Feuilleter - Buchet Chastel
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1. L id e me vint que Ruiz tait un salaud qui profi tait de ses avantages et jouait pour que se couchent devant lui toutes les femmes de la puissance de ses deux pinceaux Mais cette id e se nuan a s rieuse ment le jour d automne o je d couvris qu il avait repr sent foison Casagemas mort ou mourant Non Ruiz n tait pas un salaud en tout cas pas un salaud simple C tait plus compliqu peut tre pire Il est onze heures du matin J ai d m interrompre histoire de chasser Clara qui pr tendait revenir aujourd hui et se faire payer parce que je la peins mal et que je souffre bien Comme je suis de la plus extr me faiblesse en face des jolies filles je l ai pay e mais pour qu elle s en aille voyant qu elle faisait la moue et se mettait tra nasser en b illant dans mes parages voire essayer sans se cacher de moi les tenues que je lui demande de bien vouloir por ter D s qu elle a vu la couleur de l argent elle a d guerpi avec une prestesse qui n avait d gale que son extr me lymphatisme quelques instants aupa ravant L argent la fait courir et m me voler sans doute en tous les sens du terme Mes demandes elles la font descendre dans une torpeur en partie 46 volontaire et provocante mais pour l essentiel non feinte je crois bien Et comme elle n est pas surtout pas une putain mais un modele nitouche la gentillesse que sont pr tes fourni2. 25 pas m y attarder Sinon pour pr ciser l honneur de mon p re qu il se montra strictement aussi rigou reux pour les pu n s que pour moi pour la fille que pour les gar ons Et ma m re suivait elle pr c dait en v rit Non quand j y songe ce n est peut tre pas leur honneur Trop d quit signe la froideur du c ur Comme les photographies trompent Sur celles qu ils ont faites s par ment l poque de leur mariage deux ans avant ma naissance mon p re a lair aimable et ma m re visage long encore allong par une coiffure d une hauteur vertigineuse ma m re esquisse un sourire avec une timidit de bon aloi Vraiment on a vu plus s v re Surtout dans la Haute glise Et moi si je tol rais une photo de moi prise cette poque et m me beaucoup plus tard Pon m y verrait ob issant Faut il ajouter que leur ducation fut sans reproche dicible que nous ne manquions de rien pas m me de baisers rituels le soir et que nous n aurions pas trouv l ombre d une critique formuler face tant de perfection parentale J eus une chance norme l architecture aux yeux de mes parents n tait pas un art blamable car le beau chez elle s ordonne forc ment l utile Si bien que mon p re comptait parmi ses relations je n ose dire ses amis l architecte et d corateur William 26 Hoff Wontner qui venait la maison et nous recevait chez lu
3. 39 soi que je l enviai m me si je me sentis glac la vue de son corps agonisant Je l enviai parce que lui ne voyait pas cette horreur que nous voyions Il avait conquis le droit de clore les paupi res Et pour moi le sens de la vue est cause de toutes les souffrances Mais quand je ferme les yeux comme je suis tou jours vivant je vois plus que jamais et l imaginaire me torture bien mieux que le r el Germaine s tait redress e et rassise sa place sans aucune aide mais maintenant d autres gens s empressaient autour d elle la croyant bless e L autre fille de la tabl e une d nomm e Odette ne cessait de l venter avec violence car Germaine tait toujours bl me et son regard exprimait enfin la peur la plus simple et la plus animale Elle r p tait je crois quelque chose comme il est fou il est fou avec une esp ce de rage morne et l autre r p tait en cho d une voix beaucoup plus haut perch e ce n est rien ce n est rien c est affreux c est affreux Puis la police arriva Je fus interrog comme tous les clients du bistrot Je ne sais ce que j ai balbuti mais on ne tarda pas me laisser tranquille C est alors que j entendis Odette se lamenter sur ce pauvre Pablo Qu allait il dire qu allait il ressentir comment allait il supporter une nouvelle aussi hor rible lui qui avait tout fait pour distraire son ami le plus cher de ses amis lui dont
4. a dut elle lui dire je monterai dans ton atelier quand il n y aura per sonne nous ferons l amour et tu te sentiras mieux Moi m me je me sentirai mieux parce que ton regard suppliant me p se force Allons viens Donc ils se sont retrouv s dans l atelier en l absence de Ruiz et de ses conqu tes Carles aurait voulu s agenouil ler devant ce corps tant il lui vouait d adoration 18 Germaine h las n tait pas int ress e ce qu il s agenouille du moins pas dans cet esprit la Hic Rhodus Comment se pardonner pareil affront soi m me pareille d faite pareil d ni du sang pareil n ant Dans ce bistrot du boulevard de Clichy Carles Casagemas a sorti son revolver Comme tous les clients j ai vu sans voir entendu sans entendre J ai cherch pendant plusieurs dixi mes de seconde des explications raisonnables ce premier coup de feu qui a soulev autour de la table rectangulaire une houle de corps et comme c tait un dimanche gras ce 17 f vrier 1901 j ai voulu croire je ne sais quel brutal p tard de f te En m me temps je voyais Germaine glisser terre et pour un peu j aurais jur que malgr son cri elle avait toujours le m me regard que la peur voire la terreur n avait pas teint son m pris Le deuxi me coup Casagemas le tira sur sa propre tempe Presque tous les clients s taient bouscul s vers la sortie Le gar on en train d essuyer une tabl
5. savoir qu il logeait et travaillait alors boulevard de Clichy dans l appartement laiss par un ami Je n eus pas besoin d espionner longtemps Le lendemain l heure du repas de midi je vis sortir du num ro 130 du boulevard en question un gar on casquette petit r bl chauss d espadrilles et dans un v tement de toile bleue d lav Sous la veste une chemise rouge pois blancs du mauvais go t le plus accompli son bras se tenait mais oui Germaine et comme dit la formule consacr e leur fa on d tre ensemble ne laissait aucun doute sur la nature de leurs relations Je ne croisai pas le regard de Ruiz sous son front barr d une m che noire mais celui de Germaine m effleura sans me voir Il tait encore tout plein des sentiments qu elle vouait au lit ce pauvre Pablo Ce regard tait le contraire de ce qu il avait t pour Casagemas admiration adh sion reconnaissance complice gratitude lasse mais avide encore suj tion volontaire animale profonde ondoyante velout e ce regard o se m lent l ivresse sommeilleuse de la volupt re ue et l appel bien veill la volupt future Oh je d cris fort mal cela car on d crit mal ce qu on ne conna t pas J exagere je me calomnie moi m me Il se peut Mais en tout cas si je pouvais demander la petite Jeannette tous les soins de 44 Pamour si elle allait jusqu para tre contente de me re
6. te Face au monde face aux tres face aux ma tres il lui manque 38 ce que je poss de si bien ce que je poss de beau coup trop le respect Ce soir je retournerai me poster sur les escaliers de la Trinit des Monts Dans le fragile espoir qu il reviendra En attendant que j en finisse avec le r cit Casagemas Apr s les deux coups de feu la plupart des clients s taient enfuis se bousculant vers la sortie Je restai sur place brusquement dress der ri re ma table Si les regards de Germaine et de Carles m avaient fascin si tous les regards me fas cinent ne parlons m me pas de celui de Ruiz je n avais jamais vu de mes yeux la fin d un regard la blanch tre fin Et de surcro t la fin qu un homme se donne lui m me comme s il retournait ses globes oculaires contre soi et ne pouvait qu en mourir Narcisse tragique mais c est un pl onasme Et je voulais voir moi de mes yeux les yeux de Casagemas r vuls s retourn s Je ne les vis pas car lorsqu on souleva le corps les gens criaient qu il fal lait le porter dans une pharmacie et qu il passa devant ma table ces yeux taient clos dans un visage bl me encore hant par le souci de ne plus vivre Car l homme vivait toujours et cela fut confirm par Le Petit Journal du surlendemain Il mourut l h pital durant la nuit Sachant qu il s tait tu pour une femme j ignorais alors l autre raison il va de
7. de son bien aim Ce lien symbolique entre l amour la m moire et la pein ture je l ai v cu d s le premier instant sauf que je ne peux me targuer de la haute spiritualit de la jeune fille mythique C est quand Will Wontner vint montrer son p re avec triomphe le profil que j avais dessin de fa on bien maladroite me semblait il et quand son p re son tour brandit mon feuillet devant mes parents que les choses devinrent plus s rieuses Aurais je du talent pour le dessin pour la peinture Mais le talent n est qu un don de Dieu il ne doit servir qu faire son salut Tout talent qui n est pas utile est nuisible car source de vanit et de dissipa tion D ailleurs il tait entendu de toute ternit que les fils Godward l a n surtout marcheraient sur les traces de leur p re assurant leur vie dans ce monde et dans l autre en assurant la vie d autrui Mes parents devant mon petit portrait de Will et surtout devant Will et son p re grimac rent des sourires d approbation rabat joie et s empress rent de faire d vier la conversation sur des sujets plus s rs Le p re de Will n insista gu re du moins au d but Mais plus tard je fais court avec l aide sup pliante de son pouse et de son fils il obtint que je 28 puisse tudier la peinture dans des cours du soir la journ e tant bien entendu consacr e au droit et l conomie puis au travail de bureau da
8. fais peut tre exception pour Delacroix La Gr ce sur les ruines de Missolongm Mais son Hellade est plus moderne qu ternelle et le tragique n est pas toujours ami de la beaut Non la v ritable et pure exception que je d fendrai bec et ongles contre tout d tracteur c est l Albayd aux yeux de gazelle d Alexandre Cabanel qui fut peinte Rome comme il se doit et bien pr s de chez moi Cette Orientale est admirablement hell ne D ailleurs il est vident que Leighton s en est inspir pour sa Lumi re du harem L Orient commence la Gr ce et devrait y finir Mais surtout la poitrine nue de cette fille est une des plus belles que peintre ait jamais offerte la contemplation La t te sur le billot je le soutiendrai 12 L une des plus belles La poitrine ou la peinture Pr cis ment les deux Qu on se le dise de toute l histoire de l art moderne nul mieux que Cabanel n a compris que les seins de la femme sont la forme la plus pure et la plus juste que puisse prendre la lumi re Ou si l on pr f re qu ils sont l acte dont la lumi re est la puis sance Un artiste qui a peint ces seins l peut mourir tranquille Quant moi en d pit de ma Fille au tam bourin ou de mon Oracle delphique je ne suis pas s r de pouvoir mourir tranquille Une autre bonne raison de me rendre Paris au moins pour quelques jours c e t t l Exposition universelle de 1900 o nombre de
9. je suis mince peut tre pas si laid les femmes sont 23 mon unique amour et je vis seul dans l inqui tude le d sir et l angoisse J aurais fait expr s que je ne serais pas parvenu si beau r sultat Mais peut tre ai je fait expres Aide toi l enfer t aidera Mon p re que son Dieu ait son me travaillait comme assureur la Law Life Assurance Society Comme ses fr res Comme plusieurs de ses futurs fils L assurance et la banque sont une maladie h r ditaire Mais qu est ce qui n est pas h r ditaire M me le d sir de mourir peut l tre Law Life ce nom convenait mon p re La loi c est la vie et r ciproquement Pour gagner son bureau sis Fleet Street il devait chaque matin parcourir plusieurs miles Mon p re s imposait au minimum une demi heure d avance sur l horaire le plus pessimiste Il se levait donc fort t t et nous tions invit s faire de m me Un matin laid comme tous les matins c est au moment o il devait prendre sa canne et son cha peau que sa digne pouse commen a d expulser de son corps car elle a un corps le deuxi me de mes fr res cadets J avais huit ans Ma petite s ur Maria Frederica surnomm e Nin en avait trois Je Pai toujours aim e je l aime toujours Elle me d signe invariablement m me en face de ceux qui cela ne pla t pas comme mon fr re l artiste Elle a un regard magnifique profond intelligent plein
10. me ce n est pas tr s honorable sans doute s veiller au d sir face au tableau qui doit vanter la morale protestante et la morale socialiste de Thomas Carlyle s int resser aux omoplates divines l avant bras gracile de la gitane enfant quand le peintre nous sert les gros muscles noueux des creuseurs d gouts ou les costumes l gants des nobles a haut de forme et des messieurs pensants et pensifs devant la mis re ouvriere il faut avouer que cela demande une certaine distorsion de l me si je puis ainsi m exprimer Mais peut tre non Peut tre est ce simplement que je crois en les vers de Keats que je r cite depuis ma jeunesse O forme attique Beaut est v rit v rit est beaut voila tout ce que vous savez sur terre tout ce qu il vous faut savoir Et Ruiz n y croit pas Et je dois l ar r ter Comment 23 f vrier Oui comment faire pour retrouver Ruiz dans Rome Hier soir je me suis mis en faction au sommet des escaliers de la Trinit des Monts sous l invocation de Keats J ai longuement attendu esp rant qu il reviendrait En vain Pourquoi ne Pai je pas suivi avant hier Lui que j avais entrevu en 1901 dans une esp ce de bleu de travail je l ai d couvert hier en costume sombre gilet chemise blanche et cravate De ce changement je ne sais s il faut rien augurer de bon J essaie aussi de me rappeler qui l accompagnait Deux hommes je crois L
11. patience Quoi qu il en soit l absence de Clara je 22 l ai dit tombe bien car j avais pr cis ment l inten tion de la renvoyer Je veux crire D sormais j habite aupr s de cette M diterran e que j ai toujours peinte m me et surtout dans la suie et le brouillard de ma ville natale Je ne veux pas tre injuste l gard de Londres Battersea Park avait m me son jardin italien je vous prie Et mes diff rents ateliers St Leonard s Studio Fulham Road taient entour s de verdure Cependant les paysages qui sont en moi et les femmes et les filles ont toujours clips les tres r els et supplant l es pace physique Pour quel artiste en irait il autre ment Quant mon pass mon enfance mon adolescence je les refuse mais si je pouvais les oublier Je les hais mais si je pouvais m en moquer Je le puis un peu tout de m me force d ironie Trop peu Moi John William Godward le monde dit r el pr tend que je suis n le 9 ao t 1861 dans Londres la noire et combien d ann es ne me fallut il pas pour sortir enfin de ce ventre sombre et d test Jai donc vingt ans de plus que le nomm Pablo Ruiz quelques mois pr s je me suis d couvert contemporain de l excellent Jacques Emile Blanche qui est toqu d Angleterre comme je suis fou d Italie qui est gros joufflu presque ob se et gu re port sur les femmes mais mari riche et tranquille Moi
12. sous une forme certes dulcor e la mis re servit de pr texte mes premiers mois sexuels Ce n est pas mon digne p re qui aurait imagin pareille perversion Un groupe d enfants donc au milieu de ce tableau laborieux en tous les sens du terme De dos l a n e une fille de mon ge qui tient dans son bras gauche un b b tandis que deux gamins de cinq et huit ans font les garnements autour d elle Bras droit tendu elle tire les cheveux du plus agit Cette fille est v tue d une robe de gitane trop grande pour elle mais qui va merveilleusement bien sa sauva gerie sa peau mate ses cheveux courts fris s violemment noirs Et le bon Ford Madox Brown avec le plus grand soin a peint le dos et les omo plates nues admirables de beaut de cette sauva geonne de mon ge Il a fait rayonner la lumi re de ces omoplates comme celle de l avant bras droit la douceur de cette peau La splendide guenille qui laisse un peu trop voir peine trop fait aimer 33 deviner d sirer le splendide petit corps Du moins me l a t il fait aimer et d sirer moi qui tais fou sans doute et malade car personne peut tre n a jamais vu dans cette uvre ce que j y vis avec fascination Et qui serait assez tar pour d couvrir le d sir dans un tableau vertueux et socialisant de surcro t malgr sa b nignit Cette qualit de sauvagerie je n ai pas su ou pas os la retrouver dans ma prop
13. sujet d un homme sans doute pr matur ment d vitalis par le v g tarisme et la chastet pr n e sinon observ e par Tolstoi les bruits les plus infames Comme les ateliers de la villa dont le territoire est vaste sont loign s les uns des autres et permettent l autarcie chacun vit retir s il le veut Je le veux Je ne vois presque jamais les nomm s d Antino Oppo Moggioli Biagini Selva quelques autres encore dont je sais peine les noms qui se retrouvent entre Italiens et qui sans tre futuristes sont persuad s que le futur leur appartient Deux lavandi res se chargent du linge de toute la maisonn e qu elles nettoient avec de grands claquements qui font fuir les oiseaux dans un fontanone proche du studio de Moggioli Quant a la femme de chambre et a la cui siniere d une reposante absence de jeunesse qui sont attach es au service de M Strohl je b n ficie aussi de leurs soins attentifs La cuisini re m ap porte ma pitance quand elle ne la concocte pas dans ma propre cuisine Mais j ai des go ts spartiates ou plus exactement pas de go ts du tout s agissant de 52 nourriture Je ne sais pas ce que je mange je ne sais pas appr cier la pasta de Giulia qui d origine bolo naise s y entend comme personne para t il Pas tonnant que mon appareil digestif ressemble un tunnel d saffect d vor de broussailles Que ferais je sans installations sanitaires priv e
14. un d eux une longue barbe noire la Lytton Strachey l autre mince et fr le p le comme une jeune fille J ignore leur identit mais Ruiz ne m a jamais vu quand m me je l ai crois Ruiz que je 36 reconna trais sous tous les d guisements du monde tant son regard est pareil nul autre Un regard d vorant dont le monde n a pas encore compris ce qu il d vore Et quand le monde aura compris ce sera trop tard O allait i1 Que fait il ici Pourquoi la guerre l aurait elle chass pr cis ment en Italie Il tait fort bien en France o les autorit s ne s occupaient pas de lui Neutre il pouvait laisser partir au front ses amis tr s chers peintres et po tes que sais je encore avec la promesse de les portraiturer en militaires quelques larmes de crocodile et quelques culbutes avec les amies de ces amis Et moi dira t on Qu est ce que je fais au soleil d Italie quand les troupes anglaises se battent en France aux c t s des amis de Ruiz En France et bien ailleurs nos arm es sont sur le Tigre et visent Bagdad esp rant la revanche sur le d sastre de l ann e derni re Pourquoi suis je Rome et non pas en M sopotamie Eh bien tout simplement je suis trop vieux De justesse car on a recrut large chez nous Tr s large jusqu cinquante et un ans depuis peu Mais j en ai cinquante six et ne saurais m en r jouir Nin m crit que des femmes arpentent les rues de Lond
15. RUIZ DOIT MOURIR TIENNE BARILIER RUIZ DOIT MOURIR ROMAN BUCHETeCHASTEL Libella Paris 2014 ISBN 978 2 283 02758 5 21 f vrier 1917 Pablo Ruiz Rome Que vient il faire ici D truire cette ville comme il d truit toute chose Je me croyais d livr de la guerre et de mon ennemi Et voil que je le croise ici et maintenant sur les escaliers de la Trinit des Monts tout pr s de la maison de Keats encore un qu il cherche faire mourir une seconde fois Keats je t invoque depuis toujours et comment t oublierais je lorsque je passe devant ta derni re demeure de vivant Je r p te tes mots qui ont illumin ma jeunesse et qui br lent mon ge mar forme attique Beaut est v rit v rit est beaut voil tout ce que vous savez sur terre tout ce qu il vous faut savoir Et voil tout ce que d truit Ruiz tout ce que nie Ruiz tout ce que ruine Ruiz Depuis des ann es je connais mon devoir l gard de ce destructeur et de moi m me Je l appelle Ruiz Au tournant du si cle il se nommait encore ainsi Et c est son nom aussi vrai que je m appelle Godward John William Godward Peintre comme Ruiz est peintre Ou plut t comme il ne l est pas comme on ne l est plus Londonien de souche ath nien de coeur Ma mere avait pour nom de jeune fille Sarah Eboral Que cela soit dit une fois pour toutes Pablo Ruiz pourquoi est ce que je l appelle Ruiz Eh b
16. alisme chr tien et Thomas Carlyle l crivain l auteur de Pass et pr sent qui d nonce le scandale de la condition ouvri re anglaise Mais h las le travail de l esprit se voit mal sur un tableau et ces deux penseurs d un rare m rite ressemblent furieusement pour le spectateur sans pr jug s ni mode d emploi des bourgeois t tes claques L n tait pas cependant la plus grande illusion du tableau Bien au centre se tient un groupe d en fants plus ou moins d guenill s Mais les enfants r els vrai dire l taient plus que cela et de mani re g n rale la pauvret la mis re et l horreur de ma ville taient sans commune mesure avec la repr sen tation rude honn te et propre qu en donne ce brave Ford Madox Brown Les vrais travailleurs et leurs vrais enfants sont tous cachectiques respirant journ e faite le brouillard goudronneux et l acide sulfurique Oui j ai vu la mis re jen parlerai Je ne puis dire que je l aie oubli e ou n glig e Non je l ai ni e 32 parce que je ne la supportais pas Elle g nait ma concentration sur la beaut cet gard je suis bien le compatriote d Oscar Wilde du moins avant sa prison Et encore je me vante Pourquoi me compa rer un po te Je dois me comparer a un assureur tout simplement je ne vaux pas mieux que mon p re dont la mis re ouvri re g nait la concentration sur ses affaires Je suis m me pire puisque
17. ar le g nie de son Pablo En tout cas l on raconte qu un jour glorieux alors que son fils tait encore tout jeune Jos Ruiz Blasco lui a symboliquement remis ses pinceaux Voil un p re Pablo Ruiz tout simplement a suivi en dou ceur ou en trombe mais avec le plus grand naturel les traces de son g niteur puis il l a d pass avec l approbation de ce digne homme Et parce que c tait un enfant normal d une normalit scanda leuse il a d couvert l amour et le d sir ind pendam ment de la peinture Ce n est pas dans un mus e que son corps s est veill pour la premi re fois Il ne confond pas la chair et la toile lui m me si l une et l autre l amusent galement Pourtant c est lui qui nous m ne tout droit au n ant je le crois tandis que je qu te la vie Il est sans excuse et je suis sans esp rance Jen arrive Ford Madox Brown qui me ram ne lui l ge o je d couvris amour et d sir Je le dois ce peintre honn te philanthrope et v n rable Malgr lui Sans doute sans doute mais qui sait Durant pr s de quinze ans il avait labor son chef d uvre incontest le monumental Work Il l avait 30 achev peu d ann es apr s ma naissance Comme c tait une uvre hautement morale r alis e la demande d un pr cheur vang lique en vue d exalter les valeurs religieuses je n eus pas de peine faire accepter l id e d aller me recuei
18. cet ami si l on ose 40 dire trompait la confiance en se suicidant au seul moment o Pablo l avait laiss sans surveillance Je vis qu l vocation de ce pr nom Germaine faisait une esp ce de moue entendue mais agac e Odette pleurnicha derechef en voquant les mer veilleux portraits que Pablo avait faits de son tr s cher confr re et qui resteraient comme des t moi gnages ternels de leur ind fectible amiti Germaine l interrompit pour lui faire remarquer d une voix blanche que Carles n tait pas mort qu il respirait qu il s en tirerait s rement et que Pablo pourrait de nouveau s occuper de lui et lui t moigner tous les sentiments du monde Elle semblait dire cela par acquit de conscience Elle tait toujours p le de peur et je vis lentement remonter dans ses yeux le regard de m pris supr me qu elle r servait ce mal heureux Casagemas avant les coups de feu C est ainsi que j entendis parler pour la premi re fois de Ruiz l occasion d un suicide ou d un meurtre Cependant malgr la mention des merveilleux portraits de Casagemas je n avais pas de raison d cisive de m int resser ce pauvre Pablo D ailleurs deux jours apr s ce drame je quittai Paris Si j y revins au mois de juin pour une br ve escapade c tait uniquement cause d une fille de joie dont la science le charme et plus encore la gen tillesse m avaient durablement marq
19. d un 24 humour sans venin Je lai peinte en 1882 J tais un d butant et ne suis pas trop f ch du r sultat mais j ai eu le tort de la repr senter de profil et suis loin d avoir capt toute la richesse de sa personnalit Et voil que l autre le Ruiz comme par hasard a mul tipli s rement avec bonheur les portraits de sa petite s ur Lola Mais je reviens ce jour de 1869 o notre m re mettait au monde dans une juste douleur mon deuxi me petit fr re malgr l exemple fra chement donn par Victoria notre souveraine la parturiente avait refus l accouchement la reine c est dire le chloroforme Cette terre n est elle pas une vall e de larmes Je n avais pas le droit bien s r d entrer dans la chambre mais j entendais ma m re g mir et c tait horrible car son g missement m me tait s v re et sans piti Entre deux assauts de la souffrance entre deux brames touff s je l entendis voix press e mais calme intimer mon p re l ordre de s en aller comme d habitude L impeccable assu reur dut s en trouver doublement soulag d un spectacle p nible et d un retard au bureau Faut il pr ciser qu il n tait pas question pour nous les enfants d avoir davantage piti de nous m mes Mais les exigences de mon p re celles encore plus oppressantes de ma m re sont un sujet qui m cceure y compris par sa banalit je ne vais
20. deux cas il s agit d offrir des artistes un s jour pr sum f cond Sauf que les h tes de la maison fran aise sont presque tous jeunes et qu ici nous sommes loin du compte jen suis la preuve J viterai de comparer la qualit architecturale des deux b timents ou leur dignit historique D ailleurs si nous avons eu Repine et B cklin et le po te Rilke nous n avons pas eu Velazquez ni Ingres et nous n avons pas Albert Besnard J y reviendrai A mon arriv e en 1912 j ai admir la devise de la villa Strohl Fern l entr e du jardin au dessus d un serpent travers d un zigzag Elle m a beau coup plu par son absurdit clair ne broye Si l on comprend bien la foudre ne d truit pas Je voudrais bien voir cela C est sans doute ce qu on appelle une conjuration D ailleurs si l clair ne broyait pas je n irais pas me poster sous les arbres durant les nuits d orage Cette derni re phrase est une m taphore peine En tout cas le parc est plant je devrais dire hant de pins parasols de c dres du Liban de magnolias d aulnes et de cypr s mes arbres pr f r s comme il se doit Les glantines et les roses tr mi res les dahlias et les 49 rosae caninae sont toutes dispos es aux caresses des mains de Clara Ici c est une nature forte comme on dirait une place forte l cart du bruit de la ville sempiter nelle On pourrait y tuer l ai
21. e au moment du drame avait fait une boule de sa serviette et la tor dait comme s il voulait l essorer Les amis de Casa gemas taient pench s sur lui Ils s affairaient Personne ne disait rien pas m me Germaine qui s tait relev e prestement pour rajuster robe et coif fure Elle tait bl me et son regard n avait pas chang Peut tre s y ajoutait il la nuance qu on 19 devine je n y suis pour rien je ne connais pas ce cingl Deux jours apr s Le Petit Journal narrait sa mani re ce drame de la jalousie Non c tait un drame de l impuissance mais pas seulement de l impuissance sexuelle Cela je ne le compris pas tout de suite C est que je ne connaissais pas encore Ruiz 22 f vrier Mon mod le a fait savoir par sa m re une odieuse bavarde aux yeux fureteurs qu elle ne viendrait pas aujourd hui Elle doit s occuper d un de ses nom breux petits fr res malade Et pourquoi n est ce pas la matrone qui s en charge de ce gosse plut t que d y coller sa fille et de se faire sa facheuse missaire Je pr f re ne pas approfondir d autant plus que cette absence finalement m arrange La signora Teresa nagu re pr tendit m me assister avec toute sa marmaille la premi re s ance de pose J ai refus la marmaille mais elle s est arrang e pour la fourguer une voisine et s est install e royalement dans un fauteuil tandis que JYesquissai
22. i Quand nous avons d m nag pour le quar tier de Wimbledon Wontner devenu proche voisin sut convaincre mes parents de me laisser visiter sati t ce qui s appelait alors le South Kensington Museum o je con us une premi re passion pour les beaux objets d art d coratif dont j ai fait dans mes peintures un usage mod r mais obstin Le British Museum Oh bien s r Mais j en parlerai plus tard Ce n est pas l architecte Wontner qui selon la formule consacr e d couvrit mes dons C est plut t son fils William Clarke de quatre ans mon a n qui voulait devenir peintre et que son p re encoura geait comme le p re de Ruiz Will s amusait me prendre pour mod le et me demanda en toute inno cence si je serais capable de lui rendre la pareille Je r pondis que non mais il me mit un crayon dans la main et me proposa d essayer son profil assurant que ce n tait pas si difficile Il fut cependant surpris de constater que j tais parvenu a un r sultat pas sable et voulut m me montrer ma feuille son p re C est ainsi que tout a commence A vrai dire non ce n est pas ainsi Je dessinais d ja depuis un certain temps copiant des gravures ou des photographies d ceuvres d art Et pourquoi ces copies On conna t la mani re dont Pline l Ancien 27 raconte l invention de la peinture une jeune fille trace sur le mur de sa chambre le contour dessin par l ombre du visage
23. ien est ce que je m appelle John William Eboral moi J ai horreur qu un homme un artiste adopte le nom de sa mere Il est vrai qu elle l admire la folie sa maman Il est encore plus vrai qu il a tu son p re de la belle mani re Cela change tout Sans parvenir me d cider je songeais crire le combat qui se joue entre nous depuis le d but du si cle et que je suis seul souffrir bien s r Lui se contente de vaincre Lucifer qui fait plier Jacob sans le moindre effort comme Delacroix l a bien compris Saint Sulpice de Paris Que Ruiz ait investi la Ville lumi re c est une chose Et depuis une dizaine d ann es je m tais efforc presque avec succes de l oublier Rome puissamment m y aidait Mais simon ennemi vient me narguer ici c est qu il veut d truire le temps apr s avoir conquis l espace Je ne dois pas laisser faire Qu est ce que cela signifie Je l ignore mais je sais que j agirai Je crois que Jagirai Mon atelier d sormais me verra plus souvent arm de la plume que du pinceau Le premier pou voir de Ruiz c est celui de me paralyser Mais il ne me fera pas taire Je vais donc me raconter Me confesser Peut tre La confession qui lave non seulement du p ch ce qui ne serait rien mais de sa m moire ce qui est tout quoi de plus beau quoi de plus n cessaire Non pourtant ce n est pas vrai ment cela Je ne veux pas me confesser Me confier si
24. ins montmar trois c est une trogne de vagabond au dessus d un corps maigre et strictement costum de velours c tel noir Ou simplement affubl d un bleu de zin gueur sous une casquette carreaux Mais le fils a n d un assureur anglais bureaux Fleet Street maisons cossues Battersea puis Fulham et Wimbledon homme de devoir et d ar gent puisqu il fait de l argent son devoir poux d une femme mortellement envahissante le fils a n d un tel couple ne peut pas avoir une t te de peintre Je n ai pas la figure d un artiste mais celle d un m lancolique sujet de la reine je veux parler de ma m re Timide faire rire s rieux jusqu la mort Largement de quoi laisser croire que toute mon 11 entreprise est celle d un jaloux Jaloux de Ruiz l ar tiste par excellence qui joyeusement macule aussi bien les toiles que les filles Ma foi l on jugera M me si je n tais pas venu en France pour ce Ruiz dont je n avais pas entendu parler avant de quitter Londres j ai bient t compris qu il tait lui l ori gine de tout Lorsque j ai commenc de d couvrir ses tableaux apr s le suicide de Carles Casagemas Paris J aurais pu m y installer comme tant de mes compatriotes suivant l exemple d Alma Tadema Y suivre les cours des bons ma tres les Constant les Boulanger Trop Orientaux pour moi cependant pas assez Grecs Aucun Fran ais n est assez grec Je
25. it de moi et qu il se faisait adresser comme la signora Teresa des rapports circonstanci s par Maria la femme de chambre au demeurant peu fouineuse et dont les yeux toujours pleins de bont maternelle qu tent les gens non les choses Son fils est la guerre maintenant et la bont s est voil e d une angoisse permanente Quant moi peu peu M Strohl a compris qui il avait affaire Lorsque je sors la nuit cela ne le regarde pas C libataire endurci pour ne pas dire fig il a quand m me d s tonner de ma timidit face aux femmes Il a bient t cess de douter que je les respecterais comme on dit Bref il me fait confiance H las il a bien raison
26. le description enflamm e d une certaine blonde dans la bouche de Will qui m avait pr c d pour PEx position universelle pr cis ment m avait suffi Je n ai pas parl de Will cela viendra Je comptais ferme retrouver la personne en question car je me fiais au go t de mon ami Je ne l ai pas retrouv e on m a dit qu elle tait malade Glissons Mais comme beaucoup de filles op raient Mont martre javais des motifs raisonnables si l on peut ici invoquer la raison de croiser dans ce quartier Et je n ignorais pas l existence de ce groupe de peintres et de mod les semi prostitu es qui logeaient sur la 14 Butte et hantaient les caf s Montmartre tient la fois de la campagne et de la banlieue Avec ses baraques noir tres et ses terrains vagues il pourrait tre plus laid que Londres mais non tout de m me quelque chose le sauve il ignore nos ciels couleur de suie et de bile Cette ann e 1901 le clocher du Sacr C ur manquait encore Voil comme je suis je ne crus pas cette glise inachev e mais ruin e Maintenant que les aveux sont faits je peux bien ajouter que Paris tout de m me m attirait aussi pour sa lumi re Avant Rome c tait une tape heu reuse pour un Londonien d sesp r ce qui devrait tre un pl onasme Swinburne affirme non sans grandiloquence que la France a foi dans la lumi re Une foi que je voudrais partager que j ai tent de partager A
27. llir devant cette toile d vote Nous le fimes en famille un jour fatal de ma treizi me ann e Aujourd hui quand j y songe je dois rire je suis capable de rire tant ce tableau for midablement vertueux regorgeait de pi ges d illu sions et de malentendus De surcro t l image qu il donnait de la condition ouvri re londonienne tait pour le moins flatt e ce que je ne d couvris que beaucoup plus tard et dans des circonstances path tiques moi l innocent fils de bourgeois du West End Arm s de truelles de pioches et de seaux de rudes ouvriers aux bras surpuissants creusent une tranch e aux fins d am liorer le syst me des gouts Londres devait parer la menace du typhus et du chol ra succ s tout relatif en 1866 l ann e sui vant la peinture de ce tableau le chol ra faisait trois mille morts dans l East End Comme par hasard les beaux quartiers dont le n tre furent peu pr s pargn s gauche et droite des travailleurs ainsi que derri re eux des dames et des messieurs pour la plupart bourgeois ou nobles pied ou cheval 31 L une des dames distribue des tracts incitant la temp rance et deux des messieurs commod ment appuy s contre une barri re observent les puissants terrassiers En r alit nous pr vient le peintre ce ne sont nullement des oisifs attention mais des travailleurs de l esprit rien de moins que Frederick Maurice fondateur du soci
28. mes compa triotes taient l honneur Le dr le c est que Pablo Ruiz alors g de dix huit ans y figurait aussi Avec une uvre intitul e Derniers moments on ne saurait mieux dire Donc tout le monde je veux dire tous les Anglais se pavanait cette exposition Mais pas moi juste ment Je pr ciserai cependant que j avais accroch Pune de mes toiles a Paris d s l ann e pr c dente En 1899 dans leur monstrueuse Galerie des Machines Quel nom pour abriter des uvres d art Un nom que les futuristes qui grouillent autour de moi devraient trouver pr destin J tais perdu parmi deux mille peintures et mille sculptures 13 de tous les barbouilleurs de France et d Europe Bonne image de mon destin Poussi re parmi les poussi res Ma pauvre Dormeuse J avais repr sent le mod le de dos la mani re de la V nus de Velaz quez mais sans miroir et surtout sans g nie Ce tableau fut donc Paris je n eus pas l arrogance de l y suivre Allons je ne puis m me pas avouer que je suis modeste ce serait immodeste Paris je n tais pas la recherche de la gloire ni de l enseignement des ma tres Alors pourquoi m y rendre C est un autre aveu que je dois consentir maintenant Bien d risoire javais entendu dire de source autoris e que les prostitu es parisiennes taient beaucoup plus jolies que celles de Londres Je suis un imaginatif on l a compris et la simp
29. mplement un vivant Bien plus une vivante Dieu l on se confesse la Vierge on se confie Qu une seule femme enfin me lise Et je serai dans la paix sinon la d livrance Apr s ma mort Mais je le dis bien haut Ruiz n est pas un simple pr texte Sans doute je d sire me confier me raconter Expliquer d o je viens et pourquoi mon angoisse pr sente Mais je veux surtout que mes paroles contribuent d faut de me sauver moi m me sauver du moins le si cle qui commence si mal si horriblement mal et que cet homme veut achever de perdre Mon but je le jure est moins d exposer ma petite vie ses petits secrets ses trop grandes esp rances ses subtils checs sa qu te ardente de lumi re et son go t cachottier de l ombre que de graver au sang mes convictions mes id aux tout ce qui me d passe et pourtant m habite Dans ma poitrine fig e toujours davantage avec les ann es la vie est saxifrage Le dire enfin tout ce quoi je crois et dont je sais surtout au c ur de cette guerre qui m pargne trop bien qu il faut le garder de la mort le sauver de Ruiz Celui qui m a conduit lui c est l une de ses vic times Paris en 1901 Ce fut le d but de la stu peur de l effroi de la rage parfois L une des victimes de Ruiz Oui je persiste et signe En apparence il s agissait d un suicide cons quence d un amour malheureux Peut tre Mais cela n exon re pas so
30. n ami Pablo Ce pauvre peintre catalan ce Carles Casagemas qui tout jeune s est tu d une balle de revolver dans un bistrot parisien n est ce pas que Ruiz lui avait retir toute esp rance de cr er Ils sont trois au moins trois peintres s tre suicid s autour de lui Hortensi Gtiell ce pauvre Casagemas au Caf de l Hippodrome et plus tard Wieghels au Bateau Lavoir peu apr s ma visite clandestine Or je peux jurer que ce n est pas fini Le respon sable l vidence est chaque fois Ruiz Et je ne serais pas tonn que des femmes aussi meurent par sa faute Cet homme apporte la mort exige la mort cr e la mort J ai donc vu Casagemas Mourant Si je me trou vais dans ce caf avenue de Clichy ce n est pas 10 vraiment par hasard Depuis mon arriv e Paris je r dais Montmartre Incognito Quelle question les peintres du lieu ne risquaient pas de me h ler dans la rue ou les bistrots comme un joyeux compa gnon ni de me pr ter foi si je me pr sentais comme un des leurs Je n ai s rement pas une t te de peintre Qu est ce au fait qu une t te de peintre Si j en crois le monumental Alma Tadema c est une t te de bourgeois panoui matois terre terre et patelin Si jen crois le grandiose Frederic Leighton c est une t te de proph te barbe et cheveux boucl s allure noble avant le titre proph te du pass mais c est cela qu il faut Si j en crois les rap
31. ndre service je n obtiendrais jamais d elle un pareil regard elle n tait pas pay e pour cela Non f t elle pay e et des tonnes d or elle ne pourrait jouer ce qu elle n prouve pas C est m me le seul regard que la meilleure actrice du monde ne saurait jouer Et j tais reconnaissant la petite de ne pas feindre Certaines filles croient devoir le faire je ne proteste pas bien s r par retour de politesse mais je ne reviens jamais aupr s d elles Je quittai Paris ce mois de juin 1901 sans avoir rencontr le regard de Pablo Ruiz Mais celui de Ger maine et les tableaux m en avaient appris beaucoup Le moins que je pouvais penser c est que ce Ruiz n avait pas le respect de ses amis morts ou que pour s exprimer par litote il avait une maniere bien a lui de les respecter Il avait d chevaucher cette Germaine sans l aimer car il ne peut aimer et sans faire la moindre allusion a ce malheureux Casagemas Pour avoir point son dard il avait re u de cette femme un regard pour lequel Casagemas aurait donn sa vie il l avait donn e d ailleurs mais en vain Drame de l impuissance mais je persiste penser que ce n tait pas l impuissance sexuelle seulement Casagemas avait d surprendre le regard de Germaine sur Ruiz et comprendre que si elle tait pr te a entrer dans son 45 lit c tait cause de sa virilit sans doute mais aussi d une autre sorte de pouvoir
32. ns la sainte Law Life Assurance Society Inutile donc de r ver la Royal Academy son prestigieux et crasant b timent dans lequel enseignaient des ma tres non moins crasants Alma Tadema Leighton ou Poynter Je suivis modestement toujours modestement des cours du soir la Clapham School of Art Cette cole formait de futurs enseignants en dessin l id e que j en vienne un jour professer la peinture plut t qu la pratiquer rassurait un peu mon p re la grande rigueur aurait il admis que je mette mes talents de dessinateur au service d un tra vail d architecte Mais peindre pour peindre il n y fallait pas songer vingt ans ma premi re uvre de quelque importance et que josai montrer mes parents repr sentait ma grand m re d apr s une photographie Une uvre encore plus modeste que moi une esp ce de d calcomanie surann e aux dimensions d un timbre poste et qui ne pouvait vraiment faire peur personne C tait donc en 1881 l ann e de la naissance de Ruiz Quand je pense lui ce que je sais de lui tout ce qu on m a dit de lui comme il avait la partie facile Son p re apr s tout tait peintre lui m me Il peignait des oiseaux para t il encore et toujours 29 des oiseaux Mais il ne put emp cher son fils de prendre son envol Et d ailleurs c est cela qui compte il ne le voulut pas ou pas longtemps Il se laissa vite convaincre et vaincre p
33. ny Mais recon naissons lui cette qualit l argent il n en parlait pas quand il en avait et n en parle pas davantage maintenant qu il semble en manquer Il a nomm sa maison villa Strohl Fern parce qu elle est bien loin de son Alsace natale Sa passion de l antique est presque aussi fervente que la mienne d o les marbres dont il a sem ses jardins ses grottes et ses chemins creux D s lors je me sens un peu prot g des maux tout au moins que je ne m inflige pas moi m me La nuit j entends le rossignol et la chouette Souvent et longtemps car je dors mal La journ e je travaille et c est tout Mais depuis quelques jours je travaille et je t moigne La plupart de mes confr res ici sont mari s Il est entendu qu on ne saurait amener de ma tresse la villa Strohl Fern de prostitu e encore moins Les vieux hurluberlus qui comme moi se prennent pour de fringants Prix de Rome et pr tendent avoir besoin d accortes gamines plut t que de peindre 54 sagement leur petite famille ou les arbres du jardin peuvent recevoir des mod les Mais aux heures de travail qui ne sauraient se prolonger la nuit Aucun scandale d aucune sorte ne saurait ternir la r puta tion des jeunes personnes ni celle de la maison J ai d j dit que la m re de Clara se sent le droit impres criptible de mener ses enqu tes voire de m es pionner Je crois qu au d but M Strohl lui aussi se m fia
34. pr s Paris j ai cherch plus de lumi re encore et ce fut Rome m me si je crains qu il ne soit un peu tard je me reconnais trop dans les yeux de Casagemas Et maintenant Ruiz m a rejoint Que vient il faire ici Le petit Casagemas on a envie de l appeler ainsi par tendresse d sol e mais en fait il tait beaucoup plus grand que Ruiz le petit Casagemas tr s cher ami de Pablo Ruiz lequel attendit sa mort pour le peindre a foison et accessoirement le remplacer aupr s de sa dulcin e tait il un bon peintre lui 15 m me Voil bien la question que je ne pr tendrai pas r soudre Un article du Petit Journal qu une curiosit morbide ma fait acheter le surlendemain du drame corche le nom de ce malheureux qui devient Casag mas Histoire de lui conf rer un g nie dont personne n aurait jur et que lui m me en tout cas s est refus Ce 17 f vrier 1901 j tais assis dans mon coin au Caf de l Hippodrome avant que n y entre un groupe de personnes qui me parurent de joyeux drilles Vers les dix heures du soir tout le monde cette table paraissait de la meilleure humeur bien nourri bien d salt r Soudain un long jeune homme s est lev il a sorti des lettres de sa poche les a pos es sur la table et s est mis discourir Ses yeux un moment donn ont crois les miens sans me voir bien entendu Puis je Pai vu porter ses regards sur cette fille dont je sus plus
35. r en prime toutes les prostitu es dignes de ce nom elle ne s y sent pas tenue Elle est pay e pour ne pas bouger et pour mettre de beaux costumes archaisants qu elle trouve videmment ridicules tout en regardant une mer invisible un ciel qui ne l int resse jamais sinon sur ordre ou l infini c est dire le vague ce qu elle fait tr s bien Le reste n est pas dans son contrat Mais elle a un corps un visage des yeux dont j ai besoin 24 f vrier au matin Que je d crive en deux mots une fois pour toutes mon cadre de vie ou de survie Je ne le peins gu re avec mes couleurs je ne vais pas le faire longuement avec mes phrases C est que les cadres pour moi portent bien leur nom Ils ne comptent que par ce qu ils enserrent et retiennent de fuir Rome bien s r me nourrit puisqu elle s est nourrie de Gr ce et je ne pourrais plus me passer de ses ciels Lumi re du temps lumi re de l espace Mais je ne peins pas Rome Et mon lieu de r si dence la villa Strohl Fern malgr son style roman tico gothique sa tour faussement m di vale un peu ruskinienne en somme je suis peut tre le seul ici ne pas l avoir prise pour sujet de tableau Ce bizarre monument se cache oui c est le mot il se 48 cache quelque part entre villa Borghese et villa Giulia De la piazza del Popolo pourtant toute proche nul ne se douterait qu il existe La villa M dicis n est pas loin et dans les
36. re peinture Mais je Pai retrouv e dans Rosina Ferrara la fille de Capri que Sargent a peinte avec passion ses omoplates justement quoique sous un autre angle Moi non je n ai pas os On jurerait que la petite gitane du bon Ford Madox Brown est devenue Rosina Fer rara cette beaut que Sargent a vol e d autres peintres avant que d autres la lui volent Et j ai le sentiment que tous me l ont vol e le dernier en date George Randolph Barse qui tudia chez Cabanel tiens donc a remport la mise puisqu il l a pous e Rome de surcro t Avant de lem mener aux Am riques Elle n est donc plus ici depuis longtemps D ailleurs elle a mon ge ce qui veut dire qu elle n est plus franchement jeune il s en faut Mais qui sait si tous ces peintres qui se sont attach s l immortaliser ne sont pas plus grands que Ruiz Non ma question est mal pos e Parce 34 que Ruiz est capable de tout m me du beau C est bien ce qui le rend si dangereux Mes beaut s moi sont plus domestiqu es trop C est aussi que prenant de l ge je me suis mis aimer des filles plus g es que la petite gitane et souvent plus pleines Mais j ai toujours recherch cette jeunesse triomphante et scandaleuse et peut tre n ai je jamais rien fait dans ma peinture que de donner des yeux a cette petite sceur de Rosina qui m offrait son dos mais me tournait le dos Voila mon tre voila mon
37. res avec des sacs emplis de plumes blanches elles fourguent une de ces plumes dans les mains de 37 tout m le jeune qui croise leur chemin ce qui le d signe comme embusqu et le couvre de honte Mes jeunes confr res cependant ont parfois trouv la parade l objection de conscience Ainsi le nomm Duncan Grant impur produit du groupe dit de Bloomsbury qui vit tranquillement sa peinture bru tale et ses amours s rement non moins brutales avec je ne sais quel crivain quelque part la cam pagne Objection de conscience Quelle conscience au juste Je ne vaux s rement pas mieux qu eux mais je ne suis pas heureux quant moi d avoir chapp la conscription Rares sont ceux qui vont la guerre avec l envie de tuer d assassiner veux je dire mais plus d un s y jette avec une autre envie ais ment r alisable J aurais t du nombre Ruiz en Italie Ruiz Rome pourquoi diable Il me reste esp rer qu il va remettre ses pas dans ses pas ce qui n anmoins n est gu re dans ses habi tudes Quant a hanter les mus es romains ou le forum ou les glises en esp rant l y voir Mais cet homme se fiche compl tement des mus es du forum et des glises Je ne puis croire que Rome soit pour lui la premi re tape d un Grand Tour qui le conduirait ensuite en Gr ce Le Grand Tour Du monde entier il a d j fait le tour il a d j tout d vor Il d vore il dig re puis il excr
38. s Mais assez l dessus J aurais h rit para t il du logement qui fut jadis celui d Ilya Repine C est un joli cube de ciment aux dimensions confortables flanqu de tourelles in gales galement cubiques dont le sommet fait terrasse Dans mon salon qui est aussi mon atelier jai r uni les fourrures de l opard d ours de tigre ou de lion dont j ai grand usage comme les quelques autres accessoires antiquisants ou non qui me sont n cessaires et que j ai apport s de Londres lors de mon installation durable ici sinon d finitive Cinq ans deja Miroirs tuniques de gaze toles et rubans dans tous les tons fl te a bec diaule amphores coquillages de nacre ventail de plumes de paon Le reste la nature environnante me le pr te Quant au principal rien ne peut me le donner et je ne puis le prendre Mes toles toujours sont nou es autour des reins des mod les toujours il faut montrer ce que l on cache d signer le secret qui demeure secret Au reste mes jeunes filles ne sont ni grecques ni 53 romaines Elles sont mon souvenir de Pomp i mon r ve de Rome et mon songe de Gr ce Je paie un loyer coquet au grand soulagement de M Strohl qui fut riche mais ne l est plus gu re propos d installations sanitaires ce sera la der ni re fois que j en parle c est jur il aurait d s ins pirer de la r cente invention de Maskelyne la porte p age automatique to spend a pen
39. s au fusain pr cis ment et chastement le visage de sa fille Le corps serait pour une autre fois 21 Heureusement pour moi j ai fait bonne impression la fois par la ressemblance de mon dessin ah la ressemblance Pablo Ruiz et par mon attitude naturellement respectueuse Oui naturellement La maritorne a proc d d autre part des interroga toires aupr s du personnel en particulier de ma femme de chambre interrogatoires dont le r sultat semble l avoir rassur e En outre elle sait que la mai son qui m abrite veille au strict respect de la pudeur et de la biens ance La signora Teresa malgr tout se pla t revenir dans mes parages sous le moindre pr texte Clara sa fille est fort jolie et pourtant lui res semble Secr tement mais elle lui ressemble Cela signifie t il que la m re un jour fut jolie Ou que je m illusionne sur la fille Elle a bien s r ce qu on appelle la beaut de la jeunesse Et je ne sais quelle finesse de traits dont la m re semble bien d pourvue Dans ce cas pourquoi la ressemblance Peut tre est elle uniquement dans certains clairs du regard Non dans les traits mais dans les expressions Et voil le drame plus l on avance en ge plus le visage est envahi par la personne et plus ses perfections ventuelles sont rong es par les imperfections de l me Clara semble fut e Teresa sournoise Bien t t la fille rejoindra la m re Question d horrible
40. se Les cris se perdent dans les hauts arbres et les chemins en d dales Quand ils ne s garent pas dans les grottes vraies ou fausses ne se dissolvent pas dans les vasques pois sons rouges et surtout dans le petit lac divis par un pont Lac symbolique pour M Alfred Strohl excen trique Alsacien cr ateur et ma tre des lieux mais symbolique avant tout pour moi au nord il est bord d une v g tation septentrionale au sud d une v g tation m ridionale Sur la rive du lac une barque de ciment appel e Paris Londres au nord Rome au sud Paris au centre mais un Paris qui s il ne sombre pas ne flotte pas non plus c est ma vie Tout le parc est constamment bichonn par un jardinier la moustache tellement formidable son second jardin anglais qu on n arrive jamais d chif frer son expression Mais il est toujours de bonne humeur heureux de nature si l on ose dire M Strohl m a toujours trait fort aimablement bien que son id alisme ressemble au mien comme une plante verte ressemble une fleur de sang Il est du c t de Tolsto auquel sa barbe le fait ressembler 50 jusqu la caricature adepte d un d isme fervent et vague Il ne r ve que vergers d niques sans Eve Certains pr tendent qu il est franc ma on D autres mage et spirite pour ne pas dire n cromant Avant de construire ici des ateliers pour artistes il avait difi des stalles pour vaches
41. suisses dont il voulait offrir le lait ti de encore aux pauvres Romains Ces vaches suisses taient un bien trange hommage son ma tre Gleyre car M Strohl est peintre et sculpteur et po te Il a rig dans ses jardins un arbre en ciment arm Cette bizarrerie vaut le coup d il Et pas grand chose de plus Lui qui certainement est bon et g n reux altruiste et humain de vilains bruits courent son sujet Cet Alsacien soi disant patriote fran ais serait un espion allemand un passage souterrain ne relierait il pas sa villa a la r sidence de l ambassa deur von B low Autre accusation d un genre fort diff rent il aurait longtemps refus des toilettes ses artistes les obligeant faire leurs besoins dans la nature qui certes est accueillante ici Aujourd hui du moins nous avons tous des installations sani taires notre disposition et nul n a jamais surpris l innocent M Strohl en train de se livrer dans l her bette des jeux coprophiles Un peu plus grave encore on a pr tendu qu il crucifierait des chats puis ficherait dans les orbites de leurs yeux nucl s 51 des ampoules lectriques Personnellement je n ai pas vu de lampe chat dans sa maison ni dans le parc Non M Strohl est immens ment bon C est un vague et fervent artiste vieux et c libataire On ne lui a jamais connu de relation amoureuse d aucun genre et cela suffit largement faire courir au
42. tant d amour quand bien m me ce gar on serait moche et mis rable Or sans tre d une beaut classique le visage de Carles tait fin son nez peut tre un peu long mais l gant et toute sa personne d gageait une mani re d aristocratie D ailleurs une de ses lettres n tait elle pas adress e au pr fet L pine et ne lui demandait elle pas de lui pardonner les ennuis que son regrettable esclandre allait lui causer Le 17 Petit Journal me l apprit N est ce pas d un aristo crate cela Et quoi donc Cette fille m prise un tel tre un tel regard un don si total une passion si br lante et si d vote Et puis j ai commenc de comprendre moins que je n aie vraiment compris que beau coup plus tard ce qui dominait dans ces magni fiques yeux chevalins c tait vraiment la peur Peur d elle et peur de soi Il l aimait follement et savait qu il ne pourrait jamais l atteindre Il ne l avait jamais atteinte Un gouffre d angoisse le s parait d elle Bien s r son amour tait en un sens le plus haut qu on puisse imaginer Carles tait fou de Germaine elle lui avait dit oui et il n avait pas cess de l aimer avec la m me folie Que r ver de mieux quand on est femme Sauf que cette constance dans l amour oblatif avait une cause mis rable et terrible Carles tait incapable de toucher Germaine surtout quand elle l invitait le faire Puisque tu m aimes tant que
43. tard qu elle se pr nommait Germaine Elle res tait assise et regardait dans le vide Mais sur son visage une forme de moquerie et de m pris tout fait singuliers Ses yeux ont galement rencontr les miens l espace d un instant Elle ne m a pas vu elle non plus mais je n en ai pas moins re u le message qu elle destinait a Carles Des regards f minins qui se moquent je suis un r cipiendaire combl voire un sp cialiste incontest 16 Bref je les connais par c ur Je vis avec Leur moquerie est pleine de sous entendus sup rieure et mortifiante mais il s y m le une forme de satis faction j allais dire de vanit contente d obscure complicit avec leur victime c est dire moi Cepen dant le d dain n est pas le m pris Un monde les s pare Le regard la fois moqueur et m prisant de cette Germaine apr s le regard sur elle de Carles Casagemas trahissait un sentiment que je n arri vai pas sur l instant d chiffrer Pourquoi ne pas l avouer plus tard les portraits que Ruiz avait faits de son camarade m ont aid Ils ont confirm le sou venir que je gardais de son regard lui Casagemas une minute avant le geste fatal Des yeux d une extr me profondeur noirs humides apeur s comme ceux des chevaux Le regard qu il portait sur cette fille tait d une telle intensit que dans la premi re fraction de seconde on se disait aucune femme ne r sisterait
44. ts maternit putains Tout cela violent brutal b cl avec une rage de couleurs un m pris des formes qui me heurtait d autant plus que ces formes en quelque mani re r sistaient au m pris faisaient leur tour ployer les couleurs prenaient soudain le dessus en une m l e trange comme si nul de ces tableaux n tait fini qu ils taient tous en train de se cr er en train de se dilater et de se contracter devant le spectateur comme un c ur bien sanglant dans une poitrine ouverte Et je n avais encore rien vu Jeannette c t de moi elle s appelait Jeannette semblait prendre plaisir reconna tre les lieux et les m tiers et comme on pouvait s y attendre devant une Maternit elle s attendrit Je m attendris aussi mais sur Jeannette pas sur ces tableaux agressifs dont j prouvais la maligne puissance sans en mesu rer encore toute la signification Iturrino c t trai tait parfois les m mes sujets et ne se g nait pas pour recourir des couleurs criardes au possible mais ses provocations ne tiraient pas cons quence Il n y avait pas dans les uvres expos es de por trait de Casagemas mais je fis tout de suite le lien entre ce Pablo Ruiz et le Pablo qu invoquait Odette d une voix suraigu juste apr s le suicide du Caf de Hippodrome Et je souhaitais d sormais voir quoi ressemblait ce bonhomme dont je ne pouvais 43 nier la puissance Jeannette parvint
45. u et presque 41 fait oublier les m chancet s de mes mod les anglais Quand je parle de science j entends surtout celle des relations entre la vue et le toucher mais ce serait un trop long chapitre Quant a sa gentillesse pour autant que je la d dommage elle me servait volon tiers de guide la journ e dans un Paris que je connaissais encore bien mal Comme je lui avais dit que j tais peintre c est elle qui se renseigna aupr s de camarades mod les occasionnels pour obtenir l adresse des galeries la mode C est ainsi que je me retrouvai non loin de l Op ra chez le marchand Vollard l int rieur ne laissant aucune portion de mur vide plus de soixante tableaux du nomm Pablo Ruiz dix neuf ans voisi naient avec ceux de Francisco Iturrino beaucoup plus g de la m me g n ration que moi Que dire D abord ce gamin traitait tous les sujets p le m le Moi je n en traite qu un et cela devrait alerter mes d tracteurs si l on ne traite qu un sujet n est on pas absolument moderne Car cela revient dire que le sujet n importe pas Je suis de mauvaise foi mais que me reste t il d autre Londres c est une V nus au bain que J avais laiss e dans mon atelier Donc le morveux peignait tout la diable portraits sc nes de rue sc nes de bistrot sc nes de corrida paysages vil lages glises bords de mer chanteuses danseuses 42 bouquets de fleurs enfan
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