire entretenir de soi une image partielle dont il ne voulait retenir ou peu pr s que les aspects les plus flatteurs ou les plus dignes sanctionn s par son orgueil On peut ce titre par ler sans exces d un narcissisme qui dans le proc s de sa sp culation occulte pour le forclore ce qu il ne saurait voir de lui m me c est dire le mal Maldoror est l pour solliciter tout cet aveuglement int ress pour r v ler aux yeux de l humanit violent e par le spec tacle de ses propres vices ce que le regard qu elle porte sur elle m me se refuse toujours voir Maldoror est ainsi le n gatif sp cu laire de l homme son fr re reni Ennemi de l homme Maldoror devient en un sens profond ment baudelairien son semblable le plus exact c est au c ur d Abel que Cain r side Toute la dialectique de Maldoror repose donc sur l ostention insistan
434. ues qui prennent en charge l effet de dis tanciation permettant de d guiser le discours moral tout en le fai sant passer dans la strophe pr c dente c tait le discours lui m me qui tait d doubl comme si deux voix s en saisissaient tour tour Une seule voix parle mais elle dialogue avec elle m me Cas rarissisme celui qui dit je ici est nettement diff renci de Mal doror comme cela ne se produit que dans quelques pisodes narra tifs Il faut galement noter que cette voix off hors r cit se charge galement de l ex g se et de l interpr tation des symboles par exemple en nous r v lant le sens des embl mes dont est rev tu le THIQUE ET FICTION 153 pr tre des religions ou en nous informant de ce que le cava lier qui passe l horizon n est autre que Maldoror Ducasse parait ainsi percer sous Lautr amont un peu plus qu il ne l avait fait jusque l et nous sentons la proximit du virage du sixi me chant o Lautr amont interviendra directement en tant qu auteur d clar en se diff renciant de son h ros le virage du roman aura alors t pris dernier avatar de la m thode avant le coup de th tre des Po sies Mais nous ne sommes pas encore dans le roman nous restons bel et bien dans l apologue et m me le plus traditionnel par un aspect au moins puisqu il s agit d une m ditation sur la mort et sa signification l occasion d un e
435. ui ne paraitra peut tre pas assez naturelle en ce sens qu elle surprend pour ainsi dire le lecteur qui ne voit pas tr s bien o l on veut d abord le conduire mais ce sentiment de remarquable stup fac tion auquel on doit g n ralement chercher soustraire ceux qui pas sent leur temps lire des livres ou brochures j ai fait tous les efforts pour le produire Par vagues successives la voix du simulacre d auteur dispose alors sur la ligne du texte des fragments qui en d voilent et en d noncent les manipulations cach es D s le premier chapitre l auteur intervient dans cet endroit que ma plume ce v ri table ami qui me sert de comp re vient de rendre myst rieux pour ensuite ne plus cesser de retourner les cartes Ce serait bien peu connaitre sa profession d crivain sensation que de ne pas au moins mettre en avant les restrictives interrogations apr s lesquelles arrive imm diatement la phrase que je suis sur le point de terminer Vous avez reconnu le h ros imaginaire qui depuis un long temps brise par la pression de son individualit ma malheureuse intelligence Quand m me je n aurais aucun v nement de vrai vous faire entendre j inventerais des r cits imagi naires pour les transvaser dans votre cerveau Mais le malade Aghone ne l est pas devenu pour son propre plaisir et la sinc rit de ses rapports s allie merveille avec la cr dulit du lecteur
436. uleur dans les deux par tis deux amis qui cherchent obstin ment se d truire quel drame Les signes ne manquent donc pas qui dans cette strophe nous avertissent des transformations qui affecteront bient t tr s profon d ment toute l conomie de l entreprise de Ducasse et surtout sa tactique d crivain qui se d prendra de trucs qu il finira par trop bien connaitre C est en ce lieu sensible entre tous o se r fl chit le travail de langage que le r cit commence se troubler partir de maintenant les mouvements de la rh torique n iront plus tout fait de soi le langage romantique va perdre de son innocence de sa transparence La rar faction ultime interviendra bien s r dans les Po sies qui tenteront un d nudement de la pens e r duite son squelette logique pour tre enfin utile Ici Ducasse n en est pas encore cette asc se pourtant c est d j de ce c t l qu il vise en laissant s appesantir un soup on sur les ornements de son style Les comparaisons par exemple ne vont plus se fondre comme naturellement au flux de l expos ou du r cit elles vont s amplifier se d tacher d sign es l attention du lecteur Premi re bauche pour tenter de restituer au langage po ti que une authentique rigueur Ainsi dans le cas de la comparaison suivante Le temple antique de Denherah est situ une heure et demie de la rive gauche du Nil Aujourd hui des phalanges innom brables d
437. umentation qui se trouve comprise dans mon th or me nous retrouvons propos de la maxime dans les Po sies cette id e de la possibilit d une tran sitivit du vrai la faveur du d veloppement logique que comporte une maxime assimil e un th or me Ces preuves de la nature morale perverse de l homme ne seront autres que les r cits de ses actions racontant ce que j aurai vu il ne me sera pas difficile sans autre ambition que la v rit de justifier mes am res accusations contre l humanit et contre la Providence Le roman parait donc alors le seul moyen d chapper aux repro ches que valent l auteur ses accusations puisque le roman c est la r alit Nul doute que Lautr amont croie voir l mais est ce le cas de Ducasse un am nagement majeur la m thodologie qu il avait faite sienne en se lan ant dans l entreprise d crire ses Chants sans pour autant nous l avons vu renoncer aux conceptions sp culaires et cathartiques qui la justifient D sormais le syst me qu il a fait sien se trouve tel point transform qu il en devient th orie nou velle et autonome susceptible de susciter son tour des applica tions Esp rant voir promptement un jour ou l autre la cons cration de mes th ories accept es par telle ou telle forme litt raire je crois enfin avoir trouv apr s quelques t tonnements ma for mule d finitive C est la meilleure puisque c est le r
438. un moment fort de son travail et repr sentent une traduction fid le de sa volont un moment pr cis de sa recherche Les Po sies seraient alors pour lui une avanc e d ci sive et tout autre chose qu une esquisse ou une ouverture autre chose qu une pierre d attente Imaginons donc un instant que ces deux livraisons sont des ensembles achev s la forme tudi e et dont tout r pond la stra t gie nouvelle de leur auteur Quel sens faut il alors leur reconnai tre C est en essayant de r soudre l nigme de leur titre que nous pourrons peut tre approcher d une r ponse cette question Po sies gt qu est ce que cela peut bien vouloir dire Notons aussitot que dans la pratique de l poque qui est celle m me de Ducasse dans l une de ses lettres Je prends part les plus belles po sies de Lamartine etc le mot de po sie n avait pas comme aujourd hui le seul sens tr s g n ral d activit po tique mais aussi celui plus troit qui est aujourd hui repris par le terme de po me En ce sens les po sies doivent tre entendues comme une collection de po mes Les Chants taient dans une large mesure un long po me dramatique commenc sous l invoca tion de Dante et de Byron ou de Milton les Po sies sont deux pla quettes dont chaque paragraphe est un po me Pour saisir toute la port e de cet usage de la notion par Ducasse il faut s en rapporter ce qu il
439. une maladie de l intelligence contre laquelle il n est de rem de que la confiance en Dieu Dans les Chants les changes philosophiques se font entre des tres de fic tion mais dans les Po sies Ducasse s adressera visage d couvert ses contemporains Le langage qu il leur tiendra ne diff rera pas de celui que le crapaud tient Maldoror prototype des Grandes LA SOIF DE L INFINI 53 T tes Molles gt lt De quel droit viens tu sur cette terre pour tour ner en d rision ceux qui l habitent pave pourrie ballott e par le scepticisme Montre enfin ton essence divine que tu as cach jusqu ici gt I 13 Dans tout ceci il faut bien en convenir le vampire Maldoror est bien loin de nous offrir en p ture le spectacle nu de sa cruaut selon ce qui avait t promis d abord N a t il pas plut t fait que pr cher le contraire exact de ce qu il doit incarner Il s attache bien s r d un c t nous imposer le reflet de nous m mes qu il pr tend tre orgueilleux sceptique inconstant cruel m chant en un mot Mais il nous montre en m me temps que tout cela vient de plus profond car la m chancet s accompagne d une douleur d une nostalgie instinctive pour son contraire C est dans les abimes de l me humaine qu il faut aller chercher le sens des contradictions de notre conduite il est au fond de chaque existant une insatiable aspiration vers l infini Et cela ce n est ri
440. ur consistance leur paisseur imaginaire d autant plus r elle du point de vue de la litt ra ture et de la philosophie Comme de nombreuses reprises d j le th me du semblable articule ici un aspect de la synth se figurale mise en place par Ducasse Mario et Maldoror se ressemblent Ressemblance exploi t e et traduite de plusieurs mani res D abord par une r inscription dans la forme de nombreux mythes Mario et Maldoror sont des cavaliers fant mes nos chevaux le cou tendu fendaient les membranes de l espace assimilables en d pit de leur nombre aux Cavaliers de l Apocalypse puisqu ils apparaissaient sur la terre au milieu des nuages aux grandes poques de calamit quand une guerre affreuse mena ait de planter son harpon sur la poitrine de deux pays ennemis ou que le chol ra s appr tait lan cer avec sa fronde la pourriture et la mort dans des cit s entieres D autres possibilit s mythiques sont voqu es Pour le p cheur superstitieux ce sont lt les deux fr res myst rieux gt pour lt les plus vieux pilleurs d paves gt ce sont lt le g nie de la terre et le g nie de la mer unis ensemble par une amiti ternelle dont la raret et la gloire ont enfant l tonnement du c ble ind fini des g n rations Cependant au del de ces identifications aux r sonnances tant t bibliques tant t vaguement classiques ou germaniques ce qui fait le caract
441. ur dans le discours en soulignant l essentielle disjonction de l esth tique et du scientifi que Un trou apparait rendant paradoxalement visible la fracture interne du discours et d signant peut tre soudain l insignifiable de la jouissance Rappelons nous pourtant que ce n est pas l ou Ducasse veut en venir De tels fragments de non sens ne remplissent pas eux seuls THIQUE ET FICTION 141 la place laiss e vide par un r cit vanoui ils sont ench ss s 4 la place d un discours qu ils veulent voquer sans l noncer discours qui saurait ce qu est le beau le vrai le bien Il ne s agit pas pour Lautr amont d ouvrir la r serve de plus de jouir qui git dans le signifiant mais d op rer un d montage remontage qui puisse opaci fier la fiction tout en lui faisant servir des fins morales suspendre la foi naive dans le r cit tout en laissant para tre la le on de mani re non didactique Rappelons ce qu il demandait plus haut non pas la cr dulit mais la confiance qui discute l gale ment les myst res po tiques De l l emploi d une autre technique de distanciation plus classi que et dont nous avons d j vu quelques exemples l insistance sur le caract re r el du r cit Si l on doute de ce que je dis que l on vienne moi et je satisferai les plus incr dules par le t moi gnage de bons t moins gt lt il vous tarde de savoir o mon ima gination veut en venir pl
442. ureux purgatoire d un texte qui n esp re que dans la gu rison par l exces et la frustration produite par exemple par l intervention du nar rateur dans le d roulement de l action pour dire Nous ne sommes plus dans la narration H las nous sommes maintenant arri v s dans le r el quant ce qui regarde la tarentule et quoique l on pourrait mettre un point d exclamation la fin de chaque phrase ce n est peut tre pas une raison pour s en dispenser Lautr amont se joue d un certain r gime de l criture et de la lec ture qu il maitrise et m prise la fois Ses admonestations au lec teur insistant comme plusieurs reprises d j dans les strophes pr c dentes sur le caract re de r alit du r cit ont videmment pour effet et pour but de suprendre le contrat pass entre auteur et consommateur ce dernier n tant habitu qu pr ter sa cr dulit et non pas ce que voudrait Lautr amont sa confiance Cette derni re on s en souvient discute l gale ment les myst res po tiques et refuse donc de se laisser prendre au leurre ali nant de la fiction C est bien l exhibition de ce leurre que Lautr amont veut utiliser comme arme anti fiction quand il crit i vous ne voulez pas perdre une parole de ce qu elle l arai gn e va dire faites abstraction des occupations trang res qui obs truent le portique de votre esprit et soyez au moins reconnai
443. urs que tient le crapaud Maldoror se situe dans le droit fil de la fiction m taphysique telle qu elle s est d velopp e jusque l et confirme donc la signification attribu e au personnage dans tout le chant Abandonne ces pens es qui rendent ton coeur vide comme un d sert elles sont plus br lantes que le feu Ton esprit est tellement malade que tu ne t en aperqois pas O triste reste d une intelligente immortelle que Dieu avait cr e avec tant d amour Tu n as engendr que des mal dictions I 13 Mal doror reste ici comme il l avait t auparavant une entit contradic toire et douloureuse d chir e entre les deux aspirations incompati bles de sa nature aspiration vers le bien qui signe son origine divine aspiration vers le mal qui signe sa dimension troitement humaine Le personnage de Maldoror ne fait qu op rer la mise en fiction de ce combat m taphysique et de ses r percussions morales La tradition philosophique dans laquelle s inscrit Ducasse sans aucune ambiguit est celle qui accepte les pr misses du spiritua lisme et donc l essentiel du r cit chr tien pour toujours conclure de mani re apolog tique le discours du bien reste sans r plique et la confiance en Dieu et la vertu y ont toujours le dernier mot Il n est pas indiff rent que ce chant premier se termine par une scene o le langage employ est celui l m me que tiendront les Po sies le mal est un abandon de la raison
444. us avons dit pourquoi le citer pratiquement en entier puisque la tentative ducassienne y cul mine en m me temps que le malentendu Nous ne pouvons nous emp cher aujourd hui encore de succom ber la fascination unique d un texte qui avait tout fait pour nous en d tacher jamais Peut tre est ce l ce que Ducasse sa tr s grande surprise a pu v rifier par lui m me aupr s des amis qui il a fait lire son texte Ce qui lui paraissait tre l ach vement de sa recherche d bouchait tout coup sur sa n gation le succ s attendu se retournait en chec S il en tait ainsi n tait ce pas que la m thode tait mauvaise Ni po sie byronienne ni roman il faudrait d cid ment tout autre chose pour d tacher les hommes de la fiction Pour les d prendre des pi ges du langage et les ramener aux v rit s essentielles il faudrait donc une critique radicale de l thique de la litt rature et une criture radicalement d nud e la solution c est la maxime Conclusion Po sies Les Chants avaient t un long louvoiement textes marqu s d quivoque du fait qu ils dissimulaient trop bien dans les tortueux replis de leur dialectique narrative une le on qui ne devait que se deviner Le chuchotement d une morale d sireuse de ne pas tre trop t t surprise avait t trop ais ment recouvert par le vacarme des r cits auxquels elle devait en principe donner sens Texte h si tant entre le oui et le non
445. usseraient infailliblement sur les commissures fendues de ses l vres inassouvies Tout en invitant le lecteur venir le retrouver pourvu qu il n ait pas plus de quinze ans Maldoror met l accent sur ce que son vice entraine le vieillissement pr coce quoique mes cheveux soient devenus blancs comme la neige ce n est pas cause de la vieillesse c est au contraire pour le motif que vous savez D autre part Maldoror ne manque pas de rappeler qu il lui coule de la bouche une salive saum tre tout en invitant le lecteur venir la lui sucer avant de lui rappeler son habitude de boire la gorge le sang de ceux qui se couchent c t de lui Son diagnostic les organes affaiblis par le vice se refu sent l accomplissement des fonctions de la nutrition Allant tou jours plus loin dans les cons quences que Maldoror d crit comme attach es la pratique de la p d rastie nous apprenons qu il a assassin il n y a pas longtemps un p d raste qui ne se pr tait pas suffisamment sa passion Aussi pouvons nous le croire ETHIQUE ET FICTION 151 lorsqu il se propose comme lt sujet de m ditatives r flexions les cons quences funestes qu entraine d apr s lui l inexplicable talis man enchanteur que la Providence lui accorda D gradation maladies incurables guerre et massacres telles sont les cons quences de la p d rastie ainsi que Maldoror lui m me les n
446. ussit t apres la tombe De l homme tel qu il est il n y a d cid ment rien attendre de bon Comment mieux d sesp rer le lecteur Par un effet de balancier l espoir revient timidement gr ce la strophe qui suit par ce qu elle ajoute au portrait de Maldoror Auto portrait dans le miroir d ailleurs puisque c est par ce biais sp culaire que Ducasse choisit cette fois de revenir sur ce qu il appelle souvent le caract re de son h ros Il s agit la fois d un 124 LAUTR AMONT lt truc gt et d un proces qui s inscrit naturellement dans la dialecti que du semblable largement utilis e par ailleurs Dans cette stro phe Maldoror d crit une ombre une fantasmagorique pro jection qu il aper oit sur le mur de sa chambre Naturelle ment il d couvrira la fin de la strophe que cette ombre n est autre que son propre reflet Ce n est pas la premi re fois que le cauchemar de la perte momentan e de la m moire tablit sa demeure dans mon imagination quand par les inflexibles lois de l optique il m arrive d tre plac devant la m connaissance de ma propre image gt On peut beaucoup gloser sur cette sc ne puisque les th mes du miroir du reflet de la m moire etc s y pr tent ais ment notre sens cependant il ne faut pas voir dans cette mise en sc ne beau coup plus qu un artifice sa r v lation dans la derni re phrase en souligne la nature un peu laborieuse
447. ut tre nous est il vraiment et d finitivement impossible de comprendre ce que la pr face voulait dire Inversement rien ne nous emp che d essayer de comprendre malgr tout en prenant le texte pour le questionner sur ses partages ses lignes de force ses polarit s ses horizons en un mot reconstruire sa strat gie jus que dans ses m andres 170 LAUTR AMONT C est un tel m andre qui d tourne d ailleurs tout coup notre attention d j par e pour le roman il nous faut d abord passer par une sorte de sous pr face parenth se ou pas qui para t avoir pour but de ramener graduellement le texte des hautes sph res de la sp culation m taphysico scientifique au sujet plus imm diat que le roman va nous offrir Des grands principes et des axiomes nous passons aux contingences d un r cit particulier claircissements pr alables sur la nature du h ros indications d ensemble sur le style C est autrement dit le retour Maldoror Br ve transition avec ce sixi me chant commence dit l auteur la s rie des po mes instructifs qu il me tarde de produire Dramatiques pisodes d une implacable utilit L accent mis sur la valeur p dagogique de l entreprise ne fait que confirmer la continuit qui lie ce chant au pr c dent mais le fait de parler de po mes tend au contraire obscurcir toute la ques tion Il devait s agir d une s rie de romans et nous voil ramen s
448. ute fiction gr ce une critique radicale du langage en tant que tel Alors les figurations perdront leur emploi et celle qu il nous offre dans ce chapitre d un Maldoror rendu borgne par l effet en retour de sa cruaut sera donc la derni re des m tamorphoses narratives de cet tre tout entier fait de m taphysique Nombreux sont les carrefours qui m nent d j vers les Po sies tout en entretenant la trame morale de la dialectique des chants pr c dents Ainsi de l id e du devoir imp ratif auquel nous avons d j vu confront s bien des adolescents de ce r cit Ici c est le pere d Aghone son tour qui en prouve la g ne Il conservait un secret ressentiment contre l id e du devoir qui l emp chait de se con duire sa guise La promotion du devoir prendra en effet une grande place dans les Po sies et on ne peut que souligner ici une fois de plus la technique par laquelle Ducasse amene par les hasards du r cit ceux qui se sont laiss aller au mal devenir des exemples vivants des cons quences dramatiques de leur faiblesse le menuisier tue provoque la mort de ses filles et cause la folie de son fils Tout ceci venant son tour prendre place dans la dialectique constitutive du personnage de Maldoror qui approuve dans son int rieur ce nouvel exemple apport l appui de ses d go tantes th ories Comme si cause d un homme jadis pris de vin l on tait en droit d accuser l enti re huma
449. uv e au spectacle de la mort de l autre se convertit en jouissance en une extase dont l expression prend des accents de lyrisme sadien O ciel comment peut on vivre apr s avoir prouv tant de volup t s Il venait de m tre donn d tre t moin des agonies de mort de plusieurs de mes semblables La port e rh torique du m canisme de subversion est elle m me soulign e quand la figure de la compa raison subit une mise en fiction pour devenir un moment du r cit lt Je m enfongais dans la joue la pointe aigu d un fer et je pensais secr tement Ils souffrent davantage J avais au moins ainsi un terme de comparaison Moins spectaculaire mais non moins fortement int gr s la stro phe et la strat gie textuelle des fragments citationnels apparais sent ici et l qui ont pour fonction de contribuer mettre l v ne ment du naufrage distance et souligner ainsi sans quivoque le tra vail que subit la sc ne en tant qu artefact strictement litt raire autre fa on de rappeler le lecteur sa t che analytique et son devoir de sang froid Quelques exemples J tais rassasi de tou jours tuer Il paule son fusil et avec son adresse habituelle il loge sa deuxi me balle dans l ouie d un des requins Maldoror LA MAXIME ET LE R CIT 89 nage en tenant la main ce couteau d acier qui ne l abandonne jamais quant la femelle du requin elle ne sera qualifi e
450. ux Le p lican parait n tre l que pour avertir les voyageurs humains de faire attention son exemple et de pr server leur sort de l amour des magiciennes sombres Comme toujours cependant le la on n est pas sans un puissant effet de distanciation pour toucher simultan ment l enthousiasme et la froideur de la raison Le meilleur moyen d effectuer cette mise distance outre la transposition dans une animalit de convention consiste concentrer l attention sur les proc d s d criture eux m mes en multipliant les effets d estrangement Le proc d le plus simple que nous avons d j vu l uvre un bon nombre de fois consiste subsituer un terme sa d finition analytique non sans que ce terme soit souvent lui m me apparemment tout fait d plac dans le contexte o il est forc d entrer je le voyais main tenant l homme l enc phale d pourvu de protub rance annu laire gt lt j avais d j remarqu ce bec tr s long large convexe en vo te ar te marqu e onguicul e renfl e et tr s crochu son extr mit etc En transposant la th matique romantique renvers e dans une typologie discursive qui lui est parfaitement trang re Lautr a mont effectue un brouillage qui affecte tout le texte dans sa dimen 140 LAUTR AMONT sion de fiction en g n ral Deux registres se m lent inextricable ment celui de la po tique et celui de la science Du c t
451. vail Ducasse ne l abandonne au profit d un pur moralisme ou au contraire d un pur plaisir de narrer Seules exceptions les strophes d introduction et de conclusion qui ont dans chaque chant une fonction de commentaire et d claircisse ment programmatique parfois cryptique il faut en convenir Nous l avons vu dans le pr c dent chapitre en commentant la premi re strophe du chant second pour y trouver une r gle de lecture r troac tive applicable au d chiffrement du chant premier La seconde stro phe ob it elle aussi en partie ce m canisme mais son r le de char ni re lui donne en outre une signification particuli re Son r le premier est en effet d annoncer la prise en charge du r cit par le h ros en personne Tout le chant l exception des stro phes 6 et 11 sera sign de Maldoror lui m me Encore ces exceptions s expliquent elles par leur fonction de focalisation morale ce que Maldoror personnage m chant ne saurait vi demment assumer Cela r clame l intervention d une autre voix la prise de parole d un auteur anonyme omniscient repr sentant une m moire porteuse d explications et de justifications quoi sajoute une fonction normative par rapport aux axiomes de laquelle le comportement de Maldoror peut tre valu et jug Maldoror crivain devenu son propre m morialiste Je saisis la plume qui va construire le deuxi me chant Instrument arrach aux ailes de quelque
452. veaux enlev s repa raissent la longue chez les animaux ou mieux lorsqu un rai sonnement fait intervenir des consid rations comme celle ci d ta ch e hors contexte quand m me on n aurait tudi la loi des probabilit s que sous le rapport des math matiques or on sait que l analogie transporte facilement l application de cette loi dans les autres domaines de l intelligence etc gt Le souci de l analyse bouleverse tout naturellement le syst me de la rh torique la phrase pour s auto analyser a besoin d outils logiques tout comme la v rit ou la r alit pour se d crire ont besoin d un langage exact De plus en plus ce vers quoi tendra donc la recherche de Ducasse ce sera l laboration d un style o la logique aurait pris la place de la grammaire o le lexique po ti que de la tradition litt raire aurait t remplac par le lexique scientifique des sciences de la nature Ce n est pas par hasard que nous voyons un tel langage peu peu envahir les Chants il n y sera bient t plus admis que des termes de chimie de physique de g om trie etc et les plagiats qui apparaitront bient t extraits du livre du Dr Chenu par exemple repr senteront le point extr me de cette volution L explication des m tapbores Il est cependant un probl me pos par le style et dont la solution 13 Analyse et synth se sont deux termes favoris de la philosophie r cemment remis
453. vent tent s de le croire il s agissait d j d une tentative de g n ralisa tion de port e m taphysique m me si l on peut concevoir qu elle fasse allusion des liens par ailleurs bien r els entre Dazet et Ducasse Le nom m me de Dazet ne figure dans la premi re version du chant premier que comme un signe de fiction parmi d autres au m me titre que le nom de Maldoror Tous les deux sont les personnages d un drame dont Ducasse et Dazet personnages historiques ont pu r p ter par anticipation les principales p rip ties sans que celles ci aient d devenir les mod les r els dont s inspirerait la fiction ult rieure Ducasse n a par la suite effac le nom de Dazet que pour mieux int grer la strophe la trame qu il avait continu de tisser et non pour dissimuler des rapports d une trop grande intimit Effet de r troaction d l ach vement des quatre autres chants La transfor mation de Dazet en crapaud r pond en particulier l affirmation d une isotopie dont la domination va croissant travers les Chants celle de l animalit Ducasse trouve tout naturellement dans l voca tion de figures zoomorphes la ressource d une rh torique dont le fon dement philosophique n est que le refus d une exaltation aveugle des qualit s purement humaines de l homme 52 LAUTR AMONT Les traces biographiques subsistantes apr s le travail de restruc turation que vous venons d voquer sont devenues f
454. vient une chose difficile Le sang monte quelquefois la t te quand on s applique tirer du n ant une derni re com te avec une nouvelle race d esprits L intelligence trop remu e de fond en com ble se retire comme un vaincu et peut tomber une fois dans la vie 106 LAUTR AMONT dans les garements dont vous avez t t moins La voix qui tire ainsi la le on de l apologue reste anonyme Disons du moins que m me s il s agissait de celle de Lautr amont les mots pourraient appartenir Ducasse comme les Po sies le con firmeront Ainsi pour une lecture attentive essayant de compren dre les relations entre les deux grands textes il ne saurait y avoir de doute en reprenant les oripeaux romantiques c est une le on de force et d optimisme que Ducasse s attache faire passer Quand il pervertit avec m thode le langage des romantiques c est leur mythologie n faste qu il d construit et il ne faut pas s tonner que pour contrer cette loquence creuse dont il a si bien compris les m canismes purement verbaux il propose de plus en plus un lan gage non d pourvu d abord d tranget Langage de la rigueur morale et surtout langage de la science un retour la raison l exercice cr atif de la pens e devra n cessairement passer par une r volution au niveau de la rh torique Pour l heure Ducasse semploie gauchir le langage qu il attaque mais surtout encore au niveau de la d clamation C est ains
455. vraisemblable que les unit s interm diaires les diff rents chants ont t compos s dans l ordre ou ils se pr sentent dans le volume De la m me mani re la position finale de la strophe qui nous int resse porte en elle m me un poids de signification suffisamment important pour supposer sans trop de risque que si nous l y trouvons ce n est pas par hasard Notons d abord les traits qui anticipent sur le d veloppement romanesque qui formera le dernier chant Ces traits ne sont rep rables qu au niveau du style au niveau des mots beaucoup plus attentifs que dans les strophes pr c dentes planter un d cor le mot sera d ailleurs utilis dans la derni re phrase dont les con notations seront syst matiquement exploit es pour construire un cadre de r f rence typique d un certain roman effets de l poque Ainsi toute la sc ne prend place en un seul lieu une chambre dont nous apprenons qu elle poss de un parquet de saphir sur lequel repose le lit de Maldoror lt lit de satin gt aux lt pieds d b ne gt Une fois couch Il s enveloppe majestueusement dans les replis de la soie d daigne d entrelacer les glands d or de ses rideaux et appuyant les boucles ondul es de ses longs cheveux noirs sur les franges du coussin de velours gt il attend le retour de sa torture Une fois celle ci termin e Il va r chauffer sa peau glac e aux tisons rallum s de la chemin e gothique il ch
456. x s entendit qui disait Eloa Et l Ange apparaissant r pondit Me voil Hormis ce point de d part commun il faut cependant dire que les deux textes diff rent radicalement mais de telle sorte qu il est possi ble de tenter d interpr ter le sens du d tournement op r par Ducasse Tout d abord alors que chez Vigny Eloa est une ange l ange lampe des Chants reste au masculin Ceci peut s expliquer par l opposition qui se marque ensuite entre les deux textes chez Vigny Eloa sera tent e et s duite par Satan chez Ducasse 1l s agit d un combat auquel l ange d fi est provoqu par Maldoror Notons LA MAXIME ET LE R CIT 83 encore que l o chez Vigny Eloa reste sans recours prisonni re de Satan l ange parvient chez Lautr amont chapper l treinte mortelle de Maldoror Pourquoi une telle r criture Comprenons en la port e critique Ducasse parait avoir voulu opposer au pessi misme de Vigny qui permet le triomphe du Mal l chec de celui ci incarn par Maldoror d faire le Bien l ange monte vers les hauteurs sereines du bien tandis que Maldoror descend vers les abimes vertigineux du mal Le bien et le mal restent pour Ducasse irr ductibles l un l autre ce qui n emp che qu il y ait entre eux la complicit que l on sait rappel e dans cette strophe Ce regard les noua d une amiti ter nelle Mais Maldoror pers v re avant tout dans son r le de
457. x souvent tir s des limbes et parfois honor s d un culte fr n tique M moire hallu cin e dont le temple se peuple l appel des m diums Franchie l tape de la s cession fond e sur le refus des h ritages propos s tout tait possible sanctionn par la jouissance am re des d couvertes solitaires Quand il eut franchi le pont les fant mes vinrent sa rencontre dit Murnau l un des plus beaux de ces fant mes se devait d tre un vampire le Lautr a mont fantastique d couvert ou r veill par Breton La transe surr aliste donnait ainsi consistance aux ondes de son moi Tout y tait l horreur le sacril ge le blasph me le sang des r ves l rotisme et la cruaut le sarcasme et l amour crucifiant Monstre orphelin que ne pouvait qu accueillir le groupe en rup ture de traditions avide de cautionner sa r alit d une fiction Baudelaire adressait bien des pri res Poe Breton bloui croit Lautr amont comme au proph te oubli Il faut noter que l habitude de lui adresser des hymnes ne s est d ailleurs pas per due avec l occultation du surr alisme et ses successeurs infid les de Tel Quel entre autres auront au moins pr serv cet article de la foi suivis en cela par toute une critique maldororienne en mal de frissons trangement fr n tique digne de peupler le cabanon de Prom th e N est ce pas pourtant Ducasse qui disait Le principe des cultes est l orgueil
458. ypse au bestiaire Sous toutes les formes qu assument les personae quelque chose de l homme est touch travaill attaqu quelque chose car il ne s agit pas de repr sentation L homme ne peut s atteindre en aucune figure d finie ou d finitive car il est la travers e polymorphe d un spectre qui va du bien au mal du min ral l animal de l animal au divin Il apparait et disparait toujours mal traduit par des avatars comme une force qui oscille au cours d une lutte et qui ne s immobi lise jamais Constamment d chir tourment l homme la nature jamais instable tient de l ellipse de la parabole de la courbe au d veloppement hasardeux Le r cit lui m me dans sa rh torique privil gie ces figures et les r ifie y puisant les ressources d un style tant t hyperbolique tan t t elliptique Il peut aussi les incarner dans un spectacle com tes dans le ciel figures excentr es des trajectoires que font les corps voyageant dans l espace entre la vie et leur mort Textes la limite pour un sujet qui n est que passage entre des limites contradictoires toujours d plac es lui m me toujours renaissant et sans cesse au bord de l vanouissement Nous ne faisons que redire ici apr s Ducasse ce que lui sugg rent les mod les de l loquence classique dont il se souvient non sans ironie Il les renouvelle sa mani re quand par exemple il fait dire Maldoror contemplant les vagues de l oc an peine

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