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1. une litt rature qui n est pas produite par ceux qui la lisent Les adultes crivent ditent ach tent l enfant n a plus qu choisir dans le choix de l adulte Cette pr sence adulte fixe les bornes de la libert de l enfant sur deux points essentiels La production s organise partir des images que l adulte a de l enfant et de ses besoins Mais l enfant impose moins ses d sirs qu il ne lit ceux qu on lui pr te Les textes se font miroirs dirig s vers l enfant ils refl tent celui qui les tient 3 Cf p 17 4 28 4 72 145 TUDES LITT RAIRES AVRIL 1974 l adulte Dans l criture celui ci d voile ses attentes et ses craintes devant son propre avenir Il les chuchote celui qui est son futur celui qui doit le prolonger l enfant Un double mouvement est possible l adulte enracine l enfant dans le pass pour mieux le rattacher la culture qu il devra continuer importance du folklore des romans historiques contenus souvent vieillots des romans pour enfants Mais il projette ainsi sa propre crainte devant l avenir sa r sistance au changement Ou bien l criture dira les espoirs du groupe les aspirations que l enfant devra r aliser les valeurs nouvelles qu il saura incarner Dans l un et l autre cas l enfant est l objet d une pressante demande sociale Litt rature enfantine terrain d lection d une sociologie culturelle En donnant des livres l enfant l adulte rec2. des textes susceptibles d tre int gr s au r pertoire enfantin la faveur de quelques retouches Nous avons tout d abord les romans venus des lectures d adultes Sur ceux ci p sent deux contraintes la n cessit d une th matique compatible avec le r pertoire enfantin on adapte a Case de Oncle Tom non pas le Rouge et le Noir l insertion ancienne dans la litt rature populaire par le biais de la litt rature de colportage Ainsi s explique la pr sence incongrue des adaptations de Don Quichotte ou plus explicables celles de Robinson Cruso et des Voyages de Gulliver Dans tous ces cas on r crit pour adapter un public qui n tait pas initialement vis Remanier les contes folkloriques semble moins l gitime L enfant entretient des liens multiples avec cette tradition orale Nous savons que la culture lettr e s est progressivement loign e de la culture rurale celle ci ne s est maintenue vivante que dans les couches populaires et parmi les enfants Les contes et les chansons folkloriques furent jusqu au jourd hui la premi re culture des enfants Rappelons par ailleurs que l enfant qui apprend lire est quelqu un qui passe d une culture orale une culture crite Enfin il semble qu une partie des contes ceux que les sp cialistes appellent les contes d avertissement taient destin s aux enfants Nous voyons que le projet de remanier les r cits fix s par les Isabelle Jan l
3. huit heures et demie Il ajoute un peu plus tard sur la page oppos e cette occasion je leur ai racont une histoire fantastique intitul e Les Aventures souterraines d Alice que j ai entrepris d crire pour Alice Alice Liddell la pr f r e il ne s agit pas l d une quelconque anecdote mais de l une des cl s de la cr ation pour enfants De m me qu il y a une double adaptation crite au public enfantin textes crits pour lui textes r crits pour lui de m me existe t il une double adaptation orale r cit invent sous le regard de l enfant r cit remodel par sa pr sence Nous retrouvons icil minence de l oral que connaissait la tradition populaire Le discours ne se guide plus sur l image d un enfant anonyme et g n ral La parole qui est premi re pose et reconna t l autre Fondamen talement oppos e l adaptation crite dont nous venons de parler cette adaptation orale du conteur et du raconteur est la recherche du plaisir d autrui C est loin des tentations p dagogiques ou marchandes que surgit l crivain Par sa pr sence r elle l enfant r v le lui m me celui qui est apte satisfaire son imaginaire Un enfant partenaire non plus un enfant prisonnier Universit de Haute Bretagne Rennes 22 Michel Tournier confirme le m canisme lorsqu il explique la gen se de Vendredi ou la Vie Sauvage reprise pour enfants de Vendredi ou les Limbes du Pacifique Tout a commenc
4. par un bref et p remptoire dialogue C est quoi ton m tier crire des histoires Alors raconte On t coute e Monde Quand Michel Tournier r crit ses livres pour les enfants 24 12 71 158
5. progr s la reconnaissance d une sp cificit enfan tine Mais elle devient ambigu si elle autorise domination et exclusion La diff rence n est pas que psychologique elle est aussi sociale La tentation est donc forte de faire de la lecture une humble servante auxiliaire de l ducation que re oit l enfant Beaucoup y succomb rent beaucoup y suc combent encore La diversit des textes propos s aux enfants r sulte de l interaction de ces trois variables l image que l adulte se fait de l enfant l image qu il se fait de sa mission d ducateur et des valeurs transmettre enfin la plus ou moins grande facilit avec laquelle il combine ou oppose ces deux images C est dans le vide laiss par une litt rature absente que s labore la litt rature enfantine L adulte donne apr s avoir refus il donne parce qu il a d abord refus C est l que sont les fronti res les bornes de cette production c est l qu il faut chercher les lois qui la r gissent 2 Cit par Georges Snyders la P dagogie en France aux 17 et 18 si cles PUF p 48 144 LES LIVRES POUR ENFANTS ET L ADAPTATION Comme l ensemble de la production litt raire celle qui est destin e aux enfants s inscrit dans des rapports de classes qui p sent sur ses contenus et ses conditions de diffusion Elle peut m me tre d crite comme un microcosme qui reproduit les hi rarchies que nous connaissons bien Comme les livres
6. Article Les Livres pour enfants et l adaptation Isabelle Nieres tudes litt raires vol 7 n 1 1974 p 143 158 Pour citer cet article utiliser l information suivante URI http id erudit org iderudit 500311ar DOI 10 7202 500311ar Note les r gles d criture des r f rences bibliographiques peuvent varier selon les diff rents domaines du savoir Ce document est prot g par la loi sur le droit d auteur L utilisation des services d rudit y compris la reproduction est assujettie sa politique d utilisation que vous pouvez consulter l URI https apropos erudit org fr usagers politique dutilisation rudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif compos de l Universit de Montr al l Universit Laval et l Universit du Qu bec Montr al Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche rudit offre des services d dition num rique de documents scientifiques depuis 1998 Pour communiquer avec les responsables d rudit info erudit org Document t l charg le 16 novembre 2015 07 06 143 LES LIVRES POUR ENFANTS ET L ADAPTATION isabelle nieres La litt rature enfantine de fiction n appara t qu assez tardive ment en France Sous l Ancien R gime les enfants connaissent d une part les contes populaires d autre part les manuels scolaires et les classiques grecs et latins Le Discours sur l Histoire Universelle ou les Aventures de T l maque re
7. Chaperon Rouge ou la Ch vre de Monsieur S guin Cette alt ration du conte est faite au nom de la sensibilit enfantine Mais supprimer la mort des chevreaux c est du m me coup suppri mer leur r surrection Car le loup dans sa gloutonnerie les avait aval s tout entiers Sur ce point le conte est infiniment moins troublant que le r cit de Daudet Les enfants ne retrouvent plus ni l op ration du ventre du loup ni la solide couture de la m re Loin de se noyer dans la mare le loup s enfuit dans les bois Ces censures qui veulent prot ger l enfant alt rent progressivement tout le r cit On aboutit l effacement de toute violence sans m me entrevoir que celle ci puisse tre lib ratrice au rejet des r f rences culturelles de l enfant une rationalisation du propos Cette falsification du r cit r v le l autre face de ce respect de la sensibilit enfantine le d sir de contr ler les plaisirs de l enfant Si nous continuons examiner cette adaptation du conte de Grimm nous voyons affleurer la seconde direction du travail de l adaptateur Certaines alt rations du r cit ne rel vent ni de la n cessit de faire court ni de la protection de l enfance Alors que dans la version recueillie par Grimm le salut des biquets vient du cadet th me folklorique du grand et du petit triomphe du petit l adaptateur renverse les r les Le plus jeune voulait ouvrir quand m me mais le plus grand l en emp
8. ON L ambigu t du comportement adulte qui ne se r signe pas donner ou refuser qui pr f re les compromis honteux se manifeste concr tement sur le march du livre Les adapta tions finissent par occulter le texte initial On ne trouve plus actuellement une dition int grale des albums de Babar De 1945 1965 les diteurs fran ais ont publi 25 ditions pour enfants de Peter Pan dont 18 adaptations au minimum 8 De 1948 1968 ils ont publi 33 ditions pour enfants de Alice au Pays des Merveilles savoir 4 traductions 1948 1949 1965 et 1968 et 29 adaptations Par contre pour cette m me p riode nous trouvons 10 traductions destin es des adultes Le cas de Lewis Carroll est exceptionnel puisque nous nous trouvons devant un des rares auteurs dont l uvre initialement crite pour des enfants se trouve progressivement annex e au r pertoire adulte II reste cependant curieux de constater qu en France tout au moins cette int gration s accompagne de la disparition du texte dans l dition pour enfants Aux uns des traductions aux autres des versions revues et corrig es Tout se passe comme s il tait insupportable l adulte d avoir les m mes lectures que ses enfants Pour l gitimer ce glisse ment il suffira d mettre quelques doutes sur le bien fond d une appartenance au r pertoire enfantin crivaient ils pour les enfants titre un journaliste qui rend compte d un rom
9. an de la comtesse de S gur et d un autre de Lewis Carrolil La boucle est boucl e C est n gliger un peu vite deux faits La pr sence des romans de Verne de S gur de Carroll dans des collections pour enfants ne r sulte pas de quelque accident historique Ce n est pas l insu des auteurs mais de leur plein gr qu ils y figurent Pour la simple raison que les deux derniers tout au moins s envisageaient comme des crivains pour enfants Et pourquoi donc Parce qu ils furent d abord des conteurs pour enfants 18 Le relev a t fait partir de La Librairie Fran aise Biblio Ce r pertoire n est pas exhaustif Par ailleurs il ne permet pas toujours de savoir si nous avons affaire une traduction ou une adaptation II nous semble qu il y ait doute pour quatre ditions ce qui pourrait r duire les traductions 8 19 Le Monde 25 08 72 propos de la premi re traduction fran ise de Sylvie et Bruno et d une r dition de la Fortune de Gaspard accompagn e d une tude de Marc Soriano 157 TUDES LITT RAIRES AVRIL 1974 Jean de Brunhoff qui tait peintre se d couvrit conteur devant ses propres enfants la comtesse de S gur devant ses petits enfants Lewis Carroll devant les fillettes qu il invitait II note dans son journal Remont la rivi re jusqu Godstow avec les trois petites Liddell nous avons pris le th au bord de l eau et n avons pas regagn Christ Church avant
10. ant des contraintes conomi ques modifie le rythme de la lecture alt re un l ment du plaisir de l enfant C est ce qui appara t le plus clairement dans les ditions tronqu es des Babar de Jean de Brunhoff de premier album Histoire de Babar le Petit l phant l dition de 1969 supprime la moiti de la s quence de l ascenseur puis la double page o l on voit le vieux roi manger un champignon se rider et verdir avant de mourir Pourquoi l adaptation de Peau d ne aux ditions Odege 1970 supprime t elle la longue recherche de la princesse travers le d fil des princesses des duchesses des marquises et des baronnes puis des grisettes qui toutes jolies qu elles taient avaient toutes les doigts trop gros etc C est retirer l enfant le d licieux plaisir de l attente Pourquoi ladaptation du Loup et les chevreaux que donne la collection du P re Castor ram ne t elle le nombre des biquets de sept trois Pour faire court bien s r Mais c est frustrer le jeune lecteur auditeur de tout un jeu avec les diverses cachettes comme le fait remarquer Isabelle Jan f 16 sabelle Jan article cit p 25 153 TUDES LITT RAIRES AVRIL 1974 Cette adaptation du conte recueilli par Grimm n en reste pas l Le loup ne mange plus les chevreaux car la m re rentre temps Dispara t donc le plaisir d tre mang frisson que l enfant retrouve heureusement avec le Petit
11. cha Si nous rapprochons cet cart de cet autre qu est le retour providentiel de la m re nous voyons que le discours sur les bienfaits de l ob issance sur la sagesse des a n s sur la toute puissance des parents est latent Loin de lib rer l enfant le r cit l enferme dans le conformisme et la d pendance Nous retrouvons ici la trace sournoise de la mission ducative de la litt rature enfantine Mais quelle ducation Pour transmet tre quelles valeurs Il est r v lateur que l uvre de Carroll qui se situe radicale ment hors de cette fonction de domination de l enfant par livres interpos s y soit si obstin ment ramen e Alice s Adventures in Wonderland s ouvre sur une allusion m chante cet abus de pouvoir des adultes Alice v rifie qu il ny a pas LES LIVRES POUR ENFANTS ET L ADAPTATION indiqu poison sur la bouteille qu elle vient de d couvrir for She had read several nice little histories about children who had go burnt and eaten up by wild beasts and many other unpleasant things all because they would not remember the simple rules their friends had taught them Tout ceci n arr te point les adaptateurs Dans une adaptation fran aise de 1932 aux ditions Nelson la phrase devient Elle se souvenait en effet d avoir lu des histoires o l on voit les enfants br l s ou mang s par les sauvages faute d avoir cout leurs parents Ou encore dans une ada
12. e Probl me de l adaptation in Bulletin d analyses de livres pour enfants n 20 juin 1970 p 31 10 La t l vision vient bouleverser cette tradition 11 Cf Paul Delarue les Contes merveilleux de Perrault et la tradition populaire in Bulletin Folklorique d Ile de France octobre d cembre 1951 151 TUDES LITT RAIRES AVRIL 1974 folkloristes au lieu de les s lectionner simplement se justifie mal Il aurait pu sembler que le travail d adaptation se r duirait fort peu de choses II n en est rien si nous feuilletons les ditions mises sur le march Il est des cas enfin qui tonnent par leur apparente absurdit Il arrive que des diteurs fassent r crire des textes initialement crits pour des enfants Que se passe t il Faut il consid rer que la comtesse de S gur que Carroll qu Ander sen se sont tromp s qu ils ont m connu leur public Est il vident qu il faille revoir leurs textes II ne s agit parfois que de coupures de l g res modifications du lexique Plus souvent nous nous trouvons devant de tristes r critures Comment rendre compte de cette anomalie que ne suffit pas expliquer la pression conomique dont nous avons parl plus haut Tout se passe comme si les textes de litt rature enfantine les plus menac s d adaptation taient ceux o le travail litt raire est le plus vident Enid Blyton est mieux prot g e que la comtesse de S gur la com
13. en soit ainsi Il est exceptionnel que cette mise niveau soit intelligem ment faite Tel personnage supprim au chapitre deux r appa ra t sans crier gare au chapitre dix Il arrive que les coupures accroissent singuli rement les difficult s de lecture Les modi fications du lexique sont souvent inutiles quand elles ne r pondent pas une d mangeaison po tique de l adapta teur Entre deux mots il est rare qu il choisisse le moindre Si le but est d clairer le texte et de l abr ger pourquoi 148 LES LIVRES POUR ENFANTS ET L ADAPTATION rencontrons nous l inverse l adjonction de nouveaux d velop pements Pourquoi serait il fondamental la compr hension du r cit de changer le point de vue narratif choisi par Defoe et de raconter Robinson Cruso la troisi me personne Pour quoi faut il remanier l intrigue remplacer une fin par une autre Il est clair qu il y a d autres raisons ces alt rations qu un simple souci de lisibilit il est clair que ces raisons ne sont pas imputables une simple censure soucieuse de prot ger l enfant Les justifications culturelles sont encore plus contestables Il s agit pour l adulte de faire participer l enfant au culte des grands Anc tres C est dans ce but que les adaptateurs r crivent Cervant s Shakespeare Racine ou Corneille Mais qu il s agisse des Tales from Shakespeare de Charles Lamb ou des Contes et R cits tir s de Cornei
14. es bons conseils car ce qu on apprend petit demeure bien vivant dans un recoin de la m moire Ainsi se cr ent les habitudes qui rendent la vie plus facile Telle est sa conviction Alice plus tard sera grande aussi Elle l est d j pour son ge Elle est mince elle aime courir et jouer elle est espi gle 17 R cits tir s du th tre de Racine adaptation de G Chandon Paris Nathan 1963 collection des Contes et L gendes de tous les pays p 117 155 TUDES LITT RAIRES AVRIL 1974 aussi et intelligente mais elle pr f re les jeux au travail Surtout elle est jolie comme Anne Et le texte continue ainsi sur quelques pages Si l adaptateur n y suffit pas l diteur suppl e L introduction donne le mode d emploi en voici une parmi d autres pour Alice au Pays des Merveilles toujours puisse cette jolie histoire d velopper votre jeune imagination et en vous familiarisant avec les tres qui vivent et souffrent autour de nous contribuer vous garder pour plus tard quand vous serez grands le plus pr cieux des tr sors un c ur simple et aimant adaptation Larousse 1910 Il est clair travers cette s rie d exemples que l adaptateur est guid par un projet ducatif et que celui ci est similaire quelque soit l adaptateur Ce n est pas un individu qui est en cause mais une conduite collective Cette criture moralisante enferme l enfant dans un conformisme social bien inqu
15. ette d marche ses raisons ses r sultats Les justifications les plus commun ment invoqu es sont de trois ordres Nous les s parons pour la commodit de l expos mais il est clair qu elles se superposent souvent Elles sont p dagogiques culturelles conomiques Les justifications p dagogiques s appuient sur l affirmation des multiples diff rences entre l enfant et l adulte tant intellec tuelles que psychiques Pour respecter les possibilit s intellec tuelles de l enfant un enfant type l adaptateur va porter son attention sur quatre points essentiels la longueur du texte la complexit de l intrigue la r f rence culturelle la richesse du lexique On affirme que l enfant redoute un texte long qu il sera incapable de le dominer partir de l tout s encha ne Les coupures portent sur les descriptions les d veloppements abstraits mais galement sur des personnages ou des pisodes qui seront tenus pour secondaires On obtient ainsi en principe une intrigue plus lin aire plus facile suivre par un jeune lecteur D autre part on retranche ou on explique d une note tout ce qui rel ve d une culture adulte celle que l enfant ne poss de pas encore Un tel souci justifie alt rations du r cit et substitution d un terme un autre Si l entreprise se limitait r ellement ce type d intervention on pourrait peut tre la trouver admissible quoique b tarde Mais il est fort rare qu il
16. i tant toute trace d humour dispara t On lui propose la charit et non pas la justice la bonne conscience La sensualit se r sorbe dans la sentimentalit L accomplissement de la femme passe par la beaut et les mirages du luxe Toute ducation est bien fond e tout adulte est infaillible Individua lisme passivit goisme Apr s de telles lectures y aura t il encore des enfants assez d voy s pour pr f rer le jeu au travail Les interrogations disparaissent le discours s aplatit Si la litt rature peut tre d finie entre autres choses comme un travail de transformation de l id ologie au sein de laquelle elle se produit la mission de l adaptateur est de supprimer cette monstruosit Toute d marche critique est refus e l enfant Il est pourtant possible d envisager une r criture qui lib re l enfant au lieu de l emprisonner Lewis Carroll avait ouvert la voie au sein m me de la litt rature enfantine Les diff rentes chansons d Alice s Adventures in Wonderland parodient les po mes pieux et moralisateurs qu apprenaient les jeunes amies de Carroll Il na gu re t suivi La pression sociale s exer ait s exerce encore dans le sens inverse ducation et critique semblent encore antinomiques La m diocrit des adaptations a sa coh rence leur fr quence a ses raisons qui ne sont pas fondamentalement marchandes mais id ologi ques 156 LES LIVRES POUR ENFANTS ET L ADAPTATI
17. lle le r sultat trahit n cessairement l intention Ce que enfant lit ce n est ni Shakespeare ni Corneille Que lon en juge Dans une des salles du palais d Octave C sar Auguste empereur de Rome milie est seule et pensive Son visage au fier profil qu encadrent des boucles brunes ramen es en chignon sur la nuque porte dans ses traits encore enfantins une expression de tristesse et de r solution Parfois la jeune fille s approche de la porte de cet appartement qui est le sien comme pour entendre au del du seuil tous les bruits du palais Ou bien elle va se blottir dans l embrasure d une fen tre et regarde m lancoliquement s battre sur les pelouses les grands l vriers de l empereur Vous avez reconnu l ouverture de Cinna Ce type d adaptation explicite deux tentations de l adulte Envisager le temps de l enfance comme un temps d ap prentissage un temps pr paratoire cette vie pleine et enti re que serait la vie adulte Ceci le conduit concevoir les lectures enfantines moins comme des plaisirs pr sents que comme 7 Contes et R cits tir s de Corneille adapt s par G Chandon collection des Contes et l gendes de tous les pays Paris F Nathan 1934 p 73 149 TUDES LITT RAIRES AVRIL 1974 l instrument de plaisirs futurs ou d une sage int gration sociale Biaiser avec la censure qu il a lui m me pos e Il estime que Shakespeare et Corneille sont des lect
18. ment The Nursery Alice adaptation faite par Carroil lui m me et qui confirme le caract re r ducteur de ce type d entreprise Le 152 LES LIVRES POUR ENFANTS ET L ADAPTATION Les textes que les adultes int grent au r pertoire enfantin ont donc l une ou l autre de ces deux caract ristiques ou bien ils sont ressentis comme populaires ou bien ils sont ressentis comme fortement litt raires Dans l un comme dans l autre cas l adulte va manifester l ambigu t de sa conduite r ticence admettre une culture ext rieure au cercle lettr Nous en trouvons la trace dans le refus du conte de f es au 18 si cle dans celui de la bande dessin e aujourd hui r ticence donner tels quels des textes qui portent le label Litt rature C est alors qu un adaptateur s interpose qui va s efforcer de r duire d effacer ce travail de l criture Tel nous semble tre la signification globale de l adaptation au del des pressions marchandes et p dagogiques Vers quoi tend l intervention de l adaptateur Quelle image implicite de la litt rature enfantine guide ce travailleur beso gneux et souvent anonyme Sa lecture du texte est pauvre Il m prise la narration s acharne sur la fable De l apparente diversit des r sultats deux grandes tendances se d gagent effacement du travail litt raire expression petite bourgeoise des valeurs de la classe dominante Une simple coupure r pond
19. onna t celui ci un droit la lecture et donc en principe un droit au plaisir du texte Mais la volont de contr le qui demeure n est pas simple contr le du choix elle est aussi regard sur le plaisir de l enfant Ces deux conceptions donner une litt rature en contr ler la lecture sont homologues la censure qui fonde cette produc tion II y a quelque chose d un peu puritain dans cette dualit ducation versus plaisir qui peut coexister chez un m me individu ou bien tre cause de conflit entre adultes diff rents C est cette h sitation dans le comportement que nous voudrions cerner de plus pr s Il nous semble en effet que les deux hi rarchies celle des classes et celle des g n rations s opposent souvent moins qu elles ne se compl tent Elles tendent toutes deux r duire la libert de l enfant effacer le travail litt raire de l crivain quand celui ci existe Le r pertoire mis entre les mains des enfants est fort disparate Nous trouvons des albums illustr s des romans des recueils de po sie des manuels techniques des docu mentaires L origine de ces ouvrages est de deux types d une part des livres crits sp cialement l intention des enfants l adaptation au lecteur est alors inscrite dans la gen se de l uvre d autre part des textes qui ne leur taient pas 5 Voir par exemple le livre de Jean Pierre Di ny e Monde est vous la Chine et les Livres pour enfants Paris Gallima
20. pour adultes ceux des enfants sont distribu s par des circuits diff renci s Ce ne sont pas les m mes livres que proposent les rayons des super march s et les librairies d assortiment g n ral Comme les livres pour adultes ceux des enfants retiennent in galement l attention Le discours critique entoure quelques textes ceux que s lection nent les biblioth caires pour leurs jeunes lecteurs ceux qui intriguent les adultes ou ceux qu ils s approprient Le d velop pement d un commentaire tend recr er les clivages de la culture lettr e avec ses lus et ses bannis Le Times Literary Supplement qui consacre quatre fois l an un dossier aux livres pour enfants reconna t qu il n a gu re fait place l crivain pour enfants le plus traduit aujourd hui Enid Blyton l auteur des m diocres Club des Cinq Enfin comme les livres pour adultes ceux des enfants frappent par leur disparit et leur fr quente indigence Pourtant de cette grisaille quelques textes se d tachent qu un adulte lettr peut lire dans la joie La situation de la production pour enfants est celie de la produc tion pour adulte envisag e dans son ensemble la litt rature lisible est cras e par cette litt rature illisible et qui se lit comme le rappelle Jean Paulhan cette premi re hi rarchie sociale et culturelle qui n est pas propre aux livres pour enfants vient se superposer une seconde qui leur est sp cifique celle d
21. ptation de 1956 aux ditions Nathan Si c tait une assiette de potage qui se trouvait l au lieu de ce g teau cela ferait s rement grandir on me le disait quand j tais petite et c est vrai la brave petite fille les bons parents Nous commen ons entrevoir l orientation de cette duca tion par le livre Voici trois exemples puis s trois sources diff rentes L ouverture de Cendrillon dans une version sign e Walt Disney Hachette 1967 II y avait une fois dans un pays lointain un riche gentilhomme qui vivait seul avec son adorable petite fille IIs habitaient une magnifique demeure et l enfant tait combl e de tous les biens que procure l argent Mi vre rie du vocabulaire r ves de midinette Mais la fin de B r nice revue par les ditions Nathan ne propose pas autre chose L bas la voile de pourpre de la gal re de B r nice effleure de son ombre l azur des vagues Et peut tre sur la c te une femme heureuse la main dans la main de l homme qu elle aime suit elle de l il avec un peu d envie ce beau navire qui s en va si loin 7 Ou encore cette broderie sur Alice au Pays des Merveilles dans la collection Galaxie de Hachette 1972 Le lit de Procuste est l vidence trop grand il faut ajouter Alice n a que dix ans et elle n a pas envie de prendre tant de pr cautions pour ne pas se tacher ni d chirer ses v tements ni salir ses mains Cependant Anne continue prodiguer s
22. rd 1971 146 LES LIVRES POUR ENFANTS ET L ADAPTATION initialement destin s soit qu ils viennent du fonds folklorique soit qu ils viennent des lectures des adultes L adaptation est alors le r sultat d une s lection et dans bien des cas d une r criture Ces deux registres ont un certain nombre de points com muns l criture dans un cas la s lection et l adaptation dans l autre renvoient l image latente que se font les adultes du bon livre pour enfants C est d ailleurs pourquoi tous les r cits du folklore tous les romans des adultes ne sont pas galement susceptibles d tre int gr s au r pertoire enfantin Pour conna tre ce sort il leur faut poss der d j un certain nombre de traits compatibles avec ceux de la litt rature pour enfants archa sme culture orale th me animal ou familial aventures merveilleux transmission de savoir sont autant d l ments favorables alors que violence sexualit politique philosophie seront autant de motifs de rejet Les diteurs se contentent rarement de s lectionner les textes ou de publier des extraits d marche qui est famili re aux manuels scolaires Le plus souvent ils chargent quelque t cheron de r crire tout ou partie du texte initial Ce second type d adaptation un public que l on d signe habituellement par le mot adaptationf est d une extr me fr quence dans l dition pour enfants II nou
23. rgeoisie et d une partie de la noblesse vers le 18 si cle au terme d un lent processus qui s bauche d s le 15 si cle cf Philippe Aris l Enfant et la vie familiale sous l Ancien R gime Plon 1960 TUDES LITT RAIRES AVRIL 1974 choisis Et non content de vouloir supprimer les endroits dangereux il propose de les remplacer par des choses difiantes La fonction et l ambigu t de la litt rature enfan tine est inscrite dans cette origine au double sens historique et g n tique du terme Pour l adulte l interdiction est d ment motiv e l enfant ne comprend pas les textes du r pertoire adulte ou bien ce qu il pourrait en comprendre est susceptible de lui faire du mal Il faut prot ger l enfant censure p dagogique production p dagogique elle aussi L adulte veille sur les livres qu il met entre les mains de l enfant comme sur ceux qu il lui interdit Deux pr occupations vont guider son art d crire Il reconna t l enfant une perception des besoins des exp riences qui lui sont propres Les livres qu il lui destine devront donc respecter cette diff rence H las l intervention de l enfant n est le plus souvent que fort indirecte L adulte crit moins selon l enfant que selon l image qu il s en fait Ce souci d autrui n est pas toujours exempt d arri re pens es L volution qui a consacr la s paration de l adulte et de l enfant peut tre envisag e comme un
24. s semble que ce ph nom ne n a pas suffisamment retenu l attention Pourtant son ampleur intrigue Toute modification r sulte d un acte volontaire L ensemble explicite une image de la litt rature enfantine qui reste implicite dans les r cits crits directement pour les enfants O pourrions nous lire plus clairement les vis es id ologiques des adultes Il ne s agit nullement pour nous de nous insurger a priori contre une telle pratique Il est bon de rappeler que les r ticences les plus vives l gard de l adaptation sont li es la culture lettr e La notion de propri t litt raire est relativement Nous diff rencions ici l adaptation de la traduction qui est galement une criture partir d un texte ant rieur Nous prenons le mot dans un sens troit r criture guid e par d autres consid rations que la recherche d quivalences ethno linguistiques 147 TUDES LITT RAIRES AVRIL 1974 r cente La l gislation na pas totalement aboli certaines pratiques de la production de grande diffusion les n gres par exemple II en va de m me pour la notion de texte unique et immuable La litt rature populaire a toujours pratiqu l adaptation dans la chanson le conte les ditions de colpor tage La pr sence ancienne du fonds folklorique dans les lectures des enfants nous a habitu s une assez libre circula tion des th mes et des formes Seule nous importe l existence de c
25. stent des livres exceptionnels puisqu ils ne sont r dig s qu l intention d un seul enfant l h ritier royal Par contre d s le milieu du 18 si cle en Angleterre tout d abord en France un peu plus tard va se d velopper une litt rature qui s adresse des lecteurs multiples et anonymes Un public virtuel existe un assez grand nombre d enfants sait lire a le temps de lire peut se faire acheter des livres Mais ces conditions sociales ne sauraient pourtant suffire expliquer une telle innovation La raison fondamentale est ailleurs Pour qu un groupe con oive l id e de constituer un r pertoire pour les enfants diff rent de celui qu il cr e son propre usage il faut qu il en soit arriv envisager l enfant comme un tre diff rent qui requiert donc un traitement sp cifique Sans cette s paration point de litt rature enfantine Pourquoi les adultes crivent ils ditent ils ach tent ils des livres pour les enfants sinon parce qu ils pensent que les livres qu ils produisent leur usage propre ne sauraient convenir de jeunes personnes La constitution d une litt rature enfantine est l aboutisse ment logique de toute censure bien conduite interdit puis production de substitution Saint Ignace souligne ce double mouvement lorsqu il d clare Les ducateurs ne feront conna tre aux enfants que des morceaux tr s soigneusement 1 Cette s paration est effective dans les m urs de la bou
26. t de Procuste Trop long on le coupe trop court on le gonfle Et nous retrouvons les questions pos es plus haut que coupe t on comment coupe t on Qu ajoute t on L int r t p dagogique va passer par les imp ratifs marchands Puissent ils co ncider Extrait de l avant propos de cette m me adaptation de Corneille L ado lescent dans ses classes de Langues vivantes se rendra compte de l utilit qu il y a pour lui avoir lu et compris le Roi Lear Othello De m me futur bachelier il appr ciera ce fait d tre familiaris depuis longtemps avec les h ros de Corneille Les courts romans aux belles images palpiteront travers l alignement des alexandrins et ils lui prouve ront que nagu re il s est instruit en s amusant pages 5 et 6 150 LES LIVRES POUR ENFANTS ET L ADAPTATION Dans un long expos qu elle consacre l adaptation Isabelle Jan analyse une s rie d exemples Elle d fend certains r sul tats souligne d videntes censures Elle reste oblig e de conclure la m diocrit et l incoh rence de bien des remaniements Je ne vois pas d autre raison que des raisons commerciales la plupart de ces livres d apr s des histoires c l bres qui passeraient fort bien sans modifications Nous en sommes convaincues Mais n y aurait il pas une coh rence dans cette m diocrit Si ce travail inutile avait un sens Il nous faut revenir sur le corpus
27. tesse mieux prot g e que Lewis Carroll Plus un texte d route l adulte plus il suscite de commentaires r ticents plus il se trouve en p ril S il franchit sain et sauf les barri res que dresse l diteur 3 il n est pas quitte pour autant La menace persiste Que signifient ces fr quentes r serves des adultes devant e Petit Prince ou Alice au Pays des Merveilles On se demande bien ce qu ils peuvent comprendre Finalement ce n est pas un texte pour enfants etc Les diff rentes lois sur la propri t litt raire prot gent le texte pendant quelques d cennies 4 La c l brit ne suffit pas ensuite comme on aurait t en droit de limaginer d courager les adaptateurs 15 12 On peut estimer qu il en va diff remment pour les contes de Perrault 13 On ne sait pas assez que la comtesse de S gur fut contrainte par son diteur d apporter plus d une modification ses manuscrits voir les extraits de sa correspondance avec mile Templier gendre et associ de Louis Hachette que Jean Mistler publia dans a Revue de Paris ao t sept 1964 p 37 52 14 moins que les h ritiers ne donnent leur accord des remaniements tel est aujourd hui le cas pour l uvre de Jean de Brunhoff De 1907 date laquelle Alice s Adventures in Wonderland tombe dans le domaine public 1952 le catalogue du British Museum rel ve 28 adaptations diff rentes de ce r cit Nous n avons pas inclus dans ce d nombre
28. ures d enfance et les met entre les mains des enfants Ou bien il les juge trop difficiles et il ne les leur propose m me pas L adulte pr f re un compromis honteux il offre un ersatz qui doit tenir lieu de chef d uvre Restent les justifications conomiques qui ne viennent plus des p dagogues cette fois mais des diteurs Ceux ci expli quent qu ils ne trouvent pas un nombre suffisant de manuscrits dignes d tre retenus Il leur est donc n cessaire de puiser dans le r pertoire adulte et le folklore pour offrir un grand choix de textes leur client le On pourrait leur r torquer que mieux vaudrait une politique conomique et culturelle plus favorable aux crivains pour enfants L argument de l troi tesse de la production ne saurait nous satisfaire I est d autres raisons marchandes que les diteurs se gardent bien d invo quer L absence d information des acheteurs favorise le conserva tisme des th mes et des titres Un titre connu fait vendre quoi bon chercher ailleurs Adaptons inlassablement Grimm et Perrault Et si l occasion se pr sente exploitons la publicit que vient de fournir une adaptation de cin ma ou de t l vision Comme le titre la collection est un facteur de vente Pour l diteur et l imprimeur elle r pond aussi un souci de normalisation technique commande de papier mode de fabrication Une collection impose un format et un nombre de pages uniformes Au texte d entrer dans ce li
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