interpréter le fascisme
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1. un r gime mais lorsque c est le cas la violence de masse y est toujours pr sente Usages publics de l histoire Si l on aborde ces interpr tations du fascisme sous l angle de leur impact sur la conscience historique et sur la m moire collective dans les pays o leur r ception a t plus importante le paysage devient contrast Mosse a fray le chemin et l historiographie est aujourd hui unanime lui reconna tre un r le de pionnier Ses tudes ont accompagn l essor de la m moire de Holocauste dans le monde occidental et ont t re ues comme un effort incontournable pour comprendre le nazisme sa culture ainsi que l arri re plan historique de ses crimes Son statut d intellectuel jud o allemand exil ne laissait planer aucune ambigu t sur la signification de ses efforts de compr hension du fascisme de l int rieur en proc dant par empathie Comme il l affirmait lors d une interview peu avant sa mort l Holocauste remettait en cause la culture europ enne dans son ensemble c est pourquoi ajoutait il tous mes ouvrages touchent d une fa on ou d une autre la catastrophe juive de mon poque Sa d fense de la campagne anti antifasciste de De Felice et de ses disciples en revanche n a pas t aussi limpide En Italie le renouvellement des paradigmes interpr tatifs du fascisme s est inscrit dans un contexte culturel et politique marqu par la remise en cause de la l gitimi2. coule de son interpr tation du fascisme comme r action purement antilib rale ou plus pr cis ment de sa r duction du fascisme une expression moderne des anti Lumi res dont l anticommunisme ne serait qu une variante Enfin Mosse Sternhell et Gentile sous estiment l anticommunisme cause de leur insistance sur la nature r volutionnaire du fascisme Or l anticommunisme fa onne le fascisme du d but la fin de sa trajectoire Il s agit d un anticommunisme militant agressif radical qui conf re un caract re nouveau au nationalisme et transforme sa religion civile en guerre de croisade contre lennemi En tant qu antibolchevisme le fascisme n appara t gu re r volutionnaire mais plut t comme un ph nom ne typiquement contre r volutionnaire qui prend son essor dans le climat de guerre civile n en Europe apr s 1917 La r pression de la r volte spartakiste Berlin des r publiques des conseils en Bavi re et Budapest en 1919 et du biennio rosso les deux ann es rouges italien en 1919 1920 en sont les moments marquants La r volution fasciste ne pouvait se d finir sinon par opposition radicale la r volution communiste Il s agissait bien en ce sens d une r volution contre la r volution Au fond c est cette dimension contre r volutionnaire qui constitue le socle commun des fascismes en Europe au del de leurs id ologies et de leurs parcours souvent diff rents Arno J
3. d un aspect massif fortement pr sent dans la conscience historique et dans la m moire collective des soci t s europ ennes Peut on faire abstraction de la violence dans la d finition du fascisme italien dont la parabole historique est encadr e par deux guerres civiles la premi re latente 1922 1925 et l autre particuli rement sanglante 1943 1945 avec au milieu une guerre coloniale qui prit vite les traits d un g nocide 1935 Peut on faire abstraction de la violence dans le cas du nazisme un r gime charismatique qui a connu un processus de radicalisation permanente de sa naissance jusqu sa chute dans une apoth ose de terreur et d extermination Peut on faire abstraction de la violence dans la d finition du franquisme n son tour d une guerre civile terriblement meurtri re suivie d une r pression syst matique marqu e pendant dix ans par des dizaines de milliers d ex cutions souvent extral gales et par la cr ation d un syst me tr s tendu de camps de travail forc 7 sur 8 Or la violence n est jamais au centre de la r flexion de Mosse Son ancien disciple Steven E Aschheim a sans doute raison de pr ciser que pour l historien am ricain les camps d extermination n taient au fond qu un aspect technique du nazisme alors que toute son oeuvre s efforce de comprendre l arri re plan mental et culturel de la violence nazie Entre l id ologie la culture et la politique d exter
4. dernier indiquait en Mosse Sternhell et Gentile c t du sociologue italo argentin Gino Germani les chercheurs qui avaient apport les contributions les plus importantes et novatrices l analyse du fascisme depuis la fin des ann es 1960 Sternhell quant lui a reconnu r cemment ses affinit s avec les h ritiers italiens de Renzo De Felice pour lesquels l explication du fascisme italien r side tout d abord dans l id ologie et la culture La culture fasciste Selon nos trois historiens le fascisme fut la fois une r volution une id ologie une vision du monde et une culture Une r volution car il ne regardait pas vers le pass mais voulait b tir une soci t nouvelle Une id ologie car il concevait le nationalisme comme une alternative moderne aussi bien au socialisme qu au lib ralisme Une vision du monde puisqu il inscrivait son projet politique dans une philosophie de l histoire Et une culture puisqu il voulait transformer l imaginaire collectif modifier les styles de vie supprimer tout clivage entre vie priv e et vie publique Il s agit pour les trois d une r volution de droite la fois antilib rale et antimarxiste spirituelle et communautaire Pendant longtemps l historiographie a d fendu une vision du fascisme comme magma clectique fait de mat riaux de r cup ration 2 sur 8 capable de se d finir seulement en n gatif en tant qu antilib ralisme a
5. politiques jusqu alors antinomiques l une de gauche et l autre de droite La droite r volutionnaire premi re manifestation du fascisme serait le produit d une synth se entre des courants de droite qui sous l impact de la soci t de masse avaient donn leur nationalisme une empreinte populiste et des courants de gauche qui pass s par une r vision du marxisme et affranchis de la tradition des Lumi res avaient pris une orientation nationaliste Le rejet partag de la d mocratie politique et du lib ralisme serait la base de cette fusion syncr tique entre droite populiste et gauche nationaliste d bouchant sur une forme nouvelle de socialisme national L essor du darwinisme social du racisme de l antilib ralisme de l antis mitisme de l litisme antid mocratique et d une critique de la modernit hant e par un sentiment de d cadence auraient cr un humus favorable la naissance du fascisme pr c d par le boulangisme et finalement par l affaire Dreyfus Ses p res spirituels seraient Maurice Barr s avec sa synth se d autoritarisme culte du chef anticapitalisme antis mitisme et un certain romantisme r volutionnaire et Georges Sorel avec sa r vision antimat rialiste du marxisme men e l aide de Le Bon Bergson Nietzsche et Pareto aux c t s desquels il faudrait placer Georges Valois et Jules Sury les premiers th oriciens du socialisme national Le profil id ol
6. 1 sur 8 Interpr ter le fascisme A propos de George L Mosse Zeev Sternhell et Emilio Gentile par Enzo Traverso X Parmi les historiens qui ont renouvel l interpr tation du fascisme au cours des vingt derni res propos de ann es George L Mosse Zeev Sternhell et Emilio Gentile occupent une place de taille Mosse a George L Mosse concentr ses recherches sur l Allemagne nazie Sternhell sur la France de la Ie R publique et Gentile sur l Italie de Mussolini mais tous ont adopt une perspective comparative dont le concept de fascisme constitue l horizon commun Zeev Sternhell Emilio Gentile Le r le de pionnier revient incontestablement Mosse le plus g r cemment d c d et d j canonis comme un des grands historiens du XXe si cle Son itin raire intellectuel est bien restitu dans ses m moires r cemment parues titre posthume Il tait n au d but de la r publique de Weimar au sein d une puissante famille du patriciat juif prussien son p re poss dant un des plus importants empires ditoriaux allemands Avec sa famille le jeune Mosse dut quitter l Allemagne en 1933 en poursuivant ses tudes d abord Cambridge en Grande Bretagne puis Harvard aux tats Unis o il s installa en 1939 Apr s avoir consacr une th se l histoire de la R forme il s orienta vers l tude du fascisme et du nazisme Il effectua la plupart de sa carri re l universit du Wisconsin Madison une d
7. Mayer a raison d affirmer que la contre r volution se d veloppa et arriva maturit travers toute l Europe sous les traits du fascisme C est au nom de l anticommunisme que le fascisme italien le nazisme et le franquisme convergent dans un front commun lors de la guerre civile espagnole plusieurs gards leur anticommunisme est bien plus fort que leur antilib ralisme En Italie en 1922 comme en Allemagne dix ans plus tard c est la convergence entre le fascisme et les lites traditionnelles de souche lib rale et conservatrice qui est l origine de la r volution l gale permettant l arriv e au pouvoir de Mussolini et Hitler Il ne s agit certes pas de r duire le fascisme l anticommunisme ou dans le sillage d Ernst Nolte une copie n gative du communisme Le fascisme essaie d articuler dans un syst me coh rent des l ments id ologiques n s avant la r volution russe de 1917 et il ne fait pas de doute que son anticommunisme se greffe tout naturellement dans le tronc des anti Lumi res Mais l anticommunisme demeure indispensable pour amalgamer ces diff rents l ments et surtout pour transformer une id ologie en politique et une vision du monde en un programme d action Autrement dit le fascisme n existerait pas sans l anticommunisme m me s il ne se r duit pas ce dernier C est au fond le concept m me de r volution fasciste largement utilis par nos trois historien
8. a d faite des forces de l Axe se profile en Europe sur des bases clairement national catholiques Certains historiens font de ce tournant le point de d part d une catholicisation de la Phalange et d une d fascisation du franquisme Des conflits entre autoritarisme conservateur et fascisme ont bien pu se produire au cours des ann es 1930 et 1940 comme le prouvent la chute de Dollfuss en Autriche en 1934 l limination de la Garde de fer roumaine par le g n ral Antonescu en 1941 ou encore la crise survenue entre le r gime nazi et une large partie de l lite militaire prussienne r v l e par l attentat contre Hitler en 1944 Mais ces conflits sont loin d clipser les moments de convergence rappel s plus haut Reste le probl me de la violence rel gu l arri re plan par ces trois interpr tations du fascisme ax es sur l id ologie les repr sentations et la culture Nos trois auteurs soulignent tous l importance du militarisme et de l imp rialisme du culte vitaliste du combat et du nationalisme guerrier au coeur du fascisme Mosse a consacr des tudes approfondies l essor de l antis mitisme v lkisch en clairant ainsi une des pr misses id ologiques de la Solution finale Avec son interpr tation de la Grande Guerre dont il indique une cons quence majeure dans l accoutumance des soci t s europ ennes au massacre industriel il a saisi une clef pour expliquer la violence nazie lors du de
9. amorphose s ach ve en effet au lendemain de la Grande Guerre quand le fascisme essaie d introduire dans la lutte politique le langage et les m thodes de combat h rit s des tranch es Grand tournant au coeur de l Europe la guerre totale avait banalis la violence et brutalis les soci t s en les accoutumant au massacre industriel et la mort anonyme de masse En tant que mouvement politique nationaliste le fascisme est issu de ce traumatisme Mosse le pr sente comme un produit de la nationalisation des masses puissamment acc l r e pendant la guerre La nationalisation des masses s exprime dans un ensemble de rites collectifs manifestations patriotiques culte des martyrs c l bration de f tes nationales monuments drapeaux et hymnes qui trouvent leur accomplissement liturgique dans les discours de Mussolini sur la Piazza Venezia Rome et de Hitler au stade Zeppelin de Nuremberg Autrement dit le fascisme devenu r gime illustre de mani re loquente un ph nom ne typique de la modernit la transformation du nationalisme en religion civile Il s agit d une tendance dont Mosse fait remonter les origines la R volution fran aise avec la sacralisation des institutions s culi res la R publique la foi dans la nation c l br e par des f tes collectives qui reproduisent des rituels de type religieux et la recherche d un style qui invente une relation nouvelle entre esth tique et politique E
10. as Il faut prendre en compte aussi ses repr sentations ses pratiques et sa capacit de donner forme aux sentiments populaires C est un imaginaire collectif qui a trouv dans le fascisme un foyer un miroir un amplificateur et un exutoire Dans cette perspective qui privil gie les aspects culturels et anthropologiques l conomie et la soci t aux id ologies et aux institutions l historiographie traditionnelle du fascisme et du nazisme compl tement ax e sur la dimension politique des r gimes peut tranquillement tre ignor e L tude des formes symboliques inspir e par Ernst Cassirer Aby Warburg et Ernst Kantorowicz est ses yeux bien plus f conde Certes Mosse a t il renouvel l interpr tation du fascisme en prenant au s rieux son langage et ses mythes mais son approche a montr au fil des ann es toutes ses faiblesses en d bouchant sur une histoire culturelle qui se substitue l histoire sociale et politique au lieu de l int grer Dans son premier grand ouvrage The Crisis of German Ideology 1964 Mosse s tait mis la recherche des racines du nazisme qu il rep rait dans un vaste mouvement culturel sp cifiquement allemand le nationalisme v lkisch Il tudiait la naissance de l id e allemande de Volk au sein du n oromantisme puis son institutionnalisation entre le dernier quart du XIXe si cle et la premi re guerre mondiale aussi bien dans le monde universitaire que dans les mouvemen
11. c Voegelin et Raymond Aron qui interpr te le nazisme et le communisme comme deux distinctes religions s culi res de la modernit partageant le m me rejet du lib ralisme et se nourrissant des m mes aspirations eschatologiques Pour Mosse le fascisme pr sente une dimension religieuse dans la mesure o il suscite chez ses adeptes une adh sion fond e davantage sur la croyance que sur la conviction rationnelle mais il en sonde surtout le style les pratiques et les repr sentations en attribuant une importance moindre ses contenus id ologiques Dans le sillage de Mosse Gentile d finit le style fasciste comme une sacralisation de la politique dont il analyse la symbolique la matraque comme outil d une politique purificatrice et r g n ratrice l appel lors des comm morations des martyrs le fascio littorio faisceau de licteurs comme symbole d union sans oublier le mythe de la louve fondatrice de Rome Il montre surtout jusqu quel point le fascisme lui m me tait conscient de sa dimension religieuse ouvertement revendiqu e par Mussolini dans un essai crit en collaboration avec Giovanni Gentile pour l Enciclopedia italiana D s 1922 Il popolo d Italia comparait le fascisme au christianisme en saisissant chez les deux tant une foi civile et politique qu une religion une milice une discipline de l esprit Dans le sillage de Jean Pierre Sironneau Emilio Gentile rel ve dans le fascisme la struc
12. ce permettant l esth tique fasciste d laborer ses mythes positifs de la virilit de la sant de l hygi ne physique et morale Mais la stigmatisation bourgeoise de l homosexualit coexiste dans le fascisme avec un imaginaire rotique h rit du M nnerbund la communaut masculine des mouvements de jeunesse allemands d avant 1914 et inspir des mod les esth tiques d origine grecque codifi s par Winckelmann d s la fin du XVIIIe si cle Plusieurs crivains de Pierre Drieu La Rochelle Robert Brasillach de Julius Evola Ernst J nger seront fortement attir s par ce m lange singulier de morale conservatrice d id ologie r pressive et d imaginaire transgressif Gr ce l eug nisme et la biologie raciale le nazisme avait transform ces st r otypes de l alt rit en cat gories m dicales Le concept de race crit Mosse concernait tout d abord les Juifs mais la transformation des outsiders en cas m dicaux les pla ait tous clairement en dehors des normes sociales Les malades mentaux les criminels ordinaires les homosexuels et les Juifs taient encore davantage fix s l int rieur de leur soi disant anormalit l aide de la notion de maladie Paradoxalement cette impulsion romantique coexistait dans le fascisme avec un culte de la modernit technique bien illustr par la c l bration de la vitesse chez les futuristes et par le romantisme d acier de Josef Goebbels qui v
13. d autres pays europ ens le fascisme fran ais est arriv au pouvoir sur le tard pour une tr s courte p riode en vertu d une d faite et d une occupation militaire sans lesquelles il est douteux qu il aurait jamais r ussi s riger en r gime Un fascisme de surcro t dont les traits taient rest s pendant longtemps essentiellement intellectuels et dont la transformation en r gime sous la forme de la R volution nationale du mar chal P tain avait eu lieu au prix d un syncr tisme singulier avec d autres courants politiques li s bien davantage la tradition conservatrice autoritaire et l gitimiste qu celle des fascismes europ ens C est pourquoi selon Robert O Paxton le r gime de Vichy rentre finalement dans la cat gorie des fascismes d occupation auxquels faisait d faut un trait essentiel du fascisme authentique une politique expansionniste de grandeur nationale R volution ou contre r volution Ce que Mosse Sternhell et Gentile partagent en revanche c est la sous estimation d un trait majeur du fascisme l anticommunisme Bien s r aucun d entre eux n ignore cet aspect mais aucun ne lui attribue un r le d cisif Cette sous estimation a des origines diff rentes Dans le cas de Mosse elle tient surtout sa d valorisation de la dimension id ologique du fascisme l avantage de ses aspects culturels esth tiques et symboliques Dans le cas de Sternhell elle d
14. davantage ses travaux vers l histoire culturelle tel point que ses affinit s m thodologiques avec Mosse sont aujourd hui bien plus videntes Mais De Felice reste le lien entre les deux De Felice et Mosse taient deux historiens plusieurs gards diff rents Le premier privil giait l histoire politique et institutionnelle par rapport la culture et l esth tique qui en revanche restent au centre de l attention du second En d pit de ces diff rences le biographe du Duce ne cachait pas son admiration pour son coll gue am ricain chez qui il trouvait la conceptualisation de plusieurs de ses intuitions Les travaux de Mosse lont aid pr ciser sa vision du fascisme comme ph nom ne de nature moderne et r volutionnaire saisir dans la nationalisation des masses la source du consensus populaire au r gime de Mussolini enfin rechercher les origines du fascisme dans une tradition de gauche de matrice jacobine Mosse de son c t voyait dans le biographe de Mussolini un chercheur qui avait syst matiquement appliqu dans ses travaux une m thode proche de la sienne consistant tudier le fascisme de l int rieur en prenant au s rieux ses hommes ses id es sa culture et son autorepr sentation sans les filtrer par un regard ext rieur notamment celui de l antifascisme D une certaine fa on De Felice est le lien qui unit les trois historiens au centre de cette tude D s 1983 ce
15. ec son universalisme de coloration juive Le nationalisme moderne tait n de la R volution fran aise et sa rencontre avec la soci t de masse la fin du XIXe si cle avait jet les bases pour la naissance du fascisme qui aura lieu apr s la rupture de 1914 Ainsi le fascisme incarnait il le rejet d un certain legs philosophique et culturel des Lumi res l id al de la Bildung et en m me temps en prolongeait et en radicalisait d autres traits constitutifs la nationalisation des masses Les mythes les symboles et l esth tique les vecteurs essentiels de ce processus ont ainsi pris une place pr pond rante dans les travaux de Mosse au d triment d autres composantes fondatrices du fascisme Ce dernier a sans doute h rit son style politique du jacobinisme mais son id ologie et sa vision du monde se sont forg es dans un conflit radical avec la philosophie des Lumi res et avec toutes les valeurs proclam es par la R volution fran aise Mosse en tait conscient mais ses travaux sont loin de prendre en consid ration toutes les implications de ce constat L id ologie fasciste De ce point de vue les travaux de Zeev Sternhell contribuent r quilibrer les perspectives En privil giant l histoire des id es ce dernier saisit le noyau du fascisme dans les anti Lumi res un refus total de la vision de l homme et de la soci t labor e de Hobbes Kant depuis la r volution anglaise du XVIIe si c
16. es grands 6 sur 8 guillemets si on ne veut pas se laisser aveugler par le langage et l esth tique du fascisme lui m me Philippe Burrin vise juste lorsqu il d finit le fascisme comme une r volution sans r volutionnaires L insistance sur cette matrice r volutionnaire du fascisme am ne nos historiens sous estimer voire nier la pr sence d une composante conservatrice au sein du fascisme Les trois insistent sur sa dimension moderne sur sa volont de b tir une civilisation nouvelle et sur son caract re totalitaire en oubliant un peu trop vite que le conservatisme accompagne la modernit dont il est l un des visages et que m me l id ologie de la contre r volution classique celle de Joseph de Maistre comme l avait montr Isaiah Berlin dans un brillant essai pr figurait certains traits du fascisme Pour Mosse son accord avec Jacob L Talmon s arr te l le fascisme est totalitaire dans la mesure o il se rattache une certaine tradition jacobine Pour Sternhell il est totalitaire en tant que critique moderne des Lumi res visant r g n rer la communaut nationale Et pour Gentile en tant que projet de modernisation de la soci t fond sur le culte de la technique et sur le mythe de l homme nouveau ce qui ferait de l id ologie fasciste la rationalisation la plus compl te de l tat totalitaire Or ces approches sont loin de restituer toute la complexit de
17. es plus liberal du monde universitaire am ricain Il v cut donc la fin de Weimar et l essor du nazisme l apog e et la disparition du juda sme allemand l antifascisme des ann es 1930 la guerre le maccarthysme dans l Am rique des ann es 1950 et enfin l atmosph re bouillonnante des campus dans les ann es 1960 Juif et homosexuel il puisait son propre bagage de souvenirs et d exp riences lorsqu il crivait sur le probl me de la respectabilit bourgeoise sur la relation complexe entre nationalisme et sexualit entre norme et alt rit entre nationalisme et avant garde artistique ainsi que sur l image du corps dans l esth tique fasciste Appartenant des g n rations post rieures Sternhell et Gentile ont connu d autres exp riences formatrices Le premier professeur l universit de J rusalem s est form l Institut d tudes politiques de Paris o il a pr par sa th se Bien qu il ait par la suite pris ses distances l gard de cette institution il a b ti une oeuvre qui porte l empreinte d une histoire des id es politiques de facture plut t classique imperm able aux contaminations de l anthropologie et de l histoire sociale et culturelle Gentile quant lui a t un disciple du principal biographe de Mussolini et historien italien du fascisme Renzo De Felice vis vis duquel il reconna t sa filiation intellectuelle Il s est cependant loign de son ma tre en orientant
18. in d tre un simple incident de parcours d la d faite et l occupation allemande le r gime de Vichy tait le produit d une histoire bien hexagonale dans laquelle convergeaient plusieurs courants de pens e enracin s dans la culture fran aise depuis presque un demi si cle La th se de Sternhell a marqu un tournant et occupe aujourd hui une place incontournable dans le d bat historiographique Ce d bat est loin d tre puis mais la vision traditionnelle d une culture fran aise allergique au fascisme a graduellement t abandonn e au bout de plusieurs tapes d adaptations r visions et ajustements L id e d une origine fran aise du fascisme reste hautement controvers e mais l existence d un fascisme fran ais est d sormais reconnue Enzo Traverso Enzo Traverso est ma tre de conf rences en sciences politiques l universit de Picardie Il est l auteur entre autres de f feu et sang De la guerre civile europ enne 1914 1945 Le Pass mode d emploi Histoire m moire politique et La Violence nazie Essai de g n alogie historique Articles de cet auteur dans les n 3 4 et 6 de la RiLi Interpr ter le fascisme Allemagne nazie et Espagne inquisitoriale Le comparatisme historique de Christiane Stallaert et Messianisme orientalisme et Holocauste Un bilan historique du sionisme Autre s article s du m me auteur paru s dans la RiLi Allemagne
19. it le fascisme et le nazisme deux formes distinctes de totalitarisme l un de gauche et l autre de droite l un issu du jacobinisme et l autre du racisme Cette remarque de Sternhell s inscrit cependant dans une vision globale bien probl matique D un c t elle permet de saisir la singularit historique de l antis mitisme nazi li sa vision du monde fond e sur la biologie raciale et d bouchant sur une pratique d extermination industrielle qui demeure sa caract ristique exclusive De l autre c t elle nie l appartenance du nazisme la famille politique des fascismes une famille europ enne qui a connu diff rentes variantes qui n exclut certes pas la sp cificit de chaque r gime mais qui constitue n anmoins leur matrice commune Dans l Europe des ann es 1930 le fascisme se dessinait tout d abord comme un champ magn tique au sein duquel s inscrivaient des intellectuels des mouvements des partis et des r gimes Chacun y apportait ses propres traditions nationales et dosait sa guise le m lange entre conservatisme et modernit r volution et contre r volution nationalisme et imp rialisme antis mitisme et racisme anti lib ralisme et anticommunisme qui est au coeur de toute forme de fascisme chacun laborait ses mythes et ses symboles chacun les traduisait aussi en pratiques politiques L impr gnation fasciste pour utiliser les termes de Sternhell ne prend pas toujours la forme d
20. la relation entretenue par le fascisme avec le conservatisme D autres historiens plus soucieux de ramener la fa ade id ologique et propagandiste du r gime son contenu social et politique ont parl en revanche de faillite des ambitions totalitaires du fascisme Ils ont ainsi soulign dans le cas italien la bureaucratisation et la stabilisation conservatrice du r gime pendant les ann es 1930 lorsque le parti fasciste est pratiquement absorb au sein de l appareil d tat l envers de ce qui se produit en Allemagne Le modernisme du nazisme allemand et du fascisme italien n a pas emp ch ces deux r gimes d absorber des courants conservateurs dans leur syst me de pouvoir C est par r flexe conservateur plut t que par adh sion id ologique que les lites conomiques et l arm e allemande soutiennent le r gime hitl rien en devenant des composantes incontournables de sa polycratie Et c est en prenant conscience de la n cessit pour consolider son pouvoir d obtenir le soutien des forces conservatrices essentielles de la soci t italienne que Mussolini accepte d abord d riger son r gime l ombre de la monarchie de Victor Emmanuel III et d cide ensuite de parvenir un compromis avec l glise catholique Cela vaut bien davantage dans le cas fran ais au centre de l analyse de Sternhell En d pit de ses traits fascistes le r gime de Vichy reste ancr un projet restaurateur autoritaire et t
21. le jusqu aux r volutions am ricaine et fran aise Dans son dernier ouvrage Sternhell d crit le fascisme comme une forme exacerb e de la tradition de la contre r volution Avec le fascisme ajoute t il l Europe se donne des r gimes et des mouvements politiques dont le projet n est rien moins que la destruction de la culture des Lumi res de ses principes et de ses structures intellectuelles et politiques Mais sa tendance r duire le fascisme un arch type id ologique et en capturer l essence au sens platonicien dans un processus intellectuel isol de son contexte social pr sente des limites tout aussi consid rables quoique diff rentes que celles d j relev es chez Mosse L approche de Sternhell se caract rise non seulement par son indiff rence la mythologie et au symbolisme fascistes mais plus en g n ral par son rejet normatif de tout apport de l histoire sociale Le fascisme explique t il contre ses critiques a des raisons intellectuelles profondes en ajoutant que pour le comprendre l histoire sociale ne sera pas d un grand secours Dans un ensemble d ouvrages constamment r dit s et enrichis Sternhell a pr sent le fascisme comme un courant id ologique apparu en France la fin du XIXe si cle l poque de l affaire Dreyfus et ayant naturellement d bouch dans le r gime de Vichy en 1940 Il serait issu de la rencontre et de la fusion de deux traditions
22. le tournant de 1914 1918 Sur la base de son approche privil giant l essence id ologique du fascisme plut t que ses manifestations historiques concr tes Sternhell donne la m me importance aux repr sentants du Cercle Proudhon qu aux chefs fascistes des ann es 1930 non plus animateurs d une n buleuse groupusculaire mais dirigeants de partis de masse Bref Sternhell efface les diff rences qui s parent le pr fascisme du fascisme puis le mouvement du r gime fasciste des diff rences qui ont t au centre de l attention des historiens depuis des d cennies D autres critiques de Sternhell ont soulign la pertinence limit e de sa conception du fascisme comme synth se entre deux traditions politiques l une issue de la gauche et l autre de la droite Cette vision peut certes trouver des points d appui dans les cas fran ais et italien avec les pr cisions chronologiques rappel es mais ne peut pas tre g n ralis e On ne trouve aucune composante de gauche l origine de deux variantes majeures du fascisme en Europe comme le nazisme allemand et le franquisme espagnol sans prendre en consid ration le cas portugais ou ceux de la n buleuse fasciste d Europe centrale Il s agit donc d une conception certains critiques n ont pas h sit la qualifier de gallo centrique qui transforme en paradigme le fascisme fran ais c est dire un fascisme somme toute marginal Incomparablement plus faible que celui
23. mination reste n anmoins un cart que ses travaux n ont jamais essay de combler Dans son dernier ouvrage Mosse semble r duire la comparaison entre fascisme et nazisme sur le plan de la violence la dimension humaine plus marqu e du dictateur italien par rapport son homologue allemand la diff rence de son ma tre De Felice qui soulignait l exclusion de l Italie fasciste du c ne d ombre de l Holocauste Gentile vite ce genre de comparaisons qui sous la plume d un Italien risquent de prendre une coloration apolog tique Il souligne tr s lucidement l incapacit de Mosse voir un des l ments constitutifs du fascisme dans la militarisation de la politique Dans ses propres travaux cependant il ne semble gu re s int resser la violence du fascisme italien Interpr ter le fascisme de l int rieur en partant du langage de la culture des croyances des symboles et des mythes de ses protagonistes permet de comprendre des aspects essentiels de cette exp rience historique Un regard ext rieur qui en rejetant a priori toute empathie entre l historien et son objet d tude remplace l effort de compr hension par un jugement thico politique est condamn ne pas saisir la nature du fascisme C est la conviction qui a amen De Felice Mosse et Gentile rejeter l interpr tation antifasciste du fascisme Les r sultats de cette approche ont t contradictoires avec des intuitions novat
24. n ce sens il voit dans le fascisme un descendant direct du style politique jacobin Par la c l bration de ses conqu tes et la comm moration de ses martyrs le fascisme s inscrit dans le sillage des f tes r volutionnaires de la R volution Fran aise Mais il h rite aussi ses pratiques d une certaine tradition socialiste surtout allemande En mobilisant les travailleurs autour de valeurs mancipation galit socialisme et en les encadrant l int rieur de puissantes organisations non seulement politiques et syndicales mais aussi sportives culturelles juv niles etc les sociaux d mocrates avaient cr une nouvelle 3 sur 8 religion s culi re b tie autour de symboles comme le drapeau rouge et de rituels comme les manifestations du 1er Mai avec leur chor graphie et leurs hymnes Certes la diff rence essentielle entre le socialisme et le fascisme r sidait dans le fait que chez le premier la dimension religieuse trouvait son contrepoids dans un fort ancrage au rationalisme des Lumi res et une conception de l mancipation prol tarienne aux antipodes du populisme fasciste Mais cette diff rence essentielle n emp chait pas le socialisme selon Mosse d exercer une influence consid rable sur le fascisme en tant que mod le dont il pouvait reproduire certaines formes tout en rejetant ses valeurs Cette approche ne s identifie pas tout fait avec celle labor e partir des ann es 1930 et 1940 par ri
25. nazie et Espagne inquisitoriale Le comparatisme historique de Christiane Stallaert Messianisme orientalisme et Holocauste Un bilan historique du sionisme Le si cle de Hobsbawm La transformation du monde Deux histoires du xixe si cle Pour citer cet article Enzo Traverso Interpr ter le fascisme in La Revue Internationale des Livres et des Id es 06 05 2010 url http www revuedeslivres net articles php idArt 99
26. ntexte que s inscrit la r ception de l oeuvre de Gentile Originale et novatrice son tude de la culture fasciste risque de se r v ler tout aussi unilat rale que les interpr tations antifascistes dominantes dans les ann es de l apr s guerre et qu elle se propose maintenant de d passer Pour comprendre le fascisme il ne suffit pas d tudier ses auto repr sentations de m me qu il ne suffit pas de le r duire l image qu en donnaient ses ennemis Comme ses critiques lui ont reproch une telle m thode consistant privil gier la litt ralit du discours fasciste risque souvent de tomber dans le pi ge de ne plus voir la diff rence qui existe entre les mots et les faits en identifiant la soci t avec le r gime et ce dernier avec sa fa ade ext rieure Les travaux de Sternhell ont eu des effets diff rents en France o ils ont secou de fa on tr s salutaire l ancien consensus historiographique sur l inexistence d un fascisme fran ais en devenant un des moments marquants du r veil du syndrome de Vichy Jusqu au milieu des ann es 1970 la th se de Ren R mond sur l immunit fran aise vis vis du fascisme consid r comme un ph nom ne tranger aux trois traditions de la droite nationale l gitimiste orl aniste et bonapartiste avait accompagn l oubli de Vichy Avec d autres historiens notamment Robert O Paxton Sternhell a rouvert le d bat Il a montr que lo
27. nticommunisme antid mocratie antis mitisme anti Lumi res mais fonci rement incapable de produire une culture originale et harmonieuse Selon Norberto Bobbio la coh rence id ologique du fascisme n tait qu apparente et tenait la fusion de ses n gations avec d autres valeurs h rit es d une tradition autoritaire et conservatrice qui elle n avait rien de moderne et encore moins de r volutionnaire ordre hi rarchie ob issance Contre cette vision nos historiens soulignent la coh rence du projet fasciste qui certes s appropriait plusieurs l ments pr existants mais parvenait les fondre dans une synth se nouvelle Dissoutes dans le maelstr m fasciste les valeurs conservatrices changeaient leurs codes et resurgissaient charg es d une connotation in dite minemment moderne Le darwinisme social transformait l id e organiciste de communaut h rit e de l Ancien R gime en une vision monolithique de la nation fond e sur la race et issue d un processus de s lection naturelle Le militarisme et l imp rialisme muaient le rejet de la d mocratie et de l galit en culte de l ordre national et racial le rejet de l individualisme en adoration de la masse l id al chevaleresque de courage en culte vitaliste et irrationaliste du combat l id e de force en projet de conqu te et de domination le principe d autorit en vision totalitaire du monde Les composantes du fascisme taient certes dispara
28. ogique du fascisme aurait donc pris forme bien avant 1914 et la France de la Ille R publique serait son v ritable laboratoire Tout autour de cette constellation intellectuelle Sternhell place un Zeitgeist marqu par des figures comme douard Drumont l auteur de La France juive Charles Maurras le fondateur d Action fran aise le sociologue Gabriel Tarde l historien Hyppolite Taine et l eug niste Georges Vacher de Lapouge Le climat intellectuel de l entre deux guerres aurait in vitablement accentu cette tendance au socialisme national lui permettant de s panouir et de trouver une assise de masse La synth se fasciste aurait connu une deuxi me tape avec l arriv e au pouvoir de Mussolini en Italie puis une troisi me au cours des ann es 1930 marqu e par des figures telles que le n osocialiste Marcel D at l ex communiste Jacques Doriot les spiritualistes Bertrand de Jouvenel Thierry Maulnier et Emmanuel Mounier le planiste belge Henri De Man ainsi qu une vaste cohorte d esth tes et de nationalistes sociaux tels que l crivain Pierre Drieu La Rochelle et Robert Brasillach Au cours des ann es 1930 le fascisme fran ais devient un ph nom ne politique de masse Il n est plus incarn par des petits c nacles intellectuels comme le Cercle Proudhon mais par des partis qui regroupent des dizaines de milliers de membres l instar du Parti Populaire Fran ais de Jacques D
29. oriot et des Chemises vertes de Henry Dorg res Dans la perspective de Sternhell Vichy ach ve la parabole du fascisme fran ais comme le d bouch naturel et logique d un long parcours amorc lors de l affaire Dreyfus quarante ans plus t t La nettet avec laquelle cette th se est d fendue dans Ni droite ni gauche 1983 r v le selon certains commentateurs les traces videntes d une approche t l ologique Mais ces critiques n ont pas convaincu Sternhell qui dans un long essai ajout la troisi me dition de son livre r affirme sa th se Tous les principes qui sous tendent la l gislation de Vichy sont inscrits dans le programme du nationalisme des ann es 1890 La limite fondamentale de la th se de Sternhell r side comme de nombreux historiens l ont indiqu dans la tendance r duire l histoire du fascisme sa g n alogie intellectuelle Dans le sillage de Mosse Gentile reste convaincu que le fascisme a besoin pour na tre de la premi re guerre mondiale sa vraie matrice la crise de civilisation sans laquelle la synth se que d crit Sternhell n aurait jamais d pass le stade de quelques cercles intellectuels marginaux et impuissants C est la Grande Guerre qui provoque l effondrement d finitif de l ordre europ en issu un si cle plus t t du Congr s de Vienne remet en cause radicalement l ordre lib ral et conf re au nationalisme un caract re nouveau bien plus agressif milita
30. oulait unir la beaut naturelle des for ts germaniques avec la puissance industrielle des usines Krupp Il y a l tous les l ments d une m tamorphose du pessimisme culturel de la fin du XIXe si cle en modernisme r actionnaire capable de r activer les valeurs de la tradition conservatrice dans une lutte pour la r g n ration nationale avec les moyens de l imp rialisme et de l tat totalitaire Mais la notion de modernisme r actionnaire rappelle trop la base id ologique h t rog ne sinon ouvertement clectique du fascisme pour recueillir l approbation de nos auteurs Ils n attribuent aucun caract re r actionnaire au fascisme qui constitue leurs yeux un ph nom ne r volutionnaire part enti re Selon Gentile les concepts de modernisme fasciste et de modernit totalitaire seraient beaucoup plus appropri s Tous les l ments constitutifs du fascisme se greffent sur la branche du nationalisme qui dans la soci t de masse conna t une transformation qualitative en largissant ses bases en modifiant son langage et en recrutant ses chefs au sein des couches populaires Le F hrer et le Duce ne sont plus des politiciens d origine aristocratique mais des pl b iens qui trangers aux voies traditionnelles de formation des lites dominantes ont d couvert leur vocation politique au contact des masses lors des crises politiques qui ont pr c d ou suivi le premier conflit mondial Cette m t
31. raditionaliste celui de la R volution nationale qui souligne Robert O Paxton se situe manifestement plus pr s du conservatisme que du fascisme Toutes les mes du nationalisme et de l extr me droite fran aise convergent sur la base d un rejet partag du parlementarisme dans le r gime de Vichy en le caract risant comme un m lange de conservatisme et de fascisme Embl matique de ce point de vue est le cas espagnol ignor par nos trois historiens En Espagne deux mes coexistent au sein du franquisme d un c t le national catholicisme l id ologie conservatrice des lites traditionnelles de la grande propri t fonci re jusqu l glise de l autre un nationalisme d orientation explicitement fasciste s culier moderniste imp rialiste r volutionnaire et totalitaire incarn par la Phalange Le premier n est nullement fascin par le mythe d une civilisation nouvelle car il veut restaurer une grandeur espagnole projet e non pas dans l avenir mais dans le pass dans le Siglo de oro Le deuxi me veut b tir un tat fasciste moderne et puissant int gr dans une Europe totalitaire aux c t s de l Italie et de l Allemagne pr misse de son expansion imp rialiste en Afrique et en Am rique latine Franco joue un r le de m diateur entre ces deux p les durant la guerre civile et les premi res ann es de son r gime qu il r organise ensuite partir de 1943 lorsque l
32. rices et des points aveugles stup fiants En r duisant le fascisme sa culture et son imaginaire sa violence demeure symbolique Pour saisir la port e r elle de la violence fasciste il est n cessaire d adopter un autre type d empathie dirig e cette fois vers ses victimes Il va sans dire que cela implique l adoption d une posture pist mologique li e quant elle la tradition de l antifascisme Le caract re souvent id ologique de cette tradition et les abus dont elle a t la source dans le pass lorsqu elle a pu remplacer l analyse historique par le jugement moral ne remettent pas en cause la pertinence d un grand nombre d tudes qui s y rattachent Sternhell en revanche se limite voquer un clivage id ologique ses yeux le fascisme ne saurait en aucune fa on tre identifi avec le nazisme fond sur le d terminisme biologique Les deux pr sentent certes des traits communs mais se s parent sur ce point d cisif Le racisme biologique est incontestablement pr sent dans le fascisme fran ais mais c est seulement avec le nazisme qu il devient lui tout seul l alpha et l om ga d une id ologie d un mouvement et d un r gime Sur ce point Sternhell se rapproche de De Felice qui a toujours insist sur les origines r volutionnaires et de gauche du fascisme italien oppos es celles romantiques et r actionnaires du nazisme Dans le sillage de Jacob Talmon De Felice ramena
33. riste imp rialiste et antid mocratique En dehors de cette rupture la naissance du fascisme et du nazisme n aurait jamais pu se produire comme le reconnaissaient ses protagonistes eux m mes Bien que Sternhell refuse de prendre en consid ration le poids et l incidence qu ont eue les ba onnettes sur la pens e c est la guerre qui en Italie a donn naissance au fascisme C est elle qui a permis la rencontre entre un courant socialiste devenu nationaliste Mussolini et le syndicalisme r volutionnaire Sergio Panunzio le nationalisme radical Enrico Corradini Alfredo Rocco l irr dentisme D Annunzio le lib ralisme 5 sur 8 conservateur Giovanni Gentile et une avant garde futuriste devenue son tour belliciste Marinetti Emilio Gentile souligne que le nationalisme d avant 1914 ne voulait pas r g n rer la civilisation tandis que en d pit de ses tendances nationalistes le syndicalisme r volutionnaire visait encore l mancipation des producteurs par la gr ve g n rale Ce n est qu apr s la rupture de la Grande Guerre que ce courant abandonna son projet social au nom du nationalisme en s impliquant dans une action politique dont le mouvement ouvrier constituait m me l une des cibles privil gi es Beaucoup plus que le fascisme pourrait on remarquer Sternhell a mis en lumi re un pr fascismedont les l ments constitutifs ne se seraient articul s amalgam s et r unis organiquement qu apr s
34. s y compris dans le titre de leurs travaux qui soul ve une interrogation majeure S ils ont raison de souligner les faiblesses des interpr tations marxistes du fascisme ils ont tort de les ignorer compl tement car elles auraient pu les aider saisir la port e r elle de la r volution fasciste Les fascismes ont bien instaur des r gimes nouveaux en d truisant l tat de droit le parlementarisme et la d mocratie lib rale mais l exception de l Espagne franquiste ils ont pris le pouvoir par des voies l gales et n ont jamais boulevers la structure conomique de la soci t la diff rence des r volutions communistes qui ont radicalement modifi les formes de la propri t les fascismes ont toujours int gr dans leur syst me de pouvoir les anciennes lites conomiques administratives et militaires Autrement dit la naissance des r gimes fascistes implique toujours un certain degr d osmose entre fascisme autoritarisme et conservatisme Aucun mouvement fasciste n est arriv au pouvoir sans l appui ne serait ce que par d faut des lites traditionnelles Cela vaut sur le plan conomique et social mais aussi dans une certaine mesure sur le plan id ologique si l on pense la coexistence de Mussolini et du lib ral Giovanni Gentile dans le fascisme italien des carlistes et des phalangistes dans le franquisme Quand on parle de r volution fasciste il faudrait toujours utiliser d
35. t thique et politique de l antifascisme Les tudes ax es sur la dimension culturelle et symbolique du fascisme ont accompagn sa d politisation en tant qu objet de m moire C est l abri de la revendication n opositiviste d une tude scientifique et d politis e de l histoire du fascisme que s est produite en Italie sous la b n diction de la droite et des m dias la r conciliation de la nation avec son pass La fronti re entre compr hension et l gitimation est petit petit devenue tr s floue La liturgie du fascisme a t inscrite au patrimoine national tandis que l antifascisme a t disqualifi en tant qu action d une minorit Le fascisme incarnerait ainsi la m moire nationale tandis que l antifascisme n apr s le 8 septembre 1943 serait un produit de la mort de la patrie Dans la vulgate m diatique que De Felice a presque toujours encourag e la violence du fascisme a t mise entre parenth ses en gommant 8 sur 8 ses aspects g nocidaires en Afrique et en relativisant sa complicit avec la politique exterminatrice du nazisme La violence de la R publique de Sal a t s par e de l histoire du fascisme et relativis e dans le contexte de la guerre civile italienne des ann es 1943 1945 o elle s expliquerait comme r action la violence antifasciste qualifi e selon les pr f rences de communiste totalitaire ou antinationale C est dans ce co
36. te leur seul trait partag l antilib ralisme En r alit la continuit qu il saisit entre jacobinisme et fascisme ne concerne pas l id ologie et se cantonne au style politique deux mani res distinctes de sacraliser la nation L assimilation du fascisme au communisme est rejet e aussi par Gentile qui souligne l antith se radicale entre le nationalisme de l un et l internationalisme de l autre une antith se qui enl ve ses yeux tout fondement historique la vision d une pr tendue affinit g n tique entre les deux Selon Sternhell enfin les affinit s entre le communisme et le fascisme sont purement superficielles car ils poss daient une conception totalement oppos e de l homme et de la soci t Ils poursuivaient des buts r volutionnaires mais leurs r volutions taient aux antipodes l une conomique et sociale l autre culturelle morale psychologique et politique visant changer la civilisation mais certes pas d truire le capitalisme Cette diff rence radicale renvoie la relation antinomique que communisme et fascisme entretiennent avec la tradition des Lumi res dont l un se voulait l h ritier et l autre le fossoyeur Les limites d une histoire culturelle du fascisme Mosse consid re l histoire culturelle comme un domaine bien plus vaste que l histoire des id es Pour comprendre le fascisme pense t il l histoire id ologique et politique ne suffit p
37. tes On y trouve d abord une impulsion romantique c est dire une mystique nationale qui id alise des traditions anciennes souvent en fabriquant de toutes pi ces un pass mythique La culture fasciste exalte l action la virilit la jeunesse le combat en les traduisant dans une certaine image du corps dans des gestes des embl mes des symboles qui devraient red finir l identit nationale Toutes ces valeurs exigent leur antith se qui se d cline en une multiplicit de figures n gatives de l alt rit l alt rit de genre des homosexuels et des femmes n acceptant pas une position subalterne l alt rit sociale des criminels l alt rit politique des anarchistes communistes et subversifs l alt rit raciale des Juifs et des peuples colonis s Tous portent les stigmates dans le corps et dans l esprit d une d g n rescence qui symbolise l antith se de la normalit bourgeoise aussi bien physique qu esth tique et morale L intellectuel qui vit en ville loin de la nature qui ne pratique pas de sport ne soigne pas son corps et pense au lieu d agir incarne la maladie et la d cadence auxquelles s opposent la vigueur physique le courage le m pris du danger et l thique guerri re de l homme nouveau fasciste Il va sans dire que le Juif incarne de fa on id al typique cet ensemble de traits n gatifs Jud it homosexualit et f minit sont les figures n gatives par excellen
38. ts de jeunesse pour analyser enfin son essor dans le national socialisme apr s 1918 Le trait marquant de cette id ologie v lkisch lui apparaissait alors se trouver dans le rejet des Lumi res Son interpr tation du nazisme se pr sentait encore comme une version nouvelle plus ax e sur l anthropologie et la culture que sur la politique de la th orie traditionnelle du Sonderweg allemand Certes une version plus sophistiqu e et admirablement argument e sur le plan culturel mais non pas qualitativement distincte du diagnostic apparu au lendemain de la guerre lorsqu on commen a interpr ter le chemin du Reich wilhelmien vers la modernit comme un loignement par rapport un pr tendu mod le occidental incarn par la R volution fran aise et le lib ralisme britannique partir des ann es 1970 en revanche Mosse a commenc explorer peut tre sous l influence de l cole de Francfort le c t sombre de l Aufkl rung dont il a analys la dialectique n gative non pas en philosophe mais en historien de la culture Au fur et mesure que le nationalisme absorba t le conformisme bourgeois l id al de la Bildung l ducation la culture et l auto perfectionnement con us comme valeurs universelles tait rel gu dans le camp des outsiders en prenant une coloration de plus en plus juive Le hiatus nationaliste s appropriait la respectabilit bourgeoise Sittlichkeit et 4 sur 8 rejetait la Bildung av
39. ture typique d une religion articul e autour de quatre dimensions essentielles la foi le mythe le rite et la communion Pour appr hender la liturgie politique du fascisme la notion de religion civile serait ses yeux bien plus pertinente que celle d esth tisation de la politique labor e en 1935 par Walter Benjamin analysant les crits d Ernst J nger et Filippo Tommaso Marinetti puis utilis e par Mosse Gentile trouve cette d finition insatisfaisante en soulignant que dans le fascisme l esth tisation de la politique tait tout fait indissociable d une politisation de l esth tique dont les diff rentes manifestations taient soumises aux dogmes d une id ologie et soutenues par la force d une foi Il n emp che que la mobilisation des masses li e aux rituels de la religion fasciste ne visait pas les transformer en sujets historiques mais plut t les r duire comme l crivait Siegfried Kracauer d s 1936 en pure forme ornementale Ne pas saisir cet aspect signifie une fois de plus tomber dans le pi ge qui consiste identifier le fascisme avec son autorepr sentation Tout en reconnaissant dans le jacobinisme leur matrice commune Mosse ne voyait pas fascisme et communisme comme deux syst mes politiques de nature analogue Leurs diff rences sont telles qu il n acceptait pas de les regrouper dans une seule cat gorie le totalitarisme en adoptant une d finition qui s arr
40. uxi me conflit mondial Mais ces intuitions ne sont pas int gr es dans sa d finition du fascisme qui reste limit e sa base culturelle mythique et symbolique Gentile quant lui a soulign l importance de la cr ation de l Empire pour l ach vement de l tat totalitaire italien sans toutefois s interroger sur le lien existant entre l id ologie et les pratiques du r gime D une mani re g n rale ni Mosse ni Gentile ne prennent la mesure de l h ritage colonial europ en dans la formation du fascisme et du nazisme Cet h ritage est pourtant vident tant dans la culture les concepts d espace vital de sub humanit de race dominante etc que dans les modalit s de leur politique expansionniste l agression fasciste contre l thiopie en 1935 et le Blitzkrieg nazi contre l URSS en 1941 con us comme des guerres coloniales de conqu te et d extermination Le probl me est en revanche vacu par Sternhell qui en faisant du nationalisme fran ais de la fin du XIXe si cle la version id al typique du fascisme exclut la violence de ses l ments constitutifs ou la r duit implicitement un piph nom ne d coulant de fa on tout fait naturelle et imm diate de l id ologie Aucun des trois en substance ne d signe la violence comme un trait consubstantiel du fascisme d ploy sous forme de r pression de masse de syst me concentrationnaire ou de pratiques exterminatrices Il s agit pourtant
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