Avant-propos Pierre-Yves Macé (p. 5-9)
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1. Annonc e par le titre la notion de paysage parcourt le livre la mani re d un fil rouge ce sont bien s r les paysages sonores et musicaux de John Cage avec ses maginary Landscape ou de Luc Ferrari avec son Presque rien n 1 mais ce sont galement les paysages sans cesse mouvants qui esquissent une double sociologie de la musique d un c t les logiques de r seaux affini taires d appartenances claniques et Les jeux d inclusion exclusion qui ordonnent la cr ation musicale de l autre c t la caisse de r sonance des pratiques d coute index es aux h g monies aux obsolescences et aux r surgences des diff rents appareils et supports L histoire d une tradition musicale se tisse au gr du va et vient entre ces deux p les cet gard le dernier chapitre du livre Supprimez les disques du Texas mesure quel point le chemin parcouru entre la quasi absence d enregistrements au cours des ann es 1960 et leur omnipr sence aujourd hui boule verse la connaissance de ces musiques S il se garde bien d non cer des pr dictions oraculaires l auteur nous montre comme ce paysage volue encore sous nos yeux jusqu peut tre rendre obsol tes les cat gories partir desquelles nous pensons le ph nom ne de l enregistrement2. mais les uvres et Les pratiques musicales elles m mes qui r sistent l enregis trement Le disque fixe une ex cution donn e l o ces musiques entendent en ouvrir ind finiment les possibles Le disque impose une dur e arbitraire diff rente selon les supports que l uvre peut se plaire largement exc der le disque ne retient que le ph nom ne sonore l o la dimension visuelle sc nique concep tuelle est parfois consubstantielle la proposition artistique E pourtant c est gr ce au disque ou plus g n riquement la technique phonographique que toutes ces musiques ont pu se diss miner toucher une nouvelle g n ration de musiciens e constituer une lign e d influences Figure centrale de la musique exp rimentale de ces ann es John Cage incarne lui seul ce paradoxe s il a compos des uvres ind termin es qui entenden d jouer la fixation propre l dition sur disque il n en a pas moins r alis des disques qui prennent tout fait au s rieux Les possibi lit s cr atrices de la phonographie des disques qui peuvent tre pris juste titre comme des uvres part enti re L auteur n est pas arriv par hasard ce terrain d investiga ion Professeur au conservatoire de musique du Brooklyn College depuis 2005 David Grubbs est avant tout connu comme musicien d abord guitariste et songwriter dans des groupes de post punk Squirrel Bait Bastro puis performeur et compositeur dans des cont
3. AVANT PROPOS Pierre Yves Mac Les Disques g chent le paysage D pouill de son ironie ce titre aurait pu annoncer un essai pol mique ou un pamphlet manifeste reprenant son compte les id es de John Cage la formule est de lui de Cornelius Cardew ou d autres pourfendeurs du disque Un livre qui tentant d sesp r ment d en finir avec l h g monie de la musique enregistr e aurait critiqu l artificialit de la musique en conserve et pr n un franc retour l ex cution vivante Si les pages qui suivent relaient de facto ces discours n gatifs l gard de l enregistrement sonore c est pour mieux les mettre en contexte les critiquer et en pointer les contradictions Les Disques g chent le paysage est l inverse exact d un manifeste c est un livre qui d construit et interroge le p ch originel de l enregistrement sonore g cher le paysage c est dire faire cran la perception pr tendument authentique de la musique du sonore et du monde Assur ment cette appr ciation n gative de l enregistrement ne date pas d hier elle n est que le prolongement naturel d une m fiance imm moriale pour tout ce qui touche l image au simulacre ou l artifice Elle puise sans doute dans le fonds m taphysique qui a fait l objet des critiques de Jacques Derrida le fantasme de la pr sence pleine qui c l bre la parole et condamne la lettre morte de l criture Depuis son invention offic
4. extes marqu s par l exp rimentation l improvisation et l usage de l lectronique Rest fid le au pr cepte fondamental de l esth ique punk si tu veux le faire fais le David Grubbs s est orm en autodidacte par l coute de disques lectifs et Les rencon res avec d autres musiciens Son uvre se nourrit abondamment de collaborations depuis le tr s influent duo Gastr Del Sol avec Jim O Rourke jusqu au trio r cent avec Andrea Belfi et Stefano Pilia en passant par la longue et fructueuse association avec la po tesse Susan Howe trois disques dit s ce jour Inform par une documentation exhaustive m lant ouvrages de r f rence articles acad miques comptes rendus de naviga tions en ligne et entretiens avec des acteurs majeurs de la musique exp rimentale Les Disques g chent le paysage peut se lire tout autant comme un travail universitaire portant sur une p riode cruciale de l histoire de la musique au sujet de laquelle la bibliographie en langue fran aise reste aujourd hui encore assez mince que comme le t moignage passionnant d un auditeur musicien sur son rapport ce qu il faut bien appeler non sans paradoxe la tradition de la musique d avant garde Loin toutefois de relever de l anecdote cette dimension subjective du pr sent texte est appel e par son sujet d tude L un des effets majeurs de l enregistrement a t en effet de pointer vers une figure jusqu alors absente des discour
5. ielle en 1877 la phonographie n a jamais manqu de d trac teurs tant du c t des syndicats de musiciens inquiets de leur progressif remplacement par des haut parleurs que du c t des d plorateurs de la culture de masse et des critiques de la soci t de consommation Soucieux de la perp tuation d une tradition musicale n e bien avant l invention de cette technique le monde de la musique savante n a pas su voir son potentiel artistique et l a rel gu e au rang de succ dan forc ment imparfait de l ex cution en concert Au mieux le disque permettait la plus large diss mination et la d mocratisation des canons du r pertoire Ce sont la musique concr te et les musiques populaires n es au moment de l industrialisation et en partie gr ce celle ci qui ont su les premi res mobiliser la technique phonographique des fins v ritablement productrices Le rock a mis au jour une nouvelle praxis musicale bas e non tant sur la performance instrumentale au sens classique que sur le jeu des possibilit s offertes par le studio d enregistrement Les Disques g chent le paysage place ces questions relatives la phonographie dans un contexte bien particulier qui en renou velle la pertinence les ann es 1960 aux tats Unis et en Angleterre c est dire Le berceau de ce que l on a coutume de nommer la suite de Michael Nyman la musique exp rimentale Dans ce contexte ce ne sont pas seulement les discours
6. la proposition et dire que c est l la force essentielle du disque qu on en fasse quelque chose Car cette question des usages disqualifie d embl e le reproche principal que ces musiciens m mes adressent la musique enregistr e de condamner l coute l ternel retour du m me Aussi fix e soit elle dans les sillons d un 33 tours aucune musique n est fig e au plan de sa r ception elle donnera toujours lieu des coutes divergentes et dissensuelles parfois chez le m me individu qui Leur tour produiront des r ponses commentaires discours musicologiques o nouvelles uvres musicales L alt ration du m me est sans limite On peut aller jusqu avancer que cette musique qui n tait pas con ue pour le disque devient fatale ment autre d s lors qu elle consent se fixer sur support Pour une musique qui se pense comme processus pour reprendre la terminologie de John Cage le passage l objet n est pas sans provoquer un saut ontologique C est l un probl me qui se pose de mani re particuli rement aigu dans le cas de la musique improvis e musique qui se r ve pure pratique sans uvre et sans auteur mais qui doit soudainement d limiter des morceaux leur inventer des titres et leur assigner des auteurs d s lors qu elle accepte de jouer le jeu de l dition discographique Aussi l tude men e par David Grubbs est elle r solument enracin e dans une esth tique de la r ception a
7. s sur la musique l auditeur Les Disques g chent le paysage met l auditeur au premier plan des fluctuations qui affectent la tradition exp rimentale au m me titre que tout autre courant musical d s lors qu elle se transmet par la voie de l enregistrement C est un fait irr futable l artiste qui r alise un disque doit accepter a t il le choix une certaine d prise par rapport son uvre l ne sera pas aupr s de chaque auditeur pour contr ler la mani re dont sa musique sera cout e augmenter ou baisser le volume replacer les enceintes dans une position ad quate Mise la disposition d un auditoire ind fini diss min dans le temps et l espace son uvre pourra donner lieu des malentendus au propre comme au figur ou des appropriations diverses montage cut up Certains artistes effray s d avance par la mani re dont ce on ind fini sera capable d couter leur musique ont pu prendre le soin sans doute bien inutile d adjoindre leur disque une sorte de mode d emploi ou de mise en garde dont les pages qui suivent recensent quelques sp cimens Le groupe de musique improvis e britannique AMM s est rendu sp cialiste de ce genre d nonc injonctif allant jusqu d conseiller l auditeur l coute r p t e de ses disques Pour John Cage r sume Grubbs dans le troisi me chapitre du livre le probl me essentiel avec les disques c est ce qu on en fait On pourrait renverser
8. ux antipodes d une musicologie qui bien trop souvent se contente de restituer l intention du compositeur sa poiesis pour reprendre le terme propos par Jean Jacques Nattiez sans prendre en compte l exp rience sensible que propose l uvre son aisthesis Prendre l enregistrement et non plus la partition si partition ily a comme point de d part de l analyse comme nous y invite Grubbs dans des pages descriptives particuli rement inspir es c est mettre une certaine distance les intentions et les discours qui ont pr sid la cr ation de l uvre Celle ci devient momentan ment pur objet du sentir qui est la racine tymologique de la notion d esth tique L analyse est alors d un ordre quasi ph nom nologique elle traque les indices annote les r currences ou les anomalies intercepte les traits saillants les punctum qu elle prend garde ne pas transformer en f tiches Elle mobilise chez Le commenta eur un savoir multiple litt raire artistique technique pragma ique comment ne pas lire travers la description d un mixage de disque d AMM ou de John Cage la propre exp rience de David Grubbs en tant que musicien confront aux techniques d enregis rement Et surtout elle consent ce que la certitude positive du discours scientifique se l zarde d hypoth ses et conjectures ravaill es dans la langue par les modalisateurs pist miques peut tre sans doute il semble que
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