Philippe Garigue, trublion et éclaireur
Contents
1. contre cou rant il la d fendra avec succ s cause de sa connaissance intime du dossier et des entr es qu il a aupr s du pouvoir Qu bec o on est conscient au d but des ann es 1960 de l obligation de proc der prudemment un l ment que Garigue utilisera avec bonheur dans le cas de l architecture politique du Canada fran ais le sujet est infiniment plus vaste le pari plus risqu et ce livre un peu b cl de sociologie trop emphatique en m me temps que trop courte LEMIEUX 1963 p 244 va faire long feu INNOVATION ET M TASTRAT GIE D FIS DE GOUVERNANCE MAL RELEV S Garigue mettra du temps d velopper une probl matique capable de l aider mettre de l ordre dans ces situations o le pouvoir les ressources et l information sont vastement distribu s et la coordination efficace construire Cette nouvelle fa on de voir ne viendra point de son examen des dossiers nationaux o l ombre de l tat l emp che de bien voir l occupation du sol mais de ses exp riences inter nationales dans un univers plus vaste o l tat n est pas le magister ludi indisput o l tat mondial n existe pas Politique scientifique Dans la brochure en r ponse au rapport du Comit Lamontagne sur la poli tique scientifique ou dans le mat riel p dagogique qu il labore sur cette question GARIGUE TRUBLION ET CLAIREUR 415 quelques ann es auparavant GARIGUE 1967 et 1972 montre qu il a bien2. enrichir le dossier historique il est trop souvent ignor par les nouveaux historiens qui ne le connaissent que peu ou pas et qui reprennent certaines de ses positions sans toujours s en rendre compte POLITIQUE FAMILIALE ET OPTION POLITIQUE UN DOUBLE ET UNE FAUSSE BALLE Garigue va continuer d tre contre courant dans la d cennie qui va suivre Et il va le faire en pleine continuit avec ses assises des ann es 1950 Ses travaux sur les institutions traditionnelles comme la famille et les racines importantes de l individu dans la soci t civile ont convaincu le personnaliste qu il est de l impor tance de ce capital social comme on dira plus tard dans la soci t moderne Il va en d duire deux engagements politiques importants d abord un engagement dans la construction d un quilibre entre la soci t civile et l tat dans la poursuite d une qualit de vie mot cl pour Garigue qui r clame une place pour la famille au niveau m so social ensuite dans le d veloppement d une argumentation pour d finir ce que ce m me engagement personnaliste ax sur la qualit de vie r clame comme structure politique de support communautaire au plan plus macroscopique Dans 412 RECHERCHES SOCIOGRAPHIQUES les deux cas ce sont les m mes principes qui guident ses choix Politique familiale Garigue a t au bon endroit au bon moment au d but des ann es 1960 Il avait commenc dans les ann es 1950 ses travau
3. ment du nationalisme dans ses divers oripeaux comme l aspect nominatif de la prise de conscience de l autonomie culturelle d une appartenance comme strat gie de survivance et comme indicateur de ses voies d institutionnalisation Les diverses formes de nationalisme selon les appellations invoqu es deviennent des fabrica teurs de mythes chappatoires nostalgie d un certain ge d or rescaper mission providentielle chemin de lib ration ou d mancipation etc Ces mythifications ne sont pas innocentes et Garigue n h site pas parler d orientation mystificatrice et des divers efforts pour les d mystifier Il d nonce le jeu des red finitions comme un jeu des appellations qu il faut d passer en prenant conscience des cons quences de cette s lectivit des appellations pour en arriver l analyse de l intentionnel dans la cr ation de nouvelles soci t s visant l am lioration de la condition des francophones au Canada Garigue 1963 p 98 Un texte de 1985 montre jusqu quel point Garigue malgr sa d claration statuant que ce qui importe c est l am lioration de la condition d existence des Canadiens fran ais reste emp tr englu pi g par le contenu id ologique des appellations sans pouvoir formuler des vues pr cises sur la fa on de faire pour transformer la r alit Ce texte montre sa frustration vidente de ne pas avoir t bien compris en 1958 et 1963 Il r it re ses assertions de tru
4. rence de Garigue il ne le dit pas clairement et laisse le lecteur sur sa faim lire entre les lignes on peut toutefois d tecter qu une intervention est n cessaire tout au moins pour qu on puisse percevoir ce r f rentiel des r f rentiels Voil qui r clame un examen des m canismes qui permettent ce r f rentiel d merger Sch n et Rein insistent sur la n cessit de travailler dans des sites circonscrits pour que l op ration r ussisse et que par apprentissage collectif partir d exp riences on puisse en arriver une r conciliation efficace des cadres de r f rence Au c ur de ce processus d apprentissage on trouve la transduction Transduction est le mot utilis par Henri Lefebvre pour cette op ration intellectuelle qui diff re de l induction et de la d duction et qui labore et construit un objet th orique un objet possible et cela partir d informations portant sur la r alit ainsi que d une probl matique pos e par cette r alit La transduction suppose un feedback inces sant entre le cadre conceptuel utilis et les observations empiriques Elle introduit la rigueur dans l invention et la connaissance dans l utopie LEFEBVRE 1968 p 121 Au lieu des activit s scientifiques usuelles qui testent des hypoth ses il s agit d une forme de raisonnement qui appelle un feedback permanent entre la formulation du probl me et l analyse partir d un point de d part exp rimentalement mis de l av
5. avant 1960 Finalement d s la fin du XVIIE si cle il existe une maturit politique au Qu bec qui permet la communaut qu b coise de se donner acc s une conscience moderne tout en ne trahissant pas son terroir PAQUET et WALLOT 1973 Selon l argumentation de Garigue partout l clatement des formes tradi tionnelles de vie par la modernit va s accomplir sans n cessairement liminer les liens sociaux plus anciens les individus gardent un rapport la communaut qui n est souvent pas visible et qui n est plus tout fait traditionnel Ces forces donnent naissance une socialit particuli re au Qu bec et d j dans le second tiers du GARIGUE TRUBLION ET CLAIREUR 411 XIXe si cle font germer une strat gie de d veloppement conomique d centra lis e l am ricaine qui heurte de front la strat gie centralis e de d veloppement favoris e par le Canada anglais PAQUET 1980 1981 Mais il y aura peu pr s au m me moment le coup de th tre de la R volution tranquille qui va d cerveler toute une g n ration et emp cher de penser la modernit au Qu bec autrement que par l op ration de cette c sure On a alors besoin de l hypoth se DMHLFO pour gommer la lente progression de la modernit qui s est accomplie de facto au Qu bec depuis le XVIII si cle et pour se r fugier tant dans le monde anglo canadien que canadien fran ais dans le confort de ce manich isme de l avant et de l apr s 1960
6. compris l importance de l innovation dans le monde moderne qu il se rend compte que dans cet univers de la science et de la technologie personne n est en charge mais il est mal quip pour pr ciser comment la coordination pourra s effectuer Englu par l id ologie ambiante de l tat comme grand redresseur des bavures du march il va se laisser s duire par le concept guimauve de syst me national d innovation Cette id e tait en mergence dans les ann es 1950 mais elle deviendra centrale dans la mouvance de la discussion qui fait rage aux tats Unis l OCDE et dans d autres forums internationaux autour du probl me de la politique scien tifique dans la premi re moiti des ann es 1960 Garigue va suivre de pr s ces d veloppements et tenter d en faire une int gration pr liminaire dans ses notes pour ses tudiants en 1967 Il comprend bien la fois la complexit du syst me national d innovation et les co ts d information et de transaction engendr s par l organisation pyramidale et hi rarchique de ce syst me une organisation qui inhibe la cr ativit GARIGUE 1967 p 97 En fait il se questionne sur les relations horizontales et transversales qu il faudrait am nager et qui semblent n cessaires pour que les soci t s bas es sur la connaissance l innovation et la cr ativit fonc tionnent au mieux Mais il reste prisonnier de son poque qui c l bre la planifica tion indicative m me dans les mil
7. la m thode des types id aux les postulats retenus conservatisme de la population soci t paysanne domination du clerg incapacit s ajuster au monde moderne les m canismes qu on pr tend observer immobilit sociale maintien des patrimoines manque d entrepreneurship sont questionnables Il remet aussi en cause les g n ralisations qu on a all grement tir es de travaux pointus partir d observations sur quelques paroisses on a g n ralis tout le Canada fran ais Il traque de mani re clinique les sources de ces pist mologies et m thodologies infirmes et les expose avec verve Son travail critique laisse le chromo propos par la sagesse convention nelle en bien piteux tat Ces charges vont susciter une lev e de boucliers qui va rassembler sous la m me tente un assemblage de personnes assez h t roclites qui ont bien peu de choses en commun RIoUX 1957 GUINDON 1960 1988 etc C est que Garigue remettait en question l intelligentsia qu b coise dans son ensemble tant souverainiste que f d raliste chacun ayant besoin d un pass noir pour arc bouter sa strat gie de saut en avant ou d mancipation selon le cas La virulence des attaques qu il va subir sera la hauteur de son ambition de remise en question de la sagesse conventionnelle Quant l approche de rechange qu il propose il la pr sente avec prudence comme un travail en gestation ses travaux sur le terrain sont pr sent s
8. PAQUET 1999b Ce coup d tat pist mologique va r ussir il faut le r p ter parce qu il convient parfaitement aux deux parties en pr sence les uns pour couver leur strat gie d mancipation les autres pour rationaliser la construction de remparts qui emp cheraient les Canadiens fran ais et les Qu b cois de retomber dans leurs errements Dans les deux cas cependant les repr sentations sont rest es pi g es par cette probl matique exog ne Voil qui explique la persistance dans la m moire collective de cette vue tordue de l avant R volution tranquille la c l bration de la R volution tranquille a besoin pour que la ferveur soit au rendez vous de se d finir comme catharsis permettant de sortir de la langueur dans laquelle le Canada fran ais tait cens ment englu Pour mesurer l intensit de ce sentiment de ferveur qui perdure on peut lire les actes du colloque qui a suivi la publication de mon livre sur la R volution tranquille qui reprenait certains th mes de Garigue Bulletin d histoire politique 8 2 3 2000 331 377 La critique de Garigue est consign e aux oubliettes dans la plus grande unanimit C est seulement quand on commence d bronzer le mythe de la R volution tranquille et r viser les fondements friables sur lesquels ce mythe a t rig qu on peut le d poussi rer Mais comme le r visionnisme va tre attis au d but surtout par les historiens et que Garigue a peu travaill
9. PHILIPPE GARIGUE TRUBLION ET CLAIREUR Gilles PAQUET les choses se passaient tout autrement Philippe GARIGUE 1958 il n est pas possible d assimiler le raisonnement strat gique celui des sciences et d une m thodologie fond e sur des hypoth ses exp rimentales Philippe GARIGUE 1992 Cet article propose un examen du Garigue qui jette un pav dans la mare au milieu des ann es 1950 et remet en question quelques dogmes socio his toriques en vogue l poque une vignette du Garigue des ann es 1960 la bonne place et au bon moment pour influencer la politique familiale au Qu bec et du Garigue psychanalyste de l thos du Canada fran ais sans oublier le Garigue qui s ouvre des horizons de plus en plus vastes dans ses analyses de la soci t contemporaine ly a plusieurs Philippe Garigue et ce texte n a pas la pr tention de faire un inventaire complet et d taill de tous ses avatars Une image compl te de ce personnage complexe et des travaux qu il a entrepris r clamerait tout un livre Je me propose seulement d arpenter le territoire Garigue vol d oiseau laissant d autres le soin d analyser en d tails les diverses trav es Longitudinalement dans sa vie publique il y a l anthropologue de la vie familiale le sp cialiste de politique sociale le diagnosticien des probl mes de la soci t politique canadienne fran aise et le promoteur d un f d ralisme renouvel celu
10. amiliaux dans ces d bats Qui plus est il r ussira ce faire sans ali ner compl tement les progressistes comme G rald Fortin son coll gue au sein de la Commission Castonguay Nepveu Sa connaissance profonde du dossier lui permet de naviguer habilement dans ce monde en volution rapide d fendant certaines valeurs premi res mais sans avoir l air d tre d pass par les v nements Dans cette p riode d volution rapide des m urs il se h te lentement et clairement r ussit faire prendre en compte son int r t central pour la qualit de vie construite autour d une th orie g n rale de la famille d une mise ensemble de tous les facteurs qui d terminent la croissance individuelle et collective des personnes GARIGUE 1974 p 253 Ce travail de construction d une politique familiale a d j toutes les caract ristiques de ce que Garigue d crira en 1992 comme une m tastrat gie non sous la forme unique d une pratique professionnelle d experts au service d un gouvernement mais comme le produit d une r flexion collective GARIGUE 1992 p 14 Option politique De m me que la survivance de la famille est un l ment important pour la qualit de vie la survivance nationale n est pas moins importante pour Garigue Il cherche donc partir des m mes principes d gager d s 1963 un autre ordre d organisation nationale tatique qui permettrait la nation canadienne fran aise de survivr
11. and Social Action New York G P Putnam and Sons DuMonNT Fernand 1993 Gen se de la soci t qu b coise Montr al Bor al DUROCHER Ren et Paul Andr LINTEAU 1971 Le retard conomique du Qu bec et l inf riorit conomique des Canadiens fran ais Trois Rivi res Bor al GARIGUE Philippe 1958 tudes sur le Canada fran ais Montr al Presses de l Universit de Montr al 1963 L option politique du Canada fran ais Montr al Les ditions du L vrier 1967 Sociologie de la science Montr al Universit de Montr al 1972 Science Policy in Canada Montreal The Private Planning Association of Canada 1974 Itin raire sociologique Recherches sociographiques 15 2 3 249 253 1985 Mythes et r alit s dans l tude du Canada fran ais 30 ans apr s dans J LENNOX dir Se conna tre Politics and Culture in Canada Toronto Robarts Cen ter for Canadian Studies York University p 84 99 1992 Questions de strat gie et de m tastrat gie Toronto ditions du GREF GUINDON Hubert 1988 Qu bec Society Tradition Modernity and Nationhood Toronto University of To ronto Press with an introduction by R HAMILTON and J MCMULLAN GARIGUE TRUBLION ET CLAIREUR 421 Harvey Pierre 1979 Pr face l ouvrage de J M Toulouse L entrepreneurship au Qu bec Montr al Les Presses H E C HUBBARD Ruth et Gilles PAQUET 2007 Gomery s Blinders and Canadian Federalism Ottawa The Univ
12. ant Ce protocole est aliment par l utopie exp rimentale l exploration du possible humain avec l aide de l image et de l imaginaire accompagn e d une incessante critique et d une incessante r f rence la probl matique donn e dans le r el LEFEBVRE 1961 p 192 Et Lefebvre de poursuivre l utopie exp rimentale d borde l usage habituel de l hypoth se dans les sciences sociales p 192 Cette m thode vise inventer de nouvelles formes mais de nouvelles formes concr tes elle se d ploie en tant que variations autour du th me d fini par la r alit Voil qui 418 RECHERCHES SOCIOGRAPHIQUES est tr s proche de ce que John Dewey nomme fhe method of experimental intelligence DEWEY 1935 Garigue n utilise pas ce langage Il s en cr e un lui qui ne rend pas facile l entendement de ce qu il propose Mais il est clair qu il se d bat en 1992 avec un probl me de coordination un moment o il n y a pas de science de la coordination pour lui fournir un vocabulaire ad quat Voil qui explique que ce livre de 1992 disponible la biblioth que de mon universit depuis 1993 n avait t emprunt qu une seule fois depuis son achat quand je l ai emprunt l t 2008 PROPOS DU TRUBLION ET DE L CLAIREUR Il n est pas facile de critiquer avec quanimit l uvre de Garigue apr s une esquisse aussi courte et limit e de ses travaux Mais pour lancer le d bat on me permettra donc de t
13. blion de 1958 avec force mais n a plus l imp tuosit de l claireur de 1963 Ses ruminations sur les rapports entre appellations en tant qu id ogrammes et sur les id ologies et mythes d fi nisseurs d identit ne font pas avancer le d bat sur le nouveau mod le de gouver nance devenu n cessaire Il n est pas clair s il a perdu son optimisme probabiliste ou s l est arriv un cul de sac dont il ne sait plus comment sortir Quant au choix que Garigue semble arr ter en faveur d un f d ralisme renouvel il est fond sur un raisonnement elliptique qui ne convainc que les convaincus La raison principale pour laquelle l essai de Garigue tourne court est qu il aboutit v ritablement un cul de sac Apr s avoir montr la centralit des notions d autonomie culturelle de survivance et de d pendance il doit conclure dans les derni res pages de son essai que tel qu il existe maintenant le f d ralisme canadien ne peut r soudre que des probl mes d ordre secondaire GARIGUE 1963 414 RECHERCHES SOCIOGRAPHIQUES p 158 Pour tre la hauteur du d fi relever il faudrait se d barrasser du principe de repr sentation territoriale et partir d une repr sentation nationale par groupe linguistique et appliquer ce f d ralisme bi national la totalit de la l gislation canadienne p 171 Ce f d ralisme des communaut s qui correspond aux valeurs fondamentales de Garigue et so
14. caricature de la soci t qu b coise d avant la R volution tranquille Au plan politique Pierre Elliott Trudeau tombera dans le m me panneau dans son introduction au livre sur la gr ve de l amiante et dans ses travaux subs quents DUMONT 1993 GARIGUE 1958 GUINDON 1988 HUGHES 1943 LOWER 1943 MINER 1935 OUELLET 1966 RIOUX 1969 TRUDEAU 1956 et 1967 En fait les succ s de Ouellet Guindon et Trudeau dans le monde anglo canadien ont t directement proportionnels la ferveur avec laquelle ils corroboraient la th se Durham Lower PAQUET 1990 et 1992 M me si la production historienne a min l difice construit autour de Durham Miner Hughes Lower Falardeau Ouellet DMHLFO au cours des derni res d cennies et montr que cette hypoth se ne tient pas la route cela n avait pas t fait dans les ann es 1950 Le travail de Garigue de 1958 ne pouvait pourtant pas plus mal tomber Ce n est pas qu il avait tort Bien au contraire Les Canadiens fran ais n avaient pas de mentalit conservatrice mais un exc s d esprit d entre prise et d aventure HARVEY 1979 On peut montrer qu ils ont t extr mement aventureux face un environnement souvent hostile De plus l enracinement communautaire avec ses ponts vers le pass ses institutions et ses symboles et tabous loin d tre n cessairement un handicap a souvent t une source importante de tonus conomique et de capital social pour le Qu bec d
15. charge encore il faut reconna tre que plus de 15 ans apr s on n a toujours pas de th orie de la gouvernance qui fasse l unanimit et que la notion m me reste fortement contest e La notion de m tastrat gie sera pour Garigue une sorte de prototype primaire fort imparfait de la notion de gouver nance imparfait parce que tr s abstrait mais surtout parce que mal d barbouill de certains l ments de fixit en terrain ferme qui sont au c ur de la notion de strat gie emprunt e au monde de la guerre o un agent ou groupe est cens ment en charge alors m me qu il s aventure sur des terrains globaux o personne n est en charge La m tastrat gie devient une proc dure conceptuelle pour Garigue la recherche d une validit op rationnelle fond e sur une coh rence novatrice implique toujours l examen des intentions et des concepts utilis s dans l laboration d une synth se prospective r alisable d marche qui n cessite l utilisation d une pist mologie et d une m thodologie susceptible de construire un r f rentiel adapt au type de probl mes pos s par les mutations actuelles GARIGUE 1992 p 58 59 On voit le niveau de langage auquel Garigue op re GARIGUE TRUBLION ET CLAIREUR 417 Le langage utilis est abstrus mais l intention est claire la m tastrat gie vise faciliter l innovation ou l harmonisation entre le savoir les aspirations collec tives et l action Comme l explique assez
16. classer au tableau d honneur des sp cialistes de sciences humaines de sa g n ration au Canada fran ais quand la poussi re sera retomb e Les grands t nors de cette poque sont presque tous d c d s maintenant Tous ont eu leurs thurif raires et leurs vicaires certains ont acquis des disciples d autres se sont eux m mes d finis comme incontournables des totems qu on n aurait pas le droit d gratigner Tous ces chercheurs ont ajout un brin l difice de nos savoirs mais la plupart ont t aussi de grands simplificateurs et leurs travaux devront tre d cant s parce que tout n y est pas de grand cru Les enfants et disciples des poseurs seront alors d us les enfants et disciples de ceux qui comme Albert Faucher disaient simplement on a ouvert des trails vont tre ravis de voir que leur a eul ou leur ma tre a contribu faire reculer notre ignorance un tant soit peu Dans ce bestiaire le Garigue de la premi re p riode va continuer d tre conspu jusqu ce que le travail r visionniste en histoire et en sociologie ait vou aux oubliettes ou aux mus es les visions dichotomistes en vogue dans les ann es 1950 On en arrivera alors dire de son travail de d molition que c tait la r affirmation du simple bon sens Peut tre se souviendra t on du courage qu il a fallu pour s attaquer la sagesse conventionnelle En histoire administrative du Qu bec il faut esp rer qu il y aura quelques paragrap
17. comme des propos d tapes et ses r sultats comme des hypoth ses qui restent confirmer puisqu il ne se sent pas capable au milieu des ann es 1950 de proposer autre chose que des bribes de r ponse aller plus loin il l crira va r clamer un travail collectif important par des centres de recherche assez riches en ressources humaines et financi res pour y arriver Guindon fera des gorges chaudes de cette suggestion GUINDON 1988 p 26 La repr sentation canonique du Canada fran ais laquelle Garigue s attaque pr tait flanc la critique Elle part d un diagnostic global de retard du Canada fran ais aux plans conomique social et politique Quant GARIGUE TRUBLION ET CLAIREUR 409 l origine de ce retard on l attribue toute une s rie de causes l h ritage insti tutionnel de la colonisation fran aise la Conqu te l hypoth que du cl ricalisme et d institutions d bilitantes causes toutes aussi sp culatives les unes que les autres selon Garigue Les divers individus et groupes qui contestent Garigue ne s entendent d ailleurs pas sur la source profonde de cette inf riorit g o conomique socioculturelle politique psychologique DUROCHER et LINTEAU 1971 et Garigue ne poursuit pas toutes les pistes sugg r es qui ont toutes leur fondement dans l histoire Il se contente de montrer l invraisemblance des explications les plus importantes dans l univers des sociol
18. e de voir aventureuse qui le guide dans tous ces dossiers une approche exploratoire sur le mode de l essai qu il applique des r alit s de plus en plus vastes tout au long de sa carri re Cette m thode n vite pas la confrontation et affectionne souvent la formule cassante pour mieux exposer la proposition mise de l avant au test robuste de la critique Enfin parce que cette mani re de voir qu il ne cherchera th oriser qu en fin de carri re sous le vocable de m tastrat gie GARIGUE 1992 m rite plus d attention qu elle en a re u Derri re ce vocable sibyllin support par un vocabulaire idiosyncratique et des analyses un peu controuv es se dessine une recherche de mots diff rents et de m thodes in dites pour comprendre ce qu on nommera plus tard gouvernance Le prototype que propose Garigue pourra para tre r barbatif mais ce qu il cherche c est le chemin d une r flexion collective m lange de savoir objectif et d entende ment collectif capable d orienter l action dans la construction d un avenir collectif pr f rentiel ses mots Or c est ce que cherchera plus tard un appareil d analyse de la gouvernance plus performant PAQUET 1999a 2004 2005a la coordination GARIGUE TRUBLION ET CLAIREUR 407 efficace quand pouvoir ressources et information sont vastement distribu s C est souvent le lot des pionniers de faire les choses imparfaitement comme les criti ques par Garigue des histor
19. e en s panouissant Garigue part du retard du Canada fran ais et cherche le facteur d terminant qui expliquerait la continuit de la conjoncture GARIGUE TRUBLION ET CLAIREUR 413 d favorable GARIGUE 1963 p 11 qui donnerait la cl de ce retard Son livre de 1963 est aventureux l auteur travaille au macroscope et cherche brosser un tableau d ensemble de l volution du Canada fran ais La fresque historique qu il trace autour de la notion de survivance les formes diverses des strat gies adopt es divers moments la primaut de l autonomie culturelle et les formes d affirmation et d institutionnalisation de cette primaut etc l am ne identifier le ph nom ne de d pendance comme tant la variable strat gique d terminante Cette hypoth se de la d pendance comme variable centrale l am ne placer le probl me nettement dans la sph re politique et l gitimer une s rie de voies de sorties de crise y compris la s paration En un temps o les positions taient camp es en noir et blanc Garigue cherche quelle ing nierie de la gouverne politique pourrait r concilier de fa on efficace un certain nombre de contraintes g otechniques et socioculturelles par les voies du politique Voil qui l am ne montrer les faiblesses du f d ralisme territorial tout autant que les dangers d un repli ind pendantiste Dans ce travail de d broussaillage il identifie le d veloppe
20. e r putation LE RETARD DU CANADA FRAN AIS LA CONTROVERSE DES ANN ES 1950 Quand Garigue arrive au Qu bec il est vite interpell par les mythes qui ont cours Perspectives de certains pionniers Le Canada fran ais de la premi re moiti du XX si cle a t caricatur de diverses fa ons par les historiens et les sociologues Mais il existe une repr sentation inspir e des normit s du Rapport Durham de 1839 qui s est impos e comme canonique entre les deux guerres et dans l apr s Seconde Guerre mondiale Ce chromo associ aux travaux de Miner Hughes Lower Creighton etc dans le monde anglophone pr sente le Canada fran ais comme une petite soci t isol e largement rurale et conservatrice caract ris e par une grande solidarit sociale et un primat du religieux sur le profane C est cette image que devaient reprendre certains historiens et sociologues qu b cois Ouellet Falardeau etc dans les premi res d cennies apr s 1945 et qui s est incrust e Ce chromo hante encore les manuels d histoire du Canada malgr le fait qu on l ait reint au cours des quarante derni res ann es Ce r visionnisme s est impos proportion que les travaux empiriques r v laient une image totalement diff rente au fil des terrains Jean Pierre Wallot et moi avons travaill hardiment ce d bronzage depuis le milieu des ann es 1960 et propos r cemment une synth se de ces travaux qui pr sentent une versio
21. ersity of Ottawa Press HuGHEss Everett C 1943 French Canada in Transition Chicago University of Chicago Press LEFEBVRE Henri 1961 Utopie exp rimentale pour un nouvel urbanisme Revue fran aise de sociolo gie 2 185 193 1968 Le Droit La Ville Paris ditions Anthropos 1970 Du rural l urbain Paris ditions Anthropos LEMIEUX Vincent 1963 Compte rendu de P Garigue L option politique du Canada fran ais Recher ches sociographiques 4 2 243 244 LOWER Arthur R M 1943 Two says of life The primary antithesis of Canadian history Canadian His torical Association Annual Report p 5 18 MEDAWAR P B 1967 The Art of the Soluble London Methuen MINER Horace 1935 St Denis A French Canadian Parish Chicago University of Chicago Press OUELLET Fernand 1966 Histoire conomique et sociale du Qu bec 1760 1850 Montr al Fides PAQUET Gilles 1980 1981 Histoire conomique du Canada Vingt cinq missions de 60 minutes diffus es autom ne hiver 1980 81 Montr al Maison de Radio Canada 1990 Hubert GUINDON h risson Recherches sociographiques XXX 2 273 283 1992 Marcel Rioux situationologue ou de l incommensurabilit des mani res d tre dans Jacques HAMEL et Louis MAHEU dirs Sociologie critique cr ation artistique et soci t contemporaine Hommage Marcel Rioux Montr al ditions Saint Martin p 121 144 1999a Governance throug
22. h Social Learning Ottawa The University of Ottawa Press 1999b Oublier la R volution tranquille Pour une nouvelle socialit Montr al Liber 2004 Pathologies de gouvernance Montr al Liber 2005a Gouvernance une invitation la subversion Montr al Liber 2005b The New Geo Governance Baroque Approach Ottawa The University of Ottawa Press 2008 Tableau d avancement Petite ethnographie interpr tative d un certain Canada fran ais Ottawa Presses de l Universit d Ottawa 2008b Governance as stewardship www optimumonline ca 38 4 422 RECHERCHES SOCIOGRAPHIQUES PAQUET Gilles et Jean Pierrre WALLOT 1973 Patronage et pouvoir dans le Bas Canada au tournant du XIX si cle Montr al Pres ses de l Universit du Qu bec 1984 propos de l habitant qu b cois le chromo versus le mod le M moires de la Soci t Royale du Canada Quatri me S rie XXII p 205 213 2007 Un Qu bec moderne 1760 1840 Essai d histoire conomique et sociale Montr al HMH Rioux Marcel 1957 Remarques sur les concepts de folk soci t et de soci t paysanne Anthropo logica 5 147 162 1969 La Question du Qu bec Paris Seghers ROMME Georges L 2003 Making a difference Organization as design Organization Science 14 5 558 573 Ryan William F 1966 The Clergy and Economic Growth 1896 1914 Qu bec Les Presses de l Universit Laval ScH N Donald et Mar
23. hes propos de son travail en politique familiale mais ces choses sont vite oubli es dans une soci t amn sique comme la n tre Qui se souvient de Daniel 420 RECHERCHES SOCIOGRAPHIQUES Johnson p re qui paradoxalement en d cidant de continuer financer l cole priv e a contribu sauver l cole publique de la perdition Dans les manuels de l an 2050 il faut esp rer qu on se souviendra au moins de son r le de trublion et qu on rappellera que le premier dans les ann es 1950 il a commenc remettre en question certains mythes propos du Canada fran ais et qu il a aid mettre un peu de bon sens dans l architecture de notre politique familiale C est beaucoup Ce qui ne sera pas dit et c est malheureux c est l importance de son travail d claireur de prospecteur de t tonnement sur le chemin de la gouvernance Il avait compris intuitivement en 1990 en bon anthropologue qu il tait ce que toute une cohorte de sp cialistes de sciences humaines n ont pas encore compris aujourd hui la centralit de la gouvernance et le fait que pist mologiquement celle ci r clame des approches in dites ROMME 2003 C est beaucoup aussi Gilles PAQUET Professeur m rite Universit d Ottawa gilles paquet ottawa ca BIBLIOGRAPHIE BOURQUE Gilles Jules DUCHASTEL et Jacques BEAUCHEMIN 1994 La soci t lib rale duplessiste Montr al Presses de l Universit de Montr al Dewey John 1935 Liberalism
24. i qui s est int ress l innovation et la politique scientifique et enfin le savanturier qui a fait la promotion d un entendement m tastrat gique face aux d fis pos s par la soci t plan taire mais il y a aussi le Doyen Montr al et le Principal Glendon et puis il y a le po te et j en passe Transversalement dans sa vie priv e Garigue est un homme de Recherches sociographiques LI 3 2010 xx xx 406 RECHERCHES SOCIOGRAPHIQUES contrastes popp rien pist mologiquement profond ment personnaliste et chr tien gestionnaire parfois autocratique esprit critique au verbe ac r homme de pouvoir opportuniste au meilleur sens du terme un brin arrogant engag dans un effort constant pour proposer des politiques pas trop intrusives parce qu il est conservateur dans l me mais Quichotte qui vers la fin de sa carri re s attaque des probl mes himalayens Je vais me concentrer sur un seul de ces Garigue le Garigue trublion et claireur deux m tiers dangereux o les d rapages sont probables le franc tireur qui per oit les faiblesses de l ennemi et les expose sans m nagement de mani re appuy e et qui en cons quence sent imm diatement le besoin de proposer une explication de rechange ou tout au moins une piste prometteuse et qui part en claireur souvent sans prendre toutes les pr cautions d usage au risque de se perdre Vie expos e l opprobre donc car le trubli
25. iens et sociologues de l re pr c dente l avaient bien montr Ce sera son cas dans le dossier gouvernance Les gaucheries et le caract re un peu abstrus du livre de 1992 ne r duisent cependant en rien l int r t du genre d exploration entreprise par Garigue dans ce chantier Son uvre est aujourd hui largement ignor e la fois cause du style de l homme mais aussi cause du genre d quip es qu il a entreprises la verve de sa remise en question de la Grande Noirceur d avant 1960 au Qu bec qui a reint la fois les f d ralistes et les ind pendantistes son effort pour d fendre le capital social de la famille ce qui fait qu on l a vite class dans la cohorte des r actionnaires sa d fense bien prudente et timor e d un f d ralisme utopique qui a donn l urticaire l intelligentsia souverainiste du Qu bec son expos du nationalisme comme fabricateur de mythes et de mystification qui va en indis poser plusieurs son activisme d agitateur aupr s des organismes familiaux qui va ennuyer les bureaucrates ses efforts bien maladroits pour th oriser le design des nouvelles organisations qui lui semblent n cessaires dans un monde qui ne peut plus tre domin par l tat qui vont horripiler bien des politologues pour qui l tat est le nouveau Golem et toute recherche d une gouvernance polyphonique mal inspir e Toute une phalange de calomniateurs et de m disants va assurer sa mauvais
26. ieux qui se m fient et rejettent l tat propulsif Dans ce domaine fondamentalement complexe Garigue insiste donc sur un r le relativement important pour le gouvernement pour cr er un climat favorable la recherche au d veloppement mais aussi pour impulser une orientation g n rale et stimuler un investissement accru dans la production de connaissances nouvelles parce que les effets de retomb e positifs sur des tiers des efforts de R amp D effets externes sont tellement importants que l agent priv est entra n sous investir syst matiquement GARIGUE 1972 p 2 Garigue comprend la complexit du syst me mais ne voit pas comment la coordination n cessaire pourrait venir d ailleurs que de l tat propulsif et de l administration publique avec ses imp ratifs de haut en bas Il sent pourtant que l action gouvernementale pour corriger la myopie et la perspective restreinte des agents priv s ne saurait suffire La coordination requise d acteurs les plus divers dans des chantiers en volution constante r clame des structures tr s souples et une collaboration exhauss e de tous les milieux GARIGUE 1967 Le stato centrisme semble tre ici un pis aller Garigue se voit r duit laborer des strat gies qui tout en reconnaissant la centralit de la communaut scientifique au sens large accorde aux divers niveaux de gouvernements une importance d terminante dans l orienta tion de l entreprise scientifique Il vit dan
27. isations internationales dans divers secteurs Il serait surprenant qu il ne soit pas devenu conscient qu on est en train d inventer ce niveau de nouveaux mod les de gouverne en l absence d un Etat mondial Il est amen reconna tre que d centralisation participation et ouverture sont les nouveaux axes explorer d s 1972 dans son commentaire sur le rapport du Comit s natorial de Maurice Lamontagne sur la politique scientifique On est ce moment l l or e d une crise conomique qui va remettre en question le keyn sianisme mais la foi planificatrice est encore forte Au Canada et au Qu bec commence une d cennie d enfer o bien des dogmes conomiques keyn siens seront remis en question On sent que d s 1972 Garigue le pressent Mais ses propos restent bien elliptiques Et puis il se tait peu pr s compl tement Ce n est que dans les ann es 1990 qu il ambitionnera de th oriser le genre de probl mes de coordination efficace auxquels il est confront partir d une perspective plan taire dans un univers o la b quille tatique ne peut pas servir puisqu elle n existe pas il doit travailler dans un monde o personne n est en charge o il faut faire sans le gouvernement comment y penser la coordination Le livre de 1992 de Garigue constitue cet effort de th orisation autour de la notion de m tastrat gie L expression n est pas heureuse et l argumentation qui la d veloppe est confuse Mais sa d
28. le Garigue se d battait C est une probl matique qui est occult e exorcis e ni e Ce mal touche la grande majorit et constitue une prison mentale de la plus grande toxicit On insiste pour s imposer le postulat que dans nos organisations quelqu un est en charge le plus souvent l tat et que son leadership guide les politiques et les strat gies alors que le pouvoir les ressources et l information sont dans les faits vastement distribu s que personne n est en charge et que la notion de leadership est un concept guimauve PAQUET 2008b Garigue avait l avantage de se poser la bonne question de s attaquer au vrai probl me Pour bien des univer sitaires d aujourd hui y en n a pas de probl me Il est malheureux que le march des id es soit aussi imparfait Au moment o Garigue travaillait son ouvrage de 1992 la litt rature sur la gouvernance tait en train d exploser S il y avait t expos il aurait su quoi en faire Mal outill il s attaquait un probl me trop gros pour lui C est une trag die qui touche bien des scientifiques quand ils sont confront s des Himalayas au dessus de leurs forces MEDAWAR 1967 Traduire le probl me de Garigue dans le vocabulaire de la gouvernance me semble un d fi int ressant Il a trouv les bonnes questions Il m rite qu on continue de chercher apr s lui avec lui des r ponses utiles Il n est peut tre pas trop t t pour se demander comment Garigue va se
29. n fort diff rente du Canada fran ais un Qu bec entrepreneu 408 RECHERCHES SOCIOGRAPHIQUES rial et moderne PAQUET et WALLOT 2007 J ai aussi montr le caract re inad quat des images qu on a donn es du Canada fran ais d avant 1960 dans mon Oublier la R volution tranquille 1999b Des travaux historiques approfondis ont aussi montr que ces simplifications d formaient non seulement un grand pan du pass lointain du Qu bec mais aussi l entendement du pass plus r cent BOURQUE DUCHASTEL BEAUCHEMIN 1994 C est le grand m rite de Philippe Garique d avoir contest cette vision chromo canonique mythique et centenaire d s les ann es 1950 et d avoir commenc chafauder une version moins triqu e de ce qu tait vraiment la soci t canadienne fran aise GARIGUE 1958 Critique des pionniers La contribution de Garigue dans les essais de 1958 est fondamentalement critique M me s il a ajout certains l ments au dossier documentaire partir de travaux assez limit s sur le terrain au milieu des ann es 1950 et m me s il ouvre certaines fen tres sur des dossiers historiques importants qui ne seront explor s que bien apr s c est son examen critique des fondements de la th se canonique qui a fait mouche Les crits sur le Canada fran ais de G rin Falardeau lui ont paru peu convaincants Il va donc offrir une critique des pionniers qui est dure mais polie il va montrer que les approches adopt es
30. n sens de la primaut de la soci t civile a une saveur la Andr Laurendeau comme lui il cherche assurer la repr sentation politique des communaut s premi res PAQUET 2008 ch 5 Mais s il exprime un optimisme probabiliste quant la possibilit qu merge ce nouveau f d ralisme bi national il ne d passe pas le niveau du v u pieux rien dans son essai ne fait cho ce qu il faudrait faire pour contrer une incapacit toute britannique de nos institutions reconna tre aux communaut s un droit tre repr sent es comme telles TULLY 1995 Garigue laisse le lecteur compl tement d pourvu alors m me qu il a sugg r qu il faudrait mettre en place une technologie sociale de gouvernance pour instituer un f d ralisme capable d accommoder une diversit culturelle profonde Ce travail n cessiterait un recadrage fondamental de la notion de f d ralisme territorial qui est maintenant en vigueur PAQUET 2005b ch 13 mais aussi et c est infiniment plus difficile une refondation de la gouvernance du pays sur la base des communaut s une refondation difficile accepter politiquement ainsi qu on l a bien vu dans les d bats autour de Meech et Charlottetown parce qu une recon naissance des communaut s primaires ne peut que se traduire par des r gimes de gouvernance souverainet partag e Le sermon de Garigue ignore ces questions de gouvernance Alors que la politique familiale qu il propose est
31. nique d une soci t ferm e RYAN 1966 Enfin au plan des g n ralisations Garigue est ici percutant On est tomb depuis les calomnies de Durham et les d rapages de G rin jusqu aux exc s racistes de Lower dans l illusion de totalit on a g n ralis partir d observations fort localis es tout le Canada fran ais L effet a t toxique La g n ralisation abusive a non seulement emport les chercheurs individuels fantasmer mais par effet de contagion a fait que la fabulation s est r pandue sur toute la communaut intel lectuelle comme autrefois la v role sur le bas clerg L image du Canada fran ais qui s est accr dit e et que Garigue attaque est celle qui est au centre de la th se Durham Lower une image stylis e de l ordre institutionnel et du genre de vie canadien fran ais pr sent e comme the medieval rural Catholic way of life Le Canadien fran ais y est caricatur comme fondamentalement conservateur inf rieur d muni LOWER 1943 PAQUET et WALLOT 1984 En histoire Fernand Ouellet adopte holus bolus les th ses de Lower sur la mentalit conservatrice du Canadien fran ais qui selon lui serait un eternal looser sic En sociologie Hubert Guindon va aussi les reprendre son compte dans sa controverse avec Philippe Garigue Rioux et Dumont ont mis des b mols et des di ses la position Miner Hughes mais sans prendre leurs distances compl tement par rapport cette
32. o conomique qui importe ne peut qu infirmer la d marche et en r duire la valeur heuristique Or ce carcan va continuer de dominer les travaux des sociologues et des historiens pendant un bon moment Les plus astucieux vont mettre des b mols mais ne se d gageront pas tout fait du carcan Ensuite au plan des postulats et des m canismes propos s M me si Garigue ne fouille pas lui m me le dossier historique il glane suffisamment de renseigne ments pour jeter le doute sur la caract risation du Canada fran ais comme soci t archa que et paysanne sur le postulat du pouvoir h g monique et toxique du clerg et sur l image d une soci t immobile On doit plut t reconna tre que le Canada fran ais tait de longue date en bonne partie urbain que les rapports avec le clerg ont t tendus et qu il s agissait d une soci t secou e constamment par des cycles de migration et de colonisation Quant aux m canismes de transmis sion du patrimoine au conservatisme cong nital des Canadiens fran ais au r le dominant du clerg et l hypoth que de la famille Garigue montre bien qu ils ne jouent pas comme on le pr tend loin d tre conservateur le Canadien fran ais est individualiste et aventureux le clerg et l glise ont aussi un r le de support culturel positif et l importance accord e la famille tient bien plus d un bon usage 410 RECHERCHES SOCIOGRAPHIQUES du capital social que de l atavisme cla
33. ogues et des historiens partir d un examen pr liminaire du dossier historique disponible et de certains coups de sonde sur le terrain dans les ann es 1950 Quelles que soient les causes profondes invoqu es la cons quence est la m me une soci t canadienne fran aise dont la mentalit serait conservatrice ferm e sur elle m me et inapte la modernit ou la d mo cratie C est cette d ficience exog ne ou endog ne sur laquelle l unanimit se serait faite tant dans le clan nationaliste que dans le clan f d raliste qu on attribue all grement un retard conomique social et politique consid r assez g n ralement comme av r L attaque de Garigue sur cette citadelle va se faire sur plusieurs plans D abord celui de l pist mologie et de la m thode Garigue s attaque la mod li sation en vogue qui est fond e sur la notion de folk society de Redfield une mod lisation r ductrice mais aussi la m thodologie des types id aux qui elle m me d figure encore davantage la r alit sociale en imposant une dichotomisation l o la continuit semblerait plus naturelle Ce double handicap d une stylisation ind ment simpliste qu on veut imposer sur une r alit qui ne lui convient pas et d une analyse qui sombre dans la statique comparative de deux types id aux rural urbain tradition modernit etc alors m me que c est la dynamique du changement et de l int gration soci
34. on n a pas toujours raison et l claireur est un chercheur pas n cessairement un trouveur Notre d broussaillage se fera en trois tapes un examen du Garigue qui jette un pav dans la mare au milieu des ann es 1950 et remet en question quelques dogmes socio historiques en vogue l poque une vignette du Garigue des ann es 1960 la bonne place et au bon moment pour influencer la politique familiale au Qu bec o il sera un modulateur influent et du Garigue psychanalyste de l thos du Canada fran ais et sugg rant l option politique qui s impose selon lui et un coup d il enfin sur le Garigue qui s ouvre des horizons de plus en plus vastes dans ses analyses de l innovation levier fondamental dont il comprend bien l importance et r fl chit aux probl mes que la soci t nouvelle doit r soudre mais avec des r sultats d cevants parce qu il pense gouvernance sans le dire expli citement et sans avoir l outillage mental n cessaire pour ce genre d escalade Pourquoi ce zoom sur cinq moments dans une longue carri re D abord parce que ces grumeaux me semblent r v lateurs de l homme un anthropologue ce genre d homme qui regarde les choses de l ext rieur avec un brin de hauteur qui tente de comprendre des r alit s de plus en plus complexes t tons critique et curieux volontiers contre courant toujours en qu te et audacieux Ensuite parce qu il me semble que c est la m me mani r
35. p niblement Garigue on n est plus dans le domaine des sciences exp rimentales avec leurs tests d hypoth se mais dans mes mots dans une activit de design de construction d un monde qui n existe pas encore Garigue est ici tiraill entre deux perspectives D une part il est tent par une cosmologie la Teilhard de Chardin version labor e de son th or me complexit conscience qui ferait qu proportion que la complexit du syst me s accro t l optimisme probabiliste de Garigue l am ne sugg rer qu il y aura savoir augment conscience accrue mergence d un r f rentiel syncr tique et collaboration plus grande GARIGUE 1992 Ce ph nom ne d auto organisation par lequel les divers r f rentiels des diff rents groupes se synth tisent d une mani re efficace reste myst rieux mais c est un sentiment qui habite le livre de Garigue D autre part Garigue note que la m tastrat gie fait percevoir l existence d une structuration des r f rentiels p 64 mais il n est pas explicite quant au processus qui en assure l mergence Il n est jamais clair si le r f rentiel des r f rentiels existe toujours et automatiquement et que le probl me est simplement de l identifier ou s il faut travailler le construire partir des diff rents r f rentiels des acteurs et groupes Dans ce dernier cas on est davantage pr s de la probl matique de SCH N et REIN 1994 Quelle que soit la pr f
36. que du Canada fran ais et des banalit s sur la politique scientifique Pourtant son instinct lui a fait mettre le doigt sur des probl mes de fond et lui inspire des approches t tonnantes et maladroites qui avec le recul du temps paraissent de bon aloi Il a compris dans ces dossiers complexes l inad quation des m thodes exp rimentales des sciences physiques face aux probl mes des socio conomies Il a vite dout des approches centralisatrices et autocratiques mais c est surtout cause de son personnalisme Il a senti dans les ann es 1960 et 1970 l importance des d fis de fragmentation et de coordination Mais il n avait pas l outillage mental pour r soudre ces probl mes il les a donc simplement soulev s et a quitt le terrain sans donner beaucoup de r ponses sinon saveur tatiste Il tait victime de son temps Le livre de 1992 demeure tr s opaque et finalement ind cidable la pens e y est elliptique le vocabulaire difficile et le mode d emploi n est pas au rendez vous Mais Garigue y circonscrit un territoire important m me s il le fait avec maladresse Il n arrive pas bien nommer les choses c est l une faiblesse majeure GARIGUE TRUBLION ET CLAIREUR 419 Mais pour qui le lit maintenant il est difficile de ne pas tre charitable quand on sait que sociologues politologues et historiens de la derni re mouture semblent encore incapables de concevoir cette probl matique de gouvernance avec laquel
37. ravailler la hache et de sugg rer dans le d sordre une s rie de consid rations qui viennent l esprit apr s une relecture de certains de ses travaux D abord Garigue est un trublion av r Il a clairement remis en question les travaux de la gent sociologiste et historienne dans les ann es 1950 avec verve et panache sans faire de quartier et il est certain qu il a laiss ses opposants mal en point Il l a fait avec arrogance et par esprit de provocation et on ne le lui a pas pardonn C est pourtant un change qui a nettoy le terrain et qui a forc ses oppo sants se d fendre bien davantage par l invective que par des propos qui auraient rassur sur la robustesse des positions traditionnelles Ensuite Garigue a fait un travail remarquable de prudentia au niveau de la politique familiale Bien enracin es dans une recherche s rieuse ses propositions ont non seulement endigu l tatisme d lirant dans ce dossier mais ont r ussi au moins temporairement fonder une politique familiale qui a t construite de bas en haut avec la collaboration du milieu Quand Garigue s est aventur hors de ces zones de sa comp tence il a produit des travaux clairants par moment et des hypoth ses neuves Mais guid par le bon sens et l intuition il n a pas r ussi produire des travaux d terminants Il en est rest au commentaire intelligent et aux hypoth ses int ressantes sans plus dans son travail sur l option politi
38. s le monde du Grand G gouvernement et a de la difficult imaginer que l impulsion puisse venir d ailleurs dans la production de ce bien public tellement complexe il ne comprend pas ce que pourrait tre le monde du petit g gouvernance HUBBARD et PAQUET 2007 la d charge de Garigue le Comit Lamontagne ne pourra pas aller plus loin lui non plus et ce cause des m mes prisons mentales Lamontagne est profond ment keyn sien et construira des recommandations dans le sens d une planification indicative n cessaire Garigue va commenter les propositions de Lamontagne et la sorte de machinerie gouvernementale n cessaire pour assurer 416 RECHERCHES SOCIOGRAPHIQUES la coordination qu il juge essentielle Dans les derni res pages de son commentaire de 1972 Garigue reconna t cependant que le syst me f d ral rend le d veloppe ment d une politique scientifique plus complexe qu il ne le voudrait Il se tourne vers les recommandations du Conseil de l Europe soulignant l importance de la d centralisation et de la plus vaste participation de toutes les parties prenantes dans un multilogue ouvert GARIGUE 1972 mais sans aller plus loin que d mettre le v u que cela se r alise Quel appareil de gouvernance va assurer ces r sultats Sur ce point Garigue est muet M tastrat gie Le recours au contexte international comme r f rence est toute naturelle pour Garigue qui participe activement aux travaux de nombreuses organ
39. tin REIN 1994 Frame Reflection New York Basic Books TRUDEAU Pierre Elliott 1956 La crise de l amiante une tape dans la r volution industrielle au Qu bec Montr al ditions Cit Libre 1967 Le f d ralisme et la soci t canadienne fran aise Montr al Hurtubise TuLLy James 1995 Strange Multiplicity Cambridge Cambridge University Press
40. x d anthropologue sur la vie familiale des Canadiens fran ais et montr la valeur du capital social dans sa contestation des travaux la Lower Pour Garigue l importance de ces institutions traditionnelles n est pas un emp chement la modernit mais un compl ment et m me un support aux institutions engendr es par la modernit Ses travaux sur la famille au moment o on se questionne sur sa pertinence et o l intervention tatique entre en trombe dans la vie qu b coise vont tre d terminants Il va d fendre avec vigueur l importance du capital social avant la lettre et sa compl mentarit avec l action tatique et convaincre le gouvernement Lesage de bien la prendre en compte Sa pr sence la pr sidence du Conseil sup rieur de la famille dans les ann es 1960 et son intervention percutante dans l annexe 16 du rapport de la Commission Castonguay Nepveu sur les fondements d une politique familiale vont avoir des effets importants tout au moins sur la fa on dont la politique familiale va se d ployer d une mani re tapiste au Qu bec Garigue joue finement dans ce dossier Certains diront que son r le demeure cependant nigmatique parce que ses d clarations sont rest es fort g n rales Mais il a t toujours tr s pratique dans ses suggestions audacieux aussi en acceptant de d battre des r seaux de parent et du r le conjugal et il a t un agent de mobilisation d animation d agitation des groupes f
Download Pdf Manuals
Related Search