De la textualité numérique : l`hypertexte et la “ fin ” du livre
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1. es font galement leur apparition Le lecteur a d s lors le droit d oublier les d tails de ce qu il a lu plus t t car il sait pouvoir les retrouver rapidement Il peut donc aussi se contenter d cr mer les seuls aspects du livre qui l int ressent et d ve lopper des strat gies de lecture extensive Avec l apparition du journal et de la presse grand tirage la lecture se tabularise encore davantage et permet l apparition de nouveaux types de discours Sous cette forme le dis cours journalistique chappe d finitivement la lin arit originelle de la parole pour se pr senter sous la forme de blocs visuels qui se r pondent et se compl tent sur la surface chatoyante de la page McLuhan mettra un nom sur la m taphore implicite cet arran 4 Voir mon article intitul Sur l avenir du livre lin arit tabularit et hypertextualit gement textuel contribuant en acc l rer la dominance c est celle du texte mosa que Car c est bien devant une mosa que que se trouve le lecteur du journal avec tout ce que ce terme implique de s duction visuelle et la lecture des diff rentes informations pr sen t es est influenc e subtilement par les nouvelles environnantes Comme le font remar quer Mouillaud et T tu 1989 sp cialistes de la presse Depuis environ un si cle le journal est compos de telle sorte qu une information pourtant mise plat sur la page acquiert un relief du seul fait de sa2. sente ce que l on aurait en main si l on imprimai it le contenu de l cran sur papier L hypertexte ayant d abord t pens sous le mode d une rupture radicale avec le monde du livre il a fallu plusieurs ann es au monde informatique avant que celui ci accepte de transposer la notion de page cette r alit On a d abord parl de stacks en jargon d informaticien puis le terme hypercartes a tendu s imposer la suite du logiciel d criture hypertexte qui porte le m me nom Certains auteurs d hyperfiction tel Stuart Moulthrop parlent encore de spaces tandis que Landow a repris de Barthes le terme de lexies pour d signer une unit textuelle d analyse On a aussi parl de page cran afin de ne pas cr er de confusion avec la page imprim e Mais avec la popularit du Web et en d pit de la r sistance des informaticiens et des pionniers de l hypertexte voir l article de Kalmbach il semble bien que l on ait d finiti vement naturalis dans le monde num rique le terme de page qui depuis l invention du codex d signe l unit textuelle de base unit ultime de contenu aussi bien que de navi gation et seul point relativement fixe adresse plus ou moins stable d un monde mi nemment mobile Une autre constatation c est que la page virtuelle est en train de se doter des caract ris tiques tabulaires de l imprim Loin d tre limit e une unit textuelle minimale la page Web cherche
3. New York Ottawa To ronto Legas 1996 18 R sum Prenant de front les conceptions courantes qui opposent l hypertexte au livre de la m me fa on que le non lin aire s opposerait au lin aire cet article propose de consid rer le livre comme un dispositif tabulaire dont la probl matique h rit e du codex et pr cieuse au lecteur travaille activement la structure de l hypertexte et est d ailleurs en train de le transformer sous nos yeux dans les textes d pos s depuis peu sur l hypertoile En m me temps on peut pr voir que l av nement de l hypertexte va d placer l int rieur du champ culturel les fonctions du livre et de la lecture mais il ne va certainement pas les faire dispara tre En fait ce nouveau mode de pr sentation des informations que le Web rend de plus en plus pr sent dans notre vie quotidienne devrait largir la fa on dont on con oit le r le et la fonction du lecteur Il devrait aussi faire appara tre de nouvelles for mes de textualit davantage organis es en fonction des dimensions spatiale et visuelle En m me temps l hypertexte obligera relancer sur de nouvelles pistes la r flexion me n e en th orie litt raire sur le fragment et la cl ture du texte Christian Vandendorpe est professeur au d partement des Lettres fran aises de l Uni versit d Ottawa et directeur du Centre d criture de la Facult des arts Ses champs de recherche touchent la th orie de la l
4. arit du texte n a jamais t plus fortement ressentie que lorsqu on a entrepris de faire d filer celui ci l int rieur d une fen tre d ordinateur Il est d ailleurs significatif que lors de l invention du CD ROM invention qui ouvrait des perspectives nouvelles et fabuleuses la gestion de documents sur ordinateur le livre qui a rendu 3 Sur le sens particulier que je donne ce concept de contexte le lecteur int ress pourra se repor ter l article que j ai consacr cette question en 1991 compte de la grande conf rence organis e par Microsoft sur cette technologie ait t inti tul CD Rom The new papyrus Lambert 1986 Or faut il le rappeler le papyrus se ca ract rise par sa disposition en rouleau et l absence de rep re paginal S il est vrai que la m taphore du papyrus tait justifi e par le recours informatique des fen tres d file ment qui rappellent le format du rouleau de papyrus il faut reconna tre aussi que cette fa on de manipuler le texte constitue en fait une r gression un format d pass depuis plus de 1500 ans En effet toute l histoire du livre a justement consist travailler l espace du texte et de l criture de fa on faire chapper le lecteur la lin arit de la parole qui se d roule dans le temps Un bond essentiel a t franchi lorsqu on est pass du papyrus au codex partir du moment o est apparu le potentiel de cette un
5. des pages sont co pr sentes la conscience du lecteur Comment garder l attention du lecteur dans de telles conditions Sans doute faut il relire McLuhan et consid rer qu un nouveau medium va correspondre un nouveau type d criture D embl e il semble que la forme de l hypertexte soit incompatible avec le roman dans la mesure o celui ci vise pr cis ment cr er dans l esprit du lecteur une sorte de r seau hypertextuel en jouant sur un fil s quentiel contraignant Nombre de romans contempo rains jouent sur l alternance de plusieurs instances narratives ou sont construits de fa on faire revenir p riodiquement des l ments et des lieux d termin s Proust concevait son uvre comme une cath drale celle ci est comme on sait un espace trois dimen sions o tous les l ments sont organiquement reli s et se r pondent dans des symbo lismes complexes Pour sa part Claude Simon 1993 raconte comment il s est servi de rep res de couleur pour ordonner une s rie de tableaux narratifs dans La route des Flan dres afin de produire dans la lecture de son roman un effet de p riodicit De tels effets seraient d truits par un acc s al atoire aux divers tableaux de la m me fa on qu une suite de Bach risquerait de perdre l essentiel de sa beaut si elle tait d bit e en s quen ces de quelques notes cout es au hasard ou au gr de clics de souris Un tableau ne se r sume pas davantage quelques
6. eux par des liens qui permettent de faire appara tre les informations sur l cran du lecteur dans un ordre qui n est pas n cessairement pr d fini par l auteur ou les auteurs En outre un m me fichier peut contenir des ancres permet tant au lecteur de se rendre divers points du texte ou de faire appara tre dans une ou plusieurs fen tres distinctes des donn es situ es divers endroits du document En ce sens on peut voir l hypertexte comme un parpillement de textes non hi rarchis s entre eux notion qui d embl e voque une image de d sordre et contraste avec le bel ordonnancement du livre et sa r gularit m canique La nouvelle technologie du texte a ainsi toutes les apparences d un chaos primordial appel balayer l ordre ancien et d o pourrait bien na tre une nouvelle civilisation Mais la r alit est loin d tre aussi simple L hypertexte est n sous le signe d une double utopie r v e par Vannevar Bush2 en 1945 La premi re tait de lier dans un vaste r seau la totalit du savoir humain et de le rendre ainsi facilement accessible La seconde tait d archiver les connaissances sur le mod le de l esprit humain par des jeux d association entre des blocs de texte joints par des liens Le terme hypertexte comme tel remonte Ted Nelson qui l a propos pour d signer le type de texte d pos sur ordinateur Comme le pr cise l encyclop die Encarta The term hy pertext wa
7. lecture qu elle lui apporte un savoir quelconque et encore moins qu elle change sa vie il lui suffit qu elle le pr munisse contre l ennui Le zapping correspond un besoin de rafra chissement constant des op rations cognitives Il va fondamentalement l encontre du projet m me qui guide traditionnelle ment l criture du texte dans la mesure o ce dernier pousse la limite l opposition entre crit et oral et qui consiste d velopper un sujet le tisser dans un ensemble riche et chatoyant dans le but d en proposer une synth se neuve Pour toute une s rie de raisons dues l tat encore immature du medium qu est le Web faible r solution et manque de flexibilit des crans actuels qui g ne une lecture com mode co ts d acc s au r seau absence de protocoles d dition adapt s la dynamique de ce nouveau medium tend transformer la lecture en une activit f brile o le lecteur est constamment la surface de soi m me surfant sur l cume des sens offerts emport dans un kal idoscope d images et de fragments de texte oubli s aussit t que per us Mais il n est pas s r que chez un individu particulier le plaisir procur par le zapping sauvage dure au del de la p riode de d couverte et de l ivresse que procure la sensation 16 de ma triser une technologie nouvelle Ne sachant o aller ni que demander l internaute risque fort de tourner en rond en repassant sans cesse dans les quel
8. rivaliser avec la page de magazine notamment par un recours syst mati que aux frames ou cadres qui permettent de juxtaposer divers l ments d information et donc d tablir sur la page des hi rarchies entre des cat gories d informations A l entr e d un site il est maintenant courant de voir l espace de la page partag en colonnes la colonne de gauche pr sentant le plus souvent les titres des grands blocs d information tandis que le contenu d taill est propos en parall le Ou encore le corps d un article 13 sera pr sent sur la colonne de droite alors que la colonne de gauche pr sentera des dessins des graphiques ou des renvois des informations compl mentaires en tout pe tits caract res On s loigne donc irr m diablement de la conception originelle de l hypertexte propos e par Ted Nelson o chaque bloc de texte serait parfaitement autonome et correspondrait une id e Quiconque a un peu crit sait quel point il est difficile de d placer une phrase l int rieur d un paragraphe ou un paragraphe l int rieur d un texte Ce n est pas seu lement une question de connecteurs mais de fil argumentatif Selon l ensemble textuel o il appara t le paragraphe prend en effet une signification diff rente Les id es contrai rement l intuition de Vannevar Bush ne sont pas des objets comparables des blocs lego susceptibles de s embo ter en autant de structures interchan
9. Publi dans RS SI vol 17 1997 nos 1 2 3 p 271 286 De la textualit num rique l hypertexte et la fin du livre Christian Vandendorpe Universit d Ottawa La textualit est la caract ristique d un objet s miotique qui s adresse la compr hension d un lecteur en jouant la fois sur la mise en rapport syst matique de propositions l mentaires plac es en contigu t et sur des rappels plus ou moins lointains continus et r gl s d l ments pr sent s en amont Ce jeu de rapports entre des l ments multiples ne d pend pas seulement de la structure s miotique du texte mais est influenc par sa disposition mat rielle sur l espace de la page son environnement iconique et le cas ch ant par la disposition de certains l ments dans des fen tres distinctes accessibles par des liens hypertextuels Ainsi d fini le concept de textualit permet de parler la fois du texte et de l hypertexte et d articuler dans une pens e contrast e les caract ristiques du premier et celles du second D entr e de jeu il faut reconna tre qu une telle entreprise est d licate Le concept d hypertexte en effet qui est apparu depuis une cinquantaine d ann es s est construit contre la r alit du livre et du texte sur papier Depuis qu il a pris forme et r alit sous nos yeux l hypertexte a boulevers la distribution des crits tablie sous le r gne de l imprim et amorc une r
10. ci t du spectacle et de son affini t profonde avec la soci t marchande il est peu probable que celle ci vienne un jour bout de ce vice impuni qu est la lecture Ouvrages cit s BARTHES R S Z Paris Seuil Coll Points 1970 BUSH V As we may think Atlantic Monthly 176 July 1945 101 108 DEBORD G La soci t du spectacle Paris Champ libre 1976 DERRIDA J De la grammatologie Paris Minuit 1967 11 Le lecteur int ress lira l dessus les r flexions stimulantes de Guy Debord Le spectacle n est pas un ensemble d images mais un rapport social entre des personnes m diatis par des ima ges Son ouvrage La soci t du spectacle est accessible sur le Web http www biol univ mrs fr bech d_spec index html On notera ici que la mise en forme de ce texte respecte l unit des chapitres en d pit du fait que chaque chapitre est une collection d aphorismes 17 GENETTE G Figures I Paris Seuil 1969 GROUPE MU Rh torique de la po sie lecture lin aire lecture tabulaire Paris Seuil coll Points 1990 JOYCE M Of two Minds Hypertext Pedagogy and Poetics Ann Arbor The University of Michigan Press 1995 KALMBACH J Books without pages Pages without books The Journal of Computer Documentation vol 20 no 3 August 1996 KLINKENBERG J M Sept le ons de s miotique et de rh torique Toronto Gref 1996 L VY P L intelligence collective Pa
11. coexistence sur cette page avec d autres informations qui elles aussi tirent de cette concur rence leur valeur propre p 56 Les m mes auteurs notent aussi que c est apr s l apparition brutale des titres bandeaux que va s imposer une nouvelle forme de mise en page guid e non plus par la logique li n aire du discours mais par une logique spatiale De m me et en r ponse cette volution du mode de lecture la facture des ouvrages scientifiques va multiplier les rep res tabulaires titre courant subdivisions index ta bles des mati res r sum s bibliographies etc Tous l ments qui permettent au lecteur de se rendre imm diatement l information qui l int resse d cr mer le contenu en fonc tion de ses int r ts On est donc loin de la pr tendue lecture lin aire qui caract riserait l imprim s Libert ou contrainte Un deuxi me paradoxe que pose l hypertexte est celui de la libert du lecteur En prin cipe cette libert n est elle pas d autant plus grande que le lecteur doit constamment effectuer des choix Certes Mais une technologie qui peut donner un maximum de libert au lecteur peut aussi tre utilis e pour contraindre les op rations de lecture un point impensable sur support papier Dans un livre l auteur n a aucun moyen d imposer un cheminement au lecteur sauf par la promesse implicite d un suppl ment de sens si ce dernier suit l ordre propos Dans un hypertex
12. e base pourrait se rapprocher des Essais de Mon taigne ou de ceux de La Bruy re Ou pour prendre une comparaison plus triviale on pourrait s inspirer de la longueur des articles de magazine ou de revue Pas plus que pour la longueur du paragraphe il ne saurait y avoir ici de r gle absolue si ce n est celle de respecter une unit de pens e et de lecture Lire et zapper Il y aurait certes bien d autres aspects envisager et notamment cet encouragement explicite que donne l hypertexte l instinct zappeur Comment retenir le lecteur de cli quer tous azimuts et de passer ainsi c t de d veloppements que l auteur consid re comme importants En soi chaque bouton cliquer est une invitation aller plus loin une promesse de contenu Par le m canisme de d voilement qui lui est inh rent ce syst me en appelle particuli rement la psychologie enfantine Val ry a not combien l enfant tend faire fonctionner tout ce qui est susceptible d un fonctionnement S il y a un anneau on tend le tirer une porte l ouvrir une manivelle la tourner une culasse la faire jouer S il y a un escalier le gravir un morceau de bois le mordre un bassin d eau y jeter toute chose Cahiers I p 912 15 De fa on g n rale le d placement par clics de souris contribue donner au lecteur le sentiment d avoir le plein contr le de l objet dans la mesure o le programmeur a bie
13. e navigation parfaitement opaque sans lui donner la moindre id e de la quantit d informations et du nombre de pages qui lui sont offertes l obligeant lui faire confiance ou partir la d couverte en abandonnant tout contr le sur son activit de lecture la limite l auteur peut agencer les pages de son livre de telle sorte que le lecteur ne puisse pas retourner en arri re qu il ne puisse pas relire une page d j lue comme l a fait Michael Joyce dans Afternoon Inversement l hypertexte peut aussi donner au lecteur un maximum de libert et de contr le sur ses op rations de lecture en multipliant les rep res tabulaires la fa on du livre et bien mieux que celui ci S il est ad quatement programm un hypertexte permet au lecteur d avoir un acc s imm diat la table des mati res Mieux encore un index constitu de tous les mots de l uvre permet au lecteur d effectuer des recherches com pl tes et d une extr me rapidit que le livre papier ne saurait galer En principe rien ne s oppose non plus ce que le lecteur puisse copier des passages et m me apporter au tant d annotations qu il le d sire un document Enfin l hypertexte apporte la tabulari t du texte toute la m canique des liens extr mement rapides que le lecteur peut tablir avec des documents contenant des informations connexes Vers une po tique du fragment Un troisi me paradoxe de l
14. ecture et la didactique de l crit ainsi qu la rh torique et aux apports de la s miotique et des sciences cognitives Interpell par l av nement de l hypertexte il travaille depuis plusieurs ann es sur les m tamorphoses de la lecture en relation avec le support textuel et l impact de celui ci sur l organisation du texte Son adresse sur le Web est http www uottawa ca academic arts lettres vanden html
15. es de lecture comment le lire etc En somme des crits fonction autor flexive et l gitimante tel le d j classique Victory Garden de Stuart Moulthrop Mais ce qui frappe surtout dans les cr ations d pos es sur le Web c est le fait que la di mension visuelle est en train de prendre une place de plus en plus importante du moins chez les auteurs qui ont abandonn la doctrine dure des pionniers de l hypertexte Mon hypoth se est que le visuel j englobe sous ce terme tous les effets visuels qu ils 8 On en trouvera une liste l adresse http www eastgate com Hypertext html 9 On peut en lire un extrait l adresse http www eastgate com VG VGStart html 11 rel vent de la couleur de la typographie ou des images est en train de prendre dans la production du texte de cr ation l importance que jouait la dimension sonore dans la po sie traditionnelle Dans les temps anciens le po te avait appris articuler dans une oeuvre d art les mots et la musique les premiers pour v hiculer un sens la seconde pour cr er un effet En prin cipe rien ne s oppose ce que la disposition spatiale du texte sa typographie le jeu des couleurs et des blancs puissent s articuler au signe dans une dynamique comparable C est ce qu avait d j anticip Mallarm qui ne voulait pas selon ses propres termes la musique limiter le Myst re quand l crit y pr tend p 385 Car la ric
16. essus poss de avec le d veloppement cellulaire et l embryogen se Loin d tre condamn e comme on le croyait encore r cemment la m ta phore organique du texte pourrait bien en tre revitalis e On prouve ainsi la justesse des mots de Pascal Quignard qui dans Une g ne technique l gard des fragments dit de la fragmentation qu elle 14 est une violence faite ou subie un cancer qui corrompt l unit d un corps et qui le d sagr ge comme il d sagr ge tout l effort d attention et de pens e de celui qui cher che porter son regard sur lui p 23 Outre les probl mes d criture le fragment pose des probl mes de lecture qui sont sans doute amplifi s eux aussi par le fait que sur un cran d ordinateur chaque fragment est visuellement isol de tous les autres Si l auteur a d cid de donner un titre aux di vers fragments il arrivera un moment o la simple prolif ration des titres constituera une barri re la lecture moins que l on ait pris le soin de trouver des titres accrocheurs pour chacun des fragments ce qui ram ne la question du d coupage de ceux ci en unit s significatives d une ampleur suffisante pour qu une pens e puisse s y d velopper L essai sur hypertexte qui me semble promis un r el avenir devrait donc manipuler des blocs de texte assez cons quents pour permettre la pens e de l auteur autant qu celle du lecteur de se d ployer Le mod le d
17. geables Certaines le sont plus que d autres certes tels les aphorismes les nonc s valeur gnomique les id es g n rales Mais tout discours qui pr tend avoir prise sur la r alit aborde n cessai rement des objets sp cifiques qui prennent une coloration et un poids diff rents selon les contextes o ils sont plac s Paradoxalement la r daction d un ouvrage en mode hypertexte pose ainsi constamment le probl me de la cl ture du texte Comment d limiter l unit textuelle A partir de quel moment convient il de la faire migrer de pousser une autre branche dans l arbre des ramifications de la constituer en un autre atoll textuel sur l opaque oc an du non crit A peine un d veloppement est il amorc que l on se demande s il ne faut pas le segmen ter N est il pas d j trop long N a t on pas introduit un concept tranger l unit s mantique du fragment et qui m riterait son propre d veloppement Et quel titre donner au fragment hypertexte Si l on veut que les divers fragments puis sent tre appel s par le lecteur en fonction de ses int r ts de lecture il faut bien leur donner un titre moins de se contenter d en num roter les sections Et ce titre devra ventuellement tre r ajust en fonction des op rations de mitose voqu es plus haut Bref la r daction sur hypertexte tend exacerber les probl mes d criture et met en vi dence les affinit s que ce proc
18. hesse du mat riau visuel ne le c de en rien aux ressources dont disposait l oral L o le m tre po tique ne peut jouer que sur deux valeurs longue br ve une trentaine de phon mes et quel ques centaines de syllabes la typographie offre au texte ses variations de tailles de cou leurs de formes et de dispositions Longtemps r serv es un m tier sp cialis ces res sources sont aujourd hui directement accessibles au cr ateur de publications num ri ques gr ce l limination de l instance interm diaire de filtrage et de normalisation qu est l imprimerie Mieux encore le cr ateur peut convoquer toutes les richesses du des sin de la photo de la peinture ou de l image de synth se Aussi commence t on voir se multiplier les textes objets o le po te digital met en relation fragments de texte et images C est la d marche notamment de Carol Dallaire dont on peut visiter sur le Web10 les superbes Lieux communs dans lesquels il revendique le proc d de x nochronie terme emprunt Frank Zappa soit la mise en parall le de deux objets sans relations apparentes mais il serait plus juste de parler de x notopie vu qu on est ici dans l ordre du spatial et non du temporel Cette hybridation du texte par le visuel me para t caract ristique de la production litt raire mergente Autant l ordinateur sous sa forme actuelle et sa faible d finition d cran para t inad quat la lectu
19. hypertexte est que ce texte par excellence qu annonce le pr fixe hyper est en fait plac sous le r gne du fragment En principe dans un document hypertextuel le texte n existe plus sous une seule coul e mais est divis en segments susceptibles d tre lus dans n importe quel ordre L hypertexte encourage ainsi un mode de lecture parpill proche de cette lecture de la s duction que pratiquent d j les maga zines depuis plusieurs dizaines d ann es et o les images prennent de plus en plus de place Lire se red finit d s lors comme une navigation entre des fragments Mais cela ne va pas sans difficult car chaque fragment exige la mobilisation par le lecteur d un contexte de r ception ad quat Or cette extr me labilit th matique est fonci rement trang re la textualit traditionnelle et peut se comparer celle qui gouverne le monde 7 Le lecteur int ress pourra lire l dessus la th orisation qu en a produite M Joyce dans son livre de 1995 de l oral conversationnel comme celui ci elle produit facilement des effets de coq l ne peu propices l laboration d une pens e d ensemble L aspect fragmentaire de la lecture est encore accentu par le fait que sur cran chaque fragment est visuellement coup des autres petit atoll de sens perdu dans une nuit opa que Dans un livre au moins divers fragments peuvent tre co pr sents sur la double page tout comme l ensemble
20. hypertexte est que la totalit du texte puisse ne se r v ler au lecteur qu la suite d un parcours qui ne soit pas n cessairement pr d termin par l auteur la figure embl matique de cette forme de lec ture tant le labyrinthe Si l on examine les hyperfictions actuellement offertes sur le Web8 on d couvrira ainsi nombre de r cits qui jouent sur le symbolisme du labyrinthe les divers l ments du texte sont pr sent s comme autant de pi ces d un casse t te que le lecteur est invit r organiser avec plus ou moins de transparence et d aide au plan de la navigation Dans Twelve Blue Michael Joyce propose galement une fiction navigation opaque Mais on note toutefois un progr s vers plus de transparence du fait qu il est maintenant possible de relire un passage d j lu D autres hyperfictions vont proposer un fil conducteur bien en vidence Ainsi TRIP de Matthew Miller est enti rement articul autour d une carte des tats Unis le lecteur clique sur l un des 48 tats pour tenter de d couvrir et suivre le fil du r cit Et Prostheses of power de John McDaid propose comme point de rep re un bon vieux calendrier fa on simple mais efficace de combiner chronologie et tabularit Un autre th me fr quemment abord est la mise en ab me de la lecture de l hypertexte afin de susciter un questionnement th orique sur ce dernier ce qu il devrait tre dans quelle mesure il d range nos habitud
21. it de forme et de contenu qu est la page on a vu se mettre en place la surface du livre divers types de rep res con us pour aider le lecteur s orienter toujours plus facilement dans la masse textuelle pour qu il puisse en faire une lecture plus commode et plus efficace Il s agit de ces inno vations que furent le titre la pagination le titre courant etc Gr ce elles le texte cesse d tre un fil lin aire que l on d vide en en suivant du doigt le trac sur le page mais une surface dont on appr hende le contenu par des approches crois es Comme ils per mettent au lecteur de consid rer la lecture du texte la fa on de celle d un tableau j ai propos voici d j plusieurs ann es d appeler ces divers rep res des indices tabulaires La r volution de l imprimerie renforcera la tabularit du livre et lib rera la lecture de la dictature du lin aire en mettant en place des r gimes de plus en plus raffin s d entr es multiples Gr ce ces derni res il deviendra facile pour le lecteur de situer pr cis ment le point o il est arriv dans sa lecture d estimer l importance respective d une section par rapport une autre bref de moduler sa progression En m me temps les techniques d criture se raffinent et int grent des l ments qui vont faciliter cette lecture tabulaire Ainsi voit on se g n raliser la pratique du paragraphe et des intertitres Les index et ta bles des mati res d taill
22. l ments de base fournis par le cr ateur et qui se raient agenc s par le spectateur Il existe certes des uvres romanesques con ues en fonction d un acc s au texte qui ne soit pas pr d termin mais elles sont assez rares Je pense notamment au Dictionnaire Khazar de Milorad Pavic certains ouvrages d Italo Calvino ou de Julio Cortazar Une vie mode d emploi de George Perec et leur anc tre commun Tristram Shandy de Lau rence Sterne Prenant naissance dans une volont de subversion du rythme narratif Ma gessa O Reilly 1996 ces ouvrages tendent tabulariser le mat riau narratif ce qui ne va pas toujours sans cr er des difficult s au plan de la lecture et de la fid lisation du lec teur 10 Peu compatible avec la structure du roman traditionnel l hypertexte a videmment da vantage d affinit s avec ces derniers ouvrages En r gle g n rale l hypertexte impose au texte deux contraintes majeures La premi re c est que celui ci puisse tre d coup en tranches pas trop longues contrainte que les journaux du si cle dernier avaient cepen dant d j impos e au roman feuilleton avec le succ s que l on sait mais la lecture du feuilleton n est pratiqu e que par un public captif qui ne peut pas se procurer l ouvrage int gral soit parce que celui ci n est pas encore disponible soit pour des raisons finan ci res La seconde des contraintes commun ment impos e par l
23. n voulu laisser ce contr le au lecteur et de pouvoir suivre souverainement ses impul sions Par la m diation technologique l usager se donne ainsi un sentiment de puissance bien sup rieur celui que procure la manipulation des pages d un livre En somme la souris produit un effet analogue celui de la t l commande dans le domaine de la t l vi sion Le simple fait de pouvoir changer de cha ne partir d une l g re impulsion du pouce encourage une consommation fr n tique de miettes d missions De m me la na vigation par souris tend encourager des d placements chaotiques et extr mement rapi des au cours desquels le lecteur n a pas toujours le temps d assimiler l information qui lui est pr sent e Le d placement en hypertexte est ainsi plac sous le signe de l imm diatet de l urgence Excit par la promesse de d voilement que contient implicitement la pr sence d un bou ci ton le lecteur de l hypermedia ressemble cette adolescente d Anou lh qui veut tout tout de suite Le lecteur est en train de se transformer en un personnage de plus en plus impatient qui ne tol re pas la frustration et qui voudrait tre arriv avant m me d avoir commenc C est que la lecture est en train d acqu rir des modalit s nouvelles qu elle n avait pas l poque du volumen ou du psautier Tout comme Gilles Lipovetsky l a montr propos de la t l vision le lecteur zappeur n attend pas de la
24. n revanche le livre n est pas n cessairement lin aire car l il peut embrasser la page d un seul regard tout comme il peut se poser successivement sur des points diff rents choisis chaque fois en fonction de crit res vari s on peut feuilleter un livre commencer par la fin ne lire que les titres de chapitres etc Un r cit qui suivrait pr cis ment la trame chronologique fournirait un exemple de lin ari t de contenu Si ce r cit tait donn oralement il y aurait co ncidence entre lin arit du contenu et celle du medium Mais sous sa forme crite ce r cit pourrait tre dispos sur un medium plus ou moins lin aire allant du volumen par exemple jusqu la page de journal o les divers paragraphes pourraient tre pr c d s d intertitres mettant en relief les moments cl s du r cit ce qui permettrait au lecteur de les lire dans l ordre qui l int resse Nous reviendrons plus loin sur les caract ristiques des divers mediums Enfin il y aurait consid rer la qualit du mat riau langagier qui peut lui aussi tre plus ou moins lin aire Tout ce qui interf re au plan de la lecture avec le fil du d roule ment textuel est susceptible de relever d un jeu volontaire sur la tabularit du mat riau langagier dans la mesure o celui ci fait appara tre des r gularit s Ainsi la po sie a t elle pu faire l objet d une lecture tabulaire selon les termes du Groupe mu 1990 qui a mis en vide
25. nce ses jeux de rythme de sonorit s de parall lismes et d isotopies De m me Genette 1969 a t il pu d finir la figure comme un effet de spatialisation du lan gage consid r sous le plan de son fonctionnement Mais le langage et sp cialement le langage litt raire fonctionne rarement d une mani re aussi simple l expression n est pas toujours univoque elle ne cesse au contraire de se d doubler c est dire qu un mot par exemple peut comporter la fois deux significations dont la rh torique disait l une litt rale et l autre figur e l espace s mantique qui se creuse entre le signifi apparent et le signifi r el abo lissant du m me coup la lin arit du discours C est pr cis ment cet espace et rien d autre que l on appelle d un mot dont l ambigu t m me est heureuse une figure la figure c est la fois la forme que prend l espace et celle que se donne le langage et c est le symbole m me de la spatialit du langage litt raire dans son rapport au sens p 46 47 Dans le calligramme enfin la tabularit est encore d une essence diff rente car le jeu sur le mat riau langagier s effectue dans l ordre du visuel La question de la lin arit est donc troitement li e au genre de texte et au type d ou vrage Ainsi l encyclop die et le dictionnaire sont par excellence des ouvrages de consul tation qui n appellent pas une lecture lin aire dans la mesure o l on entend par l une lec
26. ndis que l espace appartient l ordre de la tabularit qui est son exact oppos En tant que tel ce concept entre en conflit avec les tendances de la science du d but du XX si cle qui a t marqu e par la volont d liminer le Temps Prigogine p 197 Pour Einstein faut il le rappeler le temps n est qu une illusion qui masque l immuabilit des lois fondamentales En outre la lin arit a partie li e avec les notions d autorit et de contrainte qui dit li n arit dit respect oblig d un certain nombre d tapes par lesquelles il faudra obligatoi rement passer En ce sens la lin arit peut tre per ue comme une intol rable entrave la libert souveraine de l individu Aussi ne faut il pas s tonner que ce concept soit devenu le repoussoir par excellence de la modernit Rien de plus efficace que de condamner le livre comme un objet lin aire le jugement est ordinairement sans appel Pour Derrida 1967 qui ne semble pas aperce voir l essentielle tabularit du livre ce dernier aurait partie li e avec le vieil ordre lin aire et serait de ce fait condamn La fin de l criture lin aire est bien la fin du livre m me si aujourd hui encore c est dans la forme du livre que se laissent tant bien que mal enga ner de nouvel les critures qu elles soient litt raires ou th oriques Depuis plus d un si cle on peut percevoir cette inqui tude de la philosophie de la science de la litt ra
27. ques sites qui lui sont familiers Sans le d sir qui la porte en avant et les protocoles d dition qui en per mettent le libre jeu la lecture serait alors condamn e papillonner dans la r p tition st rile et voir les mouvements de zapping s accentuer en proportion de l ennui engen dr jusqu au retour l tat initial Aussi parle t on d j dans les bureaux californiens o se joue l avenir du Web d offrir l internaute une s rie de canaux sp cialis s entre lesquels il lui suffirait de choisir Il ne fait pas de doute que cet infl chissement du Web vers la t l vision constituerait une r gression par rapport la r volution amorc e par l Internet et qui semble indiquer que notre civilisation est engag e dans un mouvement de textualisation g n ralis e Encore tout blouie d avoir ajout la textualit une troisi me dimension qui joue sur les relations internes entre des blocs de texte la technologie hypertexte a d abord tendu privil gier la dimension spatiale plut t que temporelle celle ci tant invariablement connot e comme lin aire et traditionnelle Il en est r sult une m fiance assez g n ralis e pour le s quentiel Il me semble que cette opposition doit tre d pass e car si elle tait ramen e un tat purement spatial la lecture deviendrait statique et le texte se transformerait en specta clell Or en d pit de l attraction que peut exercer la so
28. re de textes longs autant les formes br ves me semblent appel es un brillant ave nir Dans le texte objet l accompagnement visuel donne au texte une densit et une opa cit de signification qui compensent son manque d tendue Le grand s mioticien de la peinture qu tait Louis Marin a propos un raccourci frappant pour faire comprendre la diff rence entre le visuel et le textuel Dans le langage les id es se substituent aux signes pour la communication des esprits Dans la peinture les signes se substituent aux choses pour le plaisir des imaginations Marin p 33 10Voir http www ava qc ca creation carol_ dallaire Carol Dallaire html 12 Cette mise en r sonance du texte et de l image vaut certes pour l crit vocation po ti que Mais qu en est il de l crit en prose qui constitue l essentiel de la production impri m e Quel est son avenir num rique Comment va t il tre transform lui aussi par l hypertexte Le retour la page Une premi re constatation la page est devenue l unit textuelle de base Comme Kalmbach le fait remarquer tr s justement While the book as a metaphor may be lo sing its value the page as a metaphor is thriving p 15 Pr cisons que appliqu e un ordinateur la notion de page n a qu une valeur m taphorique ou indicielle Ce que l on aper oit sur l cran de sa machine n est en effet qu un simulacre de page qui dans le meilleur des cas repr
29. ris La D couverte 1994 LAMBERT S and S ROPIEQUET CD ROM The new papyrus the current and future state of the art Foreword by William H Gates Redmond WA Microsoft Press 1986 LANDOW G Hyper Text Theory Baltimore amp London Johns Hopkins University Press 1994 LIPOVETSKY G Zappeur et sans reproche Le Point 21 mars 1988 p 69 MALLARM S Oeuvres compl tes Paris Gallimard Biblioth que de la Pl iade 1945 MARIN L De la repr sentation Paris Seuil Gallimard 1994 MOUILLAUD et J F T TU Le journal quotidien Lyon Presses Universitaires de Lyon 1989 O REILLY M Subversion du rythme Le roman anti lin aire tudes litt raires vol 29 n 1 1996 p 95 103 PRIGOGINE I et I STENGERS La Nouvelle Alliance Paris Gallimard 1979 QUIGNARD P Une g ne technique l gard des fragments Paris Fata Morgana 1986 SIMON C Note sur le plan de montage de La Route des Flandres dans M CALLE Claude Simon Les chemins de la m moire Qu bec Le Griffon d argile et Grenoble Pres ses universitaires de Grenoble 1993 p 185 201 VAL RY P Cahiers 1 Paris Gallimard Biblioth que de la Pl iade 1973 VANDENDORPE C Contexte compr hension et litt rarit RSSI vol 11 1991 n 1 p 9 25 VANDENDORPE C Sur lavenir du livre lin arit tabularit et hypertextualit dans J BENARD J et J J HAMM Le livre De Gutenberg la carte puce
30. s coined in 1965 by Ted Nelson to describe documents as presented by a compu ter that express the nonlinear structure of ideas as opposed to the linear format of books film and speech Ainsi qu on le voit par cette derni re citation qui repr sente la doxa en la mati re l hypertexte tirerait de sa nature informatique la particularit de faire chapper les pro ductions crites au format lin aire du livre et de leur conserver le format non lin aire des id es 2 Plusieurs versions de l article profond ment novateur de Bush sont disponibles sur le Web no tamment http www bush or at aswemaythink vbush shtml La mise en forme de cette ver sion effectu e par Denys Duchier est exemplaire de la conception r gnante de l hypertexte le texte originel est segment en une introduction et huit sections de 600 mots en moyenne identi fi es chacune sous le titre tr s vocateur de section 1 section 2 etc Lin arit Avant d aller plus loin il est n cessaire de s arr ter quelque peu sur ce concept si galvau d de lin arit est il exact que l hypertexte soit de l ordre du non lin aire alors que le livre serait tout entier marqu par une lin arit originelle et invariable Une r flexion l mentaire nous apprendra que la lin arit se dit d une s rie d l ments qui se suivent dans un ordre pr d termin elle rel ve essentiellement de l ordre du temps ta
31. te au contraire l auteur peut contr ler 5 Dans cette veine il ne fait pas de doute que la pratique du renvoi bibliographique popularis e par la MLA et notamment suivie dans les publications de s miotique est de type tabulaire contraire ment la pratique traditionnelle de l appel de notes avec ses opus citatum et ses ibidem qui sup pose de la part du lecteur une lecture suivie et un gal degr d attention l ensemble du texte dans son d roulement lin aire Dans les ouvrages qui contiennent une bibliographie au contraire le lecteur int ress peut aborder le texte l endroit qui lui pla t et s il le d sire se contenter de lire la bibliographie celle ci lui permet d embrasser d un coup d il la totalit des ouvrages cit s et d appr cier d embl e l tendue et la r cence des savoirs convoqu s dans le travail en question 6 Le sp cialiste de la rh torique quest Jean Marie Klinkenberg note lui aussi que le concept de texte a t largement trahi dans les travaux sur l hypertexte 1996 p 104 tous les aspects relatifs au medium tant en ce qui concerne la mise en page le format de la page cran et la lisibilit des caract res Il peut r duire le texte principal une troite fen tre environn e de publicit tapageuse Il peut imposer un rythme de lecture en fai sant d filer le texte de fa on continue dans un bandeau d une ligne sur cran Il peut contraindre le lecteur un
32. ture allant de la premi re la derni re page Dans ce type de lecture le contexte n a pas tre cr de fa on labor e par l auteur de l article vu qu il est d j largement pr sent dans le besoin de consultation du lecteurs Au contraire s il s agit d une pop e ou d un roman il est certain que le mode d appr hension normalement attendu de la part du lecteur d un livre est de type lin aire Cer tains romans ne contiennent m me pas de paragraphes ni de chapitres pour ne pas don ner au lecteur d autre choix que de suivre le fil du texte de la premi re la derni re page Il faut dire au cr dit de la lin arit du texte que celle ci permet une lecture hau tement automatis e en assurant un fonctionnement optimal de la machine du langage Chaque nouvelle phrase lue servant de contexte la compr hension de celle qui suit le lecteur n a qu se laisser emporter par le fil du texte pour produire du sens Dans la lec ture du fragment au contraire les automatismes de lecture jouent un r le beaucoup moindre du fait que le contexte de compr hension doit tre recr chaque nouveau texte Du lin aire au tabulaire Depuis Ted Nelson on a multipli l envi les oppositions entre l hypertexte qui serait le lieu du discontinu et le texte imprim qui serait celui de la lin arit Or si l on a vu que l imprim n est pas n cessairement lin aire on pourrait tout aussi bien dire que la lin
33. ture dont toutes les r volutions doivent tre interpr t es comme des secousses d truisant peu peu le mod le lin aire Entendons le mo d le pique Ce qui se donne aujourd hui penser ne peut s crire selon la ligne et le livre sauf imiter l op ration qui consisterait enseigner les math matiques modernes l aide d un boulier Cette inad quation n est pas moderne mais elle se d nonce aujourd hui mieux que jamais L acc s la pluri dimensionalit et une temporalit d lin aris e n est pas une simple r gression vers le mythogramme il fait au contraire appara tre toute la rationalit assujettie au mod le lin aire comme une autre forme et une autre poque de la mythographie p 129 130 Le philosophe confirme qu il existe bien une tendance rejeter la lin arit Mais celle ci est elle vraiment consubstantielle au livre Et si l on accepte que le livre soit tout uni ment d clar lin aire que devra t on dire alors de la parole Pour jeter quelque clart sur cette question il est essentiel de distinguer entre lin arit du medium lin arit du contenu et lin arit du mat riau sous peine de laisser se perdre des nuances importantes Est lin aire un medium dont la compr hension d pend d un ordre temporel Ainsi la pa role en tant que medium est elle irr m diablement lin aire car il est impossible que les mots ne soient pas saisis l un apr s l autre par celui qui coute E
34. volution majeure dans le domaine de la communication et de la pens e comme lont montr notamment les travaux de Pierre L vy 1994 De par ces caract ristiques l hypertexte comporte une dimension pol mique non n gligeable et tout discours sur le sujet est a priori suspect d tre biais en faveur de l un ou l autre mode d expression D entr e de jeu je suis donc bien conscient que ma propre position risque d tre interpr t e en fonction de ce clivage id ologique Aussi me semble t il n cessaire de 1 Ce texte est une version consid rablement augment e d une communication donn e au colloque Penser le virtuel tenu l Universit du Qu bec Montr al en avril 1997 Il s inscrit l int rieur d un travail plus large encore en cours portant sur la question du sens et des mutations de l crit et qui doit para tre sous le titre Du papyrus l hypertexte pr ciser que je n ai pas pris camp dans ce d bat car j appartiens aux deux que je reven dique int gralement Ces deux modes d expression me sont pr cieux et me servent jour nellement la fois comme lieux de lecture et comme outils d criture Le concept d hypertexte essentiel au fonctionnement du Web et des encyclop dies sur CD ROM est relativement simple concevoir en termes informatiques La masse textuelle et informative produite par une m me source est le plus souvent r partie en un certain nombre de fichiers reli s entre
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