Entretien sur la démocratie - Académie des sciences morales et
Contents
1. est irr versible en cas d erreur judiciaire outre qu elle est cruelle Les enqu tes indiquent une tendance ce que la morale se r duise de plus en plus au principe n gatif ultime sur lequel elle repose depuis les temps les plus anciens ne faites pas autrui ce que vous ne voudriez pas qu on vous f t Les agis sements n entra nant pas d inconv nient pour autrui sont de plus en plus g n ralement consi d r s comme relevant de la sph re priv e EL Dominique de Villepin dans le scandale Clearstram s interroge sur un Pr sident de la R publique la fois juge en tant que pr sident du Conseil Sup rieur de la Magis trature et partie civile En r alit la question pos e est celle de la s paration des pou voirs Quel jugement portez vous sur cette s paration RB La s paration ou l quilibre des pouvoirs est l me de la d mocratie Toute situation o une personne est la fois juge et partie est insupportable et donne le sentiment d une violation de principes fondamentaux Le public est tr s conscient de l importance de ce principe Des enqu tes effectu es l occasion d affaires jug es par la Cour de justice de la R publique comme l affaire dite du sang contamin ont par exemple clairement r v l que le public toutes cat gories de sympathies politiques confondues accepte mal que les politiques puissent tre partie prenante dans des affaires mettant en cause des polit2. pour une abolition des droits d entr e sur les grains en Angleterre parce qu il voyait dans l abolition de cette disposition protectionniste un moyen de mettre fin une rente qui b n ficiait aux grands propri taires fonciers et loignait la classe poss dante des autres classes sociales Si lib ralisme politique et conomique sont distincts ils ne sont pas sans re lation Le lib ralisme conomique n entra ne pas automatiquement le lib ralisme politique mais dans bien des cas il l a facilit cas des Pays Bas hier de la Cor e du Sud aujourd hui Montesquieu voyait dans l extension des changes conomiques un garant de la paix interna tionale Quant au lib ralisme politique il recommande le lib ralisme conomique Car l id e de base du lib ralisme est que la libert va de pair avec la responsabilit l efficacit et le bien tre L id e selon laquelle le march doit tre r gul est une vidence puisqu il n y a pas de march sans r gles Pour cette raison le lib ralisme dit sauvage est un pouvantail qui n a jamais r ellement exist L Etat est toujours et partout intervenu pour d finir les r gles du march L hostilit au lib ralisme est en grande partie l effet de l influence des id es marxis tes et nihilistes toujours pr sentes quoique de fa on plus discr te aujourd hui qu hier dans les enseignements d histoire et de sciences humaines et sociales dans les ens
3. Entretien sur la d mocratie Raymond BOUDON De l Institut Entr e Libre Dans votre texte Renouveler la d mocratie mode d emploi publi par la Fondation pour l innovation politique nous sommes frapp s par ce particularisme fran ais qui rend la notion de d mocratie floue Comment l expliquez vous Raymond Boudon Je vois plusieurs causes ce particularisme fran ais qui rend la d mocra tie floue Notamment 1 Une tentation s culaire fran aise r soudre les crises politiques qui surviennent p riodiquement dans notre pays depuis la R volution en installant un pouvoir concentr sous estimer par suite le grand principe de l quilibre des pouvoirs et introduire ainsi les germes de la crise suivante Tocqueville avait justement d clar sous le second Em pire que le pouvoir politique fran ais paraissait fort parce que concentr mais qu il tait en r alit faible pour cette raison m me Sympt mes entre mille de cette tendance la concentra tion du pouvoir la constitution de la Ve R publique reconna t l existence d une autorit mais non d un pouvoir judiciaire dans les premi res ann es la Ve R publique ne recon na t pas l ind pendance des m dias 2 La centralisation fran aise et la complicit de fait qu elle entra ne entre certains journalistes certains intellectuels et certains responsables ont eu pour cons quence que les id es d inspiration marxiste ou nih
4. agissantes Cette situation fait que l ex cutif para t ob ir dans son action un param tre essentiel ne pas provoquer de mouvements de rue Cela explique largement que les r formes soient en France beaucoup plus longues venir que dans des pays plus authentiquement d mocratiques qu elles se pr sentent sous une forme minima liste et que souvent elles satisfassent les corporations et les minorit s agissantes mais d oi vent le public EL Quel message d livreriez vous aux jeunes RB Ne pas juger des questions politiques partir de la passion ou de l enthousiasme et en core moins du fanatisme Se demander en s informant dans toute la mesure du possible si telle mesure envisag e par le politique entra ne des effets positifs du point de vue de l int r t g n ral et si elle s appuie sur des principes acceptables V rifier que toute mesure est la fois effi cace et quitable qu elle ne sacrifie ni l quit l efficacit ni l efficacit l quit uvrer chacun sa place pour un approfondissement de la d mocratie fran aise tous les niveaux C est la condition d une am lioration de la condition de chacun Cultiver et exercer son esprit critique notamment l gard de tous ceux qui ont pour fonction de dire ce qui est vrai bon ou juste des politiques des enseignants des intellectuels et des m dias EL et aux autres RB Etre exigeant l gard de tous les po
5. cipe justifier sur la place publique toute action de sa part l int rieur de la sph re publique et montrer qu on peut en attendre des r sultats que le spectateur impartial appr cierait EL Pour vous il faut renouveler la d mocratie c est dire la d mocratie repr senta tive A quoi faut il chapper pour renouveler la d mocratie RB Renouveler la d mocratie c est avant tout revivifier ses grands principes dont celui de l quilibre entre tous les pouvoirs de la pr f rence attentive pour l int r t g n ral contre les int r ts corporatistes et g n ralement les int r ts particuliers C est aussi respecter le citoyen par exemple en tenant un langage de v rit et en renon ant la litanie du tout va pour le mieux C est aussi pour le politique faire preuve de rigueur morale Montesquieu voyait justement dans la vertu l ingr dient indispensable des d mocraties EL Nous avons souvent vu le pouvoir politique reculer devant le pouvoir de la rue Comment r agissez vous cela RB Le pouvoir de la rue est un sympt me caract ristique de la France beaucoup plus que d autres d mocraties Ce sympt me t moigne en premier lieu mon sens d un mauvais qui libre des pouvoirs Il en r sulte sous les apparences d un ex cutif fort une faiblesse de fait du pouvoir politique une sous utilisation du Parlement et par voie de cons quence un vaste espace politique abandonn aux minorit s
6. e impliquant l vidence que les citoyens soient con us comme autonomes et comme capables de jugement droit Comment analysez vous la condition citoyenne dans notre pays RB Dans les faits on a souvent l impression que en France le syst me de d cision politique est surtout constitu par un dialogue entre l ex cutif et les groupes d int r t ou les minori t s agissantes Dans un r gime repr sentatif le citoyen doit se sentir repr sent par ceux qu il envoie au Parlement Lorsque le Parlement para t ne pas avoir de r els pouvoirs de d cision ou de contr le ou ne pas utiliser en r alit ceux dont il dispose il en r sulte que le citoyen ne peut vraiment se ressentir comme la source ultime des d cisions politiques comme le veut l id e m me de la d mocratie EL Vous regrettez la r duction de la notion de lib ralisme qu a son sens conomique Le mal fran ais n est il pas justement la confusion des sens RB Le fait que le mot lib ralisme ait une connotation souvent n gative en France s explique en grande partie par une ignorance d plorable en mati re d histoire des id es poli tiques sociales et conomiques dont le syst me d enseignement est en grande partie respon sable On ne voit pas que le lib ralisme conomique a t d fendu l origine pour des raisons politiques et sociales Ainsi au XIXe si cle la grande figure du lib ralisme que fut Richard Cobden plaida
7. eignements se condaires et sup rieurs EL Quelle responsabilit portent les lites dans cette confusion et dans cette crise intellec tuelle in luctable RB Les lites intellectuelles fran aises ont souvent dans les derni res d cennies donn l impression qu elles n accordaient que peu de valeur l esprit critique qui est pourtant le nerf et d finit le sens de l activit intellectuelle et qu elles avaient plut t une vocation la militance souvent au service de causes ou d id es confuses voire perverses comme L Althusser P Bourdieu ou M Foucault dont les engagements voquent davantage l aveuglement de Sartre en faveur du r gime cubain que le caract re visionnaire des prises de position politiques de Voltaire dans l affaire Calas par exemple Pendant un demi si cle beaucoup d intellectuels fran ais prirent Sartre pour mod le de pr f rence Bayle ou Vol taire Les id es se transmettant de g n ration en g n ration par le syst me d enseignement les changements de cap sont lents en la mati re La p riode actuelle est caract ris e par une situa tion de perte des rep res intellectuels et d clatement des id es EL Autre confusion que vous d noncez l galit Vous d montrez une mauvaise inter pr tation de la notion tocquevillienne de l galit Pour vous l galit porte sur les droits et non sur les conditions Vous allez plus loin en affirmant que l in gal
8. iliste y ont eu surtout dans la p riode qui va de la fin de la seconde Guerre la fin du XXe si cle une influence plus consi d rable que dans la plupart des d mocraties Or elles prennent le contre pied sur tous les plans philosophique anthropologique sociologique politique des id es d velopp es par la tradi tion lib rale notamment par Montesquieu Adam Smith Tocqueville B Constant J Stuart Mill Max Weber ou Durkheim et qui prises ensemble constituent ce qu on peut appeler la th orie classique de la d mocratie D o la perte des rep res intellectuels souvent vo qu e EL Pourquoi appelez vous un retour aux principes fondateurs de la d mocratie Est elle en danger RB Je ne crois pas que la d mocratie soit en danger en France mais je crois qu elle pourrait mieux fonctionner C est parce qu elle fonctionne mieux en Scandinavie en Angleterre ou en Allemagne que l on y observe pas ces divers effets ind sirables que sont la lenteur et la pru dence avec lesquelles ont t et parfois sont encore aujourd hui trait s en France des probl mes graves entre autres le taux de ch mage l inadaptation du syst me d enseignement le probl me des retraites le probl me de la dette sans parler du rituel des incendies de voitures de l tat d shonorant des prisons etc EL Vous crivez en d mocratie le pouvoir ultime r side entre les mains de chacun des citoyens ce princip
9. iques Pouvoirs ex cutif l gi slatif judiciaire conomique bureaucratique m diatique social local r gional national etc doivent tre aussi quilibr s que possible Le cumul des mandats est mal compris par le spectateur impartial peut on s rieusement g rer les probl mes d une ville m me moyenne et exercer efficacement un mandat parlementaire Certes les lecteurs locaux sont contents de voir leur d put maire nomm ministre car ils ont int r t tirer b n fice de son influence mais le spectateur impartial r prouve cette situation La d mocratie am ricaine choque parce qu elle a beaucoup moins que les d mocraties europ ennes r ussi s parer le pouvoir conomique et le pouvoir politique En France le pouvoir social de syndicats peu repr sentatifs choque le spectateur impartial Pouvoir social et pouvoir politique sont mieux quilibr s dans les pays o les syndicats sont davantage repr sentatifs les syndicats anglais ou su dois d enseignants acceptent l id e que la question du nombre des enseignants soit une question qui rel ve du pouvoir politique et non de leur pouvoir social On ne peut justifier l id e que le d tenteur d un fragment de pouvoir politique puisse chapper au droit commun sur les sujets relevant du droit commun Le public fran ais n accepte pas davantage que le public norv gien contrairement aux poncifs faciles sur les diff rences entre les pays de tradi
10. it n est pas for c ment une injustice Pourquoi RB L in galit peut b n ficier tous et en ce sens tre parfaitement l gitime Si dans une entreprise le responsable n est pas davantage r mun r que l ex cutant l entreprise ne fonc tionnera pas bien ici l in galit entra ne des effets positifs pour tous elle est fonctionnelle Il y a aussi des in galit s qui sans tre fonctionnelles sont dues des causes compr hensibles Ainsi les r mun rations des vedettes du spectacle ou du sport sont l effet de l engouement qu elles provoquent Elles sont couramment per ues pour cette raison comme excessives mais non comme injustes On comprend aussi qu une entreprise dynamique puisse verser des salaires plus lev s travail comparable qu une entreprise en difficult Il y a par contre des in galit s per ues comme insupportables Ce sont celles qui ne se justifient pas par les effets positifs qu elles entra nent ou par les causes qui les provoquent comme les privil ges ou les passe droits que s octroient certains acteurs conomiques ou politiques Il est indispensable de distinguer clairement galit et quit L galitarisme est la doctrine pernicieuse qui confond les deux EL Quelle est la part du consensus dans la d mocratie RB Sur tout sujet le politique doit rechercher le consensus c est dire chercher prendre des mesures qui seraient accept es par le specta
11. nt r t g n ral Il n est pas normal que des emplois de fonctionnaires soient mis au service des syndicats qui par d fini tion d fendent des int r ts corporatistes EL Vous regrettez la mise en avant de la d mocratie participative Pourquoi RB La notion de d mocratie participative est confuse Elle revient r guli rement sous la plume de certains politologues voir aux Etats Unis la grassroot democracy Mais elle n a jamais donn lieu une d finition et une th orie convaincantes et ne s est pas impos e La notion a un sens seulement au niveau local le seul o le mod le d mocratique puisse se rap procher r ellement du mod le de la d mocratie directe EL Doit on alors favoriser la participation au sein des entreprises RB S agissant de l entreprise chacun doit se sentir respect et ayant son mot dire sur ce qui le concerne mais chacun comprend bien d autre part qu une entreprise est un syst me diff renci supposant des pouvoirs diff renci s et un syst me de d cision fonctionnant effica cement au profit de l entreprise de son personnel de son environnement et de sa client le EL Dans votre texte vous refusez de donner des mesures pour r gler la crise politique actuelle Cependant d apr s vous quelles doivent tre les valeurs qui permettront de r gler cette crise RB La valeur ultime d une d mocratie est le respect absolu du citoyen Le politique doit pouvoir en prin
12. teur impartial en d autres termes par le citoyen quelconque dont on suppose par la pens e qu il chappe ses int r ts ses passions et ses pr jug s Ainsi m me s il enrage de voir son revenu corn par l imp t tout citoyen ac cepte que l imp t permette de financer les biens collectifs qu il appr cie comme les routes ou les h pitaux Le consensus peut mettre du temps s tablir mais une mesure qui a des chan ces de le rencontrer est celle qui s appuie sur des raisons solides On observe un consensus sur toutes sortes de sujets Tout le monde comprend que le service de la dette ne doit pas freiner le dynamisme conomique que l imp t sur le revenu est une bonne chose ou qu un imp t qui comme l ISF co te plus cher pr lever qu il ne rapporte est une absurdit C est pourquoi il a t supprim dans toutes les d mocraties occidentales sauf en France Comme on ne discute et qu on ne fait de sondages que sur les sujets qui font d bat on a tendance ne pas voir qu il existe un consensus sur une foule de sujets EL et la morale RB Sur les sujets moraux comme sur les autres la formation du consensus n est g n rale ment pas imm diate Mais il doit tre recherch et est souvent atteint Voir le sujet de la peine de mort Un large consensus s est finalement form dans toute l Europe sur ce sujet parce que l on sait que l efficacit de cette peine est douteuse et qu elle
13. tion protestante et catholique qu un homme politique tire de sa position des avantages injustifi s La rigueur du Pr sident de Gaulle cet gard est une raison fondamentale du res pect qui lui tait consenti par del les clivages EL Pensez vous que la transparence et l valuation qui sont des piliers de la d mocra tie scandinave par exemple sont encore absentes de la d mocratie fran aise RB En mati re de transparence et d valuation la France a beaucoup apprendre des d mo craties scandinaves Inacceptables sont les dispositions visant priver le citoyen d informations essentielles sur le ch mage les donn es migratoires les donn es en mati re de d linquance les donn es internationales comparatives sur l efficacit du syst me scolaire etc Toute r tention d informations permettant au citoyen de se former un jugement clair trahit une attitude de cynisme du personnel politique son gard Elle peut avoir des effets anesth siques dans le court terme mais aggrave dans le long terme la crise de confiance dans le personnel politique et dans la politique EL Quel r le doit jouer l administration dans notre syst me d mocratique RB Le pouvoir administratif ne doit pas empi ter sur le pouvoir politique Les administra tions doivent tre valu es par des instances r ellement ind pendantes Les postes de fonc tionnaires doivent se justifier par leur utilit du point de vue de l i
14. uvoirs avoir l esprit critique veill l gard de toutes les sources d information et d influence Propos recueillis par Julien Serey
Download Pdf Manuals
Related Search